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  • : Le blog de la-Pensée-libre
  • : Philo-socio-anthropo-histoire. Revue en ligne éditée par une partie de l'ancienne rédaction de "La Pensée" exclue en 2004, élargie à d’autres collaborateurs et consacrée au renouvellement de la pensée critique de la globalisation, du politique, de l’économique, du social et du culturel.
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  • Cette revue de Philo-socio-anthropo-histoire est éditée par une équipe de militants-chercheurs. Elle est ouverte à tout auteur développant une pensée critique sur la crise de civilisation du système capitaliste occidental.
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17 juillet 2011 7 17 /07 /juillet /2011 11:08
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Remarque introductive de la rédaction 

 

Confronté à la censure de fait des grands médias, y compris de la plupart de ceux qui se proclament « alternatifs » ou « critiques », les adversaires réels de l’ordre global ont peu de possibilité de faire valoir leurs thèses auprès de ceux-là mêmes qui les attendent. Dans ce contexte, notre collègue et ami, Jean-Pierre Page, a été sollicité pour donner une interview par une revue se voulant radicalement critique de la réalité capitaliste, et à laquelle d’ailleurs plusieurs membres de notre équipe et d’autres avaient accordé auparavant leurs articles. La rédaction de cette revue, « Rébellion », se qualifiant de socialiste radicale, cachait le fait qu’elle était dirigée en partie par des personnes ayant occupé des fonctions au sein de groupes politiques comme Unité-Radicale ou le Mouvement national-républicain. Groupes qui représentent à nos yeux une des multiples tendances visant à renforcer l’incrustation dans les sociétés contemporaines de « communautarismes », c’est-à-dire de communautés fermées juxtaposées, construites sur une base ethnique, « raciale », ritualiste ou néo-tribale, participant de fait non pas à « l’arc en ciel des cultures », mais au processus opposé de fragmentation planétaire de la masse des sociétés voulu par les tenants de l’uniformisation des élites possédantes, et des systèmes politiques et économiques.

Nous savons que, dans le contexte du flou idéologique régnant depuis plus de trois décennies, des personnes honnêtes peuvent être amenées un temps à se fourvoyer dans des groupements divers. Nous savons aussi que l’aventure humaine est le résultat d’une démarche de progrès constant, qui implique que des personnes s’étant fourvoyées dans des courants nauséabonds, racistes, obscurantistes, découvrent finalement leurs errements. Mais nous ne pouvons accepter que ces phénomènes positifs restent inexpliqués et cachent une partie fondamentale du passé individuel, à partir du moment où ce passé concerne des personnes occupant une place visible sur la scène sociale et médiatique, même à un niveau modeste. Ce qui est le cas d’une partie au moins de la rédaction de la revue « Rébellion ». C’est la raison pour laquelle l’interview ci-joint a été retirée avant publication dans la revue en question, et qu’il a été diffusé depuis par le biais de réseaux et sites compatibles avec la base sociale à laquelle il s’adresse. C’est aussi la raison qui explique notre propos présent, et le fait que, après quelques nouvelles petites modifications, cette interview soit publiée par notre revue.

 

Syndicalisme :

L’internationalisme ne saurait se réduire à une aspiration morale

-

Novembre 2008

 

Par  Jean Pierre Page*

 

La rédaction : Quel fut votre parcours syndical et politique ? Pourquoi votre engagement syndicaliste ?

 

Je suis un militant syndical et politique ! Je suis communiste ! J' ai pendant une vingtaine d'années occupé des responsabilités au sein de la direction nationale de la CGT comme membre de la commission exécutive confédérale et également au sein du PCF comme membre du Comité Central ! Dans la même période, j'ai été un des deux fondateurs de l'Observatoire de la mondialisation qui a joué un rôle décisif dans l'échec de l'Accord multilatéral sur l'investissement que l'OCDE négociait secrètement. Cette victoire a été l'acte de naissance de ce que l'on a appelé le Mouvement anti-mondialisation, devenu par la suite alter mondialiste ! Dans ce contexte, j'ai travaillé et participé à l'animation de plusieurs centres de recherches, de réseaux, en France et à l'étranger, c'est d'ailleurs toujours le cas, ainsi qu'aux comités de rédaction de différentes revues dont " La Pensée libre". J'ai donc été amené à exprimer mes convictions dans des milieux différents ; dans les entreprises comme dans les universités, au sein d'institutions comme celles de l'ONU ou dans des rencontres internationales, et cela dans de très nombreux pays. J'ai écrit quelques livres en particulier sur la guerre dans l'ex-Yougoslavie, et beaucoup d'articles qui ont été publiés dans plusieurs langues.

 

Comme tout un chacun, j'ai été marqué par mon milieu social, mes parents étaient des travailleurs aux fortes convictions. Mon père avait été déporté en Pologne, évadé, caché par une famille polonaise, puis libéré par l’Armée rouge. C'est dans cette époque bouleversée qu'il a épousé ma mère dans le sud de la Pologne. Nous avons après-guerre conservé des attaches très fortes avec ma famille polonaise, dont plusieurs membres occupaient des responsabilités au sein du nouveau gouvernement de la Pologne populaire. Dès les années 50, dans le contexte de la guerre froide, nous allions régulièrement visiter ma famille, et moi-même j'y séjournai plusieurs mois chaque année ! Je dirais que mon parcours a été un peu atypique, c'est souvent ce que l'on en a dit, d'autant qu'avant mes occupations professionnelles, j'ai passé une partie de ma jeunesse aux Etats-Unis ou, parallèlement à des études d'histoire de l'art, j'étais très impliqué dans ce qu'on appelait l'avant-garde artistique. C'est ainsi que tout en dirigeant une importante galerie d'art à Boston, je participais activement à bien des  manifestations, en particulier aux cotés de Wharol ou de plasticiens d'Amérique Latine.

