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  • : Philo-socio-anthropo-histoire. Revue en ligne éditée par une partie de l'ancienne rédaction de "La Pensée" exclue en 2004, élargie à d’autres collaborateurs et consacrée au renouvellement de la pensée critique de la globalisation, du politique, de l’économique, du social et du culturel.
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  • Cette revue de Philo-socio-anthropo-histoire est éditée par une équipe de militants-chercheurs. Elle est ouverte à tout auteur développant une pensée critique sur la crise de civilisation du système capitaliste occidental.
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1 décembre 2019 7 01 /12 /décembre /2019 22:34

On ne peut nier que, aujourd’hui, malgré la critique généralisée des politiques imposées par l’Union européenne, malgré le brexit et malgré le fait qu’il est bien connu que cette structure supranationale a été conçue aux Etats-Unis dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale pour contrôler le marché européen, questionner cette structure reste largement tabou. En particulier dans les milieux de gauche qui en sont arrivés aujourd’hui à éprouver de la difficulté à faire la différence entre internationalisme, eurocentrisme, mondialisme et impérialisme.  Il est clair aussi que les directions des partis, des syndicats et des grosses associations sont souvent devenues dépendantes des subsides de Bruxelles, d’où les rébellions de leurs bases qui sont en train de tenter de renverser les tables. Et si le Pôle de Renaissance communiste en France qui a soutenu Melenchon aux dernières élections présidentielles s’est retrouvé au final snobbé par le candidat, c’est sans doute à cause dl’anticommunisme de ce dernier mais aussi de la position de cette formation opposée à l’UE.

On peut donc être pour ou contre l’UE, croire même à une possible « autre Europe », mais il nous a semblé que, au-dessus de cela, par simple mesure d’hygiène mentale et politique, il fallait mettre les pieds dans le plat et forcer à poser la question tabou qui bloque la vie politique française, alors même que le mouvement de masse des Gilets jaunes a montré que la plupart des revendications sociales formulées à cette occasion ne peuvent être traitées sans qu’on pose la question européenne qui s’avère donc fondamentale. C’est donc le moment pour provoquer une discussion sur la question de la souveraineté du peuple et donc de la souveraineté nationale dans un esprit internationaliste. C’est pour quoi il nous a semblé utile de publier cet article qui en posant la question de l’Union populaire républicaine pose en fait non pas celle d’une formation avec laquelle on peut être ou ne pas être d’accord, mais la question des causes de la stigmatisation ou du silence de plomb qui l’entoure tant à droite qu’à gauche.

La Rédaction

 

 

Les alter-chiens de garde de l’Union européenne

 

À propos de l’enquête du 

Monde diplomatique sur l’UPR

et 

des fourvoiements de la

« gauche radicale »

-

Novembre 2019

 

 

Laurent Dauré

 

« C’est le caractère essentiel du socialisme bourgeois de chercher à maintenir la base de tous les maux de la société actuelle et de vouloir en même temps les abolir. »

Friedrich Engels, La Question du logement (1872)

 

Ancien abonné (mais toujours lecteur) du Monde diplomatique et ancien adhérent (mais toujours sympathisant) de l’Union populaire républicaine, j’ai évidemment lu avec grand intérêt l’article que le mensuel a consacré à ce parti, d’autant plus que je m’étais entretenu avec le journaliste dans le cadre de son enquête. Voici donc ma critique de ce texte qui en dit autant sur le média qui le publie – et plus largement sur la « gauche radicale » – que sur son sujet. À ceux qui s’en prennent, parfois avec véhémence, à l’Union européenne pour son orientation néolibérale et antidémocratique, mais refusent obstinément de proposer d’en sortir, j’aimerais poser une question quelque peu orientée : Peut-on être alter-européiste et se réclamer de façon conséquente de la gauche ?

C’était une anomalie qui témoignait sans doute d’un certain embarras, Le Monde diplomatique était le dernier média national traitant de politique à ne pas avoir accordé le moindre espace à l’Union populaire républicaine et à François Asselineau, mis à part une très brève mention dans cet article et un épinglage saugrenu du siège du parti sur la « carte des lieux de pouvoir à Paris » (alors que celui de la représentation en France de la Commission européenne n’y figure pas…). Toutefois l’UPR disparaît dans une nouvelle version de ce document par ailleurs intéressant ; le « Diplo », d’abord trop modeste, s’est ajouté dans cette actualisation, mais la police de caractères est si petite qu’il faut une loupe pour le repérer (dans le 13arrondissement, non loin de la place d’Italie).

 

Le mensuel altermondialiste a pourtant eu plusieurs occasions de s’intéresser à l’UPR – fondée en 2007 –, notamment lorsqu’il a publié un dossier fourni sur les élections présidentielle et législatives de 2017, puis dans celui dédié aux élections européennes de 2019. Aussi, en proposant dans son édition d’octobre une enquête de deux pages sur le parti du Frexit, Le Monde diplomatique montre qu’il a eu le souci de rompre franchement le silence et de prendre le sujet au sérieux.

 

Il n’est pas facile de décrire objectivement la chose politique atypique qu’est l’UPR. Moi-même, malgré huit ans de militantisme en son sein (2009-2017), dont six en tant que membre du Bureau national, il m’arrive encore de m’interroger sur la nature de ce mouvement insolite. Saluons donc la tentative de « diagnostic » du journaliste Allan Popelard et son effort de rigueur. Cela dit, l’article me semble biaisé, incorrect ou injuste sur plusieurs aspects, certains essentiels.

 

Le verdict défavorable du Monde diplomatique (UPR = « droite mélancolique ») est en fait l’expression en creux des ambiguïtés de la « gauche de gauche » à l’égard de la construction européenne – et donc de la souveraineté populaire et de l’indépendance nationale –, un clair-obscur aussi tenace que funeste partagé aussi bien par ce journal plein de qualités que par la formation politique dont ses lecteurs comme sa rédaction sont les plus proches, à savoir la France insoumise.

 

Examinons maintenant l’article dans le détail. Je me concentrerai sur ce qui me semble être les faiblesses et erreurs du texte, tout en convenant que son auteur fait preuve ici et là d’une finesse d’analyse et d’observation que l’on trouve rarement dans le paysage médiatique français. Je formulerai trente objections, qui pour la majorité contiennent des critiques plus larges sur les fourvoiements de la gauche hexagonale (qui ne pense pas d’équerre). Ce sera un peu long – très, en fait – mais l’exercice ne me paraît pas inutile, en espérant qu’il alimentera le nécessaire débat sur le rapport de la gauche à l’Europe et à la souveraineté. Ce texte est aussi pour moi l’occasion de parler de mon expérience à l’UPR.

 

(1) Un journaliste juge et partie, un journal aussi (dans une moindre mesure)

 

L’auteur de l’article, Allan Popelard, est un militant du Parti de gauche, qui est la matrice et le laboratoire d’idées de la France insoumise ; il est également membre du comité de rédaction de L’Intérêt général, la revue du PG. Sans préjuger de son souci d’objectivité, on peut tout de même postuler que cet engagement ne le prédispose pas favorablement à l’égard de l’UPR, un parti non seulement rival de celui qu’il soutient mais également très critique à son égard (en particulier sur la question européenne ; voir ce texte ou cette vidéo, par exemple).

 

Le Monde diplomatique ne mentionne pas l’affiliation partisane de son journaliste, une information qu’il serait pourtant pertinent de communiquer aux lecteurs. Féru de critique des médias, le mensuel éreinte à juste titre les dominants du secteur lorsqu’ils s’adonnent à ce genre d’omission. Mais comme le « Diplo » a lui-même une inclination pour la France insoumise, et que ses responsables savent qu’une large portion du lectorat partage cette préférence (35,2 % des abonnés selon cette étude, très loin devant toutes les autres organisations politiques), il lui est difficile de dire sur l’UPR autre chose que ce qu’il dit. C’est regrettable mais il est rare qu’un journal prenne à rebrousse-poil les lecteurs (et l’électeur...).

 

Pour nourrir son enquête, Allan Popelard m’a demandé un entretien et c’est bien volontiers que j’ai accepté de lui parler. Lorsque nous nous sommes vus en mars dernier pendant deux bonnes heures, je savais déjà qu’il était membre du PG, mais je n’avais aucune raison de douter de son honnêteté et faisais confiance au Monde diplomatique pour adopter un point de vue équilibré et factuel. Nous avons également échangé quelques courriels avant et après ce rendez-vous.

 

Soyons clair, je ne suspecte nullement M. Popelard de mauvaise foi et, autant que je puisse en juger, il s’est efforcé de faire un travail consciencieux. Cependant je pense que le fameux biais de confirmation a joué, renforcé par ce qu’on pourrait appeler un « biais d’affiliation », l’UPR étant une âpre concurrente de la France insoumise. De plus, comme on peut le constater sur les réseaux sociaux, des membres et des sympathisants de la FI s’intéressent de près aux analyses et propositions du parti du Frexit, ce qui doit susciter un certain agacement chez les gardiens de la formation mélenchonienne. L’hypothèse de départ du journaliste-militant était que l’UPR appartenait malgré tout à la droite, et il a davantage prêté attention à ce qui allait – ou semblait aller – dans ce sens. Je m’efforcerai de le montrer ci-dessous.

