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  • : Le blog de la-Pensée-libre
  • : Philo-socio-anthropo-histoire. Revue en ligne éditée par une partie de l'ancienne rédaction de "La Pensée" exclue en 2004, élargie à d’autres collaborateurs et consacrée au renouvellement de la pensée critique de la globalisation, du politique, de l’économique, du social et du culturel.
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  • Cette revue de Philo-socio-anthropo-histoire est éditée par une équipe de militants-chercheurs. Elle est ouverte à tout auteur développant une pensée critique sur la crise de civilisation du système capitaliste occidental.
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6 novembre 2018 2 06 /11 /novembre /2018 14:37

Nous continuons ici le périple de notre collaboratrice en Afrique, cette fois-ci au Niger, pays connu désormais pour son uranium, à la fois opportunité et malédiction pour un peuple faisant preuve d’une ingéniosité vitale, politique et syndicale qui confirme que l’Afrique n’est pas le continent en perdition si souvent décrit par nos gros médias qui aiment tant le style larmoyant qui les empêchent de constater l’importance et la vitalité de la dignité humaine et de l’esprit de collectivité.

La Rédaction

 
Auto-organisation et démocratie au Niger

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Les coopératives et les organisations politiques et sociales en Afrique de l’Ouest – un exemple pour nous organiser en Europe de l’Est? (3epartie) 

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Novembre 2018

Monika Karbowska

 

Niger, le grand fleuve côté Est

Comme je suis arrivé de Bamako, je pars à 4h du matin avec un grand bus climatisé Rimbo et nous traversons le sud-est du Burkina Faso. Nous nous arrêtons dans la ville de Fada N’Gourma, capitale du pays gourmantché. Plus nous nous éloignons vers l’Est, plus le paysage se dessèche et le soleil se fait de plus en plus brûlant. La frontière nigérienne est ponctuée d’une longue halte. Les voyageurs sont rassemblés sous un auvent de paille à l’abri du soleil pendant que la police contrôle les bagages, nous appelle un à un au poste et que les vendeurs/es ambulants nous proposent du thé dans leur théières en métal, du lait dans des bouteilles en plastique et les éternelles arachides sous toutes les formes. La chaleur est intense, les mares d’eau parsèment un paysage de pâturages et de bosquets clairsemés. Les champs agricoles se fond plus rares et les troupeaux de bovins, de moutons et de chèvres traversent les grandes plaines. La capitale du Niger, Niamey, n’est qu’à une encablure de la frontière. Nous arrivons sur un immense pont surplombant des rizières au bord du fleuve. Niamey est une ville tranquille, presque provinciale, superbement située sur le grand fleuve Niger, que je retrouve après l’avoir quitté à Bamako et n’ayant pas pu, à regret, suivre sa boucle vers le Nord.

Je suis accueillie et hébergée par mon camarade Issa que je connais depuis 6 ans au sein du réseau CADTM Afrique. Il est le pilier du Réseau national Dette et Développement (RNDD), confédération politique de 30 syndicats, organisations de paysans, associations et coopératives qui luttent depuis 2002 contre la politique de la dette, pour la démocratisation du pays et une politique de redistribution des richesses minières vers la population du pays. Le RNDD est également à l’origine du réseau CADTM Afrique depuis 15 ans. C’est grâce à ses militants chevronnés que j’ai eu connaissance du rôle de la plus grande mine d’uranium au monde qui se trouve au Niger, à Arlit, et des ravages que provoque cette exploitation par Areva. Les mines du Niger, exploitées depuis 1959 par la France puis par les entreprises nigérienne SOMAIR et COMINAK, constituent à la fois une richesse et une malédiction. Car si, grâce aux luttes sociales et politiques, l’Etat du Niger touche 10% des bénéfices de l’uranium et non plus deux, la spoliation des terres aux paysans par l’extension de l’exploitation, l’irradiation des territoires et la mise en danger de la santé de la population restent des problèmes irrésolus. Le Niger possède bien d’autres ressources minières que convoitent les multinationales occidentales et chinoises : terres rares, pétrole… Mais l’essence est presqu’au prix européen et les multiples coupures d’électricité à Niamey rappellent que l’uranium d’Imouraren fait briller de mille feux Paris la Ville Lumière, laissant Niamey dans le noir.

