On ne peut nier que, aujourd’hui, malgré la critique généralisée des politiques imposées par l’Union européenne, malgré le brexit et malgré le fait qu’il est bien connu que cette structure supranationale a été conçue aux Etats-Unis dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale pour contrôler le marché européen, questionner cette structure reste largement tabou. En particulier dans les milieux de gauche qui en sont arrivés aujourd’hui à éprouver de la difficulté à faire la différence entre internationalisme, eurocentrisme, mondialisme et impérialisme. Il est clair aussi que les directions des partis, des syndicats et des grosses associations sont souvent devenues dépendantes des subsides de Bruxelles, d’où les rébellions de leurs bases qui sont en train de tenter de renverser les tables. Et si le Pôle de Renaissance communiste en France qui a soutenu Melenchon aux dernières élections présidentielles s’est retrouvé au final snobbé par le candidat, c’est sans doute à cause de l’anticommunisme de ce dernier mais aussi de la position de cette formation opposée à l’UE.
On peut donc être pour ou contre l’UE, croire même à une possible « autre Europe », mais il nous a semblé que, au-dessus de cela, par simple mesure d’hygiène mentale et politique, il fallait mettre les pieds dans le plat et forcer à poser la question tabou qui bloque la vie politique française, alors même que le mouvement de masse des Gilets jaunes a montré que la plupart des revendications sociales formulées à cette occasion ne peuvent être traitées sans qu’on pose la question européenne qui s’avère donc fondamentale. C’est donc le moment pour provoquer une discussion sur la question de la souveraineté du peuple et donc de la souveraineté nationale dans un esprit internationaliste. C’est pour quoi il nous a semblé utile de publier cet article qui en posant la question de l’Union populaire républicaine pose en fait non pas celle d’une formation avec laquelle on peut être ou ne pas être d’accord, mais la question des causes de la stigmatisation ou du silence de plomb qui l’entoure tant à droite qu’à gauche.
La Rédaction
Les alter-chiens de garde de l’Union européenne
À propos de l’enquête du
Monde diplomatique sur l’UPR
et
des fourvoiements de la
« gauche radicale »
-
Novembre 2019
Laurent Dauré
« C’est le caractère essentiel du socialisme bourgeois de chercher à maintenir la base de tous les maux de la société actuelle et de vouloir en même temps les abolir. »
Friedrich Engels, La Question du logement (1872)
Ancien abonné (mais toujours lecteur) du Monde diplomatique et ancien adhérent (mais toujours sympathisant) de l’Union populaire républicaine, j’ai évidemment lu avec grand intérêt l’article que le mensuel a consacré à ce parti, d’autant plus que je m’étais entretenu avec le journaliste dans le cadre de son enquête. Voici donc ma critique de ce texte qui en dit autant sur le média qui le publie – et plus largement sur la « gauche radicale » – que sur son sujet. À ceux qui s’en prennent, parfois avec véhémence, à l’Union européenne pour son orientation néolibérale et antidémocratique, mais refusent obstinément de proposer d’en sortir, j’aimerais poser une question quelque peu orientée : Peut-on être alter-européiste et se réclamer de façon conséquente de la gauche ?
C’était une anomalie qui témoignait sans doute d’un certain embarras, Le Monde diplomatique était le dernier média national traitant de politique à ne pas avoir accordé le moindre espace à l’Union populaire républicaine et à François Asselineau, mis à part une très brève mention dans cet article et un épinglage saugrenu du siège du parti sur la « carte des lieux de pouvoir à Paris » (alors que celui de la représentation en France de la Commission européenne n’y figure pas…). Toutefois l’UPR disparaît dans une nouvelle version de ce document par ailleurs intéressant ; le « Diplo », d’abord trop modeste, s’est ajouté dans cette actualisation, mais la police de caractères est si petite qu’il faut une loupe pour le repérer (dans le 13e arrondissement, non loin de la place d’Italie).
Le mensuel altermondialiste a pourtant eu plusieurs occasions de s’intéresser à l’UPR – fondée en 2007 –, notamment lorsqu’il a publié un dossier fourni sur les élections présidentielle et législatives de 2017, puis dans celui dédié aux élections européennes de 2019. Aussi, en proposant dans son édition d’octobre une enquête de deux pages sur le parti du Frexit, Le Monde diplomatique montre qu’il a eu le souci de rompre franchement le silence et de prendre le sujet au sérieux.
Il n’est pas facile de décrire objectivement la chose politique atypique qu’est l’UPR. Moi-même, malgré huit ans de militantisme en son sein (2009-2017), dont six en tant que membre du Bureau national, il m’arrive encore de m’interroger sur la nature de ce mouvement insolite. Saluons donc la tentative de « diagnostic » du journaliste Allan Popelard et son effort de rigueur. Cela dit, l’article me semble biaisé, incorrect ou injuste sur plusieurs aspects, certains essentiels.
