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  • : Philo-socio-anthropo-histoire. Revue en ligne éditée par une partie de l'ancienne rédaction de "La Pensée" exclue en 2004, élargie à d’autres collaborateurs et consacrée au renouvellement de la pensée critique de la globalisation, du politique, de l’économique, du social et du culturel.
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  • Cette revue de Philo-socio-anthropo-histoire est éditée par une équipe de militants-chercheurs. Elle est ouverte à tout auteur développant une pensée critique sur la crise de civilisation du système capitaliste occidental.
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27 décembre 2016 2 27 /12 /décembre /2016 19:47

Comparer les tendances de deux puissances affaiblies visant à restaurer au moins en partie leur position, tel est l'objet de cette étude portant sur l'évolution des Etats-Unis depuis Reagan et de la Russie depuis Poutine. L'auteur de cet article a choisi ce critère de restauration de sa puissance pour définir ce qu'il entend par conservatisme, et non pas l'analyse d'une structure sociale traditionnelle visant à être préservée par les groupes ou les classes qui en tirent bénéfice. Ce choix permet d'analyser les visées stratégiques décidées à Washington et à Moscou, et de découvrir en quoi nous avons dans les deux cas affaire à des évolutions qui peuvent être comparables dans certains cas, et dans quelle mesure l'évolution de ces pays diffère largement sur d'autres points, et pourquoi. Un article permettant d'apporter un éclairage nouveau sur les raisons expliquant l'opposition existant entre deux puissances toutes deux incontestablement capitalistes et démocratiques, mais avec des limites néanmoins évidentes dans les deux cas, sur des bases toutefois très différentes.

La Rédaction

 

Du marché et du principe étatique :

Une comparaison entre le conservatisme étasunien et le conservatisme russe1

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Décembre 2016

Alexandru Mamina *

Le terme conservatisme décrit en général un modèle politique bien plus fondé sur l’autorité et la hiérarchie que sur l’activisme civil, sur l’affirmation de certaines valeurs absolues bien plus que sur le relativisme critique, sur l’argument concret de la force bien plus que sur celui du formalisme normatif. Ainsi, du point de vue social, le conservatisme est, en premier lieu, le trait spécifique d’une élite administrative et économique qui préfère la gestion des affaires publiques de manière technocratique sans les complications engendrées par les revendications syndicales ou celles soulevées par les organisations non-gouvernementales. Cependant, on ne peut lui retirer le support des masses qu’il obtient bien au-delà des catégories populaires traditionnelles du monde rural, en raison de sa culture politique centrée sur la respectabilité, la stabilité et la croyance.

Les États-Unis d’Amérique sous la présidence de Ronald Reagan, entre 1980-1988, puis, douze ans plus tard, sous celle de George W. Bush, nous offrent l’exemple même du conservatisme contemporain. A celui-ci fait pendant la Russie sous la direction de Vladimir Poutine. Entre les deux systèmes, il existe beaucoup d’analogies fonctionnelles significatives pour la morphologie du conservatisme, comme il existe aussi des différences qui les entraînent vers des directions historiques opposées.

En premier lieu, il convient d’observer en fonction de correspondances locales que Ronald Reagan et Vladimir Poutine sont arrivés au pouvoir à la suite de moments d’instabilité intérieure et de régression d’influence sur le plan international. Déjà à la fin des années ’70 les États-Unis avaient enregistré un retour de la droite, y compris au sein même du Parti démocrate, et ce en raison des troubles consécutifs au mouvement des droits civils et de la campagne lancée contre la guerre du Vietnam2. En Russie, l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine se fait non pas après des manifestations publiques, mais bien plutôt à la suite d’une dégradation sociale sur la base de mesures économiques libérales qui ont disloqué des statuts et des rôles sociaux assurés, et sur lesquels se sont greffés la prolifération du crime organisé et du pouvoir destructeur des oligarques de l’époque de Boris Elstine. Quoi qu’il en soit, dans les deux cas, l’instabilité endémique a entraîné des attentes contraires à l’état des choses existantes, impliquant, pour l’essentiel, le respect face aux autorités constituées.

Dans le domaine des relations internationales, le prestige des États-Unis eut à souffrir de la crise iranienne et des échecs en Amérique centrale où des partis marxistes gagnèrent la combat au Nicaragua et furent proche de le réaliser au Salvador, pendant que la Russie, ayant perdu toute son influence en Europe de l’Est (à l’exception de l’ex-Yougoslavie réduite à la Serbie et au Monténégro), se montrait incapable de résoudre le conflit tchéchène. Afin de recouvrir leur pouvoir incontestable dans leur espace hégémonique, les présidents considérés comme indécis ou incompétents, tel Jimmy Carter – bien plus préoccupé, du moins en apparence, du respect des droits de l’homme que de géopolitique – ou Boris Eltsine – de plus en plus fréquemment hospitalisé au sanatorium de Barviha – ont été remplacés par des dirigeants susceptibles de recourir de manière efficace à l’action militaire. En réponse à cette attente du peuple, le président Reagan ordonna l’invasion de la Grenade, finança les contras du Nicaragua, soutint le régime des escadrons de la mort du Salvador et lança « l’initiative de défense stratégique » largement médiatisée auprès du public sous le nom bien connu de tous aujourd’hui, celui du film à succès La Guerre des étoiles. La volonté de Vladimir Poutine s’est manifestée déjà à l’époque où il n’était que premier ministre, dès le mois d’Août 1999, à l’occasion de la contre-offensive du Daghestan et de la Tchétchénie qui a mené la Russie à retrouver le contrôle qu’elle exerçait auparavant sur le Caucase, et, plus tard, en 2014, lors de l’annexion de la Crimée et du soutien au mouvement séparatiste de l’Est de l’Ukraine…

