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  • : Le blog de la-Pensée-libre
  • : Philo-socio-anthropo-histoire. Revue en ligne éditée par une partie de l'ancienne rédaction de "La Pensée" exclue en 2004, élargie à d’autres collaborateurs et consacrée au renouvellement de la pensée critique de la globalisation, du politique, de l’économique, du social et du culturel.
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  • Cette revue de Philo-socio-anthropo-histoire est éditée par une équipe de militants-chercheurs. Elle est ouverte à tout auteur développant une pensée critique sur la crise de civilisation du système capitaliste occidental.
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21 septembre 2018 5 21 /09 /septembre /2018 19:59
Le genre « récit de voyage » n’est pas habituel dans nos pages mais, cette fois-ci, il s’agit à la fois d’un récit de voyage, d’une analyse politique et d’une action politique qui permet de relier par l’observation les processus en cours en Afrique occidentale et en Europe orientale. D’où l’intérêt pour ce qui est donc une réflexion faite à partir de l’analyse concrète d’une situation concrète. Qui permet de constater que si, sur certains points, les sociétés africaines sont certes comme on nous le répète à longueur de reportages retardataires, sur d’autres questions, elles sont innovantes et dynamiques, ce qui permet un certain optimisme. Récit de voyage qui permet aussi de réfléchir à ce qui s’est passé dans les pays de l’Est et qui permet en finale de constater que ladite société civile promue à coup d’Organisations « non » gouvernementales est largement devenue un leurre sinon un piège. Organisations « non » gouvernementales formées autour de quelques « envoyés » financés par des « fondations », des « œuvres privées », des Eglises ou des ...gouvernements et qui ont remplacé les « organisations de masse » de l’époque des mouvements révolutionnaires et de décolonisation.
Ce qui se développe aujourd’hui en Afrique en marge de ce système annonce donc peut-être l’émergence d’un nouveau type de rapports sociaux bâtis à partir d’un processus d’auto-organisation sociale largement ignoré en Europe, occidentale comme orientale.

La Rédaction

Les coopératives et les organisations politiques et sociales en Afrique occidentale
– 
Un exemple pour nous organiser en Europe de l’Est ?


 

Par Monika Karbowska*


 

J’ai mis six ans à organiser ce voyage. Depuis mon séjour au Forum social mondial (FSM) à Dakar 2011, je voulais revenir en Afrique car j’étais fascinée par la force, l’opiniâtreté et la capacité d’organisation des militantes africaines. Des militantes que je voulais revoir, rencontrées lors du Forum féministe de Kaolack pour lesquelles de nombreuses organisations féminines étaient venues avec la Caravane d’Afrique de l’Ouest. Le FSM de Dakar a eu lieu alors que débutaient les mouvements a priorirévolutionnaires dans les pays arabes. Avec les militants tunisiens participant au Forum nous avons alors vécu ensemble ces moments intenses, les yeux rivés sur Facebook et suspendus aux nouvelles des rassemblements qui nous arrivaient chaque jour de Tunisie. Par la suite, j’ai soutenu les jeunes militants révolutionnaires de Tunisie.

Mais c’est ce premier voyage au sud du Sahara qui m’a montré qu’il n’y avait qu’une seule chose à faire : balayer devant ma porte, c’est-à-dire organiser les mouvements anticapitalistes chez nous, en Europe de l’Est. Et je l’ai fait en six ans de voyages, non seulement en Pologne ou en Hongrie, mais aussi en Bulgarie, en Roumanie, dans les pays yougoslaves, en Moldavie, et jusqu’en Ukraine et en Russie. Ce furent six années de création de liens avec la nouvelle gauche issue des mouvements de 2011 à 2014 jusqu’à l’organisation du Forum Social d’Europe orientale et de Coopération avec les pays du Sud à Wroclaw en mars 2016. Je m’interrogeais alors toujours pourquoi nous, les Européens de l’Est, nous sommes aussi perdus, aussi atomisés, aussi incapables d’organisation et de coopération, incapables de valoriser notre culture locale, notre production domestique agricole, notre histoire enfin, alors qu’elle est aussi celle de nos réalisations socialistes.

 

Sénégal

Je suis donc repartie en Afrique pour apprendre à partir des expériences des amis africains. Dakar m’a accueillie début septembre dans l’effervescence d’une ville passée entretemps de 3 à presque 7 millions d’habitants. Les puissants mouvements « Y en a Marre » ont amené, malgré toutes les vicissitudes, à une certaine amélioration sociale et politique sensible dans les interminables quartiers de banlieues de Pikine, Guedawaye, Malika… Une autoroute a désenclavé les quartiers par le bord de mer, des routes ont été goudronnées quoique souvent sans système d’écoulement adéquat. L’électricité et l’eau potable sont devenues accessibles, les écoles sont présentes quoique souvent non publiques. Les « Parcelles assainies », une des banlieue en construction, sont devenues un quartier animé de boutiques bruyantes toute la nuit du week end. Les amis militants de Malika m’ont confirmé que les associations locales sont actives et politisées, et qu’une allocation de 100 000 CFA par familles allouée par le gouvernement de Macky Sall permet aux plus pauvres de survivre tout en continuant les activités de vente, de production et de services dans l’informel. Une vie politique et culturelle intense prend place dans ces quartiers, dont le plus beau symbole est le Centre culturel de Guedawaye dirigé par les jeunes de « Y en a Marre » où j’ai revu Fou Malade, notre meneur politique de l’action contre la dette en 2011.

C’est l’association WIEGO et son animateur militant Adama Soumaré qui m’a reçue à Malika et expliqué son travail de soutien à l’organisation des travailleurs/ses de l’informel de ce quartier populaire. Le travail « informel », c’est ce qu’on appelle en Europe le « travail au noir », non déclaré et non encadré par des contrats de travail et des cotisations sociales. C’est aussi un travail comparable aux activités de survie que les citoyens de l’Est ont développé au moment des grandes misères des plans d’ajustements structurels du choc capitaliste des années 1990 : agriculture dans des jardins de ville et de campagne, vente sur le bord des routes et des rues de produits agricoles, de bocaux de confiture, de légumes mis en bocaux traditionnellement dans l’économie domestique, vente de baies et de champignons issus du ramassage dans les forêts, vente de fleurs, vente de tout, de toutes sortes d’objets récupérés ou rafistolés, à tous les coins de rue, pour gagner quelques sous pour s’acheter à manger et payer les factures d’électricité et de chauffage (Cette survie comprenait hélas aussi la vente de son propre corps le long des routes et dans les rues des villes pour les femmes, les jeunes filles et les jeunes garçons, et même pour des enfants…). En Afrique comme en Europe l’essor de l’économie de rue est consubstantiel aux conséquences des plans d’ajustements structurels des années 1980 et 90, des privatisations de sociétés d’Etat et du licenciement des fonctionnaires. Les femmes surtout ont été obligées de prendre en main la survie de la famille et ont du développer des activités telles que la vente de produits alimentaires, de céréales, de poisson et la restauration de rue. Ces stratégies de survie étaient associées à des activités féminines comme le ménage et le lavage du linge. Les hommes de l’économie informelle sont artisans – couturiers, maroquiniers, travailleurs de métaux, maçons mais aussi chauffeurs de taxi non déclarés. L’économie de survie en version féminine est alors une mise sur le marché informel de la production domestique traditionnelle destinée à la consommation familiale. A l’économie de production du beurre de karité en Afrique correspondent en Europe orientale nos conserves de concombres et de champignons que chaque famille fait traditionnellement dans nos pays.

