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  • : Philo-socio-anthropo-histoire. Revue en ligne éditée par une partie de l'ancienne rédaction de "La Pensée" exclue en 2004, élargie à d’autres collaborateurs et consacrée au renouvellement de la pensée critique de la globalisation, du politique, de l’économique, du social et du culturel.
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  • Cette revue de Philo-socio-anthropo-histoire est éditée par une équipe de militants-chercheurs. Elle est ouverte à tout auteur développant une pensée critique sur la crise de civilisation du système capitaliste occidental.
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11 septembre 2017 1 11 /09 /septembre /2017 13:14

Jusqu’au XIXe siècle, la philosophie avait comme fonction d’expliquer le monde, puis, pendant un certain temps, nous avons pu voir dans la philosophie également un moyen de changer le monde. Aujourd’hui, avec la mondialisation accomplie et la régression néoconservatrice, il faut à nouveau tenter d’expliquer le monde qui est devenu largement insensé et incompréhensible. A cause du développement accéléré de la technique et des manipulations médiatiques qu’elle permet au profit des profiteurs. Qu’on veuille à nouveau changer le monde ou ne serait-ce que se limiter à vouloir seulement le comprendre, nous avons besoin d’abord de déconstruire les impostures dans lesquelles nous vivons tous. Perspective que cet article tente d’ouvrir.

La Rédaction

 

Démocratie de masse et presse d’information : réflexions incommodes sur une imposture

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Septembre 2017

 

Claude Karnoouh

 

« Le rapport des journalistes à la vérité est le même que celui de la tireuse de carte à la métaphysique. »

Karl Kraus in Sprüche und Widersprüche, Suhrkamp, 1986

 

Il faut en premier lieu se défaire d’une illusion qui frise l’imposture historique. Les démocraties électives modernes ne sont en aucune façon issues de la démocratie (demos-krator) athénienne. En dépit de cette affirmation cent fois répétée, la notion de démocratie athénienne est aujourd’hui un fourre-tout qui oublie l’essentiel de ce qui l’a caractérisé, d’une part, et non des moindres de ses qualités, l’exercice du pouvoir politique dans une société d’interconnaissance, au sein d’une communauté relativement petite, composée de citoyens en armes, de l’autre, grâce à l’esclavage, une société où des citoyens, fussent-ils modestes, étaient déliés des soucis du travail productif, ce qui faisait de l’économie une affaire éminemment privée et domestique.1 Les citoyens d’Athènes de toutes conditions pouvaient exercer un pouvoir électif et de contrôle sur les instances politiques qu’ils s’étaient choisis à condition qu’ils ne fussent ni esclaves ni métèques. Mutatis mutandis, c’est cet état éminemment politique du socius qui fit d’Athènes le modèle de la démocratie antique. Si, présentement, il nous fallait trouver les origines de nos démocraties électives, il conviendrait bien mieux de nous tourner vers les villes marchandes médiévales et leur système électoral censitaire. Cependant, il s’agit là d’une généalogie très partiale en ce que la citoyenneté dans ces villes, la qualité de « bourgeois », impliquait un statut d’artisan, de commerçant, de marchands, voire de banquier, de membre d’une corporation, les autres, que ce soit les paysans ou ce que le vieux mot français issu du latin nommait « prolétaires », « la classe la plus indigente », comme l’employait encore Rousseau dans le Contrat social, ne participaient pas à la votation. Ce « citoyen », l’allemand le confond toujours avec le bourgeois en un seul substantif, Bürger, lequel existait aussi en vieux français jusqu’à l’aube du XVIIIe siècle où il désignait les citoyens de plein-droit d’une ville devenue autonome (ayant sa propre loi, auto-nomos) à l’égard du pouvoir féodal royal ou seigneurial.

Cependant, déjà partiellement expérimentée pendant la Révolution française, une forme nouvelle de démocratie, la démocratie de masse, se déploya qui mit en France un siècle et demi à s’imposer après la décision du vote des femmes en 1945 par une ordonnance du gouvernement provisoire de la République dirigé par le Général de Gaulle. Cette démocratie de masse, n’est pas la démocratie censitaire de la Grande-Bretagne chère à tous les libéraux, ni la démocratie étasunienne de Tocqueville (haïe par Dickens !), de fait celle des blancs dans un monde esclavagiste. Cette démocratie politique de masse commença un moment en France pendant La Révolution2, le Consulat et l’Empire, puis disparut au moment de la Restauration, pour renaître en 1848 jusqu’au coup d’État de Napoléon le petit (dixit Hugo !). En France, cette démocratie prend son essor définitif avec la IIIe République sans qu’elle soit universelle puisque les femmes en sont exclues ; dans l’Empire allemand elle commença avec le compromis historique entre Bismarck et la social-démocratie, et aux États-Unis elle ne sera complète qu’avec le Voting Rights Act de 1965 qui donna accès au vote à tous les noirs et à toutes les minorités de couleur (latinos, asiatiques, caraïbes) et last but not least au First Nations, les Amérindiens.

Ainsi la modernité politique en tant que pratique que l’on peut situer historiquement comme débutant avec la Révolution américaine et la Révolution française a placé sur le devant de la scène politique un sujet certes partiellement préparé, mais qui, à ce moment-là, prend son véritable envol pour s’éployer en totalité au milieu du XXe siècle. Ce nouveau sujet de l’histoire n’est rien de moins que le citoyen de la démocratie de masse, qu’il soit celui de la démocratie capitaliste ou celui en devenir de la démocratie populaire ou communiste (qui n’a pas aboli le vote universel faut-il encore le rappeler ! Fut-il formel ! Il le fut. Et pourquoi donc le fut-il ? Pourquoi cette nécessité ?) ; cette dernière n’ayant été au bout du compte qu’un sous-produit de la première.

Très vite un problème majeur s’éleva dès lors que les classes dirigeantes de l’État moderne reconnurent la dignité politique à des citoyens de plus en plus nombreux, celui de l’information politique. Tant que la démocratie libérale censitaire était un jeu de pouvoir entre partenaires appartenant au même monde socio-culturel et économique, on peut dire que l’information sous la forme d’une presse d’opinion donnait à ses lecteurs des interprétations et des commentaires sur des événements connus de tous. A l’inverse, la démocratie de masse présupposait certes des citoyens tous égaux devant la loi, mais sûrement moins égaux ou identiques face aux enjeux électoraux de la politique en raison de statuts économiques fort différents. Qui avait-il de commun entre un grand bourgeois tel que le décrit Marcel Proust dans A la recherche du temps perdu, les prolétaires que Zola met en scène dans Gervaise ou les paysans du fin fond de la Bretagne dont parle Balzac dans Beatrix ? La volonté générale comme République française ? Assurément vrai dans le cadre du discours théorique des cours de philosophie politique à l’Université, mais comment cela pouvait-il se manifester dans la praxis de la réalité quotidienne ? Certes de vagues souvenir d’un en-commun révolutionnaire qui s’était totalement dégradé au XIXe siècle quand la bourgeoisie avait abandonné la Nation pour le seul profit (« Enrichissez-vous » de Guizot !), c’est-à-dire pour la domination de la sphère économique. Dès lors les révolutions n’embrassaient que le prolétariat et la frange la plus modeste de l’artisanat.