 

Renouveler l'ancienne gloire du pays

Tout cela s’inscrit dans le même tracé politique répondant sans ménagement à l’avancée stratégique de pouvoirs concurrents, une politique susceptible de renouveler l’ancienne gloire du pays. L’attaque repoussée de la Géorgie sur l’Ossétie du Sud en 2008, la réunion de la Crimée à la Russie et le soutien aux mouvements séparatistes de l’Ukraine en 2014 s’inscrivent dans la même ligne politique de réponse sans ménagement aux avancées stratégiques du pouvoir concurrent, une politique susceptible d’engendrer le retour à la gloire d’autrefois.

Du point de vue des relations internationales, ce type d’action s’inscrit dans la logique des rapports géopolitiques et possède une tradition plus ancienne si l’on songe à l’« arrêt » et à l’« endiguement » du communisme que préconisait la doctrine Truman et, simultanément, au « rideau de fer » installé par les Soviétiques3. D’un côté les Américains fournirent massivement de l’armement à la Turquie et plus encore à la Grèce en guerre civile, et, de l’autre, les Soviétiques ont imposé le pouvoir des communistes en Europe de l’Est. Aussi il existe un conflit structurel inscrit dans la dynamique propre et inhérente aux puissances hégémoniques que la faiblesse de la Russie en 1990 a masquée sous la forme de l’harmonisation des intérêts et qui, de fait, traduisait rien moins que l’impuissance russe de s’opposer à la suprématie étasunienne.

Les crises internes, les échecs politico-diplomatiques sont susceptibles de créer le climat spirituel nécessaire à l’installation de pouvoirs conservateurs dans le cadre des institutions existantes ou dans des variantes extrêmes en changeant celles-ci comme ce fut le cas lors de la création de la République de Weimar. Le succès de George W. Bush en 2004 est différent parce qu’il s’est produit dans un contexte de relative satisfaction de la population, à un moment où les États-Unis exerçaient sans conteste une suprématie mondiale. Dans une telle situation, il semble que le principe du pendule, ainsi nommé post-guerre froide, a joué son rôle et qu’après huit ans d’administration démocrate, la présidence revint aux Républicains.

Le volontarisme dans la politique extérieure a aussi des implications dans la politique intérieure en ce que les succès militaires compensent les frustrations de la population et engendrent le consensus social autour du pouvoir. Pour illustrer cela, rappelons la réélection de Ronald Reagan en 1984 et l’élection après quatre ans de son vice-président, George Bush père… ou un autre exemple, l’augmentation de la popularité de Vladimir Poutine jusqu’à 80% de la population adulte après la réannexion de la Crimée4. Il est vrai que la prom tion narchies, lesquelles sont précisément menancées en cas de otion au travers de la victoire caractérise particulièrement les monarchies, lesquelles, en revanche, sont mises en péril en cas de défaite (Napoléon III, Nicolas II, Guillaume II). Cette dynamique se retrouve aussi dans le système électif républicain, quand le sentiment de fierté nationale se transpose en intentions de vote et en une attitude de confiance à l’égard du président qui en fut l’organisateur.

 

Créer l'unité émotionnelle de la nation confrontée à une crise

Le patriotisme n’est pas un monopole propre aux conservateurs, en particulier si nous songeons qu’une de ses manifestations contemporaines s’est affirmée pendant la Révolution française. Le nationalisme intégratif et non-conquérant se rencontre dans n’importe quel régime démocratique fondé sur la notion, le principe abstrait et englobant de citoyenneté. En tant que structure affective de cohésion communautaire, le patriotisme est de nature à étayer, à donner consistance et force aux mesures d’aide sociale propres à la gauche, de telle manière qu’il nourrit et légitime du point de vue moral un sentiment d’affinité entre les hommes, lesquels se représentent proches et responsables les uns des autres. Dans l’« État providence » par exemple, la politique de solidarité sociale a été facilitée au plan psychologique par l’esprit de cohésion nationale qui s’était perpétué pendant la guerre. Le conservatisme actuel se distingue donc par le sens de la cohésion nationale qui est comprise en tant que condition super-organisatrice du succès international et dont la nature excède la limite d’exercice des droits individuels. En d’autre mots, l’unité émotionnelle et active ne survient pas à la suite d’une synthèse entre inclinations et options personnelles, mais s’impose comme argument a priori du pouvoir contre d’éventuelles contestations internes, assimilées à un manque de patriotisme et qui, de ce fait, sont marginalisées, voire éliminées.

L’entraînement moral des masses au soutien d’un volontarisme de nature impériale se réalise avec une intégration métaphysico-religieuse de la politique qui légitime les actions internationales en termes de mission civilisatrice aux accents messianiques. Ou bien, en d’autres mots, comme destin historique susceptible de flatter l’orgueil national tout en atténuant, par respect pour la cause générale, d’éventuelles contestations internes. Il n’est pas question ici d’avancer une argumentation chrétienne en faveur de la dignité personnelle ou de l’égalité civique – comme c’était le cas lors des prêches de Martin Luther King –, mais de présenter les pratiques des grands pouvoirs comme la promotion de valeurs spirituelles dans le monde, ou, à tout le moins, dans une partie de celui-ci. Conduite à ses extrémités, cette vision modifie la nature propre de la dynamique politique en ce qu’elle ne recherche plus la négociation d’un équilibre entre des intérêts raisonnables, mais se transforme en une confrontation manichéenne qui oppose les forces du bien à celles du mal.

