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  • : Philo-socio-anthropo-histoire. Revue en ligne éditée par une partie de l'ancienne rédaction de "La Pensée" exclue en 2004, élargie à d’autres collaborateurs et consacrée au renouvellement de la pensée critique de la globalisation, du politique, de l’économique, du social et du culturel.
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  • Cette revue de Philo-socio-anthropo-histoire est éditée par une équipe de militants-chercheurs. Elle est ouverte à tout auteur développant une pensée critique sur la crise de civilisation du système capitaliste occidental.
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15 juillet 2013 1 15 /07 /juillet /2013 23:29

 

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Alors que les tensions sociales actuelles proviennent dans une large mesure de la centralisation et de la mondialisation de la vie économique et politique autour de quelques pôles clefs, les mécontentements dûs à cette situation se manifestent le plus souvent par des luttes catégorielles s'appuyant tantôt sur les différences de sexe, de « genre », d'ethnie, de religion, voire de tribu. Sur ce qu'on appelle donc les différences « visibles » qui camouflent une unité d'intérêt réelle. Visibilité d'un camouflage qui correspond à l'intérêt du système dominant désormais clairement à bout de souffle mais toujours pas en manque d'idées pour s'assurer la domestication de masses émiettées.

 

Cet article vise à expliquer les convergences logiques et les faux combats, en replaçant toutes les oppressions dans leur contexte global. En décortiquant les évidences apparentes des « questions de société » que nous posent les médias dominant : question féminine, question religieuse, en particulier celle de l'islam, question des « races » etc. Autant de questions qui peuvent être envisagées par les opprimés et les exclus comme étant « premières » alors qu'elles sont le plus souvent subordonnées à une domination principale que l'on peut facilement perdre de vue si l'on n'analyse pas les sources historiques et sociales de toutes ces différences. Sans négliger par ailleurs l'apport essentiel que chaque situation, chaque positionnement, chaque représentation idéale du monde peuvent apporter à la nécessaire mobilisation commune. En faisant clairement la différence entre les contradictions au sein du peuple et la contradiction antagoniste principale auquel il est confronté, celle qui l'oppose à l'ordre dominant et aux groupes sociaux, d'origines ethno-religieuses souvent différentes, qui en tirent profit et qui, eux, savent faire corps quand leur intérêt l'exige, malgré la concurrence sauvage qui peut parfois les opposer ensuite pour la conquête de parts du marché mondialisé.

 

La Rédaction

 


 

Féminisme, races et sécateur du réel

-

Été 2013

 

Par Badia Benjelloun*

 

 

Avant de parler du féminisme, citons deux femmes remarquables, elles marquèrent leur temps d’une empreinte qui perdure jusqu’à nos jours.

 

Fatima Al Zahra al Fihri, fille d’un savant de Kairouan émigré à Fez avait fondé grâce à ses propres deniers, provenant de l’héritage paternel dont elle disposait librement, la première université au monde[1]. En 859, était construite à Fez l’université de la Qaraouyine avec la cité universitaire attenante capable d’accueillir des centaines d’étudiants étrangers à la ville ou venant de plus loin, comme le futur pape Gerbert d’Auvergne plus tard investi sous le nom de Sylvestre II. Fatima Al Fihri avait légué des biens habous, gérés par des institutions religieuses, fours à pain et hammams, dont les revenus étaient destinés à l’entretien de l’université, de la cité universitaire, de l’habillement, des soins et de la nourriture des étudiants. Il est à noter que cette institution académique a fonctionné sans discontinuer depuis sa création jusqu’à nos jours, fait unique dans l’histoire.

 

La marquise du Deffand, d’une petite noblesse provinciale, une fois introduite dans la vie de cour de la Régence, tiendra le salon littéraire et scientifique le plus couru de son époque, fréquenté par toutes les célébrités du XVIIIème siècle[2]. Les encyclopédistes, hommes de théâtre, peintres, sculpteurs, tous les esprits brillants participaient à des échanges intellectuels intenses au cours de conversations élevées au niveau d’un véritable art. Belle, cultivée, de mœurs légères et très bon écrivain, par sa fonction de salonnière, elle a contribué à l’élaboration des ‘Lumières’.

 

Ces deux femmes appartenaient, chacune dans son univers historique et culturel bien distinct, à des classes sociales favorisées. Elles étaient libres de leur fortune, libres d’entreprendre l’aventure intellectuelle ou spirituelle qu’elles ont souhaité mener.

 

Jusqu’à très récemment, avant que le capitalisme occidental ne vienne dévaster l’ordre économique et social de façon très violente sous la forme d’une conquête et d’un assujettissement colonial, le mariage dans le pourtour méditerranéen et en particulier en Afrique du Nord était endogamique. Les cousins se mariaient entre eux. Ceci garantissait une double stabilité[3].

 

D’abord, la propriété agricole ne se divisait pas à l’infini et pouvait conserver une dimension d’unité de production viable. Ensuite, la fille mariée dans la famille était protégée par toute la parentèle, proche géographiquement, qui intervenait en cas de conflit entre époux.

 

Les mariages arrangés l’étaient pour les deux sexes, ils étaient congruents avec un ordre symbolique qui organisait la matrice sociale et obéissaient à un impératif économique qui structurait le groupe social dont l’activité était essentiellement agricole.

 

 

La question du féminisme est datée historiquement

 

Il a fallu que le capitalisme industriel commence à trouver très étroites les frontières et que les différentes nations européennes construites dans les guerres de religion pendant des siècles et dans le sang des conflits territoriaux plus tard soient en compétition pour des expansions impériales coloniales pour que la question féministe surgisse sous sa forme ‘moderne’. Edward Bernays dans son ouvrage Propaganda[4] narre comment le marketing s’est saisi de la question féminine pour accroitre les profits des fabricants de cigarettes. Il avait fait convoquer toute la presse  pour une manifestation inédite et qui sera divulguée lors de la procession de Pâques en 1929 à New York. Au signal donné, des mannequins ont allumé leur nouveau flambeau de liberté, les femmes du monde ont été induites à consommer du tabac pour célébrer leur « liberté ».

 

L’égalité des droits entre hommes et femmes est devenue une revendication quand le capitalisme a effacé la division du travail entre les sexes.

 

Cela s’est concrètement réalisé quand les usines ont été vidées de leurs hommes au cours de la boucherie de 1914-1918 et que les ouvriers partis mourrir pour les banquiers et les industriels de leur ‘patrie’ furent remplacés par leurs femmes et leurs sœurs[5]. Chefs de famille, elles avaient à assumer un double travail, domestique et d’élevage des enfants avec celui fourni pour un patron contre un salaire toujours inférieur à celui accordé à un homme.

 

L’arrivée en masse des femmes sur le marché du travail a permis de déprécier celui-ci. Quand dans les années cinquante, un seul salaire faisait vivre une famille, depuis plus de trente ans, deux salaires y suffisent à peine puisque chaque ménage est contraint de s’endetter.

 

Pour quitter le monde des Idées et des luttes microscopiques cantonnées à des spécificités exotiques, il serait bon de rappeler quelques éléments d’histoire.

 

 

Capitalisme et mise en compétition « raciale »

 

Le capitalisme industriel nordiste étasunien a libéré des forces de travail considérables en abolissant l’esclavage. Il a constitué un sous-prolétariat noir qui est rentré en concurrence avec le prolétariat blanc en venant mordre à la marge sur le marché du travail.

 

Le patronat européen et en particulier français a procédé quasiment de la même façon. Par camions et cars entiers, il est allé quérir des Nord-africains dans des villages reculés où les engagés sont en bonne santé et illettrés[6].

 

Le pays exportateur faisant une bonne affaire avec un double gain. Il se débarrassait d’une partie de sa population active mâle adulte qui serait susceptible de vouloir poursuivre les guerres de libération coloniale en récupérant les terres confisquées par les colons. Il bénéficie du rapatriement des salaires gagnés chez l’ancien colon, ce qui pouvait correspondre à plus de la moitié des ressources en devises des pays en voie de perpétuel sous-développement.

 

Le patronat importateur d’ouvriers ‘indigènes’ y trouvait un double bénéfice.

 

L’acquis trivial est de payer moins cher l’OS (ouvrier spécialisé) qui ne parle pas la langue autochtone. Le deuxième consiste en l’organisation consciente et délibérée d’un antagonisme entre blancs et indigènes immigrés au sein de la classe ouvrière, trop bien protégée syndicalement. L’aveuglement des centrales syndicales par rapport à cet enjeu a fissuré très durablement le front de la lutte anticapitaliste pour l’émousser et l’amoindrir encore sous d’autres assauts, comme le financement de syndicats félons par des services de renseignements ultra-atlantiques.

 

La réponse à cette manœuvre de division aurait dû – devrait – consister à refuser le fractionnement entre ethnies (ou religions) face au système qui élabore l’émiettement des luttes.

 

Les dirigeants politiques des anciens pays colonisés doivent être tenus comme co-responsables de cette hémorragie humaine qui les démunit de ses forces vives et nourrit une catégorie de citoyens de moindres droits dans les pays receveurs. Aujourd’hui, l’accent est mis sur la limitation de l’émigration. En réalité, l’économie européenne s’effondrerait sans les travailleurs ‘sans papiers’, l’inexistence de contrôle dans le secteur du bâtiment et de la restauration est la preuve irréfutable de l’hypocrisie des dirigeants politiques qui ne sont en fait qu’un comité de gestion pour la classe possédante. Les haines interethniques sont alimentées par des discours xénophobes et des plus-values fantastiques sont engrangées par des transnationales qui ne paient ni charges sociales - travailleurs non déclarés - ni impôts – évasions et fraudes fiscales.


 

Dévoiler l'hypocrisie de la question du foulard « islamique »

 

L’apparition du recouvrement du cheveu chez les femmes musulmanes en Europe et en Occident de façon générale est secondaire à sa réémergence dans les pays musulmans[7].

 

Dès les débuts des années 1980, les jeunes filles ont porté le foulard dans les universités de Tunis, du Caire et de Rabat. Cette montée a été contemporaine de l’avortement des mouvements sociaux de la gauche laïque dans les différents pays méditerranéens musulmans. Le reflux de la contestation sociale sous sa forme laïque de gauche a été mondialisé, le renversement de Salvadore Allende par une dictature militaire au Chili en a été l’élément augural. Les disparitions et les emprisonnements des ‘gauchistes’ marocains à partir de l’année 1973 ont étêté la jeunesse marocaine de ses éléments les plus dynamiques en matière de projet social équitable et progressiste. Dans le même temps s’enregistraient les succès de la République islamique d’Iran. Les régimes oppressifs autocratiques ne pouvaient interdire la fréquentation des mosquées et bientôt le port de signes religieux visibles devenait une affirmation d’une contestation politique. Le port du foulard par les Tunisiennes ‘émancipées’ sous Bourguiba et par les Palestiniennes dans les territoires occupés est emblématique.

 

Ces deux phénomènes ont été sûrement plus déterminants dans le rejet de l’habitus moderne et considéré comme « occidental » que la non intégrabilité des femmes d’ailleurs dans le contexte européen. Au contraire, à ces filles et à ces femmes, l’insertion sociale a été plus facile que pour leurs frères ou maris. D’une façon apparemment paradoxale, la France patriarcale et raciste s’est montrée plus discriminatoire vis-à-vis des hommes d’origine extra-européenne ou dont les parents proviennent des ex-colonies au niveau de l’emploi que vis-à-vis de leurs femmes ou de leurs sœurs.

 

La perte en Europe de l’ennemi communiste avec ladite chute du mur de Berlin, la résistance palestinienne, la résistance libanaise soutenue par le Hezbollah sont quelques facteurs parmi ceux qui ont déterminé la construction de la doctrine politique de l’entité hégémonique d’un Islam désormais identifié au terrorisme et ennemi de la Civilisation[8].

 

Les musulmans en Europe ne sont que les victimes secondaires et accessoires de cette scénarisation.

 

Imaginer que le port du foulard serait une réponse protestataire jetée à la face du patriarcat blanc et raciste est un contresens absolu. C’est renvoyer la femme musulmane à un rôle subalterne de femme dépitée qui n’a d’autre ressort existentiel que d’être une identité en creux, en négatif, une anti-quelque chose. C’est lui porter le plus grand des mépris, à elle et à la culture et la spiritualité qui l’animent, la définissent et la comblent.

 

Quand une femme musulmane se retranche dans son vêtement et se soustrait à la nudité, c’est pour s’appartenir à elle-même. Son geste pourrait être de dire mon corps n’est pas une marchandise, mais cet implicite ne s’adresse pas spécifiquement à l’homme blanc ! Il n’est pas non plus un acte de soumission à une prescription patriarcale. C’est un comportement de pudeur qui n’est pas réservé au sexe féminin[9].

L’affirmation de l’identité culturelle et spirituelle se suffirait à elle-même mais dans le contexte du capitalisme actuel uniformisant, sénescent, prédateur et meurtrier, elle constitue en fait un acte de résistance.

 

 

Ritualismes  formels et émancipation réelle

 

L’islam n’est pas seulement l’accomplissement de quelques rites et l’observance de quelques règles. Il va bien au-delà, il implique une éthique sociale qui exclut deux fondements du capitalisme, le prêt avec intérêt et la spéculation, dénoncée comme jeu de hasard[10]. Avec l’inscription de ces deux interdits absolus dans une future Constitution, l’activité humaine reprend ses droits sur le jeu spéculatif et ses destructions irréversibles de la planète et de l’humanité.

 

En cela, l’islam est un très grand danger pour les sociétés occidentales déliquescentes et dans le même temps, leur grande chance.

 

Nous sommes à une période où les identités nationales se perçoivent comme troublées. En Europe, elles mettent en avant les afflux de couches successives d’immigration ‘non européennes’ au point que l’exécutif au pouvoir entre 2007 et 2012 en France a créé un ministère de l’immigration et de l’identité nationale. La menace ressentie qui porterait sur un universel républicain, très monétisée électoralement et amplifiée par les organes de propagande que sont les médias de masse, a au moins une triple origine.

 

La visibilité des post-coloniaux sur la scène publique est marquée par un accoutrement vestimentaire par lequel ils se signalent. Le turban sikh et le foulard des femmes musulmanes étaient peu repérables dans les rues il y a trente ans. L’écrasante majorité des femmes et des filles voilées ont eu des mères qui ne l’étaient pas.

 

L’incompressible chômage en expansion dans les pays du Nord assorti d’une croissance impossible résultant d’une globalisation de l’économie dérégulée désespère une partie de la population à laquelle est désigné le bouc émissaire idéal, différent dans son apparence et peut-être dans son essence.

 

Enfin, les particularités nationales sont progressivement effacées d’une part sous l’intégration de 28 unités disparates dans le carcan européen et d’autre part sous l’hégémonie étasunienne économique et culturelle qui impose son universalité : jeans, la boisson gazeuse noire, films hollywoodiens, ses chaînes de nourriture rapide.

 

Ces causalités se croisent et s’enrichissent les unes les autres.

 

Non seulement l’immigré, et la femme immigrée de surcroît, ne trouve pas de réponse dans le répertoire des propositions politiques et sociales offertes, mais pas non plus le sujet autochtone. Ce qu’il est convenu d’appeler la Crise n’est pas seulement financière car elle affecte et met en péril la survie de l’espèce humaine en détruisant tous les liens sociaux et en rendant invivable la planète. Elle appelle de chacun de nous un effort, un ‘ijtihad’ pour reformuler non seulement une grille de lecture universelle mais des outils de résolution de cette impasse capitaliste qui s’alimente de l’intérêt et de la spéculation[11].

 

La compréhension du social uniquement au travers d’analyses interethniques, diasporiques et intercommunautaires restreint dramatiquement le réel, même si elles sont légitimes en cette période de reviviscence des mémoires coloniales et de l’esclavage[12]. Elle l’ampute des instruments nécessaires pour le transformer.

 

Angela Davis, la figure de proue du mouvement de libération des Afro-américains consacre son temps à la cause des pensionnaires de prisons étasuniennes qui dans leur écrasante majorité sont noirs, jeunes, innocents et exploités car travaillant pour un salaire d’esclave pour de grandes firmes transnationales. C’est bien la nécessité pour le capitalisme d’une main d’œuvre quasi-gratuite logée dans des prisons construites et gérées par des firmes privées mais payées par l’impôt qui stabilise la situation inférieure des Afro-américains, hommes ou femmes. Un Noir américain sur neuf âgé entre 15 et 40 ans est détenu dans une prison[13]. Le motif principal de l’incarcération est lié au trafic ou à la consommation de drogues illicites. Le système est particulièrement pervers à cet égard. L’usage de la drogue avait été introduit par les services de renseignement et de sécurité dans les ghettos noirs et parmi les mouvements des Black Panthers pour les neutraliser et les criminaliser. La CIA finance ses actions secrètes par le commerce qu’elle fait des drogues illicites. Une situation analogue a été observée dans les banlieues en Europe et en France. La drogue a été diffusée, offerte au moment de la prise de conscience de celles-ci et de l’élaboration des mouvements et des marches pour l’Égalité.

 

La catastrophe imminente qui vient excède les communautés, elle affecte l’humanité entière. Il est donc urgent de ne pas limiter le débat politique à des revendications exclusivement ethniques et identitaires ou catégorielles (« genre », « orientations sexuelles », etc.).