Du côté des Anglais on avait affaire à une société où la démocratie se jouait au sein de la caste dirigeante, l’aristocratie, la grande bourgeoisie et le grand commerce, dont une bonne part de l’artisanat et l’ensemble du prolétariat étaient exclus, vivant dans une misère qui valait bien ce qui plus tard se nommerait le Tiers-monde, une sorte de version occidentale du Goulag ! Si l’on se penche du côté des États-Unis d’Amérique l’en-commun depuis la révolution est contrôlé par une oligarchie féroce3 prévenant par des moyens militaires et policiers toute contestation de son pouvoir, vendant, parfois de manière crapuleuse4, la conquête de l’Ouest comme espoir d’un monde meilleur, à de misérables émigrés, et utilisant son armée à l’extermination des Indiens afin de les chasser de leurs terres pour être remplacés par de vastes exploitations capitalistes. Dans tous les cas, l’acceptation du suffrage universel par les classes dirigeantes fut incontestablement une conquête souvent obtenue après de sanglantes luttes qui engendra pour ces mêmes classes un problème nouveau : comment maîtriser ce qui plus tard se nommerait l’opinion publique. En effet, puisque le jeu d’un suffrage censitaire ou quasi censitaire disparut au profit d’un jeu électoral étendu à toute la population quelle que soit sa classe socio-économique, son groupe socio-professionnel ou religieux, la classe dirigeante (the Ruling class) se trouva confrontée au contrôle de l’opinion des masses dans leur diversité. C’est ainsi que la démocratie moderne, la démocratie de masse impliqua des moyens non-démocratiques de contrôle des opinions, et ce dès le début, puis en se raffinant au fur et à mesure que les moyens technologiques offraient des possibilités inédites quelques années auparavant. Dans les pays totalitaires cela porte le nom simple et dépréciatif, la « propagande », mais comment cela fonctionne-t-il précisément dans la démocratie de masse occidentale s’avançant sur la scène politique comme la quintessence même de la démocratie. C’est ce que derechef je vais m’essayer à déconstruire.

 

Comment fonctionne l’information de masse

 

Commençons simplement par regarder autour de nous et observons comment et sur quels sujets, quels qu’ils soient, l’information se présente à nos regards et à notre ouïe. Essayons, autant que faire se peut, d’abandonner nos préjugés, nos préconceptions, et concentrons-nous sur le phénomène tel qu’il se donne : le phénomène avant toute autre chose, sous-entendu, le phénomène avant le concept, avant la reconstruction d’une quelconque objectivité/subjectivité se donnant comme théorie dans les mots d’un langage se prétendant scientifiquement innocent, procédant d’une neutralité axiologique.

Hic et nunc que voyons-nous aujourd’hui dès que nous tournons le bouton de notre poste de télévision, ou mieux, lorsque nous prenons en main le petit émetteur d’ondes courtes où quelques dizaines de petites touches donnent vie à l’écran glauque où des centaines de chaînes nous proposent des centaines de milliers d’images colorées accompagnées de millions de mots, de millions de phrases énoncées en des dizaines de langues. Chaînes locales, chaînes nationales, chaînes satellites, chaînes alternatives, antennes paraboliques, câbles, ordinateurs, smartphones, nous sommes enserrés dans un réseau international d’images, de sons, de paroles, comme des mouches prises dans une toile d’araignée. C’est là, aujourd’hui, me semble-t-il, notre état commun, Est et Ouest, Sud et Nord confondus. Ce ne sont plus les journaux ou les revues hebdomadaires qui comptent, à présent, à chaque heure du jour et de la nuit, nous recevons à domicile toutes les informations du monde via la télévision et les sites des réseaux sociaux officiels ou alternatifs.

Or, quelques exemples célèbres parmi des milliers d’autres, appellent à réfléchir sur le rapport entre cette multiplication inédite d’images et de connaissance d’événements se passant aux quatre coins du globe. Pour notre propos d’une réflexion sur la notion de démocratie de masse à l’épreuve de l’information planétaire, il faut nous souvenir, par exemple, de l’imposture du cimetière de Timisoara et simultanément de ce qu’elle masquait de la réalité tant du coup d’État à Bucarest via Timisoara et simultanément de l’intervention sanglante des États-Unis au Panama5. Il faut nous souvenir aussi de la petite ampoule tenue dans les mains du Secrétaire d’État US Colin Powell et agitée devant les représentants de l’Assemblée générale de l’ONU, laquelle « prouvait » la présence d’armes de destruction massive en Irak. Splendide prétexte ayant permis de justifier aux yeux des peuples occidentaux sidérés ou indifférents la guerre du Golfe avec le fameux effet C.N.N. Il faut nous souvenir également de l’intervention des casques bleus en Somalie avec en tête le bon docteur Kouchner filmé sur la plage portant sur ses épaules un sac de riz. Il faut nous souvenir des aberrations rapportées par la grande presse d’information sur la guerre zapatiste, sur les massacres de Bosnie, les mensonges sur les bombardements « chirurgicaux » de la Serbie ou les intentions démocratiques des tueurs de ce qui allait devenir DAESH quand ils coupent les têtes de leurs prisonniers. Nous avons ainsi vu la multiplication infinie des mêmes scènes auxquelles souvent nous ne comprenions plus rien jusqu’à ce que d’autres images chassassent les précédentes pour, à leur tour, être chassées ad infinitum et ad nauseam par la ronde infernale d’une actualité multiple qui finit par devenir tout bonnement un non-sens.

Pour l’information démocratique des masses le monde n’est présenté que sous la forme de séries fragmentées de textes et d’images sans mise en relation les uns avec les autres, sauf les émotions momentanées qu’elles suscitent. Très souvent, quelques temps après l’événement, nous apprenons que telle ou telle information illustrée de milles images « vraies » n’était pas véridique, qu’il en allait tout autrement, que le spectacle auquel nous avaient conviés les journalistes n’était qu’une sinistre mise en scène et que, ces « bons et braves garçons et filles » d’habitude si vigilants, si pointilleux sur le vocabulaire politiquement correct, s’étaient fait prendre au piège orchestré par de prétendus sinistres manipulateurs ou par des politiciens menteurs. Une autre fois, un peu plus tard, les mêmes journalistes, ou leurs frères, avouaient que les images de la guerre du Golfe n’étaient que des bobards préparés dans des studios par les services de propagande de l’U.S. Army, comme les nouveau-nés arrachés des couveuses des maternités du Koweït par les troupes de Saddam Hussein. Nous avons aussi appris que des images de massacres en Libye puis en Syrie prétendument opérés par les forces officielles et diffusées à preuve dans le monde entier, n’étaient que des scènes tournées en studio ou dans le désert au Qatar. En bref, cette information nous somme, sans débats, de répondre par des élans sentimentaux et des affects, des bouffées de pitié, voire parfois par des inclinations esthétiques à ce champ de l’activité humaine qui, par excellence, n’est pas, ou ne devrait être ni sentimental ni esthétique, la Politique. Tous autant que nous soyons, gens simples ou intellectuels, prolétaires ou commerçants, simples fonctionnaires, employés ou cadres, sommes les témoins consentants d’un détournement de la Politique en ce que les critères des choix qui s’offrent à notre entendement reposent sur des catégories rationnelles de l’entendement et des arguments qui ne le sont point : sur le moralisme ou la moraline et non sur la morale (de ce point de vue la vocation éthique de l’État ou de la Cité selon Platon et Aristote n’est plus qu’un vieux rêve effacé) ; sur l’esthétique, puisque les hommes politiques dans leurs actions se doivent apparaître dans des vêtements de scène qui répondent aux critères de la mode ; last but least, l’information ne doit jamais oublier la valeur d’échange, en ce que l’information, qui par la projection de publicités aux heures d’écoutes les plus importantes, doit simultanément garantir un taux d’écoute maximum afin que la plus-value du capital investi dans le business informatif y trouve aussi son compte au côté des stimuli idéologiques les plus simples et simplistes.