Ceci est illustré par la manière dont Ronald Reagan a procédé quand il a argumenté le discours dans lequel il identifiait d’une part l’Empire soviétique à l’empire du Mal et, de l’autre, l’opposition irréconciliable entre le christianisme et l’athéisme soviétique, le tout à l’encontre de la raison pragmatique d’une géopolitique bipolaire. De cette manière, il a côtoyé le fondamentalisme anticommuniste néo-protestant susceptible de lui assurer aussi bien le support social nécessaire pour des initiatives de politique étrangère que les moyens de sa réélection5. Le lien apparaît plus encore intense sous l’administration de George W. Bush – le seul candidat qui ait gagné des élections présidentielles soutenu exclusivement par la communauté néo-protestante, car en 2004 le vote des catholiques s’était portés sur John Kerry. Aujourd’hui, seul le référentiel polémique a changé, le bien – assimilé à la démocratie occidentale et aux valeurs judéo-chrétiennes6 –, la lutte à présent se joue contre les menaces islamistes qui justifient moralement la présence étasunienne au Moyen-Orient.

Inversement, Vladimir Poutine se revendique de la foi orthodoxe, en premier lieu parce que l’association avec l’image prestigieuse de l’Eglise russe est de nature à augmenter sa popularité, et ensuite parce que réaffirmer une commune tradition permet d’entretenir la cohésion affective au sein de la société, cohésion nécessaire dans le cadre de la compétition internationale. Cependant, comme cela apparaît dans le discours sur l’état de la nation du mois de décembre 2013, le poutinisme procède d’une manière plus nuancée dans sa relation avec l’Occident sécularisé qu’avec le vieux conservatisme des slavophiles. La civilisation d’Europe occidentale n’est pas condamnée, mais plutôt regardée avec compassion pour la perte de son identité chrétienne sous la pression du nihilisme postmoderne et du consumérisme, suggérant, de fait, le développement du processus d’américanisation prévu par William Kristol, lequel démontre que si le XXe siècle fut le siècle de l’Amérique, le XXIe sera le siècle américain. Dans cette situation, Vladimir Poutine accrédite l’idée que la Russie n’est pas un adversaire, mais bien au contraire, un défenseur de l’Occident face aux tentatives des États-Unis d’uniformiser pour soumettre le monde grâce à la publicité, au libre échange, au crédit international et, au bout du compte, grâce à leur suprématie militaire.

 

Une Europe située entre Atlantique Nord et masse continentale eurasiatique

Si nous entrons en ligne de compte la collaboration économique qui rapproche la Russie de l’Allemagne et de la France, des nécessités énergétiques de l’Europe que peut satisfaire la Russie et du marché potentiel qu’elle représente pour les produits occidentaux, nous pouvons observer que la démarche médiatique et l’imagination politique de Vladimir Poutine n’est pas un exercice de rhétorique sans substance. Il y a déjà des auteurs qui prennent même en considération la possibilité que l’Europe puisse remplacer son système de protection militaire étasunien par celui de la Russie, fournissant en échange de la technologie de haute performance7. A coup sûr, une telle hypothèse représente pour le moment un exercice strictement théorique comme le montre clairement le moment de la crise ukrainienne de 2014, lorsque les leaders européens demeurèrent du côté américain en prenant les sanctions exigées par ce dernier à l’adresse de la Russie. L’influence de Vladimir Poutine peut aussi se manifester par l’intermédiaire du public occidental, en ce qu’il est perçu comme soutien de l’État national contre la globalisation, ou bien comme protecteur de la liberté individuelle face à la surveillance que pratique l’Agence nationale de Sécurité ainsi que semble le prouver le droit d’asile accordé à Edward Snowden.

La discussion autour des valeurs absolues ne se limite pas à la propagande et à la légitimation officielle des pouvoirs conservateurs. C’est un phénomène intellectuel, ayant des ramifications dans les milieux universitaires et journalistiques, qui engendre à la fin une réflexion de philosophie politique sur le terrain des évaluations théoriques de la modernité en général. Sous cet aspect, aux côtés de conservateurs d’inspiration religieuse fondamentaliste se rencontrent aussi des rationalistes comme Allan Bloom et Francis Fukuyama, qui au travers de la filiation des Lumières ou de la dialectique hégélienne établissent un équivalent entre la démocratie libérale et le Bien universel menant à l’accomplissement pour soi de l’humanité : l’agent historique de cet accomplissement n’étant rien moins que les États-Unis. Ainsi ils absolutisent la signification du système américain, justifiant son introduction dans d’autres pays par la violence guerrière conçue comme « projet éducatif »8. A cette démarche, les traditionnalistes russes répliquent par une opposition qui non seulement s’attaque à la prépondérance techno-financière et politique des États-Unis, mais aux principes constitutifs de la modernité dont dépend cette même prépondérance9. De cette manière, un conservatisme radical prend forme qui tisse simultanément une invocation à la foi ancestrale et aux références schmittiennes dans le champ des grands espaces servant ainsi à alimenter le dénommé eurasiatisme en tant que négation totale de l’universalisme occidental d’une part, et affirmation de la spécificité de la civilisation russe dans un monde multipolaire de l’autre…

