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  • : Philo-socio-anthropo-histoire. Revue en ligne éditée par une partie de l'ancienne rédaction de "La Pensée" exclue en 2004, élargie à d’autres collaborateurs et consacrée au renouvellement de la pensée critique de la globalisation, du politique, de l’économique, du social et du culturel.
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  • Cette revue de Philo-socio-anthropo-histoire est éditée par une équipe de militants-chercheurs. Elle est ouverte à tout auteur développant une pensée critique sur la crise de civilisation du système capitaliste occidental.
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4 décembre 2016 7 04 /12 /décembre /2016 20:18

Au moment où le monde entier porte un regard, hagiographique ou au contraire dénonciateur, envers le meneur de la Révolution cubaine qui vient de s'éteindre, répéter ce qui se dit ailleurs n'aurait pas été d'une grande utilité. Il était plus intéressant de sentir l'atmosphère qu'on veut faire régner dans les anciens « pays frères » de Cuba, convertis depuis 1989 en factotum de l'hyperpuissance qui n'a jamais été en état de défaire la petit île rebelle située à quelques miles de ses côtes.

En Roumanie, comme en Pologne, comme ailleurs dans le « centre-Est » d'une Europe désormais en crise, les « élites » politiques, médiatiques, économiques, intellectuelles, en ont rajouté dans la dénonciation à l'occasion de la mort de Fidel Castro, par rapport à leurs « modèles » occidentaux ...Alors que, en réaction, bien souvent les commentaires des internautes de ces mêmes pays montrent que le citoyen moyen commence à sortir de l'ambiance ampoulée qu'on a voulu lui imposer depuis 1989. Il faut aller dans les pays post-soviétiques pour trouver chez certains intellectuels plus de compréhension envers un pays qui a su résister seul au vent dominant, sans plus posséder aucun arrière. Bref, le ressenti roumain permet aussi de rappeler quelques évidences concernant une authentique révolution, celle qui eut lieu à Cuba. « Évidences » que même ses hagiographes occidentaux ont pu souvent négliger, tant ils éprouvent de difficulté à comprendre les phénomènes « étranges » et les schémas mentaux qui traversent des peuples qui ont connu une histoire tellement plus tragique que ce que leur mémoire et leur imagination peut encore être en état d'atteindre.

La Rédaction

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Cuba Si… Yankee No…

ou Fidel Castro et le « fidelisme » à l’usage des Roumains…

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Décembre 2016

 

Claude Karnoouh

Hormis quelques intellectuels de gauche ou conservateurs de bon aloi, qui ont compris que l’anticommunisme d’opérette de Roumanie n’est qu'un simple paravent pour offrir une légitimité à une droite libérale et très radicale ou au laisser-aller du sommeil dogmatique typique des universitaires frileux, poltrons et lâches, mais prétendument « objectifs », quoique plutôt « abjectifs », la mort de Castro a engendré une masse de commentaires d’une bêtise et d’un analphabétisme politique et historique confondants. Je sais qu’une mentalité de laquais, souvent fripons, habite de nombreux intellectuels roumains (heureusement pas tous), cependant, la mort de Castro a lancé le concours du commentaire le plus odieux où des records de stupidité ont été atteints. Même un bon ami que je trouve habituellement un subtil analyste de la société roumaine, a osé écrire que Castro était (sic !) « un mélange de Ceausescu et de Pàunescu1 ». Pour avoir le toupet ou, dans son cas, l’inconscience d’écrire une pareille fadaise, il faut vraiment être profondément ignorant du B.A.-BA de l’histoire de l’Amérique latine et des mouvements de libération nationale dans le continent. Si l’on veut jouer à genre de synthèse, alors Castro serait un mélange de Perón et de Ho-Chi-Minh.