 

J'ai à mon retour en France, poursuivi  après 1968 cette activité et exposé avec mon groupe au Musée d'art moderne. Puis j'ai rompu avec ce milieu trop coupé, à mes yeux, des réalités sociales et politiques. J'ai commencé à travailler dans une grande entreprise du transport aérien ou j'ai fait toute ma carrière professionnelle, et c'est là que j'ai occupé mes premières responsabilités syndicales. Très vite, et bien que défendant  des positions souvent critiques à l'égard de la Confédération générale du travail (CGT) et du Parti communiste français (PCF), je me suis vu confier, jeune, des taches et des fonctions importantes, d'abord dans l'entreprise, puis au niveau départemental, et national. C'est ainsi que je suis devenu le secrétaire général de l'Union départementale CGT du Val-de-Marne, une des plus importantes organisations au sein de la CGT, puis le responsable du département international. Les circonstances ont fait que très vite, j'ai été impliqué au plus haut niveau dans d'importantes luttes sociales et politiques, et donc en contact  avec ceux qui étaient les principaux dirigeants de la CGT et du PCF de cette époque!

 

QU : Comment, vu de l’intérieur, avez vous observer l’évolution de la CGT à partir des années 1990 ? Quel jugement portez-vous sur le bilan de la direction de Bernard Thibault ?

 

Les orientations actuelles de la CGT, qui contribuent à désarmer le monde du travail face à l'offensive du Capital, ne  datent pas de Bernard Thibaut, même si elles sont souvent identifiées à lui. Cela ne saurait  le dédouaner. En fait, déjà à la fin des années 1970 et du Congrès de Grenoble, le débat était engagé au sein de la direction sur  l'orientation de la CGT, ses pratiques, ses alliances, et ses engagements internationaux! Ces questions étaient posées en termes de rupture avec le passé, et l'histoire du syndicalisme de lutte de classes en France, pour des raisons qui étaient liées aux premières manifestations de la crise du système capitaliste, à l'analyse qui en était faite, et au besoin d'y résister ou de s'y adapter.

 

Bien sûr, le contexte politique  n'y était pas indifférent du fait des changements intervenus avec l'arrivée de Mitterand au pouvoir et du débat ouvert dans le PCF sur la stratégie portée par le Programme commun et la subordination au PS ! Cette période correspondait également à ce que l'on a appelé "l'eurocommunisme"!

 

Au fond et par opportunisme, bien des questions de fond n'ont jamais été réglées dans la CGT, y compris  plusieurs années plus tard. Elles se sont cristallisées sur des sujets comme celui de l'indépendance syndicale, ce qui permettait d'éviter de discuter de l'essentiel. Tout était vu à travers ce prisme et la recherche obsessionnelle d'une nouvelle crédibilité reposant sur la capacité de la CGT à produire des  propositions, à faire la démonstration de sa capacité à négocier, à prendre une distance vis à vis du politique et à refuser tout isolement syndical au plan national et européen. Tout cela se faisant au détriment d'un véritable débat de contenu parmi les syndiqués, d'un engagement militant et revendicatif dans les entreprises, en particulier sur le sujet décisif des salaires et du pouvoir d'achat, mais aussi sur la protection sociale, les privatisations. Cette dérive a conduit à l'abandon progressif des références de classe, en faveur de thèmes et de préoccupations sociétales, privilégiant l'individu, souvent vu en opposition au collectif ! Faut-il ajouter à cela les effets du contexte international marqué par l'effondrement de l'URSS et l'offensive impérialiste, la déstabilisation de la Fédération syndicale mondiales (FSM) à travers  la perte de nombre de ses affiliés !

 

L'affaiblissement de l'influence et de la force organisée de la CGT a ainsi souvent été utilisé dans ces conditions comme la conséquence de ses orientations passées, justifiant aux yeux de certains une démarche plus réaliste, plus pragmatique, et plus conforme à celle « raisonnable » du syndicalisme européen, dont il fallait impérativement se rapprocher au risque de disparaître corps et bien! L'évolution de la CGIL italienne ou encore des Commissions ouvrières espagnoles, le fait qu'après 20 ans, la CGT continuait à se voir toujours refuser son affiliation à la Confédération européenne des syndicats (CES), et ce malgré son départ de la FSM allaient justifier pour des dirigeants comme Louis Viannet de procéder à des adaptations, à ses yeux rendues inévitables ! Pour avoir travaillé étroitement avec lui et pendant plusieurs années, je ne partageais pas cette façon de voir, en particulier dans le domaine dont j'avais la charge: l'international ! Mon attitude posait à ce point problème que la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et la CES ont fait de mon départ une des conditions à l'approbation de la demande d'affiliation de la CGT à la CES. Les orientations du département international de la CGT étant selon elles  incompatibles avec celles de la CES et de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) !

 

Il y a eu bien sur eu des résistances à cette évolution, il y en a encore beaucoup, en particulier au niveau des entreprises, dans certaines branches et régions, et la normalisation conduite sur le modèle syndical européen par Thibault est des plus chaotique ! Cela tient aussi au niveau et à la faiblesse de la direction qu'il a autour de lui !  Voilà  pourquoi  les résultats sont mitigés ! On a même vu Thibaut se faire mettre en minorité et humilié au sujet du positionnement de la CGT à l'occasion du débat sur la ratification de la constitution européenne. C'est sans doute pourquoi certains syndicalistes européens considèrent toujours la CGT de façon un peu suspecte et  anachronique dans le paysage syndical ! 

