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  • : Philo-socio-anthropo-histoire. Revue en ligne éditée par une partie de l'ancienne rédaction de "La Pensée" exclue en 2004, élargie à d’autres collaborateurs et consacrée au renouvellement de la pensée critique de la globalisation, du politique, de l’économique, du social et du culturel.
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  • Cette revue de Philo-socio-anthropo-histoire est éditée par une équipe de militants-chercheurs. Elle est ouverte à tout auteur développant une pensée critique sur la crise de civilisation du système capitaliste occidental.
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3 avril 2023 1 03 /04 /avril /2023 22:09

Pour ceux qui, obnubilés par le discours publics des politiciens polonais, pensent qu’en Pologne on est obsessivement et uniquement russophobe, cet article est utile, ne serait-ce que pour convaincre qu’une réflexion sur la société et la culture russes continue à exister dans ce pays ; par-dessus le brouhaha médiatique par la force des chose passager imposé par les pouvoirs du moment qui profitent de la guerre actuelle pour éliminer du discours public (mais aussi des postes) toute forme d’hétérodoxie et donc de pluralisme démocratique.

Cet article pourra étonner aussi nos lecteurs plus habitués à découvrir une vision progressiste qu’à analyser un retour vers la tradition, mais il nous a semblé nécessaire désormais, au regard de la grande guerre qui se développe aujourd’hui entre « l’Occident » et « le reste du monde », de comprendre les choses qui émergent « ailleurs ». Quoiqu’on en pense. Pour être aussi en état de percevoir en quoi ces choses pourraient rejoindre le grand fleuve du progrès et de la progression humaine qui a laissé un héritage et une dynamique échappant au contrôle de l’Occident bourgeois.

Il manque donc bien évidemment dans cet article la question de la dynamique et donc la question du passage du capitalisme au communisme qui, lui, a bien atteint la Russie et fait donc aussi partie de son héritage. Impossible donc de comprendre la Russie d’aujourd’hui et ses « retours en arrière » sans référence à Marx et à Lénine. Chose qui prend toute son importance au moment où d’autres pays, en particulier bien sûr la Chine, poursuivent l’objectif d’aller à travers la construction des bases du socialisme, vers le communisme. Et c’est dans ce contexte que l’on doit prendre en compte l’impact persistant sur les processus de progrès humain des traditions éradiquées par le capitalisme, ou malmenées par le socialisme réel.

Sur le plan religieux, il manque aussi dans cet article la prise en compte de la dynamique qui est allée de la foi d’Israël à l'islam en passant par les christianismes analysés, eux, isolément, dans cet article. Alors que judaïsme et islam mais aussi bouddhisme ne figurent pas par hasard dans la constitution russe comme ses « religions nationales ».

Cette notion de dynamique est ici absente en partie sans doute à cause de la régression qui est tombée sur les pays de l’Est dans les années 1980 et du blocage concomitant de la dynamique du capitalisme en Occident dans les mêmes années. Le cul de sac dans lequel est arrivée la dynamique occidentale antérieure doit d’ailleurs sans doute en partie être recherché aux origines même de ce qui allait devenir l’Occident, ce vers quoi nous incite à penser fort utilement cet article.

Mais en plus de cet aspect "photo du moment" que répercute l’auteur de ce mémoire, il y a la question des fondements philosophiques, et donc ici théologiques, nés au départ entre Rome et Constantinople. Ce qui est pertinent et qui doit être repris pour entrevoir ce qui pourrait, et devrait, arriver quand la dynamique inhérente à l’épopée humaine repartira, ce qu’on entrevoit déjà en Extrême-Orient, peut être en Asie occidentale, peut être en Afrique et en Amérique latine mais aussi en Russie. Quand donc nous sortirons du néo-malthusianisme dans lequel nous sommes englués par la force des choses et du phénomène réactionnaire encore en cours aujourd'hui, même si c’est avec une vigueur allant en diminuant, source des violences exacerbées et insensées, et de guerres récurrentes auxquelles nous assistons depuis plus de trente ans.

La Rédaction


 

Différences civilisationnelles sélectionnées entre la Russie et l'Occident

-

Mars 2023

Małgorzata Rudnik*

 

Résumé

Le but de cet article est de montrer les différences civilisationnelles entre la Russie et l'Occident, et de répondre à la question de savoir quelle culture est la plus adaptée aux besoins du développement social au XXIe siècle. Le sujet de l'analyse est la sous-structure de conscience de l'être social, et la méthode de recherche adoptée se réfère au principe humaniste. L'article a pour effet de préciser les éléments qui distinguent la nation russe des nations adoptant dans leur pays des schémas capitalistes. La principale différence dans leur développement est le soborisme russe (‘sobornost’) qui s’oppose à l'individualisme occidental. Cela nous permet d'identifier la civilisation russe comme maintenant en vie certains éléments de la société traditionnelle, avec laquelle l'Occident a clairement rompu, exprimant des idées libérales et s'identifiant à la soi-disant modernité.

Mots-clés : civilisation, tradition, anthropologie, société, orthodoxie, protestantisme, conciliarisme, individualisme, idée russe, capitalisme, démocratie souveraine, marché libre.

 

Introduction

Le rôle de la civilisation dans l'histoire du monde fait l'objet de nombreuses études scientifiques. Parallèlement aux mutations qui s'opèrent sur la scène politique mondiale et aux progrès technologiques, la question du rapport domination - subordination ou coopération et harmonisation de leur développement, devient d'actualité. De nos jours, l'approche civilisationnelle se résume à la conviction que l'ordre international émergent sera déterminé par l'impact des civilisations coexistantes1. D'où le développement de l'interprétation civilisationnelle, dérivée de la science de la civilisation2. Un représentant important dans la réflexion scientifique polonaise était Feliks Konieczny, qui a créé une science comparée des civilisations. Cette approche est également soutenue par les normes applicables dans le monde des méthodologies des sciences sociales et humaines, qui révèlent des tendances, entre autres, à se retirer de la recherche factuelle au profit de synthèses théoriques ; se concentrer sur la nature dynamique et procédurale de la vie sociale; prendre en compte un horizon temporel long qui permet de percevoir le rôle de la tradition et de faire des prévisions ; s'éloigner des questions d'institutions et d'organisation de la société au profit des questions de culture, c'est-à-dire des systèmes de valeurs, de la mentalité collective, etc. ; assurer l’interdisciplinarité de la recherche, privilégiant les méthodes qualitatives et herméneutiques3.

Nous assistons à la crise de la civilisation occidentale, qui a non seulement perdu ses avantages et ses possibilités d'imposer ses valeurs au monde, mais est incapable d'offrir des réponses aux défis qui ont émergé au XXIe siècle. C'est pourquoi cela vaut la peine d'identifier et de comparer les civilisations russe et occidentale pour répondre à la question : laquelle est la plus adaptée aux besoins du développement social du XXIe siècle ? L'intérêt croissant pour la recherche d'une alternative au libéralisme occidental, exprimant l'idée du capitalisme, du marché libre et de la démocratie, est bien révélé par la chercheuse polonaise Barbara Krygier : «L'inefficacité du mondialisme, comme système dégénéré créé dans le courant de déclin de la civilisation occidentale, et surtout de l'américanisme, comme son efflorescence, est de plus en plus révélée »4. Dans l'article, je vérifie l'hypothèse selon laquelle la civilisation russe révèle des artefacts culturels qui contribuent à changer le monde en mieux.