Hébergée gentiment par la famille de mon camarade dans sa maison d’un quartier tranquille, je rencontre une grande coopérative de femmes productrices, le syndicat USPT ainsi que le parti Mouvement patriotique nigérien Kishin Kassa.

La coopératives de production féminine au Niger

Non loin de l’immense mosquée verte, don de Khadafi, je suis accueillie par la dynamique et sympathique coordinatrice Mintou Kountché. Mintou me présente 15 coopératrices dont chacune représente un groupement de quelques dizaines de femmes. Ainsi, quinze personne représentent de 100 à 200 productrices dans une seule réunion. C’est une force économique non négligeable qui me montre encore une fois les capacités d’organisations dont font montre les productrices africaines, ce qui nous fait défaut sur notre continent européen. La grande maison de plusieurs pièces pourvue d’une cour ombragée et d’une remise est l’héritage de la présidente du Groupement Koulawa, Rahanatou Abdoulaye, qui mettra ce bien à disposition des productrices privées de leur précédent lieu suite à la résiliation brutale de leur bail par un propriétaire avide d’augmenter le loyer. Rahanatou est veuve. Elle m’explique les difficultés des femmes restées seules avec leur enfants et devant gagner leur vie sans qu’aucune aide de l’Etat ni de la société ne leur allège leurs tâches.

Le but du groupement est donc d’aider les femmes à vendre leur produits en participant à des salons, en mutualisant les moyens de production, l’accès aux emballages notamment, d’organiser la solidarité, de former et de soutenir les femmes entrant dans la production. Mais il s’agit aussi d’impliquer les femmes dans la lutte pour leurs droits et de les préparer à prendre leur place en politique. Rahanatou n’a aucun complexe : elle sera candidate aux élections législatives et elle estime que les femmes doivent voter pour des femmes qui feront pression sur l’Etat pour la défense des intérêts féminins. La coopérative se veut donc un moyen de sensibilisation des femmes rurales afin qu’un plus grand nombre d’entre elles soient candidates aux élections. Un des souhaits les plus forts des femmes est que les veuves et les femmes délaissées par leurs maris puissent bénéficier d’une allocation de l’Etat afin de nourrir et de scolariser leurs enfants. Certaines femmes, malgré la distance qu’induit la traduction et leur pudeur, me montrent clairement la dureté de la vie des femmes seules et leur colère face aux hommes qui ne contribuent pas au foyer ou qui se remarient avec une autre femme laissant seule leur première épouse. Je me garde bien d’émettre une critique sur la polygamie, mais les femmes productrices me montrent une lassitude de ce système dans lequel elles ne sont jamais certaines que l’homme leur accordera l’équité matérielle en théorie garantie. Les coopératrices soulignent maintes fois l’importance de l’autonomie financière des femmes, de la scolarité des filles et l’apprentissage d’un métier.

La coopérative représente les trois peuples du Niger : Haoussa, Gourmantché et Peuls. J’emporterai à ma rencontre suivante des échantillons de produits de chaque coopérative fournis par sa représentante. Le but est de les emmener en Europe et de faire connaitre cette production artisanale et bio afin de faire inviter les groupements à des salons de commerce équitable et dans des rencontres de soutien à l’économie des femmes.

Les coopératrice peule, Madame Hajara Bazo de la coopérative Biraadam Henebbam, dont le charme pudique m’émeut, me montre ses produits : lait et beurre de chamelle, fromage séché qui peut se manger comme en cas et rappelle un pain azimplat, bijoux aux perles multicolores et aux motifs de cuirs. Elle m’offre également une magnifique écharpe tissée de noir, vert et bleue, brodés des perles rouges et blanches.

Les coopératrices du groupement Kandegommi produisent une excellente pâte d’arachide qui fera les délices de mes petits déjeuners ainsi qu’une délicate huile artisanale dont l’arôme n’a rien à voir avec le produit auquel l’industrie occidentale nous a accoutumés. Les femmes de la coopératives Bombatou produisent de l’huile de moringa dont les vertus commencent à être connues et diffusées par les magazines féminins occidentaux. Le moringa se prête aussi bien comme condiment à la confection de la fameuse sauce moringa alors que l’huile peut avoir un usage aussi bien cosmétique qu’alimentaire. Aissatou Seyni représente le groupement Fahamey, spécialiste du sésame en noix grillées mais surtout en excellente huile alimentaire, cette huile de sésame si prisée des amateurs d’alimentation biologique et hors de prix dans les magasins en Europe. Le groupement Kokaranta est spécialiste du dégué, le mil précuit qui se mange avec le lait caillé ou le yaourt. Les traditionnelles farines de bissap et de gingembre pour la confection des boissons désaltérantes dans la fournaise ambiante sont également de la partie.