 

Le  bilan de Thibaut  à la veille d'un prochain congrès de la CGT tout comme celui du syndicalisme européen est une totale faillite. Depuis qu'il est secrétaire général, l'affaiblissement de la CGT s'est poursuivi et accéléré. Contrairement à ce qui avait été annoncé, il n'a nullement été enrayé ! Aucun résultat tangible, non seulement  aucune avancée sociale n'a été obtenue, mais bien au contraire, c'est le recul, la régression dans tous les domaines : pouvoir d'achat, conditions de travail, retraites, droit syndical et même exercice du droit de grève, .....! Par contre les compromissions, la bureaucratisation, l' institutionnalisation, en particulier au niveau européen, la fonctionnarisation du syndicalisme CGT ont progressé ! Sa base militante, le  niveau de conscience de celle ci, sa capacité d'initiative, son engagement, et de ce fait son indépendance réelle vis a vis du Capital, se sont considérablement affaibli ! Pour Sarkozy et le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), c'est une véritable aubaine ! Thibaut qui, contrairement à une image complaisamment véhiculée par les médias au début de son mandat et pour cause, a en fait une peur bleu de toute idée de confrontation et donc de luttes ! Sa vision est celle d'un syndicalisme qui participe à la « bonne gouvernance », et accompagne, comme partenaire, les institutions européennes ou internationales pour co-élaborer le contenu d'une prétendue  régulation du capital. À sa décharge, il est vrai qu'on lui avait un peu forcé la main pour devenir Secrétaire général de la CGT. Depuis, il a fait ce que certains souhaitaient et il a été beaucoup assisté en ce sens, et l'est toujours.

 

À ceux qui pourraient se demander qu'elle est l'utilité de Bernard Thibaut, on pourrait répondre qu'il a rendu un formidable service au capital en capitulant avant même d'avoir livré bataille ! Loin d'avoir contribué à renouveler la pensée syndicale et l'action de la CGT, Thibaut a fait preuve d'un conformisme sans limites, au sens de mise en conformité. Contrairement à ces prédécesseurs que j'ai bien connus pour avoir travaillé avec eux, tous des militants ouvriers, de grande expérience, cultivés et curieux, j'ai toujours été frappé par la faiblesse de son analyse, une certaine ignorance du monde qui nous entoure, son absence de vision et d'anticipation. Certes, on ne lui demandait pas autre chose quand il reçu pour son intronisation au congrès de Strasbourg le parrainage de Nicole Notat, Secrétaire générale de la CFDT et d'Emilio Gabaglio secrétaire général de la CES !

 

QU : La base syndicale de la CGT apparaît comme plus combative que sa direction empêtrée dans sa co-gestion du « dialogue social » avec l’Etat et le patronat. Un syndicalisme de combat est-il dans ce contexte toujours encore possible en France ? Et sur quel terrain ?

 

Il est un fait que la direction de la CGT est loin de représenter la grande majorité des syndicats d'entreprises qui pourtant constituent sa base ! Cela tient à son type de fonctionnement, à la façon dont s'organisent par exemple les congrès nationaux, à l'ignorance dans laquelle les adhérents sont tenus quant aux questions en débat ! Il n'est pas exagéré de dire qu'il y à un véritable fossé, qui par ailleurs se creuse entre la réalité de la vie syndicale dans les entreprises, les luttes qui s'y mènent et la façon dont la bureaucratie de Montreuil prend cela en charge ! Ainsi, de nombreuses luttes syndicales parfois longues, vaincues ou victorieuses restent dans l'anonymat alors qu'elles mériteraient la solidarité de toute les structures de la Confédération.

 

Ce qui a fait l'originalité du syndicalisme français pendant des décennies, c'est cette capacité qu'il avait à donner une dimension nationale, voire internationale, à des luttes de branches et d'entreprises. Rappelez-vous les grèves des transports routiers, des Renault ou encore celles des cheminots en 1995, ou des personnels de santé ! Cela était possible car le syndicalisme CGT à l'encontre d'une conception de type réformiste reposait sur la confédéralisation, cette solidarité entre toutes les structures qu'elles soient horizontales : les Unions régionales, départementales et locales, ou verticales :  les Fédérations au service des luttes d'entreprises permettant ainsi les rassemblements, les « tous ensemble » professionnels et interprofessionnels, la recherche de l'unité la plus large ! L'alignement, ou tout du moins la volonté d'aligner la CGT sur le modèle qui prévaut dans les pays anglo-saxons, à littéralement désarmé les syndicats en les privant d'efficacité et  de ce qu'ils sont en droit d'attendre de leur Confédération ! Dans certains conflits, comme celui de la SNCM de Marseille et du transport maritime entre la Corse et le continent, le refus de s'engager de la part de la Confédération et personnellement de Bernard Thibault a été utilisé par le gouvernement et le patronat contre les travailleurs en lutte, délibérément privés de la solidarité qu'ils réclamaient, et vécu par eux comme une trahison !

 

Cela n'est d'ailleurs pas sans créer des conflits !  Signe des temps, il fut une époque où, quand un désaccord arrivait, on se mettait autour d'une table et on discutait avec l'objectif de trouver une solution.  Après tout ne pas être tous  d'accord ce n'est pas un drame ! Aujourd'hui, incroyable mais vrai, Thibaut engage des actions en justice et devant les tribunaux contre des organisations de la CGT, comme c'est le cas actuellement vis a vis de l'Union locale des syndicats CGT de Douai ! Procès qu'il perd d'ailleurs vis-à-vis  de militants connus pour leur combativité !

 

Il y a actuellement beaucoup de luttes en France, mais la CGT se refuse à les valoriser, et il y a aussi de grandes attentes pour voir les confédérations prendre des initiatives d'ampleur, mais celles ci restent l'arme aux pieds ! Le militantisme syndical, cette belle école de la démocratie qui incarne le dévouement, le désintéressement à une cause, celle du monde du travail est dévalué !  On a même vu une dirigeante de la CGT déclarer ces dernières semaines "que la CGT a les moyens d'organiser des grèves mais qu'elle ne le fera pas car elle préfère de loin la négociation". Pourtant, la situation l'exige quand on assiste à ce déferlement de décisions qui aboutissent à un recul social sans précédent et disons-le, à un véritable recul de civilisation. Songez : on parle de faire travailler les gens jusqu'à 70 ans et, malgré cela, Thibault et Chereque font comme si de rien n'était !