Le sujet de l'analyse est la sous-structure de conscience de l'être social, qui comprend également la sous-structure politique, juridique et économique. Déterminer le rôle de chacun d'eux dans une société choisie permet de caractériser une civilisation donnée5, car c'est le système de valeurs qui motive l'action, provoque des conflits et est à la base de l'idéologie et des doctrines politiques6. Les trois structures de l'existence sociale sont en fait créées par le comportement humain. Adam Jan Karpiński souligne que "chaque sous-structure est (...) un produit de l'homme, grâce à ses spécificités biologiques, mentales, sociales et spirituelles"7. Le choix des objets comparés n'est pas accidentel. Le phénomène de « l'idée russe » conduit à penser que la Russie est une création diamétralement opposée aux autres pays, qui se soumettent souvent sans discernement aux tendances mondiales. Comme l'a écrit Piotr Chaadaev, philosophe russe du XIXe siècle : « Nous n'appartenons à aucune des grandes communautés de la race humaine ; nous n'appartenons ni à l'Occident ni à l'Orient, et nous n'avons aucune tradition de l'un ou de l'autre. Placés pour ainsi dire hors du temps, nous n'étions pas embrassés par l'éducation universelle de l'humanité »8. Cet isolement historique (souvent confondu avec un retard) dans les conditions de la crise mondialiste actuelle ne doit plus être perçu comme un trait négatif, mais comme un atout et une opportunité pour les Russes de proposer leur propre récit en augmentant la prise de conscience générale et l'humanitarisme de l'humanité. Comme l'a écrit Andrzej Piskozub9.

 

Les voies de divergence des civilisations d'Orient et d'Occident

Les origines du processus de séparation de la Russie de l'Occident remontent à l'Antiquité. Les pays d'Europe occidentale se sont développés dans la culture latine (qui a succédé à Rome), tandis que la Rus (« Ruthénie ») de Kiev était indubitablement corrélée aux coutumes du rite byzantin (qu'il faut comprendre comme une continuation de l'hellénisme), acceptant le baptême de Constantinople. Malgré l’assimilation de la Grèce antique avec Rome, sous le nom d’Antiquité, malgré de nombreux traits communs, il convient de prêter attention aux différences entre ces civilisations, car elles peuvent être la clé permettant de comprendre les différences entre les nations prenant pour modèles ces deux berceaux de civilisation distincts. Wojciech Klag attire l'attention sur cela lorsqu'il écrit sur les croyances des Grecs et des Romains10 :

Malgré l'acceptation de nombreuses divinités grecques par les Romains, la différence fondamentale entre les religions de la Grèce et de Rome consistait en une perception différente de la divinité. Les Romains traitaient des concepts abstraits tels que Victoria et Nike comme des divinités, tandis que les Grecs donnaient à chaque divinité une forme humaine, ce qui était propice à l'apothéose des peuples (...) Les Romains, en revanche, avaient tendance à succomber au syncrétisme religieux.

La religion joue sans aucun doute un rôle important dans le processus d'émergence de la civilisation. Elle crée des valeurs universelles de la vie sociale et de la compréhension de ce qui est caractérisé comme étant le bien. Même avant le schisme de 1054, quelques écarts peuvent être constatés entre les sociétés de rite chrétien oriental et occidental. Klag, analysant les réalisations scientifiques de Feliks Konieczny, définit la civilisation latine comme personnaliste, tandis qu'il qualifie le byzantinisme de collectiviste11. Dans la recherche des sources de l'essence communautaire du courant oriental, il convient de prêter attention au concept d'émanatisme, dérivé de l'hellénisme. L'une de ses hypothèses est le contact avec la divinité collectivement, et non individuellement. Cette vision du monde a trouvé son reflet dans le byzantinisme, puis a influencé la spécificité de la spiritualité russe. Le premier moment historique du processus de séparation des civilisations de l'Orient et de l'Occident fut la désintégration de l'Empire romain en 476. Dans le contexte de cet ouvrage, il convient de considérer cet événement du point de vue de Constantinople, comme l'écrit Dariusz Brodka12 :

Seule la partie occidentale de l'empire s'effondre, les Goths prennent le pouvoir à l'ouest, l'Occident est envahi par les barbares. L'Orient représente la permanence de l'Empire Romain. (...). En général, en Orient (...) l'opinion sur la continuité de l'Empire romain prévaut, l'Empire romain d'Orient est une continuation naturelle de l'ancien empire.

Des différences culturelles croissantes entre Constantinople et Rome au fil du temps ont été l’une des conséquences de la séparation. Cela était dû en grande partie au fait que le grec était parlé dans l'Empire d'Orient tandis que le latin était utilisé dans l'Empire d'Occident. Il était donc inévitable d'obtenir des informations de diverses sources, de reconnaître d'autres auteurs comme autorités religieuses, et donc de s'éloigner progressivement les uns des autres13.

Les événements de 1054, qui sont entrés dans l'histoire sous le nom de Grand Schisme d'Orient, ont été un autre accélérateur de la scission du christianisme entre le catholicisme et l'orthodoxie. Sa cause théologique était le débat entre les Églises d'Orient et l'Occident sur la doctrine latine de la descente du Saint-Esprit du Père et du Fils. L’enseignement basé sur les vues de St. Augustin et d'autres Pères latins, a conduit à un changement dans les mots du Credo de Nicée-Constantinople concernant le Saint-Esprit. Au lieu de "du Père qui s'en va" en Occident, les mots "du Père et du Fils" ont commencé à être utilisés. Selon les chrétiens d'Orient, l'expression « procède du Père » est indiscutable car elle se fonde sur les paroles du Christ lui-même14. Il est intéressant de noter que les débuts de l'identification de toute l'Europe occidentale avec le protestantisme, qui sont apparus dans la conscience russe au cours des siècles suivants et qui sont encore visibles aujourd'hui, remontent au Grand Schisme d'Orient15 :

Dans la scission du XIe siècle, l'orthodoxie a vu l'arrogance inhérente à l'esprit du protestantisme, le mépris de la communauté de l'Église, l'arbitraire dans les jugements dogmatiques, la perte de la vision spirituelle de l'Église et son agencement à la manière d'une communauté laïque soumise aux lois et aux gouvernants.

Alexeï Khomyakov, penseur russe du XIXe siècle, désigne la Réforme luthérienne comme une conséquence de l'arbitraire occidental16. C'est cela, malgré de nombreux événements historiques qui ont influencé la formation de l'idée russe, que Sergei Kara-Murza considère comme un tournant dans le processus de séparation de la Russie de l'Occident. Il décrit le discours de Martin Luther et ses conséquences comme « une rupture avec l'idée du salut collectif de l'âme (et donc aussi avec l'idée de la fraternité religieuse) »17. Son opinion prouve que, le monde occidental se détournant de la perception communautaire de la religion, cette division a pris une forme irréversible et prouve la fondamentalité attribuée par la société russe à l'idée de soborisme. Un promoteur contemporain de ce concept est le philosophe et géopolitiste russe Alexandre Dugin18 :

Les protestants ont remplacé l'identité collective de l'Église au sens du catholicisme (et plus encore de l'orthodoxie) par des individus séparés qui pouvaient désormais interpréter l'Écriture à partir de leur propre raison, rejetant toute tradition. Ainsi, de nombreux aspects du christianisme, tels que les mystères, les miracles, les anges, la récompense après la mort, la fin du monde, etc., ont été revus et rejetés comme ne répondant pas aux "critères rationnels".

L'émergence d'une telle manière de percevoir le monde a jeté les bases de l'octroi généralisé de la propriété privée et du développement du capitalisme et, ce qui est extrêmement important, a contribué à l'ouverture de l'art à l'art abstrait. Cette tendance s'est manifestée dans le protestantisme par l’abandon du sacré et du contenu - les valeurs clés de l'orthodoxie. C'est pourquoi l'Orient accuse l'Europe de rejeter la nature divino-humaine de la réalité rachetée par le Christ19. L'idée de dieu-humanité, initiée par Vladimir Soloviev, explorée par les penseurs orthodoxes, est devenue l'une des théories les plus importantes de la spiritualité russe. Le concept protestant de "Seul Dieu est divin, il est au-dessus de tout ce qui est humain"20 est à l'opposé.