Mais ce qui fait l’originalité de ce groupement, outre la variété des produits couvrant quasiment tout le champ des besoins alimentaires, sont des produits transformés : les coopératrices moulent devant moi dans la cour d’excellents bonbons au lait et caramel. Le groupement Sayé est spécialiste de carré de « chocolat de baobab », au goût fin et acidulé, ainsi que de succulents chips de noix de coco légèrement caramélisés. D’excellent encas qui devraient plaire aux Occidentaux toujours à la recherche de produits rares et différents… Si ces femmes avaient la possibilité d’accéder aux circuits de distribution mondiaux, aux jolis emballages avec belles étiquettes de couleurs, à une publicité attractive, elles seraient les plus riches et non pas les plus pauvres de leur communauté… Si le système économique dans lequel nous vivons toutes n’était pas profondément injuste, favorisant ceux qui produisent des choses inutiles ou nuisibles ou se contentent de prélever leur dime en tant qu’intermédiaire. En Occident comme au Sud, le producteur artisanal et surtout la productrice, n’est quasiment jamais rémunéré à sa juste valeur.

La publicité de ce groupement de coopérative se fait déjà via les défilés de mode et les événements culturels organisés par Chaoudatou, jeune gérante de la société Fourtague Mazada, qui me montre les photos d’impressionnantes robes de soirée de toutes les couleurs. Chaoudatou rêve d’intégrer l’Institut français de Mode et d’allier dans ses créations la tradition et la modernité. Le groupement possède aussi 4 machines à coudre et entend les utiliser bientôt dans la cour et la remise de la maison. Les coopératrices du groupement Gagaciney réalisent les belles robes des défilés pour les mariages et les fêtes. Le groupement a même dirigé son propre restaurant jusqu’à la résiliation du bail par le propriétaire véreux. Mintou m’explique que cette activité génératrice de revenus doit être reprise. Enfin, les cosmétiques sont également une importante partie de la vente : beurre de karité parfumé au citron, savon artisanal au miel (et excellent miel brun à l’arôme puissant), savon liquide, lessive, parfum liquide, encens traditionnel. Et enfin, un excellent henné acajou dont je demanderai une livraison express, l’arbuste du henné poussant au Nord et au sud du Sahara. J’ai connu le henné du Maroc, celui de Gabès en Tunisie et je testerai aussi celui du Niger.

Nous prenons rendez-vous pour une coopération. Mintou s’active pour trouver des soutiens financiers pour la participation aux salons, les formations politiques, juridiques et professionnelles des coopératrices. Je m’engage à présenter les échantillons de leurs produits dans des circuits de commerce équitable français et de démarcher des salons alternatifs, une démarche qui ne s’avère pas si facile, les salons demandant des présentations très détaillées de la composition des produits que les coopératrices ne peuvent évidement pas fournir rapidement. Le marché mondial n’est pas tendre avec celles qui font vivre réellement leur pays. D’où l’importance de prendre le pouvoir politique afin de disposer de la force de l’Etat pour organiser la production, la distribution et lemarketingà grande échelle afin de garantir aux femmes un revenu à la mesure de leur travail, leur inventivité et leurs compétences.

Le Musée national Boubou Hama

Je visite avec les enfants de mon ami le Musée national nigérien Boubou Hama. C’est un agréable parc aménagé dans le centre ville sur plusieurs collines. En fait de musée, l’espace est conçu comme un jardin public avec des jeux pour enfants entre les enclos des différents animaux représentatifs du pays : il y a des hippopotames, des hyènes, des phacochères, des autruches, des buffles, des chimpanzés, deux jolis et jeunes lions dont le soigneur nous explique qu’ils ont été sauvés du braconnage et donnés au zoo car il n’était pas possible de les relâcher dans la nature. Les girafes, il est recommandé de les voir en vrai dans le parc naturel de Kouré. Il y a aussi un espace « animaux de ferme et reconstitution de villages » ainsi qu’un spectaculaire « enclos » de squelettes de dinosaures dont le désert du Nord du Niger abonde.