Suprématie du pouvoir exécutif : rétrécissement des libertés aux Etats-Unis

A ces interprétations de type nationalistes-holiste et métaphysico-religieux s’adjoint aussi une inclination à l’autoritarisme qui se matérialise avec la suprématie de l’exécutif, la pratique du secret d’État, la surveillance de la population et, en conséquence, par les dérogations aux procédures standards concernant les enquêtes et la détention des personnes. A coup sûr, on ne peut établir un signe d’égalité entre le conservatisme pratiqué dans un pays où existe la liberté d’expression et la possibilité de changer par le vote un président et un autre essentiellement répressif caractéristique des dictatures militaires. Pendant que les dictatures ont un autoritarisme légal, dans le système représentatif il est question de l’action de groupes d’intérêts qui s’approprient et dénaturent les institutions démocratiques, cherchant par ailleurs à demeurer dans le cadre d’un accord formel avec celles-ci.

Le conservatisme étasunien des années 1980 a été bien plutôt élitiste que totalitaire. Les discussions relevant de « majesté présidentielle » renvoyaient en définitive à la prépondérance de l’exécutif dans la politique étrangère et de sécurité que Ronald Reagan compris en exerçant son droit de veto10. Le rôle prééminent de l’exécutif traduisait la conviction conservatrice traditionnelle dont les origines sont dans la philosophie du droit de Hegel selon laquelle il existe une raison d’État qui ne peut se matérialiser autrement que dans l’action du souverain – dans notre exemple dans l’action présidentielle –, en tant qu’il est l’expression de l’intérêt général au-dessus de toute volonté individuelle rassemblée dans la sphère législative. Transposée dans les circonstances de la démocratie, cette interprétation ne réussit à se manifester initialement que dans la sphère des relations étrangères, nourrissant le volontarisme de l’administration qui se dispensait de respecter certaines normes, ainsi que l’a démontré la livraison d’armes à l’Iran malgré l’embargo de 1985-1986. Le volontarisme extrême a pris une tournure autoritaire explicite après la disparition du contre-pouvoir soviétique ; ainsi, dans le contexte du nouvel ordre mondial dont parlait Georges Bush père, on a vu l’équivalence établie entre la suprématie et l’intervention étasunienne directe afin de résoudre les crises sans aucune référence à l’Organisation des Nations Unies11.

La tendance à restreindre les droits civiques se précise après 2001, une fois mise en place la « guerre contre la terreur » et l’intensification de l’influence politique du Pentagone au détriment du département d’État, voire même de la CIA ; un phénomène que l’on a pu saisir à l’occasion de la crise des prétendues armes de destruction massive irakienne, quand l’administration opta pour l’invasion militaire. La loi nommée « Acte patriotique » la même année contrevient aussi à l’esprit de la pensée juridique étasunienne qui a pour base originelle l’Habeas Corpus Act, lequel est centré sur l’assistance institutionnelle de la personne confrontée à d’éventuels abus de la part des autorités. En revanche, la nouvelle règlementation met l’accent sur l’intérêt public, plus précisément sur la sécurité nationale, au risque de compromettre la liberté individuelle. Ainsi, accorder aux autorités la permission de vérifier, sans son consentement, la résidence et les affaires d’un quelconque citoyen et sans porter cette vérification à la connaissance de celui qui est visé, cela donne au FBI le droit de déployer ses activités de surveillance en l’absence de tout ordre venu de la justice. Quant aux immigrants, suspectés de terrorisme, ils risquent, à leur tour, la détention à perpétuité de manière analogue aux pratiques naguère en usage en Afrique du Sud à l’encontre des membres du Congrès National Africain.

A la suite des critiques soulevées par des organisations civiles qui contestèrent devant les tribunaux cette loi en raison de la non-constitutionnalité de certains articles, la loi a subi quelques modifications, en particulier là où la formulation ne permettait pas une claire distinction entre la culpabilité et l’absence de culpabilité (par exemple dans le cas d’un soutien présumé avec expertise et assistance aux terroristes). L’application de l’acte en son ensemble a été prolongé aussi bien sous la présidence de l’administration républicaine de George W. Bush que sous celle du président démocrate Barack Obama. En outre, ce fait confirme la continuation de l’influence de la droite à Washington qui s’explique probablement par le fait de l’engagement des États-Unis dans une politique internationale musclée. La nécessité d’une production de guerre, les tentatives pour obtenir le contrôle des ressources pétrolières exige le soutien des milieux d’affaires conservateurs bien plus que celui d’une société civile d’orientation libérale. Ainsi on voit se réactualiser les structures d’autorité et de décisions semblables à celles mises en place lors du conflit vietnamien, et que Charles A. Reich nommait « l’État-entreprise », politique/économie.