Le verdict défavorable du Monde diplomatique (UPR = « droite mélancolique ») est en fait l’expression en creux des ambiguïtés de la « gauche de gauche » à l’égard de la construction européenne – et donc de la souveraineté populaire et de l’indépendance nationale –, un clair-obscur aussi tenace que funeste partagé aussi bien par ce journal plein de qualités que par la formation politique dont ses lecteurs comme sa rédaction sont les plus proches, à savoir la France insoumise.
Examinons maintenant l’article dans le détail. Je me concentrerai sur ce qui me semble être les faiblesses et erreurs du texte, tout en convenant que son auteur fait preuve ici et là d’une finesse d’analyse et d’observation que l’on trouve rarement dans le paysage médiatique français. Je formulerai trente objections, qui pour la majorité contiennent des critiques plus larges sur les fourvoiements de la gauche hexagonale (qui ne pense pas d’équerre). Ce sera un peu long – très, en fait – mais l’exercice ne me paraît pas inutile, en espérant qu’il alimentera le nécessaire débat sur le rapport de la gauche à l’Europe et à la souveraineté. Ce texte est aussi pour moi l’occasion de parler de mon expérience à l’UPR.
(1) Un journaliste juge et partie, un journal aussi (dans une moindre mesure)
L’auteur de l’article, Allan Popelard, est un militant du Parti de gauche, qui est la matrice et le laboratoire d’idées de la France insoumise ; il est également membre du comité de rédaction de L’Intérêt général, la revue du PG. Sans préjuger de son souci d’objectivité, on peut tout de même postuler que cet engagement ne le prédispose pas favorablement à l’égard de l’UPR, un parti non seulement rival de celui qu’il soutient mais également très critique à son égard (en particulier sur la question européenne ; voir ce texte ou cette vidéo, par exemple).
Le Monde diplomatique ne mentionne pas l’affiliation partisane de son journaliste, une information qu’il serait pourtant pertinent de communiquer aux lecteurs. Féru de critique des médias, le mensuel éreinte à juste titre les dominants du secteur lorsqu’ils s’adonnent à ce genre d’omission. Mais comme le « Diplo » a lui-même une inclination pour la France insoumise, et que ses responsables savent qu’une large portion du lectorat partage cette préférence (35,2 % des abonnés selon cette étude, très loin devant toutes les autres organisations politiques), il lui est difficile de dire sur l’UPR autre chose que ce qu’il dit. C’est regrettable mais il est rare qu’un journal prenne à rebrousse-poil les lecteurs (et l’électeur...).
Pour nourrir son enquête, Allan Popelard m’a demandé un entretien et c’est bien volontiers que j’ai accepté de lui parler. Lorsque nous nous sommes vus en mars dernier pendant deux bonnes heures, je savais déjà qu’il était membre du PG, mais je n’avais aucune raison de douter de son honnêteté et faisais confiance au Monde diplomatique pour adopter un point de vue équilibré et factuel. Nous avons également échangé quelques courriels avant et après ce rendez-vous.
Soyons clair, je ne suspecte nullement M. Popelard de mauvaise foi et, autant que je puisse en juger, il s’est efforcé de faire un travail consciencieux. Cependant je pense que le fameux biais de confirmation a joué, renforcé par ce qu’on pourrait appeler un « biais d’affiliation », l’UPR étant une âpre concurrente de la France insoumise. De plus, comme on peut le constater sur les réseaux sociaux, des membres et des sympathisants de la FI s’intéressent de près aux analyses et propositions du parti du Frexit, ce qui doit susciter un certain agacement chez les gardiens de la formation mélenchonienne. L’hypothèse de départ du journaliste-militant était que l’UPR appartenait malgré tout à la droite, et il a davantage prêté attention à ce qui allait – ou semblait aller – dans ce sens. Je m’efforcerai de le montrer ci-dessous.
Qu’auraient dit les partisans de la France insoumise si Le Monde diplomatiquem’avait confié la réalisation d’une enquête sur ce mouvement et son fondateur ?… Nous sommes certes ici en pleine fiction politico-journalistique ; pour certains, c’est même un scénario d’épouvante.
(2) Une titraille connotée
Le titre de l’article d’Allan Popelard est « Ces Français qui militent pour le “Frexit” ». Pourquoi mettre des guillemets à Frexit alors que Le Monde diplomatique n’en met plus à Brexit depuis trois ans ? Ne surinterprétons pas ce choix typographique mais cela semble dénoter une certaine distance incrédule, comme si proposer la sortie de la France de l’Union européenne était quelque chose d’étrange ou de folklorique. À moins que la rédaction du mensuel n’estime que le mot « Frexit » – introuvable dans ses colonnes avant avril 2019 – n’est pas assez familier de ses lecteurs pour être privé de guillemets. On peut alors s’interroger sur le délai dans l’emploi de ce néologisme en circulation depuis 2015.