Dans le contexte de la condamnation globale de l'Occident par l'Orient pour cause de protestantisme, Wojciech Błaszczyk ajoute21 :

Les théologiens orthodoxes affirment que l'orthodoxie a un remède contre les maux internes à l'Occident, qu'un retour aux enseignements orthodoxes peut empêcher une crise de la foi en Occident (A. Khomiakov, P. Evdokimov. O. Clément). Cette théorie est très discutable, bien que non dépourvue d'intuitions profondes.

Le problème de la compréhension de l'œcuménisme dans le contexte des trois branches les plus importantes du christianisme, visibles dans la question discutée, est mieux illustré par les mots suivants22 :

L'orthodoxie et le catholicisme aspirent à l'unité de l'Église parce qu'ils croient que l'Église est une, indivisible par nature, comme le Christ l'a voulue. Chaque scission apparaît comme une véritable blessure intérieure, un mal qui dénature l'image même du christianisme. L'unité est un attribut inaliénable de l'Église. Le protestantisme, d'autre part, comprend l'unité d'une manière plus pratique. Le protestantisme ne cherche pas l'unité pour elle-même, mais considère quelle situation est la plus propice à l'accomplissement des objectifs et des tâches qu'il se fixe.

Il convient de noter que cette question a également été soulevée à plusieurs reprises par Jean-Paul II. Concernant l'Orient, il écrit23 :

Certaines valeurs essentielles à la vie humaine y ont été moins dévalorisées qu'en Occident. Il y a une vive (...) conviction que Dieu est le plus haut garant de la dignité humaine et des droits de l'homme. Quel est le risque alors ? Elle consiste à succomber sans discernement à l'influence des schémas culturels négatifs répandus en Occident.

L'orthodoxie et le catholicisme ont préservé la perception de Dieu de manière concrète et abstraite, reconnaissant la valeur des réalités terrestres qui servent à obtenir le salut. Cela a été confirmé par le Concile Vatican II : « Car toutes choses, par le fait même qu'elles sont créées, ont leur propre permanence, vérité, bonté, et en même temps leurs propres lois et ordre, que l'homme doit respecter, reconnaissant les méthodes propres des diverses sciences ou arts »24. D'autre part, la théologie protestante, au contraire, comprend le sacré en termes abstraits, ce qui conduit à un trouble de l'intégrité caractéristique de l'Occident. En témoignent les paroles suivantes : "Luther arrive à la conclusion que la loi de Dieu ne concerne que la vie religieuse de l'homme, et que la loi de l'homme ne concerne que la dimension de sa vie naturelle"25.

 

Anthropologie au regard des civilisations d'Orient et d'Occident

Les réflexions sur la spécificité de la culture russe, souvent qualifiée plus largement d'orthodoxe ou de slave, font référence à la figure mythologique du Sphinx. Le monstre à corps de lion, ailes d'aigle, queue de serpent et tête de femme de la tragédie de Sophocle pose au titre d'Œdipe une question célèbre, à laquelle la réponse est : l'homme. Le sphinx symbolise le sens et l'image de la mort, la soumission au destin. Selon Maciej Broda, cette création « génère des attitudes ambivalentes, caractéristiques de l'expérience du sacré, qui suscite à la fois la fascination et la peur, qui peut sauver, libérer, mais aussi tromper et perdre. (...) oriente le monde vers la Divinité »26. Le Sphinx est identifié par Friedrich Nietzsche à la « volonté de vivre » et à la « volonté de se questionner davantage »27. En essayant d'explorer le mystère de l'âme russe, il est impossible de ne pas se référer à la tradition philosophique locale. Evoquant le problème de la différence de la nation russe28 par rapport aux nations occidentales, Dostoïevski écrit : « Pour l'Europe, la Russie est l'un des mystères du Sphinx. L'Occident inventera plutôt un perpétuel mobile ou un élixir de vie que d'explorer l'essence de la russité, l'esprit de la Russie, son caractère et son attitude »29. Cette citation illustre pleinement la complexité de la compréhension de l'identité russe, clairement orientée vers des valeurs polémiques telles que l'unité, l'intégralité et la finalité.

Les raisons de l'impossibilité de comprendre sa nation en termes rationnels ont également été recherchées par l'éminent philosophe russe Soloviev. A son avis30 :

Ce qui est personnel et ce qui est social, ce qui est historique et ce qui est universel, ce qui est terrestre et ce qui est cosmique, ce qui est terrestre et ce qui est extra-terrestre se sont unis chez le Russe en un tout, le faisant en partie à la frontière et en partie au-delà des frontières de l'existence.

Nikolai Gogol était d'un avis similaire, qui croyait que la mentalité russe se caractérisait par un désir de s'élever au-dessus de la vie, dans les dimensions les plus élevées des sphères idéales31. Nous arrivons ici au problème de l'incompréhension de la russitude par l'Occident, dont les idées sont basées sur les Lumières, qui font passer la raison avant tout. En se référant à la pensée de Huntington, notons que la Russie, du fait de l'esclavage tatar, n'a eu aucun contact avec les conceptions qui prévalaient en Europe32. Dans la compréhension de l'Occident, c'est une sorte de pénurie. L'opinion s'est répandue que la Russie est trop sous-développée pour égaler le monde capitaliste au niveau de la modernisation. Pendant ce temps, les Russes eux-mêmes présentent cette situation différemment ; à l'époque où les idées des Lumières prévalaient en Europe, Fiodor Tyoutchev écrivait33 :

Vous ne pouvez pas comprendre la Russie avec votre esprit

Et vous ne pouvez pas le mesurer avec une mesure ordinaire

Elle a un caractère spécial

Que vous ne pouvez croire qu'en Russie.

Ces strophes amènent à réfléchir sur la question de savoir comment comprendre la Russie, puisque ce n'est pas possible avec l'aide de la raison. Le sujet lyrique désigne la foi comme un élément clé du processus cognitif, qui est basé sur la confiance et nécessite une implication émotionnelle. Le caractère particulier de la Russie la rend au-delà de la compréhension rationnelle, elle ne peut donc pas être limitée par des schémas logiques. Comme on peut le voir, le poème promeut des valeurs opposées aux concepts des Lumières européennes d'alors.

Dans ses recherches sur les différences civilisationnelles anthropologiques, Kara-Murza identifie deux types de sociétés : traditionnelle et moderne. Le premier d'entre eux se caractérise par une approche de la vie dans laquelle la valeur d'une personne n'est pas dictée par la quantité de biens matériels qu'elle a accumulés, mais par sa réputation dans sa communauté d'origine. Ainsi, en naissant dans une communauté donnée, les gens en font partie et cela donne un sens à leur vie. En revanche, les éléments de base de la société moderne sont des individus dont la réputation dépend de leurs possessions. Comme l'écrit Kara-Murza34 :

Un petit homme dans cette société est transformé en spectateur pour qui une "réalité virtuelle" est créée, de sorte qu'il n'est plus capable de la distinguer de la "réalité réelle" et perd son libre arbitre.

Selon le chercheur russe, une telle tendance est visible dans les pays occidentaux, alors qu'en Russie, qu'il identifie à la société traditionnelle, c'est l'inverse : « l'homme n'est pas un individu, mais un membre d'une communauté »35. L'appartenance de la civilisation russe à la catégorie de la société traditionnelle est confirmée par la foi dans les possibilités illimitées de l'homme. Cela est particulièrement évident dans la philosophie de cette nation. Des tendances telles que l'humanité divine ou le cosmisme peuvent être citées en exemple. Leurs hypothèses sont basées sur la poursuite du bonheur pour tous. Comme l’écrit Gracjan Cimek36 :

L'idée russe résulte d'une vision holistique de la réalité, reconnaissant l'homme comme un microcosme concentrant le tout en lui-même - le macrocosme. Le lien entre l'homme et le monde est la religion - une structure à l'intérieur du monde, pas à l'extérieur, qui en fait partie intégrante.