Mais ce qui pour moi est extraordinaire, c’est qu’en Afrique occidentale cette économie de survie a donné naissance à des structures de solidarité et et de coopération, à des groupements de productrices et à syndicats organisés en réseaux de quartiers, de villes et de régions qui sont devenus aujourd’hui des structures pouvant avoir un considérable pouvoir politique. Les femmes du réseau REDA - Droit au Développement pour d’autres Alternatives m’ont expliqué qu’elles ont été obligées de remplacer un Etat failli pour pouvoir vivre et envoyer leurs enfants à l’école (souvent il n’y avait plus d’école et il fallait en organiser une soi même…). Dès qu’elles ont compris la faille du micro-crédit officiel, elles l’ont remplacé par des crédit autogérés sans intérêts dans lequel ce sont elles-mêmes qui déterminent les modalités du paiement. L’association de femmes est aussi un recours financier et psychologique en cas de coup dur, maladie, suicide, veuvage, décès… Des accidents de la vie face auxquelles en Europe nous devons souvent faire face seuls.

Au cours de leur réunion auxquelles j’ai assisté, les coopératrices organisaient un Forum des groupements de toute la région. J’ai pu voir, qu’étant organisées en structures légales afin de défendre leurs droits à vivre et à développer leur activité, elles élargissent leur influence politique en s’intéressant à tous les aspects de la vie des habitants de leur quartier. Ainsi, elles ont repéré dans leurs quartiers des lingères migrantes venues d’autres pays africains. Les coopératrices sénégalaises approchent ces femmes individuellement afin de les inciter à imposer un prix unique par pièce de vêtements lavés. Dans la réunion, il a aussi été question des lycéennes travaillant comme bonnes au moment des vacances scolaires, des talibés, des enfants souvent orphelins vivant de la charité et que les femmes coopératrices soutiennent afin de les amener petit à petit à consulter un centre de santé et se faire aider par des assistantes sociales. La force de ces associations économiques de femmes était déjà visible par leur participation massive à la manifestation d’ouverture du FSM de Dakar en février 2011, prélude à tous les changements politiques qui secouèrent le Sénégal par la suite et qui se poursuivent jusqu’à aujourd’hui dans toute l’Afrique de l’Ouest. La capacité d’organisation des femmes en structures économiques, sociales et politiques couplée à la reconnaissance de la nécessité de parité en politique m’a convaincu depuis 2011 que cette parité ne sera pas figurative comme elle peut l’être en Europe, simple loi ne changeant rien à la place réelle de la masse des femmes dans la société, mais qu’elle pourra devenir le levier d’un véritable pouvoir féminin dans le pays. Les femmes du groupement de Malia ont conclut que le Forum Social Mondial a effectivement eu un effet dynamisant pour leur structures en leur donnant de l’espoir et une certaine reconnaissance.Comme l’exprime Tenning Faye, la vétérane de l’association des femmes de Malika : « L’Union fait la force ! Il faut intégrer tout le monde, jeunes et âgées ensemble » !

 

Je me suis souvent posée la question pourquoi en Europe de l’Est il est si difficile de nous organiser de façon semblable. Je parle de nous, travailleurs « informels », migrants légaux ou « ‘au noir » dans les pays occidentaux, ou les travailleurs semi-formels dans nos pays où il n’existe parfois plus de contrats de travail. Mes interlocutrices sénégalaises ont pris le temps de réfléchir à ma question. Elles m’ont répondu qu’elles travaillaient quotidiennement ensemble, dans la rue ou dans les maisons en tant que domestiques, qu’elles n’étaient jamais seules mais vivaient en groupe. Le travail commun et l’absence d’esprit de concurrence facilitent ainsi l’entente et l’auto-organisation, une forte solidarité entre femmes sénégalaises partageant une même culture. L’individualisme de la culture européenne, que nous cultivons sous le vocable de « liberté », s’avère ainsi être un frein important à notre émancipation. De plus, les Européennes de l’Est n’ont jamais pu bénéficier du soutien de structures occidentales pour nous aider à « renforcer nos capacités » (selon le vocabulaire ONGiste consacré…). Les vendeurs de rue et des marchés informels de Pologne, de Hongrie ou de Bulgarie, les domestiques et les maçons au noir, les travailleurs détachés en Occident n’ont pas été soutenus dans leur auto-organisation par des associations ou des syndicats occidentaux qui auraient pu pourtant rémunérer un coordinateur les aidant à organiser la structure juridique, mettant à disposition un ordinateur, internet, un lieu de rencontre et ses compétences pour coordonner la naissance d’une structure de travailleurs pauvres. Nous sommes restés seuls et inorganisés.

Les 6 à 7 millions d’habitants de Dakar s’affairent autour de nous dans la banlieue de Malika. Plus je plonge dans la ville, ses boutiques, ses commerce ambulants, ses artisans, ses transports en commun, ce chaos apparent s’avère parfaitement organisé. Aux structures toujours faibles de l’Etat suppléent les citoyens dans leur admirable « autogestion ». Mais l’Etat est cependant plus présent qu’il ne l’était en 2011. De grands travaux du projet Dakar 2020 ont été lancés. Le but est de restructurer toute la ville en déplaçant entreprises et administrations de la presqu’île historique du Plateau et de les reconstruire dans une banlieue excentrée. La rocade le long de la mer est en passe d’être achevée. Un train reliant centre et banlieue est en projet. Dans le centre, le Musée des Civilisation africaines est presque terminé. Sur le campus de l’Université Cheikh Anta Diop où nous avons passé les jours inoubliables du Forum de 2011, de nouvelles cités universitaires voient le jour. Elles sont construites par une entreprises publique chinoise. L’immense nouveau stade arbore une banderole en chinois et en français visible de tous les côtés : « Cadeau du peuple chinois au peuple sénégalais ». Certes, je ne peux que me réjouir que les longues luttes étudiantes aient enfin abouti à une amélioration des conditions de vie des jeunes. Mais je fais part à mes amis de mon doute sur la restructuration d’un centre ville historique qui, déplacé ailleurs, risque non seulement de ressembler à un quartier d’affaire genre Levallois-Perret, mais qui sera aussi tellement éloigné que les pauvres auront du mal à s’organiser pour manifester devant les bâtiments présidentiels… Car les luttes de rue, pour être efficaces, ont besoin de l’espace urbain, d’une vie collective dans un lieu déterminé et de bâtiments publics facilement accessibles et identifiables. Le succès du mouvement tunisien en 2011 tient aussi au fait que la vie sociale et politique se déroule dans ce pays dans le milieu urbain restreint d’un centre ville ancien largement pourvu en cafés et lieux de rencontres bon marchés et facilement accessibles.