 

Suprématie du pouvoir exécutif : timide élargissement des libertés en Russie

La situation en Russie est à peu près inverse. Si aux États-Unis l’inclination autoritaire apparaît comme un réduction de la démocratie, en Russie l’autoritarisme présidentiel fait figure de libéralisme au regard du totalitarisme communiste, ce qui a été remarqué même par l’adversaire médiatique le plus connu de Vladimir Poutine, Mikhaïl Khodorkovsky. En Russie, l’opposition politique et idéologique la plus cohérente n’est pas composée d’occidentalistes du type de Gari Kasparov, soutenus par des associations ONG dont la base sociale est superficielle, mais du Parti communiste avec sa vaste base sociale qui conteste Vladimir Poutine non seulement d’un point de vue personnel, mais l’ensemble du système inégalitaire personnifié au premier chef par l’oligarchie. Lors des élections parlementaires de 2011, les communistes ont obtenu le second résultat avec 19,9% des votes après les 49,32% de la formation présidentielle Russie Unie. C’est là le motif qui fait que le conservatisme de Vladimir Poutine se présente réellement comme une formule qui limite la libéralisation au profit de l’équité conformément au slogan électoral « la dictature de la loi », énoncé cependant suffisamment adaptable pour permettre le progrès technologique et les connections avec les circuits économiques mondiaux.

Les procès spectaculaires de 2003 et 2012 intentés d’une part à l’oligarque Mikhaïl Khodorkovsky, et de l’autre aux membres de la troupe contestatrice des Pussy Riot ont mis en scène précisément la fonctionnalité judicaire impérative du pouvoir poutiniste qui matérialise la supériorité du principe étatique sur toute les formes d’oppositions privées ou civiles, indifféremment de leur origine, qu’elles viennent de privilégiés ou de groupes à prétentions subversives. En définitive, on retrouve la tradition politique inaugurée par Pierre le Grand : modernisation avec des moyens autoritaires.

La prépondérance de l’exécutif face au législatif se marque au premier chef par l’ascendant formel du chef d’État par rapport à la Douma pour autant que durera la Constitution prévoyant à son article 80, alinéa 3, que le président est celui qui décide des lignes directrices de la politique interne et internationale. Par la suite, et de manière informelle, du travail au sein de la Douma, en ce que la majorité étant détenue par le parti Russie Unie, elle permet au chef de l’État une gestion pratique sans opposition institutionnelle. A la différence des grand partis étasuniens qui promeuvent au Congrès différents intérêts locaux, entretenant dès lors avec l’administration des négociations sur la base du lobbying, Russie Unie quant à elle, exprime la volonté présidentielle en sa qualité de facteur de la cohésion étatique et de possibilité de carrière bureaucratique. Les chefs de parti qui sont gagnés à la présidence la promeuvent en vertu de la relation qu’ils entretiennent avec elle : comme exemples, il suffit de mentionner Dimitri Medvedev, le Premier ministre actuel ou Serguei Choïgu, le ministre de la Défense. L’identité administrative dominante de Russie Unie transparaît justement au travers des préoccupations pour le maintien d’une stabilité générale au détriment d’un projet idéologique particulier délimité par une catégorie quelconque.

Le système d’ascension sociale par la voie du service public date de 1722, du grand « Tableau des rangs » qui a introduit la structuration et la rationalisation bureaucratiques en parallèle avec la hiérarchie sociale traditionnelle basée sur l’origine des gens (nobles ou roturiers). Avec cette décision, le pouvoir impérial a cherché à s’autonomiser face à la classe nobiliaire, établissant ses propres réseaux et ses propres solidarités en vue de l’action. Le régime communiste, qui permettait aux réseaux locaux de clientèles de gagner un statut grâce à l’appartenance au Parti communiste, a engendré une forme de re-féodalisation, continuée ensuite avec d’autres paramètres par l’oligarchie jusqu’à la réactualisation du politique à l’époque de Vladimir Poutine.

 

Conservatisme mercantile et conservatisme étatiste

Aux États-Unis, où la fédération s’est formée du bas vers le haut, partant comme l’avait remarqué Alexis de Tocqueville de la commune vers l’État, il est normal que certains intérêts locaux, et plus spécifiquement, des intérêts économiques aient plus de poids concret et une axiologie plus importante dans la représentation politique que le principe étatique en soi. La Russie d’autre part parce qu’elle est aussi une fédération, conserve dans ses grandes lignes la composition territoriale du vieil empire construit du haut vers le bas par la subordination de nouvelles provinces à la monarchie moscovite. Dans les conditions où l’existence du pays, ainsi conçue depuis l’origine même du pouvoir central, voit l’État non seulement valorisé comme instrument représentant les divers intérêts de la société, mais, de fait, comme structure bureaucratique autonome placée au-dessus de la morale et de la pratique des intérêts respectifs. D’un point de vue conceptuel, nous pourrions dire que la conception wébérienne prévaut au-dessus du politique, et bien moins celle de Milton Friedman.

On pourrait parler ensuite de l’attachement américain à l’économie de marché et du côté russe du sentiment étatique qui différencient fondamentalement ces deux espèces de conservatisme et les placent sur des terrains historiques concurrents. La relation avec les élites confirme cette différence dans la mesure où l’État agit au service du milieu d’affaire, ou bien le milieu d’affaire est intégré à la politique de l’État.

