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  • : Le blog de la-Pensée-libre
  • : Philo-socio-anthropo-histoire. Revue en ligne éditée par une partie de l'ancienne rédaction de "La Pensée" exclue en 2004, élargie à d’autres collaborateurs et consacrée au renouvellement de la pensée critique de la globalisation, du politique, de l’économique, du social et du culturel.
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  • Cette revue de Philo-socio-anthropo-histoire est éditée par une équipe de militants-chercheurs. Elle est ouverte à tout auteur développant une pensée critique sur la crise de civilisation du système capitaliste occidental.
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13 juillet 2016 3 13 /07 /juillet /2016 20:09

Poursuivant notre publication de textes provenant de milieux religieux ou issus d'une culture religieuse dénonçant la société capitaliste usuraire mondialisée, nous publions ici tout d'abord un document catholique. Le dernier sermon de l'archevêque de San Salvador, Oscar Romero, où il rappelait l'obligation chrétienne de justice et qui résume assez bien l'essence de la vision de ceux qui, au cours des siècles, au sein de l'Église catholique n'ont eu de cesse de rappeler le devoir de justice contre les exactions des païens mais surtout contre les exactions des croisés, des colonisateurs, des oppresseurs, des exploiteurs. Dans le domaine des idées, les théologiens catholiques de la libération ont beaucoup écrit et leurs textes sont connus. C'est pourquoi nous nous sommes limités ici à traduire un texte moins connu qui est avant tout un témoignage du devoir du chrétien de dire la vérité au risque de sa vie, ce qui allait être le cas d'Oscar Romero immédiatement après avoir prononcé ces paroles.

Nous publions ensuite un document récent émis par une Commission du Patriarcat orthodoxe de Moscou. Qui a comme premier intérêt d'abolir l'idée selon laquelle les christianismes occidentaux pourraient parfois être actifs, progressistes, créatifs et intéressés par les questions sociales et politiques alors que les Églises « orientales » seraient réduites à un ritualisme de façade passif ayant pour rôle unique de justifier les pouvoirs changeant de leurs pays. Vision qui a pu correspondre pour une part à une certaine réalité, avant les grandes révolutions de l'ère moderne. Chose qui avait d'ailleurs aussi eu tendance à caractériser les Églises occidentales à d'autres époques et qui caractérise toujours aujourd'hui nombre d'Églises néo-protestantes, intrinsèquement liées à l'impérialisme et qui, grâce à leur richesse et à la domination des médias, imposent directement ou indirectement des concepts et des attitudes qui essaiment jusqu'au sein de toutes les Églises chrétiennes et aussi de toutes les autres religions ainsi que dans de nombreux courants se voulant laïcs. Que l'on pense aux convergences existant aujourd'hui entre les néo-conservateurs et les chrétiens néo-évangélistes néo-protestants, « chrétiens-sionistes », en matière de mondialisme, de capitalisme usuraire et de politiques éducatives.

L'Église orthodoxe russe, comme l'Église catholique pendant la Révolution française ou plus tard l'Église mexicaine, a payé un lourd tribut depuis 1917 pour expier les péchés qu'elle avait commis en soutenant le pouvoir oppresseur des tsars, les politiques d'asservissement et de racisme, et la montée de bourgeois affairistes parvenus ou d'aventuriers comme Raspoutine. Elle n'a néanmoins pas disparu, ce qui infirme les anticipations hâtives faites alors par de nombreux bolcheviks, et ce qui doit pousser à analyser avec un regard nouveau le phénomène de la religion, de la croyance, de la foi et de sa persistance. En prenant aussi en compte le fait que, gardant pendant la période soviétique comme depuis 1991 des relations privilégiées avec le Kremlin et sans doute aussi avec ses « ministères de force », le patriarcat de Moscou a su répercuter des sentiments, des sensibilités, des opinions qu'on rencontre dans ces cercles. Mais il a su aussi garder une capacité à développer une analyse sociale créative. En particulier, cette Église semble consciente de la situation néo-coloniale dominant le monde actuel et de la nécessité de préserver la souveraineté des nations.