Comme fréquemment, l’argent et la volonté politique manquent pour effectuer des fouilles archéologiques qu’exigerait une véritable mise en valeur du patrimoine culturel et naturel du pays. Je pense avec nostalgie aux efforts gigantesque entrepris dans ce domaine par la Pologne populaire, avec toutes les célèbres fouilles du néolithique et la découverte du fameux site de Biskupin, emblématique d’un peuplement ancien et continu des territoires est-européens. Comment se fait-il que dans les années 1960, on avait l’argent pour des choses aussi ‘futiles’ et dispendieuses que les fouilles archéologiques alors qu’avec la mondialisation technologique acharnée, il n’y a jamais d’argent pour ce genre de projet.

L’ambiance dans le Musée de Niamey est paisible et les enfants y jouent dans tous les recoins. Nous faisons le tour des magnifiques pavillons culturels qui nous montrent les objets et la vie matérielle, culturelle et religieuse des différents peuples du Niger, agriculteurs du sud, commerçants et éleveurs du Nord, dont les Touaregs. Un vaste espace accueille des artisans auprès desquels je peux admirer et acheter les célèbres productions ; profusion d’objets en cuir (sac, chaussures, boites…) et les fameux bijoux en argent, en corne, en pierre du désert délicatement polies. La beauté des objets m’éloigne de mon univers de plastique ordinaire dans lequel nous baignons en Occident, mais je ne peux pas tout transporter, puisqu’il est impossible, depuis la destruction de la Libye par l’Occident, d’utiliser les belles autoroutes que Khaddafi avaient construites pour relier le nord du Niger à la Méditerranée en traversant le désert par Agadès, Bilma puis le Fezzan jusqu’à Tripoli. Je rêve de le faire ce voyage et je le ferai lorsque nous amènerons à nouveau la paix.

L’Unionsyndicaleprogressiste des Travailleurs du Niger

Je rencontre les représentants du Syndicat Union syndicales progressistes des Travailleurs USPT dans leur maison de plusieurs pièces sur une petite cour. M. Chaibou Tankari, le Secrétaire général adjoint me présente la dizaine de personnes présentes à la réunion. Ces hommes et ces femmes sont tous et toutes représentants de sections syndicales. Le syndicat existe depuis les luttes pour la démocratie de 2006. Il rassemble des syndicats dans le public et le privé. Les enseignants, les travailleurs de la santé, de l’administration de l’Etat et des municipalités composent les syndicats du secteur public tandis que, dans le privé, les sections de l’USPT organisent les boulangers, les chauffeurs de taxi et également, fait rare chez nous, les travailleurs des ONG ! Trois femmes sont responsables d’une importante section féminine. Les luttes menées sont d’abord celles contre la précarisation du code du travail. Comme partout, les préconisations de l’OCDE et des « bailleurs de fonds » font pression sur le gouvernement du Niger pour précariser les salariés, faciliter les licenciements, les embauches en Contrats à durée déterminées et l’intérim. Nous parlons longuement de nos luttes respectives. Les camarades sont au courant de l’intensité des luttes contre la Loi ‘Travail’ en France, de leur échec échec et souhaitent en comprendre les raisons. Ils viennent d’ailleurs de mener une importante grève en décembre 2016 pour la sauvegarde des leurs acquis sociaux. Bien sûr, un des gros problèmes du Niger est le « travail informel » et la difficulté à organiser ces travailleurs/ses sans cotisations sociales et sans droits. Je partage mon expérience du travail « au noir » en Europe qui concerne maintenant des centaines de milliers de travailleurs, qui tous vont être privés de retraite puisqu’il leur aura été impossible de cotiser pendant les 42 ans exigés en France. Nous découvrons bien des points communs entre l’Afrique et l’Europe, encore une fois comme souvent lors de ce voyage…