Venu de l’école de Chicago, le conservatisme étasunien affirme théoriquement l’État minimal de telle manière que le marché demeure le facteur qui régit de manière spontanée et impersonnelle presque toutes les activités sociales. En accord avec cette vision, les institutions publiques n’ont à se mêler ni de la protection des salariés ni de celle du patronat. Plus se restreignent les problèmes nécessitant une solution légale négociée, plus on présuppose que les tensions sociales vont diminuant, voire se dissipant en vertu de la logique d’arrangements naturels qui s’établissent entre salariés et patrons1. Mais dans la pratique, quand les milieux d’affaires sont en difficulté, quand la place financière engendre des déséquilibres qui menacent les transactions et les profits bancaires, l’État alors intervient soit comme médiateur soit comme agent direct. Sous l’administration de Ronald Reagan qui affirmait dans son programme vouloir réduire le rôle de l’État et le déficit budgétaire, on a toutefois vu, en 1982, la Réserve fédérale être employée pour réduire les effets de la crise provoquée par la dette mexicaine, tandis qu’en 1987 la Trésorerie nationale a négocié l’annulation d’une autre dette mexicaine vis à vis de banques étasuniennes pour une valeur de 20 milliards de dollars, quand, auparavant, en 1984, elle avait nationalisé la banque commerciale de l’Illinois2. A ces mesures a correspondu en 2008 l’allocation de 200 milliards de dollars de la Réserve Fédérale aux banques, approuvée par les deux partis du Congrès, afin d’éviter l’effondrement du système bancaire. L’année suivante, à leur tour, les démocrates décidèrent la nationalisation de General Motors pour contrer un achat hostile de la part d’une entreprise étrangère.

Dans ce contexte, l’État apparaît en tant qu’agent institutionnel des milieux d’affaires en intervenant sur le marché de manière conjoncturelle et purement instrumentale, non point dans le sens de l’intérêt général politique, mais bien pour accommoder les conditions du marché en priorité aux banques et aux compagnies privées considérées comme relevant de l’intérêt général. Par exemple, on considère que la faillite des banques engendrerait une réaction en chaîne dont souffrirait toute la population. L’accent est donc mis sur la raison économico-financière propre aux trois piliers du capitalisme que rappelait David Harvey : développement, exploitation du travail et innovations techno-organisationnelles.

De même, la Russie est un pays capitaliste, d’une manière parfois plutôt forte face à certains pays occidentaux, où la législation sur l’assistance sociale et l’action syndicale freinent les effets de la concurrence. C’est le pays des oligarques et du décalage social où la propriété privée s’est construite sur le démantèlement du secteur de l’économie étatique. Toutefois le « poutinisme » ne traduit pas les intérêts des oligarques, ou bien il le fait seulement dans la mesure où leurs stratégies économiques s’accordent avec la position officielle de la politique internationale de l’État. En revanche, cette politique « poutiniste » représente la réaction systémique des structures de pouvoir, en particulier celle de l’armée et des services d’information, aux nouveaux riches de l’époque Boris Eltsine. Sur la base du retrait des troupes des anciennes républiques soviétiques, des privatisations et des renoncements aux commandes de l’État, l’ancien complexe militaro-industriel est entré en crise. La situation matérielle et le prestige des officiers et des fonctionnaires en souffrirent beaucoup, alimentant leurs frustrations face aux bénéficiaires privés de la libéralisation de l’économie, parmi lesquels le plus influent au Kremlin était Boris Berezovsky. Au moment où les objectifs de la sécurité ont imposé le retour à la stabilité interne et le développement des capacités de combat, les structures militaires et administratives ont créé Vladimir Poutine dans le but de stabiliser à nouveau la centralité des décisions de l’État pour ce qui concerne les questions de politique et de défense.

Le poutinisme signifie la revanche du complexe militaro-industriel à l’égard des oligarques, non point dans le sens d’une restauration du communisme, mais dans la délimitation des compétences d’une société capitaliste. Présentement, l’action des oligarques se réduit à la sphère économique, quant à la politique, elle demeure le domaine réservé aux professionnels du pouvoir dont le statut est précisé par leur activité au sein du service public. Dans ce cas, bien plus pertinent que la mise en accusation de Boris Berezovsky et la condamnation de Mikhaïl Khodorkovsky, se tient la reprise du contrôle de l’État sur des compagnies de l’importance de Gazprom devenue, au côté de l’armée, l’instrument le plus efficace de la politique extérieure russe. Il est tout autant pertinent de constater la manière dont se sont impliqués dans ces actions deux collaborateurs directs de Vladimir Poutine, Dmitri Medvedev et Alexei Miller, fait qui garantit d’une part la suprématie de la présidence par rapport aux milieux d’affaire et, de l’autre, la valorisation de l’intérêt public au détriment des règles du marché, ce qui fait penser d’habitude à l’Ouest à l’implication de l’État dans l’économie en tant que forme de concurrence déloyale.

Le conservatisme russe préfère quant à lui les accords de coopération basés sur les décisions gouvernementales à ceux établis entre firmes particulières. C’est ainsi le cas de la Nouvelle Banque de Développement mise en place en juillet 2014 à l’initiative des États composant les BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud – comme réponse à une Banque Mondiale pro-étasunienne, mais aussi pour des raisons politiques qui dépassent le strict intérêt économique. Les discussions ayant eu lieu au mois de novembre de cette même année entre la Russie, l’Arabie Saoudite et le Venezuela dans le but d’arrêter la chute du prix du baril de pétrole et d’éviter ainsi une diminution des revenus de l’État, tout cela s’inscrivant dans la même conception de l’économie comme fonction de stabilité et de sécurité publiques.