La société moderne, d'autre part, limite l'homme à la réalisation de certains biens matériels, indépendamment du mal fait à d'autres personnes. Selon Kara-Murza, l'Occident a prouvé son appartenance à cette catégorie en procédant à une expansion et à une colonisation au sens large au tournant du siècle. Les effets de ces activités incluent : la mort de membres de différents groupes ethniques, la destruction de leurs cultures et l'imposition d'un mode de vie occidental. L'Occident percevait les gens qui, au lieu d'adhérer à la théorie de la propriété privée, vivaient selon le principe du « un pour tous, tous pour un » comme des sauvages qu'il fallait coloniser. Une manifestation révélatrice de cette attitude a été l'extermination de millions d'Indiens par des immigrants anglo-saxons en Amérique du Nord. Ainsi, la société civile, si valorisée dans l'idée, a en fait engendré le racisme. Les facteurs mentionnés ci-dessus sont devenus la prémisse pour identifier les attitudes de la société russe avec le soborisme et la civilisation occidentale avec la vente de soi comme un produit, ce qui a conduit à la création d'une population d'atomes caractérisée par l'individualité.

La culture est un élément important de l'identité nationale. Il vaut donc la peine de considérer ses manifestations dans le contexte de la nature d'une société donnée. Nietzsche a défini l'art comme un domaine dans lequel l'homme "se complaît comme perfection"37. On retrouve ici une convergence avec l'humanisme esthétique, dont les valeurs sont liées à de nombreux courants de la philosophie russe, montrant l'homme comme un individu ayant le pouvoir de créer. C'est l'idéalisme nietzschéen qui s'est intégré au système collectiviste, dans lequel le rôle dominant de la culture était l'expérience mystique des masses et de la communauté38. Cette tendance reflète le soborisme russe. La signification de ce terme est mieux véhiculée par les mots39 :

La plénitude de la vie est la communauté (sobornost') dans laquelle la personne trouve son épanouissement ultime. La recherche de la vérité est un défi pour toute la communauté des croyants. Elle ne peut être connue individuellement, subjectivement, mais toujours en communauté.

Marcin Cielecki souligne qu'au fil des années le sens de ce mot a évolué grâce aux plus grands penseurs et théologiens russes (Berdiaïew, Khomyakov, Sergueï Boulgakov et Pavel Evdokimov)40. Les chercheurs contemporains soulignent également la nature communautaire et intuitive de la conscience russe, qui s'oppose à l'individualisme, au raisonnable.

L'idéologie occidentale, quant à elle, a rejeté les valeurs conciliaires au profit de l'individualisme. Ce processus a conduit à la création de l'aliénation ("aliénation"). Karpiński décrit ce phénomène comme suit41 :

L'homme crée « quelque chose », puis ce produit, devenant indépendant, s'aliène en subordonnant son producteur. Un exemple ici sont les produits du travail, qui échappent au contrôle rationnel de leurs producteurs et, les contrôlant, deviennent une force qui leur est hostile. Ce processus est soumis à la fois aux objets matériels, aux choses faites par l'homme, ainsi qu'aux résultats de son effort spirituel, c'est-à-dire un système de concepts, de valeurs, de systèmes idéologiques.

 

Conséquences de l'impérialisme romain

Selon Samuel Huntington, l'identité de l'Occident était définie par les caractéristiques suivantes : le catholicisme romain, le féodalisme, la Renaissance, la Réforme, l'expansion outre-mer et la colonisation, les Lumières et l'émergence de l'État-nation. L'auteur de Clash of Civilizations ajoute que la Russie n'a eu aucun contact avec les phénomènes historiques mentionnés en raison de la captivité tatare qui a duré du milieu du XIIe au milieu du XVe siècle42.

Les considérations des politologues et des sociologues qui étudient les doctrines contemporaines indiquent, entre autres, les raisons de l'expansion romaine, des facteurs tels que les avantages matériels, la nature psychologique obtenue grâce à des politiques agressives et les tendances ataviques de cette société à recourir à la violence43. Le débat médiéval sur les universaux était une sorte de fondation de la civilisation occidentale, à partir de laquelle le système libéral a ses origines. C'est alors que le courant opposé, appelé nominalisme, s'est développé sur l'idéalisme platonicien. Le différend est décrit avec précision par Dugin44 :

Cette dispute divisa les théologiens catholiques en deux camps, dont l'un reconnaissait l'existence de la généralité (genre, espèce, universaux), et l'autre croyait qu'il n'y avait que des objets séparés, spécifiques et individuels, dont les noms n'étaient traités qu'en termes de systèmes de classification externes, conventionnels, dépourvus de contenu interne.

Le propagateur de la première direction était Thomas d'Aquin, qui, avec toute la tradition de l'Ordre dominicain, se basait sur les hypothèses de Platon et d'Aristote45. En revanche, Jean Roscelin et William Ockham sont considérés comme les principaux représentants du nominalisme. La vision du monde des partisans de cette tendance est décrite par Gracjan Cimek comme suit : "les concepts d'homme, de Dieu, de moralité, de vérité ne sont pas considérés comme réels, donc leur existence est étroitement pragmatique"46.

Avec la vulgarisation de la théorie du nominalisme en Occident, le dualisme dans la sphère religieuse a commencé à être observé dans ce domaine. En revanche, à propos de l'Orient, Cimek note : « L'absence de cette révolution dans le cercle culturel et civilisationnel russe a permis de maintenir le « lien » avec l'Antiquité »47. Cette opinion est confirmée par les propos de Jadwiga Staniszkis48 :

C'est la survivance du platonisme dans le thomisme (qui est encore le fondement du catholicisme en Europe de l'Est et partout où la révolution intellectuelle nominaliste n'a pas eu lieu) qui le relie de manière cachée à l'orthodoxie et crée le terrain pour vivre différemment qu'en Europe occidentale de nombreux courants idéologiques.

Dugin appelle à juste titre le nominalisme « la matrice philosophique de la Modernité »49. Les relations individuelles entre l'homme et Dieu prouvent l'ingérence de ce courant de pensée dans la sphère religieuse du monde d'alors. En science, cette direction est devenue visible à travers l'atomisme et le matérialisme. La politique a commencé à pencher vers la démocratie bourgeoise. Dans l'économie, il a trouvé son expression dans le libre-échange et la propriété privée. L'éthique, quant à elle, était empreinte d'utilitarisme, d'individualisme, de relativisme et de pragmatisme50. On peut donc conclure que le nominalisme a inauguré le processus de désintégration du consensus jusque-là universel, comme en témoignent les propos suivants51 :

Le nominalisme est devenu le fondement du libéralisme dans l'idéologie et l'économie à l'avenir. Il ne traitait l'homme que comme un individu et rien de plus, et toute forme d'identité collective (religion, groupe social, etc.) devait être invalidée.

L'étape suivante dans l'histoire de l'expansion géopolitique des pays occidentaux fut sans aucun doute le colonialisme, entraînant, entre autres, l'assujettissement par les puissances européennes des cultures des sociétés conquises, qui a eu des résultats désastreux dans le domaine de l'anthropologie. Les réalisations de l'esprit humain ont été divisées en une culture dominante (européenne) et une culture dominée (non européenne)52. Comme l'écrit Cimek53:

Le commerce et l'argent sont devenus la force formatrice de la culture de la civilisation occidentale. (...) un système de valeurs spécifique est apparu, qui a été créé par : l'initiative, l'égocentrisme, la compétition, le capital, la richesse, le pouvoir, imprégnant la philosophie, la théologie et même la mode, l'art et le goût. La civilisation occidentale a donné une impulsion à l'ère moderne et, grâce au développement des sciences naturelles, de la technologie et du rationalisme, elle est devenue une civilisation de l'expérimentation, laissant à l'Orient le titre de pilier des valeurs humanistes. Les principaux États de la civilisation occidentale se sont identifiés comme le centre de la civilisation mondiale.