 

Depuis quarante ans, la contre-révolution conservatrice, et donc objectivement de droite, a prospéré en cultivant en particulier (mais pas seulement) deux champs. Le premier a consisté à confondre le communisme et les conquêtes sociales sans précédent auxquelles il a donné lieu dans le monde avec le totalitarisme et l’hitlérisme, réduisant même la révolution de 1789 et l’abolition des privilèges à une simple Terreur. Tout cela dans une ambiance de moralisme permettant de camoufler les questions sociales, les rapports de forces internationaux et les questions de classe. Le second a entretenu la focalisation sur des luttes partielles, en particulier celles des minorités ethniques et sexuelles en faisant abstraction du contexte global de leur oppression.

 

De nombreuses autres diversions furent proposées et parmi elles, l’écologisme ou le capitalisme vert. Toute lutte locale émancipatrice est la bienvenue. Elle doit être ancrée dans une ambition plus vaste de libération universelle.

 

Parmi elles, se préoccuper de l’émigré sans-papier provenant des ex-colonies est une expression concrète de solidarité avec des sans-droits tout en étant une mise à nu de la perversion du système capitaliste. D’un côté, les politiciens dénoncent un excès d’immigration qui dilue l’identité, d’autre part, ils évitent de contrôler en réduisant le nombre des inspecteurs de travail dans les secteurs économiques qui les emploient à moindre coût amputé des contributions sociales obligatoires.

 

Sans le transfert de richesses des pays pauvres vers les pays riches, l’émigration économique et bientôt de plus en plus liée aux bouleversements environnementaux induits par les pays du Nord serait infime et  imperceptible.

 

Les résidents des pays du Nord, indépendamment de leur origine, profitent des flux financiers qui appauvrissent l’Afrique en particulier par le mécanisme de la dette[14]. Ils bénéficient encore des conquêtes sociales qui assurent aux plus démunis un minimum de revenus et de couverture maladie.

 

En tout premier lieu, les Européens d’origine africaine s’ils veulent se placer dans une perspective anti-impérialiste se doivent de dénoncer les spoliations financières et le pillage des matières premières qui entretiennent le circuit de renforcement de l’émigration économique. Même relégué dans une banlieue ghetto, bénéficiant du RSA et de la CMU, un ‘indigène’ de la république tire avantage d’une électricité peu chère car Areva assure son approvisionnement en uranium au Niger en soutenant une guerre au Mali.

 

Badia Benjelloun

 

* Médecin



[3]  Germaine Tillon, Le Harem et les cousins, éditions du Seuil, 1966; Youssef Courrbage et Emmanuel Todd, Le rendez-vous des civilisations, éditions du Seuil, 2007

[4]  Voir Edward Bernays, préface de Normand Baillageon, Propaganda : Comment manipuler l'opinion en démocratie, Zones, 2007. En ligne < http://www.editions-zones.fr/spip.php?article21 >

[5] NDLR. En même temps qu'ils étaient aussi remplacés en Europe par les premiers « travailleurs coloniaux » complétant ainsi le travail forcé non rémunéré déjà exigé d'eux dans les colonies.

[6] NDLR. Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, le patronat occidental privilégiait l'immigration en provenance d'Europe de l'Est et du Sud dans la mesure où ces populations semblaient plus proches géographiquement et plus facilement adaptables aux normes productivistes et à la culture dominante. Ce qui, en dépit d'une légende récemment répandue, n'empêchait pas les manifestations d'un racisme violent visant tant les immigrés juifs que les immigrés chrétiens d'origine slave ou méditerranéenne. C'est seulement grâce à la mobilisation de la résistance antinazie et aux politiques interventionnistes d'Etat des « trente glorieuses » que ces populations purent être progressivement intégrées dans leur milieu de travail et dans la vie sociale. La politique de soumission ayant rendu avec le temps les populations coloniales plus « compatibles » avec les exigences du patronat après 1945, au moment où les communistes lançaient de leur côté des politiques de développement endogène en Europe de l'Est limitant l'émigration, le recours à l'exploitation de la main-d'oeuvre des colonies et ex-colonies devint dès lors à leurs yeux préférable. C'était juste avant l'organisation de la « crise » à partir du milieu des années 1970 et qui allait empêcher le prolongement des processus d'intégration des classes populaires.

[7]  NDLR. Depuis l'antiquité, y compris dans la Grèce antique et partout dans le monde chrétien, les femmes « de bonne tenue » couvraient leurs cheveux, leurs oreilles et souvent leur cou par pudeur ou pour éviter d'être importunées. C'est dans les milieux des élites des cours princières européennes que cette tradition commença à disparaître avec le découvrement des cheveux puis les décolletés. La Révolution moderne, partie des pays occidentaux, a donc été autant un processus de promotion sociale de certaines catégories populaires qu'un processus d'acculturation des classes dominées par les valeurs des classes dominantes. Le féminisme, dans ses diverses moûtures socialement contradictoires, pouvant dans ce contexte être utilisé autant comme moyen d'embourgeoisement de certaines femmes que comme un élément dans la lutte plus générale pour l'émancipation des classes populaires et l'affirmation de leurs valeurs propres.

[8]  NDLR. Qui reprenait sur un mode plus « moderne » et en les recyclant les vieux préjugés islamophobes hérités des croisades et de la période coloniale, un peu sur le modèle de l'antisémitisme judéophobe moderne qui recyclait plusieurs préjugés de l'antijudaïsme chrétien.

[9]  NDLR. L'incompréhension mutuelle sur cette question entre l'Occident post-chrétien et l'islam provient entre autre du fait que dans le Nouveau Testament, Saint-Paul impose le foulard aux femmes au nom de ce qu'il affirme être leur infériorité par rapport aux hommes alors que dans le Coran, cette prescription (reprenant la tradition abrahamique et méditerrannéenne), n'est justifiée que par le droit des femmes à se protéger des éventuelles agressions masculines.

[10] NDLR. L'islam sunnite ignorant l'existence d'une hiérarchie religieuse établie, ses règles sont stables et ne peuvent être modifiées par une quelconque décision épiscopale. Chaque musulman/e est laissé/e libre de son choix de suivre ou de ne pas suivre les différentes interprétations possibles du texte sacré émises par différents savants et écoles de pensée religieuses. Dans le monde musulman, c'est traditonnellement le pouvoir politique qui a plutôt cherché à dominer et exploiter le religieux, alors que la religion tendait à constituer un espace de liberté et de libre discussion. D'où les malentendus entre modernistes occidentalistes et partisans de la liberté s'appuyant sur les traditions religieuses libertaires inhérentes à l'islam. Concernant l'usure et la spéculation, et même si les pouvoirs politiques dominant à l'heure actuelle dans les pays musulmans poussent à faire des compromis sur cette question, il n'en reste pas moins que la loi de l'interdiction absolue des règles de bases du capitalisme ne peut être levée par aucune institution religieuse, ce qui donne à l'islam son potentiel révolutionnaire incompressible. Raison qui explique entre autre la méfiance à son égard de toutes les puissances capitalistes qui souhaitent manifestement diaboliser l'islam tout en forgeant un islam « soft », un « islamisme » purement ritualiste et « identitaire », violent ou pacifique selon les besoins impérialistes, mais ne portant plus aucun projet social, politique et économique alternatif. Processus de stérilisation des questionnements sociaux qui était plus facile à réaliser dans le christianisme par le biais de la soumission des Eglises hiérarchisées et dans le judaïsme à cause de sa tribalisation et de sa prise en main par le sionisme. Processus constatable y compris dans le monde « laïc » avec la stérilisation des idées révolutionnaires au sein de beaucoup de partis socialistes et communistes.

[11] NDLR : Ijtihad : Terme islamique signifiant l'effort que tout musulman doit faire pour étudier et interpréter librement le texte sacré. Méthode qui fut appliquée dans les premiers siècles de l'islam jusqu'à ce que le gros des chercheurs religieux liés aux pouvoirs politiques arrivent à la conclusion que toutes les questions sociales, juridiques, économiques, politiques, éthiques ayant été examinées et ayant obtenu des réponses, il ne restait plus qu'à examiner les questions directement liées au seul développement des techniques,. Ce qu'on a appelé « la fermeture des portes de l'ijtihad », phénomène qui n'a jamais fait consensus et qui a été remis en cause, encore assez partiellement, depuis une centaine d'années, en réaction au colonialisme et à la stagnation des sociétés musulmanes. Par extension, le Coran étant pour les musulmans un guide expliquant le « Livre explicite » englobant toute la création, la démarche d'ijtihad peut être étendue à toute activité de recherche scientifique, le Coran soulignant que la foi ne peut s'opposer à la raison.

[12]  Voir la contribution de Nicolas Bancel dans Postcolonial studies : mode d’emploi, publiée aux Presses universitaires de Lyon, 2013

[13] NDLR. Rappelons par ailleurs que si les USA, donneurs de leçons en matière des droits de l'homme, représentent 5% de la population mondiale, 25% de tous les prisonniers dans le monde se trouvent dans les prisons des USA, pour beaucoup privatisées. Main-d'oeuvre désormais rentabilisée donc, au point d'être en état de concurrencer pour le bénéfice des patrons les bas salaires des maquiladores qu'ils avaient implantés du côté mexicain de la frontière avec les USA.

[14]  Le Comité pour l’annulation de la dette des pays du Tiers Monde avait évalué il y a quelques années que pour un dollar US prêté à l’Afrique, les pays du Nord en recevaient quatre.

 

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15 juillet 2013 1 15 /07 /juillet /2013 23:06

 

 

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On peut aborder Hannah Arendt sous différents angles, tant son oeuvre est grande. C'est ce qui explique pourquoi les tenants du système dominant aiment ne retenir d'elle que la déconstructrice d'un totalitarisme qu'ils réduisent en fait, selon leurs intérêts, au communisme. Car Arendt n'a pas été une révolutionnaire et a toujours défendu une vision de la société finalement en accord avec celles de son milieu social d'origine. Mais dans sa quête de liberté et de vérité, Arendt a su aussi dépasser les limites de son milieu d'origine. Et c'est surtout là où elle est grande ...et plus souvent méconnue, ignorée ou critiquée.


Car Hannah Arendt est une penseuse de l'être humain et elle a en conséquence refusé de se voir dicter ses analyses par quelque intérêt particulier et donc « tribal ». Y compris dans son rapport à l'horreur absolue dont elle fut la contemporaine. D'où ses analyses décapantes du phénomène génocidaire nazi où elle perçoit l'unité fondamentale des êtres humains qui peuvent commettre les mêmes horreurs indépendamment de leurs origines ou de leurs appartenances, et qui peuvent le faire aujourd'hui désormais plus souvent à causes des possibilités techniques modernes, en étant le plus souvent non pas motivé par une haine ou une passion idéologique, mais tout simplement par le respect des hiérarchies et d'un ordre dans lequel ils se placent et acceptent de se placer. « Banalité du mal » donc dans un monde où l'homme semble avoir été créé pour maîtriser son destin mais où la question finale en définitive est celle de prendre position sur la « fatale nécessité » de savoir s'il doit se soumettre à un ordre ou contester un ordre, au nom d'une conception supérieure de la vérité et de ce que pourrait être, devrait être aux yeux de l'éthique, l'être humain.

 

La Rédaction

 


  

Une Antigone des temps modernes :

A propos du film de Margarethe von Trotta, Hannah Arendt, avec Hannah Sukowa.

-

Juillet 2013

 

Par Claude Karnoouh

 

Rien n’est plus difficile que d’adapter un roman à l’écran, plus difficile encore serait d’adapter un livre témoignage historique et philosophique pour en élaborer une trame narrative convaincante qui rendrait l’essentiel sans tomber ni dans la naïveté de la simple illustration, ni dans aucune des caricatures du sentimentalisme. Voilà donc la gageure, disons-le d’emblée, réussie par Margarethe von Trotta et son interprète Hannah Sukowa, étonnante dans la manière sombre et violente, mais aussi tendre et chaleureuse avec laquelle elle s’est glissée dans la peau du personnage public et privé qui se nomme Hannah Arendt, pour reconstituer l’un des moments les plus dramatiques de sa vie, après ce que dut être la nécessité de s’exiler, de quitter l’Allemagne lors de la prise du pouvoir par les nazis en 1933. De fait, hormis quelques allusions discrètes et fort bien venues à de très rares moments de sa vie antérieure à juin 1961 – essentiellement deux rencontres avec Heidegger, l’une lorsqu’elle était sa jeune étudiante et maîtresse, l’autre lors de son retour en Allemagne en 1951 – le film est centré sur un temps qui commence un peu avant le début du procès d’Eichmann à Jérusalem, sa vie de professeur à New York (New School et Columbia) pour se terminer lors de la publication de ses articles, un rapport à la fois descriptif, analythique et interprétatif, qu’elle en donna sous la forme d’un feuilleton philosophique et historique dans les pages de la revue de gauche, The New Yorker.

 

Si, dans les milieux intellectuels occidentaux, nombre de personnes déjà âgées ont connu directement les polémiques suscitées par la publication du livre magistral de Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem : Rapport sur la banalité du mal, nombreux sont ceux, parmi la jeune génération, qui n’ont pas entendu parler de ce scandale et de son impact sur les milieux universitaires et intellectuels étasuniens des années postérieures à la Seconde Guerre mondiale, mais aussi en Europe, en particulier dans l’intelligentsia française. Ce livre engendra des polémiques épouvantables, des groupes de collègues et d’amis furent secoués de féroces débats où des amitiés de longue date se défirent pour toujours, signe que l’événement, le procès d’Eichmann touchait quelque chose d’essentiel pour ceux qui furent les protagonistes de la Seconde Guerre mondiale, les témoins et les acteurs de la déportations et du massacre des juifs européens. Reprenant le livre, le film tourne autour de deux arguments que je vais brièvement rappeler et analyser ensuite, pour en dégager quelques compléments significatifs plus généraux.


 

Le premier développe l’idée qu’Eichmann n’est ni un criminel né, ni un sérial killer, ni un malade mental, mais le rouage d’une machine bureaucratique aveugle dont les serviteurs ont perdu toute notion d’éthique, et, ne sachant plus répondre à l’impératif catégorique, ont appliqué aveuglément des règlements et des lois promulguées par un gouvernement légitimement élu, c’est-à-dire légal. Aussi, ayant perdu la boussole éthique, l’individu Eichmann pouvait-il affirmer en toute tranquillité d’esprit qu’il n’était jamais sorti de la légalité du IIIe Reich. Ce qui était la banale vérité. De plus, Eichmann ajoute qu’il n’a pas de haine particulière contre les juifs, que les ordres étant ce qu’ils étaient et que, en raison du serment de fonctionnaire de la Police fait au chef, Führer, en tant que chef de l’État, il ne pouvait échapper à ces lois et devait appliquer ce qu’on lui commandait d’appliquer. Ce n’était donc, selon Arendt, qu’un banal haut fonctionnaire, comme il y en avait des milliers qui donnaient consistance à une série d’actions déterminées par le législateur d’une part et le chef de l’exécutif devenu, après la mort du Maréchal Hindenburg, une seule et même personne, Adolf Hitler. Sauf que la bureaucratie dont il s’agit n’était pas chargée de distribuer les notes d’impôts, de récupérer les contraventions à la circulation ou d’enquêter sur des affaires criminelles, elle était chargée d’organiser la mise à mort de masse d’hommes, et donc l’individu bureaucrate quel qu’il soit, dont on présuppose qu’il possède un minimum de conscience morale, eût dû, à un moment ou à un autre, pendre conscience que son activité n’était plus celle d’un policier traquant des mafias nombreuses, voire des opposants à un régime, mais celle d’un automate chargé de rassembler des masses de civils, toutes classes confondues, tous sexes confondus, tous âges confondus sur la base d’un racisme non seulement positiviste (avec lequel on eût pu débattre contradictoirement, car c’est au moins l’avantage du positivisme), mais plus essentiellement, et donc plus radicalement, sur le fond (le fondement) d’un racisme métaphysico-biologique, et donc transcendant comme l’est la foi. De ce fait, le régime et ses serviteurs visaient, au bout du compte, et ce quelque soient les manières d’agir, à éliminer physiquement tous ceux que la loi positive de l’État avait marqués du sceau de la sous-humanité. Dans le monde moderne, cela se nomme crime de masse, crime de guerre, enfin, et selon une catégorie juridique difficile à cerner, et plus encore à conceptualiser en dehors de l’affect qui l’a suggéré, crime contre l’humanité.

 

Ce phénomène, non pas inédit dans l’histoire humaine comme certains veulent le faire accroire[1], mais en revanche, et à coup sûr inédit et spécifique dans l’histoire du judaïsme. Il surprend et détonne comme génocide ayant eu lieu au début des années 1940 du siècle dernier, dans une Europe qui prétendait être le centre vif du monde civilisé. Ce phénomène de concentration puis d’extermination choqua post-factum et c’est pourquoi le génocide put avoir lieu, en raison même du choc post-factum et non d’une indignation générale ante factum. Il offusqua un monde moderne qui assumait avoir déployé une civilisation supérieure aux sauvages primitifs, supérieure à tous les États prémodernes qu’elle avait vaincus, un monde qui se disait rationnel, tout à la fois scientifique et humaniste, un monde qui se prétendait être toujours mené par l’impératif catégorique éthique. Ce phénomène surprit d’autant plus qu’il se concrétisa au cœur de la nation la plus « gebildet » d’Europe, l’Allemagne, où furent conçues, engendrées et appliquées les modalités techno-bureaucratiques les plus rationalisées de ce crime. Il détonna enfin, parce qu’après les massacres pour le moins délirants de la Première Guerre mondiale, nos grands-parents et nos parents eussent pu penser qu’il eût fallu trouver d’autres moyens que la guerre interne ou externe, que le rapport ami/ennemi pour parler comme Carl Schmitt,  pour enfin régler de manière civilisée les conflits entre intérêts et souverainetés divergents.

