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  • : Philo-socio-anthropo-histoire. Revue en ligne éditée par une partie de l'ancienne rédaction de "La Pensée" exclue en 2004, élargie à d’autres collaborateurs et consacrée au renouvellement de la pensée critique de la globalisation, du politique, de l’économique, du social et du culturel.
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  • Cette revue de Philo-socio-anthropo-histoire est éditée par une équipe de militants-chercheurs. Elle est ouverte à tout auteur développant une pensée critique sur la crise de civilisation du système capitaliste occidental.
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17 novembre 2023 5 17 /11 /novembre /2023 16:50

Nous livrons à nos lecteurs ici une suite d’interventions qui ont été faites lors d’une récente rencontre internationale qui s’est tenue en Afghanistan et qui nous apporte des informations sur ce qui se passe en ce moment dans ce pays. Elles divergent avec ce que nous communiquent (ou ne nous communiquent pas) les gros médias occidentaux et méritent à ce titre d’être examinées quoiqu’on puisse penser du système au pouvoir dans les vallées de l’Hindou Kouch. Avant de vous livrer ces interventions, nous vous présentons un court rappel des événements qui se sont succédé dans ce pays depuis plus de quarante ans et que beaucoup de ceux qui prononcent des opinions catégoriques sur le régime au pouvoir aujourd’hui à Kaboul ont tendance à oublier.

Le lecteur doit donc se rappeler tout d’abord que l’Afghanistan a connu en 1978 un coup d’état qui a amené au pouvoir les communistes du Parti démocratique populaire d’Afghanistan. Ce parti était divisé en plusieurs factions révolutionnaires représentant des lignes et des intérêts divergents dans une société marquée encore par de grandes différences entre milieux urbains et campagnes reculées, comme entre couches populaires rurales, couches populaires urbaines et milieux intellectuels. Ce qui explique pourquoi les réformes sociales ou en matière de traitement de la religion islamique introduites successivement par les différentes factions au sein du nouveau gouvernement n’ont pas toujours correspondu aux intérêts ou aux sensibilités des populations locales. Ce que les Etats-Unis ont su exploiter en implantant dans le pays et le long de la frontière pakistanaise une série de bases secrètes de la CIA qui allaient entraîner des militants contre-révolutionnaires souvent soutenus et formés par les monarchies absolutistes arabes. Et c’est pour contrer ces groupes armés et éliminer en même temps les factions communistes qui déplaisaient à Moscou qu’un groupe étroit de dirigeants soviétiques imposa au Kremlin le coup de force de décembre 1979 qui permit d’envoyer l’armée soviétique dans le pays. Cette irruption de troupes étrangères allait entraîner le pays dans une longue guerre opposant l’URSS, l’armée afghane et les différentes factions de supplétifs de la CIA et des monarchies arabes. Pour beaucoup d’Afghans peu au courant du fait que l’intervention des Etats-Unis avait précédé celle de l’Union soviétique, c’est cette dernière qui faisait figure d’envahisseur, ce qui contribua à leur faire apparaître la lutte des « moudjahidines afghans » comme une lutte de libération nationale.

C’est finalement la formation d’un nouveau gouvernement communiste, sous l’égide de Najibullah qui allait stabiliser un temps le pouvoir de Kaboul, y compris après le départ des troupes soviétiques. Et ce n’est donc qu’en 1992, suite à la rupture des approvisionnements et des relations commerciales de l’Afghanistan avec la Russie, après une décision du gouvernement Eltsine, que le gouvernement afghan se retrouva aux abois, alors qu’un de ses chefs militaires, le général Dostom, se rebellait contre lui pour se rapprocher de différentes factions de la rébellion pro-occidentale. Le gouvernement Najibullah s’effondra alors et le pays entra dans une guerre civile prolongée entre les différentes factions qui prirent Kaboul et qui avaient été formées au départ sous l’égide des Etats-Unis et de leurs alliés. Washington se désintéressa dès lors du sort du pays détruit qui sombra dans la misère et dans les guerres. Une partie des anciens rebelles antisoviétiques se sentirent alors trahis par l’Occident, ce qui procura des recrues au réseau désormais mondialisé d’« Al Qaïda ».

