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  • : Philo-socio-anthropo-histoire. Revue en ligne éditée par une partie de l'ancienne rédaction de "La Pensée" exclue en 2004, élargie à d’autres collaborateurs et consacrée au renouvellement de la pensée critique de la globalisation, du politique, de l’économique, du social et du culturel.
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  • Cette revue de Philo-socio-anthropo-histoire est éditée par une équipe de militants-chercheurs. Elle est ouverte à tout auteur développant une pensée critique sur la crise de civilisation du système capitaliste occidental.
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18 juillet 2011 1 18 /07 /juillet /2011 10:27
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Nous reprenons ici un texte écrit par notre collègue de la rédaction pour une revue roumaine, Cultura. Il aborde à nouveau la sempiternelle question des campagnes anticommunistes qui se renouvellent systématiquement en Europe orientale, mais aussi occidentale. Campagnes qui contrastent avec les silences qui ont marqué et marquent toujours la réflexion publique sur l'héritage des dictatures de droite en Europe du Sud des années 1970 et leurs crimes. On voit donc bien que le but de ces campagnes ici, de ces silences là, vise moins à toucher le passé qu'à freiner l'analyse du présent et des problèmes que nos sociétés n'arrivent pas ou ne veulent pas surmonter, en particulier ceux qui occupent des postes de responsabilités. Cet article pose ou repose certaines questions sur le passé, le présent et le futur, questions que l'on peut éviter un temps mais qui ne pourront pas être éludées éternellement. Elles portent sur ce que furent les causes du développement du communisme réel en Europe au XXe siècle dans le contexte d'un capitalisme guerrier. Et sur les contradictions que le capitalisme a été incapable de dépasser à l'époque sans l'aiguillon du défi communiste, contradictions qui reviennent de nos jours alors que le communisme, sous sa forme européenne connue, a disparu. Mais comme les mêmes causes produisent les mêmes effets, les partisans du système actuel auraient intérêt à trouver rapidement des réponses adéquates. Mais qui en prend le chemin ?

La Rédaction


L'anticommunisme ou la maladie sénile du capitalisme

-

Septembre 2010

 

Claude Karnoouh *

 

En Roumanie, comme ailleurs dans l’ex-Europe communiste, depuis vingt ans l’anticommunisme médiatico-spectaculaire ou académique est devenu le deus ex machina de tous ceux qui aspirent à entrer dans divers groupes s’auto-intitulant l’élite intellectuelle. Mais, au-delà, en Europe de l’Ouest, faire profession de foi anti-communiste comme le pratique depuis quelques décennies la « gauche » caviar, ressortit à ces simulacres propres à la postmodernité qui dans l’accomplissement du nihilisme généralisé renvoie à cet état post-idéologique et post-historique où il se trouve plus souvent plus de monde pour applaudir une quelconque troupe de braillards Pop-Rock que de manifestants pour s’opposer aux politiques d’austérité et de paupérisation imposées par les grands maîtres du capital.

 

Depuis un quart de siècle, l'anticommunisme de la « gauche » et de la droite ouvre les portes des carrières bien rémunérées d’enseignants, de chercheurs ou de journalistes, favorise l’attribution de bourses étrangères ou de financements européens, entraîne des invitations à toutes sortes de colloques et de congrès où les officiants, installés dans les salles de conférence d’hôtels de grand luxe, répètent, ad nauseam, les mêmes mots, les mêmes phrases, les mêmes arguments, en bref, tous les clichés archi usés sur le totalitarisme rouge, pour ensuite se vautrer dans la fange d’une compassion sinistre, masquant de fait une indifférence et une insensibilité au malheur réel des hommes soumis aux pouvoirs dictatoriaux, y compris à ceux de la dictature démocratique de l’exploitation capitaliste.