 

Qu’auraient dit les partisans de la France insoumise si Le Monde diplomatiquem’avait confié la réalisation d’une enquête sur ce mouvement et son fondateur ?… Nous sommes certes ici en pleine fiction politico-journalistique ; pour certains, c’est même un scénario d’épouvante.

 

(2) Une titraille connotée

 

Le titre de l’article d’Allan Popelard est « Ces Français qui militent pour le “Frexit” ». Pourquoi mettre des guillemets à Frexit alors que Le Monde diplomatique n’en met plus à Brexit depuis trois ans ? Ne surinterprétons pas ce choix typographique mais cela semble dénoter une certaine distance incrédule, comme si proposer la sortie de la France de l’Union européenne était quelque chose d’étrange ou de folklorique. À moins que la rédaction du mensuel n’estime que le mot « Frexit » – introuvable dans ses colonnes avant avril 2019 – n’est pas assez familier de ses lecteurs pour être privé de guillemets. On peut alors s’interroger sur le délai dans l’emploi de ce néologisme en circulation depuis 2015.

 

Par ailleurs, écrire « Ces Français » invisibilise les adhérents de l’UPR – en nombre non négligeable – qui n’ont pas la nationalité française ; ce serait anodin si le corps de l’article mentionnait cette originalité, mais ce n’est pas le cas (alors qu’il y avait une occasion de le faire, nous le verrons).

 

Quant au surtitre, il indique : « Au cœur de l’Union populaire républicaine », une affirmation un peu grandiloquente et sensationnaliste qui laisse entendre que le journaliste est parvenu à saisir l’essence du parti, sa vérité profonde, ou qu’il s’est infiltré dans une secte. Or, M. Popelard n’a évidemment pas eu accès à tout, son enquête lui a permis de capter des fragments de la vie de l’UPR : ce qu’on a bien voulu lui montrer et lui dire, ce qu’il en a interprété. Bref, « À l’intérieur de l’Union populaire républicaine » aurait été plus modeste, et correct.

 

Les quatre intertitres présents dans l’article sont : « Un chef solidaire et sublime » ; « Contre le “laxisme socialiste” » ; « Chiffres et formules latines » ; « Mélancolie de droite ». Comme on le voit, ils sont tous défavorables ou discrètement moqueurs, et véhiculent l’idée de désuétude, d’archaïsme. Et bien sûr le message principal est clair : droite, droite, droite. Il ne faudrait pas qu’un lecteur distrait puisse passer à côté de la sentence délivrée par Le Monde diplomatique sur le compte de l’UPR. On note au passage que la plupart des intertitres concernent François Asselineau (ce qui reflète le contenu de l’article), ou comment contribuer à la forte personnalisation du mouvement tout en glosant plus ou moins ironiquement dessus...

 

(3) Une illustration… mélancolique

 

Le choix de l’illustration – « Mélancolie » d’Eugène Berman – montre aussi une nette volonté de connoter négativement le parti (et l’idée ?) du Frexit : des ruines, des lambeaux, un paysage ravagé et désertique, avec des couleurs rappelant celles du drapeau français. Cette image de déréliction occupant un quart de page associe « Ces Français qui militent pour le “Frexit” » à un passé sépulcral, à des tourments abominables ; leur combat est synonyme de défaite et de désolation.

 

Cette façon de ternir la défense de la souveraineté populaire et de l’indépendance nationale rapproche la « gauche radicale » incarnée par Le Monde diplomatiquedes médias et commentateurs dominants, qui appartiennent tous au camp européiste, c’est-à-dire à la droite ou à la fausse gauche (cette dernière est opportunément appelée « la deuxième droite » par Jean-Pierre Garnier et Louis Janover). Cette imagerie crépusculaire fait d’ailleurs fortement penser aux prophéties apocalyptiques assénées depuis quatre ans au sujet du Brexit.


(4) Un chapô qui penche d’un côté (sous l’effet d’un vent nommé Lordon)

 

Le chapô de l’article (qui le présente et l’introduit brièvement) dit que l’UPR est « connue pour défendre une sortie brutale de l’Union européenne ». Pourquoi « brutale » alors qu’il s’agit de mettre en œuvre l’article 50 ? Dès la première phrase, on cherche à effrayer, on suggère que le Frexit est contre-indiqué et qu’il ne faut pas brutaliser l’UE. Le Monde diplomatique devrait dire sans détour qu’il souhaite que la construction européenne se poursuive, cela permettrait d’y voir plus clair.

 

Et d’ailleurs il le dit parfois, notamment par la voix de Frédéric Lordon, sa tête de gondole de la pensée. L’argumentation est certes un peu tortueuse, le style lourdement précieux, mais quand on sait déchiffrer les atermoiements de la rebellitude petite-bourgeoise, on voit où l’économiste-philosophe-dramaturge-stratège veut en venir. Dans un article intitulé « Une stratégie européenne pour la gauche » (6 novembre 2017) publié sur son blog diplomatique, ce partisan de la disparition de l’euro – c’est toujours ça – écrit qu’il faut veiller à « ne pas laisser la classe éduquée orpheline d’Europe, et à lui donner une perspective historique européenne de rechange », et donc lui signifier « qu’elle n’a pas à renoncer [...]à l’européisme générique qui lui tient à cœur ».

 

Moralité : il convient de tranquilliser « la bourgeoisie de gauche » (sur le dos des classes populaires), qui « a trop peur du vide » – pauvre biquette –, en lui faisant la « promesse d’une sorte de “nouveau projet européen” ». En langage clair et direct : on reste dans l’UE, on renonce à la souveraineté populaire et à la démocratie, et on ne rompt ni avec le capitalisme, ni avec la société de classes.

 

Frédéric Lordon s’est auto-plagié en répétant exactement la même chose dans un texte au titre trompeur – « Sortir de l’impasse européenne » –, produit phare du dossier du Monde diplomatique publié en mars 2019 dans la perspective des élections européennes. Un dossier intitulé… « Une Union à refaire ». Avec de tels « radicaux », la bourgeoisie est peinarde, le monde de l’argent ne risque pas la chute de tension. Qui nous délivrera à gauche de la sempiternelle impasse de « l’autre Europe » ? Manifestement ni Frédéric Lordon ni Le Monde diplomatique. Il ne faut pas désespérer la Butte-aux-Cailles.

 

La suite du chapô nous dit que « le parti prétend dépasser le clivage droite-gauche », ce qui incite à penser que l’UPR considère que celui-ci est… dépassé, obsolète, alors que la Charte fondatrice parle d’un rassemblement provisoire mettant de côté – tem-po-rai-rement – le clivage droite-gauche. De plus, à la question « L’UPR veut-elle abolir le clivage droite-gauche ? », le parti répond nettement « non » sur son site Internet ; Allan Popelard cite ce texte ainsi que la Charte mais ne semble pas croire à la sincérité (ou à la possibilité ?) du positionnement.

 

L’Union populaire républicaine se conçoit idéalement comme une sorte de « méta-parti » s’assignant pour objectif de restaurer les conditions nécessaires à une activité politique souveraine. Une fois la mission accomplie, le mouvement peut se dissoudre, les différentes options idéologiques et politiques se redéployant spontanément dans un cadre institutionnel désormais opérant (ce qui ne veut pas dire définitif).

 

(5) Un petit parti que l’on confond avec un grand

 

Dans le récit de l’opération « La France libre de nouveau à Londres » organisée par l’UPR le 29 mars dernier (et maintenue malgré le report du Brexit), on lit que les militants français sont « applaudis par une foule ignorant à peu près tout de ce petit parti politique d’outre-Manche, qu’elle confond parfois avec celui de Mme Marine Le Pen ». Ainsi, dans la même phrase, il est affirmé qu’un mouvement de 38 000 membres est « petit » (seuls LR et le RN en ont plus…), et qu’on peut – à raison ? – le confondre avec la SARL Le Pen. C’est la ligne doublement erronée qu’ont adoptée les médias dominants à l’égard de l’UPR : un groupuscule souverainiste qui dit grosso modo la même chose que le FN/RN.

 

Hypothèse : l’UPR n’est « petite » que parce que les médias installés continuent de la décrire ainsi, ce qui permet de justifier qu’on ne lui accorde qu’une couverture minime, voire nulle ; cette sous-médiatisation, ajoutée au dénigrement quasi systématique, affectant sa notoriété et ses résultats électoraux. Il s’agirait en somme d’un cas de prophétie autoréalisatrice.