Par ailleurs, écrire « Ces Français » invisibilise les adhérents de l’UPR – en nombre non négligeable – qui n’ont pas la nationalité française ; ce serait anodin si le corps de l’article mentionnait cette originalité, mais ce n’est pas le cas (alors qu’il y avait une occasion de le faire, nous le verrons).
Quant au surtitre, il indique : « Au cœur de l’Union populaire républicaine », une affirmation un peu grandiloquente et sensationnaliste qui laisse entendre que le journaliste est parvenu à saisir l’essence du parti, sa vérité profonde, ou qu’il s’est infiltré dans une secte. Or, M. Popelard n’a évidemment pas eu accès à tout, son enquête lui a permis de capter des fragments de la vie de l’UPR : ce qu’on a bien voulu lui montrer et lui dire, ce qu’il en a interprété. Bref, « À l’intérieur de l’Union populaire républicaine » aurait été plus modeste, et correct.
Les quatre intertitres présents dans l’article sont : « Un chef solidaire et sublime » ; « Contre le “laxisme socialiste” » ; « Chiffres et formules latines » ; « Mélancolie de droite ». Comme on le voit, ils sont tous défavorables ou discrètement moqueurs, et véhiculent l’idée de désuétude, d’archaïsme. Et bien sûr le message principal est clair : droite, droite, droite. Il ne faudrait pas qu’un lecteur distrait puisse passer à côté de la sentence délivrée par Le Monde diplomatique sur le compte de l’UPR. On note au passage que la plupart des intertitres concernent François Asselineau (ce qui reflète le contenu de l’article), ou comment contribuer à la forte personnalisation du mouvement tout en glosant plus ou moins ironiquement dessus...
(3) Une illustration… mélancolique
Le choix de l’illustration – « Mélancolie » d’Eugène Berman – montre aussi une nette volonté de connoter négativement le parti (et l’idée ?) du Frexit : des ruines, des lambeaux, un paysage ravagé et désertique, avec des couleurs rappelant celles du drapeau français. Cette image de déréliction occupant un quart de page associe « Ces Français qui militent pour le “Frexit” » à un passé sépulcral, à des tourments abominables ; leur combat est synonyme de défaite et de désolation.
Cette façon de ternir la défense de la souveraineté populaire et de l’indépendance nationale rapproche la « gauche radicale » incarnée par Le Monde diplomatiquedes médias et commentateurs dominants, qui appartiennent tous au camp européiste, c’est-à-dire à la droite ou à la fausse gauche (cette dernière est opportunément appelée « la deuxième droite » par Jean-Pierre Garnier et Louis Janover). Cette imagerie crépusculaire fait d’ailleurs fortement penser aux prophéties apocalyptiques assénées depuis quatre ans au sujet du Brexit.
(4) Un chapô qui penche d’un côté (sous l’effet d’un vent nommé Lordon)
Le chapô de l’article (qui le présente et l’introduit brièvement) dit que l’UPR est « connue pour défendre une sortie brutale de l’Union européenne ». Pourquoi « brutale » alors qu’il s’agit de mettre en œuvre l’article 50 ? Dès la première phrase, on cherche à effrayer, on suggère que le Frexit est contre-indiqué et qu’il ne faut pas brutaliser l’UE. Le Monde diplomatique devrait dire sans détour qu’il souhaite que la construction européenne se poursuive, cela permettrait d’y voir plus clair.
Et d’ailleurs il le dit parfois, notamment par la voix de Frédéric Lordon, sa tête de gondole de la pensée. L’argumentation est certes un peu tortueuse, le style lourdement précieux, mais quand on sait déchiffrer les atermoiements de la rebellitude petite-bourgeoise, on voit où l’économiste-philosophe-dramaturge-stratège veut en venir. Dans un article intitulé « Une stratégie européenne pour la gauche » (6 novembre 2017) publié sur son blog diplomatique, ce partisan de la disparition de l’euro – c’est toujours ça – écrit qu’il faut veiller à « ne pas laisser la classe éduquée orpheline d’Europe, et à lui donner une perspective historique européenne de rechange », et donc lui signifier « qu’elle n’a pas à renoncer [...]à l’européisme générique qui lui tient à cœur ».
Moralité : il convient de tranquilliser « la bourgeoisie de gauche » (sur le dos des classes populaires), qui « a trop peur du vide » – pauvre biquette –, en lui faisant la « promesse d’une sorte de “nouveau projet européen” ». En langage clair et direct : on reste dans l’UE, on renonce à la souveraineté populaire et à la démocratie, et on ne rompt ni avec le capitalisme, ni avec la société de classes.