C’est alors qu’une partie des anciens élèves en religion formés dans les écoles religieuses au Pakistan dans le cadre de la lutte antisoviétique, les talibans, décidèrent de se rebeller contre tous les chefs de factions qui s’entredéchiraient et de prendre entre 1994 et 1996 le contrôle du pays pour y restaurer l’ordre, éliminer la corruption et le commerce de la drogue. Ils parvinrent vite au pouvoir avec l’appui d’une partie importante de la population opposée aux seigneurs de la guerre, ce qui leur permit d’instituer un gouvernement et un régime politique théocratique particulièrement dur s’appuyant sur la loi coutumière pachtoune, la « pushtunwali », combinée avec une interprétation rigoriste de la loi islamique.

En 2000-2001, l’Afghanistan des talibans refusa les conditions mises par Washington pour la construction d’un gazoduc devant relier l’Asie centrale à l’Océan indien, ce qui, outre des bénéfices pour leurs entreprises, aurait permis aux Etats-Unis d’étendre leur influence sur l’Asie centrale post-soviétique et futur nœud des communications du projet chinois « une ceinture, une route ». C’est dans ce contexte que les attentats du 11 septembre 2001 à New York ont servi de prétexte à l’invasion puis à l’occupation du pays par les Etats-Unis et l’OTAN. Une nouvelle guerre allait se dérouler entre les occupants et les talibans qui entrèrent dans la clandestinité et menèrent avec succès ce qu’ils considéraient comme une guerre de libération nationale. Celle-ci se termina par la déroute des occupants et l’instauration d’un nouveau pouvoir taliban sur le pays réunifié, et cela malgré la présence de groupes armés d’ ISIS (« Daech ») transportés dans le pays à partir de certains pays arabes, avec sans doute l’aval de certaines puissances occidentales au moment de leur défaite.

L’Afghanistan actuel est un pays gouverné par une sorte de « double pouvoir ». D’un côté les anciens dirigeants de la guérilla basés à Kandahar et d’un autre le gouvernement à Kaboul. Les premiers, comme partout en Asie, jouissent du respect dû aux anciens, d’autant plus que c’est eux qui ont animé ce qu’on considère comme la lutte de libération nationale. Ils ont donc la prééminence formelle sur le gouvernement. D’un autre côté, les gestionnaires plus jeunes, plus modernes et sans doute plus compétents dans leurs domaines, sont prêts à des réformes sociales et de mœurs qui devraient venir avec le temps. En Asie et dans l’aire musulmane, il faut savoir qu’on ne compte pas le temps comme on le fait en Occident, la patience est une vertu cardinale, et les autorités de Kaboul savent donc que le temps travaille pour elles mais qu’on n’a pas le droit d’accélérer la marche de l’histoire en engageant un conflit de générations et de compétences qui briserait la légitimité d’un régime acquise de longue guerre et qui remettrait peut-être en cause la paix si chèrement acquise.

La Rédaction

 

 

Afghanistan : Cap sur une

reconstruction heureuse

-

Novembre 2023

 

Karel Vereycken*

 

 

« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. » – Mark Twain.

 

 

L’Afghanistan, un pays de la taille de la France peuplé de plus de 39 millions d’habitants a été ravagé par 40 ans de guerre soviétique et américaine. Or, la « communauté internationale » en a fait un pays paria, hors la loi. Estimant que l’arrivée au pouvoir des talibans le 15 août 2021 constituait un « coup d’état terroriste », Washington a jugé bon de confisquer 9,5 milliards de dollars des avoirs de la Banque centrale afghane à l’étranger et de suspendre, du jour au lendemain, toute aide extérieure (qui représentait jusqu’à 60 % du budget afghan), à un moment où le pays doit affronter la pire crise alimentaire, sanitaire et sécuritaire de son histoire, résultant des guerres d’occupation et non du nouveau régime.