 

Faut-il en premier lieu rappeler aux Roumains que le régime communiste cubain est le produit d’une authentique révolution populaire qui a commencé dans les montagnes de la Sierra Maestra ayant été précédée par quelques tentatives sanglantes et échouées d’actions révolutionnaires. Dans les montagnes, en effet, une poignée d’hommes, essentiellement des intellectuels, à la fois courageux et déterminés, ont su faire face à l’adversité d’une dictature sanglante, peu à peu mobiliser d’une part les étudiants des villes, mais surtout les campesinos des latifundias locales et les ouvriers agricoles de l’United fruit company, géant de l’agro-alimentaire dans toute l’Amérique centrale et les Caraïbes, la même qui œuvrait au Nicaragua sous Somoza, à El Salvador en finançant les tueurs locaux payés par la CIA, à Haïti en protégeant Papa Doc, au Guatemala en ayant liquidé un gouvernement national qui cherchait à renégocier les contrats d’exploitation rurale, etc. En d’autres mots, la révolution cubaine n’est pas arrivée précédée par les chars soviétiques, les chars soviétiques ont été donnés ou vendus plus tard sans les tankistes.

 

Cuba, un pays de tradition révolutionnaire ancienne

Par ailleurs il faut savoir que Cuba possède une ancienne tradition de révolution populaire venue de José Marti, et qui, à la fin du XIXe siècle, déboucha sur une lutte populaire qui visait à expulser les Espagnols, mais, les USA intervinrent selon la doctrine Monroe afin d’éliminer toute possibilité de gouvernement populaire. Voilà comment Wikipédia résume ce moment : « Les luttes pour l'indépendance remontent au milieu du XIXe siècle avec la guerre de dix ans qui débuta en 1868 ; les Etats-Unis intervinrent dans la guerre d’indépendance cubaine qui avait fait plus de 350 000 morts civils et militaires depuis son début en 1895 (soit 1/8e de la population) et occupèrent l'île de 1898 à 1902, puis de 1905 à 1909. Les États-Unis poursuivirent une ingérence marquée jusqu'en 1934. » Lorsque Castro et ses compagnons gagnèrent la guerre contre le dictateur Batista en entrant dans La Havane le premier janvier 1959, il y avait moins d’un siècle, soixante-dix ans depuis 1880 et 1889, que l’esclavage avait été aboli à Cuba. On le constate, la révolution, le combat contre les exploiteurs, et le rapport conflictuel avec les États-Unis est chose ancienne et familière dans l’histoire moderne de Cuba. Il faut donc insister une fois encore sur une constatation qui découle précisément du fait que Cuba n’est pas devenue communiste comme on le verra plus avant portée par les chars d’une armée étrangère.

 

Comme dans tous les pays du tiers-monde, que les communistes locaux soient présents (cas de la guerre d’Indochine française d’abord, américaine ensuite) ou absent (cas de Cuba ou d’El Salvador au départ), les guerres menées contre les dictatures militaires locales en tant qu’agents compradores des États-Unis sont en premier lieu des guerres sociales de libération nationale. Partout dans le monde colonial où les guerres révolutionnaires ont été déclenchées par des militants communistes appliquant un marxisme-léninisme pur et dur au nom d’une révolution internationale prolétarienne et urbaine, elles échouèrent lamentablement dans les plus sanglants des massacres. L’exemple parfait de ces erreurs de jugement quant à l’état réel de la sociologie locale et donc de l’objectivité et de la subjectivité du socius majoritaire nous est donné par la révolution chinoise devenu le modèle des révolutions rurales du Tiers-monde après l’échec terrible de la révolte dans Shanghaï dirigée par les « moscovites » du Parti communiste chinois (PCC).2 Suivit alors la décision des premiers maoïstes de se retirer des villes, d’entreprendre une retraite, la Longue Marche, pour ensuite commencer la mobilisation massive des campagnes dont la lutte contre l’occupant japonais donna une dynamique sans équivalent au PCC et qui lui permit de vaincre d’abord les Japonais avec l’aide des nationalistes, puis les nationalistes eux-mêmes aidés par les États-Unis. Du Mozambique aux îles du Cap Vert, de l’Indochine à l’Algérie en passant par Cuba, les révolutions ont été populaires, authentiquement populistes, et n’ont réussi que parce qu’elles avaient le soutient d’une majorité du petit peuple rural. Que les exploiteurs et les agents étasuniens aient critiqué et fui Cuba, quoi de plus normal, cependant la révolution perdura y compris lors de moments très difficiles, comme après la fin de l’URSS et la crise économique qu’elle engendra. En effet, tant que le peuple y trouva plus de bienfaits que d’inconvénients dans ses réalisations, il n’y eut pas de soulèvements massifs… Tel est le fond de la révolution cubaine et personne n’a vu un gouvernement qui eût peur de ses citoyens lorsque celui-ci laissa en armes ses citoyens comme ce fut longtemps le cas à Cuba où, à chaque coin de rue, on rencontrait des civils armés de fusil au cas où un autre débarquement eût pu encore avoir lieu après le lamentable échec de la Baie des cochons.