Frédéric Lordon s’est auto-plagié en répétant exactement la même chose dans un texte au titre trompeur – « Sortir de l’impasse européenne » –, produit phare du dossier du Monde diplomatique publié en mars 2019 dans la perspective des élections européennes. Un dossier intitulé… « Une Union à refaire ». Avec de tels « radicaux », la bourgeoisie est peinarde, le monde de l’argent ne risque pas la chute de tension. Qui nous délivrera à gauche de la sempiternelle impasse de « l’autre Europe » ? Manifestement ni Frédéric Lordon ni Le Monde diplomatique. Il ne faut pas désespérer la Butte-aux-Cailles.
La suite du chapô nous dit que « le parti prétend dépasser le clivage droite-gauche », ce qui incite à penser que l’UPR considère que celui-ci est… dépassé, obsolète, alors que la Charte fondatrice parle d’un rassemblement provisoire mettant de côté – tem-po-rai-rement – le clivage droite-gauche. De plus, à la question « L’UPR veut-elle abolir le clivage droite-gauche ? », le parti répond nettement « non » sur son site Internet ; Allan Popelard cite ce texte ainsi que la Charte mais ne semble pas croire à la sincérité (ou à la possibilité ?) du positionnement.
L’Union populaire républicaine se conçoit idéalement comme une sorte de « méta-parti » s’assignant pour objectif de restaurer les conditions nécessaires à une activité politique souveraine. Une fois la mission accomplie, le mouvement peut se dissoudre, les différentes options idéologiques et politiques se redéployant spontanément dans un cadre institutionnel désormais opérant (ce qui ne veut pas dire définitif).
(5) Un petit parti que l’on confond avec un grand
Dans le récit de l’opération « La France libre de nouveau à Londres » organisée par l’UPR le 29 mars dernier (et maintenue malgré le report du Brexit), on lit que les militants français sont « applaudis par une foule ignorant à peu près tout de ce petit parti politique d’outre-Manche, qu’elle confond parfois avec celui de Mme Marine Le Pen ». Ainsi, dans la même phrase, il est affirmé qu’un mouvement de 38 000 membres est « petit » (seuls LR et le RN en ont plus…), et qu’on peut – à raison ? – le confondre avec la SARL Le Pen. C’est la ligne doublement erronée qu’ont adoptée les médias dominants à l’égard de l’UPR : un groupuscule souverainiste qui dit grosso modo la même chose que le FN/RN.
Hypothèse : l’UPR n’est « petite » que parce que les médias installés continuent de la décrire ainsi, ce qui permet de justifier qu’on ne lui accorde qu’une couverture minime, voire nulle ; cette sous-médiatisation, ajoutée au dénigrement quasi systématique, affectant sa notoriété et ses résultats électoraux. Il s’agirait en somme d’un cas de prophétie autoréalisatrice.
Remarquons également que l’article du Monde diplomatique ne fait aucune mention des critiques très développées et originales que l’UPR formule sur l’écurie Le Pen et son rôle sur la scène politique française (voir ce texte ou celui-ci, par exemple).
(6) Un parti d’obéissance et de juridisme
Plus loin, on lit ceci : « Dénonçant des textes européens qui corsètent la souveraineté nationale et la souveraineté populaire, l’UPR récuse néanmoins les stratégies de désobéissance, au nom du respect du droit international ». D’une part, les traités européens ne font pas que « corseter » la souveraineté du peuple français, ils l’annulent, la réduisent à néant ; d’autre part, l’UPR dénonce le principe même de la construction européenne, antidémocratique et du côté des puissances d’argent dès l’origine, mais aussi étroitement associée à l’OTAN et soumise à Washington.
On aimerait que Le Monde diplomatique nous en dise plus sur les « stratégies de désobéissance » – et de renégociation des traités – promues en premier lieu par la France insoumise, avec sa proposition tout à fait confuse et impraticable de « plan A/plan B » (le plan B étant en fait le plan A mais avec la lettre B). Ce serait aussi l’occasion d’exposer, et éventuellement de réfuter, les arguments de l’UPR contre cette approche alter-européiste, qui ne se limitent pas à un appel dévot au respect du droit international – qui, au passage, n’est pas si mal conçu. Au lieu de débattre de tout cela dans son dossier sur les européennes, le « Diplo » nous annonçait avec Yanis Varoufakis, un allié de Benoît Hamon, que nous allions « Vers un printemps électoral »...