 

Liberté et droit

Selon Witold Kwaśnicki : "les définitions de la liberté et de l'égalité peuvent être manipulées librement, en fonction du système de valeurs adopté et de la volonté d'utiliser ces concepts pour démontrer des thèses prédéterminées"54. Selon le fondateur du libéralisme, Lock55 :

La liberté de l'homme dans la société est réduite à n'être soumise à aucun autre pouvoir législatif que celui établi par consentement dans la communauté, ni à l'empire de la volonté de personne, ni aux limitations d'aucune loi autre que celle que le législateur édicte conformément à la confiance placée en lui. La liberté du peuple sous le règne du gouvernement signifie vivre sous le règne de lois permanentes, universelles dans cette société et promulguées par la législature qui y est établie. C'est la liberté de suivre ma propre volonté dans toutes les matières où les lois ne l'exigent pas, et de ne pas être soumis à la volonté changeante, incertaine, inconnue, arbitraire d'un autre homme.

Dans le contexte des mots cités, il convient de considérer l'opinion exprimée par Berdiaïev56 :

Au plus profond du peuple russe s'enracine une plus grande liberté d'esprit que dans le peuple plus libre et les nations éclairées de l'Occident. Dans les profondeurs de l'orthodoxie, il y a plus de liberté que dans le catholicisme. Le pouvoir du sentiment de liberté est l'un des pôles de la nation russe sources auxquelles l'idée russe est liée.

Quelle est la différence d'interprétation de la catégorie de liberté entre l'Orient et l'Occident ? Chomiakow voit dans le catholicisme, dans le rationalisme occidental et dans la philosophie de Hegel l'avantage du monde matériel sur l'esprit57. Berdiaïev décrit la liberté intérieure des Russes comme "très développée"58. Błaszczyk59 fait des remarques intéressantes à cet égard :

Bien sûr, l'Orient parle de liberté à un niveau légèrement différent de celui de l'Occident, qui, soit dit en passant, n'a jamais perdu une telle vision spirituelle de la liberté. (...) Il a laissé la gestion des libertés naturelles à l'Etat. Aux temps des régimes les plus autoritaires, que ce soit à Byzance ou dans la Russie tsariste, la résistance des fidèles aux autorités était négligeable. Et pourtant, dans le cas des Russes, on ne peut pas dire qu'ils aient manqué de courage, ni même d'une certaine inclination au combat extrême. Dans ce cas, cependant, l'extrémisme s'est traduit par la capacité de supporter un régime parfois extrêmement despotique. A la racine de cette attitude se trouve certainement la notion orthodoxe de liberté.

Le concept orthodoxe de liberté dans son ensemble fait référence au commandement de l'amour du Nouveau Testament. Ce fait est le point de départ pour considérer les différences dans la compréhension du terme "loi" entre l'Orient et l'Occident. Comme le note Błaszczyk, la Russie a toujours fortement critiqué le juridisme occidental, dans lequel tout était réglé par la loi60. Cette opinion est confirmée par les paroles du slavophile du XIXe siècle Konstantin Aksakov61 :

En Occident, l'âme est tuée, contente de perfectionner les formes de l'État, le système policier ; la conscience est remplacée par la loi, les motivations intimes par des règlements, même la philanthropie devient une activité mécanique ; en Occident, seule la forme de l'État est concernée.

Dans une telle attitude, nous voyons une incohérence avec l'idée russe. Selon les Russes, les lois ne remplacent pas efficacement le lien de conscience et d'amour. Comme l'écrit Kara-Murza62 :

La notion de liberté dans une société traditionnelle est contrebalancée par une multitude d'interdictions qui, ensemble, génèrent un fort sentiment de responsabilité (c'est pourquoi une telle société ressemble à une société de non-droit - il n'y a pas d'urgence à formaliser les interdictions sous forme de lois). Dans la société occidentale, le contrôle de l'éthique commune a été remplacé par le contrôle de la loi. Dans une société traditionnelle, la loi est largement inscrite dans les normes culturelles, les interdictions et les traditions. Ces normes sont exprimées dans le langage de la tradition, transmis de génération en génération (traduction personnelle).

Il convient de noter qu'elle est à l'origine de nombreux malentendus, car elle perçoit la perception du droit au sens traditionnel par les sociétés occidentales comme illégale. Afin d'illustrer le problème toujours d'actualité des différents points de vue sur la liberté et les limites imposées par la législation, je voudrais citer les mots de l'écrivain russe contemporain Viktor Yerofeev63 :

En Europe, je vois toujours de plus en plus d'interdictions (même de fumer dans les lieux publics), la croyance que le sucre n'est plus souhaitable et que le sel est carrément interdit, qu'il faut porter un casque à un endroit et qu'un chapeau n'est pas autorisé à un autre. N'est-ce pas une sorte de castration d'un homme ? Bien sûr, l'homme a beaucoup de mauvaises habitudes, mais les interdire n'est pas le moyen de les briser.

 

La démocratie russe aujourd'hui

En essayant de déterminer le degré de fonctionnalité de la démocratie dans les conditions de la Fédération de Russie contemporaine, nous rencontrons de nombreuses contradictions. Une opinion intéressante est exprimée par Yerofeev, qui affirme que « la démocratie et la Russie sont deux phénomènes qui ne peuvent être combinés »64. Son point de vue rejoint les observations du diplomate polonais Jerzy Bahr, qui fut consul général de la République de Pologne à Kaliningrad (1992-1994), puis ambassadeur de Pologne en Russie (2006-2010). Dans ses mémoires, on lit le mythe existant dans la société russe des années 1990 concernant la possibilité de construire un État basé sur les idées de l'Occident, libéral et libertaire65, qui n'a cependant pas trouvé l'approbation des Russes66 :

Les années 1990 sont perçues par la plupart des Russes comme définitivement négatives, ce qui se reflète même dans la langue : le mot "démocratie" est remplacé par "diermokracja", c'est-à-dire "gouvernement de merde", et "privatisation" par "prichvatisation" de "prichwatit", signifiant attraper pour soi.

Par rapport au problème décrit, une hypothèse intéressante est avancée par Kara-Murza, qui ramène le problème de la démocratie à la question de ce qui est le plus humain : la manipulation par les autorités ou les moyens ouverts de coercition et de violence. Selon lui, l'Occidental choisira la première option, et la réponse du Russe sera la deuxième option. Pourquoi? Car la manipulation est cachée67. Le philosophe russe ajoute également que, selon ses compatriotes, les élections multipartites font plus de mal que de bien68. Dans ce contexte, les propos d'Erofeev sur son pays semblent faire sens : « La démocratie y est acceptée comme un moindre mal »69.

De plus, Erofeev exprime l'opinion suivante : "actuellement la Russie est un pays où la démocratie ne meurt pas, mais se développe et renaît"70. Ses paroles sont confirmées par l'élaboration du concept de « démocratie souveraine » par les autorités de la Fédération de Russie au début du XXIe siècle. Son objectif est de préserver l'identité culturelle et de réaliser le potentiel de l'État dans les conditions de la mondialisation. De cette façon, la Russie veut se protéger d'être subordonnée aux hégémonies occidentales dans la sphère politique, économique et culturelle, tout en préservant la liberté des individus et des sociétés71. Voici comment Cimek définit ce projet idéologique72 :

Le message principal est la reconnaissance de la suprématie de la "souveraineté" sur la "démocratie", ce qui signifie la fin du processus de démocratisation incarné par le président Eltsine. La nouvelle idéologie doit être le point culminant de la transformation du système russe : du tsarisme, en passant par le socialisme, au règne des oligarques. (...) La valeur fondamentale est la liberté de l'individu, inséparable de la liberté de la nation et de l'ordre juste du monde. (...) Le projet ne repose pas sur le concept de droits individuels enraciné dans le libéralisme occidental, mais rejette également la nation ethniquement comprise. Elle justifie la construction d'un système politique dans lequel les autorités ne sont choisies, formées et dirigées que par des membres de la nation russe. L'objectif était d'assurer le bien-être matériel, la liberté et la justice pour tous les citoyens, groupes sociaux et peuples de la Fédération de Russie. Parmi les priorités figurent : a) la solidarité civique, b) la "couche créative" comme première couche, c) la culture grâce à laquelle la Russie doit devenir co-créatrice de la civilisation européenne, d) la science et l'éducation comme condition de la compétitivité de l'économie fondée sur la connaissance.