Car l’USPT revendique son objectif d’abolir le capitalisme au Niger et, pour cela, une coopération entre organisations du Sud, l’Est et le Nord est nécessaire. Pour créer cette coopération, il faut organiser un cadre d’échanges. Pour l’USPT le but est clair : défendre le travailleur pour qu’il vive mieux, avec des services publics et un Etat au service du citoyen tel qu’il devrait fonctionner au 21e siècle. Pour un pays considéré comme pauvre comme le Niger, il n’est pas possible d’abolir le capitalisme sans abolir l’impérialisme occidental, l’exploitation des ressources naturelles par les entreprises étrangères et sans supprimer les bases militaires françaises et otanesques dans le Nord du pays. Mais ici personne ne baisse les bras. La survie de chacun et de chacune est en jeu. Un camarade du RNDD me fait plus tard part de sa profonde préoccupation pour la stabilité du pays, occupé au nord par les militaires français, américains, belges et allemands, et attaqué au Nord et à l’Est, sur les bords du lac Tchad, par des « djihadistes » plus nombreux et bien armés au fur et à mesure que la présence occidentale se solidifie. « Les militaires étrangers ont décidé de déporter les populations riveraines du lac Tchad menacés par Boko Haram. Mais comment défendre notre territoire si nous déplaçons et spolions nos propres citoyens ?» déclare ce camarade. « Auparavant, nous négocions nous-mêmesavec les populations touaregs et nous arrivions à régler nos différents. La présence occidentale ne nous sécurise pas, bien au contraire, elle dresse ces populations contre nous et affaiblit la légitimité de l’Etat ».

Les militants de l’USPT me font part de leur détermination à développer leur syndicat et leurs luttes. Ils sont conscients qu’il est nécessaire d’organiser des formations sur la stratégie politique, la négociation mais aussi sur les enjeux géopolitiques. Ils et elles veulent inviter au Niger nos camarades des organisations syndicales, politiques, des mouvements de femmes d’Europe occidentale, d’Europe de l’Est mais aussi d’Afrique du Nord. Nous nous promettons de nous revoir et de travailler à des liens communs. Chaque lien amical est un caillou dans la chaussure du système….

Le Mouvement patriotiquenigérien Kishin Kassa

Le lendemain, la veille de mon départ, fort regretté mais nécessaire pour retrouver le travail et donc mon unique source de revenus, nous avons un entretien au parti Mouvement patriotique nigérien Kiishin Kassa, dans une belle maison peinte en jaune et rouge pimpants. Je suis reçue par Soumaila Tchiwake, vice-président du Parti et conseiller spécial de la Présidence de la République, en présence du responsable de la jeunesse du Parti, Hama Has. Créé un an à peine avant les élections de 2016, ce nouveau parti de gauche très lié aux mouvements sociaux du RNDD a eu quelques mois à peine pour mener sa campagne électorale tambour battant. Soutenus par les femmes et les jeunes qui font du porte à porte dans tous les villages du pays les Patriotes nigériens réussissent à faire élire 5 députés ! Sollicité par le président Mamadou Issoufou pour faire partie de la coalition du gouvernement, le Parti lance une consultation à travers le pays dont le résultat l’encourage à ne pas éviter la dynamique positive et à prendre les rênes du pouvoir. Ainsi, du jour au lendemain, le Parti a disposé de trois ministères qui sont des postes clés dans un pays dont les ressources minières sont si convoitées par les riches de ce monde : ministère des affaires étrangères avec Ibrahim Yacoubou, leader du Parti, ministère des mines avec Amani Abdou et ministère du développement communautaire. Soumaila Tchiwake m’assure que trois objectifs animent son parti : garder un contact permanent avec la population, développer les ressources du pays et surtout, selon le slogan « Le Niger autrement », mettre fin à la pauvreté, à la souffrance, au déclassement et à la spoliation. La suite du slogan annonce « 1 Nigérien, 1 toit, de l’eau et du travail » ! Avec 75% des jeunes diplômés au chômage, le Parti sait exactement quels sont les besoins de sa base sociale, ces jeunes et ces femmes qui s’organisent en cellules dans chaque village mus par l’espérance que, cette fois, le sort peut basculer et leur donner la chance d’enfin peser sur leur destin en orientant l’Etat vers une vraie politique de changements. « On se voit en leaderdu pays » me dit M. Tchiwake et je le crois profondément tellement la force des mouvements sociaux dans son pays et dans les autres pays de la région m’a impressionnée. Le ras le bol d’être les derniers wagons du train mondial du développement moderne est tellement général qu’une secousse majeure va, doit, se produire rapidement. La veille nous avions subi, dans la capitale d’un pays producteur de pétrole et d’uranium, 6 heures de coupures d’électricité interminables – sans ventilateur impossible de rester dans la maison - nous avons dormi dehors dans la cour de la maison. Mon hôtesse s’inquiétait surtout des denrées stockées dans le congélateur alors que rien ne doit se perdre dans une économie domestique où la nourriture maison est la base de la survie.