On pourra à la lecture du texte publié ici certes considérer que l'Église russe cède sur certains points, comme beaucoup d'autres religieux ont tendance à le faire aujourd'hui, à la facilité d'une analyse qui, tout en étant fondamentalement critique envers l'ordre-désordre mondialisé capitaliste actuel, reste néanmoins marquée par un certain « malthusianisme » semblant exclure la possibilité pour l'être humain de trouver dans la science les moyens permettant d'assurer à l'humanité une pleine abondance. Chose que la mode de l'écologie et de la décroissance a exacerbé en refusant désormais de croire aux possibilités illimitées ouvertes par la science devant permettre de dépasser les goulets d'étranglement sociaux actuels qui provoquent des problèmes environnementaux bien réels. Il n'en reste pas moins que ce texte pose la question plus fondamentale qui doit être formulée et qui dépasse celle de la faisabilité d'une abondance de masse, à savoir la question de la pertinence comme objectif social d'une consommation sans limite. Quels sont les besoins humains légitimes et où commence le superflu voire le nuisible? Qu'a-t-on du point de vue de l'intérêt social collectif le droit de désirer et quand commence la société de la convoitise dénoncée autant par les religieux que par les marxistes ?

Donc, à terme, quelles convergences doivent être envisagées entre « ceux qui croient au ciel et ceux qui n'y croient pas » pour bâtir une société sortant de la dictature de ladite concurrence libre et non faussée ?

La Rédaction

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Christianismes pour l'émancipation (2/3)

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Été 2016


 

« J'exposerai dans un livre quels sont les documents, les indices et les raisons qui m'ont éclairé dans ma tentative de remonter jusqu'au vrai passé, et de rencontrer Jésus - l'homme divinement homme qui a, plus que tout autre, compris, situé, et orienté l'homme (...)Par le présent ouvrage, je remplis cet engagement (…) Il est établi aujourd'hui que les Livres canoniques, et les traditions chrétiennes consacrées non seulement par l'orthodoxie, mais même par l'enseignement officiel, ne méritent historiquement que peu de créance. (...) Si j'ai pris certaines libertés avec la tradition admise, c'est que mes hypothèses me paraissaient, chaque fois, cadrer davantage avec la vraisemblance et s'approcher mieux de la vérité (…) Quelque chose s'élabore, de semblable au pur christianisme, œuvre des opprimés, mais cette fois avec une rigueur unitaire, un sens des réalités, et des exigences intégrales qui en éliminent le germe de mort".

Henri Barbusse, Jésus, Flammarion, Paris, 1927.

 

Dernier Sermon


 

Archevêque de San Salvador Oscar Romero1


 

Que personne ne se sente offensé parce que nous utilisons les paroles de Dieu dans notre messe pour éclairer la situation sociale, politique et économique de notre peuple. Ne pas agir ainsi ne serait pas chrétien. Le Christ désire s'unifier avec l'humanité, pour que la lumière qu'il apporte de Dieu puisse devenir la vie pour les nations et pour les individus.

...Aujourd'hui, nous allons vers notre libération en traversant un désert rempli de cadavres et où l'angoisse et la douleur nous dévastent. Beaucoup éprouvent la tentation comparable à celle que vivaient ceux qui marchaient avec Moïse et qui voulaient revenir en arrière et cesser de marcher ensemble. C'est toujours la même vieille histoire. Dieu cependant veut sauver le peuple en ouvrant la page d'une nouvelle histoire …

L'histoire ne sera pas un échec ; Dieu la soutient. C'est pour cela que je dis que tant que les projets historiques cherchent à refléter le plan divin éternel, ils sont le reflet du Royaume de Dieu...

La grande mission des chrétiens doit être d'absorber l'esprit du Royaume de Dieu, et avec leurs âmes remplies du Royaume de Dieu de travailler sur les projets historiques. C'est une bonne chose que de s'organiser en associations populaires, c'est bien de créer des partis politiques, c'est bien de participer au gouvernement. C'est bien aussi longtemps que vous êtes des chrétiens qui portent le reflet du Royaume de Dieu et qui essaient de l'établir là où vous travaillez, aussi longtemps que vous n'êtes pas utilisés par des ambitions terrestres. Voilà le grand devoir de êtres humains d'aujourd'hui. (...)