 

Je reviens de Kaboul avec 1 000 idées et autant d’anecdotes. J’ai eu le plaisir d’y intervenir début novembre à un événement hors normes. Préparée depuis un an et financée exclusivement par des citoyens afghans de la diaspora à l’étranger, une belle conférence dans un grand hôtel à Kaboul a réuni trois jours de suite plus de six cent personnes, dont une bonne centaine de femmes, afin de dessiner les contours d’un nouveau départ pour le pays. Toute la première journée a été transmise en direct par la télévision nationale qui l’a repassée plusieurs fois les jours suivants, suscitant des milliers de commentaires et de likes sur les réseaux sociaux.

 

A la tribune des plénières, plusieurs ministres adjoints (dont celui des Affaires étrangères), secrétaires d’État et haut responsables de tous les ministères clés (Mines, énergie, eau, agriculture, éducation, finance, culture, etc.) ont montré un gouvernement décidé à s’affranchir des manœuvres géopolitiques à l’origine des conflits dans la région. En proclamant un pardon des offenses et une amnistie pour ceux ayant collaboré avec l’ancien régime, l’esprit était totalement « westphalien ». Tout Afghan et tout étranger de bonne volonté qui vient, en rangeant ses armes au vestiaire (guns down), est le bienvenu pour aider à la reconstruction, y compris les 1,3 millions d’Afghans que le Pakistan (avec une population de 230 millions) a décidé de lui renvoyer ! Les Afghans ont un cœur en or et savent accueillir l’étranger avec leur plus beau visage.

 

Pour tous, l’heure n’est plus à faire la guerre « par procuration » au service des autres (Londres, Moscou ou Washington). Fini l’époque où des ministres imposés par Washington possédaient 64 appartements dans la capitale alors que le peuple croupissait dans la saleté et la misère. « Un parlement, source permanent de corruption ? Non merci, on veut de l’eau ! »

 

L’Afghanistan a décidé d’éradiquer le mot « donateur » des esprits. Dans des conditions franchement cauchemardesques, il se prend en main, se retrousse les manches et construit, à la force du poignée et avec les moyens du bord, les infrastructures de base dont le pays a grand besoin. Les projets et les solutions sont connus. Carrefour historique sur les Routes de la soie depuis la nuit des temps, l’Afghanistan, en se connectant à initiative chinoise « Une ceinture, une route » et aux BRICS retrouvera la place qu’il mérite.

 

La question des femmes

Huit tables rondes thématiques (eau, agriculture, transport, héritage culturel /voir plus loin/, travail, éducation, santé et finance) ont été animées en présence d'experts étrangers venus des États-Unis, d’Allemagne, de Chine et de France, de responsables locaux et de représentants de la société civile.

 

Réellement historique, le fait que pour la première fois depuis la prise de Kaboul il y a deux ans, des responsables talibans et des mouvements de femmes, ont accepté de se parler dans une même enceinte, estimant que dans un élan général de reconstruction, le sectarisme cédera bien plus vite qu’on ne le pense. La bonne volonté, l’optimisme et le sourire étaient sur tous les visages, chacun sachant qu’il s’agissait d’un moment historique. Alors que 300 personnes s’étaient inscrites aux groupes de travail, 350 sont venues ! Avec 120 personnes dans l’assistance (dont 60 femmes), c’est le groupe de travail sur l’éducation qui a attiré les plus de monde. Ces femmes, qui occupent déjà 70 % des emplois dans le pays, réclament de l’eau, de l’électricité, un revenu et une formation professionnelle permettant cette émancipation dont tout le monde parle en Occident.

 

Le canal de la concorde

Et ça marche ! En août, Kaboul a fièrement annoncé l’achèvement des 108 km de la première phase du canal Qosh Tepa (aussi long que notre canal Seine Nord, le plus grand projet européen dans ce domaine) qui permettra l’irrigation de quelque 500 000 hectares supplémentaires des terres les plus fertiles au nord du pays. Jusqu’ici largement déficitaire en céréales, l’Afghanistan projette de devenir exportateur dans les années à venir !