Le risque de gentrification est toujours grand dans ce type d’opération. Le marché dit « malien » à côté de la gare où les femmes vendaient karité, condiments et tissus a déjà été déplacé. Est-ce que les pauvres ne vont pas encore une fois être chassés des lieux où pourtant la présence du pouvoir et des touristes attirent une clientèle pour les produits locaux ?

De plus, le projet d’un tel remodelage urbain suppose des investissements énormes dont la provenance ne semble pas très transparente. Dans le domaine de la culture, outre les entreprises chinoises, de puissantes fondations américaines sont aussi bien présentes. En témoigne le parcours d’un jeune que nous avions soutenu en tant qu’étudiant « non orienté », donc privé de place à l’Université. En février 2011, il arpentait avec son groupe les couloirs de l’université pleines de militants altermondialistes. Ces jeunes manifestants réclamaient de l’aide pour la lutte pour leur droit à l’éducation. Nous n’aurions pas pu décemment mener des débats sur le droit à l’éducation et abandonner à leur sort les jeunes Sénégalais dont nous occupions l’Université ! J’avais mené avec le Comité pour l’abolition de la dette du Tiers-monde (CADTM) des entretiens avec Madicke et sa collègue Sema, nous avons médiatisé leurs luttes et ils ont pu s’exprimer à l’Assemblée plénière de la fin du Forum. Et voilà qu’il s’avère que Madicke, par la « magie » de Facebook, n’a jamais perdu ma trace ! Nous nous revoyons et je suis fière de voir que le garçon de 19 ans si décidé est devenu … un jeune chercheur en archéologie sous-marine ! Il mène un important projet de recherche sur les bateaux négriers immergés au large de Gorée. Il est brillant et dynamique et il explique qu’un nouveau centre de recherche va ouvrir sous peu, financé par des fondations afro-américaines et sud-africaines tandis que sa bourse doctorale, refusée par la France, a été prise en charge par l’Allemagne.

De retour à Malika, je rencontre les non moins brillants étudiants en Philosophie et Sciences politiques qui gèrent le centre UNESCO, un centre culturel des jeunes du quartiers. Le centre dispose d’une esplanade et d’un petit centre de santé. Mais les jeunes souhaitent construire une salle de réunion qui pourrait devenir une vraie salle de fêtes et une salle de lecture pour la petite bibliothèque qui ne peut être ouverte faute de fonds pour engager un bibliothécaire. Les jeunes diplômés sont précaires, dépourvus de salaires et de bourses. Ici les fondations américaines ne se bousculent pas et les jeunes, farouchement souverainistes, préfèreraient ne pas dépendre de l’argent d’un Etat bien connu pour son impérialisme. Mais comment les aider alors qu’en Europe les citoyens s’appauvrissent rapidement et que la politique austéritaire que l’Allemagne impose partout chez nous a déjà raboté les petits budgets municipaux de solidarité internationale de type « coopération décentralisée » aptes à financer ce genre de projets ? Je visite l’Ecole associative de Saine Baptiste de Malika, au coeur du quartier. Même pendant les vacances les enfants du quartier bénéficient de soutien scolaire de remise à niveau. Elle est soutenue par des parrainages individuels suite à un patient travail de mise en relation entre Europe et Afrique menée pendant des années par Thérèse et Adama Soumaré, militants et véritables piliers de la vie sociale et politique de leur quartier. Sans eux, ce quartier ne seraient pas ce qu’il est : un lieu de vie qui prend forme et qui acquiert un pouvoir politique que les élites néolibérales ne peuvent plus ignorer.Je quitte à regrets les amis du Sénégal avec ces interrogations qui sont autant de viatiques pour mes actions politiques.

 

Le Mali des luttes pour un Etat socialiste paysan

J’étais contente d’arriver à Bamako avec mon bus. C’est une cité posée sur des collines autour du mythique et majestueux fleuve Niger que j’ai tellement voulu découvrir. J’ai aimé les larges rues bordées d’arbres, les maisons-concessions en banco, les boutiques d’artisanats et les stands de produits alimentaires dans le quartier de Djelibougou où j’étais hébergée chez des camarades. J’ai noté la dense circulation automobile, les mobylettes, les vélos et les petits bus urbains. Accueillie par les amis du le CAD - Coalition des Alternatives africaines Dette et Développement, j’ai pu grâce à eux rencontrer des associations de femmes et des organisations politiques anti-capitalistes radicales dont les actions et les luttes m’ont redonné espoir en l’avenir.

La CAD est à elle seule un monde de lutte. Née en 1998, ce réseau structuré de 30 organisations a toujours été un solide pilier du CADTM Afrique sous la houlette de son leader, le regretté Sekou Diarra décédé en 2014. La CAD regroupe des organisations paysannes, des tradithérapeutes, des coopératives de femmes et forme ainsi un mouvement majeur de lutte contre la mise sous tutelle du pays par le système dette du FMI et de la Banque mondiale, contre l’accaparement des terres et contre l’exploitation des plus pauvres par le micro-crédit. Le Forum des Peuples qu’elle organise chaque année est un des plus vaste espace de liberté d’expression des revendications de la société civile malienne et au delà dans toute l’Afrique occidentale. C’est une véritable Assemblée de Démocratie directe, « un marché des peuples ».

Le SADI – Solidarité pour une Afrique démocratique et indépendante

Mais si la CAD constitue un « peuple organisé en associations », le parti SADI - Solidarité pour une Afrique démocratique et indépendante – m’est apparu comme le fer de lance politique de ce peuple, avec Oumar Marikou, le brillant dirigeant de cette formation. Il m’a reçue avec amabilité et m’a raconté les luttes intenses du mouvement étudiant qui renversa finalement le dictateur ultralibéral Moussa Traoré en 1991. Mais la dissolution de l’URSS et le triomphe de l’Occident capitaliste délégitimait alors les organisations anticapitalistes dans le monde entier et consacrait une « ONG-isation » des sociétés soumises à la mondialisation néolibérale avec son cortège de privatisations, de coupes budgétaires et de mise en concurrence tous azimuts sur un marché planétaire. Les puissants mouvements de gauche n’ont pu aboutir qu’à une « démocratie » libérale chancelante qui se décomposa avec la crise économique de 2008 et politique de 2012 à laquelle fit suite l’intervention militaire française face à l’avancée « djihadiste » opportunément surgie du désert après la destruction de la Libye par la France et les Etats-Unis. Héritage de ces lutte des années 1990, le réseau des radios associatives Kayira - « Amitiés » - assure au parti SADI une importante audience locale et une popularité électorale qui l’amène à compter 281 conseillers municipaux, 15 maires et 5 parlementaires. Oumar Mariko lui même gagna la troisième place en terme de voix aux élections présidentielles de 2014. La base sociale du Parti est constituée de paysans cultivant eux-mêmes leur sol et devant assurer la vente de leur production dans un système ultralibéral ou l’oligarchie préfère favoriser les importations de produits étrangers et ne met en place aucune politique de soutien à la production et à la consommation de produits locaux. L’oligarchie ne cherche pas la valorisation des produits locaux, il n’y a pas de prix d’achat garantissant un revenu au producteur, pas de groupement d’achats coopératifs permettant aux paysans d’écouler leur production à un prix garanti, pas d’investissements dans l’outil de production, dans la formation, dans les innovations. Au contraire, la primauté est donnée à la vente ou à la location de milliers d’hectares de terres à des transnationales étrangères afin qu’elles cultivent des plantes industrielles pour le marché étranger (canne à sucre, coton OGM, plantes à agrocarburant), possiblement transgéniques, tout en spoliant au possible les paysans des terres.