Je voudrais lancer tout spécialement un appel aux membres de l’armée, et concrètement aux hommes de troupe de la Garde nationale, de la police et des casernes. Frères, vous êtes du même peuple que nous, vous tuez vos frères paysans. Devant l’ordre de tuer donné par un homme, c’est la loi de Dieu qui doit prévaloir, la loi qui dit : « Tu ne tueras point ». Un soldat n’est pas obligé d’obéir à un ordre qui va contre la loi de Dieu. Une loi immorale, personne ne doit la respecter. Il est temps de revenir à votre conscience, et d’obéir à votre conscience plutôt qu’à l’ordre du péché.

L’Église, qui défend les droits de Dieu, la loi de Dieu, la dignité humaine, la personne, l’Église ne peut se taire devant tant d’abomination. Nous voulons que le gouvernement prenne au sérieux le fait que les réformes ne servent à rien si elles sont tachées de tant de sang. Au nom de Dieu, au nom du peuple souffrant dont les lamentations montent jusqu’au ciel et sont chaque jour plus fortes, je vous en prie, je vous en supplie, je vous l’ordonne au nom de Dieu : arrêtez la répression !

L'Église prêche la libération comme nous l'avons appris aujourd'hui dans la sainte Bible. C'est une libération qui a, par-dessus tout, le respect de la dignité de la personne, l'espoir du bien-être commun de l'humanité et la transcendance qui regarde avant tout vers Dieu et qui ne prend son espoir et sa force que de Dieu.


 

Le lendemain, lundi 24 mars 1980, vers 18h30, alors qu’il venait de terminer l’homélie pour une messe d’enterrement, Mgr Romero était assassiné par des commandos « d'escadrons de la mort » appartenant aux forces d'extrême droite liées au pouvoir soutenu par les Etats-Unis qui dirigeaient alors une guerre d'intervention en Amérique centrale supervisée par l'ambassade des Etats-Unis au Honduras, bientôt dirigée John Negroponte, le futur ambassadeur en Irak après l'occupation de ce pays en 2003.

 

 

L'économie dans le contexte de la mondialisation

 

Le point de vue éthique orthodoxe2

 

(…) La mondialisation - l'implication des peuples de la terre et des États dans un seul processus économique, culturel, politique et d'information unifié - est devenue la principale caractéristique de la nouvelle ère dans laquelle nous vivons. Les gens se sentent interdépendants plus clairement que jamais, à cause des nouvelles capacités de communication générées par une technologie de plus en plus poussée et influant de façon variable sur la pensée.


Comme résultat des tendances séculières et matérialistes, de la pression des sociétés modernes, c'est par le biais de l'économique, qui constitue la force motrice la plus importante, que la mondialisation a commencé à s'exercer. Surmonter les frontières et former un espace commun d'activité humaine a comme cause principale la recherche de nouvelles ressources, l'expansion des marchés, l'optimisation de la division internationale du travail. Par conséquent, la compréhension des opportunités et des menaces que la mondialisation apporte au monde est impossible à faire sans comprendre les motifs placés à l'origine de son développement économique.


La conscience chrétienne ne peut rester indifférente à des phénomènes d'une telle ampleur que la mondialisation, qui entraîne une refonte radicale de la société. L'Église, en tant qu'organisme à la fois divin et humain appartenant simultanément à l'éternité et à la modernité, est obligée de développer sa propre attitude envers les changements qui apparaissent et qui affectent la vie de chaque chrétien et le sort de l'humanité toute entière.


Dans le texte qui a été adopté « Concept social de base de l'Église orthodoxe russe », les activités économiques sont considérées comme étant des actions de « collaboration avec Dieu » ayant comme but de « réaliser son dessein pour le monde et pour l'homme », et c'est en agissant ainsi que les activités économiques deviennent justifiées et bénies. Il y est rappelé que « la séduction devant les bienfaits de la civilisation sépare les gens de leur Créateur », et que « dans l'histoire de l'humanité cela s'est toujours terminé tragiquement. » Cela signifie que le noyau de l'économie ne doit pas avoir pour but de viser à la multiplication des tentations mais à la transformation du monde et de l'homme par le biais du travail et de la créativité.


Dans le « Message des Primats des Églises orthodoxes » du 12 octobre 2008, il a été souligné que les chrétiens orthodoxes partagent la responsabilité de la venue des crises économiques et des troubles, s'ils ont « témérairement toléré l'abus de liberté... ». Parce qu'il est de notre devoir d'adapter toutes les activités économiques aux catégories immuables de la morale, en aidant à sauver du péché et à empêcher la chute de l'humanité.