La Politique telle qu’on la présente aux téléspectateurs, comme une de gestion comptable, est sans cesse arrachée à son essence conflictuelle (polémos) ou, pour reprendre l’opposition mise en lumière par Carl Schmitt, au rapport de l’ami à l’ennemi et réciproquement. La Politique qu’on offre ne représente plus des intérêts contradictoires entre États ou entre des groupes humains aux intérêts divergents qui se heurtent, mais l’affrontement de bons ou de mauvais sentiments, de bons ou de méchants chefs d’État, masquant la redoutable réalité des conflits politico-économiques pour la conquête de nouveaux marchés et donc pour l’imposition de pouvoirs qui protègent les gagnants. Ce qui s’auto-désigne aujourd’hui comme le « quatrième pouvoir », le pouvoir des medias, n’est, au bout du compte, que le pouvoir de grands trusts économiques qui les possèdent, et qui, grâce à cette propriété, détiennent le pouvoir d’informer, de n’informer pas, de désinformer, de jouer sur la dilution de la surinformation. Aussi serait-il naïf (pour ne pas dire stupide) de croire qu’au travers de l’information qu’ils déversent sur les ondes publiques et privées ces pouvoirs ne défendent pas exclusivement leurs propres intérêts. Quand je les entends affirmer que telle ou telle opinion serait celle de la société civile, je prends mon oreiller pour dormir sur mes deux oreilles.

 

L’homme politique de la démocratie de masse

 

A présent, penchons-nous la figure de l’homme politique de la démocratie de masse. Lors des joutes organisées à l’occasion de telle ou telle élection, les téléspectateurs sont conviés à assister à des débats télévisés qui ressemblent plus à du show-business où comptent essentiellement les qualités de la mise en scène, de la mise en valeur des personnages, la coupe de cheveux et celle des costumes, la couleur des cravates, la longueur de la jupe et la broderie du corsage ainsi que la minutieuse préparation des interventions mille fois répétées, le style des décors, etc. On nous donne à voir un spectacle où sont rassemblés tous les éléments constitutifs non tant du simulacre théâtral que de l’opérette. Au centre, l’homme politique semble jouer le rôle d’acteur principal ou secondaire selon le rapport de force qui s’établit entre lui et les journalistes. Aussi la Politique se résume-t-elle alors au débat de surface entre l’homme politique et les journalistes où le non-dit de l’essentiel est toujours respecté, un débat dont les citoyens sont exclus puisqu’ils ne connaissent jamais le dessous des cartes, les véritables informations sur les enjeux des réels conflits de pouvoir et d’intérêts financiers que défendent en sous-main les politiciens et leurs acolytes journalistes. Dans cette représentation, l’homme politique (de gauche et de droite) vise à offrir au travers d’une image bien lissée, la représentation esthétisée et aseptisée d’une politique de gestion, c’est-à-dire de quelque chose qui fait toujours référence à des critères autres que ceux fondant la Politique elle-même. La Politique se donne alors comme une sorte de commentaire du social en général, de ses modes, de ses lubies et ressemble de plus en plus aux présentations du star-system et des compétitions sportives. L’homme politique est ainsi partie prenante d’un espace esthétique où les images de lui-même se conforment à l’esprit de la société du spectacle du capitalisme intégré (pour reprendre l’expression prophétique de Guy Debord). L’homme produit les faux-semblants et les simulacres qui caractérisent dès longtemps le politique comme spectacle grotesque de la politique. C'est pourquoi, malgré les discours nostalgiques et les jeux académiques, l’héritage grec du politique a disparu : la Cité comme réalisation de l’éthique, la République comme réalisation de l’État de la Polis, la démocratie comme expression des conflits directes entre hommes libres et guerriers n’appartient plus au présent, mais au domaine d’une archéologie de la culture.

Ce qui caractérise notre époque dite « post-moderne » ou « post-historique » ou « post-industrielle » c’est bien la fin des médias d’opinion, de médias parfois violemment conflictuels, voire agressifs au profit des médias dit d’« information »6 dont le personnel rédactionnel devenu interchangeable propose du consensus, des faux débats et des faux conflits toujours cantonnés dans le cadre du Politically correct. Certes, sa propre mise en scène par le pouvoir n’est pas une nouveauté en-soi comme le présuppose Debord. Ce fut même l’un des traits qui le désignait comme pouvoir devant le peuple que ce soit sous la forme de spectacles allégoriques ou symboliques afin de garantir ou de réactualiser sa légitimité ou ses vertus transcendantes, et de ce point de vue, les pouvoirs totalitaires du XXe siècle n’ont pas innové, ils ont actualisé le spectacle avec de nouveaux moyens techniques pour de nouveaux destinataires. Nonobstant, et jadis et naguère il n’y était point question de démocratie, moins encore de démocratie de masse parlementaire. Quant à la tragédie grecque, elle se donnait explicitement, selon l’expression d’Aristote, comme le lieu de la catharsis, rappelant au peuple-citoyen quels sont les lois morales et les contraintes des vertus que l’exercice quotidien du gouvernement des hommes bafoue sans cesse. Or à la différence des spectacles des pouvoirs anté-démocratiques notre présent, l’ai-je souligné assez, est de l’ordre du simulacre parce que la Politique y a été subjuguée par la domination absolue de la sphère politico-économique dont les maîtres ne sont jamais investis d’aucune légitimité démocratique : en d’autres mots, ils ne sont pas les élus du peuple produits par des procédures démocratiques. Nous ne votons pas pour les présidents d’Exxon, de Pierpont, de Goldman Sachs, de la Deutsche Bank, de Chrysler ou de Renault-Nissan. Or, les divers types de gouvernements modernes reposent sur la démocratie de masse entendue comme l’extension de la participation du plus grand nombre à la décision politique au travers de représentants élus au suffrage universel. Cette démocratie de masse tend à s’étendre au fur et à mesure que l’État, aux inclinations toujours totalisantes, intègre à la sphère politique (donc à sa sphère) des couches sociales qui en étaient naguère exclues : après la fin du suffrage censitaire, l’ensemble des hommes majeurs, ensuite les femmes majeures, puis, avec le recul de l’âge de la majorité légale, des strates d’adolescents, enfin, sous la pression de l’ouverture des frontières économiques et de formes para-fédérales au sein de l’Europe occidentale à diverses minorités étrangères (pour le moment réduite aux élections municipales dans le cadre de la communauté européenne).