Ajoutons en guise d’observation que dans l’acception courante (certes discutable), on ne « désobéit » qu’à une autorité que l’on juge malgré tout légitime – les parents, les professeurs – ; or, jouer à l’enfant turbulent avec l’UE comme le prescrivent la France insoumise et Le Monde diplomatique n’est pas à la hauteur des enjeux et de la gravité de la situation. Cette attitude immature et oblique montre qu’il n’y a pas de réelle volonté de s’émanciper de Bruxelles et de permettre au peuple français de choisir librement son destin. Peut-être les petits-bourgeois de la « gauche radicale » peinent-ils à admettre (y compris à eux-mêmes) qu’ils ne se fient pas vraiment à la souveraineté populaire.
(7) Une tendresse à l’égard des banques
Après avoir listé les nationalisations d’ampleur que propose l’UPR, Le Monde diplomatique ajoute : « La privatisation des banques, en revanche, n’est pas remise en cause. » Pourtant, si on consulte le programme du parti, il y est indiqué que « tout établissement financier secouru par des fonds publics » sera nationalisé (intégralement ou partiellement). Une mesure certes limitée mais pas exactement amène envers le secteur bancaire.
D’autres propositions pour réduire drastiquement l’emprise de la finance sont avancées : rétablir le contrôle des mouvements de capitaux, séparer les activités de banque de dépôt et de banque d’affaires, évincer les fonds d’investissement et les grands groupes de toutes les sociétés liées au service public, mettre un terme au pouvoir des agences de notation, interdire le lobbying, etc. On peut estimer que cela ne va pas assez loin (c’est mon cas), mais pour un parti qui se veut de large rassemblement, c’est plutôt offensif.
La plupart des mouvements qui se disent à gauche ménagent le monde de la finance bien davantage. Pourquoi l’article ne fait-il nullement mention de ces mesures ? Sans doute parce que ça ne cadrerait pas avec l’étiquette « droite mélancolique complice du capital » que Le Monde diplomatique cherche à épingler acrobatiquement au dos de l’UPR.
(8) Le goût des cols blancs résistants
Juste après, on peut lire à propos de la référence centrale à la Résistance : « L’UPR est cependant plus prompte à célébrer les cols blancs que les combattants de l’ombre ». Il est correct de dire que François Asselineau, comme il s’identifie fortement à Charles de Gaulle (scoop !), parle plus souvent de l’apport gaulliste, mais il ne minore nullement le « rôle éminent joué par les communistes dans la Résistance intérieure » (cf. cet article dans lequel il rend hommage à la lucidité du Parti communiste français à propos de la construction européenne durant la période 1947-1980).
Le président de l’UPR mentionne régulièrement avec emphase les pêcheurs de l’île de Sein, qui n’allaient pas en mer en col blanc… Si l’on remonte dans l’histoire de France, les soldats de l’An II sont eux aussi souvent mis en avant. D’ailleurs Allan Popelard occulte totalement la pleine adhésion de M. Asselineau et de l’UPR à la Révolution française et à son héritage ; ce n’est pourtant pas un détail.
Il est important de préciser que si le fondateur du parti peut légitimement être qualifié de gaulliste – mais un gaulliste social d’un genre spécial car favorable au RIC en toutes matières –, ce n’est pas le cas de l’UPR (voir ce texte). De fait, la majorité des adhérents, ayant un ancrage à gauche, reconnaissent la valeur de l’action de Charles de Gaulle pendant la Seconde Guerre mondiale et de certains choix ultérieurs en matière de politique étrangère et d’indépendance nationale, mais sont critiques, voire hostiles, quant à d’autres aspects de sa pensée et de son œuvre.
(9) L’incontournable rappel gourmand du parcours de François Asselineau (et la complaisance à l’égard de celui de Jean-Luc Mélenchon)
L’article fait ensuite un rappel détaillé du parcours en cabinets ministériels de François Asselineau dans les années 1980 et 1990. On perçoit une véritable gourmandise à égrener les noms des Premiers ministres et ministres de droite, les médias dominants faisant souvent de même. Pareil pour l’engagement auprès de Charles Pasqua au RPF et au conseil général des Hauts-de-Seine (il n’est pas inutile de lire ce que François Asselineau dit à ce sujet). Sous-texte transparent : droite un jour, droite toujours.
Au lieu de lister ad nauseam ces étapes indéniablement marquées à droite, il serait plus pertinent et loyal d’examiner les déclarations et prises de position de François Asselineau depuis la création de l’UPR en 2007. Constate-t-on des changements ? Si oui, lesquels ? Est-il juste de laisser entendre qu’un passé politique qui n’est plus « actualisé » existe toujours sous une forme dissimulée ? Et si l’on estime qu’il n’est pas encore établi que la trajectoire et le positionnement du président de l’UPR se sont significativement émancipés de la droite, combien d’années faut-il encore ou que doit-il faire exactement pour modifier cette appréciation ? Quand il est question de François Asselineau, il semblerait que les médias s’arrogent un droit inépuisable au procès d’intention.