 

Le projet du canal a suscité un véritable engouement national. Plus de 7 000 chauffeurs de camions de tout le pays se sont précipités sur le chantier pour y travailler jour et nuit sans se reposer un instant, achevant le chantier bien avant les délais. Le projet, qui va surtout permettre aux paysans d’origine tadjik et turkmène de reprendre une activité productive, met en pièce le « narratif » qui présente les Pachtounes (qui représentent 57 % de la population totale et non 37 % comme l’affirme wikipedia) comme une « minorité ethnique » n’agissant que pour son propre intérêt. Pour Le Figaro, il s’agit du « Canal de la discorde » car l’eau « détournée » par l’Afghanistan, n’irait plus remplir la mer d’Aral et priverait ses voisins (Ouzbékistan, Turkménistan) d’eau précieuse. En réalité, l’Afghanistan, de concert avec les pays voisins, travaille à rendre plus efficace (et donc moins consommatrice d’eau) les techniques d’irrigation permettant un partage plus équitable de la ressource.

 

Cette conférence est une belle leçon pour nous en Europe qui cédons si facilement au renoncement et finissent par préférer l’impuissance à la joie d’agir pour le bien commun.

 

*-*-*-*

Les Etats-Unis ont protégé les seigneurs de la guerre et la production du pavot mais les talibans ont publié récemment un décret ordonnant l’éradication du pavot d’opium et la production d'opium a été réduite de plus de 90 % ! C’est un résultat considérable, non seulement pour l'Afghanistan, mais aussi pour le reste du monde. En effet, près de 100 % de l'héroïne consommée en Europe est d’origine afghane. L'Europe compte plus d'un million d'héroïnomanes. Le reste du monde doit être reconnaissant aux talibans pour ce qu'ils ont fait.

Si vous mettez ensemble le grand succès remporté contre le terrorisme et contre les stupéfiants, le nouvel Afghanistan peut être présenté au monde d'une manière très positive.

*-*-*-*

Invité par le Centre de recherche et de développement Ibn-e-Sina, Karel Vereycken est intervenu le 7 novembre à la conférence sur la reconstruction du pays. Son propos introductif, dont voici un résumé, devant un groupe de travail composé d’historiens, d’archéologues et de membres de l’Académie des sciences d’Afghanistan, a donné lieu à un long après-midi d’échanges sur le rôle de l’art, la méthodologie scientifique et les combats à mener pour sortir l’Afghanistan de son isolement et préserver son héritage culturel qui est certes afghan mais appartient à toute l’humanité.

 

L'Afghanistan est un pays fascinant. Sa réputation de « tombeau des empires » a capté mon imagination. Récemment, le pays s’est émancipé de l’occupation américaine et de l'OTAN. Une poignée de combattants déterminés a mis en déroute un immense empire déjà en train de s’autodétruire et, il y a vingt ans, le pays avait chassé l’occupant russe. Avant cela, au XIXe siècle, il avait déjà résisté à l'Empire britannique au cours des trois guerres anglo-afghanes (1839, 1878 et 1919), lorsque Londres, engagé dans le « grand jeu » tentait d’empêcher que la Russie puisse accéder aux mers chaudes. Cette capacité de résistance et ce sens de dignité découlent, j’en suis convaincu, du fait que votre pays a su assimiler les diverses influences qui s’y sont rencontrées. Voilà ce qui est devenu au fil des siècles le socle d’une forte identité afghane, totalement à l’opposé de l’étiquette tribale que les colonisateurs cherchent à vous coller.

 

J’aborderai aujourd’hui uniquement l’influence grecque. Elle a été majeure dès le moment où Alexandre le Grand a traversé le Hindou Kouch en 329 avant J.-C. A partir de là, des dizaines de milliers de colons grecs, appelés « les Ioniens », se sont installés en Asie centrale. En 256 av. JC, Diodote Ier Soter fonde en Afghanistan le « Royaume gréco-bactrien », connu comme la « Bactriane », et dont le territoire englobait une grande partie de l'Afghanistan, de l'Ouzbékistan, du Tadjikistan et du Turkménistan actuels, ainsi que certaines parties de l'Iran et du Pakistan.