 

A preuve, il convient d’écouter avec attention le silence de ces bonnes âmes sur les conséquences humaines de la crise économique générale du présent !... Après les grand-messes occidentales anticommunistes des années 1970-1990, guerre froide oblige, nous avons assisté à l’Est à la mise en place des chœurs des pleureuses officielles qui, à intervalles réguliers, ressassent ce que tout le monde sait de très longue date, à savoir que le régime communiste, forme nouvelle à l’aube du XXe siècle du possible du politico-économique de la modernité, a trouvé son point d’Archimède (la possibilité d’une praxis) dans les mutations d’une extrême violence propres aux guerres mondiales du XXe siècle. Aussi, banalement, son installation (plus ou moins longue selon la force ou la faiblesse des anciennes classes dominantes) a-t-elle été marquée par une série d’actions politiques d’une grande cruauté, justifiées et articulées autour de sa conception fondamentale du déterminisme historique et de ses implications immédiates pour la sociologie politico-économique qui en découle : la lutte de classes. Or, un discours répétitif composé de lieux communs, de poncifs et de banalités présentés comme autant d’analyses originales peut-il, sans risquer de ridiculiser à jamais leurs auteurs, déplorer et ressasser ad infinitum les mêmes lamentations ?

 

La violence, accoucheuse de l'histoire

Que je sache, la violence est inscrite au cœur même des destins mythiques et historiques des sociétés humaines réelles, de toutes les sociétés humaines, des plus humblement primitives aux plus scientifiquement complexes. Et ce destin a peu à voir avec les cités idéalisées, bâties sur les sables mouvants de la métaphysique dont la rigueur de l’argumentation n’est autre que la logique des propositions grammaticales. A preuve, l’échec total, interprétatif et pratique, du kantisme politique pour une « Paix perpétuelle », lequel renvoie bien plus à la défense de la propriété privée par la transcendantalisation des lois constitutionnelles qui la garantissent.

 

Certes, le discours marxiste en tant qu’héritier des Lumières, avait lui aussi comme ligne de mire une société idéale, celle qui serait organisée par la fin l’exploitation de classe, c’est-à-dire par la réalisation de la fin de la nécessité. Rien de cela n’arriva car c’était d’une part sous-estimer économiquement et politiquement l’inventivité du capitalisme, sa capacité de renouvellement des diverses formes possibles d’exploitation (en particulier avec le déploiement d’une consommation massive grâce au piège du crédit, ce qu’un commentateur roumain nomme non sans humour le « Goulag glamour ») et, d’autre part, il convient de rappeler l’omission (ou l’impuissance !) de Marx et de ses successeurs directs (allemands et russes) d’élaborer une critique de la techno-science en tant qu’ultime bastion de l’espoir messianique d’une société sécularisée. C’est même l’inverse qu’ils développèrent !

 

Certes la religion fut l’opium du peuple, certes l’idéalisme platonicien et allemand ratiocinent le beau, le bon et le vrai avec des concepts déliés de toutes relations au réel, certes la philosophie ne fait qu’interpréter le monde, alors qu’elle devrait s’atteler sans cesse à le changer (primauté de la théorie de la praxis sur la théorie de la théorie), mais tout cela ne dit rien des contraintes immanentes et des « valeurs » transcendantes qui permettent au capitalisme industriel et financier de se déployer toujours plus intensément comme incarnation de la métaphysique dans sa phase ultime, la techno-science, se manifestant en tant que nouvelle physis dans le monde réduit non seulement aux choses produites (voir Marx, Heidegger, Granel), mais aux choses consommées en masse (voir Adorno, Benjamin, Baudrillard, Debord). Ce n’est donc pas en mettant en scène la déploration des terribles affaires humaines, si fatales soient-elles, que l’on peut espérer entendre quelque chose aux pratiques mortifères des hommes. Car, si la déploration entraînait l’interprétation, ce serait en définitive très facile de savoir pourquoi « Zeus aveugle celui qu’il veut perdre ». Pour se faire, il convient, comme nous l’enjoignait Spinoza, de ne pas pleurer, de ne pas rire, mais de comprendre, c’est-à-dire de s’adonner à cet exercice hautement difficile d’une part et très périlleux de l’autre, l’exercice de la pensée.