Une généalogie de la postmodernité dans la presse d’information des masses

 

Voilà la banale réalité des choses dont nous devons partir si nous souhaitons penser cette situation inédite dans l’histoire de l’humanité : le déni de démocratie réelle (et non verbale) dans le cadre de la planétarisation de l’information, laquelle recouvre toutes les activités humaines, la politique, le sport, les arts, la cuisine, la science, la culture et, comment l’oublier, le sexe omniprésent dans la plupart des médias. Cette planétarisation nous invite chaque jour à suivre l’actualité humaine (et maintenant animale) partout, tant et si bien que nous sommes plongés dans une sorte d’ubiquité multidimensionnelle où la capacité de discernement s’égare.7 La plus reculée des tribus amazoniennes a déjà eu son heure de gloire télévisée, ce qui, à l’inverse de l’effet prétendument cherché par les auteurs de film, sa protection, la condamne à disparaître à court terme dès lors que chercheurs d’or et de pierres précieuses et touristes les auront mithridatisées. Et c’est alors que les bonnes âmes, défenderesses des droits de l’homme, ethnologues et autres ONG-istes se pencheront sur leur triste sort. Tout est bon pour le spectacle, et chaque individu sait qu’il aura peut-être ses quinze minutes de gloire télévisée, selon la célèbre définition qu'Andy Warhol donna de notre postmodernité. Oui, quinze minutes de gloire, le temps de montrer son visage devant les caméras pendant un quelconque jeu télévisé, une téléréalité, le temps de raconter ses fantasmes sexuels au cours d’un Talk-show. Ce qui ressort de cette description montre à l’évidence que l’information ne recouvre plus aucune expérience directe que les hommes concrets en des lieux précis se font de leur vie, et ce, quelle que soit cette expérience, fût-elle celle de la majorité, banale, morne, sinistre, vouée au labeur répétitif, à la laideur, la bassesse, à la fatigue, au chômage, à l’angoisse, la pauvreté, à la misère physique et spirituelle, au désespoir.

 

Comment en est-on arrivé là ?

Peut-être faut-il reconstruire plus précisément la généalogie de cette mutation afin de saisir le moment qui inaugure les temps modernes ou, selon l’expression de Gianni Vattimo, le moment inaugural de la modernité tardive préparée de longue date par la modernité elle-même.

S’il y eut une mutation, c’est, en premier lieu, dans le champ du Politique qu’elle s’élabora. Aussi devons-nous ressaisir ce qu’il advint de la politique au cours du dernier siècle, lequel marque et la naissance et l’expansion sans précédent des systèmes d’information de masse que l’Occident appelle propagande quand il s’agissait du feu monde communiste, comme s’il était lui-même étranger à cette activité, voire comme s’il était innocent ! Comprendre ce phénomène c’est en saisir la genèse.

On pourrait aborder sa description en se penchant sur la découverte des lois régissant la propagation des ondes électromagnétiques et le développement des instruments de communication qu’elles induisent (radio, télévision). Nouvelle preuve que c’est le techno-capital qui mène le monde. On pourrait continuer en soulignant combien la recherche informatique d’une part, et la miniaturisation des systèmes de transmission de l’autre, ont ouvert la voie à ce que les nouveaux prophètes de la « communication démocratiques » appellent le “Multimedia Highway”. Enfin, il faudrait mettre en évidence qu’il s’agit là d’une gigantesque industrie planétaire qui met en jeu des investissements colossaux où s’entremêlent le développement scientifique et technique, ses applications civiles et militaires, l’ouverture de nouveaux marchés par la création de nouveaux besoins et l’empire de la publicité. En bref, la nouvelle dynamique qui, au cours des cinquante dernières années, a entraîné simultanément l'expansion sans précédent des espaces où se déploie la marchandise.

Toutefois, nous nous aveuglerions sur les résultats inouïs du progrès technique si nous oubliions sa provenance qui, en tant que possibilité, se prépare bien avant la révolution électronique et télématique dans l’essence même de la technique, au cœur du calcul mathématique devenu la seule grille de lecture de la « carte de la nature » selon Descartes, laquelle, à partir de l’impensé cartésien et leibnizien, ordonnera peu à peu une nouvelle organisation du social et du Politique. Aussi, la mutation du politique dont nous sommes et les témoins et les acteurs ne date-elle pas d’hier, ni même d’avant-hier, elle s'est préparée tout au long du siècle précédent dans la conjonction de deux provenances : celle de la révolution techno-scientifique et celle de la démocratie de masse. C’est dans cette conjonction de co-appartenance que s’est déployée simultanément l’ère des médias planétaires et la fin de la démocratie dans une démocratie de masse que nous avons à charge de penser.

Au XIXème siècle, le libéralisme entendait le politique comme le domaine réservé aux seules classes dirigeantes d’où étaient exclus les problèmes économiques laissés à la discrétion des entrepreneurs (même si Benjamin Constant voyait après 1814 la venue de l’ère du commerce comme une ère de paix ! Quelle intuition !!!). Certes, cette autonomie varie d’un pays à l’autre, et, si l’Angleterre fut à coup sûr la première nation à soumettre le Politique à la raison économique, il n’empêche que le Politique y avait encore sa part d’autonomie ; c’est plus encore dans la France napoléonienne, pays éminemment politique, où l’on trouvait l’économie entièrement soumise aux impératifs impériaux de la conquête politique et donc de la guerre, ce que les penseurs prussiens Clausewitz et Hegel surent admirablement théoriser. C’est en développant les moyens de production, mais surtout en transformant de fond en comble le rapport au temps que le capitalisme entreprit une révolution spirituelle et sociale, une prolétarisation et une urbanisation synchronisées qui concentreraient en masse les gens afin qu’ils accomplissent les tâches divisées et répétées à l’infini de la production industrielle selon la rationalité du calcul mathématique appliqué à la production technique. Tâches simples au début, qui deviendront de plus en plus complexes au fur et à mesure que les innovations techniques produiront machines et objets où interviendraient des procédures de fabrication impliquant de multiples connaissances techniques, exigeant, de ce fait, des ouvriers de plus en plus qualifiés, capables de lire, compter et d’effectuer des opérations nécessitant la régulation ultra précise de plusieurs actions simultanées.

Ce n’est donc pas l’effet du hasard si, au XIXe siècle, l’avant-garde du mouvement ouvrier se rencontre parmi les typographes, parmi ceux qui savaient non seulement lire et écrire, mais qui avaient simultanément accès au savoir, tant aux textes de vulgarisation scientifiques qu’à la littérature sociale venue le plus souvent des franges des classes dirigeantes soucieuses de la misère ouvrière. Ces ouvriers fondèrent les premiers syndicats qui avaient outre la vocation de les défendre de l’exploitation patronale, la force mobilisatrice pour exiger de l’État la prise en charge de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture inscrite dans la tradition de l’enseignement populaire déjà promu par les Lumières à la fin du XVIIIe siècle. C’est au nom de cette volonté d’offrir à tout le peuple des travailleurs la culture savante — laquelle encore innocente de l’histoire moderne liait le progrès des connaissances scientifiques et techniques au progrès moral —  que les ouvriers pouvaient légitimement formuler l’exigence d’une pleine participation à la vie politique par l’intermédiaire du suffrage universel.

Au fur et à mesure que le travail salarié urbain du capitalisme libéral ou étatique devenait l’activité d’une majorité d’hommes, il atomisait les hommes des communautés rurales en une masse d’individus jetés sur le marché du travail industriel d’une part et, de l’autre, les intégrait à de nouvelles entités qui n’appartenaient pas à la sphère du politique, mais à celle de l’économique : aux entreprises industrielles et, plus tard, au système de la consommation. D’un côté, acteurs économiques intégrés en totalité à l’économique, les ouvriers de l'industrie et les salariés de l’agriculture se trouvaient écartés du vote par le suffrage censitaire. Aussi ne pouvaient-ils accéder à la pleine citoyenneté politique. En faire des citoyens à part entière, c’est-à-dire des acteurs politiques de pleins droits, voilà ce que proposaient les premiers syndicats.