 

De nombreuses fouilles archéologiques confirment un développement urbain, économique, social et culturel sans précédent. L’historien grec Strabon qualifie alors la Bactriane, extrêmement fertile et prospère, de « Terre des mille cités ». Sa capitale Bactra (aujourd'hui Balkh, à quelques kilomètres à l'est de Mazar-e-Shariff en Afghanistan) figure parmi les villes les plus riches de l'Antiquité. C’est là qu’Alexandre le Grand a épousé Roxana et adopté l’habit perse pour pacifier son Empire. C’est également là où allait naître le père du grand médecin et philosophe Ibn-Sina (Avicenne) avant de se rendre à Boukhara (Ouzbékistan actuel).

 

Au fil du temps, la Bactriane allait être le creuset des cultures et des civilisations où se mélangèrent, sur le plan artistique, architectural et religieux, les traditions grecques et les cultures locales. Le grec y fut la langue de l’administration mais les langues locales y foisonnaient. Rien que les noms des villes démontrent la prédominance de la culture hellénique. Car Ghazni s’appelait « Alexandrie en Opiana », Bagram « Alexandrie au Caucase », Kandahar « Alexandrie Arachosia » et Hérat « Alexandria Ariana », et la liste est longue.

 

Aï Khanoum, la Grecque

Si certaines villes ne firent alors que changer de nom, d’autres furent construite ex nihilo. C’est le cas d’Aï Khanoum, citée érigée au confluent de l’Amou Daria (l’Oxus des Grecs) et la rivière Kokcha. En 1961, le roi d'Afghanistan, voulant alors marquer son indépendance vis-à-vis des Soviétiques et des Américains, invita la France à participer aux fouilles. C’est le Département des archéologues français en Afghanistan (DAFA), qui a mis à jour les vestiges d'un immense palais dans la ville basse, ainsi qu'un grand gymnase, un théâtre pouvant accueillir 6 000 spectateurs, un arsenal et deux sanctuaires. Une stèle y rappelle les maximes grecques : « Dès l'enfance, apprenez les bonnes manières ; dans la jeunesse, maîtrise tes passions ; dans la vieillesse, sois de bon conseil ; dans la mort, n'ayez pas de regrets ». A une jetée d’Aï Khanoum, Shortugai, un avant-poste commercial et minier (étain, or et lapis lazuli) de la fameuse civilisation de l’Indus qui, au 3e millénaire avant notre ère, était à l’avant-garde sur le plan de l’irrigation et de la maîtrise de l’eau. En 144 av. JC, la Bactriane s’effondrait et fit face à l’invasion des nomades. Aï Khanoum fut pillée une première fois en 145 av. JC par les Saka, des tribus iraniennes d'origine scythe, suivis quinze ans plus tard par les nomades chinois Yuezhi.

 

Empire Kouchan

Les Yuezhi se sédentarisèrent et créèrent au début du Ier siècle « l'Empire kouchan » qui englobait une grande partie de ce qui est aujourd'hui l'Ouzbékistan, l'Afghanistan, le Pakistan et l'Inde du Nord. C’est sous le règne Kanishka le Grand (vers 127-150) que cet empire allait devenir célèbre pour ses réalisations militaires, politiques et spirituelles. Kanishka échangea des ambassadeurs avec l'empereur romain Marc Aurèle (161-180) et l'empereur Han de Chine. Il noua des contacts diplomatiques avec la Perse sassanide et le royaume d'Axoum (dans le Yémen, l'Arabie saoudite, l’Erythrée et l’Ethiopie d'aujourd'hui). Pendant 200 ans régna la « Pax Kouchana ». Si la dynastie kouchane reprit la tradition gréco-bactrienne, elle forgea peu à peu sa propre identité. Kaniskha, en 127, remplaça le grec par le bactrien, une langue moyenne iranienne rédigée au moyen de l’alphabet grec. Les Kouchans jouèrent également un rôle majeur dans la transmission du bouddhisme. Venue des rives du Gange, cette religion allait rayonner de l’Afghanistan vers la Chine et même Sri Lanka, favorisant au même temps l'expansion globale des Routes de la soie. Y compris après la chute de l’Empire kouchan à la fin de IIIe siècle, le bouddhisme allait poursuivre son expansion comme en témoignent les bouddhas géants de la Vallée de Bamiyan.