L'espoir des chrétiens a été l'unité de tous dans la vérité, la conscience d'être tous frères et sœurs, et de parvenir à la paix qui nous a donné le droit d'hériter de la Terre. La consolidation de l'humanité sur la base des commandements moraux de Dieu est pleinement compatible avec la mission chrétienne. L'incarnation que constitue la mondialisation offre une occasion d'entraide fraternelle, du libre échange des réalisations créatives et des connaissances, de coexistence respectueuse des différentes langues et cultures, sur la base de la nature commune des économies – chose raisonnable et pieuse.


L'essence même de la mondialisation est de surmonter la division entre les peuples, de surmonter les inégalités dues aux processus économiques, d'utiliser prudemment les richesses terrestres et d'assurer une coopération internationale équitable. Mais dans la vie moderne, la mondialisation élimine non seulement les obstacles à la communication et à la connaissance de la vérité, mais elle supprime également les obstacles à la propagation du péché et du vice. La convergence des habitants d'une région s'accompagne de leur distanciation spirituelle d'avec l'autre et d'avec Dieu, elle entraine une aggravation de l'inégalité des revenus, une concurrence accrue, une augmentation de l'incompréhension mutuelle. Le processus conçu pour intégrer conduit en fait à une plus grande division.


Le phénomène socio-psychologique le plus important qui accompagne la mondialisation est devenu le culte généralisé de la consommation. A cause de la communication moderne, ce phénomène propage un modèle de niveau de vie trop éloigné et présenté comme un point de référence social pour toute la communauté alors qu'il n'est réservé seulement qu'à un cercle restreint de personnes appartenant à l'élite et qu'il est inaccessible pour la grande majorité. L'hédonisme s'est transformé en une sorte de religion civile qui détermine le comportement des gens, excuse l'immoralité et oblige à consacrer toute sa force mentale et son temps précieux dans une course visant à consommer. Le principal critère de réussite sociale, la principale mesure de la valeur devient la quantité de biens matériels consommables. La consommation semble devenue le seul but de la vie, éliminant le soucis pour le salut de l'âme, et même pour le sort des générations futures, en stricte conformité avec les apostats de l'Ancien Testament qui criaient: « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons ».


Par ailleurs, la croissance continue de la demande des consommateurs se trouve confrontée à la limite des capacités naturelles de la terre. Pour la première fois de son histoire, l'humanité est confrontée aux limites atteintes d'une terre finie. Les pionniers ne pourront plus trouver de nouvelles terres avec des espaces vierges sur la planète et des étendues inhabitées pour y mener une colonisation pacifique. Les dimensions limitées de la planète ne répondent pas aux appétits illimités de la société hédoniste. D'où les contradictions économiques qui se trouvent au noeud même de la mondialisation.


Les tentatives visant à contourner les limites, à omettre Dieu, à appliquer en règle générale le péché, à pratiquer le côté endommagé de la nature humaine, non seulement nuit à la condition spirituelle de nos contemporains, mais créé des problèmes économiques aigus. L'Église appelle à évaluer ces problèmes mondiaux et celui de l'injustice à travers les catégories de la morale et du péché, et à chercher à les résoudre conformément à la conscience chrétienne.

 

1. Malgré l'effondrement apparent du système colonial dans le monde, les nations les plus riches du monde dans la poursuite des horizons toujours fuyants de la consommation continuent à s'enrichir au détriment du reste du monde. Il est impossible d'accepter la division internationale du travail existante dans laquelle certains pays sont des fournisseurs de valeurs absolues, en particulier du travail humain ou des matières premières non renouvelables, tandis que d'autres sont fournisseurs de valeurs conditionnelles sous la forme de ressources financières. Dans ce cas, l'argent perçu pour se procurer des ressources naturelles non renouvelables est souvent acquis, au sens propre, « en l'air », en raison du travail médiatique – à cause de la position de monopole occupée par les émetteurs de la monnaie mondiale. En conséquence, l'abîme de statut socio-économique existant entre les nations et entre des continents entiers est de plus en plus profond. Cette mondialisation à sens unique, donnant des avantages indus à certains de ses participants au détriment des autres, implique une perte de souveraineté partielle et, dans certains cas, complète.