 
 
 

Avec le développement généralisé de l’industrie, deux phénomènes s’uniront donc quoique marqués d’un décalage temporel : d’une part le déploiement de la technique sous la forme de procédures technologiques de plus en plus complexes et la multiplication des objets-marchandises comme besoins alimentant une nécessité sans cesse réactualisée et source d’une lutte permanente contre la baisse tendancielle du taux de profit ; et d’autre part, l’extension politique de l’Etat-nation comme nouvelle incarnation collective, nouvel en-commun ou communauté de la subjectivité d’une population dans sa langue (ou plutôt dans une langue unifiée comme devenir du peuple-nation). C’est ainsi qu’en Europe occidentale et aux États-Unis, en un temps relativement court, à peine trois-quarts de siècle, s’est installée une société de salariés faite d’une part de producteurs-consommateurs et d’autre part, d’un peuple à qui l’on demandait d’être des citoyens capables de sacrifier leur vie pour cet État-nation qui leur assurait du travail et, peu à peu, grâce à des luttes politiques parfois sanglantes, un certain bien-être. C’est, me semble-t-il, cela le double fondement de la démocratie de masse, à la fois l’entrée de la classe ouvrière et de la petite paysannerie dans la sphère politique et l’intégration de tout le social dans le processus totalisant de production-consommation. C’est ce double fondement qui s’accomplit en totalité dans les pays occidentaux pendant la Première Guerre mondiale8 lorsque les trois nations, Grande-Bretagne, France et Empire allemand, dont les peuples étaient les plus éduqués, Gebildet pour reprendre le terme allemand plus précis, se combattirent en déployant une boucherie sans précédent, et avec un acharnement tel qu’Ernst Jünger y a vu et la fin de l’Europe classique (celle du guerrier) et le triomphe des temps modernes, ceux du soldat et de l’ouvrier comme Gestalt de la Totalmobilisierung.9 Accomplissement d’une époque où les injonctions de l’industrie, du salariat et de la citoyenneté-soldatesque se met en œuvre sous la figure-forme du Travailleur (Der Arbeiter).10 L’État-nation apparaît alors comme ayant atteint le faîte de sa puissance en ce qu’il a intégré dans sa sphère toutes les communautés de son espace de souveraineté qui jusque-là étaient encore demeurées à ses marges.11

On pourrait aussi compléter l’analyse en soulignant que chez Foucault, et plus précisément dans Surveiller et punir, on constate que la politique intérieure ne suffit pas à intégrer à l’État-nation des masses d’hommes qui jusque-là étaient exclus de la sphère politique de l’État. Pour ce faire, il fallut que l’État totalisant mettent en avant, et pour parler en termes hégélien, le rôle fondamental du sacrifice de la vie comme l’état de conscience le plus élevé du citoyen-politique dans son identification à la patrie. C’est cela que réalise la Première Guerre mondiale en France, en Angleterre et en Allemagne ; c’est cela qu’elle produit en partie dans l’Empire multiculturel russe par une révolution aux fondements politiques inédits.

Or, tant que l’intégration sociale se faisait avec les moyens institutionnels du contrôle policier, juridique, médical et scolaire, il permettait encore de laisser hors de la pleine citoyenneté politique de nombreux hommes et femmes. L’information politique se manifestait alors sous la forme d’une presse d’opinion entre des acteurs en nombre restreint, participant aux débats politiques en tant que tels dans des chambres d’élus et dans des cercles cultivés dénommés « espace public ». C’est la conception du libéralisme du XIXème siècle où, sous l’égide des Lumières, d’aucuns assument que la vérité jaillit du débat et donc d’un compromis. Mais c’est aussi, du côté des ouvriers, la naissance de leur presse d’opinion où se débattent, s’expriment, s’explicitent leurs propres intérêts, leurs tactiques, leurs stratégies dans la lutte de classe. Or, mobiliser massivement les hommes au profit des intérêts de la puissance (à la fois politique et économique) de l’État-nation implique que ces mêmes hommes consentent un jour peut-être à sacrifier leur vie pour cet État. Il faut donc que le pouvoir soit investi d’une légitimité totale, à la fois transcendante et immanente, afin d’être en mesure de formuler une telle exigence, la plus haute, la plus spirituellement élevée sans être démenti par la désertion. Cela ne peut s’obtenir que si le plus grand nombre trouve, d’une manière ou d’une autre, sa place dans la Nation non pas comme l’unité d’une entité ethnique, religieuse ou économique, mais comme le membre d’une communauté politique totale. Toutefois cela semble insuffisant pour mobiliser, encore convient-il de forger les représentations dans les consciences (Forstellungen) qui préparent les hommes à accepter ce sacrifice sans remettre en cause ni la transcendance historique de l’État ni l’ordre interne « naturel » sur lequel il prétend se fonder, c’est pourquoi l’intégration à la sphère politique se double aussi de sa contrepartie sacrificielle.12

En outre, les intérêts économiques s’opposent parfois à la volonté de l’État, ou, à tout le moins, veulent l’infléchir dans un sens qui n’est pas toujours celui qui favorise sa puissance politique en tant que telle, et comme l’inverse est tout aussi vrai. Si, de plus en plus d’hommes détiennent le droit de vote, c’est-à-dire, le pouvoir théorique et pratique de décider au travers de leurs représentants de l’orientation de la politique (en termes schmittiens : ils détiennent donc le pouvoir de déterminer qui est l’ennemi et donc qui est l’ami), c’est alors que le pouvoir du suffrage universel devient une réelle menace pour les classes dirigeantes qui demeurent les mêmes comme l’ont montré de bonnes études historiques sur la permanence des élites (par exemple, en France depuis la Restauration jusqu’à l’aube du XXIe siècle, et en Grande-Bretagne depuis plus longtemps encore).

Ce paradoxe entre l’intégration massive des populations dans le devenir économique général et leur intégration dans le pouvoir politique étatique avait été pressenti pendant la Révolution française par un penseur conservateur comme Joseph de Maistre. Or, le moment où naît la presse dite « d’information » — laquelle se substituera lentement à la presse d’opinion — marque le début de l’intégration générale du salariat aux jeux politiques de l’État-nation. Cette intégration se fait grâce à la généralisation du service militaire où en principe toutes les classes sociales sont réunies pour la défense de la Patrie, à la généralisation de l’enseignement primaire où s’impose la saga héroïque de la Patrie-Nation et à l’accès au suffrage universel. En effet, l’opposition entre la presse d’opinion de droite et celle de gauche laissait face à face deux groupes sociaux antagonistes et donnait enfin à la classe ouvrière de nouvelles armes, sa propre presse. C’est Balzac, dans Grandeur et misère des courtisanes, qui décrit d’une part l’apparition du journal d’informations, de scandales et de faits-divers (le tabloïd contemporain) et, d’autre part, sa cheville ouvrière, la figure du journaliste stipendié et interchangeable dont le travail consiste à manœuvrer l’opinion dans le sens voulu par les propriétaires de la presse. Si Hegel put écrire que la lecture matinale du journal matinal est la maladie de l’homme moderne, — mais de son temps ce n’était encore qu’une maladie infantile — que dire alors du présent, de sa télévision et de ses « smart phones » mondialisés ? Ce n’est plus une maladie, mais une gravissime pandémie qui englobe des peuples entiers fascinés devant l’écran des mille illusions.

La presse d’information fut une création des classes dirigeantes afin d’offrir à l’ensemble du peuple d’un pays souverain des représentations uniformisées sous la forme du reportage et de l’interview prétendument « objectifs », réalisés par un journaliste qui est censé représenter cette entité abstraite, « l’opinion publique », c’est-à-dire un peuple unifié, un peuple dont les opinions ne seraient pas soumises à des intérêts politiques et économiques singuliers et divergents, voire antagonistes. C’est cette même presse qui, avant 1914, prépara l’enthousiasme guerrier des opinions publiques française, anglaise et allemande les menant à accomplir sans trop rechigner, du moins pendant les deux premières années, les grandes danses macabres des années 1914-1918.