Dans les conditions de la mondialisation, l'adoption par la Fédération de Russie de l'idéologie de la démocratie souveraine prouve une profonde conscience des dangers résultant de l'adoption sans critique des modèles occidentaux de systèmes politiques. Un tel comportement est la clé du maintien de l'identité nationale et est également l'un des éléments de la sécurité nationale.

 

Propriété privée

Une autre valeur montrant les différences entre la civilisation russe et occidentale est la propriété privée. Platon a affirmé que la propriété privée provoque des querelles et contribue au déclenchement des guerres, c'est pourquoi il a postulé son abolition. Aristote, d'autre part, croyait que ce n'était pas la valeur privée qui motivait la querelle, mais le désir de la posséder. Par conséquent, afin d'éliminer les conflits armés, il faudrait se débarrasser de ce sentiment, ce qui est pourtant impossible, compte tenu de l'éternelle cupidité de l'humanité73. La possession est l'élément le plus important du marché, sans elle il ne pourrait pas fonctionner. Selon Adam Smith, seul le souci de l'homme pour son propre bien, c'est-à-dire la propriété privée, est une garantie de gestion efficace. Selon lui, le devoir de l'État ne devrait être que de maintenir certaines institutions qui facilitent les échanges. En même temps, il était très sceptique quant aux efforts arbitraires des fonctionnaires pour le bien de l'État74.

Friedrich von Hayek, partisan autrichien des principes de l'économie de marché libre, a affirmé que le système de la propriété privée est le plus important garant de la liberté75. Le libéralisme dans la sphère économique consiste à considérer les biens comme des objets individuels pouvant être attribués à un propriétaire individuel. L'idée russe s'oppose à cette conception de l'économie, comme le confirment les propos de Berdiaev : « tout le monde espérait que la Russie éviterait le mensonge et le mal du capitalisme, qu'elle serait en mesure de parvenir à un meilleur système social, en contournant le stade capitaliste du développement économique»76. Cette opposition au capitalisme s'est intensifiée dans la pensée slavophile du XIXe siècle77 :

Les slavophiles croyaient que les voies de la Russie étaient particulières, que le capitalisme ne se développerait pas et qu'une bourgeoisie forte ne se formerait pas en Pologne, qu'il serait possible de préserver la communauté de l'être national russe, par opposition à l'individualisme occidental. La bourgeoisie triomphante en Occident leur répugnait.

L'attitude des Russes envers la propriété privée se reflète dans les mots de l'économiste Alexander Yakovlev78 :

Il n'y a jamais eu de propriété privée normale et libre en Russie... La propriété privée est la matière et l'esprit de la civilisation... La Russie n'a jamais eu de propriété privée normale, et donc elle a toujours été gouvernée par des personnes, pas des lois (traduction personnelle).

 

S'opposer au capitalisme

L'éminent penseur social russe du XIXe siècle, Alexander Herzen, a exprimé une pensée non conventionnelle sur le retard économique de sa nation. Il croyait que ce délai était bénéfique pour résoudre un problème social. Il présente la Russie comme un État capable de résister au capitalisme et à la bourgeoisie79. Son opinion est devenue une sorte de prophétie. La révolution russe du début du XXe siècle n'était pas bourgeoise, libérale, mais sociale. Berdiaev écrivait : "les socialistes rejetaient fermement les voies de développement occidentales, ils voulaient que la Russie évite à tout prix le stade du capitalisme"80.

Kara-Murza définit l'année 191781 comme le moment du rejet catégorique de l'idéologie du marché libre par les Russes, de la séparation de l'Occident, exprimant les principes du capitalisme82. Dans ce contexte, le philosophe russe pose la question de savoir pourquoi, après l'effondrement de l'Union soviétique, le concept d'identification de la Russie à l'Europe a émergé. Selon lui, la seule caractéristique commune est l'affiliation géographique. Selon les recherches contenues dans son livre, lorsqu'on leur a demandé si la Russie faisait partie de la civilisation occidentale, seulement 15% des personnes interrogées ont répondu par l'affirmative. D'autre part, l'écrasante majorité (70%) a exprimé l'avis que la Russie est une entité distincte (eurasienne ou de pure civilisation slave), qui ne correspond pas au type de développement occidental. À la lumière de ces recherches, la déclaration de l'actuel président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, à propos des États-Unis semble avoir du sens : « bien qu'ils pensent que nous sommes comme eux, nous sommes des gens différents, nous avons un code génétique et culturel différent »83.

 

La mondialisation sur le sol russe

Dans la recherche d'une réponse à la question de savoir pourquoi le capitalisme n'a pas été adopté en Russie autant qu'en Occident, il est crucial de remarquer les différences dans la sphère d'identité des deux nations (par exemple, la nature non marchande de concepts tels que la justice et la souffrance, qui sont à la base de la mentalité russe). Selon le principe de Smith de la main invisible du marché, le capitalisme harmonise et conduit à la réalisation du bien commun de la société partout dans le monde. Kara-Murza s'oppose à cette affirmation, remettant en cause les croyances des tenants du libéralisme : « L'économie de marché, qui est devenue le type dominant de l'économie occidentale, n'est pas quelque chose de naturel et d'universel. C'est la construction sociale la plus récente, née d'une mutation profonde de la culture spécifique de l'Europe occidentale » (traduction personnelle)84. Selon ce récit, le marché n'est pas en mesure de fournir aux Russes les valeurs fondamentales de cette nation.

La mondialisation impose le dogme du marché libre à tous les pays. Après l'effondrement de l'Union soviétique (1991), la nation russe, étrangère aux activités des grandes entreprises étrangères, a tenté de trouver sa place dans la nouvelle réalité, succombant en même temps à la culture occidentale. Le chaos qui régnait dans la société à cette époque a été très précisément présenté par Viktor Pelevine dans son livre Génération P. Sa publication est un commentaire sur la situation dans laquelle se trouvaient les jeunes Russes qui, selon la métaphore de l'auteur, "ont inconditionnellement choisi Pepsi", tout comme leurs parents "ont choisi Brejnev". La conséquence de l'accumulation des produits occidentaux sur le marché russe inadapté fut le règne de l'anarchie dans l'économie. Le livre de Pelevine, publié en 1999, ne perd pas sa pertinence. En abordant les questions polémiques de l'idéologie libérale, il reste un véritable commentaire sur le processus de mondialisation en marche, qui menace l'identité russe, et fait donc l'objet d'une réflexion sur la direction souhaitée du changement.

 

Matérialisme

Le matérialisme a trouvé sa place dans la culture pop libérale. Ces réalités sont précisément décrites par Mirosław Dzień, qui définit le sentiment de vide de l'homme moderne comme un « écart ontologique »85. Selon lui, l'humanité dans son édition libérale « est (…) une anthropologie dépourvue des fondements les plus élémentaires. (...) Alors c'est quoi? Un délire anthropologique, un impossible projet de bonheur, une nostalgie » d’abondance « dans l'abandon et la pauvreté spirituelle »86.