En écoutant cela, je me rappelais mes grand-parents et tout ce que le système mis en place par les communistes nous avait apporté dans une Pologne où les paysans résistant à la collectivisation avaient réussi à conserver la petite propriété paysanne. Je me rappelais que l’Etat rachetait toute la production agricole tout en l’orientant vers les denrées les plus déficitaires. Je me rappelle les investissements faits dans les coopératives permettant d’avoir accès aux intrants et aux machines ainsi que les petites usines de transformation locales produisant des confitures, des surgelés, des conserves, où nous vendions notre production de fruits et légumes ramassés à la main par toute la famille en été.

Bien sur, la Pologne avait aussi ses grandes fermes d’Etat organisées en partie sur les terres des anciens aristocrates allemands dont les biens ont été nationalisés comme réparations de guerre. Ces terres produisaient le blé, les légumes et la viande nécessaires aux villes car la petite propriété paysanne n’était pas capable de nourrir entièrement un pays en pleine expansion industrielle et démographique. Il y avait certes des ratés, par exemple l’élevage à viande toujours insuffisant au regard d’une population dont le niveau de vie augmentait et le mode de consommation évoluait. Mais l’Etat donnait toute sa place dans la société aux enfants des paysans en construisant des écoles secondaires, des lycées agricoles et techniques, et en leur permettant d’accéder gratuitement aux études supérieures. Les paysans exigeaient que l’Etat fournisse les services publics digne d’un Etat moderne, l’eau assainie dans les maisons, l’électricité jusque dans les coin les plus reculés, les routes, les transports en commun, le téléphone, les centre de santé, les bibliothèque de villages, les salles de fêtes et de cinéma…1Au Mali, comme me l’expliquent les militants du SADI chaque commune doit se débrouiller seule avec les financements ONGisés pour leur infrastructures, la vente des produits dans des marchés urbains aux prix fluctuants et concurrentiels, la concurrence des produits importés, et même avec la construction d’écoles.

Il est clair pour le SADI qu’un pays ne peut être développé par des financements d’ONG, surtout étrangères car elles ont leurs propres intérêts, mais seulement par un Etat au service de tous les citoyens. L’urgence est palpable car l’impatience du peuple s’exaspère devant un Etat inexistant alors que le 21e siècle avance et il est désormais non seulement inconcevable de vivre sans électricité, sans centre de santé et sans écoles mais également sans accès à internet. La « politique ONG » touche à sa fin et les profiteurs du système ne savent plus quoi faire pour empêcher les populations de mettre au pouvoir des organisations politiques portant haut des ambitions de planification et de renationalisation. La deuxième base sociale du SADI est constituée de jeunes chômeurs et précaires diplômés révoltés d’être les laissés pour compte d’une société où aucun emploi qualifié n’est accessible sans appui ni piston. Aux révoltés de Tunisie, du Maroc et d’Egypte répondent ceux du Sénégal, du Burkina Faso, du Mali, du Togo… et ceux des Balkans et de Grèce, car la mise à l’écart, l’impuissance politique des jeunes va de pair avec leur marginalisation économique. Le SADI est donc un parti de jeunes qui se développe de façon dynamique dans de nombreuses régions. Très populaire suite à sa dénonciation de l’impérialisme français depuis 2013, le leader du SADI était bien placé pour arriver en second aux élections présidentielles de juillet prochain. Potentiellement il pouvait donc… gagner. Et c’est là que les problèmes allaient commencer2..

La WILDAF - Women in Law and Developpement in Africa

La réunion avec la WILDAF - Women in Law and Developpement in Africa organisation pan-africaine, m’a appris à comprendre le lien entre la marginalisation politique des femmes et la spoliation économique de tout un pays par des oligarchiescompradoreslocales et par les impérialistes étrangers.

La WILDAF a comme objectif la protection et la promotion des intérêts des femmes sur tout le continent. Quatre grands projets m’ont été présentés par Madame Dicko Boye Diallo et les trois cheffes de projets. Le premier concernait l’implication des femmes du Nord du Mali dans les « cercles de paix » accompagnant la négociation de l’accord de paix et de réconciliation avec le Nord du pays. Sans femmes, pas de paix, et le dialogue entre les femmes du Nord et du Sud devait être un levier de la réconciliation nationale. Je savais par la Marche mondiale des Femmes que lorsque les femmes sont les premières promotrices de la réconciliation, la paix a plus de chance de s’installer. Il en a été ainsi à Chypre ou au Kosovo (où les femmes ne laisseront plus les hommes faire la guerre comme me l’ont rappelé les femmes du Kosovo Women’s Center et Farhije Hoti, responsable de la coopérative agricole à Rahovec dans le sud du Kosovo). Mais la discussion avec Madame Diallo me rappelait douloureusement qu’il faudrait également ainsi agir pour mettre fin à la guerre civile en Ukraine en impliquant les femmes de l’ouest de l’Ukraine et du Donbass dans les négociations… Pourquoi ne pas prendre modèle sur nos consoeurs maliennes ? Madame Diallo le comprenait d’autant plus que, comme nombre d’intellectuels maliens de ma génération, elle avait fait ses études en… Ukraine soviétique, à Kharkov, ville ayant souffert du putsch et de la guerre de 2014. De façon surprenante, j’ai rencontré d’autres militants maliens qui avaient vécu et passé une jeunesse insouciante en URSS. Je l’ai exhortée à ne pas nous laisser seule et à nous aider à sortir de la guerre en Europe.

Le deuxième projet de la WILDAF est un projet de loi contre les violences basées sur le genre. La loi était prête mais n’a pas été votée, les militantes s’activant pour renforcer les femmes en tant que candidates aux élections, notamment en tant que maire, chef de village, mais aussi conseillères régionales et parlementaires. La nouvelle loi visait à éradiquer l’excision, la répudiation, le mariage précoce mais, comme d’habitude dans les questions de droits des femmes, sans argent de l’Etat, sans formations des structures sociales à ces questions, sans refuge pour les femmes victimes de violence, il est impossible de mettre en oeuvre une telle loi, dans le Sud comme dans le Nord.