 

Le Musée national de Kaboul abrite des belles pièces, mais une grande partie du riche patrimoine a subit un pillage à une échelle quasi-industrielle. Rappelons que Daech, souvent encouragé en cela par des agences de renseignement étrangères, se finance par la vente d’objets d’art. Tout cela est maintenant derrière nous. Votre pays n’est pas seulement un gisement de métaux nécessaires à la prospérité du monde mais une mine de culture et d’inspiration. Merci.

 

Le 10 novembre à Kaboul, un éminent archéologue afghan nous a confié une excellente nouvelle mettant à mal ce qu’on peut lire chez nous dans la presse dominante. Ayant participé depuis une décennie aux fouilles de Mes Aynak, où un site archéologique en surface complique l’exploitation d’une énorme mine de cuivre, cet expert sait de quoi il parle. Aujourd’hui, suite aux dernières discussions fin octobre ayant été commencées entre les autorités afghanes et la Metallurgical Corp of China (MCC), cet expert est heureux de pouvoir annoncer que le dossier a trouvé enfin une issue favorable.

 

La richesse de son sous-sol fait de Mes Aynak (littéralement « petite mine »), à 35 km au sud de Kaboul, le deuxième plus grand gisement de cuivre du monde. Alors que la Chine et les autres pays du BRICS ont besoin de ce précieux métal pour leur développement industriel, l’exploitation de la mine pourrait fournir une manne conséquente, jusqu’à 300 millions de dollars par an, dont l’Afghanistan, un pays dévasté par 40 ans de guerre et de pillages, a urgemment besoin pour financer sa reconstruction.

 

En 2008, un premier contrat fut signé entre le gouvernement afghan et l’entreprise d’Etat chinoise MCC. Cependant, suite à des incidents de sécurité, le projet a été suspendu. Profitant de l’occasion, les archéologues qui soupçonnaient la richesse archéologique du site, ont pu fouiller le site et ont mis à jour un vaste complexe bouddhiste (IIIe-VIIe siècle) datant de la période kouchane et d’ores et déjà considéré comme un site majeur du bouddhisme à l’échelle mondiale. Le site comporte des monastères, des stupas (temples), des forteresses, des édifices administratifs, des habitations, des sculptures et des fresques. Des milliers d’artefacts ont été trouvés sur place.

 

Il est vrai que le contrat de 2008 n’envisageait de conserver qu’une toute petite partie du site et de transformer le reste en mine à ciel ouvert comme cela se fait au Chili. Or, selon notre interlocuteur qui a assisté fin octobre aux dernières discussions entre les différentes parties impliquées dans le projet, les choses ont radicalement changé : la société chinoise accepte désormais d’exploiter l’ensemble du site, et non pas une petite partie, par des méthodes d’exploitation minière souterraine. Par conséquent, et c’est vraiment une bonne nouvelle, c’est l’ensemble des vestiges historiques en surface qui se trouve désormais préservés de la destruction.

 

Alors qu’en 2001, le monde avait été choqué par le dynamitage des deux bouddhas géants de la vallée de Bamiyan, cet accord heureux marque un véritable tournant. Aussi bien l’Afghanistan que la Chine s’érigent en défenseur du patrimoine culturel de l’humanité tout en continuant, par le biais du développement économique et industriel, à apporter la prospérité à tous.

 

* Directeur de la publication Nouvelle Solidarité

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