 

Les chemins contradictoires d'une révolution

Que la révolution engendrât des mécontents, qu’elle commît des erreurs, parfois même de graves erreurs, qu’elle pratiqua la répression parfois d’une manière injuste non pas tant envers ses ennemis objectifs ce qui semble normal, mais envers ses amis critiques, c’est l’évidence même ; mais l’évidence est là même de tout pouvoir, voudrait-il être le meilleur du monde, dès lors qu’il est confronté à un environnement terriblement hostile, que dis-je, à un environnement de guerre permanente. Car ce sont des hommes qui font la politique, qui la dirige, la déploie, et non seulement errare humanum est, mais avant de jeter la pierre, il faut regarder le contexte dans lequel le pays évolue et cherche à instaurer ce qui est, au bout du compte, un monde un peu meilleur pour les plus défavorisés. Or, après le premier janvier 1959, le contexte de Cuba est devenu très vite extrêmement implacable, avec un embargo qui dure depuis cinquante-cinq ans et qui présentement commence à peine à se lever, à moins que Trump n’arrête le processus de libération amorcé par Obama.

 

La politique n’est jamais douce, la realpolitik n’est pas du wishful thinking, sauf peut-être dans les rêves des politologues d’ONG, la politique étant en son essence la dynamique résultant de rapports de forces, aussi se tient-elle dans un état de guerres ouvertes ou cachées permanentes : en politique on est ami ou ennemi, il n’y a pas vraiment d’entre-deux, malgré des moments d’accalmie, et ce d’autant plus lorsque l’on sait que le chef de l’État cubain, Fidel Castro, a été l’objet de plus de six cents tentatives d’assassinat par la CIA d’une part, et que des taupes étaient plantées dans les hautes sphères de l’État (sa sœur) de l’autre. Bref, une partie de la rigueur de la répression à Cuba fut le fruit de l’embargo et des tentatives de renversements menées par la politique impériale étasunienne. Comme l’avait dit Castro dans un grand et long discours (dont lui seul avait le secret) « tout peut-être dit dans le cadre de la Révolution, rien en dehors » ; cela me fit penser, lorsqu’il la prononça cette phrase, à János Kádár scellant la réconciliation nationale de 1959 : « Tous ceux qui ne sont pas contre nous, sont avec nous »3. Et de toutes les manières ce n’était pas les États-Unis proches avec leur base-prison et de torture de Guantanamo qui peuvent leur donner des leçons de gestion humanitaire de l’opposition, quand on apprend que des gens y ont été détenus une dizaine d’années et relâchés sans aucune accusation !