Si l'humanité a besoin de monnaies librement échangées dans le monde entier devant servir d'étalon universel pour les calculs économiques, sa création devrait s'effectuer sous un contrôle international équitable, auquel tous les États du monde devraient proportionnellement participer. Les bénéfices possibles de ces émissions pourraient être alors canalisés vers le développement des régions pauvres de la planète.


2. la modernité économique manifeste son injustice non seulement en augmentant l'écart entre les États et les peuples, mais aussi par une stratification sociale croissante au sein de chaque État. Si, dans les premières décennies ayant suivi la Seconde Guerre mondiale, la différence de niveau de vie entre les riches et les pauvres, au moins dans les pays développés a diminué, les statistiques montrent maintenant que nous avons affaire à une tendance inverse. Les caractéristiques fondamentales de ce monde sont marquées par la fascination pour la course des consommateurs qui aboutit à négliger de plus en plus le faible - tant en termes de protection sociale envers les enfants et les personnes âgées, qu'à l'égard d'une rémunération décente pour les travailleurs. L'augmentation de la stratification sociale favorise la multiplication des péchés provoqués par la convoitise de l'autre, celle de la chair, poussée à l'extrême, aboutissant à l'envie et à la colère.


Dans le contexte de la mondialisation qui a considérablement renforcé l'élite transnationale désormais en mesure de se soustraire à sa mission sociale, notamment par le transfert de fonds à l'étranger dans des paradis fiscaux, dans le but d'exercer une pression politique sur le gouvernement, et de ne pas obéir aux exigences du peuple. Nous voyons que les gouvernements nationaux sont de plus en plus en train de perdre leur souveraineté, devenant moins dépendants de la volonté de leur propre peuple, et de plus en plus de la volonté d'une élite transnationale. Ces élites ne se sont pas constituées dans un espace juridique défini, elles ne sont donc responsables ni devant le peuple ni devant les gouvernements nationaux, et deviennent un organisme réglementant dans l'ombre les processus sociaux et économiques. Des dirigeants de l'ombre remplis de convoitise dirigent l'économie mondiale, ce qui conduit à ce qu'une mince couche d'« élite » devienne toujours plus riche en même temps qu'elle est de plus en plus soulagée de sa responsabilité pour le bien-être de ceux dont le travail a créé la richesse.


L'Église orthodoxe russe suit la vérité qui a été formulée dans le message émis par les primats des Églises orthodoxes du 12 octobre 2008: « La seule économie viable est celle qui combine l'efficacité de la justice et de la solidarité sociale. » Dans une société morale, l'écart entre riches et pauvres ne devrait pas augmenter. Les forts n'ont pas le droit moral d'utiliser leurs positions privilégiées au détriment des faibles, mais au contraire - ils sont tenus de prendre soin de ceux qui sont dépossédés. Les gens qui sont des employés devraient recevoir une rémunération décente. Parce qu'ils partagent avec les employeurs le fait d'être impliqués dans la création des biens publics, le niveau de vie de l'employeur ne peut pas croître plus vite que celui des travailleurs. Si ces principes moraux simples et raisonnables ne peuvent pas être mis en œuvre dans un pays en particulier en raison de sa dépendance excessive aux conditions du marché mondial, les gouvernements et les peuples ont la nécessité de travailler ensemble pour améliorer les règles internationales limitant les appétits des élites transnationales afin d'empêcher le développement de mécanismes mondiaux de l'ombre assurant l'enrichissement.

 

Un autre moyen pour élever artificiellement le niveau de vie devient le « prêt vivant ». Quand la richesse convoitée dans le monde réel d'aujourd'hui n'existe pas, on a tendance à la repousser à demain, à consommer ce qui n'a pas encore été créé, à prendre ce qui n'est pas encore gagné - dans l'espoir que demain, on sera en mesure de le gagner et de rembourser sa dette. Nous constatons que dans l'économie actuelle, ce qui augmente comme une boule de neige, c'est le volume des prêts, pas seulement effectués à titre personnel, mais aussi ceux des entreprises et du gouvernement. Tout devient plus agressif, tout est lié à l'image la plus attrayante peinte par la publicité, qui appelle à vivre en s'endettant. L'augmentation du montant emprunté, les échéances de la dette sont reléguées à demain – et quand la possibilité d'emprunter se trouve épuisée, on commence à emprunter pour après-demain. Des pays et des nations entières sont plongées dans la dette, et les générations qui ne sont pas encore nées sont condamnées à payer les factures de leurs ancêtres.