La WILDAF a aussi mené une importante étude sur les droits des femmes à la terre et la jeune cheffe de projet me raconta bouleversée comment 90% des usagères de la terre agricole sont des femmes qui font vivre leur famille avec leur production vivrière, mais elles ne sont qu’un infime pourcentage à en être propriétaires. Certes, au Mali, la terre est propriété d’Etat gérée soit par le droit coutumier qui veut que les chefs du village attribuent des parcelles aux habitants, ou par les municipalités qui jouent le même rôle. Mais, malgré une loi déjà obtenue et censée attribuer 15% de la terre au femmes et eux jeunes, il est plus fréquent que les chefs coutumiers accordent les terres les plus fertiles aux hommes pour des cultures de rente et aux femmes des parcelles petites, difficiles d’accès et moins rentables. Fréquemment, ces responsables succombent à l’argent versé par des transnationales qui mettent ainsi la main sur des dizaines de milliers d’hectares de terre pour les cultures d’exportation sans que les paysans et paysannes ne soient aucunement indemnisés. Depuis dix ans, cette spoliation massive est au centre des luttes sociales au Mali et la sécurisation du foncier constitue une des premières revendications de la Convergence globale des luttes pout la Terre et pour l’Eau en Afrique de l’Ouest.

En écoutant Mlle Geneva Haby me raconter les luttes des femmes, je pensais fortement à les dé-collectivisation sauvage de nos campagnes d’Europe orientale, qui a laissé les ouvrières agricoles sans revenus et les a poussées à la misère de l’exode et de l’émigration. Cette dé-collectivisation a été une re-privatisation sous forme de re-féodalisation, les terres ayant été transférées dans les mains de la nouvelles oligarchie qui les a vendues aux multinationales occidentales. Aujourd’hui, en Hongrie, en Bulgarie, Roumanie et en Pologne, les multinationales cultivent sur des centaines de milliers d’hectares du tournesol et du colza, du maïs parfois OGM pour la production d’agrocarburants de l’UE, tandis que la production agricole paysanne est sous-payée et la fabrication artisanale vendue sur les marchés locaux ne génère qu’un revenu de survie aux familles.

Pour la WILDAF, changer la politique vis-à-vis des femmes implique de les former afin qu’elles puissent contrôler les finances publiques et exiger ainsi que les dépenses aillent à la scolarisation des filles, aux centres de santé, aux politiques induisant des changements de comportement pour éradiquer la mentalité machiste méprisant les femmes, leur travail et leur rôle social. Je ne pouvais que souscrire à ce projet, pensant à la marginalisation politique de mes consoeurs dans les campagnes et les petites villes d’Europe orientale malgré une instruction encore présente, héritage de l’égalitarisme de nos régimes communistes.

La visite à la Maison du Karité à Siby m’a permis d’avoir une idée de la production domestique des femmes et de leur mode d’organisation en coopératives.

La coopérative Maison du Karité à Siby

La route de Bamako à Siby en direction de la Guinée était de toute beauté. La verdure des champs et des arbres, la petite rivière, les falaises et les cascades… Un air frais et bon alors même que le temps s’annonçait à la pluie. Dans les rizières et les plantations de maïs, j’ai enfin vu les arbres de karité que les amis me désignèrent. Ils poussaient en groupe ou solitaires parmi les manguiers lourds de fruits oranges que les vendeuses proposaient le long de la route. « Klęska urodzaju » comme on disait dans le village polonais de mon grand père, « une calamité de prospérité » pour signifier le malheur d’une trop abondante récolte qui ramène le prix des fruits à presque rien, à ce que les ramasser et les vendre coûte plus que cela ne rapporte, faute de possibilité productive pour les amener auprès du consommateur urbain en camion ou de les transformer, congeler ou sécher. Les richesses de mangues ne rapportaient que quelque centaines de Francs CFA aux vendeuses de long des routes.

Le Karité quand à lui ressemblait à un grand fikus avec des feuilles persistantes oblongues et ouvragées. La Maison du Karité est une coopérative d’une certaine taille : plusieurs maisons en dur disposées autour d’une belle cour arborée, le long de la route dans Siby. Les productrices étaient en réunion dans la cour avec le maire de la commune au moment où notre groupe est arrivé. Mais elles ont bien voulu répondre à mes questions et notamment m’expliquer la technique de production du beurre de karité.

Les fruits du karité sont mûrs au mois de juin. Les femmes les ramassent en forêt sous les arbres sauvages ou avec l’autorisation des propriétaires sur les parcelles privées. Elles ramènent les fruits chez elles et les trient pour enlever les fruits trop mûrs donnant aussi un beurre de médiocre qualité. Les fruits du karité sont sucrés et comestible et lorsqu’il y en a trop ou qu’ils sont trop gâtés, on les donne même aux bestiaux. Pour rentabiliser l’opération, les femmes de Siby pensent à faire de la confiture de karité et certaines coopératives le font déjà, comme la coopérative Koostama que j’ai rencontrée plus tard au Burkina Faso. La première opération consiste donc à extraire les noyaux qui ressemblent à des noyaux d’avocats. Elle consiste à faire bouillir les fruits dans une marmite, de nouveau à les trier et puis à sécher les noyaux ainsi extraits.

La suite des opérations alterne cuisson des noyaux et séchage avant de passer au broyage des noix décortiquées. Au cours de l’entretien, j’ai compris qu’il y va du karité en Afrique comme du vin en Europe : il y a différents terroirs selon le sol et l’arrosage, différents types de fruits et de noyaux. Les femmes expérimentent diverses techniques de production afin de trouver un bon équilibre entre la qualité et la rentabilité de la production.

La première méthode décrite consiste à bouillir pendant quatre heures les noix à une température à 100 degrés. Cette méthode est meilleure car la cuisson assèche les noix graduellement mais elle est plus couteuse. La deuxième consiste à faire bouillir l’eau à 100 degrés et mettre les noix dans l’eau. Par la suite, il est impératif de casser une noix pour vérifier si elle est à point. Si un liquide ressemblant à du lait s’en échappe, elle n’est pas encore prête et il faut reprendre la cuisson. Les noix cuites doivent par la suite être étalées sur un tissu propre et séchées au soleil pendant un mois. La période de séchage coïncidant avec la période d’hivernage et des pluies, il faut s’assurer en permanence de mettre les noix à l’abri de l’humidité. Il est donc nécessaire de disposer d’un certain espace.

Les noix de karité sèches se conservent dans des sacs en toile. Les productrices ne transforment pas tout d’un coup, elles prélèvent du stock au fur et à mesure, pour passer à la phase du broyage. Je m’aperçus ainsi que la fabrication du beurre de karité est peut être moins complexe que celle de l’huile d’argan (où il est encore nécessaire de s’assurer du concours de chèvres mangeuses de fruits…) mais certainement moins simple que celle de l’huile d’olive où le fruit noir et mûr de décembre laisse presque tout seul dégorger son jus – l’huile. A l’étape du broyage, l’écorce des noix est enlevée et une fève de la taille d’une bille apparait. Cette fève doit être parfaitement sèche et là encore les productrices procèdent à un tri sévère garant de qualité.