Tandis qu’en privilégiant le marché le conservatisme étasunien soutient de manière essentielle la prépondérance des États-Unis en tant que pouvoir maritime, moins intéressé par l’expansion territoriale que par le contrôle des communications maritimes. Les prix d’une occupation directe risque d’affecter les milieux d’affaires par les déséquilibres budgétaires et les pressions inflationnistes de telle manière que les cercles financiers et politiques de droite préfèrent de manière traditionnelle la stratégie de l’encerclement de l’adversaire par le biais de bases navales et aériennes aux points clefs du contrôle, ce qui permet simultanément la supervision de la circulation des marchandises et la sureté de la liberté des échanges au plan mondial. Dans ce cadre, d’éventuelles interventions violentes se pratiquent de manière indirecte, par exemple par des coups d’État ou l’armement d’insurgés indigènes comme ce fut le cas au Nicaragua. Le conservatisme russe en revanche, centré sur l’idée d’État, favorise les options de géopolitiques terrestres, s’appuyant sur des bases en Asie centrale et le long des lignes de communication à l’intérieur du continent, comme aujourd’hui en Novorossiya3. La hiérarchie civile et militaire poutiniste ayant pour objectif l’exercice du pouvoir au plus profond du territoire qu’elle administre, renonce donc à la mobilité tactique propre à la doctrine navale qu’elle a remplacée par la stabilité uniforme des dispositifs situés dans la profondeur de l’espace de souveraineté.

D’un point de vue anthropologique, nous pourrions considérer que le principe de mobilité opérationnelle traduit le modèle dynamique des mouvements du capital, tandis que l’arrangement de la stabilité correspond à une culture de l’inertie propre à la mentalité bureaucratique. La transposition pratique de l’imaginaire bureaucratique est survenue initialement dans le contexte de la confrontation américano-soviétique, mais d’une manière plus ou moins viciée dans les conditions où les fonctionnaires du Parti-État ne pratiquaient pas une bureaucratie dans le sens wébérien du terme, mais, par exemple, un ensemble de relations locales souvent personnalisées, sans l’ethos organisationnel et étatiste de l’Allemagne wilhelminienne. Parce que cette bureaucratie n’était pas contestée dans son rôle dirigeant par aucune autre force sociale, elle a amplifié son esprit d’inertie jusqu’à l’immobilisme, menant le système soviétique à l’échec dans la compétition face à un capitalisme plus malléable et produisant du progrès matériel.

 

Des paramètres d'efficacité comparables résultant de la convergence soviéto-américaine

Présentement la situation est changée, au moins de deux points de vue. En premier lieu, la Russie est devenue, comme on l’a vu, un pays capitaliste, ce qui veut dire que la rivalité avec les États-Unis sous le rapport techno-militaire se déploie sous les auspices de paramètres d’efficacité comparables qui égalisent sensiblement les possibilités de croissance. En second lieu, on enregistre une modification des doctrines stratégiques habituelles dans le sens où chacun a assimilé quelque chose de la pensée et des processus de la partie adverse. Ainsi, dans la tentative d’encercler et de déstabiliser la Russie sur son flanc sud, les États-Unis occupent des pays comme l’Afghanistan et l’Irak, tandis que la Russie, avec l’accord de la Chine et de l’Inde, cherche à accéder au commerce maritime de la zone Asie-Pacifique dans un mouvement d’élargissement vers le Sud-Est selon le « zodiac isotherme » dont parlait Alexander von Humboldt4.

Pour autant que les États-Unis et la Russie fonctionnent selon des coordonnées plus proches qu’autrefois, ce n’est pas le régime économique ou constitutionnel qui institue la différence, mais la répartition géostratégique des forces, que ce soit les forces armées, les ressources énergétiques, les moyens de communication ou la capacité de leadership qui assurent les initiatives politico-militaires, les lieux de repli et une marge de négociation supérieure. La compétition se déploie dans ce cas en tant qu’essai d’organisation hégémonique du territoire, d’un côté par l’extension des frontières de l’Organisation de l’Atlantique nord, et, de l’autre, par la création de l’Union Euro-asiatique.

De semblables évolutions sont inhérentes au développement des grands États qui tendent à entrer en conflit. Leurs actualisations tiennent donc des acteurs sociaux du pouvoir et de l’idéologie qu’ils professent, ce qui explique les principes opérationnels et des buts différents. Le conservatisme étasunien promeut l’effet international des lois du marché et l’universalisme des valeurs démocratiques matérialisées par les États-Unis. En conséquence, il a une vision uniforme du monde dans le sens où leur volonté tend à généraliser la forme de société et l’influence politique étasunienne, laquelle exclut d’éventuelles résistances locales ou des pouvoirs concurrents. C’est la vision du monde unipolaire rendue possible par la disparition du contre-pouvoir soviétique, et ce d’autant plus qu’elle possède pour la déployer l’utilisation mondiale de la langue anglaise et le pouvoir d’attraction planétaire du cinématographe hollywoodien. Le conservatisme russe manifeste une vocation étatique propre, insistant sur des éléments particuliers et irréductibles de sa culture dans le cadre de l’humanité, du panslavisme orthodoxe de l’époque tsariste, pour ne pas parler de l’internationalisme prolétarien léninisto-trotskiste. On pourrait noter un élément de continuité avec le nationalisme patriotique de la Seconde Guerre mondiale quand l’intérêt collectif de la défense nationale a subsumé dans une certaine mesure les critères exclusivistes de classe. Aussi, le conservatisme russe est-il favorable au pluralisme politique et social, soutenant une configuration multipolaire du monde. Il est sûr que la multipolarité ne signifie pas l’égalité des États, mais l’existence de quelques pouvoirs hégémoniques qui se partagent des sphères d’influences dans le cadre d’un équilibre négocié.