 

Cuba : bilan d'un socialisme populaire

A Cuba, que cela plaise ou non, cinquante-sept ans de régime castriste n’ont pas un bilan globalement, et de très loin négatif, sauf pour les anti-communistes bornés. Trois aspects de la vie sociale caractérisent les réussites du régime. D’abord la santé publique où une petite île caraïbe pauvre et victime d’un embargo plus que sévère, a su mettre en place l’un des meilleurs système sanitaire du monde, à coup sur, le meilleur du tiers-monde et, qui plus est, a été capable d’exporter des médecins pour les cliniques et les dispensaires populaires de pays comme le l’Irak d’Hussein, le Venezuela ou la Bolivie. Mieux, Cuba a développé deux vaccins, l’un contre la méningite, l’autre contre le cancer, mais qui ne peuvent être exportés en raison de l’embargo. Même un journal, on ne peut plus installé dans le Main Stream, comme le Hufftington Post le reconnaît.4

 

Ensuite l’éducation. Tous ceux qui ont fréquenté l’île, qui y ont rencontré des gens, des parents, des élèves, des étudiants, et ceux qui ont lu le rapport des Nations Unies, y ont appris que ce qui caractérise l’enseignement cubain c’est bien la haute qualité de ses prestations depuis le kindergarten jusqu’à l’université, enseignement qui vise à la promotion des ceux qui, avant 1959, n’auraient jamais pu imaginer une telle promotion sociale et culturelle, les descendants noirs et métis d’esclaves laissés jusqu’en 1960 dans un état de quasi analphabétisme. Certes, les universités cubaines ne sont pas au niveau des universités du top 100 du monde, mais enfin elles valent bien celles d’Europe de l’Est. Enfin les académies des beaux-arts ont contribué très largement à répandre la culture des arts visuels (peinture, sculpture, dessin, gravure), le cinématographe, la culture musicale et le ballet de très haut niveau dans les milieux populaires, et last but not least, il convient d’ajouter à cela la très grande originalité de la musique populaire cubaine qui est, avec le tango argentin, une musique urbaine ayant syncrétisé diverses musiques venues d’Espagne, de France, des divers peuples d’Afrique de l’Ouest ayant fourni la masse des esclaves, et même d’Asie, musique qui après des succès mondiaux comme le Cha-cha-cha, le Mambo, le Boléro, le Jazz afro-américain, avait obtenu en 1998 une reconnaissance mondiale avec le film et la bande son de Buena Vista Social Club ; quant à la Salsa née dans le ghetto espagnol de New York, elle a obtenu elle aussi une consécration mondiale grâce aux musiciens cubains.

 

Pour réussir ce programme de développement dans un environnement local et mondial (doctrine Monroe et guerre froide) très hostile, il faut une politique dure à l’encontre des complotistes potentiels. La leçon du Guatemala avec, entre autre, le renversement en 1954 par la CIA d’Allen Dulles sous la couverture d’Eisenhower du réformateur agraire Jacobo Arbenz Guzmán, puis celle du Chili, n’avait pas été interprétée comme une situation pouvant alléger le contrôle du Parti communiste cubain et de sa police sur les dissidents, en particuliers sur des intellectuels qui dissertaient sans se confronter aux contraintes souvent fatales de la géopolitique, de la géo-économie et du développement technique. En effet, l’erreur fatale d’Allende avait été de croire qu’un gouvernement de coalition de gauche pratiquant une démocratie représentative classique pouvait engager des réformes radicales du système économique et social sans l’imposer par la violence aux classes dirigeantes, sans épurer les forces armées et la police. Aussi, sans dictature minimale, les gouvernements aux visées révolutionnaires n’ont-ils aucun avenir en Amérique latine, comme on le constate encore aujourd’hui au Venezuela et au Brésil où la présidente légalement élue a été débarquée par un véritable coup de force « constitutionnel » manœuvré par les services étasuniens qui ne lui ont jamais pardonnée d’avoir fait entrer le Brésil dans les BRICS.