M. Tchiwake me brosse le programme ambitieux des changements à mener : embaucher massivement des enseignants parmi les diplômés, mener de front une scolarisation massive, surtout des jeunes filles, qui comprendra également l’accès au Planningfamilial. Les discussions avec les femmes m’ont déjà démontré que les droits des femmes sont un sujet majeur. La scolarité des filles doit être couplée à un soutien aux mères seules, à l’accès à un métier, au soutien aux coopératives féminine, mais aussi à la lutte contre le mariage forcé et les violences de genre. Les femmes des coopératives m’ont parlé des petites bonnes, mises enceintes par leur employeur et qui se retrouvent à la rue sans ressources et dans l’opprobre… Pour certaines, la polygamie doit également être questionnée, surtout lorsque la femme ne bénéficie pas de l’égalité de traitement. Vaste chantier auquel la Section féminine du Parti va s’attaquer en priorité. Un programme qui doit aller de pair avec un changement général de la situation des masses, l’augmentation nécessaire des ressources et des revenus, la construction de services publics et d’infrastructures, de logements, d’écoles et de centres médicaux… Mes interlocuteurs y croient. Ils ajoutent que les ressources minière du pays doivent servir uniquement au bien-être des Nigériens

Au besoin, on procédera à des nationalisations, car le monopole des entreprises françaises sur les biens du Niger a assez duré. D’autres puissances, les Etats-Unis, le Canada, la Chine talonnent la France. A Agadez, dans la zone minière, le salaire de base ne dépasse pas 20 euros par mois. Il est temps de changer cela. Pour autant, le parti Kiishin Kassa n’entend pas abandonner les activités traditionnelles comme l’agriculture et l’élevage mais les moderniser pour développer les exportations. Je rêve que les femmes des groupements Koulawa puissent vendre dans de jolis emballages leurs bons produits bio dans les marchés, les magasins de la région et pourquoi pas ailleurs …Et vivre comme mes grand-parents ont vécu dans l’ancien système communiste1: bien, avec le sentiment du devoir accompli, propriétaires de leur maison en coopérative ou en privé, sachant les enfants à l’école et l’université avec un avenir ouvert pour eux vers une liberté d’être et de se construire.

Pour tout cela, notre lutte commune est nécessaire.

Note :

NDLR. En fait, le système existant en Pologne de 1944 à 1989 ne s’est jamais défini comme « communiste » mais comme « socialiste », ce que même certains partis au pouvoir dans le « camp socialiste » contestaient (RDA, Tchécoloslovaquie) en raison du maintien en Pologne populaire d’une propriété privée importante, en particulier dans le secteur agricole où elle était restée majoritaire. Mais, mêmes les dirigeants des pays du « camp socialiste », en particulier ceux d’Union soviétique n’ont jamais prétendu avoir atteint le but ultime de l’histoire humaine, la société communiste (« de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ») mais seulement avoir réussi à bâtir une société en transition « socialiste » qui, avec le temps, à partir des années 1970 et des désillusions post-khrouchtchéviennes, fut même rebaptisée « socialisme réel » ou, en allemand, « socialisme réellement existant ». En opposition sans doute à un « idéal » socialiste qui n’était toujours pas pleinement réalisé selon le principe « de chacun selon ses moyens, à chacun selon son travail ». Ce sont les propagandistes de l’anticommunisme qui allaient imposer le terme de « pays communistes », sans doute pour délégitimer en fait ce qui n’était pas une société idéale, mais un processus à la fois progressiste et contradictoire, étalé dans le temps et comportant des phases d’avancées mais aussi de régressions, comme tout processus social et comme tout processus révolutionnaire.

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