Les pays où se sont développées simultanément la démocratie politique de masse et les machines de production-consommation de masse ont créé simultanément la grande presse d’information avec ses énormes tirages et le rôle de plus en plus important attribué à la réclame comme source de bénéfice. Ainsi émergea la figure du journaliste moderne, présenté comme le parangon de l’homme qui dit le vrai au moment même où l’événement se produit : figure qui a été abondamment illustrée par le roman policier et le cinéma noir américains : image du héros des Temps modernes en lutte contre les forces occultes du mensonge. Une nouvelle version de la lutte du Bien contre le Mal était née. Mais, à y regarder de plus près, il s’agit là de quelque chose qui pourrait se caractériser comme le réalisme capitaliste, lequel, comme le réalisme socialiste, a peu à voir avec la réalité des comportements réels au cœur des enjeux des intérêts financiers.

Aux États-Unis, il a fallu le coup de tonnerre d’Orson Wells avec Citizen Kane, pour voir le génie créateur approcher la réalité du fonctionnement de la grande presse et le rôle essentiel joué par l’argent et la peur dans la formation de l’information politique et sociale et la manipulation des opinions des citoyens. Or le modèle de Kane n’est autre que le magnat de la presse Hearts, celui qui mis toute sa puissance financière à empêcher l’élection de l’écrivain socialiste (Upton Sinclair) au poste de gouverneur de Californie en 1936. C’est, nous le savons encore, la grande presse étasunienne, Washington Post et New York Times, qui appuya la campagne maccarthyste d’épuration des sympathisants communistes dans milieux cinématographiques, littéraires et universitaires nord-américains. Les exemples sont nombreux et on pourrait les multiplier à l’infini, par exemple en observant le rôle de la presse (de toute la presse, depuis les tabloïds people jusqu’aux revues politiques prétendument sérieuses) dans la campagne présidentielle française de 2017 et l’élection sans conteste de Monsieur Macron, certes ancien ministre, mais sans parti politique, venu comme une étoile filante du néant. Cette manipulation vaut aussi pour les aspects de la politique étrangère : nous avons déjà rappelé les armes de destruction massive de l’Irak concentrées dans la petite fiole présentée à l’Assemblée générale de l’ONU par Colin Powell ! Nous retrouvons toujours les mêmes actions, les mêmes enjeux masqués sous un humanisme de pacotille, sous l’argument des droits-de-l’homme qui dissimulent, en la moralisant, l’intervention impérialiste sous le prétexte souvent fallacieux de prétendre protéger les minorités. De fait, nous avons affaire à la même et sempiternelle antienne : instrumentations cyniques et manipulations, toujours les mêmes faux-semblants sinistres, les mêmes simulacres.

Si l’on peut avancer une hypothèse, il conviendrait alors de suggérer que la presse d’information a représenté, jusqu’à la domination de la télévision, la forme la plus subtile d’une propagande que Jean-Christophe Ruffin (lui-même libéral) appelle, La Dictature libérale.13 Étrange affirmation ! Le trait caractéristique de cette propagande c’est qu’elle n’écarte pas du discours public des éléments défavorables à l’image d'un système social, politique et économique que par ailleurs elle défend bec et ongles. En apparence, l’objectivité est préservée, l’événement (mais pas tous les événements) est porté à la connaissance d’un large public qui ne peut en être le témoin direct. Mais l’événement en soi, celui dont on n’a aucune expérience existentielle et dont on ne connaît pas les sous-entendus, est tout simplement insensé. Ce qui compte c’est la manière de le présenter, de le commenter, de l’illustrer, de choisir les mots, la forme des phrases, de l’associer ou de le dissocier à d’autres événements selon des procédures discursives qui jouent sur tous les ressorts de la dramaturgie du roman ou des émotions suscitées par les images cinématographiques. C’est là un dispositif propre à la rhétorique du discours (que l’on accepte pour le roman ou le film de fiction) qui fournit à l’événement son pouvoir sémantique et donc interprétatif. En d’autres termes, sous couvert d’informations « objectives », la grande presse et la télévision offrent, sans l’expliciter jamais, une donation de sens qui joue sur les ressorts de la peur, des bons sentiments, des émotions les plus immédiates, en bref sur la sensiblerie la plus superficielle et qui transforme la politique – laquelle suppose le conflit, polémos, et la contestation, diagnosis, entre des options véritablement opposées et clairement exposées – en une saga ou un spectacle qui s’apparente aux feuilletons de la littérature populaire, avec ses héros positifs et négatifs, et ses rebondissements dramatiques dans une narrativité qui l’apparente aussi au sport, au « showbiz » et au défilé de mode. Et la politique me diriez-vous ! Elle n’a pas changé, elle est toujours faite de jeux de puissance, de secret, de cynisme, et last but not least, de rapports entre des entités humaines se fondant sur des relations entre des ennemis vrais ou potentiels où la guerre demeure toujours une présence latente, sans qu’elle soit pour autant immédiate.

En revanche, la presse des pays totalitaires, presse de propagande explicite par excellence, n’est, quant à elle, qu’une presse d’opinion (issue souvent d’une presse marginale) étendue, après la prise pouvoir, à l’échelle d’un État ou d’un empire. La presse des pays totalitaires exprimait sans faux-semblant la doxa d’un pouvoir, la « vérité » officielle et ses changements d’interprétations imposés, en bref, la seule version du Beau, du Bon, du Vrai. Version naïve (et parfois criminelle) d’un pouvoir héritier d’une version populaire et pervertie des Lumières qui a toujours identifié le devenir du monde à la logique de ses catégories intellectives dans une vision transcendante de l’histoire comme « science » de la lutte des races ou de classe. Or, paradoxe insondable de la liberté humaine et de l’expérience existentielle, cette doxa laissait toujours ouvert le champ à d’autres interprétations, à d’autres volontés, à d’autres représentations de ce devenir et de sa provenance, fussent-elles violemment réprimées, et ce d’autant plus qu’elles demeuraient là, dans la conscience, braises encore rougeoyantes, toujours prêtes à s’enflammer au moindre signe de faiblesse du pouvoir. La répression instaurée par les pouvoirs communistes traduit deux choses, d’une part une véritable lutte contre un ennemi extérieur et intérieur qui pouvait être parfois réel, parfois instrumenté, et de l’autre, sa faiblesse intégrative (comme tout pouvoir tyrannique issu de mouvements sociaux violents ou des guerres) sur des consciences non encore suffisamment dressées à s’identifier à l’uniformisation étatique et sociale générale. Il suffit de constater combien toutes les identifications à l’État et/ou à l’Empire ont volé en éclats dès que le pouvoir communiste a montré sa faiblesse pour saisir combien cette intégration était fragile, sauf lorsque l’URSS menacée jadis dans son existence même par les hordes teutoniques, le pouvoir eut recours à une référence bien plus ancienne que la Révolution d’Octobre pour rassembler autour de lui le peuple : la défense à tout prix de la terre (Zemlia) de la Sainte Russie.A ce propos, il serait très pertinent de comparer cette désintégration de 1991 en URSS, en 1989 en Roumanie avec la permanence de l’État dans la France occupée des années 1940 où comme il y a déjà deux siècles, après les défaites de 1814 et de 1815, l’État français redevenu monarchie se montra immuable. La permanence de l'État avait déjà suscité l’étonnement des adversaires les plus acharnés de Napoléon, Chateaubriand et Benjamin Constant. On comprend dès lors, combien le système de la démocratie de masse parlementaire (le passé de la Révolution française) a représenté la plus puissante dynamique d’acculturation et d’intégration à l’unité politique et culturelle (comme entité sociale) à l’État-nation. Regardé en cette guise, le système communiste, en tant que modernité travaillant sous l’égide d’une transcendance (le prolétariat comme démiurge de l’Histoire qu’il dirige vers la fin de la nécessité), n’apparaît plus que comme une version attardée et abâtardie de la philosophie de Lumières, dès lors que l’Occident s’était, quant à lui, déjà soumis à l’autorité absolue de l’économique délié de toutes valeurs morales, de toutes limites politiques mises à l’expansion de sa sphère, en d’autres mots, soumis au pouvoir absolu de l’immanence de la marchandise-objet, et donc à son équivalent général : l’argent.