De ce point de vue, la comparaison avec le traitement de Jean-Luc Mélenchon est éclairante. En effet, le mentor politique du chef de la France insoumise est François Mitterrand – dont il dit toujours le plus grand bien –, récipiendaire de la Francisque numéro 2 202, ministre de la Justice pendant la guerre d’Algérie, protecteur de l’ultra-vichyste René Bousquet (responsable de la rafle du Vél’ d’Hiv’), anti-communiste sournois, acteur principal du tournant libéral et maastrichtien du Parti socialiste, etc. Au nom de quoi l’allégeance – passée et présente – de Jean-Luc Mélenchon à l’égard de François Mitterrand devrait-elle être considérée comme moins fâcheuse que les premières étapes du parcours de François Asselineau ?
D’autant plus que pour le leader de la France insoumise, on peut aussi mentionner d’autres prises de position accablantes, certaines récentes : « Maastricht est un compromis de gauche » (Sénat, 9 juin 1992) ; la décision de Nicolas Sarkozy d’intervenir militairement en Libye est une « bonne idée »(BFM-TV, 18 mars 2011) ; « J’approuve l’idée qu’on brise le tyran [Mouammar Kadhafi] pour l’empêcher de briser la révolution » (Libération, 21 mars 2011) ; « prôner la sortie de l’euro relève du maréchalisme » (Europe 1, 26 juin 2011) ; « Cela vaut la peine de défendre l’euro, pas celui-là, mais commençons déjà par défendre l’idée même de l’euro » (Europe 1, 10 septembre 2011) ; « Je veux l’Europe » (Arrêt sur images, 4 juillet 2013).
Autre épisode éloquent, dont j’avais rendu compte dans cet article : le 5 juillet 2015, les Grecs rejettent par référendum (à 61 %) les conditions imposées par la troïka pour un 3e « plan de sauvetage ». Alexis Tsipras, pourtant à l’initiative de la consultation, s’empresse de s’asseoir sur le résultat et cède tout aux créanciers. Comment Jean-Luc Mélenchon réagit-il à cette trahison manifeste du peuple grec et de la démocratie ? Ainsi : « on peut considérer qu’il y a là une erreur dans le combat qui a été faite. Mais, à partir de là ça ne le disqualifie pas lui. Donc moi je reste solidaire de Tsipras » (propos recueillis par Télé Bocal et l’Agence Info Libre, le 16 juillet 2015 à Paris, dans une manifestation pour dire « non » aux politiques d’austérité mais… « oui » à Syriza).
À la mort de Michel Rocard, voici ce que Jean-Luc Mélenchon écrit sur son compte Twitter (2 juillet 2016) : « Des milliers de personnes engagées sont en deuil. Un éclaireur nous a quittés. Sa vie est une leçon. À chacun de la méditer. En ce temps-là, tous les socialistes étaient de gauche même très différemment. »Et, en effet, quelques années avant, le fondateur du Parti de gauche affirmait ceci à propos de Dominique Strauss-Kahn, alors possible candidat à l’élection présidentielle de 2012 : « Il est membre du PS et a été ministre du gouvernement de Lionel Jospin. Au nom de quoi pourrais-je lui contester son appartenance à la gauche ? » (dans un débat fort amical avec le pro-DSK Pierre Moscovici, L’Express, 24 juin 2010).
Bref, la « gauche radicale » devrait se pénétrer de la parabole de la paille et de la poutre… Pourquoi Le Monde diplomatique n’encouragerait-il pas Jean-Luc Mélenchon à corriger ses analyses et positions tout en se réjouissant de l’heureuse évolution de François Asselineau ? C’est là encore un rebondissement de pure fiction car, d’une part, le mensuel partage souvent les erreurs politiques du patron de la France insoumise (alter-européisme, soutien enthousiaste aux pétards mouillés Syriza et Podemos, grave égarement sur la guerre en Libye, par exemple), et d’autre part, la logique électoraliste et le souci de dorloter ses lecteurs petits-bourgeois et très diplômés – 53,8 % des abonnés ont un bac +5 ou un doctorat ! – l’empêchent d’aller trop frontalement contre le ronron alternatif.
(10) Le souverainisme est un folklorisme
Alors que le président de l’UPR a répété de nombreuses fois – en argumentant – qu’il ne se réclamait pas du souverainisme, l’article poursuit : « Monsieur Asselineau a commencé à embrasser la cause souverainiste en 1992 ». Ce terme tend à relativiser, folkloriser et droitiser la défense de la souveraineté populaire et/ou nationale, et en fait la notion même. Or, saper celle-ci c’est s’attaquer au principe et à la possibilité de la démocratie. Il est regrettable que Le Monde diplomatique adopte ainsi un autre usage des médias dominants, attachés de presse permanents de la construction européenne.