 

Qu’ils étaient naïfs ceux qui en 1919 revenaient de l’enfer des tranchées et pensaient que la Première Guerre mondiale avait été « la der des der » d’une part, et, d’autre part, que les souffrances identiques d’un côté et de l’autre de la ligne de front avaient créé une sorte de communauté universelle de la souffrance qui devait logiquement ouvrir à une morale pratique du pacifisme, de l’entente cordiale, de la restauration de la morale politique chez les peuples et entre les peuples. Oui, naïfs ils l’étaient nos grands-parents et nos parents, car le pire était encore à venir. Entre 1914 et 1918, l’Europe n’avait vécu là que le premier acte d’une crise croissance de puissance entre les États, d’une crise qui a pour nom la modernité tardive, caractérisée par une Totale Mobilmachung engendrant un Weltburgerkrieg et ses conséquences hautement mortifères. Cependant c’est la seconde partie entre 1939 et 1945 qui en paracheva l’apothéose, si l’on peut dire, en créant un niveau inédit de violence à l’encontre des populations civiles, et ce d’autant plus que pour l’État nazi certains hommes, dont les juifs, avaient perdu leur qualité naturelle d’hommes.

   

Et c’est précisément à l’un des aspects de ce pire, de ce pire qui la touche au plus proche de son expérience existentielle, que se confronte Hannah Arendt au printemps 1961 à Jérusalem. Or, pour la majorité de ses amis juifs vivant en Israël et à New York, le pire n’avait pas été précisément envisagé comme la mise en mouvement du mal en tant que banalité techno-bureaucratique ! Ces gens, souvent touchés dans leurs familles, voire ayant eu à souffrir eux-mêmes de la déportation, regardaient les hommes qui avaient mis en œuvre le génocide comme les produits monstrueux d’une société monstrueuse dans l’histoire : le produit d’une tératologie de la société allemande. Donner foi à cela eût signifié pour Arendt qu’entre 1933 et 1945 l’Allemagne avait été une société dirigée par des malades mentaux. Or, si l’ensemble du personnel politique et administratif de l’Allemagne nazie avait été un rassemblement de malades mentaux, cela eût voulu dire aussi que la société, dans son ensemble (sauf les opposants socialistes et communistes déjà déportés), était une société de malades mentaux. Aussi la question se pose-t-elle : peut-on appliquer la notion de maladie mentale au socius en sa majorité ? Certains l’ont tenté, y compris pour les sociétés communistes, mais cela s’est révélé une très mauvaise et pernicieuse métaphore qui, de fait, interdit de penser le phénomène nazi et la société qui l’a produit ! Hannah Arendt ne le croit guère et sur ce point je la suis tout à fait. C’est justement en raison de cet abandon des limites éthiques (sur lesquelles je reviendrai) qu’Arendt (et elle ne fut pas la seule : cf. la première école de Francfort) saisit qu’il s’agissait là non pas de la folie furieuse de quelques chefs ayant entraîné un peuple dans leur haine vindicative, mais, au contraire, qu’on avait affaire à une révolution, la révolution brune : une nouvelle conception du socius moderne en train de se forger qui commençait à prendre corps après avoir mûri longtemps en silence ou avoir été différée en raison de certains aléas historiques qui la masquaient.[2]

   

Or cet abandon de toutes les limites éthiques n’était pas simplement un argument bon à nourrir le discours politique électoral comme beaucoup le crurent, il s’agissait bel et bien d’une foi et donc d’une conception métaphysico-biologique où la perception négative des juifs réels, conceptualisée en négativité absolue d’un Juif emblématique (comme à sa manière la figure du Slave), traduisait la nature ontologique de cette négativité, car, pendant la Première Guerre mondiale nombre de juifs allemands (y compris des socio-démocrates) avaient manifesté un nationalisme chauvin, un engagement sans arrière-pensées dans le combat contre la France, l’Angleterre et l’Empire russe, engagement qui n’avait rien à envier à celui des non-juifs. Par ailleurs, on ne peut passer sous silence la haine des nazis pour les socialistes et surtout pour les communistes. Si elle porta d’indiscutables crimes, il s’agissait néanmoins (et ce n’est pas une excuse, mais une interprétation) d’une haine politique et non d’une haine portée à la nature humaine d’un groupe d’hommes, c’était donc une haine ontique. Il va sans dire que cette négativité métaphysico-biologique, comme toute négativité sociale moderne s’appuyant sur le spirituel et le scientifique, trouvait son argumentation empirique dans le positif, en mettant au travail toutes sortes de disciplines scientifiques ou pseudo-scientifiques. Pour mettre en pratique cette négativité ontologique, l’État nazi avait à sa disposition une parfaite organisation bureaucratique, reposant sur une tradition déjà ancienne d’obéissance aveugle à la hiérarchie dans la chaîne du commandement qui conduit, selon Arendt, à cette perte de référence éthique, laquelle permet le déchaînement (à la fois la libération des chaînes éthiques et la radicalisation) du « tout est possible » de la modernité tardive, notion et concept qu’elle développait dans un ouvrage publié la même année, en 1961, La Condition de l’Homme Moderne et dans des textes qui paraîtront posthumes sous la direction de Mary MacCarthy, intitulés Qu’est-ce que la Politique ? Ce que souligne Arendt dans une démarche très marquée par la critique heideggérienne de la modernité technique comme ultime métaphysique, c’est que le « tout est possible » se tient lui aussi dans l’événement-avènement (Ereignis) de la modernité où se trouve déplacé le point d’Archimède de la pensée humaine en ce qu’il fait de la seule énonciation de l’objectivation par le cogito, le sujet pensant de Descartes (et donc le propre de la pensée scientifique), la vérité transcendante selon la formule de Saint Thomas reprise par Descartes adaequatio intellectum et rei. Si bien que cogito ergo sum, je pense donc je suis, se traduirait ainsi : ma pensée objectivante est la vérité du monde certes sous l’égide de Dieu, mais d’un Dieu si lointain, si hyperboréal,  qu’en s’éloignant, il a oublié les hommes qu’il avait créés. Or, avec leur foi intense, les juifs traditionnalistes des pays de l’Est avaient perçu dans cette tragédie lorsque, sur le chemin les menant à la mort, ils répétaient : « Dieu ! Pourquoi nous as-tu abandonnés ? ».[3].


  Or si une telle assertion, adequatio intellectum et rei est reprise dans le champ du politique sans plus aucune limite éthique, alors nous sommes placés sous l’emprise de ce « tout est possible » de l’objectivation socio-politique, y compris et surtout de celle qui construit l’objectivation de l’homme/race en tant que sous-homme, pis, en tant que non-homme. Arendt avait déjà rappelé dans le second tome des Origines du totalitarisme, intitulé De L’impérialisme, que c’était la manière dont les colonisateurs européens avaient traité les peuples colonisés, comme des sous-hommes et qu’ils avaient agi en conséquence : par exemple, « A good Indian is a dead Indian ».

 

C’est pourquoi ses réflexions sur Eichmann trouvent simultanément leur racine dans ce premier travail sur les événements qui préparèrent l’advenu des régimes totalitaires du XXe siècle et dans ses méditations sur la condition de la modernité, qui reprennent en substrat la notion de nihilisme développée tant par Nietzsche que par Heidegger, mais aussi par Benjamin et Adorno. Entre Eichmann à Jérusalem et ses autres travaux de critique politique, un fil rouge sémantique court plus ou moins visible qui relie tous ces textes, ce que bien des critiques parmi les plus acharnés du Rapport sur la banalité du mal n’ont jamais perçu, y compris un esprit aussi érudit et raffiné que Hans Jonas. Pour Arendt, c’est dans ce cadre qu’il faut penser le crime contre l’humanité, quand la fin (la victoire totale) justifiant les moyens, tous les moyens, l’usage des instruments de la guerre (les armes) et les cibles (militaires et civils confondus) n’ont plus d’autre importance face au résultat escompté par le sujet de l’énonciation stratégique.

 

Voilà, dans ses grandes lignes, ce que Hannah Arendt voulait mettre en exergue dans ses analyses du procès d’Eichmann. De mon point de vue, elle y a réussi magistralement. Il semble, et sans forcer le trait, que le film aborde ce thème avec une grande délicatesse, en particulier quand tout porte à croire que les amis juifs de Hannah Arendt comprirent de manière totalement erronée sa déconstruction du personnage Eichmann. Eux voulaient (et l’accusation aussi et derrière elle le jeune État d’Israël) que ce procès fut essentiellement celui d’un système hautement criminel. Mais une fois encore les opinions divergèrent. Arendt et celui qui était son second époux, l’ex-spartakiste philosophe Heinrich Blücher, pensaient que l’on ne pouvait faire en Israël le procès d’un système criminel qui concernait le monde entier, c’est pourquoi, d’une part le procès du système aurait dû se tenir en Allemagne d’une part, et d’autre part, Eichmann ne pouvait être tenu responsable que pour des crimes auxquels il avait directement collaboré, étant donné qu’un bureaucrate de son rang, à la place qu’il occupait dans l’organigramme de la mise à mort collective, n’a jamais tué directement de sa main un seul juif, cette besogne était dévolue à d’autres employés dans le cadre d’une stricte division bureaucratique du travail ! Ce qui révolte les amis d’Arendt, c’est que, si l’on suit ce raisonnement, Eichmann n’aurait pas dû même être mis en accusation en ce qu’il n’avait pas directement de sang sur les mains : en principe, les pays démocratiques condamnent les fauteurs de crimes, le responsable de l’acte, jamais l’intentionnalité, sinon il faudrait éliminer des centaines de milliers de personnes (ce que firent les nazis). Cependant, et au-delà de cette controverse sur la nature de l’accusation, qui a son importance car aujourd’hui on pourrait faire procès (mais ils sont morts) aux industriels étasuniens, y compris à ceux de Hollywood, qui ont intensément collaborés avec l’Allemagne nazie non seulement jusqu’à la déclaration de guerre en décembre 1941, mais au-delà comme General Motors au travers de sa filiale Opel.[4]

 

Déjà cette attitude d’Arendt de distinguer entre la banalité d’un fonctionnaire accomplissant avec zèle sa tâche qui vise à organiser la déportation pour un régime criminel et la criminalité concrète/abstraite du système politique lui-même irrita profondément ses amis qui ne percevaient pas de différence entre les crimes du système et la responsabilité personnelle telle qu’elle est définie dans les codes civils des pays démocratiques. Ici se pose la question abyssale de savoir si l’on peut appliquer le droit démocratique aux responsables de crimes ou soupçonnés de crimes réalisés dans des pays ayant la forme politique de la dictature totalitaire ? Cet essai n’est pas le lieu de développer ce point en sa totalité, néanmoins la question mérite d’être soulevée et rappelée pour aborder une partie de la problématique soulevée par Arendt. La question suggère un lourd problème de philosophie du droit en ce qu’il était impossible d’accuser Eichmann d’avoir enfreint les lois du Reich (et l’on regrette bien sûr qu’il ne les ait point enfreintes). Dès lors qu’on fait procès au nom des valeurs éthiques et juridiques de la démocratie, on ne peut pas appliquer au présupposé coupable une autre règle sous prétexte que le système qu’il servait était criminel et non-démocratique, puisqu’en droit n’est responsable que celui qui commet le crime. Car si l’on appliquait une juridiction de type totalitaire à ces criminels en col blanc, nous se comporterions comme les mêmes bureaucrates que nous condamnons non seulement du point de vue du droit, mais aussi de l’éthique. La colère des amis d’Arendt part donc d’un sentiment et d’une passion, du sentiment qu’elle eût manifesté une certaine mansuétude à l’égard de Eichmann, et d’une passion, celle d’une conception de la justice appliquée aux nazis qui se fonde sur une vengeance inexpugnable à l’égard de n’importe quel membre du Parti et d’autant plus violente quand les coupables avaient occupé de hautes fonctions dans la hiérarchie du Parti. Ses amis assumaient que  la notion de « banalité du mal », défendue par Arendt avec une grande rigueur conceptuelle, était, de fait, une remise en cause de l’unicité du génocide des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, ce qui au vu des textes publiés par Arendt relevait de l’absurdité.

 

Si Eichmann, lequel avait signé les ordres de déportation (jamais un ordre d’exécution, car ce n’était pas le bureau qu’il dirigeait qui s’occupait de cette « basse besogne »), n’était plus envisagé comme un acteur exceptionnel du système criminogène nazi, mais comme un simple rouage de l’énorme machine bureaucratique, alors, une fois débarrassé de sa conscience morale, il pouvait appliquer, sans doute aucun, les lois du IIIe Reich, et c’est ce qu’il fit. Si donc il n’y eut que banalité du mal, ce mal-ci déployé par les nazis n’était pas, en-soi, un mal exceptionnel, mais une variation radicale de la permanence du mal. C’est pourquoi le danger était grand pour certains de voir réduit à la banalité le mal en Eichmann, car pour Arendt c’est au cœur de notre modernité tardive que ce mal gît dès lors que le socius a perdu tous ses repères éthiques pour être à la disposition permanente (Vorhandenheit) du « tout est possible » de son nihilisme ontologique. Aussi un tel mal se pouvait-il répéter ad infinitum, servi par n’importe qui, avec d’autres protagonistes sur d’autres scènes : tous les hommes de tous les systèmes politiques qui perdraient à un moment ou à un autre leurs repères moraux, se transformeraient à un moment ou à un autre en incarnation d’un Mal certes abyssal, mais au bout du compte banal, parce que d’une banalité « humaine trop humaine ». Insupportable en effet, pour des hommes et des femmes qui avaient été déportés, qui avaient pour certains perdu leurs parents, des frères ou des enfants, et dont les souvenirs en 1961 étaient encore frais en mémoire.

 

A ce moment-là du rapport intervient en effet le divorce entre l’analyse et le sentiment, entre la déconstruction conceptuelle et la légitime émotion des années les plus sinistres d’une vie d’homme. A un ami de Jérusalem qui lui disait pendant le procès, « tu n’aimes pas les Juifs », elle répondit j’aime mes amis et la vérité, faisant passer de fait l’universalité de la critique de la nature humaine avant toute solidarité communautaire. Arendt avait donc choisi entre l’amour inconditionnel de la tribu et la vérité. Pour elle « Right or wrong my country » est un adage plus que dangereux puisqu’il peut mener à l’aveuglement politique, et au crime collectif. Car, nous le savons de longue date, ce ne sont pas les bons sentiments, ni les affects touchés au vif par les traumatismes réels d’une vie exposée aux plus grands dangers ni, au bout du compte, la vengeance qui font la bonne philosophie critique et la bonne analyse politique. C’est là justement qu’il convient d’admirer à la fois le courage, la détermination, la rigueur et l’honnêteté foncière d’Arendt qui, dans la meilleure des traditions platoniciennes qu’elle connaissait parfaitement, n’a pas voulu céder, même plongée dans une douleur et un deuil interminable qui l’habitait autant que ses amis, à ce que Platon eût nommé l’opinion, la doxa (l’opinion confuse). Hannah Arendt s’orienta en permanence vers la quête de la vérité derrière les apparences, vérité qui, toujours selon le philosophe grec, tient de la quête du bon, du beau et du vrai dans la contemplation de l’idée. A ce stade, on ne saurait nier qu’elle manifesta une volonté de fer orientée par une éthique inébranlable de dimension universelle… Et, c’est précisément au-delà même de l’actualité du procès d’Eichmann que la réflexion d’Arendt nous entraîne : si la sobriété de la quête du vrai engendre nécessairement de la compassion pour les victimes, elle ne peut s’encombrer de sentimentalisme, parce que c’est précisément cette sobriété de la compassion sans passions parasites qui nourrit la force de l’héroïne du Rapport sur la banalité du mal.

 

A présent, continuons avec l’autre aspect du rapport qui mit plus encore Arendt sur le gril  auprès de ses amis en relevant et dénonçant fermement les trahisons de certaines élites juives dans leurs relations avec les nazis. Son argument était clair : au lieu de collaborer, celles-ci eussent dû prêcher la résistance. Or, si en résistant il n’y aurait eu pas moins de victimes, au moins l’honneur, comme celui qui a rejailli de la révolte du ghetto de Varsovie, eût été non seulement celui des héros, mais celui d’un peuple entier, alors que ses élites laissaient conduire à la mort certaine des malheureux sans révolte aucune.[5] Cette passivité avait été déjà relevée par nombre de témoins, et discutée très tôt parmi les acteurs les plus politisés parmi les juifs d’Europe de l’Est, pour l’essentiel les membres du Bund[6] et partiellement du Parti communiste, les plus marginalisées certes parmi les élites juives… C’est cela aussi que le film met en exergue avec une précision et une justesse auxquelles ne manquent point une grande pudeur. Voilà l’aspect du débat qui a engendré la mise en forme de la dramaturgie du film où il est suggéré que pour faire face à l’histoire, pour être capable de la regarder dans le « blanc des yeux » selon la formule du dramaturge de l’ex-République démocratique allemande, Heiner Müller, et surtout quand cette histoire concerne des proches, on doit accepter qu’elle provoque une douleur irrépressible menant parfois à l’aveuglement. Or, de Lodz à Cluj en passant par Budapest et la France, nous savons que des autorités juives ont collaboré avec les autorités nazies afin d’encadrer, de classifier aussi bien les personnes que les biens des citoyens d’origine juive. C’est ainsi ! Certes en négatif, cette situation n’a fait que démontrer, contre le racisme métaphysico-biologique des nazis, contre la non-humanité dont les nazis accablèrent les juifs, que ceux-ci étaient des hommes, rien que des hommes comme tous les autres hommes : parmi eux il y eut des héros, des résistants plus rares comme partout, beaucoup de passifs et de pusillanimes comme la majorité, et un certain nombre d’arrivistes et de lâches prêts à tout pour sauver leur peau.