 

Cuba et la religion

Dans tous les commentaires que j’ai lus il y a un aspect de la politique cubaine mise en place par Castro et son équipe de guérilléros, et ce dès le début, qui est sans cesse omis, il s’agit de la politique religieuse. Tous les critiques du castrisme ou comme disent les Cubains du « fidelismo » mettent en avant la répression qui toucha longtemps une Église catholique cubaine où la théologie de la libération n’avait pas sa place. En effet, ce que nombre de commentateurs ou de critiques ne savent pas ou feignent d’ignorer, c’est que la majorité des Cubains, dont les noirs et les métis (les plus nombreux dans le pays) et certains petits blancs, ne sont pas catholiques, mais adeptes de la Santeria, un culte syncrétique autour d’un dieu fondateur et de ses messagers et des esprits qu’ils animent ayant pour base la religion des Yorubas (une population de l’Est du Nigéria à la frontière du Bénin et du Togo) et qui ressemble par bien des aspects au Candomblé du Brésil5 et au Vaudou haïtien6 (venu de la religion des Fons du Bénin et du Togo). Les esclaves et leurs descendants ayant souvent fait comprendre à l’Église catholique qu’ils croyaient dans les saints chrétiens, alors qu’ils les avaient intégrés dans leur système de croyance ; ainsi, une sorte de compromis de défiance réciproque s’installa au tournant des années 1950.

 

De fait, l’état actuel des croyances à la Havane et à Cuba peut se résumer ainsi : « Malgré plus de quatre décennies de régime castriste, et un accès aux soins et à l'instruction gratuit pour tous, la majorité des habitants de la Havane pratique de plus en plus, et de façon simultanée et complémentaire, divers cultes tels que la Santeria, le Palo-monte, le spiritisme, et un catholicisme très pragmatique, qu'ils désignent couramment par le terme générique de ‘religion’. » 7 Or, ce mélange de religions pratiquées parfois par les mêmes personnes était et demeure le fait du peuple, en majorité des noirs et des métis de tous grades qui sont l’écrasante majorité du peuple cubain… Le régime castriste a donc protégé, voire parfois renforcé les adeptes de la Santeria des attaques de l’Église catholique dont les princes, évêques et archevêques, et souvent les prêtres, sont blancs, les vrais descendants des colons espagnols, puisque pendant longtemps l’Église de l’Espagne coloniale puis celle des ex-colonies ont refusé la prêtrise aux esclaves, aux métis, sans parler des Indiens, totalement exterminés dans les îles caraïbes.

 

Ce fut une révolution

Lorsque les troupes des jeunes intellectuels révolutionnaires sont entrées dans La Havane le premier janvier 1959, ils étaient accompagnés d’une masse de guérilleros qui venaient de la campagne, des campesinos des montagnes, des ouvriers agricoles des grandes plantations de l’United fruit, de toute ou partie de petits employés de province, bref en dehors d’une microscopique élite d’intellectuels, des gens de peu. Arrivés à La Havane, se joignit à eux une masse de marginaux produite par l’exploitation coloniale du pays, y compris des prostituées, une population importante, tant les casino-bordels y étaient nombreux, de ce que la Mafia avait fait en une vingtaine d’années le lupanar étasunien. Même Kennedy avant d’être élu Président s’y rendait pour y passer des week-end érotiques, invité par la Mafia pour laquelle son père avait travaillé dans les années 1920. En prenant le parti des pauvres, Castro et les révolutionnaires cubains ont voulu établir, outre l’équité sociale, la dignité humaine d’un peuple. En nationalisant les énormes plantations de cannes à sucre et de tabac, le régime, attentant à la propriété coloniale des firmes américaines et des latifundiaires locaux a voulu que l’essentiel du travail profite à ceux qui le font. Voilà qui était déjà attentatoire au sacro-saint droit de propriété du plus fort et ce qui a motivé la volonté des États-Unis d’en finir avec les barbudos devenus des gens gênant et non comme ailleurs des alibis de la démocratie. Confrontés à ce qui mettait la nation en péril, Castro et ses compagnons ont été mis devant un dilemme, capituler pour calmer l’ancien maître et obtenir quelques miettes de concessions ou proclamer « la Patrie en danger », et se battre avec les moyens disponibles dans le cadre de la réalité géopolitique du moment, c’est-à-dire demander de l’aide à l’Union soviétique qui y vit, bien évidemment, son propre bénéfice comme un moyen très efficace de contrer près de ses frontières l’expansion impériale étasunienne.