 

Comprendre le pourquoi d'une amnésie voulue

Ici, aux rives de l’Ister, tous les petits bavards (il y a aussi beaucoup de petites bavardes !) de l’anticommunisme oublient que la plupart d’entre eux ont des parents ou des grands-parents qui ont encore passé leur première jeunesse au cul des vaches, et que c’est justement la violence de la première phase du communisme qui, en élimant massivement des hommes détenant des poste de pouvoir et en en créant de nouveaux, permit l’ouverture d’une promotion sociale ascendante sans précédent parmi les paysans du Danube…

 

Comme l’écrivait jadis l’historien Marc Bloch en observant le comportement des Français après la défaite de 1940 : « Les hommes sont plus près de leur temps que de leurs pères ». Appelons cela adaptation, veulerie ou arrivisme propre à l’humain, chacun l’énoncera comme il l’entend. Le fait sociologique est là, bien là, l’écrasante majorité des élites intellectuelles et politiques roumaines du présent sont des enfants de paysans devenus en une dizaine d’années d’étude des cadres, voire les cadres supérieurs du régime communiste. Je pourrais être très méchant et préciser que ce n’est pas parce que leurs filles portent des robes de chez Zara et leurs garçons des costumes de chez Gucci qu’ils sont pour autant devenus des bourgeois au sens plein du terme, dans le meilleur des cas ils n’en sont que de pâles copies… Semblables aux pelouses d’Oxford et de Cambridge qui ont nécessité cinq siècles de travail quotidien pour posséder cette épaisseur, ce moelleux capable de résister aux semelles des chaussures les plus rigides et de se montrer si accueillantes au moment de la sieste, on ne fabrique pas des bourgeois (pour le meilleur et souvent pour le pire) en un clin d’œil ! Nombre de romans de Balzac nous l’enseigne si on sait les lire comme il se doit (Le Père Goriot, Les Illusions perdues, Grandeur et misère des courtisanes).

 

Bref, tous ces parvenus faisant maintenant profession de foi d’anticommunisme, outre servir leurs maîtres en bons valets fripons qu’ils sont, jouent un rôle cardinal dans le travail de l’amnésie nationale. Ils sont là pour faire oublier qui furent leurs pères, en d’autres mots quel était l’état de la société d’où ils viennent et comment furent obtenues ses transformations sous l’égide des communistes. Ceux-là présentent le passé des années 1930 comme si les communistes avaient détruit une sorte de « paradis » où régnaient l’harmonie sociale et le bien-être déjà troublés par les agissements d’une gauche communiste clandestine insupportable. Car tout ce bruit, tout ce vacarme, toutes ces clameurs, ces vociférations n’occupent l’espace sonore que pour créer l’amnésie de la réalité de la société roumaine de l’Entre-deux-guerres.

 

Ces braves chantres du capitalisme hyperlibéral mâtinés de la rhétorique convenue sur la démocratie selon les clichés du nouveau comité central bruxellois, oublient tout bonnement l’état lamentable des campagnes roumaines des années 1930-1940, (soit 80% de la population).1 Pour leur permettre d’ôter leurs œillères, je les renvoie aux livraisons de la revue Sociologia româneascà et aux diverses observations qui y sont consignées par les équipes de recherche mises en place par Dimitri Gusti et dirigées par Henri Stahl. On leur rappellera encore les vitupérations du jeune Cioran, les critiques sévères d’Argetoianu et de Mihail Manoilescu sur les mœurs délétères des élites, et les textes plus tardifs d’historiens comme Vlad Georgescu ou Florin Cosntantiniu2, au fil de toutes ces pages de jadis et naguère ont découvre une étrange ressemblance entre la corruption et l’incompétence des élites de l’Entre-deux-guerres et une majorité du personnel politique et des intellectuels publics postcommunistes (« Boierii mintii ») opérant dans notre présent.