 

Remarquons également que l’article du Monde diplomatique ne fait aucune mention des critiques très développées et originales que l’UPR formule sur l’écurie Le Pen et son rôle sur la scène politique française (voir ce texte ou celui-ci, par exemple).

 

(6) Un parti d’obéissance et de juridisme

 

Plus loin, on lit ceci : « Dénonçant des textes européens qui corsètent la souveraineté nationale et la souveraineté populaire, l’UPR récuse néanmoins les stratégies de désobéissance, au nom du respect du droit international ». D’une part, les traités européens ne font pas que « corseter » la souveraineté du peuple français, ils l’annulent, la réduisent à néant ; d’autre part, l’UPR dénonce le principe même de la construction européenne, antidémocratique et du côté des puissances d’argent dès l’origine, mais aussi étroitement associée à l’OTAN et soumise à Washington.

 

On aimerait que Le Monde diplomatique nous en dise plus sur les « stratégies de désobéissance » – et de renégociation des traités – promues en premier lieu par la France insoumise, avec sa proposition tout à fait confuse et impraticable de « plan A/plan B » (le plan B étant en fait le plan A mais avec la lettre B). Ce serait aussi l’occasion d’exposer, et éventuellement de réfuter, les arguments de l’UPR contre cette approche alter-européiste, qui ne se limitent pas à un appel dévot au respect du droit international – qui, au passage, n’est pas si mal conçu. Au lieu de débattre de tout cela dans son dossier sur les européennes, le « Diplo » nous annonçait avec Yanis Varoufakis, un allié de Benoît Hamon, que nous allions « Vers un printemps électoral »...

 

Ajoutons en guise d’observation que dans l’acception courante (certes discutable), on ne « désobéit » qu’à une autorité que l’on juge malgré tout légitime – les parents, les professeurs – ; or, jouer à l’enfant turbulent avec l’UE comme le prescrivent la France insoumise et Le Monde diplomatique n’est pas à la hauteur des enjeux et de la gravité de la situation. Cette attitude immature et oblique montre qu’il n’y a pas de réelle volonté de s’émanciper de Bruxelles et de permettre au peuple français de choisir librement son destin. Peut-être les petits-bourgeois de la « gauche radicale » peinent-ils à admettre (y compris à eux-mêmes) qu’ils ne se fient pas vraiment à la souveraineté populaire.

 

(7) Une tendresse à l’égard des banques

 

Après avoir listé les nationalisations d’ampleur que propose l’UPR, Le Monde diplomatique ajoute : « La privatisation des banques, en revanche, n’est pas remise en cause. » Pourtant, si on consulte le programme du parti, il y est indiqué que « tout établissement financier secouru par des fonds publics » sera nationalisé (intégralement ou partiellement). Une mesure certes limitée mais pas exactement amène envers le secteur bancaire.

 

D’autres propositions pour réduire drastiquement l’emprise de la finance sont avancées : rétablir le contrôle des mouvements de capitaux, séparer les activités de banque de dépôt et de banque d’affaires, évincer les fonds d’investissement et les grands groupes de toutes les sociétés liées au service public, mettre un terme au pouvoir des agences de notation, interdire le lobbying, etc. On peut estimer que cela ne va pas assez loin (c’est mon cas), mais pour un parti qui se veut de large rassemblement, c’est plutôt offensif.

 

La plupart des mouvements qui se disent à gauche ménagent le monde de la finance bien davantage. Pourquoi l’article ne fait-il nullement mention de ces mesures ? Sans doute parce que ça ne cadrerait pas avec l’étiquette « droite mélancolique complice du capital » que Le Monde diplomatique cherche à épingler acrobatiquement au dos de l’UPR.

 

(8) Le goût des cols blancs résistants

 

Juste après, on peut lire à propos de la référence centrale à la Résistance : « L’UPR est cependant plus prompte à célébrer les cols blancs que les combattants de l’ombre ». Il est correct de dire que François Asselineau, comme il s’identifie fortement à Charles de Gaulle (scoop !), parle plus souvent de l’apport gaulliste, mais il ne minore nullement le « rôle éminent joué par les communistes dans la Résistance intérieure » (cf. cet article dans lequel il rend hommage à la lucidité du Parti communiste français à propos de la construction européenne durant la période 1947-1980).

 

Le président de l’UPR mentionne régulièrement avec emphase les pêcheurs de l’île de Sein, qui n’allaient pas en mer en col blanc… Si l’on remonte dans l’histoire de France, les soldats de l’An II sont eux aussi souvent mis en avant. D’ailleurs Allan Popelard occulte totalement la pleine adhésion de M. Asselineau et de l’UPR à la Révolution française et à son héritage ; ce n’est pourtant pas un détail.

 

Il est important de préciser que si le fondateur du parti peut légitimement être qualifié de gaulliste – mais un gaulliste social d’un genre spécial car favorable au RIC en toutes matières –, ce n’est pas le cas de l’UPR (voir ce texte). De fait, la majorité des adhérents, ayant un ancrage à gauche, reconnaissent la valeur de l’action de Charles de Gaulle pendant la Seconde Guerre mondiale et de certains choix ultérieurs en matière de politique étrangère et d’indépendance nationale, mais sont critiques, voire hostiles, quant à d’autres aspects de sa pensée et de son œuvre.

 

(9) L’incontournable rappel gourmand du parcours de François Asselineau (et la complaisance à l’égard de celui de Jean-Luc Mélenchon) 

 

L’article fait ensuite un rappel détaillé du parcours en cabinets ministériels de François Asselineau dans les années 1980 et 1990. On perçoit une véritable gourmandise à égrener les noms des Premiers ministres et ministres de droite, les médias dominants faisant souvent de même. Pareil pour l’engagement auprès de Charles Pasqua au RPF et au conseil général des Hauts-de-Seine (il n’est pas inutile de lire ce que François Asselineau dit à ce sujet). Sous-texte transparent : droite un jour, droite toujours.

 

Au lieu de lister ad nauseam ces étapes indéniablement marquées à droite, il serait plus pertinent et loyal d’examiner les déclarations et prises de position de François Asselineau depuis la création de l’UPR en 2007. Constate-t-on des changements ? Si oui, lesquels ? Est-il juste de laisser entendre qu’un passé politique qui n’est plus « actualisé » existe toujours sous une forme dissimulée ? Et si l’on estime qu’il n’est pas encore établi que la trajectoire et le positionnement du président de l’UPR se sont significativement émancipés de la droite, combien d’années faut-il encore ou que doit-il faire exactement pour modifier cette appréciation ? Quand il est question de François Asselineau, il semblerait que les médias s’arrogent un droit inépuisable au procès d’intention.

 

De ce point de vue, la comparaison avec le traitement de Jean-Luc Mélenchon est éclairante. En effet, le mentor politique du chef de la France insoumise est François Mitterrand – dont il dit toujours le plus grand bien –, récipiendaire de la Francisque numéro 2 202, ministre de la Justice pendant la guerre d’Algérie, protecteur de l’ultra-vichyste René Bousquet (responsable de la rafle du Vél’ d’Hiv’), anti-communiste sournois, acteur principal du tournant libéral et maastrichtien du Parti socialiste, etc. Au nom de quoi l’allégeance – passée et présente – de Jean-Luc Mélenchon à l’égard de François Mitterrand devrait-elle être considérée comme moins fâcheuse que les premières étapes du parcours de François Asselineau ?

 

D’autant plus que pour le leader de la France insoumise, on peut aussi mentionner d’autres prises de position accablantes, certaines récentes : « Maastricht est un compromis de gauche » (Sénat, 9 juin 1992) ; la décision de Nicolas Sarkozy d’intervenir militairement en Libye est une « bonne idée »(BFM-TV, 18 mars 2011) ; « J’approuve l’idée qu’on brise le tyran [Mouammar Kadhafi] pour l’empêcher de briser la révolution » (Libération, 21 mars 2011) « prôner la sortie de l’euro relève du maréchalisme » (Europe 1, 26 juin 2011) ; « Cela vaut la peine de défendre l’euro, pas celui-là, mais commençons déjà par défendre l’idée même de l’euro » (Europe 1, 10 septembre 2011) ; « Je veux l’Europe » (Arrêt sur images, 4 juillet 2013).

 

Autre épisode éloquent, dont j’avais rendu compte dans cet article : le 5 juillet 2015, les Grecs rejettent par référendum (à 61 %) les conditions imposées par la troïka pour un 3« plan de sauvetage ». Alexis Tsipras, pourtant à l’initiative de la consultation, s’empresse de s’asseoir sur le résultat et cède tout aux créanciers. Comment Jean-Luc Mélenchon réagit-il à cette trahison manifeste du peuple grec et de la démocratie ? Ainsi : « on peut considérer qu’il y a là une erreur dans le combat qui a été faite. Mais, à partir de là ça ne le disqualifie pas lui. Donc moi je reste solidaire de Tsipras » (propos recueillis par Télé Bocal et l’Agence Info Libre, le 16 juillet 2015 à Paris, dans une manifestation pour dire « non » aux politiques d’austérité mais… « oui » à Syriza).