Le capitalisme donne à l'accumulation de choses une place centrale dans la vie humaine, et le succès de la vie dépend de la quantité de biens matériels accumulés. Par conséquent, selon le récit mondialiste contemporain, c'est l'argent qui est censé procurer aux gens un sentiment de bonheur et de satisfaction dans la vie. La contradiction de la pensée libérale avec l'idée russe a été soulignée par Berdiaïev dans les mots : « la protection de la vie et du bien-être peut être en contradiction avec la liberté et la dignité humaines »87. Il écrit aussi : « le matérialisme est une forme extrême de déterminisme, rendant l'individu humain dépendant du monde extérieur, il ne voit aucun principe à l'intérieur de l'individu qui pourrait s'opposer à l'influence de la réalité extérieure »88. L'augmentation des inégalités de richesse s'accompagne de phénomènes tels que l'exclusion sociale et le chômage. Piotr Wiatrowski cherche les raisons de l'émergence des partis populistes et nationalistes en Occident dans la violation de la cohésion sociale par le néolibéralisme, prenant parfois une forme similaire à ceux qui dans les années 1930 s'emparent de l'Italie, de l'Allemagne et de l'Espagne89. Il faut ajouter que dans les démocraties occidentales le problème n'est pas la faim et la pauvreté, mais la concentration excessive des richesses. Une caractéristique inhérente au marché libre est le fait que le taux de rendement du capital dépasse le niveau de croissance économique d'un pays donné90 :

Le capital se reproduit plus vite que la production économique ne croît. Les plus riches percevant des revenus d'investissement et d'héritage réalisent donc leur croissance plus rapidement que les salariés grâce à la rémunération du travail. Les rémunérations du travail sont taxées plus que les revenus du capital et les droits de succession sont supprimés.

La pensée philosophique russe non seulement s'oppose au matérialisme, mais présente souvent la Russie comme une nation dont la mission est de montrer aux autres pays la voie d'un développement digne de l'humanité. Ce sens de la mission dans l'histoire du monde se retrouve dans les œuvres des écrivains russes les plus remarquables. En témoigne l'opinion exprimée par Léon Tolstoï : « Résoudre le problème agraire en abolissant la propriété foncière et montrer aux autres peuples la voie d'une vie rationnelle, libre, heureuse - sans violence industrielle, industrielle, capitaliste et sans esclavage - telle est la mission historique du peuple russe. »91.

 

Conclusion - Résumé

L'impulsion pour aborder ce sujet a été les changements qui s'opèrent sous nos yeux du fait de la mondialisation, qui change la face du monde de manière de plus en plus irrésistible. Une conclusion importante est la définition du phénomène du capitalisme comme englobant toutes les entités contemporaines, malgré le fait que les nations du monde sont issues de berceaux civilisationnels différents (et donc grandissant dans des traditions différentes, des systèmes politiques et économiques différents). Il convient de souligner que l'adoption aveugle d'un modèle de comportement unique et libéral par la plupart des pays doit être perçue comme une menace pour la sécurité de l'ordre mondial en raison de l'inadéquation de certaines nations à l'idéologie du marché libre.

Une analyse comparative de certaines tendances russes et européennes occidentales révèle des caractéristiques divergentes de la conscience des deux sociétés. Il révèle également les prémisses de la supériorité de la civilisation russe dans la sphère spirituelle, la désignant comme correspondant (plus que l'occidentale) aux besoins du développement social du XXIe siècle. Dans ce contexte, les questions posées par Berdiaïev au XIXe siècle résonnent aujourd'hui92 :

La voie historique de la Russie est-elle la même que celle de l'Europe occidentale, c'est-à-dire la voie du progrès humain universel et de la civilisation universelle, et la particularité de la Russie réside-t-elle uniquement dans son retard, ou la Russie a-t-elle sa propre voie devant elle et sa civilisation est-elle fondamentalement d'un autre type?

L'anthropologie en termes d'Occident et de Russie montre des composantes convergentes, qui résultent du long processus d'évolution des deux entités, qui remonte à l'Antiquité, mais la différence fondamentale dans leur développement est le soborisme russe et son opposé, l'individualisme occidental. Ces éléments et d'autres mentionnés dans ce travail permettent d'identifier la civilisation russe comme mettant à jour certains éléments de la société traditionnelle, sur laquelle l'Occident exprime des idées libérales, s'identifiant avec la soi-disant modernité. En raison des différents systèmes de gouvernements, des types d'économies, des différentes compréhensions des mêmes concepts et des différentes valeurs au fil des siècles, je conclue que la Russie est une entité spirituellement différente de l'Occident. Les signes de la spiritualité de sa civilisation sont la communauté, la spontanéité, la créativité, qui sont une chance de maîtriser la domination de la rationalité instrumentale, de la personnalité technologique et de l'hédonisme imprégnant l'homme unidimensionnel de la mondialisation. Cet apport axiologique est une opportunité pour sortir des ornières de la civilisation scientifique et technologique et des valeurs marchandes comme déterminants jusqu'alors du développement de la civilisation mondiale dominée par l'Occident.

* Article rédigé à partir d’un mémoire de maîtrise soutenue à l’Académie de marine de guerre de Gdynia, Pologne.

 

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Notes :

1. G. Michałowska, Porządek międzynarodowy w perspektywie paradygmatu cywilizacyjnego, (w:)

R. Kuźniar (red.), Porządek międzynarodowy u progu XXI wieku, Warszawa 2005, s. 174–175; F. Gołębski, Geokulturowy model w badaniach stosunków międzynarodowych, „Stosunki Międzynarodowe — International Relations” 2009, t. 40, nr 3–4, s. 33–50.

2. Zob. A. Piskozub, Elementy nauki o cywilizacji, Gdańsk 1992.

3. Zob. A. Chodubski, Wstęp do badań politologicznych, Wydawnictwo Uniwersytetu Gdańskiego,

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4.B. Krygier, Czas dla słowiańskiej cywilizacji ducha, https://slowianowierstwo.wordpress.com/2014/06/03/czasdla-slowianskiej-cywilizacji ducha/?fbclid=IwAR0Ve7anQ8-GpVk8E2RO7OYA8joBX6aMOuM4 ghrNhwhzTI2UN9db_-bmguE (dostęp: 2.06.2021).

5. G. Cimek, Znaki cywilizacyjne na drodze stosunków polsko-rosyjskich, (w:) G. Cimek, M. Franz, K. Szydywar-Grabowska (red.), Współczesne stosunki polsko-rosyjskie. Wybrane problemy, Toruń 2012, s. 3–4.

6. G. Cimek, Rosja. Państwo imperialne?, Gdynia 2011, s. 175.

7. G. Cimek, Znaki cywilizacyjne…, s. 3.

8. M. Bierdiajew, Rosyjska idea, Warszawa 1999, s. 41.

9. Ibidem.

10. W. Klag, Cywilizacja łacińska w myśli Feliksa Konecznego (wybrane zagadnienia), „Racjonalista” 2014, nr 4, s. 68.

11. Ibidem, s. 73.

12. D. Brodka, Upadek Cesarstwa Rzymskiego w historiografii wieków IV–VI (zarys problemu), „Przegląd historyczny” 2006, nr 97/2, s. 141–142.

13. Schizma wschodnia, czyli wielki rozłam w kościele. Co za nim stało?, „Focus”, 03.06.2020, https://www.focus.pl/artykul/schizma-wschodnia-jakie-byly-jej-przyczyny-i-konsekwencje?page=1 (dostęp: 17.04.2021).

14. Ibidem.

15.W. Błaszczyk, Katolicki, prawosławny czy protestancki? Schizma trzech wizji świata, Kościoła i wieczności, http://archidiecezja.lodz.pl/czytelni/blaszczyk/2.html (dostęp: 25.03.2021).

16. Ibidem.

17. Tłumaczenie własne: „разрыв с идеей коллективного спасения души (а значит, и с идеей религиозного братства)”. C. Кара-Мурза, Россия и Запад: Парадигмы цивилизаций, https://www.rulit. me/books/rossiya-i-zapadparadigmy-civilizacij-read-201947-1.html, (dostęp: 6.04.2021), s. 44.

18. A. Dugin, Manifest Wielkiego przebudzenia, „Myśl Polska”, https://myslpolska.info/2021/03/17/dugin--manifest-wielkiegoprzebudzenia/?fbclid=IwAR0Ix6Eejw7N4y08mwJAn4qUpgl3Yo8dyzysfxtDnpeeT NeFSv4QdB6-d34 (dostęp: 30.03.2021).