Le broyage traditionnel consiste en un concassage grossier avec une pierre puis un meulage au mortier comme pour le mil. Je me suis essayée à la technique du concassage avec Madame Salamata Ilboudo, productrice de beurre de karité à Saaba près de Ouagadougou, au Burkina Faso. Cela ne m’a pas semblé si difficile car la fève séchée se casse facilement. Mais on parle ici d’heures et d’heures de travail afin de moudre des dizaines de kilos, puisque les femmes vont vendre leur production et en vivre. Madame Ilboudo déplorait que les jeunes filles refusent de faire ce travail et que l’art de la production traditionnelle de karité risque ainsi de se perdre.

A Siby, à la Maison du Karité, la coopérative a pu investir dans des machines à moudre ce qui leur permet de produire plus de quantités même si ces machines électriques restent de modestes dimensions artisanales. On approche alors de la phase finale. La poudre de fève de karité à ce stade est de couleur marron clair, de consistance légèrement huileuse au toucher et a l’odeur vague de cacao. Elle va devenir une pâte par rajout d’un peu d’eau. Dans la technique manuelle on rajoute de l’eau tout en continuant à piler. Dans la technique mécanisée, on met la pâte dans la machine à malaxer. L’étape de production finale se passe dans la « baignoire avec eau » dans laquelle la pâte de karité est malaxée à froid jusqu’à ce que le mélange soit complètement blanc. Dès qu’une mousse blanche se forme à la surface, elle est récoltée et mise dans des marmites ou un tissu propre. Le beurre peut par la suite être légèrement chauffé et se solidifie après refroidissement. En général le beurre de karité fond très vite dès 25 degrés et se solidifie sous 20 degrés sans perdre aucune de ses qualités.

Justement, ses qualités sont innombrables et bien connues en Afrique, bien moins connues en Europe. D’abord, l’extraordinaire propriété hydratante qui fait que la sensation de gras sur la peau au début du traitement cède la place à une sensation de grand bien-être et de douceur. Les autres propriétés liés à la qualité hydratante et à la présence de vitamines est la protection du chaud et du froid. Je n’utilise plus de biafine depuis que j’ai découvert que le karité a la vertu de cicatriser notre peau blanche quand elle est brûlée par le soleil du sud. Dans les pays à gel comme les pays de l’Est, le karité protège le visage et les mains de gerçures bien mieux que n’importe quelle crème norvégienne, tout en étant un produit cent pour cent biologique sans aucun ajout chimique d’aucune sorte. J’ai également constaté la propriété du karité de guérir des veines gonflées ou bleuies des jambes suite à la station debout ou un travail fatiguant. Même les petites blessures se cicatrisent plus vite avec le beurre de karité… Les utilisatrices africaines m’ont confirmé que le karité servait à protéger les petits enfants du soleil et du vent pour toute la journée. Les femmes l’appliquent également sur les cheveux, pour les protéger du vent et retrouver l’élasticité du cheveu. Pour mes cheveux raides européens, le beurre de karité est presque trop riche et les laisse un peu trop huilés.

La Maison du Karité stocke son beurre dans de grands contenants avant de le commercialiser dans des boites en plastique avec une jolie étiquette de 1 kilo, 250 g. ou 125g. Les femmes produisent aussi des pommades avec karité, cire d’abeilles et parfums naturel de fleurs ainsi que toute une gamme de savons au miel, à l’huile de neem, à l’argile, au concombre, henné, carotte ou noix de coco. Grâce au concours de Max Haavelar, la coopérative dont le bureau de direction est composée uniquement de femmes productrices possède les attestations de qualité FLO-CERT qui lui permettent d’exporter en Europe dans le circuit commerce équitable.

Seule ombre au tableau, la mise en zone « Orange » par l’ambassade de France de toute la zone du Sud Mali sur le site internet de l’ambassade a quasiment arrêté tout tourisme dans cette région pourtant éloignée de 400 km des problèmes politiques du Nord. Tous nos interlocuteurs se sont plaint de ce fait comme d’une sorte de sabotage économique, la vente aux visiteurs constituant une part importante du revenu des femmes de la coopératives.

Coalition des Alternatives africaines Dette et Développement - CAD

Le lendemain j’assiste à une réunion du Conseil d’Administration de la CAD. Car ces coopératives et organisations n’ont de poids politique que regroupées au sein de coordinations qui elles-mêmes se regroupent en confédération. La CAD se définit depuis 2001 comme un mouvement politique malien visant à faire annuler la dette odieuse du Mali et à changer toutes les politiques néolibérales menant à l’endettement du peuple et de l’Etat. Changer les politiques veut dire aider les populations à s’organiser pour définir et défendre leurs intérêts, organiser des possibilités d’expression et ainsi construire une démocratie réelle où les populations les plus opprimées, femmes, jeunes, paysans, travailleurs de l’informel puissent avoir enfin leur mot à dire sur la la politique qui les concernent.

La CAD participe au mouvement mondial pour la justice sociale, d’où sa contribution très forte au processus des Forum sociaux mondiaux, via surtout le CADTM dont elle abrite le siège du réseau Afrique. Son axe de lutte premier est l’abolition de la dette, le fait de cesser unilatéralement de payer la dette publique définie par le CADTM comme non seulement la dette souveraine de l’Etat mais aussi l’ensemble de l’endettement des caisses sociales et des structures publiques et parapubliques ainsi que la dette des particuliers vis à vis des banques. Concrètement, pour se faire, la CAD participe à des manifestations nationales et internationales sur le sujet, fournit des expertises sur la situation malienne et participe à des séminaires de formations éclairant les politiques des institutions financières internationales. Le front des luttes est large : combattre les injustices sociales, c’est remettre en cause les plans d’ajustement structurels du paiement de la dette en mettant en lumière leur conséquences. En 30 ans, ces politiques ont détruit la scolarité, la santé et mené au chômage massif et au développement du secteur informe précaire.

Le deuxième axe de travail de la CAD est la lutte pour la souveraineté alimentaire et le développement et la consolidation de l’agriculture paysanne. C’est un axe stratégique auquel sont consacrées les ressources des soutiens financiers d’ONG occidentales, Oxfam et SOS Faim. La lutte se développe à travers la dénonciation de l’accaparement des terres par l’agro-business occidental avec la complicité des politiciens locaux et les pressions des institutions financières internationales et autres « bailleurs de fonds ». La dénonciation « technique » via des expertises réalisées par l’association n’est pas suffisante. Il faut aussi soutenir les actions des mouvements contre les dépossessions et autres « déguerpissements » en apportant aux paysans les arguments politiques et techniques nécessaires aux négociations avec les autorités. Les programmes de la CAD soutiennent les luttes pour la sécurisation juridique des petites parcelles paysannes mais réfléchissent aussi sur la consolidation d’un droit coutumier collectif traditionnel distinct de la propriété privée issus de la colonisation. La question est comment définir quel droit sera le plus à même de protéger les petits paysans, et surtout les paysannes, dans un monde globalisé géré par le droit de propriété défini par l’Occident capitaliste et faire pression sur les gouvernements pour que ce type de droit soit prépondérant dans la législation nationale. C’est ainsi que la CAD est le pilier de la Convergence globale des Luttes pour la Terre et l’Eau d’Afrique de l’Ouest.