 

S’il est juste de stigmatiser la responsabilité des capitalistes dans cette situation de crise profonde, structurelle et durable, il est non moins important,  de caractériser les  causes qui ont conduit à celle-ci, d'autant que la crise va connaître des développements. Nous n'en sommes qu'au début et ce n'est pas le G20, et encore moins Obama, qui vont y changer quelque chose ! Pour un syndicaliste conséquent, comment ne pas voir là des raisons supplémentaires de lutter contre la nocivité d'un système voué à la recherche du profit le plus élevé ! C'est quand même incroyable, on parle de la crise du système capitaliste sans précédent, y compris par rapport à  la référence de 1929, et les dirigeants syndicaux, Thibault en tête, sont sans voix ! Inaudibles ! C'est aussi le cas de la CES et de la Confédération syndicale internationale (CSI) qui a succédé, fin 2006, à la Confédération syndicale internationale des syndicats libres (CSIL), instrument syndical  des puissances occidentales pendant la Guerre froide et à la Confédération mondiale du travail (CMT), d'origine confessionnelle  soutenu par le Vatican ! Lisez leurs communiqués, c'est affligeant de platitude ! Quant ils devraient non seulement appeler à l'action mais éclairer le monde du travail sur ce qui se passe, sur les causes, car, enfin ,cette crise donne de formidables arguments pour contester les choix du Capital et satisfaire la demande sociale !

 

Par exemple, il existe en France et ailleurs une forte revendication en matière de salaires évalués à plus de 30%, idem s'agissant de la qualification, de la formation. Ces exigences fortes ne sont pas prises en compte de façon concrète, depuis les entreprises jusqu'au niveau national ! Comment alors ne pas constater cette perte de crédibilité dans l'action syndicale, car, en principe, se syndiquer, s'organiser, doit servir à quelque chose, à se défendre et obtenir des résultats en bas de sa feuille de paie. Refuser de se battre, c'est au fond admettre qu'on ne peut changer l'ordre des choses ! Cette pédagogie du renoncement auquel se livre les dirigeants syndicaux ne peut conduire qu'à s'interroger sur la finalité même du syndicalisme, ou tout du moins de ce syndicalisme-là! Car, voyons les choses en face, il ne faut évidemment pas être grand clerc pour comprendre que, pour le capital, il n'y a d'autres alternatives que de s'attaquer au travail qu'il considère comme un « coût », tout en poursuivant le pillage des ressources de l'humanité et la destruction de notre environnement. La mondialisation capitaliste à visage humain cela n'existe pas, que reste-t-il alors aux syndicats ? le choix entre résister, se battre, ou alors négocier l'application du programme du capital.

 

En fait, nous sommes entrés dans une période de clarification, une période nouvelle où il faut choisir, où, finalement, tout le monde est au pied du mur. Il fut une époque où le syndicalisme pouvait  justifier sa légitimité en négociant "le grain a moudre", selon l'expression de l'ancien secrétaire général de Force ouvrière (FO), André Bergeron. Cette période est révolue, le Capital a, comme le disait Marx,  tout noyé "dans les eaux glacées du calcul égoïste ". De deux choses l'une, ou l'on admet que le capitalisme est un horizon indépassable, et il faut le dire, ou sinon, il faut savoir en tirer les conséquences pour confronter la logique et les choix de ce système inhumain ! Renoncer à cela, c'est se ranger du côté de l'idéologie dominante, et l'idéologie dominante comme disait encore une fois Marx, "c'est l'idéologie de la classe dominante". Il n'y a donc rien d'étonnant et rien de nouveau à ce que les peuples soient maintenus dans l'oppression par une idéologie anti-humaniste et anti-scientifique. C'est dire la responsabilité historique de ceux qui prétendent parler au nom des intérêts du monde du travail afin de contribuer à contester radicalement cette idéologie et donc le  système capitaliste lui-même; et le faire radicalement ne serait se faire par l'usage de  la rhétorique mais bien par une action concrète, une action révolutionnaire !

 

QU : Chargé des relations internationales de la CGT, vous avez été en relation avec les principaux dirigeants syndicalistes du monde. Comment évaluez vous leurs évolutions et les formes que prennent les résistances à la mondialisation  à travers le monde ?

 

Je suis toujours en contact et je consacre une bonne partie de mes activités à répondre aux sollicitations nombreuses que des syndicats m'adressent à l'échelle internationale. J'ai accumulé une certaine expérience et une vision que je continue à partager avec d'autres militants ! La CGT a toujours été une référence forte sur le plan international, faite de respect à l'égard de la classe ouvrière française connu pour sa combativité, son esprit de résistance. L'engagement anti-colonialiste, anti-impérialiste et anti-fasciste de la CGT, le sacrifice héroïque de ses militants, de nombre de ses dirigeants, ont contribué à donner de celle-ci une image  assez prestigieuse. Bernard Thibaut a dilapidé cet acquis, lié à la fois à notre histoire et à notre identité. Le département international de la CGT qui fut pendant des décennies un des plus importants secteurs de travail de la confédération a été quasiment liquidé au bénéfice d'une immersion dans la bureaucratie syndicale bruxelloise. C'est là un gâchis considérable de voir une part de notre culture et de notre histoire syndicale réduite presque à néant ! C'est d'ailleurs un sujet d'étonnement et d'incompréhension dans bien des syndicats du monde et sur tous les continents. Même si subsistent certaines activités, en particulier au niveau de fédérations ou de régions, on est très loin de ce qui a existé et qui fut un sujet de fierté légitime. Fort logiquement, du fait de l'évolution qui a été la sienne, la CGT a été admise à la CES, Viannet ayant accepté les 4 conditions fixés par la CFDT et la CES ! Depuis, mais ce fut une formalité, Thibaut a fait rentrer la CGT, sans aucun débats interne véritable et par la petite porte, à la CSI !