 

Or, c’est cette situation, au demeurant « humaine trop humaine » peut-être, que certains parmi les amis d’Hannah Arendt ne pouvaient accepter tant elle rompt l’image qu’ils s’étaient forgée d’un peuple juif composé uniquement de victimes sans défense, ce qui n’était pas faux, quand on pense à ces communautés archaïques du Yiddishland de l’Est de l’Europe, de la Pologne, de la Slovaquie, de la Hongrie de la Bucovine, de la Bessarabie, de l’Ukraine non-soviétique ou soviétique (voire l’affaire de Babi Yar et du massacre roumain d’Odessa, parmi tant d’autres), mais ce n’était pas le cas de la France ou des grandes villes hongroises ou transylvaines, ou en Bohème-Moravie… Bref, le refus d’admettre que, même au sein du peuple désigné par la vindicte métaphysico-biologique des nazis comme une masse de sous-hommes voués à la mort, il y eut des brebis galeuses qui aidèrent les criminels politiques à accomplir leur forfait, au lieu que de tout faire pour contrarier, autant que faire se pouvait, leurs sinistres desseins. Pourquoi les juifs eussent-ils échappé à ce qui était arrivé à d’autres peuples voués eux-aussi plus ou moins à l’extermination ? D’un côté les Russes eurent leur Vlassov, de l’autre, les partisans derrière les lignes allemandes, les Serbes, très vaillants résistants, eurent aussi leurs collaborateurs et leurs dénonciateurs, et les Grecs aussi, en dépit d’un puissant mouvement de résistance communiste et royaliste, et les Hollandais et les Belges et les Français[7]… Dans les situations tragiques, chacun devrait savoir, au moins post factum, que tous les choix, qu’ils soient celui du héros ou celui du traître sont tragiques, seuls les simples et les enfants sont absouts ou innocents. C’est peut-être l’une des deux plus grandes leçons que l’on puisse tirer du livre d’Hannah Arendt. De là l’extraordinaire avant dernière scène du film où, devant les étudiants de l’Université de Columbia, Arendt explicite les ressorts humains de cette trahison des élites et, mieux encore, cette notion-concept du politico-éthique qui scandalisa tant : la banalité du mal. A la fin de son discours, un certain nombre de ses amis juifs d’origine allemande ou étasuniens se détournent d’elle, l’amitié s’est brisée sur le particulier, dès lors que l’universel avait été privilégié pour accéder à la vérité.

 

Depuis la publication de ce livre, un certain nombre de commentateurs plus ou moins bienveillants ou malveillants tentèrent d’expliquer cette démarche en usant de toutes sortes d’arguments spécieux et captieux. D’abord, il y a cette tarte à la crème, la haine de soi qui ne veut strictement rien dire sauf dans des cas authentiquement pathologiques où le sujet se blesse ou cherche à se tuer volontairement pour attirer à soi une affection qui lui avait manqué pendant son enfance. Mais, que je sache, Hannah Arendt n’était pas folle, ni schizophrène ni paranoïaque ! Soit, et de manière splendidement inconsciente il y avait ceux qui, en empruntant à la thématique de la littérature antisémite (un comble !), empruntaient l’impatience et la nervosité juives (sic !) ; enfin, plus bas encore, ceux qui regardaient son inflexibilité analythique, qualifiée d’insensibilité au malheur des juifs engendré par les nazis comme une sorte de gage donné à son grand amour de jeunesse, Heidegger, pour lui pardonner en quelque sorte son adhésion au parti nazi et ses neuf mois de Rectorat, ce qu’il a qualifié lui-même dans son entretien publié post mortem par le Spiegel comme « la plus grosse bêtise de sa vie », « die größte Dummheit seines Lebens ».[8] La scène du film où cette autocritique apparaît est d’une simplicité, oserais-je le dire, adamique. Nous sommes en 1951, au moment où Arendt revient en Allemagne et retrouve Heidegger lors d’un rendez-vous médiatisé par Karl Jaspers. Ils sont là tous les deux seuls, se promenant sur le tapis herbeux et moussu d’un bois clairsemé quand, brusquement, elle se tourne vers lui et lui dit à peu près ceci : « Mais pourquoi avez-vous fait ceci ? » (le « ceci » étant l’adhésion au parti nazi en 1932) ; la regardant droit dans les yeux, il lui répond en substance : « Même les plus grands philosophes commettent des erreurs politiques ». A coup sûr, il devait faire allusion à l’expérience pitoyable et funeste de Platon auprès du tyran Dion de Syracuse.

 

En effet, il faut sans cesse le rappeler, en dépit des tentatives du style de Farias[9] ou pis, de Faye[10], la première démontée par Derrida, Granel, Aubenque et Fédier,[11] la seconde par Pascal David, François Fédier et d’autres[12], l’affirmation que la philosophie de Heidegger puisse nourrir le fond de la conception du monde selon le discours du racisme métaphysico-biologique nazi est une totale absurdité, quand ce n’est pas une simple ânerie. Il appert, lorsqu’on accorde crédit aux témoignages des étudiants qui suivirent les cours de Heidegger après sa démission du Rectorat (où il œuvra durant neuf mois marqués par son discours fondamental sur la réforme des études universitaire[13]), que le « maître secret de la pensée » comme le définissait Hannah Arendt, pratiquait une critique si subtilement radicale du régime nazi qu’elle effrayait plus d’un étudiant comme le rappelle Walter Biemel, devenu après-guerre et son éditeur en allemand et aussi son traducteur en français.[14] Or, nous le savons grâce au témoignage de Towarnicki (officier de liaison à l’État-major des troupes d’occupation françaises en Allemagne), une fois la guerre terminée, les plus acharnés parmi les dénonciateurs de Heidegger auprès des responsables de la dénazification dans la zone d’occupation française furent non seulement les intellectuels catholiques, mais surtout la hiérarchie catholique qui ne lui avait jamais pardonné l’abandon de la religion romaine pour une sorte de neutralité gnostique à l’égard du christianisme.[15]

 

Bref, c’est à partir de ce fond des débats contradictoires commencé dès 1946 dans Les Temps modernes avec Karl Löwith[16] et de Towarnicki, et qui se sont continués bien après la disparition de Heidegger et de Hannah Arendt (et qui, j’en suis sûr, continueront longtemps encore), qu’il faut saisir la manière dont Hannah Arendt perçoit un Eichmann comme bureaucrate de la mort installé au cœur de la banalité du mal. Plus encore, lors de son procès, Eichmann, soulignons-le, n’a jamais fait une référence quelconque à Heidegger, Nietzsche, Marx Scheler, Ernst Jünger ou à la révolution conservatrice, mais à Kant et aux néo-kantiens, ce contre quoi Arendt s’est élevée violemment, peut-être un peu trop vite de mon point de vue, si l’on songe que chez Kant, en ultime instance, la véritable transcendance politique c’est la Loi positive comme juge absolu des actes humains sous un Dieu si éloigné qu’il se nomme la Divine providence. C’est là l’argument permanent que reprend Eichmann pour sa défense, la Loi positive : « je n’ai jamais enfreint la Loi du Reich », dit-il en substance au président du tribunal de Jérusalem, en d’autres mots, « je n’ai jamais commis de crimes, j’ai appliqué la Loi d’un gouvernement légitimement élu ». Sauf que chez Kant la Loi est soumise à l’impératif catégorique éthique qui, dans ce cas précis, formulerait la chose à peu près comme ceci : la Loi politique ne peut jamais avoir pour finalité l’élimination partielle ou totale d’un groupe humain quel qu’il soit sous prétexte qu’il est ceci ou cela de singulier en son essence même de groupe humain (In seinem Wesen der menschlichen Gruppe)… C’est avec ce mode de raisonnement là, par le recours au kantisme qu’Eichmann explicite son contresens total sur le but politique de la Loi chez le philosophe de Königsberg. Obéir certes à la Loi, mais pour cela la Loi doit être non seulement légale, mais, et plus encore, éthiquement légitime.[17] On retrouve ici le dilemme ontologique du conflit entre le politique et l’éthique qui est à l’origine de la révolte légitime contre la Loi dès lors qu’elle est éthiquement inique, et donc illégitime. Il est là l’argument que voici vingt-cinq siècles Sophocle exposa pour la première fois de manière tragique dans son Antigone, et celui que Thomas d’Aquin, au XIIIe siècle, employa pour justifier le tyrannicide du Prince qui n’eût pas respecté la Loi divine. Eichmann avait tort, car justement, depuis les lois de Nuremberg, d’aucuns eussent été en droit de tuer le Führer et ses affidés, puisqu’ils avaient enfreint les fondements de la Loi morale aussi bien laïque que religieuse. Et c’est ce que tardivement décidèrent de faire les conjurés du 20 juillet 1944, avec les résultats désastreux que l’on sait.

 

La banalité du mal comme destin de l’Homme

 

Dans un livre remarquable, Das Böse oder Das Drama der Freiheit, (München, Hanser, 1997) Rüdiger Safranski démontre en substance ce qui est déjà annoncé dans le sous-titre, que le Mal est le fond même du drame que joue la liberté humaine. En reprenant ainsi une thématique chrétienne, l’auteur nous invite à repenser le fond de la nature humaine dans son espace socio-politique. En effet, le Mal se doit d’être présent afin que l’homme puisse exercer sa liberté individuelle, c’est-à-dire choisir le Bien pour son Salut, puisque d’aucuns le savent, chez les Chrétiens, du moins chez les latins (catholiques et protestants) et chez les orthodoxes, le Salut est affaire personnelle et non collective. En effet, sans le Mal comment puis-je ressaisir le Bien sinon en sachant précisément qu’il est l’ennemi du Mal toujours présent ? Mais surtout pourquoi l’Homme n’a-t-il jamais pu éradiquer le Mal (ou ce qui en tient lieu) en dépit de vingt-cinq siècles de travail philosophique et théologique, après de tant de guerres prétendues justes et ultimes, et de condamnations à mort de tyrans, et plus tard de dictateurs condamnés par des tribunaux internationaux, et après tant d’exécutions sommaires de tortionnaires, etc. ? Le Mal serait-il l’essence (das Wesen) de la condition humaine en dépit des saints (chrétiens), des renonçants (hindous), des sages (bouddhisme, confucianisme et taoïsme) parmi les hommes ? Pour élucider quelque peu ce dilemme tragique, je souhaiterais reprendre un concept de Heidegger mis en place dès sa première phénoménologie dans Sein und Zeit, à savoir que l’homme est « être pour la mort » (trad. Martineau) ou « être vers la mort »  (trad. Vezin), disons alors dans une synthèse bienvenue « être vers et pour la mort ». Mais cet « être vers et pour la mort » est bien celui de la nature animale, et donc corruptible, de l’homme, fait de chair et de sang comme n’importe quel mammifère, sauf qu’à la différence des animaux, « pauvres en Être » selon Heidegger (même les singes supérieurs), cet « être vers et pour la mort » a conscience de sa finitude et cherche, selon diverses procédures conceptuelles et rituelles que philosophes, historiens et anthropologues ont décrites, à conquérir l’éternité dans l’au-delà (Jugement dernier), l’en-deçà (réincarnation), par le culte des ancêtres, l’endo-anthropophagie (nombre de sociétés primitives) par exemple. Mais l’homme ne se réduit pas à cet être solitaire originaire dont parle Heidegger dans cette première phénoménologie, ni à l’humain antérieur à la fondation du Léviathan (Hobbes) ou du Contrat socio-politique (Rousseau). L’homme, lorsqu’il était homo, bien avant même d’être sapiens, était déjà un être social, et plus encore en tant qu’homo sapiens sapiens à l’aurore de la modernité, il fut cet être collectif défini plus tard par Aristote comme ζῷον πολιτικὸν/zóon politikon en tant qu’essence (das Wesen) du socius comme πολιτεία (politeia). Aussi est-il, de ce fait et par excellence, en tant qu’étant dans et pour le monde, l’être-pour-la-πολιτεία, c’est-à-dire l’être-là (das Dasein) de la puissance politique se définissant, vis à vis des autres puissances identiques ou différentes, dans le rapport ami/ennemi (Carl Schmitt), ou au sein de l’entité souveraine comme Homo homini lupus assertion de Plaute reprise par Hobbes pour expliquer la nécessité du Léviathan pacificateur par la violence. Donc, d’un côté imposer sa souveraineté et limiter celle des autres par la guerre, de l’autre maîtriser l’anarchie meurtrière de tous contre tous ou si l’on préfère la guerre civile qui n’est qu’une guerre de souveraineté politique à l’intérieur d’une frontière politique ou culturelle, par un État puissant et répressif. Dans tous les cas, l’homme en son socius originaire et dans le cours de son histoire a été et est en guerre permanente en ce que la paix n’a jamais été autre chose qu’une guerre en préparation, et ce depuis des temps immémoriaux, comme le démontrent les travaux de recherches archéologiques et anthropologiques sur les sociétés disparues ou primitives les plus anciennement connues.[18] Tant et si bien que ce n’est pas Kant, en dépit de l’admiration qu’Hannah Arendt voue au philosophe de la Loi positive transcendante[19] et que prétendait admirer et respecter Eichmann, qui eut raison, mais deux grands qui le suivirent, Hegel et Marx. Hegel pour ce qui concerne la violence guerrière entre les nations comme ferment indispensable de l’identification de l’homme-citoyen à son État-nation[20], et Marx, pour avoir relevé l’enjeu décisif de la lutte de classe (qui est l’une des formes de la guerre interne et externe) comme dynamique accoucheuse de l’Histoire, c’est-à-dire accoucheuse du devenir humain dans le champ de la modernité, ce que Nietzsche clarifia, en affirmant qu’il s’agissait du devenir du nihilisme européen qui conduit au triomphe du dernier homme.

 

Toutefois il convient de préciser un peu plus. Marx avança la définition du capitalisme comme l’« exploitation de l’homme par l’homme », ce qui me semble une évidence vérifiée quotidiennement non seulement à l’échelle d’un pays, mais de la planète globalisée, j’oserais adjoindre à ce constat que cette exploitation se tient dans l’implacable nécessité d’un capitalisme articulé autour de la guerre économique permanente selon une dynamique impériale qui implique, lorsqu’on l’observe à l’échelle temporelle de l’histoire de son propre déploiement depuis le XVIe siècle et la conquête de l’Amérique. Si le capitalisme est défini comme l’exploitation de l’homme par l’homme et réciproquement, il est, de plus et nécessairement, dans le cadre de cette guerre doublement économique entre nations pour la conquête des marchés d’une part, entre le capital et le travail d’autre part, le mode-à-être-dans-le-monde de la modernité qui s’articule fondamentalement sur l’« extermination de l’homme par l’homme », c’est-à-dire non pas sur le Dasein en tant qu’« être vers et pour la mort » dans sa détermination naturelle et la spiritualité de sa lutte contre la finitude, mais en tant qu’« être vers et pour la mort » en sa dimension sociétale, en tant que ζῷον πολιτικὸν/zóon politikon à la quête permanente du pouvoir.

  

Dès lors, on peut étendre la notion de banalité du mal, bien au-delà de la vie d’un médiocre bureaucrate devenu un grand criminel légal (mais illégitime) aux mains blanches, à l’ensemble de l’espèce humaine, au minimum depuis son émergence à l’autonomie de la pensée politique chez les philosophes grecs. En insistant sur Eichmann comme figure de la banalité du Mal, Arendt exclut tout recours à un cliché de l’analyse des régimes totalitaires, à savoir que les chefs seraient des fous, ce qui exonère la plupart des fonctionnaires de la mort et les peuples de leurs responsabilités directes et indirectes. Or, pas plus que les sociétés, les leaders des totalitarismes modernes ne seraient des fous, ils sont justement les figures incarnées d’un Mal banal, inhérent à l’homme social en tant ζῷον πολιτικὸν/zóon politikon. Ce qui ressort du discours final d’Arendt dans le film et de la conclusion de son ouvrage, c’est précisément ce point essentiel. S’il y a donc banalité du Mal c’est parce que le Mal est banal en ce qu’il tient de l’essence (Wesen) de l’Homme en son socius d’être-pour-la-πολιτεία (politéia) fondé sur la violence. C’est pourquoi seule la lutte permanente et personnelle pour imposer l’impératif éthique peut parfois nous sauver, nous éviter de nous transformer en criminels bureaucratiques directs ou indirects (indifférents aux crimes commis par d’autres, « qui ne dit mot consent » dit un proverbe français)… Cette lutte est héroïque, elle est même le seul véritable héroïsme de l’homme face à sa propre violence mortifère, que même l’État de droit (Léviathan ou Contrat social) ne peut contrôler à partir du moment où le droit de l’État est inique ou le Contrat léonin…

Dans son combat pour démontrer et desceller cette vérité qui se donne à l’homme comme une fatale nécessité, (νάγκη / Anánkê), Hannah Arendt, véritable Antigone des temps modernes, a manifesté un grand courage, fort rare parmi les intellectuels, dès lors que, s’opposant à la δόξα/doxa dominante (i.e. à l’opinion confuse) et à l’amour de la tribu pour énoncer une réalité plus cachée, elle mit à nu ce qui, dans la tradition platonicienne, n’était autre que le combat universel pour la Vérité et donc pour le Bien contre le Mal.