 

À la mort de Michel Rocard, voici ce que Jean-Luc Mélenchon écrit sur son compte Twitter (2 juillet 2016) : « Des milliers de personnes engagées sont en deuil. Un éclaireur nous a quittés. Sa vie est une leçon. À chacun de la méditer. En ce temps-là, tous les socialistes étaient de gauche même très différemment. »Et, en effet, quelques années avant, le fondateur du Parti de gauche affirmait ceci à propos de Dominique Strauss-Kahn, alors possible candidat à l’élection présidentielle de 2012 : « Il est membre du PS et a été ministre du gouvernement de Lionel Jospin. Au nom de quoi pourrais-je lui contester son appartenance à la gauche ? » (dans un débat fort amical avec le pro-DSK Pierre Moscovici, L’Express, 24 juin 2010).

 

Bref, la « gauche radicale » devrait se pénétrer de la parabole de la paille et de la poutre… Pourquoi Le Monde diplomatique n’encouragerait-il pas Jean-Luc Mélenchon à corriger ses analyses et positions tout en se réjouissant de l’heureuse évolution de François Asselineau ? C’est là encore un rebondissement de pure fiction car, d’une part, le mensuel partage souvent les erreurs politiques du patron de la France insoumise (alter-européisme, soutien enthousiaste aux pétards mouillés Syriza et Podemos, grave égarement sur la guerre en Libye, par exemple), et d’autre part, la logique électoraliste et le souci de dorloter ses lecteurs petits-bourgeois et très diplômés – 53,8 % des abonnés ont un bac +5 ou un doctorat ! – l’empêchent d’aller trop frontalement contre le ronron alternatif.

 

(10) Le souverainisme est un folklorisme

 

Alors que le président de l’UPR a répété de nombreuses fois – en argumentant – qu’il ne se réclamait pas du souverainisme, l’article poursuit : « Monsieur Asselineau a commencé à embrasser la cause souverainiste en 1992 ». Ce terme tend à relativiser, folkloriser et droitiser la défense de la souveraineté populaire et/ou nationale, et en fait la notion même. Or, saper celle-ci c’est s’attaquer au principe et à la possibilité de la démocratie. Il est regrettable que Le Monde diplomatique adopte ainsi un autre usage des médias dominants, attachés de presse permanents de la construction européenne.

 

(11) Comment transformer François Asselineau en un proche de Nicolas Sarkozy

 

Allan Popelard écrit ensuite que François Asselineau a été « [n]ommé en 2004 par M. Nicolas Sarkozy à la tête de la délégation générale à l’intelligence économique, à Bercy », ce qui est exact, mais il occulte le fait que c’était selon toute vraisemblance pour le placardiser et l’isoler. Le poste, une coquille vide, sera carrément supprimé deux ans plus tard par Thierry Breton, devenu ministre de l’Économie, celui-ci n’ayant jamais reçu le principal intéressé ou prêter la moindre attention à sa mission.

 

M. Asselineau estime que « ses analyses, bien qu’irréfutables, ne sont pas les bienvenues » (cf. ce texte). En ne mentionnant pas ces éléments, le journaliste du Monde diplomatique oriente l’interprétation des lecteurs, conduits à inférer que le président de l’UPR est un proche de Nicolas Sarkozy, ce qui est faux sur tous les plans (professionnel, politique, etc.).

 

(12) Paul-Marie Coûteaux, l’ex-altermondialiste

 

L’article, qui est décidément riche en détails sur le passé de François Asselineau, précise que celui-ci a fait « un bref passage au Rassemblement pour l’indépendance et la souveraineté de la France (RIF), créé en 2003 par l’eurodéputé Paul-Marie Coûteaux (qui se rapprochera plus tard de l’extrême droite) ». Tout ceci est vrai mais là encore on donne aux lecteurs des éléments d’appréciation incomplets qui conditionnent l’interprétation dans un sens défavorable à « l’enquêté ».

 

Paul-Marie Coûteaux a en effet dérivé vers des positions ultra-conservatrices et réactionnaires, jusqu’à doubler sur sa droite le Front national – avec lequel il a cheminé un temps –, mais c’est aussi un ancien chevènementiste (il est passé par les cabinets de Boutros Boutros-Ghali, du « Che » et de Philippe Séguin). Plus surprenant encore, il a été adhérent à Lutte ouvrière et c’est un des membres fondateurs de l’association Attac – créée en 1998 –, dont Le Monde diplomatiqueest on ne peut plus proche, Ignacio Ramonet, alors directeur du mensuel, en ayant été le principal artisan. D’ailleurs M. Coûteaux est également un ancien contributeur du journal.

 

On comprend qu’il soit préférable de taire ce lien Coûteaux-Attac-Diplo pour ne pas perturber le lecteur. D’ailleurs l’association altermondialiste (mais aussi alter-européiste et alter-capitaliste) fait de même sur son site Internet, où on ne trouve aucune mention de Paul-Marie Coûteaux. Quant à ce dernier, il n’affiche plus son engagement à Attac depuis qu’il a choisi de suivre une voie sinueuse au sein de la droite dure.

 

(13) Histoire de trajectoires

 

Allan Popelard insiste : « Du RPF au RIF, de dissidence en dissidence, la trajectoire de M. Asselineau épouse celle de la droite conservatrice et souverainiste. » On a compris ! Autant de lignes qui ne sont pas consacrées à un examen critique des analyses et positions actuelles du président de l’UPR.

 

De l’UNEF au PS, de gauchisme en opportunisme, la trajectoire de M. Mélenchon épouse celle de la deuxième droite anticommuniste et sociale-traître. Ah, si Le Monde diplomatique me confiait la réalisation d’une enquête sur la France insoumise et son champion...

 

(14) Peu diserte donc suspecte

 

Allan Popelard écrit plus loin : « Alors que Les Patriotes de M. Florian Philippot ou Debout la France de M. Nicolas Dupont-Aignan manquent rarement une occasion de prendre à partie les migrants et les musulmans, l’UPR est peu diserte sur ces questions. » D’une part, on pourrait faire remarquer que les musulmans ne sont pas une « question » ; d’autre part, le choix de l’adjectif « disert » suggère que le parti du Frexit aurait envie de dire des choses (quoi ?) mais ne le fait pas. De plus, en ce qui concerne l’immigration, il y a bien un textedans lequel l’UPR expose sa position.

 

J’étais opposé à la « commission migrations » qui avait été créée fin 2017 sans débat et sans même consultation du Bureau national (une des raisons de mon départ), et me suis par conséquent réjoui de constater, comme le note Le Monde diplomatique, qu’« elle n’a jamais rendu publics ses travaux » (qui n’existent peut-être pas du tout). C’est une bonne chose que le respect de la Charte fondatrice l’ait emporté. Toutefois, précisons que si des conclusions avaient été produites, elles n’auraient assurément pas été zemmouriennes...

 

(15) Des spécificités intéressantes mais absentes

 

L’article du Monde diplomatique est malheureusement avare en portraits de militants, il ne rend pas compte de la grande diversité de profils au sein de l’UPR. Mais ce n’est pas le seul problème. Brève présentation d’une adhérente avec laquelle Allan Popelard s’est entretenu : « Mme Manon Chevalier, affiliée à l’UPR depuis 2014 et ingénieure à Montréal (Canada), a pris cette année-là un congé sabbatique pour collecter les promesses de soutien [parrainages pour l’élection présidentielle], se logeant à ses frais en Picardie. »

 

On se demande pourquoi le journaliste n’ajoute pas ici une information pertinente sur cette militante de choc : elle est Québécoise. Un élément qui pourrait contribuer à dissiper un peu l’odeur de renfermé que l’article tend à associer à l’UPR et donnerait une connotation sensiblement différente au passage dans lequel Manon Chevalier se dit « amoureuse de tout ce que la France a apporté ». Comme je l’ai écrit plus haut, le parti du Frexit accueille un nombre non anecdotique d’adhérents qui n’ont pas la nationalité française.

 

L’article ne relève pas deux autres spécificités de l’UPR qui intrigueraient peut-être le lecteur du Monde diplomatique : le fait que ses résultats électoraux obtenus outre-mer sont souvent deux voire trois fois supérieurs à ceux de la métropole ; la proportion d’expatriés parmi les adhérents est de 6,2 % (répartis dans plus de 110 pays) alors qu’on estime qu’entre 3 % et 3,7 % de la population française vit à l’étranger. Voici des données qui mériteraient analyses et commentaires.

 

(16) Un quart d’adhérentes

 

Contrairement à ce qu’affirme l’article, le pourcentage d’hommes parmi les adhérents n’est pas de 85 % mais de 75 %. 25 % de femmes, c’est certes faible, mais un tel déséquilibre se retrouve dans de nombreuses organisations, y compris à gauche. Quant au Monde diplomatique, d’après l’étude déjà citée, la part du lectorat féminin est de 30 %.