Cette brûlante question de la « re-féodalisation » des terres arables se pose partout dans les pays périphériques exploités par les transnationales occidentales. Il apparait que la propriété paysanne tout comme la collectivisation n’ont hélas été qu’une courte parenthèse du 20ème siècle en Europe orientale, étroitement liée à l’existence de l’Union soviétique. En effet, les meilleures terres d’Europe orientale n’ont historiquement jamais appartenu aux paysans qui les cultivent. La terre était depuis 500 ans aux mains d’une aristocratie féodale qui a mis les paysans au servage afin d’exporter le blé pour les cités de l’Occident capitaliste en plein essor pré-industriel puis industriel. Ainsi, toutes les luttes progressistes au 19e siècle étaient tendues vers l’objectif de réforme agraire et de redistribution des terres. Les mouvements progressistes paysans ont quasiment tous, sauf en Bulgarie et dans les pays baltes, échoué à atteindre cet objectif avant 1939. Il a donc appartenu à l’Armée Rouge en 1945 de faire procéder à cette justice historique de nationalisation des terres des féodaux et de leur distribution aux paysans. Cependant, comme cette mesure fut immédiatement suivie d’une politique de collectivisation plutôt forcée que voulue, sauf en Pologne où elle fut un échec, l’Etat a reprit aux yeux de beaucoup de ruraux la place des féodaux, en plus progressiste toutefois. Comme on le voit désormais, la re-privatisation n’a nullement été une redistribution des terres aux paysans travaillant sur les fermes d’Etat comme ouvriers et techniciens agricoles mais tout simplement une nouvelle spoliation.

Cependant, si la petite propriété paysanne familiale a résisté sous le socialisme réel en Pologne, en Roumanie et en Yougoslavie à la collectivisation, elle a ensuite succombé au capitalisme néolibéral avec le transfert des fermes privées aux oligarques et aux transnationales qui se sont consolidées à la faveur la Politique agricole commune (PACS) de l’UE3.

La question des terres collectivisées dans les pays de l’Est fait désormais partie de leur patrimoine historique : les prairies des pâturages le long des fleuves sont toujours gérées communalement, les terres en jachère qui « ne sont à personne » sont nombreuses, et c’est dans ces interstices que des populations comme les Rroms peuvent planter leur cabanes, faire paitre leurs bêtes et vivre d’une économie de commerce informel, de ramassage de déchets, de petite production artisanale ainsi que de diverses petits services. Les diseuses de bonnes aventures, les musiciens, les fameux artisans tsiganes producteurs de ferblanterie ou de vanneries font partie du paysage historique traditionnel des sociétés l’Est et des Balkans, aujourd’hui de plus en plus précarisé et menacé. Dans la modernité bureaucratique de l’Europe néolibérale, ces pratiques sociales et économiques sont totalement incompréhensibles pour les classes aisées occidentales qui détiennent le pouvoir politique sur tout le continent. Comment dès lors défendre les Rroms et leur mode de vie sans les marginaliser et les communautariser mais en l’intégrant dans une économie dynamique ? Les manifestants roumains avaient en 2012 répondu à la question en invitant les Rroms les plus pauvres à se joindre aux cortèges de protestations sous le slogan « Nous sommes tous des Rroms et nous sommes tous des Roumains », en réponse aux éructations racistes de Nicolas Sarkozy. Les anarchistes bulgares font du soutien politique aux Rroms bulgares menacés d’expulsion des terrains qu’ils occupent un axe de lutte politique. Il resterait à soutenir la création de syndicat autonome dans les régions les plus pauvres d’Europe où les Rroms sont les travailleurs les plus exploités – dans la Vallée des Roses de Kazanlakh en Bulgarie, les pétales de roses qui donneront naissance au précieux élixir sont ramassées à la main par des femmes rroms payées en dessous de 100 euros, alors que l’essence de rose est acheminée pour trois fois rien aux grandes parfumeries occidentales telles que Guerlain, sans que même la mention « Made in Bulgaria » ne soit apposée sur le produit. Il faut dire que les terres rosières de cette région historique ont été les premières à être accaparées par desholdingoccidentaux et des oligarques mafieux.

Le corollaire de la destruction de l’agriculture paysanne est l’émigration vers les grandes métropoles occidentales. Ici, également l’Afrique et l’Europe orientale présentent des similitudes inquiétantes. Aux marches à travers le désert et aux traversées inhumaines de la Méditerranée correspondent les centaines de milliers de travailleurs détachés de l’Est acheminés en bus vers les usines, les champs et les chantiers de l’Ouest pour y être sous-payés, exploités puis renvoyés. Des pratiques d’esclavage ont été dénoncées par la CGT-Intérim en France, IG Bau en Allemagne, l’Association polonaise des Travailleurs migrants, l’Inspection du Travail Eka à Athènes déjà dans les années 2007-2013. Quelques grèves très dures ont permis dénoncer le scandale de ces pratiques. Mais rien n’a fondamentalement changé. Les travailleurs de l’Est et du Sud se retrouvent mis en concurrence pour les mêmes emplois et par les même patrons qui se servent d’eux pour ne pas payer les cotisations sociales et les salaires minimums de travailleurs occidentaux ainsi maintenus au chômage. La majorité des migrants, au Sud comme à l’Est, sont des fils et filles de la campagne et des petites villes, enfants de paysans, d’ouvriers, de techniciens ou d’artisans d’entreprises publiques ou coopératives disparues dans l’ouverture à la concurrence et les privatisations. Dans ce domaine aussi la convergence des luttes nous permettraient de gagner en visibilité car le sujet des migrations est trop souvent abordé sous un angle humanitaire, et parfois même misérabiliste. La CAD lutte pour une analyse politique des causes des migrations - et donc pour le renforcement des droits des migrants en tant que citoyens et travailleurs. Il ne s’agit par d’empêcher administrativement les jeunes de partir, mais de rendre la construction de leur vie dans leur pays attrayante afin que ses forces vives y restent et y donnent toute leur énergie et capacité.

C’est pour cela que la CAD et le SADI, le mouvement paysan et le Mouvement des Sans Voix exigent en priorité la justice sociale qui doit être matérialisée par la construction de services publics gratuits et accessibles à tous : centres de santé, écoles et universités publiques et gratuites (les jeunes militants ne m’ont que trop pointé que les meilleurs lycées du pays étaient privés), adductions d’eau, réseau d’électricité et d’internet, droits des travailleurs et travailleuses du secteur informel… Le retour à la construction d’un pays pour tous les citoyen/es débuté au Mali sous Modibo Keita4 et stoppé par l’ONG-isation des décennies néolibérales n’est pas un combat pour un futur irréel mais c’est une exigence impérieuse d’un peuple à bout de patience. La crise climatique entrainant désertification et migrations forcées vers les villes et vers l’étranger, la CAD a toujours expliqué le liens entre protection de l’équilibre environnemental et soutien à l’agriculture paysanne. C’est ainsi que le mouvement social s’oppose aux Partenariats Publics-Privés dans la gestion des terres de l’Office Public du Niger et au bradage et à la destruction des forêts. La Coalition exige une gestion publique des ressources naturelles au profit des habitants locaux. Dans la ligne de mire, l’orpaillage traditionnel et industriel qui est une source de richesse du pays alors que les terres arables sont bradées à des concessions étrangères et que l’extraction est effectuée sans considération pour la biodiversité, l’équilibre environnemental et le travail des paysans. Le soutien aux organisations de travailleurs et surtout de travailleuses de l’orpaillage traditionnel fait également partie des objectifs de la Coalition, de même que le soutien au développement du commerce équitable afin de rémunérer correctement le travail des paysans et des artisans.