19. W. Błaszczyk, Katolicki…

20. Ibidem

21. Ibidem

22. Ibidem

23. Jan Paweł II, Pamięć i tożsamość, Kraków 2005, s. 148

24. Groblicki J., Florkowski E., Konstytucja duszpasterska o Kościele w świecie współczesnym, (w:) Sobór Watykański II. Konstytucje. Dekrety. Deklaracje, Poznań 2002, s. 881.

25. T. Gałkowski, Teologia prawa, „Prawo kanoniczne” 2013, nr 2, s. 122.

26. M. Broda, «Zrozumieć Rosję?» O rosyjskiej zagadce-tajemnicy, Łódź 2011, s. 479.

27. T. Małyszek, Romans Freuda i Gradivy…, s. 133.

28. Warto zauważyć, że słowa russkij (русский) i rossijskij (российский) są paronimami. Pierwsze z nich opisuje zjawiska związane z Rusią, jej kulturą, językiem, historią, filozofią, Natomiast drugie dotyczy przynależności do Rosji (np. obywatelstwo, paszport, flaga).

29. F. Dostojewski, Dziennik pisarza, Warszawa 1982, t. 1, s. 47–48.

30. M. Broda, «Zrozumieć Rosję?»…, s. 474.

31. N. Kowalczuk, Archetyp sofijności w zakresie kultury Rusi Kijowskiej, „Wschodni Rocznik Humanistyczny” 2015, Tom 12, s. 10.

32. S. Huntington, Zderzenie cywilizacji i nowy kształt ładu światowego, H. Jankowska (tłum.), Warszawa, 1997, s. 199.

33.Умом — Россию не понять,

Аршином общим не измерить.

У ней особенная стать

В Россию можно только верить”,

http://www.ruthenia.ru/tiutcheviana/publications/trans/umomrossiju.html (dostęp: 22.04.2021).

34. „Маленький человек в этом обществе превращен в зрителя, для которого создается «виртуальная реальность», так что он уже не способен отличить ее от «реальной реальности» и утрачивает свободу воли”. (tłum. własne) C. Кара-Мурза, Россия и Запад…, s. 7.

35. „Человек является не индивидом, а членом общины”. Ibidem, s. 23.

36.G. Cimek, Rosja…, s. 123.

37. F. Nietzsche, Zmierzch bożyszcz, czyli jak filozofuje się młotem, s. 73.

38. T. Małyszek, Romans Freuda i Gradivy…, s.137–138

39. M. Cielecki, Najwspanialszy sen życia. Soborowość Mikołaja Bierdiajewa, http://cejsh.icm.edu.pl/cejsh/element/bwmeta1.element.desklight-edd099c3-d031-4378-8dd0-393a0fa18bb8 (dostęp: 25.03.2021).

40. Ibidem.

41. A.J. Karpiński, Alienacja, (w:) Słownik pojęć do przedmiotu globalizacja, Gdańsk 2011, s. 2.

42. S. Huntington, Zderzenie cywilizacji…, s. 199.

43. Ibidem, s. 99.

44. A. Dugin, Manifest…

45. Ibidem

46. G. Cimek, Rosja…, s. 86.

47. A. Dugin, Manifest…

48. Ibidem.

49. Ibidem.

50. Ibidem.

51. Ibidem.

52. W. Kruszelnicki, Antropologia i kolonializm, czyli o kulturowo-politycznym uwikłaniu reprezentacji, „Kultura i historia”, https://www.kulturaihistoria.umcs.lublin.pl/archives/1742 (dostęp: 25.03.2021).

53. G. Cimek, Podstawowe problemy geopolityki i globalizacji, Gdańsk 2016, s. 171.

54. W. Kawaśnicki, Historia myśli liberalnej…, s. 114.

55. J. Locke, Traktat drugi, 1992, s. 178.

56. M. Bierdiajew, Rosyjska idea…, s. 50–51.

57. Ibidem, s. 49.

58. Ibidem.

59. W. Błaszczyk, Katolicki, prawosławny…

60. Ibidem.

61. M. Bierdiajew, Rosyjska idea…, s. 48.

62. „Понятие свободы в традиционном обществе уравновешено множеством запретов, в совокупности порождающих мощное чувство ответственности (поэтому, в частности, такое общество выглядит как неправовое — в нем нет такой острой нужды формализовать запреты в виде законов). В западном обществе контроль общей этики заменяется контролем закона. В традиционном обществе право в огромной своей части записано в культурных нормах, запретах и преданиях. Эти нормы выражены на языке традиций, передаваемых от поколения к поколению” (tłum. własne). C. Кара-Мурза, Россия и Запад…, s. 21.

63. W. Jerofiejew, Kim są Rosjanie? Kultura polityczna Rosji, (w:) Jak daleko sięga demokracja w Europie? Polska, Niemcy i wschodni sąsiedzi Unii Europejskiej, Europejskie Centrum Solidarności, Gdańsk (b.d.w.), s. 23.

64. Ibidem, s. 17.

65. J. Sadecki, Ambasador, Warszawa 2013, s. 179.

66. Ibidem

67. C. Кара-Мурза, Россия и Запад…, s. 10.

68. Ibidem.

69. W. Jerofiejew, Kim są Rosjanie…, s. 17

70. Ibidem.

71. G. Cimek, «Suwerenna demokracja» — prawica czy specyfika rosyjska? Prawica w Polsce i na świecie w XX i XXI wieku, S. Chazbijewicz, M. Chełminiak, T. Gajowniczek (red.), „Studia politologiczne” 2013, Tom 3, Uniwersytet Warmińsko-Mazurski w Olsztynie, s. 270–271.

72. Ibidem, s. 272.

73. W. Kwaśnicki, Jakie skutki niesie za sobą prywatna własność?, „Acta Universitatis Wratislaviensis” 2010, nr 3398, s. 24.

74. K. Szarzec, Własność państwowa a wolny rynek — przykład krajów Europy Środkowo-Wschodniej, „Zeszyty Naukowe Uniwersytetu Ekonomicznego w Katowicach” 2018, nr 349, s. 221–222.

75. P. Leszek, Interpretacja własności w doktrynie Hayeka: ewolucyjny przypadek usankcjonowany korzyścią, „Studia Erasmiana Wratislaviensia” 2009, z. 3, s. 110.

76. M. Bierdiajew, Rosyjska idea…, s. 108.

77. Ibidem, s. 111.

78. „На Руси никогда не было нормальной, вольной частной собственности… Частная собственность — материя и дух цивилизации… На Руси никогда не было нормальной частной собственности, и поэтому здесь всегда правили люди, а не законы”. C. Кара-Мурза, Россия и Запад…, s. 1.

79. M. Bierdiajew, Rosyjska idea…, s. 113.

80. Ibidem, s. 109.

81. Rewolucja lutowa.

82. C. Кара-Мурза, Россия и Запад…, s. 2.

83. „Мы хоть они думают, что мы такие же, как они, но мы другие люди, у нас другой генетический и культурно-нравственный код” (tłum. własne). Путин указал на различие в генетическом коде россиян и американцев, „Известия” 18.03.2021, https://iz.ru/1138901/2021-03-18/putin-ukazal-narazlichie-vgeneticheskom-kode-rossiian-iamerikantcev?fbclid=IwAR1WrmGm3klrPJ1fbyXROMijRq9v7RI9RY3tjOD6BwxSCLDv1NK6nIvVJuQ (dostęp: 24.03.2021).

84. „Рыночная экономика, ставшая господствующим типом хозяйства Запада, не является чем-то естественным и универсальным. Это недавняя социальная конструкция, возникшая как глубокая мутация в специфической культуре Западной Европы”. C. Кара-Мурза, Россия и Запад…, s. 15.

85. M. Dzień, O zagubionym ojcu i niespokojnym mieście, „Topos” 2021, nr 1, s. 31.

86. Ibidem.

87. M. Bierdiajew, Rosyjska idea…, s. 145.

88. Ibidem, s. 144–145.

89. P. Wiatrowski, Nierówności społeczne…, s. 102.

90. Ibidem, s. 102–103

91. Ibidem, s. 148.

92. Ibidem, s. 45.

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