 

Les anticipations des entreprises en matière de prêts fantasmagoriques deviennent souvent plus rentables que la production de biens tangibles. À cet égard, il faut se rappeler de l'ambiguïté morale constituée par une situation où l'argent « crée » de nouveaux fonds sans réalisation d'un travail humain. La sphère de crédit devient le principal moteur de l'économie, sa prédominance sur le secteur économique réel entre en conflit avec les principes moraux de la Révélation condamnant l'usure.


Si auparavant l'impossibilité de rembourser a longtemps menacé l'emprunteur de faillite, dans le contexte de la mondialisation, la « bulle financière » trop gonflée menace de faillite l'humanité toute entière. L'interdépendance entre les peuples et les pays est devenue si grande que la cupidité et la négligence de certains devra être payée par tous. L'Église orthodoxe rappelle que les activités financières de ce genre impliquent un risque économique et moral; Elle demande au gouvernement d'élaborer des mesures visant à limiter la croissance de la dette incontrôlée, et à tous les chrétiens orthodoxes - de développer des relations économiques visant à la restauration difficile de la circulation des richesses, à la création de la consommation.

 

4. Un des phénomènes lié à la mondialisation est celui de la crise migratoire permanente, accompagnée de conflits culturels exacerbés entre migrants et citoyens des pays d'accueil. Dans ce cas, l'ouverture des frontières ne conduit pas les gens à la convergence et à l'intégration, mais à la séparation et à la colère.

 

Les racines de la crise migratoire ont dans une large mesure aussi une nature pécheresse, car elle est née d'une répartition inéquitable des bienfaits de la terre. Les tentatives faites par les habitants indigènes des pays riches visant à arrêter le flux migratoires sont futiles, car elles entrent en conflit avec la propre cupidité des élites qui sont intéressées par une main-d'œuvre à bas salaires. Mais le facteur migratoire encore plus inexorable provient de la propagation d'un mode de vie quasi-hédonique, qui a été accaparé non seulement par l'élite, mais aussi pas les grandes masses de personnes vivant dans les pays à niveau de vie élevé. Signes des temps, ce comportement aboutit au renoncement à la procréation par la recherche d'une existence plus insouciante, plus béate et plus individualiste. La popularisation de l'idéologie tendant à se libérer de l'obligation d'avoir un enfant, de vivre sans enfants et sans vie de famille, pour soi-même, conduit à une diminution de la population dans les sociétés en apparence les plus prospères.


Dans la société traditionnelle, le refus égoïste de l'accouchement était contrebalancé par la menace de pauvreté et de famine dans sa vieillesse. Le système de retraite moderne peut faire escompter que ce qu'on a versé durant la vie par accumulation crée l'illusion qu'une personne pourra subvenir ainsi à sa propre vieillesse. Mais comment cela pourra-t-il fonctionner si chaque génération est numériquement inférieure à la précédente? Donc c'est face à cette situation que se produit la nécessité constante d'attirer des travailleurs en provenance de l'étranger et de pouvoir, en fait, exploiter le travail des parents des peuples qui ont conservé les valeurs traditionnelles et apprécient la naissance des enfants comme ayant une valeur plus élevée que la carrière et le divertissement.


Ainsi, l'économie de pays entiers est marquée par « l'aiguillon de la migration » et ne peut plus se développer sans l'afflux de travailleurs étrangers.


Cette « division internationale du travail », dans laquelle une communauté nationale donne naissance à des enfants, tandis que d'autres sont libérés du soucis pour leurs parents afin d'accéder à leur propre bien-être, ne peut pas être considérée comme équitable. Cette situation est basée sur le gaspillage par des millions de personnes des valeurs religieuses traditionnelles. Il ne faut pas oublier que le commandement fait à tous les descendants d'Adam et Eve, dit: « Remplissez la terre et soumettez-la ». La crise migratoire aiguë en Europe menace maintenant d'autres régions prospères, ce qui est la conséquence directe de la négligence de ce précepte. Toute personne qui ne veut pas continuer sa mission, devra inévitablement céder la place sur son sol à ceux qui préfèrent avoir des enfants plutôt que le bien-être matériel.