Il existe donc des traits communs et des différences significatives entre le conservatisme étasunien et le conservatisme russe – éléments structuraux déterminants pour leur spécificité sociale, pour leur politique intérieure et bien évidemment pour l’orientation de leur politique internationale selon deux références majeures : le marché et l’État. Ce sont les éléments qui délimitent la décision des leaders permettant simultanément de préciser certaines coordonnées analytiques qui expliquent les actions gouvernementales respectives. Au-delà interviennent des facteurs plus difficiles à quantifier comme le hasard, le subjectivisme volontariste et le talent politique propre à chaque dirigeant.

Traduction : Claude Karnoouh

* Alexandru Mamina est diplômé de la Faculté d'Histoire de l'Université de Bucarest, docteur en histoire de l'Institut d'Histoire "Nicolae Iorga". Il a entre autre publié « La société, les institutions, les représentations sociales - études, l'histoire des mentalités et imaginaires », Encyclopedic Publishing House, 1998 ; « La dimension religieuse de la pensée contre-révolutionnaire française », Corinthe, 2002 ; « Structures intellectuelles, romantisme révolutionnaire et contre-révolutionnaire - Le cas des historiens français, allemand, roumain », Fortress 2007 ; « Social-démocratie et culture. Du marxisme au postmarxisme », Fortress, 2010 ; « Redéfinir l'identité. Pour une démocratie sociale critique », Fortress, 2010 ; « Le marxisme occidental et le marxisme oriental (idées, société, culture) », Fortress, 2011.

Notes :

1 La version roumaine du texte a été publiée dans « Polis. Revistă de Ştiinţe Politice », Volum II, Nr. 4 (6), Serie nouă, septembrie – noiembrie 2014, pp. 53-66.

2 Samuel P. Huntington, American Politics : the Promise of Disharmony, The Belknap Press of Harvard University Press, 1981.

3 En rapport avec la pertinence politique et psychologique de la frontière dans l’évolution de la Russie, voir Laurenţiu Constantiniu, Uniunea Sovietică intre obsesia securității și insecurității (L’Union soviétique entre l’obsession de la sécurité et de l’insécurité) Corint, București, 2010, pp. 20-25.

4 La multiplication progressive de l’adhésion subjective imprime à l’État l’orientation qui engendre le passage de l’augmentation quantitative des volontés privées à l’unité qualitative de la volonté publique. Carl Schmitt brosse de manière suggestive cette progression dans le sens d’une définition du politique comme intensification de l’unité. Carl Schmitt, Staatsethik und pluralistischer Staat, en Kant-Studien, vol. 35, Berlin, Pan-Verlag Metzner, 1930, pp. 28-42.

5 Comme réponse à ce soutien, le président promit, utilisant une convention sur les programmes chrétiens, de faire de l’année 1983 l’« année de la Bible ». Voir à ce sujet, Lewis Perry, Intellectual Life in America : A History, University of Chicago Press, 1989.

6 NDLR. Concept anachronique réinventé récemment en reprenant une appellation utilisée au tout début de la chrétienté pour désigner les disciples de Jésus qui refusaient de rompre avec les normes du judaïsme, alors que, dans sa version nouvelle, cette appellation est née lors de la rupture des Eglises chrétiennes avec leurs principes fondateurs antijudaïques, sous l'effet à la fois de la culpabilité provoquée par l'antisémitisme nazi et par la montée en puissance du sionisme. Le « judéo-christianisme » actuel vise à créer un sentiment d'identité des chrétiens envers les juifs tout en les séparant du troisième élément de la tradition abrahamique, l'islam. Dans les faits, le « judéo-christianisme » vise à créer un sentiment de cohésion des pays occidentaux, en association avec l'Etat d'Israël et face au monde arabo-musulman, y compris chrétien arabe, désigné comme « étranger ».

7 Emmanuel Todd, Après l’empire. Essai sur la décomposition du système américain, Paris, Gallimard, 2002.

8 Allan Bloom, The Closing of the American Mind, Simon & Schuster Inc., 1987.

9 Dans une formule synthétique, le libéralisme doit être repoussé en sa qualité de facteur métaphysique global. On voit cela chez Aleksandr Dugin, The Fourth Political Theory, Arktos Media, 2012.

10 La dispute de 1986 sur le problème soulevé par la loi qui introduisait des sanctions économiques contre le régime raciste d’Afrique du Sud. Tout autant pour ce qui concerne la restriction du contrôle civique sur l’administration – qui avait enregistré un réel succès en 1976 – lorsque la Chambre des représentants avait refusé de rendre public le rapport du Comité pour les services d’information sans l’avis préalable de la Maison Blanche. Samuel P. Huttington, op. cit.

11 Zbigniew Brzezinski, Europa centrală şi de est în ciclonul tranziţiei (L’Europe centrale et de l’Est dans le cyclone de la transition), Bucureşti, Editura Diogene, 1995, pp. 207-208 (recueil d’études publiés entre 1989-1995, réalisé pour l’édition roumaine par Paul Dobrescu – n.a).

12 Une formulation synthétique de ce point de vue se trouve chez Milton Friedman, Capitalism and Liberty, The University of Chicago, 1982.

13 David Harvey, The Condition of Postmodernity : An Enquiry into the Origins of Cultural Change, Blackwell Publishers, 1990.

14 NDLR. « Nouvelle Russie », terme désignant depuis le XVIIIe siècle les régions côtières de l'Ukraine actuelle.

15 Il dessinait le chemin d’avancées des empires le long des latitudes tempérées. Voire Paul Claval, Géopolitique et géostrategie, Éditions Nathan, 1996.

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