 

C’est après ce choix géopolitique et géo-économique fait que le mouvement castriste se fondit, en même temps que les socialistes, dans un nouveau Parti communiste cubain, car le premier, très stalinien, avait refusé l’alliance avec les guerilleros sous prétexte que les conditions objectives d'une révolution socialiste n’étaient pas réunie ! Ceux qui aujourd’hui accusent avec une violence brutale et grossière le régime cubain8 d’une dérive totalitaire devraient revoir un peu la chronologie historique, non seulement celle de l’histoire récente cubaine, mais celle de tout le continent caraïbe et sud-américain ?

 

Il n’est pas question pour moi de nier certaines dérives autoritaires, voire paranoïdes du régime cubain, mais à l’heure de la mort de l’un des plus importants dirigeants du tiers-monde au XXe siècle, un homme dont le poids dans la politique mondiale est égal à celui de Nehru ou de Ho-Chi-Minh, d’un dirigeant non seulement objectivement courageux, mais ayant déployé avec force et talent le sens des réalités sociales de son pays, tout en possédant une très haute idée de ce que représente la dignité nationale, je ne pouvais faire qu’un bilan rapide. Voilà un dirigeant qui, confronté à l’une des plus graves crises politiques et économiques pouvant toucher un petit pays, le fin des accords économiques préférentiels avec l’URSS scellés par Gorbatchev, a su, peu à peu et toujours sous-embargo, trouver les mots pour mobiliser le peuple, le faire renaître économiquement,9 être l’hôte de trois Papes et enfin du Président des États-Unis Obama pour de tenter de mettre fin au plus long des embargos économiques de l’histoire moderne.

 

Nul ne connaît le visage du futur que se donnera Cuba dès lors que s’installe une économie de marché dont on sait qu’elle intensifie les différences socio-économique, mais une chose est sûre, c’est que la nouvelle génération de dirigeants qui sont déjà les adjoints de Rául Castro (qui a 85 ans) devra compter avec le peuple qui, dans l’arc-en-ciel de ses couleurs de peau10, ne voudra plus jamais que la grande île redevienne la dépendance de l’United Fruit et de la Mafia étasunienne.

Claude Karnoouh

Bucarest le 27 novembre 2016

 

Notes :

1 Le principal poète de cours de Ceausescu…

2 Ce moment tragique de la révolution chinoise est remarquablement décrit dans le roman d’André Malraux, Les Conquérants, paru en 1928.

3 NDLR. Car à Cuba, la nation avait conquis le pouvoir et les ennemis étaient soutenus de l'extérieur, en Hongrie le pouvoir avait conquis la nation et ses ennemis étaient dans la nation. Là-bas il fallait extirper par la force le facteur extérieur, ici il fallai acquérir en l'amadouant une base intérieure.

4 http://www.huffingtonpost.com/salim-lamrani/cubas-health-care-system-_b_5649968.html

5 Roger Bastide, Le candomblé de Bahia, Paris, Plon, Paris, 1999.

6 Alfred Métraux, Le vaudou haïtien, coll. « Bibliothèque des Sciences humaines », Gallimard, Paris, 1959, avec une préface de Michel Leiris.

7 cf. Kali Argyriadis, « La Religion à La Havane », Editions des archives contemporaines, thèse de doctorat, EHESS, 1997.

8 Il suffit en Roumanie de lire sur Facebook ou d’écouter les nouvelles télévisées pour se rendre compte du degré de haine qui anime des gens qui, pour la plupart ne savent rien de l’histoire d’Amérique latine et des Caraïbes. Débats et discours qui font froid dans le dos au cas où un véritable gouvernement un peu plus à droite viendrait à prendre le pouvoir.

10 Cuba castriste est devenu à coup sûr l’un des pays les moins racistes du monde.

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