Donc, la mondialisation, qui a offert la possibilité à des sociétés entières d'en profiter sans effort parental, mène vers l'exportation de nouvelles personnes arrivant de l'extérieur qui peuvent constituer pour ces sociétés des pièges mortels.


5. L'Église constate avec anxiété que, avec chaque année qui passe, augmente la charge artificielle pesant sur l'environnement qui appauvrit les ressources irremplaçables de matières premières, contaminant l'eau et l'air, déformant des paysages, faisant disparaitre les créations divines. Le progrès scientifique et technique, conçu pour nous apprendre à vivre en harmonie avec le monde divin, à protéger l'énergie naturelle et les matériaux fait peu pour développer la création, et ne peut toujours pas équilibrer l'appétit croissant de la société de consommation.


La mondialisation a accéléré la course à la consommation d'une manière disproportionnée aux ressources de la terre accordées à l'humanité. Les volumes de consommation de biens dans les pays qui sont reconnus comme étant des exemples dans le monde entier et qui équivalent à ceux de milliards de personnes, ont dépassé depuis longtemps les capacités des ressources de ces pays « modèles ». Il ne fait aucun doute que si l'ensemble de l'humanité devait absorber la richesse naturelle d'une même intensité que celle des pays leaders dans la consommation, il y aurait une catastrophe écologique sur la planète.


Dans la société traditionnelle, où on se servait des ressources de la terre transformées en aliments ou en pâturage, l'échelle de la consommation était strictement limitée à la limite naturelle. L'homme ne pouvait pas obtenir plus que ce que lui donnait les terres attribuées. Les prédateurs qui appauvrissent votre milieu sans se soucier de l'avenir, subiront bientôt la pénitence de leur propre cupidité. Dans un passé récent, les limites naturelles de la consommation existaient dans des pays autonomes, où la surconsommation de ressources disproportionnées avec celles du pays, se transformait en un déficit par rapport à ses propres ressources naturelles et compromettait rapidement l'existence d'une telle situation. Mais la mondialisation a ouvert l'occasion d' « exporter son avidité » en échange de ressources importées. Ainsi, en s'appuyant sur l'épuisement des terres étrangères, les pays importateurs créent l'illusion de possibilités de croissance inépuisables de la consommation.

 

Il ne faut pas oublier que l'eau et l'atmosphère, les forêts et les animaux, les minerais et les combustibles, tous les autres types de ressources naturelles ont été créées par Dieu. Le caractère bon marché relatif de nombreuses ressources est trompeur, car il ne reflète que le coût de leur extraction et de leur livraison, parce que les gens utilisent ce qui leur a déjà été donné par le Créateur. Nous ne pouvons pas stocker sur la planète les ressources minérales. De même, une personne ne peut pas recréer des espèces éteintes par ses négligences. Souvent, le traitement de l'eau et l'air pollués coûtent plusieurs fois le prix de la production des produits à cause desquels il y a eu contamination.


L'humanité a besoin de construire l'économie mondiale en tenant compte des nombreuses ressources inestimables qui sont vendues à des prix symboliques. Il est nécessaire de développer des initiatives telles que le Protocole de Kyoto en prévoyant une compensation de la part des Etats - consommateurs excessifs - en faveur des pays sources de ressources. La mise en œuvre des projets humains et industriels doit être pesée en comptabilisant la valeur des produits qu'ils créent par rapport à celle dépensée pour la réalisation de leurs activités en ressources naturelles, y compris les paysages naturels, l'eau et l'atmosphère.

 

6. Il est regrettable que la mondialisation ai favorisé la commercialisation de la vie culturelle, sa transformation de créativité libre en business. La dimension mondiale de la concurrence entre les produits culturels a conduit au fait ceux qui survivent n'ont pas la possibilité de récupérer de grands projets suffisamment larges pour attirer le public à cause des investissements de plusieurs millions de dollars faits dans la publicité.