 

 


[1]          Il suffit de lire les descriptions des guerres de la Grèce antique, de celles qu’ont menées les Romains, plus tard celles des envahisseurs venus d’Asie ou de la Baltique, ou de la Croisade des Albigeois pour voir sous nos yeux des massacres généralisés de civils, des rapts, des captivités sans issues, etc… Mais c’étaient des sociétés encore sauvages, dirait-on ! Même la belle Grèce des philosophes l’était, qui n’hésitait pas à raser une cité et à passer au fil de l’épée tous ses habitants… De même, un type de violence extrême de cette sorte exista en Europe déjà prémoderne aux XVIe et XVIIe siècles, durant les guerres de religion en France et dans l’Empire allemand avec des massacres massifs de civils dont en France le plus bel exemple demeure la Saint-Barthélémy.

[2]          C’est cela que suggérait le texte magistral de Gérard Granel intitulé : « Les années trente sont devant nous », où il montrait combien ces années trente du siècle dernier étaient la préhistoire de tout ce qui était en train de se déployer pleinement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. In Etudes, Galilée, Paris, 1995. Cette préhistoire de notre contemporanéité est en partie décrite dans l’admirable film de Fritz Lang, Métropolis (1927), dans l’ouvrage d’Ernst Jünger, Der Arbeiter, (1931), et dans le roman emblématique de son antinazisme, Auf den Marmorklippen (1939). Pour avoir une approche historique de cette révolution cf., David Schoenbaum, Hitler’s Social Revolution: Class and Status in Nazi Germany, 1933-1939, Doubleday and Company, Garden City, 1966. Ce texte est la réfutation historique plus réussie de la conception du nazisme comme forme socio-politique antimoderne.        

[3]          Une fois auparavant Dieu avait abandonné quelqu’un, ceux que les chrétiens appellent son fils, le Christ. Et c’est peut-être l’une des raisons qui me portent à penser au fait qu’après la Seconde Guerre mondiale pour les non-juifs, les goyim, les juifs, après l’épreuve du génocide, étaient devenus, en quelque sorte, le peuple christique par excellence.

[4]          Charles Levison, Vodka Cola, Paris, 1977, cf., le premier chapitre ; et pour analyse plus générale, Geminello Alvi, Le Siècle américain en Europe, Paris, 1995.

[5]          Voir le document exceptionnel de K. Moczarski, Entretiens avec le bourreau, Paris, Gallimard, 1979. Ce document ne peut engendrer qu’une condamnation sans appel du régime de terreur nazi, mais en même temps nous révèle l’étonnement, la surprise, puis la violence des SS quand ils découvrent au jour le jour le courage et l’abnégation des révoltés ; voir aussi deux ouvrages essentiels pour la France publiés par Maurice Rajfus, le premier est préfacé par Pierre Vidal-Naquet, Des Juifs dans la collaboration, L'U.G.I.F. 1941-1944, EDI, Paris, 1980 ; le second, La Rafle du Vél’ d’Hiv’, collection Que sais-je ?, éditions PUF, Paris.

[6]          Bund, Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, Pologne et Russie, mouvement socialiste qui eut à se confronter, et parfois violemment, aux sionistes et aux communistes, liquidé par le PCUS en Russie dans les années 30, mais encore puissant en Pologne pendant la Seconde Guerre mondiale. La révolte du ghetto de Varsovie est essentiellement son œuvre.

[7] Cette ambivalence est explicitée à l’échelle d’un individu, dans la vie et l’œuvre de l’écrivain Maurice Sachs, cf. Le Sabbat. Souvenirs d'une jeunesse orageuse, Éditions Corrêa, Paris 1946 ; La Chasse à courre, Gallimard, Paris, 1997.
Voir aussi le film le plus pertinent pour illustrer cette thématique pour la France occupée : Le Chagrin et la pitié.

[8]« Gesprächt mit Martin Heidegger », in Der Spiegel, pp. 193-219. Entretien réalisé le 23 septembre 1966, et publié immédiatement après la mort de Heidegger, au mois de mars 1976. Réédité in Reden und andere Zeugnisse einess lebenswegses, GA, 16, Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main, 2000. C’est dans cette interview que Heidegger énonce aussi cette phrase à la foi lourde de sens et énigmatique : « Nur noch ein Gott kann uns retten ». En effet, Heidegger ne nous dit pas quel pourrait être ce dieu et s’il faudrait prier pour lui !

[9] Dans ce genre de littérature anti-heideggérienne fondée sur la plus grande bassesse, la mauvaise foi et la technique de l’amalgame le plus vulgaire, il faut lire, comme il convient, le livre de Victor Farias, Heidegger et le nazisme, Verdier, Paris, 1987.

[10] Emmanuel Faye, pratiquant le comble de l’hypocrisie et de la mauvaise foi avec des traductions fausses ou controuvées, donnant foi à de fausses informations sur les relations de Heidegger avec l’Eglise catholique dès sa décision de renoncer à la théologie, puis renonçant à regarder les textes de son rapport au pouvoir politique après le Rectorat, intitule son pénible amphigouri : Heidegger, l’introduction du nazisme dans la philosophie. Autour des séminaires inédits de 1933-1935, Albin Michel, Paris, 2005.

[11]        Jacques Derrida, interview dans leNouvel Observateur, 6-10 novembre 1987.

Pierre Aubenque, « Encore Heidegger et le nazisme », in Le Débat, N° 48, janvier-février 1988, pp. 113-123. Gérard Granel, « La guerre de Sécession ou Tout ce que Farias ne vous a pas dit et que vous auriez préféré ne pas savoir », in Le Débat, N° 148, janvier-février 1988, pp. 142-168, Cf., p. 152. Réédité in Écrits logiques et politiques, Paris, 1990.François Fédier, Heidegger-anatomie d’un scandale, Fayard, Paris, 1990. Pour une critique de qualité d’Emmanuel Faye cf. sous l’incitation de François Fédier, Heidegger à plus forte raison (Massimo Amato, Philippe Arjakovsky, Marcel Conche, Henri Cretella, Françoise Dastur, Pascal David, François Fédier, Hadrien France-Lanord, Matthieu Gallou, Gérard Guest, Alexandre Schild), Fayard, Paris, 2007. Voir encore l'excellent et roboratif essai de Maximilien Lehugeur, « Heidegger » : objet politique non identifié, La Pensée Libre, n°4, avril-mai 2005, http://lapenseelibre.fr/lapenseelibre.org. Voir aussi Claude Karnoouh, « Heidegger penseur de la politique », in L’Europe Postcommuniste, L’Harmattan, Paris, 2004.

[12]        Pour certaines mises au point de la position de Hannah Arendt, cf., Hannah Arendt, Martin Heidegger, Briefe 1925 bis 1975 und andere Zeugnisse. Hrsg. v. Ursula Ludz. Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2002, (Traduction française, Gallimard, Paris, 2001).

[13] Martin Heidegger, Die Selbstbehauptung der deutschen Universität, Breslau, 1933. En français, L’auto-affirmation de l’Université allemande, bilingue, T.E.R., Mauvezin, 1988, dans la traduction de Gérard Granel.

[14]Walter Biemel, Cahier de l’Herne Martin Heidegger, Paris, 1983. Après le rectorat et son discours (1934), ses collègues de Fribourg le considérèrent dès lors comme un doux dingue, tandis que les nazis le mirent sous bonne surveillance, l’accusant, ô comble de l’ineptie ! de pratiquer une philosophie judaïque : « Le sens de cette philosophie est l'athéisme déclaré et le nihilisme métaphysique généralement représenté chez nous par les écrivains juifs, et donc un ferment de décomposition et de dissolution pour le peuple allemand » (sic !), cité in Rüdiger Safranski, Ein Meister aus Deutschland. S. Fischer, Frankfurt/M. 1999, sûrement la meilleure biographie intellectuelle écrite sur Heidegger. Voir aussi, Silvio Vietta: Heideggers Kritik am Nationalsozialismus und der Technik. Max Niemeyer, Tübingen 1989.

[15] Frédéric de Towarnicki, À la rencontre de Heidegger. Souvenirs d'un messager de la Forêt-Noire, Gallimard, Paris, 1993. (Première publication dans les Temps modernes 1946) ; et Martin Heidegger. Souvenirs et chroniques, Payot-Rivages, Paris, 1999.

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29 juin 2013 6 29 /06 /juin /2013 17:12

 

 

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Après avoir été présenté comme un Etat démocratique modèle, le silence s'est installé sur le Mali jusqu'à la récente intervention armée organisée par la France, suite d'ailleurs à l'éparpillement des bombes à fragmentation diffusées par le conflit libyen, lui aussi organisé dès le départ avec une forte participation française. Toujours sous la supervision de l'OTAN et de sa puissance tutélaire. Conflit qui, dans les faits, est loin d'être terminé vu l'inexistence de fait d'un Etat en Libye. D'autres pays saharo-sahéliens étant eux-aussi désormais directement menacés de déstabilisation. Dans un monde capitaliste en crise économique et sociale profonde où la fuite en avant vers des guerres sans fin semblent être devenue la seule réponse admise par des élites à bout de souffle et d'imagination.

 

Beaucoup a il y a quelques mois été écrit et dit pour justifier, parfois critiquer, l'intervention française au Mali, mais le calendrier détaillé des événements n'a pas vraiment été rappelé à cette occasion, ce qui aurait permis de faire comprendre les causes originelles du conflit et leurs effets probables. Chose que nous proposons dans cet article qui replace par ailleurs toute la crise malienne dans son contexte régional, en particulier eu égard à l'Algérie désormais fortement menacée, ce qu'on a déjà pu constater avec les récents attentats visant ce pays. Comme toujours, on sait à peu près quand un conflit commence et où, mais les apprentis-sorciers qui les lancent savent rarement quand il pourra se terminer, combien de pays risquent d'y être engagés et qui en tirera en finale bénéfices, mis à part les marchands d'armes, de médicaments et les potentats énergétiques bien entendu. Les peuples eux, qu'ils soient « en voie de développement » ou « développés », paieront à coup sûr en définitive la note.

 

Un bilan de ce conflit en cours est néanmoins nécessaire pour prendre conscience des risques qu'il présente pour l'avenir de pays clefs.

 

La Rédaction

 

 

 



 

Guerre au Mali, bilan provisoire et perspective d’extension à l’Algérie

-

Été 2013

 

 

Par Karim Lakjaâ**

 

«La vivisection de l'Algérie poursuivie depuis 80 ans trouve maintenant moins de résistance, car les Arabes que le Capital français encercle toujours plusétroitement depuis la soumission de la Tunisie (1881) et du Maroc, sont réduits à merci », Rosa Luxembourg en 1912

 

Loin des caméras et des journaux télévisés, une guerre se livre au Mali dans la quasi-indifférence et dans un silence médiatique assourdissant. Il est vrai que la France a d’autres soucis. Affaires au PS : Cahuzac, Guérini (Conseil général des Bouches du Rhône), Fabius (fils), Kucheida (député – maire du Pas de Calais), Andrieux (député des Bouches du Rhône). Affaires à droite : Guéant, Sarkozy (Betancourt, Buisson, Karachi et Libye), Tapie – Lagarde (ancienne ministre aujourd’hui au FMI), Jean-Christophe Lagarde (député maire de Drancy). Sur fond de manifestions contre le mariage gay ; de résurgence de la violence des groupuscules d’extrême droite, allant jusqu’au meurtre de Clément Méric ; de chômage de masse : 100 000 emplois ont été détruits en 2012 et 20 000 l’ont été depuis début 2013.

 

Un contexte réjouissant tellement Marine Lepen qu’elle s’autorise à donner à l’actuel président français de la République, un satisfecit : « l’intervention au Mali est arrivée au bon moment, c’était une bonne décision ».

 

Peut-être y trouve-t-elle une réminiscence et un brin de nostalgie familiale lui rappelant l’action de son père en Algérie, Etat frontalier du Mali.

Quoi qu’il en soit le conflit qui agite le Sahara et le Sahel est uneguerre programmée depuis longue date.


 

I/ Une guerre programmée depuis longue date

 

Au début des années 2000, les Etats-Unis et leurs alliés ont pris pied au Sahel, à travers divers dispositifs :


- En 2002, la Pan Sahel Initiative (PSI)

- En 2005 Trans Sahara Counterterrorism Initiative (TSCTI)

- En 2007 Enduring Freedom Trans Sahara,

- En 2010, l’accord de Tamanrasset : l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger forment désormais un groupe de contre terrorisme. L’Algérie en est un élément clé en fournissant du matériel. En parallèle, à ce cadre, en mai 2010, des Forces Spéciales américaines, 12 pays européens et africains (Sénégal, Tchad, Allemagne, France, Espagne, Royaume Uni, Algérie, Tunisie, Maroc, Burkina Faso, Nigeria, Mali) ont conduit l’opération Flintlock.

 

Pour créer le décorum justifiant un tel déploiement, le Pentagone, déclare dès octobre 2007 que la ville malienne de Kidal constitue désormais « le nouveau front de la guerre contre la terreur ». Quid de l’Afghanistan et de l’Iraq ?

 

Il s’appuie sur le discours de l’ambassadeur algérien au Mali : « nous avons dit aux touaregs : vous côtoyez les GSPC (NDLR islamistes algériens), essayez de vous en débarrasser. Le gouvernement malien n’est pas en mesure d’agir. Il n’y a personne d’autre que les Touaregs pour agir ». Ils agiront d’ailleurs en tendant une embuscade aux islamistes, un général algérien assistant (participant ?) même aux combats.

 

L’année suivante face à la menace djihadiste le « Paris Dakar » est annulé.

 

Dès 2009, la France déploie en permanence des Forces Spéciales au Sahel. Plusieurs Groupes d’Actions Tactiques (GAT) sont sur place mobilisant en permanence la quasi-totalité des Véhicules de Patrouille Spéciales (VPS), 5 hélicoptères et 1 à 2 Avions de Transport et d’Assaut (ATA). Le 22 juillet 2010, ces troupes interviennent au nord Mali conjointement avec un contingent mauritanien. Le 9 janvier 2011, elles mènent une opération au Niger.

 

Barak Obama s’empresse dès son 1ermandat d’octroyer à l’Etat malien, une aide de 5 millions de dollars, constituée de véhicules et moyens de communication, dans le cadre du dispositif Plan Sahel. Pour une grande majorité, ils tomberont entre les mains des forces rebelles en 2012.

 

Cette année là, 18 millions de personnes souffriront de la faim au Sahel ; une donnée socio-économique peu mise en avant.

 

Début 2012, le nord du Mali est en proie à une énième agitation touareg.

Mais celle-ci est inédite. Au classique mouvement indépendantiste se joignent des touaregs islamistes (Ansar Eddine) et des djihadistes d’AQMI notamment algériens (ex GSPC) et du Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), pour beaucoup de retour de Libye. Ni AQMI ni le MUJAO ne sont maliens.

L’une des figures de proue d’Ansar Eddine est Iyad Ag Ghali, un vétéran des guerres de Libye (notamment de la guerre contre le Tchad, ce qui explique pour partie l’engagement du régime tchadien au Mali). Ancien conseiller consulaire malien en Arabie Saoudite, il est très marqué par le wahhâbisme, idéologie réactionnaire reposant sur une confiscation des principaux lieu saint de l’islam (la Mecque).

 

Dès le 19 janvier 2012, le principal appareil politico-militaire touareg historique, le Mouvement National de Libération de l’Azawad, déclare : « le MNLA se démarque de tout mouvement islamiste, de tout groupuscule radical dont l’idéologie est basée sur une quelconque vision religieuse. Nous tenons à dire également que nous n’avons pas besoin d’AQMI ou d’un quelconque mouvement religieux pour pratiquer une religion. Nous nous situons dans un contexte de laïcité conformément à notre histoire, à nos traditions et à nos cultures ».

 

Le 22 janvier 2012, le MNLA demande sur la base de l’article 1 de la Charte des Nations Unies, une consultation populaire sur l’autodétermination, comme le Polisario au Sahara occidental occupé par le Maroc. Il dénonce également la présence de groupes terroristes au Mali.

 

Son projet politique porte notamment sur l’annulation de tous les contrats signés par l’Etat malien dans l’Azawad et relatifs aux richesses naturelles. Le nord du Mali abrite, en effet, les principales réserves pétrolières, 2 filons d’uranium, 3 de manganèse, 1 d’or, 1 de phosphate. Depuis 2007, la société Oklo Resources Ltd (australienne) conduit des opérations d’exploration du sous-sol autour de Kidal, à la recherche d’uranium.

 

Le 24 janvier 2012 une centaine de soldats maliens prisonniers est exécutée par les rebelles à Aguelhoc.

 

Le 22 mars 2012 un coup d’Etat est opéré par le capitaine Amadou Sanago qui a suivi plusieurs stages aux Etats-Unis au sein de l’United States Marines Corps de Quantico (en 2004, 2005, 2007, 2008, 2010).

L’un des 1ers actes de la nouvelle junte consiste à rencontrer les compagnies minières, notamment la société Oklo Resources, le 28 mars, au titre de ses exploitations aurifères à la frontière mauritanienne.

Le coup d’Etat entraine de violents combats dans le Nord. AQMI, le MUJAO et Ansar Eddine récupèrent des blindés T54, BDRM2 et BTR 60.

Pour sa part, le MNLA déclare, le 6 avril 2012 l’indépendance de l’Azawad. C’est un point de bascule.

Le 20 avril 2012 à Bamako, un banal accident de la route révèle la présence de troupes US au Mali. 6 corps sont repêchés dans le Niger. 3 sont ceux de prostituées et les 3 autres appartiennent à des soldats du 91st Civil Affairs Battalion. L’un d’entre eux relevait de l’Intelligence and Security Command spécialisé dans la guerre électronique (interception téléphonique et de mails etc.).

Le 17 mai 2012, le MUJAO attaque le MNLA à Anefis.