 

(17) Spectrographies politiques discordantes

 

Le journaliste déclare ensuite : « Si, au cours de notre enquête, nous avons rencontré d’anciens électeurs de tous bords, ainsi que beaucoup d’abstentionnistes, nombreux étaient ceux qui venaient des rangs de la droite. » Cette dernière affirmation ne correspond pas à ce que j’ai observé pendant huit ans au sein du mouvement. Allan Popelard ajoute en note : « L’UPR, elle, déclare que ses militants [il faudrait lire “adhérents”] auraient majoritairement une sensibilité de gauche. » Et je confirme, c’est bien le cas. Mais comme je ne demande pas à être cru sur parole, il nous reste à souhaiter que des observateurs impartiaux (journalistes, politologues ou sondeurs) trancheront sur ce point.

 

Cela dit, il paraît peu probable qu’un mouvement qui, comme l’écrit avec justesse Le Monde diplomatique« assume pleinement l’héritage du Conseil national de la Résistance (CNR) » et « le prend même pour modèle dans son Programme de libération nationale », soit dominé par la droite. De fait, j’ai pu constater que cette référence cardinale aux « Jours heureux » ne faisait l’objet d’aucune contestation parmi les adhérents ; je n’ai jamais entendu la moindre réserve quant à la pertinence à la fois de l’esprit et du programme du CNR.

 

(18) Les fonctionnaires introuvables

 

Allan Popelard dit qu’il n’y avait « aucun fonctionnaire » parmi les interlocuteurs qu’il a rencontrés. Il est possible que la proportion de fonctionnaires parmi les adhérents de l’UPR soit inférieure à celle de la population totale (8,4 %), mais je doute fortement que l’écart soit important.

 

Pour ma part j’ai adhéré au parti en même temps qu’un ami enseignant au collège et la majorité des camarades proches avec lesquels j’ai gardé des liens sont fonctionnaires. Il y a probablement un biais personnel mais tout de même… De plus, avec les vastes renationalisations et le développement des services publics qu’elle propose, l’UPR peut difficilement être présentée comme un mouvement anti-fonctionnaires.

 

(19) Une occasion manquée de traiter du fond

 

Entre autres observations pittoresques, l’article consacre dix lignes aux médailles que reçoivent parfois des militants qui se sont distingués par leur dynamisme. François Asselineau est en effet un passionné de phaléristique (et de tombola) mais on s’attendrait, venant du Monde diplomatique, à moins d’égards pour l’anecdotique. Il aurait été plus profitable pour les lecteurs d’examiner la validité des analyses de l’UPR, par exemple sur les « GOPÉ », les « soldes Target » ou l’impossibilité des projets d’« autre Europe » (dont, on l’a vu, le mensuel défend sa version lordonienne).

 

Au lieu de qualifier et connoter le parti, mieux vaudrait en critiquer les idées, éventuellement les réfuter. Là aussi Le Monde diplomatique tombe dans un travers courant du rapport des médias à l’UPR, objet politique embarrassant qu’il est plus commode d’évacuer par le dénigrement que par le débat.

 

(20) L’importance d’être constant

 

Plus loin : « La charte fondatrice “n’a subi strictement aucune modification”depuis sa rédaction en mars 2007, comme s’en vante le site Internet du parti. »Oui, et donc ? La constance en politique n’est pas un défaut, a fortiori quand on a raison. Il est certain que la stabilité analytique et programmatique de l’UPR peut décontenancer quand on est habitué aux ambiguïtés et louvoiements de Jean-Luc Mélenchon à propos de l’UE et de l’euro (ou d’autres sujets)…

 

En effet, celui-ci a pu déclarer : « L’Europe n’a pas été créée pour je sais pas quoi, la paix, le reste, c’est pas vrai. L’Europe a été créée pour constituer une entité pour faire face aux Soviétiques avant que les Américains arrivent. Voilà, point. Ils ont d’ailleurs commencé par la communauté européenne de défense »(débat avec Jacques Sapir, Arrêt sur images, 4 juillet 2013). Puis, moins d’un an après, virage à 180° : « l’Union européenne, que nous avons créée d’abord pour régler le problème de la paix entre les Français et les Allemands. Que personne ne l’oublie jamais » (meeting, 13 mai 2014).

 

Six mois plus tard, nouveau demi-tour : « Beaucoup l’ont cru, que l’Europe permettait que la guerre n’ait pas lieu. […] Ce qui a empêché que la guerre ait lieu c’est l’équilibre de la terreur » (débat avec Éric Zemmour, groupe EBRA, 21 novembre 2014). Quelques années passent, les zigzags continuent : « Penser que l’on va relancer l’Europe par l’Europe de la défense, c’est une vision terrible. On n’a pas fait l’Europe pour ça, mais pour faire la paix » (conférence de presse, 6 mars 2017). À quand un article du Monde diplomatique pour exposer et analyser ces revirements symptomatiques du rapport de la « gauche radicale » à la construction européenne ? Compte tenu du nombre d’abstentionnistes, de non-inscrits et d’adeptes du vote blanc ou nul – les « non-élisants » sont majoritaires en France –, une critique de l’électoralisme et des ambiguïtés roublardes qui lui sont consubstantielles trouverait assurément un public.


(21) Indifférence ou ostracisation ?

 

Déroulant sa thèse centrale, l’article poursuit : « Pendant des années, l’UPR s’est tenue à distance des mobilisations sociales. Si elle s’est jointe aux manifestations appelant à la défense de la Société nationale des Chemins de fer français (SNCF), le 22 mars 2018, et à celles des 1er mai 2018 et 2019, elle reste dépourvue de relais syndicaux et indifférente au mouvement ouvrier. » Une présentation très sélective et orientée de la réalité.

 

Il convient d’abord de dire que l’UPR a été intensément harcelée au début des années 2010 par des groupes « antifas » (les guillemets sont importants) : conférences annulées suite à des pressions sur les responsables des lieux, articles malhonnêtes et malveillants sur Internet, menaces, intimidation physique, etc. En 2014, lors de la fête du 1er mai à Paris, des adhérents de l’UPR qui distribuaient des tracts contre le traité transatlantique ont été sauvagement agressés par des nervis ; un militant, Stevann Labbé, a été frappé plusieurs fois à la tête, l’un des coups occasionnant un important saignement du cuir chevelu (voir le communiqué).

 

Il y a eu d’autres épisodes du même genre (cyber-sommations, violence, destruction de matériel militant...). On comprend que ça refroidisse un peu les velléités de se joindre aux cortèges de manière visible, surtout avec des personnes qui pour la plupart découvrent le militantisme de terrain. Il est normal que la direction de l’UPR ait eu des scrupules à exposer les adhérents à des brutes qui ont la certitude que vouloir sortir de l’UE relève du fascisme et refusent par principe toute discussion.

 

Mais ce n’est pas tout. La CGT a fait savoir de façon officieuse que les militants de l’UPR – et en premier lieu François Asselineau – n’étaient pas les bienvenus dans les manifestations et sur les sites des entreprises en lutte. Plus tard, dans un communiqué intitulé « L’extrême droite n’a sa place ni dans les cortèges syndicaux ni nulle part ailleurs ! » (21 mars 2018), la direction de la centrale de Montreuil a fait une allusion transparente à l’UPR en l’amalgamant à l’extrême droite : « du “Front National” aux “Patriotes”, en passant par différents mouvements favorables au “Frexit”, des organisations identitaires, xénophobes et racistes se travestissent en pseudo-alliés et soutiens des travailleurs en lutte… »

 

Puis la CGT a explicitement attaqué l’UPR dans une « Note aux organisations » (4 juin 2018), affirmant, toujours sans preuve ni argument, qu’il s’agissait d’un parti d’extrême droite raciste : « L’ampleur du mal dépasse le seul vote Front National ou d’autres partis comme la Ligue du Sud, l’UPR ou Debout la France, pourtant déjà très inquiétant. » La CGT, à l’instar de tous les autres syndicats français, veut rester dans l’UE – et se condamne donc à l’impuissance –, ce qui suscite des critiques en son sein (voir le reportage « La CGT et l’Europe » et cette vidéo d’un adhérent de l’UPR cégétiste), d’où la fureur de la direction contre les partisans du Frexit.

 

Notons au passage que c’est le mouvement du « droitier » Asselineau qui s’est efforcé de faire connaître en France le syndicat britannique de gauche et pro-Brexit RMT, principale organisation du secteur des transports. La CGT, le PG (puis la FI) et le « Diplo » ne lui ont pas consacré une seule ligne, y compris lors du décès de Robert Crow, qui en fut l’emblématique secrétaire général de 2002 jusqu’à sa mort en 2014.