Le fait que la culture soit devenue une partie de l'économie mondiale menace la diversité culturelle, et mène au nivellement du monde, à l'appauvrissement des conditions de développement de la langue, à la destruction accélérée de la culture des petites nations et aussi de celle des peuples plus nombreux. Les films, les livres, les chansons dans des langues ayant un public ne comptant que quelques millions de locuteurs, sont non compétitives, non rentables, n'ont pas la possibilité de tenir face à la concurrence. On peut prévoir que dans un avenir pas trop lointain, et pour des motifs purement économiques, la culture mondiale sera monolingue, construite sur une série de mauvais clichés standardisés ayant acquis un plus grand impact en se basant sur les instincts les plus primitifs. Les possibilités de développement et d'enrichissement au détriment de la diversité ethnique, culturelle et linguistique peuvent être irrémédiablement perdues. Cette évolution est promue par le biais d'un « prestige » international obtenu à l'occasion de concours de cinéma et de prix, de musique populaire, etc., qui créent une mondialisation des normes à imiter au niveau national, ce qui contribue à reformater les goûts artistiques d'abord des jeunes, puis d'une grande partie des téléspectateurs et des auditeurs.


L'Église considère qu'il est nécessaire de séparer au maximum la vie culturelle de la sphère des relations commerciales, et de considérer ses valeurs spirituelles comme constituant le principal critère de qualité. Les efforts déployés par les gouvernements et le peuple doivent être faits pour sauver la diversité ethnique et culturelle du monde tel qu'il a été créé par Dieu, et qui constitue la plus grande richesse de l'humanité.

 

7. L'abondance de richesses détenues par les pays les plus riches conduit à l'idéalisation de leur mode de vie de la part des communautés les moins riches, ce qui contribue à la création d'une idole sociale. Cette évolution aboutit souvent à ignorer les méthodes morales par lesquelles les dirigeants économiques du monde sont parvenus aux sommets et conservent leurs positions. Le rôle de la domination des nations permettant l'enrichissement des centres économiques mondiaux d'exploitation coloniale, des prêts à taux d'intérêt inutilement élevés, le monopole sur la monnaie mondiale, etc. Et peu importe dès lors les circonstances, leur mode de vie, leur structure économique et sociale sont déclarées exemplaires.

 

Leurs imitateurs considèrent leur pays et leur société comme étant « retardataires », « inférieurs », ils choisissent un modèle de « rattrapage » de la modernité en copiant aveuglément leurs idoles, ou, pire encore, en les construisant en stricte conformité avec leurs recommandations visant à obtenir de « l'aide ». Ils ne tiennent pas compte des différences dans les circonstances historiques ni la différence des conditions naturelles ou des spécificités des perspectives nationales, des traditions, du mode de vie.


La recherche effrénée de la prospérité matérielle peut faire perdre des valeurs beaucoup plus importantes qui ne sont pas acquises avec les richesses convoitées. Le « modèle de modernisation de rattrapage » extérieur, étant à leurs yeux perçu sans discernement comme exemplaire, il détruit non seulement la structure sociale et la vie spirituelle des sociétés en situation de « rattrapage », mais souvent il ne permet même pas de s'approcher de l'idole convoitée dans la sphère matérielle, en imposant des décisions économiques inacceptables et ruineuses.


L'Église appelle les gens des pays qui ne sont pas situés au sommet du classement économique mondial, et principalement les couches intellectuelles de la nation, à ne pas laisser se développer dans leur cœur la convoitise et à ne pas se livrer à l'envie. L'étude et l'utilisation de l'expérience réussie du monde doit être faite avec précaution, il est nécessaire de prendre soin de l'héritage des ancêtres, d'honorer ses ancêtres qui ont connu une expérience unique et les raisons permettant de construire un mode de vie juste. Contrairement aux préceptes moraux qui sont immuables et universels, l'économie ne peut pas apporter de solution unique pour tous les peuples et pour tous les temps. Dieu a créé le monde avec une variété d'êtres humains, il nous rappelle que chaque nation a sa tâche propre attribuée par le Créateur, chacune étant précieuse aux yeux du Seigneur, car tout le monde est en mesure de contribuer au processus de création de notre monde.

 

Notes :

1 Dans The Church and Human Liberation, March 14, 1980.

2 < http://katehon.com/ru/article/ekonomika-v-usloviyah-globalizacii-pravoslavnyy-eticheskiy-vzglyad >. Ce texte « L'économie dans le contexte de la mondialisation. Point de vue éthique orthodoxe » a été conçu en janvier 2015, après une discussion menée dans une commission nommée à cet effet par la hiérarchie de l'Église orthodoxe russe.

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