 

Questionnement radical ou reconstruction idéaliste ?

Donc non point « beaucoup de bruit pour rien », mais beaucoup de bruit pour oublier, pour oublier simultanément en idéalisant le passé anté-communiste misérable (malgré quelques réalisations tangibles) et noircir, au-delà de sa rude réalité, le passé communiste, ses réels progrès techno-économiques, sanitaires et d’enseignement, souvent payés d’un prix humain fort lourd. Or ce n’est assurément pas en reconstruisant un idéalisme de rêve positif ou négatif que l’on peut comprendre la raison (fût-elle déraison !) qui pousse les hommes à penser dans telle ou telle direction puis à soumettre leurs choix ultimes à l’épreuve de leur réalisation avec, souvent, le coût énorme qu’elle engendre. Ceci étant affirmé à l’égard du communisme, je rappellerai au lecteur que la modernité comme telle se caractérise par des destructions matérielles et sociales gigantesques. L’état de notre présent en est la preuve quotidienne : disparition de sociétés en tant que civilisations et cultures, cinq siècles de colonisation intense ont eu des effets délétères, n’en déplaise à ceux pour qui le monde se résume à quelques capitales occidentales ; destructions irrémédiables de patrimoine (villes rasées, bombardées, systématisées, sans cesse reconstruites sur les ruines de l’antérieur) ; dévastation irréversibles des conditions naturelles de la vie, ravages écologiques de l’industrialisation fondés sur la base d’une croissance productive et du profit sans fin envisageable.3

 

Echapper à la vérole de la pensée lorsqu’il s’agit d’examiner le communisme exige un questionnement radical comme le philosophe Jacobs Taubes (professeur de judaïsme et d’herméneutique à l’Université libre de Berlin) l’avait naguère mis au travail à propos de Carl Schmitt, de Martin Heidegger et du nazisme. Sa formulation ne s’énonçait pas avec les erreurs factuelles patentes et les imbécilités moralistes d’un Farias et d’un Faye (pour Heidegger) ou d’un Zarka (pour Schmitt), mais animée par un questionnement en effet radical : comment deux des trois meilleurs penseurs du XXe siècle, peut-être les plus radicaux et les plus profonds, (il ajoute toujours Walter Benjamin, communiste et grand admirateur de Schmitt), ont-ils pu accorder quelques temps leur confiance à une forme politique au bout du compte vulgairement démagogique et populacière ? Que trouvaient-ils dans les visées politiques profondes du mouvement, au-delà de sa soupe politicienne et de ses clichés les plus vulgairement racistes, qui puisse appeler l’espoir de rédemption de la nation allemande et au-delà, de toute l’Europe ?

 

Taubes répond longuement à cette question dans deux petits ouvrages essentiellement consacrés à Carl Schmitt4. Quant à Heidegger, le lecteur curieux d’autres approches que les ordures crachées par Farias ou Faye, trouvera matière à réfléchir en abordant la remarquable synthèse critique du rapport de Heidegger au nazisme au moment du Rectorat (1933) dans un texte fondamental de Gérard Granel paru en roumain chez Idea, « Despre universitatea », où se trouve le commentaire du célèbre « Discours du Rectorat » (« Die Selbsbehauptung des Deutschen Universität »), ainsi que sur le site de lapenseelibre.fr, le texte de Maximilien Lehugeur, « Martin Heidegger, objet politique non-identifié » (n°. 4, avril-mai 2004).