 

Ce climat franchement hostile – anti-F. A. –, dont Le Monde diplomatique choisit de ne pas rendre compte, ne favorise pas une participation aux mobilisations sociales. Ajoutons que de nombreuses personnalités identifiées à gauche ont refusé les invitations aux Universités d’automne de l’UPR, que d’autres, soutenant le mouvement, ne souhaitent pas le faire savoir publiquement par crainte (légitime) des conséquences. Sans parler de l’attitude antagoniste de la plupart des médias de « gauche ».

 

Ces multiples attaques, rebuffades et anathèmes finissent par isoler, cloisonner – c’est le but. D’autant plus que l’UPR ne se prive pas de critiquer la compromission de la CGT et des autres centrales avec la Confédération européenne des syndicats (CES) – véritable étouffoir du syndicalisme de transformation sociale à l’échelle du continent –, mais aussi le catastrophique tournant « euroconstructif » du PCF.

 

(22) François Asselineau, le Front populaire et la Commune

 

L’article poursuit : « dans sa conférence de trois heures quinze sur l’histoire de France – sans doute la plus regardée par les militants –, M. Asselineau ne dit pas un mot de l’expérience du Front populaire. » Je n’ai pas vérifié, sachant qu’en plus il existe différentes versions de cette conférence, disons que c’est exact. Mais alors pourquoi ne pas préciser que François Asselineau y parle favorablement de la Commune de Paris, ce qui est un peu inhabituel pour un « homme de droite » ?...

 

(23) La question du « conspirationnisme »

 

Allan Popelard a tout à fait raison d’exprimer des doutes à propos de la thèse de François Asselineau sur Mai 68 : « probablement [...] la première “révolution de couleur” » organisée, ou du moins favorisée, par les États-Unis pour se débarrasser de Charles de Gaulle. J’ai fait de même en interne quand j’étais encore à l’UPR, ce genre de spéculations étant par ailleurs tout à fait dispensable ; en effet, le dossier sur l’impérialisme américain et sa pléthore d’ingérences avérées est déjà suffisamment accablant (lire par exemple le remarquable livre de William Blum, Les Guerres scélérates : les interventions de l’armée américaine et de la CIA depuis 1945 – cf. cette brève recension de Jean Bricmont parue dans Le Monde diplomatique).

 

Estimant que la prudence était parfois insuffisante, j’avais demandé – en vain – que soit mis en ligne un texte posant que la parole publique du parti devait être soumise aux principes suivants : « lorsqu’il existe des documents officiels (obtenus par déclassification, interception ou fuite), que l’authenticité de ceux-ci n’est pas contestée par les organisations ou personnalités concernées, alors il est rationnel d’affirmer qu’il y a “complot”, si bien sûr il s’agit d’une action de cette nature (c’est le cas avec les révélations issues du fameux article d’Ambrose Evans-Pritchard). Les déclarations orales ou écrites sont également à prendre en compte. Quand par contre il n’existe pas de preuves factuelles, que les éléments d’appréciation sont incertains, alors il faut suspendre son jugement, même si on est fortement tenté de donner du crédit à une thèse. En effet il convient de se méfier du “biais de confirmation”. »

 

Comme je l’avais exprimé lors de mon départ, il n’est pas judicieux que l’ensemble du parti se trouve « à la merci » des prises de position personnelles exprimées – souvent au débotté – par François Asselineau, notamment dans ses entretiens vidéo en direct. Celui-ci aime parler (nouveau scoop !) et communiquer son point de vue sur quantité de sujets, pas toujours avec les précautions souhaitables.

 

Cela dit, en mentionnant uniquement cette thèse sur Mai 68 (qui n’a jamais été validée par le Bureau national du mouvement), Allan Popelard donne l’impression qu’elle est représentative des autres analyses développées par le président de l’UPR, alors que dans la vaste majorité des cas, celles-ci sont rationnelles et solidement étayées. Mettre ainsi en lumière un point faible en occultant la robustesse du reste n’est pas très fair-play, d’autant plus que l’on peut faire de même avec n’importe quel parti ou personnalité politique. L’éthique intellectuelle exige de donner une juste représentation de la proportion du contenu fragile – voire erroné – dans l’ensemble des analyses et thèses.

 

Digression « anti-conspirationniste » : le regretté William Blum consacre un chapitre des Guerres scélérates à l’implication probable de la CIA dans le putsch des généraux à Alger en avril 1961. Plusieurs éléments probants tendent à montrer que le général Challe aurait au moins reçu le feu vert explicite de l’agence de renseignement états-unienne. Quoi qu’il en soit, une chose ne fait pas de doute : Washington voulait bel et bien que de Gaulle fût écarté du pouvoir, principalement à cause de son opposition à l’OTAN. Il est important d’avoir à l’esprit ce principe général pour cheminer avec prudence vers la vérité en histoire : Tout ce qui arrive n’a pas été voulu, et tout ce qui est voulu n’arrive pas.


(24) Critique de la bourgeoisie

 

Allan Popelard, à mesure que l’article approche de la fin, n’instruit plus qu’à charge : « Réfractaire à tout matérialisme, le fondateur de l’UPR ne mentionne pas davantage le rôle historique de la bourgeoisie. » Une affirmation excessive comme on peut le constater par exemple en visionnant cet échange entre François Asselineau et deux intellectuels marxistes.

 

Comme son président, le parti du Frexit ne peut certes pas être qualifié de héraut du matérialisme historique, mais il fait bon accueil aux socialistes, aux communistes et même aux anarchistes (oui, il y en a parmi les adhérents et sympathisants de l’UPR), et ne marginalise nullement ceux qui s’inscrivent dans le cadre de la lutte des classes et veulent rompre avec le capitalisme. Simplement tous les membres acceptent une hiérarchie de priorités claire dans leurs activités au sein du mouvement : d’abord (r)établir la souveraineté populaire, l’indépendance nationale et la démocratie.

 

Quant à la critique de la bourgeoisie, il est vrai qu’elle est timide et généralement indirecte, mais elle s’incarne dans la condamnation des élites euro-atlantistes, de l’oligarchie financière et industrielle, des médias dominants, etc. De plus, François Asselineau reprend à son compte cette sentence issue du C’était de Gaulle d’Alain Peyrefitte : « Le peuple est patriote. Les bourgeois ne le sont plus ; c’est une classe abâtardie. » Le Monde diplomatique essaie de faire passer l’UPR pour un mouvement qui ménage la bourgeoisie alors que les représentants politiques, économiques et médiatiques de celle-ci ont bien perçu les menaces (pour sa position) qu’implique la rupture authentiquement révolutionnaire proposée par le parti du Frexit. C’est pourquoi il est outré d’affirmer : « Le terme “élite” n’est cependant jamais adossé à une classe sociale. »

 

Mais, au fait, que dit la France insoumise de la bourgeoisie ? Développe-t-elle une critique radicale de son rôle historique, comme on pourrait l’inférer des propos et de l’engagement d’Allan Popelard ? Sur le site Internet de la FI, il y a une seule et unique mention du terme « bourgeoisie », et il s’agit d’une dénonciation de la bourgeoisie… allemande. Si on fait la même recherche sur le site du programme de la FI – « L’Avenir en commun » –, on ne trouve toujours qu’une occurrence, cette fois-ci dans un plaidoyer pour que « le séjour Erasmus ne devienne pas un marqueur d’entre-soi de la jeune bourgeoisie libérale européenne » (ce qui est déjà massivement le cas).

 

La pêche est très maigre mais, assurément, une visite sur le site du Parti de gauche va nous dévoiler la puissance du surmoi marxiste de la France insoumise... Trois occurrences ! La première relative à la bourgeoisie malgache, la deuxième à celle du Venezuela – le dollar est toujours plus vert ailleurs. La troisième mention figure dans un bref communiqué de Jean-Luc Mélenchon datant de 2013 ; il est bien question de la bourgeoisie française mais il s’agit d’une citation de l’ancien député puis sénateur PS Gaëtan Gorce dans laquelle il pointe l’embourgeoisement de Solférino (qui ne date pas des années 2010...).

 

Il ne me semble pas illégitime de déduire de la quasi-absence du mot « bourgeoisie » la faiblesse de la critique de cette classe. Sur le site de l’UPR, il y a treize occurrences du terme, là aussi généralement pour référer à des bourgeoisies étrangères, mais dans cet excellent article de l’universitaire irlandais Anthony Coughlan intitulé « La gauche et l’Europe », on en trouve trois, dont deux dans une citation – approbatrice – du Manifeste du Parti communiste de Marx et Engels (1848).

 

Ce texte remarquable sur la désastreuse compromission de la « gauche » avec la construction européenne, c’est l’UPR qui l’a traduit et publié, pas Le Monde diplomatique ou la France insoumise, trop empêtrés dans les incohérences de leur ligne « alter-tout » typiquement petite-bourgeoise : alter-européiste, altermondialiste, alter-capitaliste, et parfois même alter-impérialiste (comme on l’a vu sur la Libye).

 

(25) Qu’est-ce que défendre la démocratie ?