Le 19 mai 2012, le ministre français de la défense Jean-Yves Ledrian s’entretient sur le Mali avec des responsables militaires américains lors du sommet de l’OTAN à Chicago.

De retour en France, il participe le 31 mai 2012 à une réunion consacrée au Mali avec François Hollande.

Le MUJAO chasse le MNLA de Gao en juin.

Le même mois, le Comité politique et de sécurité de l’Union européenne (COPS) se saisit du dossier malien.

Les Etats-Unis abordent la question autrement au cours de l’été 2012, peut-être en réponse à la mort de leurs 3 soldats en avril. Ils frappent militairement le nord du Mali.

En juillet 2012, 19 blindés BTR 60 et 70 d’origine bulgare sont bloqués à Conakry en Guinée. Selon, un expert militaire « la saisie de cette cargaison va bien sûr ôter toute possibilité à l’armée de Bamako de se lancer seule dans une offensive contre les islamistes désormais bien implantés à Tombouctou ».

 

Il s’agit d’une pression sur la junte pour qu’elle accepte des troupes africaines. Elle est efficace puisque le 18 septembre 2012, les « autorités de transition maliennes » adressent au Secrétaire général des Nations Unies une lettre dans laquelle elles demandent la création d’une force militaire internationale l’aidant à reprendre les régions « occupées » du Nord du pays.

Le 26 septembre 2012, lors d’une réunion informelle des ministres européens de la défense, Jean-Yves Ledrian poursuit son action en vue d’une intervention militaire en exhortant dans ce sens ses homologues.

Le 15 octobre 2012, la Direction de la planification de la gestion des crises présente les conclusions du comité politique et de sécurité de l’Union européenne (COPS) en conseil des ministres de l’UE.

 

Parallèlement, Barak Obama rencontre ses conseillers pour envisager de nouvelles frappes au Mali.

Fin octobre 2012, le Commandement des Opérations Spéciales (COS) français prépositionne une Task Force de 250 hommes au Burkina Faso dotée de 6 hélicoptères, de 2 ATA, de véhicules de types VPS, P4 VLRA.

Le 31 octobre 2012, le ministère de la défense décide de préparer l’envoi massif de troupes. L’accélération du retrait des troupes françaises d’Afghanistan s’inscrit dans ce cadre avec en octobre le retour de 2000 hommes.

Du 16 au 21 novembre 2012 ont lieu de violents combats entre le MNLA et le MUJAO soutenu par AQMI.

Le 22 novembre 2012, Jean Félix Raganon, représentant spécial de la France pour le Sahel reçoit à Paris, Bilal Ag Achérif, à la tête d’une délégation du MNLA.

Début décembre 2012, un poste de commandement régional est installé au Tchad. Il s’agit du Joint Forces Component Command de l’Afrique Centrale et Ouest (JFACCAFCO) composé de 39 militaires français. Il gère une cinquantaine de sorties aériennes par jour.

Le 11 décembre 2012, la décomposition de l’Etat malien atteint son acmé avec la démission du 1erministre et la dissolution du Gouvernement.

La situation malienne devient une question internationale le 20 décembre 2012 avec la résolution 2085 du Conseil de sécurité des Nations Unies présidé alors par le Maroc.

Le Conseil considère que les groupes terroristes et réseaux criminels constituent une grave menace sur la population du Mali, la stabilité du Sahel, de l’Afrique en générale et de Communauté internationale.

Il est vrai que le Mali même s’il est un Etat défaillant, démantelé par les politiques du FMI et de la Banque mondiale est le 3ème producteur d’or après l’Afrique du Sud et le Ghana. Qu’il regorge de fer, de bauxite, de lithium, d’uranium, de diamants, de gaz et de pétrole.

 

Face à la vacuité étatique malienne, aggravée par la crise du prix du coton, les privatisations, l’achat massif de terres aux paysans par des sociétés minières, des organisations humanitaires (religieuses) financées par certains Etats se sont substituées aux pouvoirs publics. L’économie de contre bande qui a toujours existé sur ce carrefour géographique prend une place industrielle génératrice de revenus et de pouvoir.

 

La décomposition de l’Etat malien a laissé le champ libre aux organisations de djihado-narco-trafiquants qui ont imposé leur férule aux populations (amputations, viols, destruction du patrimoine culturel, imposition d’un mode de vie, terreur, enrôlement de force, etc.).

Le Conseil de sécurité exige que les groupes rebelles maliens (MNLA et Ansar Eddine) rompent tout lien avec AQMI dont le MUJAO.

Le ministre des affaires étrangères du Mali dénonce devant le Conseil la « criminalité transnationale » et « logique de sécession », ayant en tête, comme l’ambassadeur marocain, le cas récent du sud Soudan.

L’alinéa 14 de la résolution 2085 (2012) invite les Etats membres à fournir tout type d’aide nécessaire pour réduire la menace posée par les organisations terroristes (AQMI, MUJAO et groupes extrémistes qui leur sont affiliés). La résolution faisant référence au Chapitre VII de la Charte des Nations Unis, elle ouvre la porte à l’exercice d’une coercition militaire à l’égard des entités non étatiques sévissant au Nord Mali et dont les 3 000 à 6 000 hommes armés représentent « une menace pour la sécurité et la paix internationales »…

 

Le prétexte est vite trouvé pour justifier l’emploi de la force.

 

Le 10 janvier 2013, une colonne d’une centaine de véhicules transportant 1 200 djihado-narco-trafiquants se dirige vers Bamako. Le Président de la République Française reçoit une lettre de son homologue malien demandant une intervention de la France dans le cadre de la résolution 2085 (2012).

Depuis le 8 janvier 2013, 3 Mirage D de la base Nancy et des Tankers de l’escadron « Bretagne » d’Istres sont en état d’alerte. Le 1eraéronef décolle à 10h25, le mercredi 9 janvier soit avant la réception de la lettre…

En fait, il existe 2 lettres. La 1èrea été rédigée directement par le Président malien. Mais elle a été recalée par l’Elysée. Une seconde version a donc été élaborée dans laquelle Paris dicte précisément les conditions et modalités de son intervention.

 

II/ Une guerre qui dépasse les frontières du Mali

 

S’ouvre donc en janvier 2013, une guerre dont le théâtre d’opération apparent semble être le seul territoire malien.

En fait c’est l’ensemble du Sahara et du Sahel qui est concerné : Algérie, Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Libye, Mauritanie, Maroc, Niger, Nigéria, Sahara occidental, Sénégal, Soudan, et Tchad.

Comme le souligne le chef d’état major de l’armée de l’air française, le général Denis Mercier, « dans le cadre de SERVAL, nos appareils décollent de 6 ou 7 pays différents et évoluent dans un espace aérien que nous avons remodelé ».

Le théâtre s’étend aux bases militaires impliquées :

- En France : Saint-Dizier, Evreux, Istres, Nancy, Mont de Marsan, Lyon-Mont Verdun

- En Espagne (Moron)

- En Italie (Sigonella)

Il comprend également les principaux membres de l’OTAN participant contribuant à l’opération SERVAL : Allemagne, Belgique, Espagne Etats-Unis, Canada, Danemark, Italie, Pays-Bas et Suède (non membre de l’OTAN mais du partenariat pour la paix de l’OTAN)

 

Enfin, cette guerre est mondiale de part son aspect électronique, comme le souligne le Colonel Goya : « Pas un pas sur internet sans tomber sur des documents valorisant nos soldats, expliquant la position de la France dans toutes les langues et noyant d’images positives les chasseurs de scandale. Les points clés de Google, Youtube et autres réseaux sociaux ont été occupés dès les 1ersjours de l’opération SERVAL par le groupement tactique internet et ses innombrables geeks – réservistes ». SERVAL passe donc également par la manipulation de l’information.

 

IV/ Le dispositif militaire français

 

Pour faire face aux 6 000 hommes armés représentant une menace pour la sécurité et la paix internationales, en réalité 1 500 à 2 000, dont 1 000 pour AQMI, la France a mis en place un dispositif de taille.

 

Celui-ci intègre 5 000 personnels présents directement ou non sur le territoire malien.

Ce dispositif ce caractérise par une contribution majeure des Forces spéciales du COS avec 500 hommes sur les 3000 qu’il compte (soit 16%), notamment les Commandos Parachutistes de l’Air (CPA 10 CPA 20 CPA 30) qui ont fourni une centaine de combattants. Auxquels il faut ajouter les Commandos Marine (commando Trépel), le Groupement de Commandos de Montagne (GCM), le Groupement des Commandos Parachutistes (GCP), le 4èmeRHFS et l’Escadron Poitou. Ce dernier pour l’opération SERVAL a mobilisé 12 hélicoptères sur ses 40 (30%), 4 de ses 5 ATA (80%).

Parmi les régiments composant le dispositif figurent le 2èmeREP, le 1erRCP, le 13èmeRDP, le 1er RPIMA, le 3èmeRAMA, le 11èmeRAMA, le 1erRIMA, le 2èmeRIMA, le 21èmeRIMA, le 17èmeRGP, le 6èmeRG, le 92èmeRI, le 126èmeRI, le RCIM et le 68èmeRAA

En quelques jours, la quasi-totalité du dispositif Epervier basé au Tchad a migré pour le Mali.

Sur le plan aérien, les Escadrons Ardennes, Champagne, Gascogne, Navarre, Normandie Niémen et Provence ont été engagés.

La base aérienne d’Istres a acheminé au Mali en seulement 10 jours, 400 tonnes. Pour l’opération Harmattan en Libye, elle a transporté 800 tonnes mais sur 125 jours. On mesure là toute l’amplitude de l’effort militaire français.

La débauche de matériels constitue un autre moyen de mesurer l’ampleur de l’engagement militaire.

74 aéronefs ont été déployés : 6 Rafale, 2 Mirage F1CR, 6 Mirage 2000 D, 12 Avions de Transport d’Assaut (C130 et 160), 2 ATA du COS, 1 C130 du COS (C3ISTAR Control, Command, Communications, Intelligence, Surveillance, Target Acquisition, Reconnaissance), 1 Gabriel (Renseignement), 5 Tanker C-135 FR (Jamais la France n’a déployé autant de Tankers dans son histoire), des A310, 5 Atlantique II de la Marine (Renseignement et bombardement GBU), 2 drones Harfang, 10 hélicoptères Gazelles, 8 hélicoptères Tigre.

L’opération SERVAL concentre à elle seule 58% des aéronefs utilisés dans le cadre des opérations extérieures militaires françaises.

Avec 12 ATA, elle a enregistré la plus grosse opération parachutiste depuis Suez (1956).

Rien d’étonnant donc dans les propos du chef d’état major de l’armée de l’air française, le général Denis Mercier : « un constat m’a frappé au cours de l’opération SERVAL : l’armée de l’air n’avait jamais atteint le niveau opérationnel qu’elle a aujourd’hui ».

Les aéronefs de combat ont employé des bombes lisses à 75 000 € pièce, des GBU à guidage laser à 120 000 € pièce, des Armements Air Sol Modulaires (AASM), des Bombes MK82 airbust. L’usage de ces dernières est une parade à l’interdiction des armes à sous-munition. Il s’agit de bombes à fragmentation et effet de souffle emportant 89 kgs d’explosifs.

 

Pour assurer le déploiement de cet arsenal volant sur le Mali, il a fallu déshabiller la protection opérationnelle du territoire. Ce dispositif permanent assure la sureté de l’espace aérien français. Les Rafale de Creil qui en ont la charge ont été affecté à SERVAL et remplacés par des Mirage 2000 C et 5, nettement moins performants. Il a été également nécessaire de mobiliser des appareils des Forces aériennes stratégiques (FAS) en charge de l’emploi de l’arme nucléaire aérienne et par conséquent d’amoindrir cette composante.

 

La presse a repris en cœur et à l’unisson le nombre de 450 véhicules dont 200 blindés, soit : une vingtaine Amx 10 RC (blindé à roues et canon de 105 mn de 20 tonnes), des ERC-90 sagaie blindé à roues et canon de 90 mn de 10 tonnes (au moins 18), 36 VBCI (blindés à roues 30 tonnes transport de troupes), 150 VAB (blindés à roues 13 tonnes transport de troupes), 4 CAESAR (canon sur plateforme camion), une centaine de VBL (jeep blindée).

Mais en comptabilisant l’ensemble des véhicules (P4, PVP, GBC, TRM), ils seraient plus exactement 700…

 

V/ Une opération de l’OTAN sur le plan logistique

 

Déplacer une telle force, la France en était incapable seule.

Elle a donc fait appel à des moyens privés en louant des avions (2 Antonov 124 ukrainiens, des An 22 et II 76) dans le cadre du contrat SALIS de l’OTAN, et 3 navires cargo l’Eider, le MN Pélican et l’Ark Forwarder. Les 15 premiers jours de location des avions ex soviétiques auront couté à eux seuls 50 millions d’€.

L’appel au privé est allé beaucoup plus loin. La Direction des Renseignements Militaires a loué à la compagnie CAE aviation un avion de renseignement - surveillance de type Merlin IIIC de la société CAE Aviation Luxembourg.

 

La France a également fait appel aux principaux Etats membres de l’OTAN et alliés.

En 1erlieu, les Etats-Unis qui ont tenté de faire payer en euros leur aide caractérisée par son importance en moyens et la diversité du panel de surveillance offert : 1 Awacs (basé à Dakar) , 1 drone Globalhawk (basé à Sigonella en Italie), plusieurs drones MQ1 Predator (armés, basés au Niger), 1 avion PC3 Orion de surveillance (basé à Sigonella), 1 PC 12 et 1 U28 de surveillance (basés à Ouagadougou et à Niamey), des 3 tankers KC 135 R (déplacés de Mildenhall en GB à Moron en Espagne), 3 C17 (basés à Istres). En 15 jours, les C17 ont transportés 1200 tonnes et 950 passagers. Les KC135 et C17 sont sous contrôle opérationnel français mais pas les moyens de renseignement.

Les autres contributeurs sont l’Allemagne, (2 C160, renseignement satellitaire et 1 A310), la Belgique (2 C130, 2 hélicoptères à vocation médicale et 1 A330), l’Espagne (1 C30 basé à Dakar avec 50 personnels au sol), le Canada (2 C17 basés à Istres avec une quarantaine de personnels. Du 16 janvier au 2 février 2013, ils assurent le transport de 450 tonnes de fret), le Danemark (1 C130 J basé à Evreux et la mise à disposition d’un pilote auprès du JFACC-AFCO au Tchad), la Grande-Bretagne (1 Sentinel R1 de renseignement et basé à Dakar et 2 C17, 1èremise en œuvre de l’accord de défense franco-britannique du 2 novembre 2010), l’Italie (1 tanker KC-767), la Suède (un créneau de 40 heures de vol sur C17), les Pays-Bas (1 tanker KDC 10).

 

SERVAL n’est donc point une opération strictement française comme présentée dans les médias. Ainsi, le Général Vincent Desportes estime : « nous avons perdu notre autonomie stratégique ». Quant à l’expert européen Nicolas Gros-Verheyde, son constat est des plus cruels : « sans l’apport précieux et couteux des alliés, c’est bien simple, l’Opération Serval n’aurait pas duré plus de 72 heures ».

 

VI/ Les troupes africaines entre alibi et participation aux combats

 

Si la contribution de l’OTAN a été peu mise en avant, a contrario celle des Etats africains a été survendue.

Il est vraie que la résolution 2085 (2012) dispose que intervention au Mali est menée « sous conduite africaine ». La force d’intervention est d’ailleurs intitulée MissionInternationale de Soutien au Mali sous conduite Africaine (MISMA).

 

En dehors des françaises, les troupes au sol sont donc essentiellement africaines : Nigéria 1 200, Bénin 650, Togo 540, Niger 500, Sénégal 500, Burkina Faso 500, Guinée 125, Ghana 120.

Elles constituent une action de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest(CEDEAO). Les relations entre les membres de cette organisation régionale ne sont pas toujours au beau fixe. D’ailleurs, afin de fluidifier ce relationnel et de débloquer des troupes, la Cour internationale de justice (CIJ) a rendu le 16 avril 2013 un jugement de Salomon au sujet d’un ancien contentieux frontalier entre le Burkina et le Niger, libérant ainsi la soldatesque mobilisées sur les 375 kms de frontières disputées.

La MISMA créée par la résolution 2085 (2012) a été transformée en Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA)par la résolution 2100 (2013) du Conseil de sécurité.

 

Mais l’apport africain le plus important s’est fait en dehors de ce cadre. Il s’agit de celui du Tchad qui a fourni 85 millions d’€ et 2 000 hommes, sous commandement du fils du Président Idris Déby. Contrairement aux forces de la MISMA, les soldats tchadiens ont pris une part active aux combats, directement aux cotés des troupes françaises. Ils en ont payé le prix fort avec au moins 70 morts dont le commandant des Forces Spéciales tchadiennes Abdel Aziz Hassane Adam. Cet engagement renvoie à diverses motivations. La 1èred’entre-elles réside peut-être dans la volonté de régler son compte à un vieil ennemi, le responsable d’Ansar Eddine, Iyad Ag Ghali qui combattit le Tchad au sein de l’armée libyenne de Kadhafi. Il s’agit également du renforcement de la place du Tchad sur la scène africaine et d’opérer une démonstration de force à destination des opposants, notamment ceux sécessionnistes, susceptibles de vouloir imiter le voisin sud soudanais.

 

Alors que le Tchad intervenait au Mali, Déby arrêtait même plusieurs députés et journalistes ce justifiant comme suit : « l’intervention au Mali ne devrait pas être pour une petite minorité de mes compatriotes une occasion pour déstabiliser le Tchad ». Il dénonçait « une conspiration qui n’était pas un coup d’Etat mais plutôt une tentative d’organiser un printemps arabe ».