 

Il y a évidemment une grande diversité au sein du Mouvement syndical international, diversité de situations,  d'histoire, de pratiques militantes. Toutefois, ce que je constate, c'est que jamais autant qu'aujourd'hui le besoin d'internationaliser les luttes n’a été si nécessaire ! Nous vivons une situation par certains cotés, paradoxale : le syndicalisme international est en crise, et dans le même temps, jamais l'exigence de solidarité internationale, d'internationalisme n'a été si forte ! Cette situation contradictoire tient beaucoup au fait que les syndicats des pays riches qui ont dirigé et dirigent encore le mouvement syndical international sont, pour paraphraser Enrico Berlinguer,  arrivés à un point d'épuisement de leur démarche et vision du syndicalisme. Ce syndicalisme-là est sans aucune exception, quasiment inaudible, assez déliquescent, marginalisant de ce fait les travailleurs et leurs intérêts. A contrario, on assiste depuis plusieurs années, en particulier en Amérique latine et en Asie, à des renouvellements et des résultats importants. La dernière grève générale en Inde a mobilisé près de 60 millions de travailleurs. En Amérique Latine, le mouvement syndical occupe une place originale dans ce vaste mouvement populaire qui a permis non seulement des changements politiques, mais à travers ces derniers, la récupération et le contrôle des richesses nationales au service  de la justice sociale ! Le mouvement syndical est ainsi au premier rang du combat pour l'indépendance et la souveraineté nationale ! Et pour un contrôle populaire à travers de véritables pouvoirs de décisions, et non des droits de contrôle comme c'est souvent le cas dans les pays industrialisés et qui sont donc des hochets que l'on accorde aux travailleurs et à leurs syndicats.

 

Si certains, notamment dans le mouvement syndical européen, continuent avec arrogance à se considérer comme un modèle, ils devraient réfléchir avec humilité à leur bilan, et tirer les conséquences de leurs actes. Depuis 25 ans, ils ne peuvent se prévaloir d'aucun résultat, et ils ont perdu des millions d'adhérents, comme c'est le cas en Allemagne, en Grande-Bretagne, et ne parlons pas ici des Etats-Unis, causant de ce fait un formidable préjudice à ceux qu'ils sont censés représenter ! Fort heureusement, il en va autrement dans beaucoup d'autres pays du monde, en particulier dans le tiers-monde !

 

QU : Par rapport à cette histoire d’un syndicalisme « d’accompagnement » lié aujourd’hui à la CSI, quel fut l’histoire de  la Fédération syndicale mondiale (FSM) ? Et quel peut-être son rôle aujourd’hui ?

 

Il y a dorénavant deux confédérations syndicales internationales : la CSI et la FSM ! La CSI est issue de la fusion de la CISL et de la CMT. La CISL est le résultat de la  scission de la Fédération syndicale mondiale en 1949 sur une base anti-communiste, et  au tout début de la Guerre froide. Cette scission fut  perpétrée par l'AFL-CIO, la centrale syndicale des Etats-Unis, et les dollars de la CIA, les TUC britanniques, etc. La FSM avait été créée  en 1945, dans le contexte de la victoire sur le fascisme, par la majorité des confédérations syndicales du monde. la CGIL italienne, tout comme la CGT française, les syndicats soviétiques, ou les TUC britanniques, ou encore le CIO des Etats-Unis étaient parmi ses fondateurs ! 

 

La FSMfut longtemps la première organisation syndicale internationale en nombre d'affiliés, mais elle a évidemment subi le contre-coup de l'effondrement de l'URSS et de régimes socialistes d'Europe de l'Est ! Après une période de stagnation, il est intéressant de noter qu'elle occupe de nouveau une place originale sur la scène internationale, en se revendiquant des principes du syndicalisme de classe et d'une démarche anti-impérialiste ! Organisée dans plus de 130 pays, dont beaucoup de pays du tiers-monde, elle compte plus de 120 millions d'adhérents, ce qui  en fait une organisation incontournable. Son congrès de La Havane, en décembre 2005, a constitué en quelque sorte un nouveau départ, en rupture avec les pratiques anciennes de cette organisation, que met en oeuvre une nouvelle direction, beaucoup plus dynamique ! Enfin,  sa crédibilité s'est renforcée par une démarche très unitaire et ouverte à des grandes centrales syndicales sans affiliation internationale avec lesquelles elle travaillent concrètement, comme le CITU de l'Inde, le Zenroren du Japon, ou encore la Confédération des syndicats de Chine, et bien d'autres ! Cette évolution a contribué à son renforcement particulièrement significatif, avec la récente affiliation de la CTB du Brésil, issue de la grande centrale latino-américaine: la CUT ! 

 

Cela dit, une majorité d'organisations syndicales dans le monde n'appartiennent à aucune centrale internationale. Cela tient au fait que l'institutionnalisation du syndicalisme international ne répond plus, depuis de longues années, aux besoins concrets de luttes, et d'organisation à l'échelle mondiale comme au niveau des groupes transnationaux. Il y a un énorme besoin d'articulation depuis le local, c'est-à-dire depuis l'entreprise, jusqu'au niveau international. Le syndicalisme par ailleurs, souffre d'une approche restrictive de sa vision du monde du travail. Avec le développement de la précarisation, du travail à domicile, du travail informel, du chômage, des millions et des millions de travailleurs échappent aux formes d'organisation traditionnelles d'un syndicalisme qui organise essentiellement ceux qui ont des droits et sont protégés par des conventions collectives. Il faut donc pour lui s'ouvrir, et de toute urgence, à cette réalité d'une classe ouvrière qui a été profondément bouleversée par l'offensive du capital !