(11) Comment transformer François Asselineau en un proche de Nicolas Sarkozy
Allan Popelard écrit ensuite que François Asselineau a été « [n]ommé en 2004 par M. Nicolas Sarkozy à la tête de la délégation générale à l’intelligence économique, à Bercy », ce qui est exact, mais il occulte le fait que c’était selon toute vraisemblance pour le placardiser et l’isoler. Le poste, une coquille vide, sera carrément supprimé deux ans plus tard par Thierry Breton, devenu ministre de l’Économie, celui-ci n’ayant jamais reçu le principal intéressé ou prêter la moindre attention à sa mission.
M. Asselineau estime que « ses analyses, bien qu’irréfutables, ne sont pas les bienvenues » (cf. ce texte). En ne mentionnant pas ces éléments, le journaliste du Monde diplomatique oriente l’interprétation des lecteurs, conduits à inférer que le président de l’UPR est un proche de Nicolas Sarkozy, ce qui est faux sur tous les plans (professionnel, politique, etc.).
(12) Paul-Marie Coûteaux, l’ex-altermondialiste
L’article, qui est décidément riche en détails sur le passé de François Asselineau, précise que celui-ci a fait « un bref passage au Rassemblement pour l’indépendance et la souveraineté de la France (RIF), créé en 2003 par l’eurodéputé Paul-Marie Coûteaux (qui se rapprochera plus tard de l’extrême droite) ». Tout ceci est vrai mais là encore on donne aux lecteurs des éléments d’appréciation incomplets qui conditionnent l’interprétation dans un sens défavorable à « l’enquêté ».
Paul-Marie Coûteaux a en effet dérivé vers des positions ultra-conservatrices et réactionnaires, jusqu’à doubler sur sa droite le Front national – avec lequel il a cheminé un temps –, mais c’est aussi un ancien chevènementiste (il est passé par les cabinets de Boutros Boutros-Ghali, du « Che » et de Philippe Séguin). Plus surprenant encore, il a été adhérent à Lutte ouvrière et c’est un des membres fondateurs de l’association Attac – créée en 1998 –, dont Le Monde diplomatiqueest on ne peut plus proche, Ignacio Ramonet, alors directeur du mensuel, en ayant été le principal artisan. D’ailleurs M. Coûteaux est également un ancien contributeur du journal.
On comprend qu’il soit préférable de taire ce lien Coûteaux-Attac-Diplo pour ne pas perturber le lecteur. D’ailleurs l’association altermondialiste (mais aussi alter-européiste et alter-capitaliste) fait de même sur son site Internet, où on ne trouve aucune mention de Paul-Marie Coûteaux. Quant à ce dernier, il n’affiche plus son engagement à Attac depuis qu’il a choisi de suivre une voie sinueuse au sein de la droite dure.
(13) Histoire de trajectoires
Allan Popelard insiste : « Du RPF au RIF, de dissidence en dissidence, la trajectoire de M. Asselineau épouse celle de la droite conservatrice et souverainiste. » On a compris ! Autant de lignes qui ne sont pas consacrées à un examen critique des analyses et positions actuelles du président de l’UPR.
De l’UNEF au PS, de gauchisme en opportunisme, la trajectoire de M. Mélenchon épouse celle de la deuxième droite anticommuniste et sociale-traître. Ah, si Le Monde diplomatique me confiait la réalisation d’une enquête sur la France insoumise et son champion...
(14) Peu diserte donc suspecte
Allan Popelard écrit plus loin : « Alors que Les Patriotes de M. Florian Philippot ou Debout la France de M. Nicolas Dupont-Aignan manquent rarement une occasion de prendre à partie les migrants et les musulmans, l’UPR est peu diserte sur ces questions. » D’une part, on pourrait faire remarquer que les musulmans ne sont pas une « question » ; d’autre part, le choix de l’adjectif « disert » suggère que le parti du Frexit aurait envie de dire des choses (quoi ?) mais ne le fait pas. De plus, en ce qui concerne l’immigration, il y a bien un textedans lequel l’UPR expose sa position.
J’étais opposé à la « commission migrations » qui avait été créée fin 2017 sans débat et sans même consultation du Bureau national (une des raisons de mon départ), et me suis par conséquent réjoui de constater, comme le note Le Monde diplomatique, qu’« elle n’a jamais rendu publics ses travaux » (qui n’existent peut-être pas du tout). C’est une bonne chose que le respect de la Charte fondatrice l’ait emporté. Toutefois, précisons que si des conclusions avaient été produites, elles n’auraient assurément pas été zemmouriennes...