 

Reprenons donc ce mode de questionnement pour ce qui concerne le communisme. Pourquoi des esprits aussi raffinés, subtils, éduqués (Gebildet) que Walter Benjamin, Berthold Brecht, Lukács, Sartre à sa manière, un poète et un romancier comme Aragon, un peintre comme Picasso ont-ils, à un moment ou à un autre, parfois tout au long de leur vie, accordé leur confiance, confié leurs espoirs, offert leur intelligence à la critique radicale du capitalisme et mis leurs actions au service de la lutte communiste ? Qu’y avait-il dans ces discours, dans ces pratiques politiques et culturelles qui appela leur confiance dans un futur meilleur, dans un futur où enfin serait respecté l’homme en tant qu’individu et en tant qu’être social inscrit dans un socius enfin échappé de l’état d’« homo homini lupus », d’un socius pacifié où la fraternité et l’entraide eussent vaincu l’envie et la convoitise permanentes ? Car là est le problème… qui ne se peut réduire aux débats universitaires d’une bonne ou d’une moins bonne lecture de Marx et de Lénine : en dernière instance, il s’agit de construire réellement une nouvelle société devenue fraternelle.

 

Pourquoi le communisme tenta-t-il les esprits audacieux ?

Foin d’anachronismes… revenons à la fin de la Première Guerre mondiale, à la crise de l’Entre-deux-guerres, à la Seconde Guerre plus encore meurtrière… Ne fallait-il pas tenter autre chose que ce qu’avaient réalisé les démocraties bourgeoises si bien policées qu’elles exterminaient leurs soldats-citoyens dans l’apothéose de la technique triomphante, qu’elles anéantissaient des générations entières de jeunes gens dans les Orages d’acierGestalt) : le travailleur en sa totalité, Der Arbeiter toujours selon Ernst Jünger ? A l’époque, le nazisme et le communisme orthodoxe non seulement étaient en concurrence directe, mais avaient de la concurrence, tant les nationaux-bolcheviques allemands, l’ultra gauche allemande et italienne, que les dissidents du PCF imaginant encore un renouveau du syndicalisme révolutionnaire… si bien décrits par Ernst Jünger, et soumettaient la société en sa totalité à la militarisation comme forme (

 

Bref, face à la faillite des régimes bourgeois, face à l’énorme mutation de la société révélée par les effets socio-psychologiques inouïs et impensés engendrés par la production industrielle de masse (parfait exemple de l’être-pour-la-mort-accélérée !), tous voulaient, en leur guise, un monde meilleur, y compris, énigme insondable de l’âme humaine, au prix de meurtres de masse. Dans la tourmente de l’histoire, dans le changement funeste d’un cycle historique, les hommes pensent que le dieu du bonheur terrestre est une présence immédiate, et qu’au bout du compte il saura reconnaître les siens ! Voilà qui n’était pas une aberration de l’esprit quoiqu’en disent aujourd’hui les ignorants qui s’appliquent à pratiquer l’anachronisme permanent propre au postmoderne, c’est-à-dire qui ne pensent le monde que dans le champ d’un éternel présent sans passé, et donc sans futur différent (a-topique)… Pour ceux qui vécurent plus de quatre années de massacres sur tous les fronts, au sortir de la Première Guerre mondiale totalement industrielle, vouloir la fin des boucheries, cela ne représentait pas, loin s’en faut, un bric-à-brac d’illusions sordides.

 

Mais, vouloir le bonheur en déclenchant la violence apocalyptique, ouvre souvent des résultats inédits pour les promoteurs de l’agir. Le nazisme succomba en raison de sa conception totalement métaphysique de la guerre, illustrant jusqu’à la caricature un entêtement mêlant obéissance et vanité propre aux Allemands et que dénonçait déjà Kant dans son Anthropologie. Le communisme est-européen succomba à son tour ayant, avec le temps de l’hyper technique, produit en son sein les groupes socio-économiques qui ne croyaient plus en ses idéaux car ils en connaissaient ou en devinaient les vices programmatiques, préférant des coups d’État pacifiques vers le capitalisme (sauf en Roumanie) et le vol massif de la propriété publique comme capital initial de la nouvelle élite, plutôt qu’une renégociation et une réactualisation globales du système afin de faire face aux nouveaux défis technoscientifiques du monde. Il se peut qu’une telle remise à jour se révélât impossible au regard des nouveaux modes de penser le monde qui avaient pénétré l’Est bien avant son effondrement (feuilletons, Jeans, Pop-Rock et cigarettes étasuniennes, en bref, le « rêve américain ») ! Voilà, me semble-t-il, l’analyse la plus élémentaire que l’on puisse faire de ce tournant de notre histoire hyper moderne, de ce « Court XXe siècle » pour reprendre la formule d’Hobsbawm.