 

Comment le syndicalisme réfléchit-il à sa propre crise, à sa capacité non seulement à représenter le monde du travail tel qu’il est devenu, mais aussi à proposer une vision, une analyse syndicale et globale de la mondialisation qui puisse déboucher sur des objectifs, un projet cohérent, une alternative, et par conséquent sur un autre monde possible qui ne peut être celui de la soumission du travail au capital ? Ce débat nécessaire a eu lieu à La Havane, insuffisamment certes, mais il a eu lieu ! En fait, cette réflexion traverse toutes les organisations syndicales, et parce que rien n’est uniforme, raison de plus pour encourager la discussion et ne pas chercher à répondre à des problèmes aussi fondamentaux par des réponses seulement organisationnelles et institutionnelles ! Il faut donc se garder d'une vision uniforme du syndicalisme. Comme il existe un débat dans la CGT, il en va de même dans toutes les organisations syndicales et celles-ci sont loin de l'uniformité que l'on nous présente parfois. Aux USA, en Allemagne, en Italie, en Afrique du Sud ou au Brésil et dans bien d'autres pays, il y a des syndicalistes qui défendent des conceptions de luttes, de luttes de classes, démocratiques et unitaires, même si les dirigeants de leurs confédérations se situent eux sur un tout autre terrain !

En fait, la question à laquelle il faut répondre est : Quels sont les choix qui se posent au syndicalisme ?

 

S’agit-il d’humaniser la mondialisation, de la réguler dans le cadre de ce que les employeurs décident ? Ou, au contraire, s’agit-il de contester les choix du Capital, mettre en question la propriété et les pouvoirs de décision, du lieu de travail jusqu’au niveau de l’État ?

 

À ces questions, on serait bien en peine de trouver des réponses en termes d’objectifs et d’actions, dans le « big bang » qu'avait annoncé la CISL, la CMT, la CES, et en France toutes les confédérations syndicales, CGT comprise, avec la création de la CSI. Je constate d’ailleurs que dans les propres rangs de ces organisations, de  nombreuses critiques et désaccords continuent à s'exprimer. Comme celle-ci venant d'un dirigeant de la CISL « ... il n’y a aucune analyse quant à la nature actuelle du capitalisme, qui pourtant a conduit à un tournant au détriment du monde du travail, aucune analyse de ce qu’est la classe ouvrière aujourd’hui ! Peut-on reconstruire la force du Mouvement dans la perspective d’une lutte avec le Capital transnational avec comme seule ambition pour la nouvelle Internationale d’exercer plus d’influence sur la Banque Mondiale et le FMI ? »

 

Avec la profondeur de la crise, le capital, qu’il soit français, européen ou transnational, partage au moins une même vision : le code du travail, les réglementations sociales sont autant de carcans qui freinent la compétitivité. Il faut donner la liberté d’agir aux entreprises en se débarrassant de tout ce qui peut l’entraver. Ainsi au plan international, les négociations au sein de l’OMC constituent un des lieux privilégiés de cette offensive. Après le G20 de Washington, l'accent est mis sur les responsabilités du FMI, et l'Organisation Internationale du Travail revendique depuis longtemps un nouveau partenariat avec cette institution en faveur d'une « nouvelle gouvernance » ! Qu’en disent et que feront les syndicats à l’initiative de ces projets rétrogrades ? Que proposeront-ils comme projet de lutte et comme alternative ? Une campagne mondiale pour le travail décent, qui débouche sur une mise en cause des conventions et normes sociales édictés par l'OIT depuis sa fondation ? Mais suivre cette voie ce serait pour le syndicalisme pratiqué vis-à-vis de lui-même une forme d'hara kiri! Est-il prêt à çelà ?

 

Il ne saurait y avoir de perspective pour le syndicalisme, a fortiori pour le syndicalisme de classe, sans qu'il revienne à des règles et des principes, à des « fondamentaux » comme l'on dit !

 

- sans une attitude résolue face au capital, c'est-à-dire une attitude fondée sur  l'action encouragée, coordonnée, articulée en permanence au plan professionnel et interprofessionnel, depuis l'entreprise jusqu'au niveau national et international. Aucune forme d'action ne saurait être privilégiée au détriment d'une autre. La négociation ne peut être que le résultat de l'action ! On ne saurait dissocier les objectifs les uns des autres quand c'est toute la politique du capital qu'il faut affronter!

 

- il doit viser au rassemblement de toutes les victimes du capital, sans exclusive aucune : les travailleurs avec droits comme les travailleurs sans droits, les jeunes et les plus agés, les hommes et les femmes, les nationaux et les migrants.

 

- il doit rechercher en permanence l'unité sans a priori, et sans exclure qui que ce soit, de l'entreprise à l'international, et prendre des initiatives concrètes en conséquence.

 

- il doit être placé sous le contrôle des travailleurs eux mêmes, par leur consultation et le respect scrupuleux de leur pouvoir de décision.

 

- il doit être, dans son fonctionnement comme dans l'élection de ses dirigeants, représentatif des travailleurs, et rompre avec la bureaucratisation, la corruption,  l'institutionnalisation et des comportements étrangers au mouvement ouvrier.

 

QU : L’Amérique latine est actuellement le lieu où de nombreuses expériences politiques allient la construction du socialisme et la défense de l’indépendance nationale face à l’impérialisme US. Vous êtes souvent présent à Cuba, que pensez-vous des acquis de sa révolution et de la situation économique et sociale de l’île ? Et, concernant le Venezuela, les réformes entreprises sous l’égide de Hugo Chavez semblent commencer à porter des fruits, que pouvez-vous dire sur les transformations sociales et politiques dans ces pays ?

 

Des changements rapides et profonds sont en train de transformer l'Amérique Latine et la Caraïbe. Parce qu'ils s'opèrent à travers une démarche globale c'est-à-dire : politique économique, sociale et culturelle, ils ne sont pas sans faire réfléchir bien d'autres peuples dans différentes régions du monde ! Après des siècles de colonisation, de pillage, de corruption, de mise sous tutelle par les Etats-Unis, d'années de répression barbare par des dictatures sanguinaires, la force et l'unité du mouvement populaire a modifié complètement la donne. Qui aurait pu imaginer celà, moins de 20 ans après l'effondrement de l'URSS ? Non seulement Cuba et son peuple ont  résisté avec héroïsme, mais cet exemple contagieux a encouragé tous ceux qui luttaient pour une autre alternative, un autre avenir que celui décidé par "le Consensus de Washington". Décidément, il n'y a que les batailles qu'on ne mène pas qu'on ne gagne pas.