(15) Des spécificités intéressantes mais absentes
L’article du Monde diplomatique est malheureusement avare en portraits de militants, il ne rend pas compte de la grande diversité de profils au sein de l’UPR. Mais ce n’est pas le seul problème. Brève présentation d’une adhérente avec laquelle Allan Popelard s’est entretenu : « Mme Manon Chevalier, affiliée à l’UPR depuis 2014 et ingénieure à Montréal (Canada), a pris cette année-là un congé sabbatique pour collecter les promesses de soutien [parrainages pour l’élection présidentielle], se logeant à ses frais en Picardie. »
On se demande pourquoi le journaliste n’ajoute pas ici une information pertinente sur cette militante de choc : elle est Québécoise. Un élément qui pourrait contribuer à dissiper un peu l’odeur de renfermé que l’article tend à associer à l’UPR et donnerait une connotation sensiblement différente au passage dans lequel Manon Chevalier se dit « amoureuse de tout ce que la France a apporté ». Comme je l’ai écrit plus haut, le parti du Frexit accueille un nombre non anecdotique d’adhérents qui n’ont pas la nationalité française.
L’article ne relève pas deux autres spécificités de l’UPR qui intrigueraient peut-être le lecteur du Monde diplomatique : le fait que ses résultats électoraux obtenus outre-mer sont souvent deux voire trois fois supérieurs à ceux de la métropole ; la proportion d’expatriés parmi les adhérents est de 6,2 % (répartis dans plus de 110 pays) alors qu’on estime qu’entre 3 % et 3,7 % de la population française vit à l’étranger. Voici des données qui mériteraient analyses et commentaires.
(16) Un quart d’adhérentes
Contrairement à ce qu’affirme l’article, le pourcentage d’hommes parmi les adhérents n’est pas de 85 % mais de 75 %. 25 % de femmes, c’est certes faible, mais un tel déséquilibre se retrouve dans de nombreuses organisations, y compris à gauche. Quant au Monde diplomatique, d’après l’étude déjà citée, la part du lectorat féminin est de 30 %.
(17) Spectrographies politiques discordantes
Le journaliste déclare ensuite : « Si, au cours de notre enquête, nous avons rencontré d’anciens électeurs de tous bords, ainsi que beaucoup d’abstentionnistes, nombreux étaient ceux qui venaient des rangs de la droite. » Cette dernière affirmation ne correspond pas à ce que j’ai observé pendant huit ans au sein du mouvement. Allan Popelard ajoute en note : « L’UPR, elle, déclare que ses militants [il faudrait lire “adhérents”] auraient majoritairement une sensibilité de gauche. » Et je confirme, c’est bien le cas. Mais comme je ne demande pas à être cru sur parole, il nous reste à souhaiter que des observateurs impartiaux (journalistes, politologues ou sondeurs) trancheront sur ce point.
Cela dit, il paraît peu probable qu’un mouvement qui, comme l’écrit avec justesse Le Monde diplomatique, « assume pleinement l’héritage du Conseil national de la Résistance (CNR) » et « le prend même pour modèle dans son Programme de libération nationale », soit dominé par la droite. De fait, j’ai pu constater que cette référence cardinale aux « Jours heureux » ne faisait l’objet d’aucune contestation parmi les adhérents ; je n’ai jamais entendu la moindre réserve quant à la pertinence à la fois de l’esprit et du programme du CNR.
(18) Les fonctionnaires introuvables
Allan Popelard dit qu’il n’y avait « aucun fonctionnaire » parmi les interlocuteurs qu’il a rencontrés. Il est possible que la proportion de fonctionnaires parmi les adhérents de l’UPR soit inférieure à celle de la population totale (8,4 %), mais je doute fortement que l’écart soit important.
Pour ma part j’ai adhéré au parti en même temps qu’un ami enseignant au collège et la majorité des camarades proches avec lesquels j’ai gardé des liens sont fonctionnaires. Il y a probablement un biais personnel mais tout de même… De plus, avec les vastes renationalisations et le développement des services publics qu’elle propose, l’UPR peut difficilement être présentée comme un mouvement anti-fonctionnaires.
(19) Une occasion manquée de traiter du fond
Entre autres observations pittoresques, l’article consacre dix lignes aux médailles que reçoivent parfois des militants qui se sont distingués par leur dynamisme. François Asselineau est en effet un passionné de phaléristique (et de tombola) mais on s’attendrait, venant du Monde diplomatique, à moins d’égards pour l’anecdotique. Il aurait été plus profitable pour les lecteurs d’examiner la validité des analyses de l’UPR, par exemple sur les « GOPÉ », les « soldes Target » ou l’impossibilité des projets d’« autre Europe » (dont, on l’a vu, le mensuel défend sa version lordonienne).