 

Donc la question se pose présentement : pourquoi analyser la période communiste en terme de mémoire vengeresse et de procédures d’avocats ? Pourquoi mettre en œuvre un discours anticommuniste quand le régime en tant que tel a disparu, quand les cadres qui le servaient avec obéissance sont aujourd’hui les anciennes-nouvelles élites (ciocoi noi) de l’économie et de la politique ? Quelle est donc la fonction de ces discours, de ces institutions qui se comportent comme des Don Quichotte et luttent contre des moulins à vent puisque ce communisme-là comme système de pouvoir n’existe plus ? Plus précisément, que dissimulent-ils ces discours incendiaires sous l’abondance d’un verbiage si répétitif qu’il en devient presque obscène (cf., en Roumanie les textes quasi surréalistes de Tismaneanu ou de son laquais Mihaies appelant à une croisade anticommuniste !). Pour être plus précis je formulerai la question de cette manière : Quelles sont les urgences de notre présent que l’anticommunisme spectaculaire oblitère et qu’il conviendrait de penser dans leur généalogie pour en comprendre le devenir des possibles ?

 

Les problèmes éludés du présent

Quelles sont, de fait, les lancinantes interrogations de nos contemporains, hommes politiques, managers du grand business ou syndicalistes ? De quoi débat-on au G.20 ? Qu’est-ce qui, hormis le sport spectacle, occupe ondes de radio et canaux de TV, journaux et revues sérieuses ? Est-ce le danger communiste ? Certes non ! L’obsession du moment et qui dure et qui dure, c’est la réduction du niveau de vie des salariés et des retraités en raison de la crise économique dans l’ensemble du monde occidental et la situation explosive du Moyen-Orient. Or, que je sache, cette crise économique n’est pas due aux communistes, pas plus que la poudrière du Moyen-Orient. Bien au contraire, par la volonté des élites du communisme réel, la chute par implosion du système communiste tardif a apporté une bouffée d’oxygène au capitalisme : de nouveaux marchés, de nouvelles délocalisations, des avantages fiscaux énormes, une main-d’œuvre qualifiée, bon marché, à la fois surplace et émigrée, le développement du crédit régi par des lois beaucoup moins contraignantes qu’en Europe occidentale.

 

Pendant dix-huit ans l’Europe de l’Est, plus la Chine, ont permis à l’économie occidentale de lutter contre la baisse tendancielle du taux de profit tout en mettant en œuvre, par l’intermédiaire de l’intégration à l’Union européenne, un contrôle des peuples et des institutions tout aussi contraignant que celui de l’URSS pendant la période stalinienne. Pour certains analystes, non marqués par les idées communistes, les normes imposées par Bruxelles, que ce soit dans les domaines économiques, pédagogiques, culturels ou de la recherche scientifique (en particulier dans les humanités), sont non seulement aussi contraignantes, mais souvent bien plus stupides ou arrogantes, bien plus ignorantes des spécificités locales que naguère les volontés du Bureau politique du PCUS.5

 

Dès lors que le communisme réel européen, celui qui s’est déployé en plusieurs phases souvent contradictoires entre 1948 et 1989 dans le glacis soviétique (entre 1917 et 1991 en URSS), n’appartient plus qu’au domaine de l’analyse historique, pourquoi tant de tentatives de chasses aux sorcières déployées ici et là à l’encontre d’un ennemi imaginaire ?6 Contre quoi et qui s’élèvent les peuples d’Europe aujourd’hui ? Contre le FMI, la BCE, l’avidité des banques privées, le cynisme des entreprises multinationales, les contradictions de Trichet, les singeries d’un Barroso7, les discours arrogants et insultant de la Chancelière allemande (le seul des dirigeants d’Europe occidentale à avoir fait ses classes dans les très bonnes écoles du Parti communiste d’Allemagne de l’Est ! Aussi sait-elle parler au peuple avec cet ineffable humour dont était déjà doté Honecker !).