 

Il y a bien sûr, une grande diversité de situations, et les gouvernements de gauche ou de centre-gauche qui se sont imposés ces dernières années, et à travers des élections, ont tous en commun qu'ils ont été portés en avant par de puissants mouvements populaires, ou par ailleurs, les populations indigènes ont joué un rôle considérable ! Cela s'est fait dans un contexte marqué par l'agressivité et la brutalité des stratégies impérialistes pour imposer leur suprématie au reste du monde. Celles-ci ont été mises en échec, l'infaillibilité des Etats-Unis s'est ainsi trouvée questionnée comme jamais auparavant. Il ne s'agit pas d'idéaliser les choses, prendre ses désirs pour des réalités, mais ces changements sont indiscutables ! Il est clair qu'en mettant en échec le traité de libre-échange des Amériques (ALCA), les peuples d'Amérique latine ont imposé une autre vision des choses. Cette défaite de l'hégémonisme et de l'unilatéralisme a eu une valeur pédagogique, sans laquelle l'ALBA (Alternative bolivarienne des Amériques) n'aurait jamais vu le jour. Il est donc possible de dire « NON » à Washington, et de construire autre chose en comptant sur ses propres forces !

 

C'est ce que font aujourd'hui la plupart des Etats latino-américains, en reprenant en particulier par la nationalisation le contrôle de leurs richesses nationales que les transnationales particulièrement US et européennes exploitaient avec cynisme, au détriment du développement des peuples de cette vaste région. Une attitude plus résolue face à la dette, le départ ou la prise de distance du FMI et de la Banque mondiale. En 2006, Correa, le Président de l'Equateur a même déclaré "persona non grata" le représentant de la Banque mondiale. Une coopération sans précédent par une intégration régionale plus poussée, bilatérale et multilatérale, des initiatives comme la Banque du Sud, ou encore de grands travaux à l'échelle du continent comme le gigantesque projet de raffinerie  "Abreu e Lima" entre le Venezuela et le Brésil, enfin une  ré-orientation des relations internationales par le  développement sans précédent des relations sud/sud, en particulier avec l'Asie, bouleverse complètement les données de la géopolitique !

 

Dans ce contexte, il est indéniable que le dynamisme opérée par Hugo Chavez, la fermeté dont il fait preuve et, par dessus tout, la vision politique anticipatrice qui est la sienne contribuent à favoriser ce mouvement. Mais il n'est pas le seul et il n'est pas seul ! Rétrospectivement, il faut vivre en Amérique Latine pour mesurer à sa juste valeur l'influence de la vision cubaine et de la pensée tout particulièrement de Fidel Castro qui a irrigué pendant un demi-siècle la pensée politique du continent. Elle prouve aujourd'hui toute sa validité a travers cette situation nouvelle. 175 ans après, le rêve de Simon Bolivar d'une unité latino-américaine prend forme ! Cela n'est pas tombé du ciel, mais est le résultat d'un combat pour la dignité, la souveraineté, l'indépendance et la solidarité. Rien n'est jamais acquis de façon définitive, mais une chose est certaine : les peuples d'Amérique latine et de la Caraïbe sont plus forts, et même si les inégalités sont indiscutables et si les défis sociaux sont considérables, les choses ont commencé a changé ! L'impérialisme d'ailleurs ne s'y trompe pas, en multipliant les agressions, du « plan Colombie » au « plan Panama », du blocus économique aux tentatives de coups d'état, ou encore en recherchant par la partition et l'éclatement de certains pays, la déstabilisation politique de ceux parmi les plus déterminés dans l'affirmation et la défense de leur souveraineté. Pour l'heure, cette stratégie a échoué et la solidarité latino-américaine joue à plein, comme on l'a vu après l'agression de la Colombie contre l'Equateur !

 

Bien sûr, la lucidité commande de voir les choses en face. Le changement, a fortiori à cette échelle, n'est pas un long fleuve tranquille, il y a des attentes, des insatisfactions, des erreurs, mais ce qui importe c'est la tendance des choses. Au Brésil, où 50 millions vivent en dessous du seuil de pauvreté, il faut mesurer ce que représente l'arrivée de l'électricité dans un foyer qui en a toujours été privé ! Aujourd'hui, 148 municipalités ont été déclarées libre de l'analphabétisme en Bolivie, grâce a la solidarité cubaine et vénézuélienne. Enfin, comment ne pas évoquer dans le domaine de la santé l'opération  « Milagros » (miracle) qui a permis de libérer de la cataracte 208.000 malades de 21 pays latino-Américains, grâce encore une fois  à la solidarité cubaine et vénézuélienne.  Comme le dit Fidel Castro, « la guerre contre le sous-développement, la pauvreté, la faim est la seule guerre vraiment humanitaire. »

 

QU : Vous avez activement participé à la campagne pour le « NON » lors du référendum sur la constitution européenne. l’Europe technocratique de Bruxelles a-t-elle amélioré les conditions de vie des travailleurs européens ? L’idéologie libérale domine dans sa logique de « réforme » conduira-t-elle à l’effacement définitif de nos derniers acquis sociaux ?

 

Il n'est pas de domaine où « l'Europe » ne soit synonyme de régression. Sur le plan économique, c'est un véritable fiasco, la récession est partout à l'ordre du jour et la vassalisation économico-financière vis-à-vis de notre suzerain, pardon ! partenaire, nous entraîne chaque jour un peut plus vers de nouvelles catastrophes dont les peuples européens payent l'addition ! Le sommet de Washington a non seulement accouché d'une souris, mais on a vu comment Bush et son administration considéraient l'Europe et son président c'est-à-dire avec le plus profond mépris ! Sur le plan social, l'Europe de l'emploi est une farce, certes tragique, il n' y a guère que la CES pour encore justifier l'injustifiable et se déclarer prête à négocier plus de libéralisation et de précarité ! Sur le plan politique, l'échec de Lisbonne a vu sa confirmation après le référendum irlandais et il y a fort à penser que si l’on généralisait ce principe démocratique de consultation des citoyens, l'Union européenne tremblerait elle même sur ses bases ! C'est un point d'ailleurs que le rapport Cohen-Tanugi intitulé "Euromonde 2015", rien que ça, préconise de modifier dans les constitutions nationales, parce que souligne l'auteur: "On ne peut plus faire de referendums nationaux" ! Il suffisait d'y penser!