 

Allan Popelard s’efforce d’enfoncer le clou : « La défense de la démocratie demeure toute formelle, et la structure inégalitaire de la société apparaît comme un problème secondaire. » Il suffit de prendre connaissance du programme de l’UPR pour s’apercevoir que cette assertion est incorrecte. Et si, par exemple, proposer le RIC en toutes matières est considéré comme une broutille par Le Monde diplomatique, ce n’est pas l’avis des nombreux Gilets jaunes qui se sont intéressés au mouvement depuis un an.

 

Pour leur part, le « Diplo » et la FI défendent la démocratie de façon purement fictive et verbale puisqu’ils refusent mordicus de plaider en faveur de la sortie de l’Union européenne, prémisse nécessaire (mais certes non suffisante) à l’exercice de la souveraineté populaire et de l’égalité politique en France. Défendre des principes de façon conséquente, c’est faire en sorte qu’adviennent les conditions concrètes qui leur permettront de pleinement s’exprimer.

 

C’est plutôt à la « gauche radicale » de justifier son choix de ménager une structure fondamentalement antidémocratique et capitaliste comme l’UE. Quand on rend un tel service à la droite, à la bourgeoisie, et donc que l’on favorise la perpétuation de « la structure inégalitaire de la société », on a des comptes à rendre, en premier lieu aux classes populaires.

 

(26) Si Jaurès revenait...

 

Le bouquet final est à l’horizon : « [L’UPR] ne croit cependant ni à la nécessité de dénouer le lien de subordination salariale, ni à celle d’étêter les grandes fortunes pour fortifier la démocratie. » Le parti n’a jamais prétendu être socialiste ou communiste, c’est un mouvement temporaire de libération nationale qui se fixe des objectifs limités mais essentiels. Même si le programme va bien au-delà des questions de souveraineté et de démocratie (trop à mon avis), il a toujours été clair qu’il ne s’agissait pas de préempter les grands choix que les Français feraient une fois (re)trouvée la possibilité de décider collectivement.

 

La FI, le PCF, le NPA et LO ont certes une apparence de partis de gauche mais comme ils refusent tous de sortir de l’UE – ce qui revient à saborder la souveraineté populaire –, ils se vouent à l’impuissance (aux frais des victimes du capitalisme). Sans parler du citoyennisme écolo-sociétal et du déclin de l’engagement anti-impérialiste qui caractérisent toutes les organisations de la « gauche de gauche ». Ce n’est pas avec ces ectoplasmes boboïsés que l’on va « dénouer le lien de subordination salariale » ou « étêter les grandes fortunes pour fortifier la démocratie ». Capitalistes et exploiteurs peuvent dormir sur leurs deux oreilles, la petite-bourgeoisie intellectuelle monte la garde.

 

Allan Popelard cite ensuite Jaurès, mais le parti pour lequel il milite n’est pas à la hauteur de cet héritage. Loin de là. En effet, on peine à imaginer le grand socialiste plaider pour la guerre en Libye, dire que Dominique Strauss-Kahn est un homme de gauche ou balader les électeurs à coups de plan B, de vraie-fausse sortie des traités en restant dans l’UE, etc. Jean Jaurès, qui chérissait la clarté, mais aussi l’efficacité, n’aurait jamais souscrit à cette déclaration brumeuse :

 

« Le PG entend œuvrer à une transformation de l’UE, non à sa destruction. Il ne s’agit donc pas seulement d’abandonner l’UE à son triste sort en restaurant la seule souveraineté du peuple français, mais d’engager une épreuve de force au sein de l’UE en démontrant qu’un gouvernement déterminé à le faire peut toujours mener une autre politique. S’affranchir du carcan néolibéral de l’UE, sortir de l’application intégrale du traité de Lisbonne, sans sortir de l’UE, c’est démontrer que l’on peut préserver l’acquis de cinquante ans de construction européenne, en se débarrassant du poison néolibéral. » (résolution du Parti de gauche sur l’euro adoptée par son Conseil national, 10 avril 2011)

 

Difficile de faire plus tortueux et irréaliste... C’est une capitulation grimée en volontarisme attrape-électeurs. Jean-Luc Mélenchon n’est ni Robespierre ni Jaurès, c’est un remake matamore de Mitterrand (dans lequel on remplace les ortolans par du quinoa).

 

(27) Pourquoi Christine Annoot et pas Zamane Ziouane ou Sylvie Heyvaerts ?

 

C’est Le Monde diplomatique qui m’a appris que Christine Annoot était la responsable des affaires sociales de l’UPR. En huit ans dans le parti, je n’ai jamais croisé cette « membre fondatrice ». À en juger par les déclarations reproduites dans l’article, la nomination semble particulièrement inopportune. Ce ne serait pas la première « erreur de casting » que l’on verrait à l’UPR…

 

D’après ce que rapporte Allan Popelard, Mme Annoot ne connaît pas les mesures sociales du programme, qui vont explicitement contre les politiques libérales, et elle s’aventure même à tenir un discours favorable au capitalisme. Ceci est totalement « hors Charte », selon l’expression consacrée au sein du mouvement, et là encore je ne me souviens pas avoir entendu pareils propos dans la bouche d’un adhérent quand j’étais membre.

 

Je peux imaginer la satisfaction d’Allan Popelard lorsque Christine Annoot lui a dit que les travailleurs avaient « déjà beaucoup de droits ». Cela dit, je trouve discutable de consacrer deux paragraphes à cette cadre clairement marquée à droite, et donc qui a le profil parfait pour la démonstration que le journaliste cherche à produire.

 

Pourquoi ne pas s’être intéressé et avoir donné la parole à Zamane Ziouane(numéro 2 de la liste pour les élections européennes) ou à Sylvie Heyvaerts(ancienne responsable de la France insoumise), par exemple ? Cela aurait donné une tout autre image du parti, de nature à piquer favorablement la curiosité des lecteurs du Monde diplomatique, mais on sent bien qu’un des objectifs de l’article était précisément de les détourner de l’UPR. Les nombreux adhérents et sympathisants qui lisent le mensuel ont dû apprécier.

 

(28) Là où il ne faudrait pas être de « gauche », l’UPR l’est

 

Allan Popelard poursuit la charge : « le dogme du productivisme et son cortège de brutalités sociales et environnementales ne sont [pas] blâmés [dans les rangs de l’UPR] ». Une fois de plus, un rapide examen des productions écrites et audiovisuelles du mouvement permet de contredire cette affirmation, pour les deux catégories de brutalités (il est vraiment difficile de passer à côté des multiples condamnations du productivisme dans le domaine de l’agriculture). J’en sais quelque chose car, autant j’approuve évidemment le réquisitoire contre les dommages sociaux – et sanitaires – du capitalisme productiviste, autant je suis pour le moins sceptique quant à plusieurs aspects du discours écologiste. C’est une autre raison de mon éloignement de l’UPR.

 

Je me suis très fréquemment opposé aux pétitions de principe englobantes contre les pesticides et les OGM, arguant de la littérature scientifique. Sans surprise, le parti a été emporté par la fièvre du glyphosate. Pourtant, comme le dit à juste titre la tribune du collectif No Fake Science« [a]ux expositions professionnelles et alimentaires courantes, les différentes instances chargées d’évaluer le risque lié à l’usage de glyphosate considèrent improbable qu’il présente un risque cancérigène pour l’humain. » Et sur l’autre grande source de fantasmes verts : « Le fait qu’un organisme soit génétiquement modifié (OGM) ne présente pas en soi de risque pour la santé. » Les détracteurs n’ont pas réfuté ces évaluations sur le terrain de la science.

 

Honnir Monsanto pour ses pratiques de multinationale prédatrice est une chose, vilipender sans examen approfondi des technologies – produits phytosanitaires et OGM principalement – en est une autre. Bien souvent, croyant critiquer le capitalisme, le productivisme, on sape en fait la science et le progrès, avec les bienfaits qu’ils peuvent apporter. Ceux-ci pourraient d’ailleurs être puissamment favorisés si le secteur public reprenait la main sur la recherche scientifique et le développement technique, afin que la propriété de leurs fruits échappe aux appétits privés et que progrès rime avec émancipation. Comme l’a écrit Marie Curie dans le livre consacré à son mari, « la science est à la base de tous les progrès qui allègent la vie humaine et en diminuent la souffrance. »

 

Les déclarations équivoques de l’UPR sur la vaccination ou celles, très anxiogènes, sur les perturbateurs endocriniens, me paraissaient également infondées et imprudentes, outre le fait qu’elles nous éloignaient de la Charte. Je ne consentais pas non plus à l’enthousiasme béat pour l’alimentation « bio » et à la promotion irresponsable des « médecines douces et alternatives », bref, à la sacralisation du « naturel ». Les analyses et propositions de l’UPR sont en général rationnelles – aucun autre parti ne peut rivaliser sur ce point –, mais ce n’est pas le cas sur ces sujets, où l’état des connaissances scientifiques est largement occulté. J’ai essayé de le montrer à de nombreuses reprises.