 

Créer la suspicion anticommuniste pour interdire la pensée

Il faut donc s’en remettre au simple bon sens, l’anticommunisme du présent a deux fonctions essentielles, la première que j’ai amorcée au début de ce texte, l’oubli de la réalité de l’Entre-deux-guerres et, plus largement analysée dans les deux ouvrages susmentionnés, la création d’une atmosphère de suspicion propre à interdire toute pensée approfondie sur les choix communistes pendant la longue crise du « Court XXe siècle » qui s’étend d’Août 1914 à la capitulation du Japon en Août 1945. En effet, une analyse de ces choix pourrait suggérer qu’il demeure encore quelque chose de positif dans le moment communiste de l’Europe qui eût pu être amélioré, modifié ou transformé en conservant son esprit initial de pacification des rapports économiques !

 

C’est l’idée qui court tout au long de l’excellent essai d’Alexandru Polgár dans Genealogii ale postcomunismului (« Restul comunismului », pp. 29-48). Les instituts de la mémoire des crimes du communisme à l'Est détiennent cette fonction essentielle, focaliser la pensée sur les morts, sur les crimes du communisme, oubliant d’une part les pertes dues à la véritable lutte de classe qui ne se peut réduire jamais aux discours adornés des séminaires universitaires, mais qui se tient toujours dans des combats meurtriers, et last but not least, oblitérer les crimes du capitalisme… Lesquels se sont commis très nombreux pendant de longs siècles à commencer par l’extermination des Amérindiens et le commerce des esclaves (avec la bénédiction de l’Eglise catholique, apostolique et romaine et celle de ses sœurs ennemies, les Eglises réformées !) et finissant momentanément aujourd’hui sur les champs de bataille de l’Afghanistan et de Gaza.

 

Mais ce n’est pas tout… L’anticommunisme qui fleurit dans les milieux universitaires, parmi les intellectuels de toutes sortes, les médias et une majorité de la classe politique, sert de liant à une classe de parasites de l’État chargés de maintenir une sorte de contrôle idéologique sur les établissements et les institutions chargées d’assurer la propagande des jugements officiels politiquement et historiquement corrects, et, par la même occasion, de faire taire toute voix dissidente, fût-elle des plus modérée. Reconnaître sans fard l’installation plus ou moins violente du communisme est chose légitime, encore faut-il la replacer dans le contexte de l’hyper violence de la Première Guerre mondiale, au cœur des ravages de la crise économique des années 1930 et au centre de l’apocalypse de la Seconde Guerre mondiale. Ecarter cette approche, c’est maquiller l’histoire, c’est-à-dire obscurcir la politique avec des considérations moralistes à deux sous. Or, précisément, l’anticommunisme est ce maquillage-là dont le seul but demeure, au bout du compte d’exonérer les élites dirigeantes de l’Entre-deux-guerres de leurs responsabilités écrasantes dans l’installation du fascisme et du nazisme. Car ce sont pas les singeries d’un Patapievici, d’un Mihaies, d’un Liiceanu ou pis, la rouerie d’un Tismaneanu (qui devrait faire travailler sa mémoire et savoir, par expérience familiale, ce que signifie fascisme et nazisme en Europe orientale), ce ne sont donc pas leurs pitreries ridicules ni celles des jeunes laquais avides de promotion qu’ils emploient pour leurs basses besognes qui, au bout compte, nous ferons oublier ces temps d’apocalypse…