De quelques aspects de la postmodernité politique et culturelle

 

De cette situation est née une série de paradoxes. Par exemple, l’individualisme, prôné comme la quintessence de la liberté, se traduit par une uniformisation et une massification sans précédent des goûts, des styles, des modes, des habitudes, y compris sous la forme de la prétendue individualisation du Look. Que partout aujourd’hui, les opinions politiques rappelées avec insistance par la grande presse d’information ne sont plus qu’un souvenir de temps déjà anciens. Aussi, dès lors que les hommes sont soumis aux sollicitations de réseaux mondiaux d’informations détenus par quelques multinationales, le seul et unique but visé par la presse se réduit-il à mettre en scène de diverses manières le profit maximum et à sa légitimation comme « état naturel de la société moderne ». Nouveaux profits sans cesse réactualisés par la création de nouveaux besoins qui fait de la vie de la majorité des hommes un devenir se déployant sous l’égide du manque permanent, lequel ne permet plus d’atteindre à une quelconque complétude de l’homme en sa demeure terrestre, mais au contraire lui ouvre les voies confuses de l’errance de la convoitise permanente au sein de l’abondance des choses ou, comme rêve éveillé, dans le dénuement. Ainsi l’obsession pour la possession sans cesse renouvelée de nouveautés semble-t-elle ne pouvoir jamais combler une angoisse fondamentale qui engendre un manque à la libido si caractéristique des populations des mégalopoles occidentales dont les habitants sont les plus grands consommateurs Prozac.

Avec les réseaux mondiaux de télévision, il n’est pas trop de dire que l’on assiste depuis plus d’un quart de siècle à une totale transformation de l’expérience existentielle de l’homme, et plus précisément de l’homme occidental urbanisé. Avec l’accélération de la mondialisation de l’information et de la publicité, très vite, et de plus en plus rapidement, l’homme en la totalité de son site terrestre a été pris dans les rets du piège mortel de la dette et du crédit (à l’échelle individuelle et à celle des États) qui l’enchaîne à l’argent et l’adonne au culte des objets de la production industrielle et à leurs images. Les rapports que l’homme avait établis autrefois et naguère encore avec le monde — c’est-à-dire avec ce qui demeure de la présence de la nature comme émerveillement de sa simple présence14, ou ce qui demeure de l’altérité comme différences majeures et cependant toujours humaines, fût-elle faite de violences, ou bien ce qui survient comme inattendu, inexplicable sous l’acheminement d’une présence du transcendant — se sont réduits à la seule expérience de la marchandise et des matières premières que celle-ci se déguise en combat religieux comme celui de l’islamisme radical ou en charité d’ONG. Il en va de même pour l’expérience du travail qui a perdu ce rapport à la matière (le sens de la techné), lequel permettait à l’homme de saisir sa puissance démiurgique dans le faire qui donnait formes et fonctions à la matière. A présent, l’informatique ne lui en donne que des images virtuelles. Tous nos rapports au monde sont non seulement médiatisés par les medias, mais modifiés par les images qui légitiment les divers modes de l’Arraisonnement ou Dispositif (Ge-stell), cette nouvelle Sainte Trinité de la modernité : Techno-science, Capital, Profit. Mouvement que Gianni Vattimo résuma naguère d’une parfaite formule synthétique : l’expérience existentielle de l’homme s’épuise dans et par « l’usure de l’être par la valeur d’échange » ou pour le dire de manière plus simple encore, lorsque le bien-être épuise l’être. Ce n’est donc pas l’effet du hasard si la Trilatérale insiste tant sur la maîtrise des réseaux de communications satellites détenus par quelques puissantes entreprises multimédias occidentales ; ce n’est pas l’effet du hasard si tous les gouvernements, totalitaires ou démocratiques, censurent cette possibilité d’information plus libre que sont les réseaux sur l’Internet ; ce n’est pas l’effet du hasard si, sous la forme dégradée d’une réaction tardive, restauratrice et donc dérisoire, l’Europe, aiguillonnée par les efforts grotesques de la France, a tenté en 1992 d’imposer une exception culturelle lors des négociations du G.A.T.T. dont on voit les piètres résultats présentement.

Ce phénomène d’uniformisation dans la multiplication du même ad libitum offert par la technique triomphante est consubstantiellement au développement urbain et dès sa naissance la presse d’information y était liée et le louait. Aujourd’hui, dans l’espace de la mégalopole (il y a des villes, Le Caire ou Mexico plus peuplées que la Roumanie), modèle de l’habitat urbain généralisé, les réseaux de télévisions recouvrent de leur toile invisible et omnipotente d’ondes les concentrations humaines au sein desquelles il n’y a plus d’autres expériences du monde que l’individualisme exacerbé et avec une cellule familiale éclatée, mutilée, devenue le témoin archaïque des temps anciens. La mégapole se présente donc comme une juxtaposition d’hommes atomisés formant ensemble une masse d’individus identiques renforcée depuis une trentaine d’année par la théorie du genre où, homme et femme, c’est du pareil au même, où chacun, croyant vivre un destin personnel, ne fait que suivre des voies préprogrammées de longue date par le travail et le chômage, la valeur d’échange et le profit qui maintiennent en permanence les pôles de la richesse et ceux de la pauvreté.

Notre époque est marquée, entre autres phénomènes inouïs, par la disparition de la paysannerie comme culture et non comme activité productive industrielle, c’est-à-dire par la fin de l’ultime activité humaine où l’expérience du travail s’inscrivait dans une sacralisation de l’objet productif, la terre, avec les multiples rituels qui étaient associés à sa fertilité. Cette extinction a signé l’identification de l’agriculture à l’industrie et, pour les espaces soit les moins fertiles ou les plus difficilement accessibles, leur mercantilisasion touristique les transforme en spectacle de la marchandise. Plus aucun espace, plus aucun groupe humain existant, qui ne soit soumis aujourd’hui, d’une manière ou d’une autre, aux lois de la marchandise et du profit.

Nous sommes, à la fois les témoins et les acteurs d’une véritablement mutation anthropologique de l’homme15 où tout « Étant » (das Seiend)16 non-occidental doit se conformer à la place et au rôle que lui assigne l’occidentalisation du monde qui, après avoir tout conquis, sécrète d’elle-même l’Étant en totalité dans ses incarnations immédiates subsumées en marchandises. Mutation anthropologique qui se manifeste sous diverses formes métissées et syncrétiques entre ce qui demeure encore d’archaïsme et la marche irrépressible de la modernité tardive, la nouvelle Physis, la marchandise, dans l’hybris de la logicité productive. Au revers de cette occidentalisation, entendue et exprimée de manière générale comme positivité du monde, se situe le rejet dans l’irrationalisme de tout ce qui n’entre pas dans cette logicité de la production du moment, mais qui, en fin de compte, n’est rien moins que la mise en réserve des productions infinies comme possibles à venir. Or, cette objectivation permanente en devenir n’a d’autre nom que celui de nihilisme.