 

Au-delà, l’Union africaine tirant les leçons du Mali a décidé de se doter de « troupes de choc » ou « Capacité Africaine de Réponse Immédiate aux Crises » (CARIC), selon la présidente de la commission de l’Union africaine, Dlamini-Zuma. Le continent africain sera découpé en 5 « régions économiques » (cette terminologie en dit long), chacune dotée d’une brigade forte de 5 000 hommes (l’équivalent du dispositif français SERVAL), de 720 policiers et de 60 civils. L’imitation de SERVAL (et ses GIAT) est également flagrante puisque chaque réserve de 5 000 soldats comprendra 3 groupements tactiques constitués de 3 bataillons de 850 soldats, d’une compagnie d’artillerie et de blindés légers, d’une escadre aérienne de 400 aviateurs dotés d’avions et d’hélicoptères d’assaut.

 

VII/ Des combats sérieux

 

Nous l’avons vu à travers les pertes tchadiennes, les combats ont été particulièrement violents. D’ailleurs dès le 1erjour officiel de SERVAL, la France subissait son 1ertué au combat. Au 5 juin 2013, 6 soldats français avaient été tués.

Au Mali, la France a opéré en tirant les leçons de l’Afghanistan et de l’Iraq. D’ailleurs le colonel Goya, qualifie SERVAL d’Enduring freedom (invasion US de l’Afghanistan) à la française.

 

L’arrêt de la colonne motorisée de djihado-narcotrafiquants (les frères d’arme de ceux que la France et ses alliés soutiennent en Syrie) le 11 janvier n’est pas sans rappeler les bombardements US de 2002 contre les forces talibanes avec des FS au sol et des moyens aériens. Il convient bien sur de relativiser la comparaison. Le budget de l’armée de l’air française représente 4% de l’US air Force.

 

Le 13 janvier 2013, 4 Rafale partis de Saint-Dizier lâchent 21 bombes sur le Mali après un périple de 4 000 km et une mission de 9h.

La remontée vers le nord malien quant à elle évoque « la chevauchée fantastique » mécanisée vers Bagdad de 2003 des troupes aéroterrestres américaines, caractérisée par sa grande vitesse de progression opérative.

Les djihado-narcotrafiquants ont été bousculés dès la 1èrefrappe officielle qu’ils n’ont pu éviter comme le combat qui s’en est suivi. Il s’agit alors de l’opération Shilka du nom du système d’arme anti aérien monté sur les pickups djihadistes.

 

Ceux-ci sont contraints d’adopter trois postures différentes.

 

Pour certains, un repli tactique a été opéré vers le nord. Ils seront rattrapés dans le massif de l’Adrar où se déroulera l’opération « Panthère » menée conjointement par la France, le Tchad et le MNLA en vue de la destruction des unités d’AQMI du MUJAO et d’Ansar Eddine. Comprenant la manœuvre d’encerclement franco-tchadienne, une partie des djihadistes s’enfuie vers la Libye. Une autre décide de fixer les troupes franco-tchadiennes dans une bataille qui n’est pas sans rappeler celle de Tora Bora en Afghanistan mais aussi les combats entre le Hezbollah et Tsahal au Liban.

 

D’autres ont laissé passer la vague se cachant, attendant l’heure de la riposte sous forme d’embuscade et d’attentats. Ils feront l’objet de l’Opération Doro autour du fleuve Niger, conduite par les troupes maliennes et africaines de la MISMA sous encadrement français.

Les principaux faits d’armes djihadistes sont les suivants :

08 février : 1erattentat suicide à Gao

08 février : embuscade contre les troupes tchadiennes, 40 morts dont 2 colonels (nord mali)

09 février : arrestation de deux porteurs de ceinture d’explosif

10 février : combat dans Gao. Des hélicoptères français bombardent les rebelles réfugiés dans le commissariat central, de cette ville officiellement « libérée » deux semaines auparavant.

19 et 20 février : un hélicoptère Tigre reçoit 26 impacts

21 février : attentat à la voiture Kidal

22 février : échanges de tirs à Askia

6 mars : mort d’un soldat français à Tin Kératine dans une embuscade

21 mars : voiture piégée à l’aéroport de Tombouctou

23 mars : nouvelle infiltration dans Gao

31 mars : attaque à la ceinture d’explosif à un barrage à Tombouctou et attaque de nuit par un commando d’une quinzaine rebelles

12 avril : nouvel attentat suicide à Kidal tuant 3 soldats tchadiens

10 mai : tentatives d’attentat contre le campement des soldats nigériens à Gao et à Gossi contre des soldats maliens

Date indéterminée : un VPS du COS détruit par une attaque à l’IED.

Au courant du mois d’avril 2013, le général Olivier Gourlez de la Motte reconnaissait que dans le cadre de SERVAL avait été consommés 2500 obus de 30 mn (75 € pièce), 800 de 20 mn, 20 missiles HOT et 200 roquettes de 68 mn.

 

Dans ce conflit, comme en Afghanistan et en Iraq, les Forces Spéciales ont joué un rôle essentiel. C’est en effet le COS qui ouvre le bal le 11 janvier 2013. La veille, il avait pris soin de prépositionner des hélicoptères Gazelle Hot (missiles) et des Gazelle canon à Mopti. Depuis plusieurs semaines, elles étaient prépositionnées au Burkina Faso. C’est elles qui dans le cadre de l’opération Shilka ouvriront le feu sur la colonne motorisée descendant vers Bamako. C’est le 4èmeRégiment d’Hélicoptères des Forces Spéciales qui le 11 janvier enregistrera le 1ermort français. Lors de ce 1ercombat (officiel), le COS déploiera également des PATSAS (Patrouille motorisée Stick Action Spéciale) qui engageront également la colonne de 150 véhicules avec leurs miniguns M134D et M3M, et des tirs de missiles milan.

 

L’action du COS passera également par la prise d’un pont à Gao par la Cellule 14A du CPA. Le CPA 20 assurera le balisage de pistes pour hélicoptères, ou de largage de matériel ou de parachutistes (250), le sniping, le tir d’élimination des poseurs d’IED en Iraq, les fouilles opérationnelles. Dans ce cadre le 6èmeRG collectera 1 000 roquettes, 60 000 munitions, 1 500 obus une vingtaine d’obusiers de type D30 (de 122 mn) et de Lance Roquettes BM21.

 

Notons également des infiltrations pédestres de plusieurs jours pour le 2èmeREP et le 1erRCP.

Quant aux GTIA, ils constitueront un poing de fer autour de colonnes blindées – mécanisées accompagnées d’hélicoptères et précédée par des FS.

Enfin, la troisième dimension sera totalement maitrisée. L’armée de l’air et l’ALAT utiliseront l’espace aérien français, espagnol, marocain, algérien, tchadien, nigérien, mauritanien, sénégalais, burkinabais.

La voie aérienne permettra de délivrer du matériel. En janvier 2013, la seule base d’Evreux assure le transit de 1 900 tonnes de matériel.

Elle permettra également de délivrer du fer et du feu sur l’ennemi. Le 11 janvier, 4 Mirage 2000 D en provenance du Tchad frappent le nord du Mali. La 1èrebombe est lancée par le pilote qui avait été déjà le 1erà frapper la Libye.

Abou Zeid sera tué suite à un bombardement effectué par un Mirage 2000 lâchant une bombe airbust et par mesure de sécurité la carcasse de son véhicule sera frappée par l’artillerie (Caesar).

La troisième dimension est également source de renseignement.

 

VIII/ Obsolescence de l’appareil militaire et attrition

 

Le dispositif aérien de l’opération SERVAL et des alliés de la France a connu depuis janvier 2013 de sérieux problèmes.

Certes, les Djihado-narcotrafiquants ne disposent d’aucune aviation. Ils sont réputés détenir quelques missiles obsolètes (SA7) et surtout des armes anti-aériennes comme les Shilka montées sur pickup. C’est d’ailleurs avec de telles armes que le 1ersoldat français sera tué.

 

Le chef d’état major de l’armée de l’air française, le général Denis Mercier estime donc logiquement que la menace sol air est faible.

Pourtant, les aéronefs impliqués dans la guerre du Mali ont connu un taux d’attrition élevé.

Les tankers (avions citernes) ont été une véritable cause de tourments.

Le 8 janvier 2013, le C-135 FR sensé assurer le refuelage de Mirage connaît un problème de jauge de carburant. Un KC-135 casse sa perche lors d’une opération de refuelage avec un Rafale. Un tanker C135 FR de l’escadron Bretagne rencontre un problème sur un volet intérieur droit. Le même jour un autre tanker est en panne sur la base de Moron. Or ces aéronefs sont essentiels, une mission entre la France et le mali nécessite 5 refuelages.

 

La capacité des avions assurant les missions cinétiques (bombardement) est également source d’interrogation.

Le 17 janvier, à l’occasion de la destruction d’un blindé BRDM-2, en zone urbaine, entouré de maisons, le système de visée d’un mirage F1CR tombe en panne. Son ailier est contraint de réaliser 3 passes d’obus de 30 mn en milieu urbain.

Les Mirage 2000 peuvent théoriquement emporter 4 bombes GBU mais n’en emmènent que 2 en position centrale pour éviter tout problème.

Les Rafale peuvent tirer des GBU ou des AASM, mais il n’est pas possible de panacher leur emport.

Toutefois, les difficultés principales proviennent des hélicoptères.

Le taux de disponibilité du Tigre (fleuron industriel européen) est de 40 à 50 % selon le général Olivier Gourlez de la Motte, contre 75% pour le parc d’hélicoptères bien plus ancien comme les Gazelles. Pourtant, ces dernières constituent un parc vétuste datant de 1971 usé par l’Afghanistan et le Tchad.

Deux Tigres sont au tapis. L’un ayant reçu 27 impacts de ferraille (seulement) et un autre touché sur une pale sont immobilisés.

Un Caracal du 4èmeRHFS ayant eu un souci de turbine a été endommagé par un atterrissage forcé abimant son nez (pod de reconnaissance) et sa poutre. Qui plus est, le Caracal est l’objet d’une restriction d’usage posée par son constructeur, entrainant le recours aux anciens PUMA Resco.

L’utilisation d’hélicoptères a engendré bien plus d’attrition qu’en Lybie ou en Afghanistan.

En 50 jours de combats 6 hélicoptères ont été sévèrement endommagés.

Est-ce là l’une des raisons du coût de SERVAL : 2,7 millions d’€ par jour contre 1,4 million en Afghanistan ?

Mais les aéronefs français ne sont pas les seuls à rencontrer de tels ennuis.

Le 13 mars 2013 un hélicoptère malien se crashe à Diabaly faisant 1 mort (soldat burkinabé) et 3 blessés.

 

Le 18 mars 2013, en Mauritanie, un Tucano s’écrase. Doté de 4 paniers de roquettes, d’un canon et deux mitrailleuses, c’est un avion de contre insurrection. En 2010 Pékin avait accordé un financement destiné à son acquisition avec une aide de 1 million de dollars, aide destinée à permettre à l’armée mauritanienne d’intervenir au Nord Mali. Le Burkina Faso dispose du même modèle. Le Sénégal vient de signer en avril 2013 un contrat pour des super Tucano.

Le 11 avril 2013, un second hélicoptère malien (piloté par des ukrainiens) se crashe faisant 5 morts dont 1 colonel.

Le 6 mai, c’est un Alphajet nigérien participant à la MISMA qui s’écrase tuant ses deux pilotes. Le porte parole des forces aériennes nigériennes a déclaré dans un 1er temps que l’aéronef n’a pas été abattu avant de se contredire « nous ne savons pas si l’avion a été touché par une arme antiaérienne ». Le Niger accueille des troupes françaises et américaines opérant des drones surveillant le Mali. Or, les Alphajets nigériens interviennent en appui sur les zones de Mékana et d’Ansongo.

 

IX/ Les Touaregs

 

Dans le déclenchement de l’opération SERVAL, la question Touareg semble centrale. Elle l’est d’autant plus avec l’indépendance du Sud soudan et la persistance de la résistance du peuple sahraoui à la colonisation marocaine.

La résolution 2085 (20 décembre 2012) comme la 2100 (25 avril 2013) réaffirme la souveraineté du Mali.

C’est une réponse à la demande du MNLA du 22 janvier 2012 sur la base de l’article 1 de la Charte des Nations Unies d’organisation d’une consultation populaire sur l’autodétermination et à son projet politique porte notamment sur l’annulation de tous les contrats signés par l’Etat malien dans l’Azawad et relatifs aux richesses naturelles. Le nord du Mali abrite, en effet, les principales réserves pétrolières, 2 filons d’uranium, 3 de manganèse, 1 d’or, 1 de phosphate.

Rockgate qui explore le nord malien estime que « le Mali offre un environnement de classe mondiale pour l'exploitation minière » pour l’Or et l’uranium.

AREVA n’est pas en reste avec une exploitation de 5 000 tonnes d’uranium à Faléa au Mali, à la frontière avec la Guinée et le Sénégal où elle a investi pour 290 millions de dollars.

 

Ce n’est donc par un hasard si l’armée française et Mohamed Ag Najim, chef d’Etat major du MNLA cohabitent à Kidal, ville dont l’armée malienne est bannie.

Pour protéger les intérêts économiques de groupes français, l’armée française renverse donc ses alliances. Le 2 mai 2013, Ledrian qualifie le MNLA d’interlocuteur, alors qu’il recycle des djihadistes. Le 17 ou le 18 mai, l’aviation française aurait protégé le MNLA en frappant le Mouvement Arabe de l’Azawad à une centaine de km de Kidal, à Anefis. L’armée malienne dénoncera cette intervention aérienne.

 

Le 19 mai Intalla Ag Attaher quitte le MNLA pour créer le Haut conseil de l’Azawad où l’on retrouve mélangés des membres du MNLA et d’Ansar Eddine. Son fils dissout le Mouvement Islamique de l’Azawad. Il s’agit d’un relooking pour permettre sa réintroduction dans le jeu politique sous la forme d’une organisation qui n’a aucun lien avec Ansar Eddine.

 

Les troupes du MNLA sont utilisées contre les djihadistes, dans un combat couplé avec l’armée française. Ce renversement est tel que le MNLA accuse le 29 mai l’armée malienne d’alliance avec le MUJAO.

 

Bert Koenders qui prend la tête de la mission onusienne au Mali opère la même stratégie. A peine arrivé, il entreprend immédiatement des discussions avec le MNLA au grand dam des autorités maliennes. Le résultat est clair : pas d’armée malienne à Kidal, les Nations et Unies et la France assureront les élections prévues en juillet.

Va-t-on vers un scénario à l’irakienne avec un Kurdistan quasi autonome ? D’autant que la plupart des Maliens du Sud en ont assez des rebellions touarègues et sont peu enthousiastes à l’idée d’un nouveau processus de réconciliation, comme l’estime Baz Lecocq, maître de conférence en histoire à l’université de Ghent.

 

X/ Bilan et perspectives maliennes

 

La résolution 2100 (25 avril 2013) prise en application du Chapitre VII salue « la célérité avec laquelle les forces françaises sont intervenues à la demande des autorités de transition maliennes pour arrêter l’offensive de groupes armés terroristes et extrémistes dans le sud du Mali ». Les décomptes font état de 600 à 700 tués sur 3 500 djihadistes dont 1 200 le 10 janvier fonçaient sur Bamako. Mais où sont les prisonniers ? Il n’y en a pas car les troupes maliennes se sont livrées à des exactions comme l’ont fait avant elles les djihado-narcotrafiquants.

 

Un processus électoral est en cours avec le 7 juillet une élection présidentielle, puis le 21 juillet des législatives. Les opérations électorales permettront surtout de procéder à un fichage massif des maliens. Un processus dont l’IRIN service du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies dit qu’il est précipité et donc non sans dangers. En effet, Siaka Sangaré, membre de la Délégation générale aux élections (DGE) reconnaît que cet organisme gouvernemental malien procède à l’inscription biométrique des électeurs. Pour rappel, en Iraq, les troupes d’occupation ont réalisé 2 millions d’enregistrements biométriques…

 

Tout cela sous le contrôle d’une MISMA devenue MINUSMA dotées de 11 200 hommes, plus seulement africains (des soldats chinois sont attendus) avec un budget envisagé à hauteur de 700 millions d’€, mais doté de seulement 338 millions.

Pendant ce temps le peuple malien souffre, notamment les 475 000 déplacés dont 230 000 à l’extérieur du Mali.

 

L’UNICEF constate une explosion de la prostitution. A elles-seules, les 3 villes de Mopti, Sévaré, Bamako comptent 3 800 prostituées. Beaucoup ont fui les risques de viol en 2012 à Gao, Kidal et Tombouctou commis par les djihado-narcotrafiquants pour tomber dans la prostitution auprès des soldats maliens (à 2 dollars par jour) et les bras d’ONG catholiques comme Catholic Relief. Cette association de droit américain créée par  la Conférence Episcopale des Etats-Unis d'Amérique est basée dans le Maryland, un Etat qui abrite de nombreuses bases militaires américaines notamment les fameuses bases d’Andrews et de Fort Detrick.

 

Elle met en œuvre les mêmes pratiques que les islamistes. Elle distribue comme eux de l’argent. Gilles de Kerchove, coordinateur de l’Union européenne en charge du contre terrorisme souligne dans ce sens que les 2/3 de ceux qui rejoignent les rangs islamistes au Sahel le font pour l’argent et survivre. Comme nous le disions plus haut en 2012, 18 millions de personnes ont souffert de la faim au Sahel.