 

Nous savons, tous savent que les révolutions, quelles qu’elles soient, bourgeoises jadis, communiste naguère, plus récemment nationalistes, comportent leur énorme fardeau de misère et de crimes, mais jamais, ô grand jamais, la déploration, surtout la déploration intéressée, ne s’est identifiée au labeur de la pensée, au contraire elle n’a de cesse que de l’asservir aux intérêts des puissants du moment. En effet, servir le pouvoir n’a jamais été le service de la pensée, mais celui de la police (Platon à Syracuse, Heidegger à Fribourg en firent la cruelle expérience). Car penser c’est précisément énoncer, sans autre raison pratique immédiate que l’énonciation elle-même, ce que le pouvoir ne veut jamais entendre : la vérité.

 

* Professeur invité à l'Université des beaux-arts de Bucarest.

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Notes :

1 Des conversations privées avec mes étudiants, avec des paysans, avec des ouvriers mis au chômage après 1990, m’ont, la plupart du temps, confirmé ces remarques.

2 Cf., Bogdan Murgescu, România si Europa. Acumularea decalajelor economice (1500-2010), Polirom, Iasi, 2010, pp. 268-269 et p. 269 la note 253.

3 Dans leur précipitation propagandiste anticommuniste tous les politruks du libéralisme avaient dénoncé les ravages réels causés par l’industrialisation insouciante de l’environnement des Soviétiques, asséchant des cours d’eau et des mers intérieures, désertifiant des surfaces de steppes, polluant les sols de déchets industriels, etc… Pourquoi, ces  « braves gens » ne manifestent-ils pas leur indignation devant ce qui semble devenir la plus grande catastrophe écologique des temps modernes (avec Tchernobyl), l’explosion de la plateforme d’extraction pétrolière de la BP dans le Golfe du Mexique en face de la Louisiane et la véritable inondation de brut qui est en train de recouvrir toute la région jusqu’en Floride, ravageant tous les espaces sauvages, dont les célèbres marais des Bayous, et bientôt les récifs coralliens !

4 Jacob Taubes, Carl Schmitt. Gegenstrebige Fügung, et Die Politische Theologie des Paulus, 1993, où il y a aussi des extraits d’Ad Carl Schmitt dont la conférence de 1952 « Carl Schmitt, un penseur apocalyptique de la contre-révolution », on en trouvera une excellente traduction française au Seuil, Paris, 1999.

5 Voir à ce sujet les ravages pédagogiques et culturels engendrés par l’organisation de l’enseignement universitaire selon les accords de Bologne. Le seul résultat tangible de ces accords c’est une intensification du tourisme universitaire qui n’a rien à voir avec les voyages initiatiques de l’âge d’or des universités catholiques médiévales.

6 A ce sujet voir les deux ouvrages de fond concernant la Roumanie, mais en fait valables pour d’autres pays de l’ancien glacis soviétique, Genealogii ale postcomunismuliu, Idea, Cluj, 2009, et Iluzia anticomunismului, Cartier, Chisinau, 2008.

7 Ne parlons pas du Pinocchio nommé à la présidence de l’UE ainsi que de la soi-disant ministresse des Affaires étrangères dont on se demande si véritablement elle existe. Ne parlons pas non plus de la masse des fonctionnaires aussi inconsistants que grassement payés… Il suffit d’observer ceux qui représentent l’UE en Roumanie et comment la délégation fonctionne pour mesurer l’absurdité de l’entreprise et la nullité de ces bureaucrates.

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commentaires

L
Les communistes sont des criminels, trop de mensonges et de propagande pour une secte criminelle marxiste-léniniste, on n’est pas de cons !<br /> Allez vous voir chez les Grecs !
Répondre
L
Non plus seulement la Grèce des colonels mais celle de la troïka euro-dimoucrassique
L
Effectivement il faut aller voir en Grèce qui est criminel ?