Dans cette dynamique de la modernité tardive, l’information de masse, la presse et plus encore les médias audiovisuels ne sont que les instruments d’opérations et d'illustrations de ce nihilisme qu’ils dissimulent sous la perpétuelle réédition de la positivité de tout l’Étant marchandise comme Vérité, c’est-à-dire comme nouvelle version du Beau et du Bon. Or, il n’est là qu’une Vérité d’autant plus éphémère que le système du profit exige un renouveau permanent des objets afin de maintenir et la convoitise dans le champ psychologique (la libido), et le manque dans le destin historial de l’Arraisonnement-dispositif (Ge-stell), disons aussi dans le socius. C’est pourquoi le discours politique de la puissance ne s’est jamais autant dissimulé derrière le pacifisme du vocabulaire économique, ses lois prétendument scientifiques et indépassables (le néolibéralisme) et la prétendue éthique de la société de consommation. Derrière le moralisme des droits-de-l’homme se tient l’oubli du Politique avec ses odes à la démocratie de masse représentative et à la liberté de la presse d’information ; derrière un humanisme abstrait oublieux de l’homme réel en ses voies et manières, dans sa détresse, ses angoisses, ses peurs on voit l’humanitaire se substituer au politique, et masquer la plus féroce des guerres économiques.17 C’est tout cela qu’accomplissent les mass-médias qui travaillent dur pour faire accroire présentement que le bien-être, la physis comme somme des marchandise, a pris le nom de l’Être. Chez Marx, c’est formulé ainsi : « le monde est la somme des marchandises produites dans le monde » !

Dans la réponse, Zur Seinsfrage, que Heidegger offrit au texte de Ernst Jünger, Über die Linie, il écrivait les lignes suivantes :

 

« Denn es gehört zum Wesen des Willens zur Macht, das Wirkliche, das er be-mächtigt, nicht in der Wirklichkeit erscheinen zu lassen, als welche er selber west ».18

 

On comprend alors pourquoi dans notre présent, parler de démocratie de masse réelle, d’une démocratie où les hommes pendraient en charge leur devenir avec un minimum de connaissance des causes, est un conte, une idéologie, ou plus mieux, le masque séduisant ou grimaçant de l’essence de la modernité : le nihilisme.

 

Claude Karnoouh

Bucarest 10 juillet 2017

Notes :

1 Il est intéressant de noter que le grec attribue au mot travail, εργον, uniquement un sens particulier : une action qui réalise quelque chose ; ainsi chez Homère, par exemple, c’est le travail de la terre, et dans le dialecte ionnien, εργον s’oppose à λογος. On imagine déjà tous les commentaires que l’on pourrait développer sur ce thème !

2 On remarquera que pendant la Révolution la devise y compris celle des Jacobins était : « La République une et indivisible », le lot démocratique y était absent. De même que dans l’expression emblématique de la République : « Liberté, égalité, fraternité », pas de rappel de la démocratie !!!

3 Cf., Howard Zinn, A People History of America, Harper’s Perennial, New-York, 1995.

4 Cf., Michael Cimino, Heaven’s Gate, admirable film sur la guerre civile entre 1889 et 1893 dans le comté de Johnston dans le Wyoming entre les grands propriétaires de ranch spécialisés dans d’élevage de bovins et des milliers de nouveau émigrants, essentiellement de l’Empire russe et d’Allemagne, à qui les services de l’émigration avaient promis des terres qu’ils n’ont reçu jamais.

5 NDLR. Lors de ce qu’on a appelé la « révolution roumaine » de décembre 1989, et qui fut en fait un coup d’état militaire organisé avec un appui étranger occidental et soviétique, on a mis en scène, à partir de la morgue de Timisoara, un faux charnier dans le but de montrer que le pouvoir communiste « tirait sur son propre peuple ». Au même moment, profitant du battage médiatique international organisé autour de la « révolution roumaine », l’armée des Etats-Unis envahissait dans un quasi-silence médiatique le Panama pour y changer le gouvernement local alors aux mains d’un ancien agent de la CIA devenu rebelle, au prix de milliers de morts dans les quartiers populaires pilonnés par l’US Army.

6 En France et en Italie on peut noter cela avec la réduction des journaux communistes ou d’extrême droite comme l’Humanité et l’Unitá, comme Rivarol ou Présent, à de simples feuilles informatives qui ne survivent pour ce qui concerne la presse d’extrême gauche que par les subventions de l’État.

7 Exemple : plus il y a de chaînes traitant de la protection des animaux sauvages dans les réserves en Afrique ou en Asie, plus la disparition des espèces s’accélère !

8 C’est précisément à l’occasion de la Première Guerre mondiale que dans le réduit moldave, afin de mobiliser les troupes, que le roi Ferdinand de Roumanie promet une réforme agraire et le suffrage universel.

9 Ernst Jünger, In Stahlgewittern, 1920.

10 Ernst Jünger, Der Arbeiter, 1931.

11 C’est, à l’évidence, cette intégration qui manqua à l’Autriche-Hongrie et aux pays successeurs d’Europe centrale et orientale qui naquirent de ses cendres.

12 On le constate sur les monuments aux morts de la Première Guerre mondiale qui ne sont plus des mausolées commémoratifs de telle ou telle bataille où sont consignés les noms des chefs des armées (l’Arc de Triomphe à Paris par exemple), mais des stèles et des monuments de pierre aux pieds desquels sont inscrits les noms de tous les soldats, par ordre alphabétique, sans distinction de grade ou de classe sociale. Tous égaux dans la mort pour la Patrie.

13 Jean-Cristophe Rufin, La Dictature libérale, éd. Jean-Claude Lattès, Paris, 1994.

14 Cette mutation nous la percevons avec acuité lorsque nous écoutons ce qui reste encore de la parole vraie des Aborigènes australiens lorsqu’ils disent : « la terre n’appartient pas à l’homme, c’est l’homme qui appartient à la terre. » Nous retrouvons ici ce que Remo Guidieri avait rapporté dans son livre sur L’Abondance des pauvres : avec les primitifs nous avons eu affaire à « des présocratiques tropicaux ».

15 Philippe Forget et Gilles Polycarpe, L’Homme machinal. Technique et progrès : anatomie d’une trahison, Paris 1990.

16 « Das Seiend », une entité réellement perçue, cf., M. Heidegger, Einführung in die Metaphysik, Max Niemeyer, p. 42. Le fait de cette présence se dit « die Seiendheit ».

17 Ce que Gilles Lipovetsky désigne joliment comme « Les noces de l’éthique et du business », in Le Crépuscule du devoir. L’éthique indolore des nouveaux temps démocratiques. Gallimard, Paris 1992.

18 « Car il appartient à l’essence de la volonté de puissance de ne pas laisser le réel sur lequel elle établit sa puissance apparaître dans cette réalité qu’elle est elle-même essentiellement. » in M. Heidegger, Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main, 1956. Pour la version française, cf., « Contribution à la question de l’être », in Question I, Paris 1968 (dans la traduction de Gérard Granel).

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