Un des instrument important de lutte est l’espace démocratique de débat et de décisions des organisations populaires « Le Forum des Peuples » tenu une fois par an dans une petite ville du pays et rassemblant des milliers de personnes et des centaines d’associations. Le Forum n’est pas seulement un lieu de transmission du savoir politique et de discussion sur les sujets internationaux tels que la dette, les interventions militaires, politiques ou économiques occidentales suite à la déstabilisation de la Libye par l’Occident impérialiste, la spéculation sur les matières premières agricoles et son impact sur la vie des paysans. C’est aussi un espace d’expression où le peuple rassemblé en agora structure son analyse politique. La CAD mène des études de terrain sur les problèmes locaux, élabore des expertises qui servent à la pression exercée sur le gouvernement, la Banque mondiale et autres « bailleurs de fonds » internationaux. Elle organise « le Vestibule d’écoute et d’assistance juridique » qui permet aux populations les plus défavorisées de se renseigner sur leur droit et de s’aider à s’auto-organiser.

Quelle leçon pour l’Europe de l’Est ?

Finalement, il est paradoxal que la lutte pour la « dé-ONGisation » de l’Etat passe nécessairement par la création d’ONG citoyennes puissantes et structurées aidant les populations à prendre en charge les tâches que l’Etat bourgeois n’assume pas… Mais à ce stade il n’est peut être pas possible de faire autrement, comme le montre le désastreux exemple de nos pays de l’Est où aucune auto-organisation n’existe vraiment. Les syndicats sont réduits à l’état de vestiges, les structures sociales sont privatisées ou servent à la coercition sociale. Les ONG payées par les fondations étrangères constituent un paravent donnant des emplois à une mince couche d’employés de classe moyenne souvent d’ailleurs de la même nationalité que les fondations bailleurs de fonds5. En 25 ans, nombreux furent les Allemands débarquant en Pologne apprendre aux Polonais « la gestion démocratique », tandis que d’autres Occidentaux arrivaient en Bulgarie ou en Roumanie pour « soutenir l’inclusion des Rroms » avec un argent dont les Rroms ne voyaient que de loin la couleur. Organiser un vrai syndicat dans les pays de l’Est se solde par une lourde répression, licenciement, mise sur liste noire, comme l’ont démontré de nombreux exemples en Pologne. Créer une association qui pose des sujets tabous se heurte à des obstacles bureaucratiques dès le bureau des juges qui sont censés l’autoriser. Il est interdit de « faire l’apologie du totalitarisme », c’est-à-dire du communisme et du socialisme, ce que démontre la longue lutte du petit Parti communiste de Pologne (KPP) contre son interdiction par les juges et qui dure de 1999 à nos jours, avec aujourd’hui un procès et menaces d’emprisonnement pour deux de ses dirigeants6. Même des structures social-démocrates modérées mais souhaitant le retour d’un Etat laïque et indépendant se sont heurtées aux volontés des puissances occidentales visant à les faire interdire. En 2002, au sein de la Commission commune de l’Etat et de l’Episcopat en Pologne, le Vatican a exigé du gouvernement d’interdire le parti « Raison » - Racja – représentant une tendance de gauche en Pologne car ce parti prônait la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ce parti n’a finalement pas été interdit mais il a été démantelé suite à l’infiltration de ses instances par des néolibéraux. Par la suite, ces néolibéraux l’ont dissous en rejoignant la coalition de Janusz Palikot, un libéral anticlérical qui obtint en 2011 10% des voix au Parlement polonais, puis, une fois le job de démantèlement fait, ce parti s’est évanoui dans la nature.

La population d’Europe orientale est atomisée, les citoyens font face à une solitude effrayante et ne vivent aucunement leur vie selon le modèle occidental théorique de liberté individualiste. Dans ces circonstances, il est quasiment impossible de reconstruire des structures associatives, sociales et politiques sans l’aide et le soutien d’amis extérieurs ayant de l’expérience et des ressources. Les organisations africaines me paraissent à cet égardd’autant plus admirables et la démocratie africaine, notamment malienne, incarnée par des structures comme la CAD, le SADI et le Mouvement des Sans Voix constituent un exemple de grande vitalité. Un exemple dont nous devrions nous inspirer à l’Est.

Historienne, militante du Parti communiste de Pologne et de plusieurs associations de solidarité internationale.

Notes :

1Voir sur le sujet Monika Karbowska, De la Pologne populaire à l’hiver capitaliste – Textes d’histoire et d’espoir, Delga, 2018, 229 p.

2NDLR. Les fraudes selon tous les observateurs ont été massives au point où le candidat du SADI connu pour sa popularité a officiellement atteint un peu plus de 2 % des voix. Mais ces fraudes là ne provoquent pas l’émoi des « grandes démocraties » occidentales. En revanche, au Mali, un campagne de masse s’est levée qui englobe du coup même les milieux libéraux locaux.

3NDLR. Le bilan des expériences historiques du socialisme réel et de la contre-révolution qui a suivi permet de constater que la collectivisation des terres sous une forme coopérative est le seul moyen permettant d’éviter à terme la privatisation des terres au seul profit des plus gros propriétaires, anciens féodaux, nouveaux bourgeois ou transnationales capitalistes, mais, simultanément, il prouve qu’on ne peut accélérer par des mesures administratives et répressives les processus économiques inéluctables et qu’il faut donc laisser aux petits propriétaires le temps de constater que le règne de la petite propriété est en finale sans issue dans les économies modernes, et que, sur les grands espaces agricoles produisant pour les villes, il n’y a que deux possibilités, soit des grandes propriétés foncières avec un salariat exploité soit des grandes coopératives agricoles insérées dans une politique de planification démocratisée.

4NDLR. Epoque où le Mali avait choisi la voie socialiste de développement et qui fut brutalement interrompue par un coup d’état militaire organisé dans le cadre des réseaux néo-coloniaux de la Françafrique.

5NDLR. Voir l’article de Monika Karbowska sur les fondations allemandes, n°116 de notre revue.

6NDLR. Ou l’internement à titre préventif depuis un an du militant souverainiste polonais Mateusz Piskorski aujourd’hui accusé finalement d’être un espion russe et chinois pour avoir simplement analysé l’hypothèse d’une intégration eurasiatique de la Pologne pour contrer les effets de son intégration à l’OTAN et à l’UE. Question qu’il est visiblement impossible de poser dans la Pologne cléricalo-otano-européiste d’aujourd’hui.

 
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