 

Force est de reconnaître que j’étais bien seul dans ce combat, y compris au sein du Bureau national. Pourtant je ne demandais pas que le parti inverse ses appréciations et s’aligne sur mes positions « scientistes », seulement qu’il s’abstienne de se prononcer. Ayant argumenté dans le vide pendant plusieurs années, il a bien fallu que j’en tire les conséquences. Je me méfie aussi de la tendance actuelle à habiller en vert la désindustrialisation. La médiatisation plutôt favorable du discours décroissant est liée (en partie) au fait que celui-ci permet de ripoliner l’austérité en sobriété, la baisse du niveau de vie en joyeuse parcimonie.

 

Suivant l’ensemble de la « gauche » – la France insoumise surenchérit en étant en plus anti-nucléaire – et une bonne partie de la droite, l’UPR a embrassé l’écologie non-scientifique, la technophobie de principe et l’idéologie anti-progrès. Voilà un point de convergence dont Le Monde diplomatique aurait pu se réjouir.

 

(29) Le camp des vaincus

 

Nous sommes tout proches de l’estocade finale, Allan Popelard se cramponne à sa thèse : « Déconsidérés par le capitalisme actionnarial autant que par l’atlantisme et l’européisme triomphants, les héritiers proclamés du gaullisme ont rejoint le camp des vaincus. » Ça sonne bien, c’est même un brin littéraire, mais c’est faux. La majorité des adhérents de l’UPR se sentent simplement les héritiers de ceux qui se sont (vraiment) souciés de la démocratie, de la souveraineté populaire et de l’indépendance nationale. C’est tout.

 

C’est justement parce que cette préoccupation intransigeante est considérée comme de droite par Le Monde diplomatique et bien d’autres que la France se trouve dans une impasse. Tant que la « gauche » s’accrochera à l’idole de la construction européenne, qu’elle s’illusionnera en y voyant malgré tout une ébauche d’internationalisme à préserver, la situation sera bloquée. C’est grandement sa responsabilité si ceux qui veulent confier le pouvoir au peuple sont, pour l’instant, dans « le camp des vaincus ».

 

(30) Les malades du Frexit

 

Et voici la dernière phrase de l’article : « La mélancolie de droite, dont le surgissement de l’UPR est l’un des signes, conserve un pouvoir mobilisateur. »Une conclusion qui montre où peut mener une analyse sociopolitique à la fois incomplète et incorrecte sur plusieurs points, et fortement biaisée par l’affiliation à un parti rival de celui qu’on « observe ». Le concept de « mélancolie de droite » frappe l’esprit, ça sent le passé croupi et l’aversion pour l’égalité ; il s’applique bien au Rassemblement national et à Debout la France – les souverainistes identitaires –, mais pas à l’UPR.

 

Allan Popelard retient un sentiment plutôt que des idées. On adhère à l’UPR avant tout par mélancolie, par une sorte de romantisme affligé, et non pour soutenir des analyses et des propositions, pour défendre des principes… Durant mes huit années de militantisme, j’ai surtout côtoyé des personnes fraternelles, humbles et combatives, certes parfois ébranlées par l’ampleur de l’adversité, mais nullement mélancoliques. Et, répétons-le une dernière fois, majoritairement équipées d’une boussole de gauche.

 

Ce qui est le plus pénible dans cet article, c’est peut-être cela : l’assurance avec laquelle il pose un diagnostic sur les 38 000 adhérents de l’UPR, et notamment sur les militants qui pour la plupart luttent avec abnégation et désintéressement. Le docteur Diplo leur annonce : « Votre obsession pour le “Frexit” ne laisse pas de doute, c’est un symptôme bien identifié. En fait, vous souffrez de mélancolie. Pis : d’une mélancolie de droite. » Le traitement approprié – l’ordonnance – consistant en une lecture religieuse du mensuel et en la foi dans les prodiges à venir de la France insoumise Canal Histrionique (Ruffin 2022 !). Et, bien sûr, il convient d’absorber une dose d’« autre Europe » à chaque fois que la tentation de sortir de l’UE se manifeste.

 

Et si on débattait enfin ?

 

Le Monde diplomatique n’a pas voulu se poser sérieusement cette question : Pourquoi l’UPR attire-t-elle autant de personnes de gauche ? Il a préféré suivre son « intuition » de départ (et de confort) : ces gens sont en fait de droite, même s’ils n’en sont pas conscients. Allan Popelard a refusé d’envisager que le « pouvoir mobilisateur » de l’UPR et de ses idées pouvait être « l’un des signes »de la médiocrité de ce qui tient lieu de gauche en France. Pourtant, il me semble que le désir d’en finir avec l’inconséquence et l’innocuité des réformistes comme des « révolutionnaires » est une hypothèse explicative qui mériterait d’être explorée.

 

Le plus simple ici est de reproduire un courriel que j’avais envoyé à Allan Popelard après notre entrevue (ces arguments n’ont laissé nulle trace dans son article) : « À mon sens, si le camp “souverainiste” apparaît marqué à droite, c’est largement parce que la plupart des organisations de gauche – partis, syndicats, associations et médias – ont abandonné le terrain de la défense (conséquente) de la souveraineté populaire et de l’indépendance nationale, voire combattent celles-ci. Cette désertion, qui a souvent été combinée à un affaiblissement de la vocation anti-impérialiste, a ouvert un boulevard au FN/RN et dans une moindre mesure à DLF, leur permettant d’accaparer ce combat et de le connoter avec leurs préoccupations identitaires et sécuritaires.

 

Même si cette assertion peut surprendre au premier abord, je considère que l’UPR est plus à gauche pratiquement que la FI, le PCF ou le NPA, car elle propose une voie (le Frexit) qui augmente de beaucoup la probabilité de pouvoir appliquer des politiques progressistes en France. On peut multiplier les propositions de gauche [ambitieuses] [je fais ici une petite modification pour éviter une répétition], afficher une radicalité tonitruante, si on n’offre pas dans le même temps une trajectoire réaliste pour les matérialiser, ce ne sont que des déclarations d’intention séduisantes qui produiront in fine de la déception et de la résignation car elles resteront lettre morte. J’ai conscience que je formule un paradoxe apparent : l’UPR, sans être à proprement parler un mouvement de gauche, est plus à gauche – et révolutionnaire – que les organisations qui revendiquent (parfois bruyamment) cette appartenance.

 

À mes yeux, tout véritable projet politique de gauche, qu’il soit socialiste, communiste ou anarchiste, passe nécessairement par la sortie de l’UE et de l’OTAN, c’est pourquoi je ne pourrai jamais m’engager dans un parti qui ne propose pas clairement cette issue. Je ne vois pas par quel miracle on pourrait rompre avec le capitalisme sans Frexit.

 

Sur une note plus personnelle, en réfléchissant à mon parcours, je m’aperçois que je suis entré en politique par la porte de la souveraineté populaire, du souci démocratique (et aussi de l’opposition aux guerres impérialistes), et que j’ai peu à peu donné à ma pensée un contenu plus nettement anti-libéral – puis anti-capitaliste – et des principes anarcho-communistes (via lectures et rencontres). Bref, je suis sorti de l’UPR plus à gauche que j’y étais entré. »

 

J’ai été fort long, il faut que j’en termine. Ce texte m’a permis d’exprimer des choses que je ruminais depuis plusieurs années. J’ai parfois adopté un style vif, voire pamphlétaire, je suis en effet plus que lassé de voir la gauche française sombrer douillettement dans l’indigence. Je voudrais qu’elle daigne cesser de concourir au prix de la gauche la plus nulle du monde. Je souhaiterais que Le Monde diplomatique, qui reste un très bon journal – le seul en France à ne pas être tombé dans la folie du « Russiagate » et le seul à défendre correctement Julian Assange –, arrête de cultiver une sorte d’impuissance savante et la crainte de brusquer le petit-bourgeois.

 

C’est pourquoi j’appelle de mes vœux un véritable débat dans les organisations et médias qui se réclament de la gauche. En particulier sur la question de la souveraineté populaire, de l’indépendance nationale, et donc de l’appartenance de la France à l’Union européenne. Un débat qui n’exclurait pas d’emblée les partisans du Frexit... En ce qui me concerne, je serai toujours disposé à participer à un échange rationnel et loyal. Si Allan Popelard, que je crois intègre et sincère, veut me répondre, c’est avec plaisir que je poursuivrai la discussion avec lui.

 

Je ne résiste pas à la malice de clore par cette anecdote : il y a dix ans, le 19 mai 2009, j’assiste pour la première fois à une conférence de François Asselineau (« Les 12 impasses de la construction européenne ») ; je ne connais alors celui-ci que de nom. Qui organise cet événement ? La section parisienne des Amis du Monde diplomatique. Quelques jours plus tard, j’adhère à l’UPR.

Laurent Dauré

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