 

Sur le plan de la sécurité, jamais l'Europe depuis la deuxième guerre mondiale ne s'est trouvé confrontée à autant des risques de conflits ! Au point dit-on que Sarkozy voudrait voir se calmer le jeu entre Russes et Etats-uniens résultant de cette affaire de bouclier de défense anti-missiles, à laquelle, non sans raison, les Russes viennent de répondre ! Sur le plan de l'élargissement à l'Est, même avec des mercenaires comme la plupart des régimes en place dans ces pays « nouvellement adhérents », c'est très désordre. Et, si l’on ajoute à cela l'irresponsabilité des présidents ukrainien et géorgien, on prend des risques très sérieux ! Sur le plan militaire, l'intégration totale à l'OTAN dans le dispositif et la stratégie des Etats-Unis propulse l'Europe aux quatre coins  de la planète, comme en Afghanistan, avec les résultats que l'on sait.

 

Cette énumération, je pourrais la poursuivre ! « L'Europe » est un fiasco et un danger, à commencer pour les Européens eux-mêmes. Elle est à l'image de la crise du système capitaliste dont elle est issue, et il ne pouvait en être autrement, technocratique ou pas! C'est la nature même de la chose qui produit de tels effets ! À mes yeux il n'y a donc pas d'arrangements possibles, sauf à vouloir choisir le pire ! Cela appelle des décisions politiques conformes à ce que les peuples attendent, et franchement, aujourd'hui ce n'est pas du côté de l'Union européenne qu'ils attendent une réponse à leurs problèmes et à leurs interrogations sur l'avenir. À y regarder de plus près, ce serait même plutôt l'inverse !

 

On dit qu'au dîner des chefs d'État à l'occasion du sommet du G20 à Washington, Georges Bush était flanqué à sa droite de Lula, à sa gauche de Hu Jintao et du roi d'Arabie Saoudite, et que le président de l'Union europénne était, lui, relégué en bout de table, mécontent disent les mauvaises langues. Sans commentaires !

 

QU : Sur quelles bases pourrait dès lors se mettre en place une alternative au système capitaliste, en France et en Europe ? Est-elle encore possible ?

 

Ce n'est pas la France et l'Europe seules qui ont besoin d'alternative au capitalisme, c'est le Monde entier, l'humanité toute entière ! Cette réponse, c'est le socialisme. Et lui seul peut relever les défis auxquels nous sommes confrontés. Oui, plus que jamais, le choix est bien entre "socialisme ou barbarie". ll le faut, et c’est une responsabilité qu’il nous faut assumer, car, au final, dans des conditions différentes, mais partout ne sommes nous pas confrontés à une même logique, celle du marché, c’est-à-dire à la recherche du profit le plus élevé ? Ne nous sommes pas par ailleurs confrontés aux mêmes adversaires ? Ne faut-il pas, par conséquent, affirmer cette exigence forte : « le monde n’appartient pas aux multinationales, il est  le nôtre » et en tirer les conséquences en termes d’objectifs et de lutte ?

 

Prenons un exemple, celui du plein emploi pour tous et partout dans le monde. Il s’oppose à toute solution d’adaptation ou d’accompagnement. En fait, la généralisation du concept « d’employabilité » a permis aux Etats-Unis de passer d’une société de pauvres sans emploi à une société de pauvres avec emploi. C’est ce que nous connaissons en France avec le CPE ! Il faut donc prendre le contre-pied de ces orientations que l’on cherche à imposer au nom de la lutte contre le chômage et la pauvreté, et il faut le faire à partir d’une approche globale. Il en va de même avec le problème des délocalisations ou la défense des services publics !

 

C’est pourquoi, les peuples, les travailleurs, leurs organisations ont plus que jamais besoin d’internationaliser leurs luttes, d’articuler celles-ci depuis leurs lieux de travail, leurs villages, jusqu’à l’échelle mondiale, en favorisant et en coordonnant leurs actions dans les groupes multinationaux à travers leurs syndicats, leurs partis comme à travers les communautés...

 

Il s’agit de construire et multiplier les réseaux, les contre-pouvoirs face aux institutions supranationales, aux institutions financières, aux puissances hégémoniques qui s’arrogent le droit de décider pour le monde. Il s’agit de se donner les moyens d’un vaste débat tout autant sur la stratégie que sur les contours qui devraient être ceux d’une société capable de mettre l’ensemble des ressources productives du monde au service des besoins et des aspirations des travailleurs, et donc des habitants de la planète.

 

Ce qui est décisif et radical dans cette situation, c’est que l’internationalisme aujourd’hui ne saurait se réduire à une pétition de principe à une aspiration morale. Il doit se concrétiser en termes d’engagements concrets, de comportements conséquents et, déjà, à partir des réalités nationales auxquelles tous sont confrontés. Pour le dire clairement, il s’agit de se doter d’un programme et d’une pratique sociale effectivement internationaliste, de telle façon à affaiblir les positions du capital dans son propre pays pour prétendre avancer vers des succès globaux et continentaux.

 

Dans cet esprit, la solidarité internationale n’a d’intérêt que si elle peut contribuer à la mise en mouvement des travailleurs et des peuples et, par conséquent, à la réalisation de leurs objectifs propres. Ce qui renvoie aux orientations, aux priorités, aux méthodes, aux moyens et aux formes d’organisations dont on dispose, si l'on veut prétendre peser sur la politique mise en œuvre tant par les entreprises, les institutions que les gouvernements.


* Militant syndical. Ancien responsable du département international de la Confédération Générale du Travail (CGT), France

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