A Sévaré, a été constatée une hausse du SIDA chez les donneurs de sang. L’UNICEF présente au Mali s’attend à une multiplication des travailleuses du sexe avec l’arrivée de troupes internationales (11 000 hommes).

 

L’arrivée de cette masse humaine représentant de nombreuses nationalités démontre également le phénomène d’internationalisation du conflit malien.

D’ailleurs, dans sa résolution 2100 (2013), le Conseil de sécurité des Nations Unis reconnait que la crise malienne s’étend « aux abords immédiats ou à l’intérieur de la zone de responsabilité de la MINUSMA ».

 

Une des raisons de cette contagion réside dans les appétits voraces d’AREVA qui déstabilisent cette région. Le conflit malien s’est ainsi exporté au Niger où le COS français est intervenu le 23 mai 2013 pour protéger AREVA. 20 militaires nigériens ont été tués ainsi que 10 djihadistes du MUJAO lors d’un « In Amenas » nigérien. Déjà le 16 septembre 2010, 5 otages avaient été pris à Arlit. Il est à noter que la sécurité d’AREVA sur place est assurée par un ancien chef de corps du 1erRPIMA, le général Chéreau.

Mais la contamination risque de prendre un tour plus grave, en s’invitant dans les relations antagonistes qu’entretiennent l’Algérie et le Maroc

 

XI / L’Algérie véritable objectif

 

Dans le conflit malien, le Maroc a joué et joue un rôle central qui s’inscrit dans une stratégie de « containment » de l’Algérie.

L’Algérie s’est prononcée contre toute intervention en Iraq, en Libye, en Syrie. Elle demeure aujourd’hui, le seul Etat arabe prenant une forme républicaine, non gouverné par les islamistes et doté d’une armée solide. Tous les autres Etats arabes militairement puissants sont désormais des monarchies théocratiques ou des républiques dirigées par les islamistes.

 

Mais revenons au Maroc. Celui-ci présidait le Conseil de sécurité des Nations Unis lors de l’adoption de la résolution 2085 (2012). Devant le Conseil, le 20 décembre 2012, le ministre malien des affaires étrangères a ainsi expliqué que « le mandat du Maroc à la présidence du Conseil a permis de faire avancer le processus de règlement de la crise malienne ».

Le Maroc n’a pas fait que cela. Il a ouvert immédiatement son espace aérien aux avions français.

 

Le chercheur Anouar Boukhars, américano – marocain, lui aussi basé au Maryland (Mac Daniel College) révèle au demeurant que le Maroc est en alerte depuis SERVAL et que de nombreux marocains ont rejoints les groupes au Mali. Qu’y font-ils ? Dans le New York Times du 16 janvier, il menace même Alger : « Si l’Algérie refuse de s’engager dans le conflit au Mali, alors la communauté internationale devra chercher le leadership du coté du Maroc ».

 

En échange de ses bons services, le Maroc a obtenu sur le Sahara Occidental, le recul des Etats-Unis (et de la France) sur les droits du peuple sahraoui par le biais du refus de l’élargissement du contrôle du respect des droits humains par la Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (MINURSO). Le Maroc a également exercé un chantage opérationnel quant à un report d’un exercice conjoint réunissant 900 soldats marocains et 1 400 américains.

Il a surtout obtenu des armes et est devenu le principal partenaire américain au Maghreb. Le Maroc est aujourd’hui l’Arabie saoudite du Maghreb.

 

Preuve en est la vente au royaume chérifien de 24 F16 bloc 52 améliorés par des sociétés israéliennes : matériel de navigation, réservoirs conformaux, même livrée (couleur) que les F16 Soufa israéliens, missile AIM Sidewinder, pod sniper de frappe au sol. Il s’agit là d’une force aérienne supérieure à celle du groupe aéronaval français Charles De Gaule et même supérieure aux forces aériennes portugaises (21 F16) et autrichiennes (18 Typhoon). L’Arabie Saoudite a financé cet achat qui n’est pas le seul.

 

Rabat a également obtenu : 24 avions T6 texan d’entrainement, 4 avions C27 Spartan (130 millions d’€), des drones, 20 véhicules blindés Lenco Bearcats, 3 hélicoptère Chinook, 60 canons automoteurs M109.

Les Etats-Unis ont enfin doté le Maroc d’un poing blindé constitué de 200 chars Abrahms américains, le principal char de bataille que l’armée américaine utilise en Afghanistan et en Iraq. Par comparaison, l’Arabie Saoudite en détient 373 et le Koweït 218. La France ne dispose que de 254 chars Leclerc. Ils viendront renforcer une arme blindée composée de 100 T72 et 300 M 60 plus anciens.

 

Quant à la France elle a procédé à la modernisation de 27 Mirage F1 marocains qui peuvent désormais tirer l’AASM et a accepté le lancement d’un satellite militaire marocain construit par Thales. Elle a vendu au Royaume une frégate lourde et furtive de type FREMM (470 millions d'euros).

La Chine participe elle-aussi au renforcement du Maroc avec la livraison de 57 chars de type 90 et de 34 lances roquettes de 150 km de portée.

D’autres fournisseurs sont enfin présents dans cette stratégie d’armement du Maroc contre l’Algérie comme la Belgique avec 110 véhicules blindés AIFV (équivalent du M113), les Pays-Bas avec 3 frégates. Celles-ci rejoindront la base de Ksar Sghir, modernisée.

Le Maroc participerait-il à la mise en œuvre de la politique dite des dominos initiée par Bush junior et consistant à faire tomber un à un les régimes arabes républicains ?

 

L’Algérie est désormais encerclée avec à l’ouest un Maroc surarmé (soutenu par l’Arabie saoudite et Israël), des forces françaises qui survolent son territoire et qui sont positionnées à ses portes sud. Le général français Jean Maurin quelques jours seulement après le déclenchement de SERVAL déclarait « puisque le front Polisariobénéficie de l’appui de l’Algérie dans sa guerre contre le Maroc, le royaume peut compter sur le soutient de la France qui considère, sage et réaliste son plan d’autonomie au Sahara ». Ce général de brigade n’est pas n’importe qui. Ce légionnaire a été nommé adjoint au sous-chef d’état-major en charge des relations internationales de l’état-major des armées le 16 juillet 2012 par François Hollande.

 

Au nord, à Moron en Espagne, se trouve une Force de Réaction rapide de l’US Marines Corps avec 6 MV 22 Ospreys et 2 ravitailleurs KC 130 et une autre à Sigonella, en Sicile. Les forces politiques algériennes qui ont dénoncé ce déploiement ont été convoquées par l’ambassade américaine à Alger où il leur a été déclaré « Les Etats-Unis n’interviendront pas en Algérie sans l’accord des autorités algériennes ». En méditerranée se trouve également le porte-avions Charles De Gaule dont la doctrine d’emploi comprend la planification d’une intervention en Algérie visant à contrôler la bande côtière.

 

A l’Est, l’Algérie doit contrôler 960 kilomètres de frontière avec la Libye. 7 000 gendarmes du Groupement de la Garde frontière (GGF) ont été dépêchés sur cette ligne aux cotés de 5 bataillons de l’Armée nationale populaire (ANP). En mai 2013, du poste frontalier Taleb El Arbi (wilaya d’El Oued) jusqu’à Tamanrasset, l’ANP a aligné, le long de la frontière sud-est, des milliers de conteneurs remplis de sable pour parer à toute infiltration extérieure de Tunisie et de Libye.

 

Mais l’Algérie connait également un Front intérieur comme en témoigne l’attaque contre le complexe gazier d’In Amenas, le 16 janvier 2013, 5 jours après le lancement de SERVAL. Cette opération de déstabilisation fera une victime française, Yan Desjeux, responsable de la sécurité sur place, mais surtout ancien opérateur du 1erRPIMA du 6èmeRPIMA, ayant servi dans le Golfe, en Bosnie, en Afrique et Afghanistan.

 

Le front intérieur se caractérise également par le fait que la facture alimentaire de l’Algérie enregistrée sur les quatre premiers mois de 2013 a connu une hausse de 18,7% par rapport à la même période de l’année écoulée. De quoi susciter des émeutes populaires. D’autant que dans le même temps, le gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohamed Laksaci, indiquait que les recettes des hydrocarbures, durant le premier trimestre de 2013, ont baissé de près de trois milliards de dollars, soit l’équivalent de 30% du budget de la défense et une réduction sérieuse de la capacité de l’Etat algérien à maintenir la paix sociale.

 

Tout cela intervient alors que le Président algérien est gravement malade, au point d’avoir du se rendre en France pour être soigné. Certains y voient un parallèle avec le voyage De Gaule en Allemagne en plein mai 1968, un moment où un cours instant l’armée française envisagea de reprendre les reines du pouvoir, sur fond de vacuité politique.

 

L’année 2014 apparait ainsi comme celle de tous les dangers, avec une réforme constitutionnelle et une élection présidentielle.

 

L’Algérie est un exemple de part sa guerre de libération nationale et de par sa résistance au remodelage du Maghreb et du Machrek initié sous Bush et poursuivi par Obama. Recomposition qui s’appuie sur la théorie des dominos : chaque domino qui tombe en entraîne un autre : Iraq, Libye, Syrie, Egypte, Tunisie (sans que cela signifie pour nous le soutien à leur ancien régime respectif).

 

Grace aux hydrocarbures, l’Algérie dispose d’une capacité de résistance qui lui permet d’injecter 10 milliards d’€ dans son budget militaire. Pour préserver cet atout, elle a refusé de s’engager en Libye puis au Mali.

 

La revue française intitulée TTU(Très Très Urgent) et consacrée aux questions de défense écrivait sur son blog, le 3 mai 2013 : « à l’avenir, les forces françaises pourraient être amenées à faire à nouveau face à ce type de combattants aguerris, qui se réorganisent et se reconditionnent aujourd’hui dans les sud libyens et tunisiens. Avec comme inconnue leur prochaine destination : Mali, Tchad ou Algérie ? ».

L’Algérie n’est pas mentionnée au grès du hasard par un média français bien introduit dans l’appareil militaire.

D’autant que quelques jours plus tard, le capitaine Grégory Boutherin, chef de l’équipe « Prospective et études de sécurité »du Centre de recherche de l’armée de l’air expliquait la méthode « l’activation de l’opposition interne à ses Etats pourrait être précisément l’un des objectifs de la phase initiale de l’intervention », en vue « d’actions de déstabilisation, de lutte informatique, etc. ». 

 

On comprend pourquoi les membres de l’opposi

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3 juin 2013 1 03 /06 /juin /2013 21:47

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Comme c'était prévisible, Sri Lanka, grâce à l'appui de son peuple multethnique et multiconfessionnel a finalement gagné la guerre contre le terrorisme, le séparatisme et l'intervention étrangère, mais ce pays se retrouve malgré cela aujourd'hui divisé intérieurement entre des fractions de ses élites voulant que leur pays rejoigne le camp occidental et les partisans d'une relance de sa politique traditionnelle de non alignement. Chose qui facilite les pressions et les chantages extérieurs.

 

Sri Lanka constitue un cas d'école qui permet d'analyser les ressorts de la théorie mise de l'avant par les puissances impérialistes d'une « responsabilité de protéger » qui oblige les pays visés, en général les pays manifestant des tendances à mener une politique de non alignement, à « rendre des comptes » sur la question des droits de l'homme, pendant comme après les conflits. Ils sont censés rendre ces comptes en principe à l'ONU, mais en fait il s'agit des puissances atlantiques. « Rendre des comptes », voilà bien une formulation qui résume de manière excellente la quintescence de l'idéologie dominant aujourd'hui la vie politique internationale, une idéologie qui confond logique comptable de commerçants réduits à l'état de petits boutiquiers contre la vision humaniste du droit au développement et à la dignité élaborée dans la foulée de la dernière vague de décolonisation.

 

Situation qui démontre qu'il se déroule, tant à l'échelle internationale qu'à l'intérieur de chaque pays et souvent de chaque régime politique, voire de chaque parti, une véritable lutte (de classe ? De vision du monde ?) entre les tenants d'un moralisme bourgeois réduit désormais à l'état de dogme commercial et d'une compétitivité inégalitaire avec les partisans de la reconstruction d'un avenir collectif basé sur l'entraide, l'émulation et la solidarité tant nationale qu'internationale.

 

La Rédaction

 


 

Genève: « Responsabilité de Protéger » vs souveraineté du peuple !

 

(Version française – English Version)

 

-

 

juin 2013



Tamara Kunanayakam



«  Seule la classe ouvrière dans sa masse est restée fidèle à la patrie profanée ! »
François Mauriac 1943



Les réactions à Sri Lanka à la dernière résolution américaine adoptée par le Conseil des droits de l'homme[1] (NDR. sur Sri Lanka) ont varié entre une lamentation sur une critique injuste alors que des progrès significatifs en matière de réinstallation, de reconstruction et de déminage ont été fait avec une certaine complaisance manifestée envers les modifications mineures apportées au texte, alors même que celles-ci ont laissé intact son essence, à savoir la logique implacable qui sous-tend la «responsabilité de protéger» (RtoP). Mais malgré ces différences, il semble exister (NDR. À Sri Lanka) un consensus selon lequel ce texte serait doux, inoffensif, et qu'il n'y aurait donc «rien à craindre ».


C'est cette dernière interprétation qui ignore que cette responsabilité constitue seulement un prétexte pour Washington visant à faire avancer ses intérêts géopolitiques dans la région, qui fait que je considère comme étant de mon devoir de contester dans cet article une interprétation pour laquelle, jusqu'à récemment, j'avais donné une explication plus charitable - lecture erronée du texte ! J'ai entretemps révisé cette position. La suggestion surprenante de certains milieux haut placés selon laquelle Sri Lanka « devient un puissant allié géopolitique et stratégique » des Etats-Unis et la confirmation que les concessions faites de derrière la scène à Washington pour que le projet étasunien soit examiné par le Conseil, indiquent que des sections de l'élite dirigeante de notre pays pourraient avoir choisi de capituler et de brader notre indépendance et notre souveraineté.

 

Car la logique implacable qui sous-tend la « responsabilité de protéger » (RtoP) reste intacte ! Selon cette logique, si un État ne parvient pas à protéger ses citoyens, cette responsabilité est alors retirée aux responsables de cet État pour être transférée à une puissance étrangère. Ce nouveau concept que les États-Unis cherchent à imposer aux Etats membres des Nations Unies comme pilier idéologique de la nouvelle architecture internationale s'attaque au principe même de la souveraineté, et vise à priver effectivement les personnes de leur droit inaliénable à l'autodétermination, avec son corollaire, la souveraineté permanente de l'État sur ses richesses naturelles et ressources, sans lesquelles le droit à l'autodétermination serait dépourvu de substance. RtoP a donc pour effet de transférer la souveraineté du peuple à une puissance étrangère, ce qui signifie en fait, dans le monde toujours unipolaire d'aujourd'hui, aux Etats-Unis. L'idéologie qui sous-tend RtoP, est que les peuples des pays en développement sont incapables de se gouverner, ce qui n'est pas différent de l'idéologie de la supériorité raciale avancée par les anciennes puissances coloniales avec leur soi-disant « mission civilisatrice » sur les peuples d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine qui a duré plus de cinq siècles.


S'adressant à la presse en septembre 2001, Silvio Berlusconi, avait alors déclaré, « Nous devrions être conscients de la supériorité de notre civilisation, qui se compose d'un système de valeurs qui a donné aux gens la prospérité généralisée dans les pays qui l'adoptent, et garantit le respect des droits de l'homme et de religion. » Il a également déclaré que l'Occident était « destiné à occidentaliser et à conquérir de nouveaux peuples. »


Dans ce contexte, il est légitime de s'interroger sur les motivations des fragments de l'élite dirigeante de notre pays qui soutiennent que si dureté il y a dans l'attitude de Washington envers Sri Lanka, cela est dû à la méchanceté ou à la « diplomatie du mégaphone » manifestées par certains d'entre nous. Cette opinion est-elle destinée à désarmer la population pour justifier un choix qui oscille entre se défaire de toute dignité et plaider pour obtenir « du temps et de l'espace » (chose qui est, de toute façon, du domaine du droit souverain et de la responsabilité de notre propre pays), ou capituler et accepter un plan stratégique d'alliance avec Washington ?


Dans ces circonstances, c'est une obligation morale et un acte patriotique que d'examiner le texte en profondeur, d'en saisir ses implications, et de comprendre pourquoi « la question de Sri Lanka » tend de plus en plus à occuper une place centrale au sein de la plus politisée de toutes les instances de l'ONU. C'est seulement cette volonté qui va pouvoir armer le peuple, collectivement, et lui apporter les connaissances, la conviction et la confiance nécessaires pour assumer la responsabilité de défendre sa souveraineté dans les mois et années à venir, dans le contexte d'ambitions étasuniennes visant à dominer l'Asie dans leur quête pour atteindre la suprématie mondiale qui, ailleurs, laisse derrière elle la ruine, la dissension, le chaos, la mort, les privations et le désespoir pour tous ceux qui ont été victimes de son agression.

 


L'accent mis par Washington sur la nécessité de rendre des comptes - Pilier de la controversée « Responsabilité de protéger » (RtoP)


Tant le gouvernement que les voix critiques, pour des raisons différentes, fournissent une interprétation biaisée du texte, concluant à tort que l'objectif de la résolution porte sur la réconciliation et les recommandations de la Commission sur les leçons apprises et la réconciliation (Lessons Learnt and Reconciliation Commission - LLRC), négligeant ainsi l'obligation de constater son essence - « la nécessité de rendre des comptes ». Ils ignorent le fait que l'ensemble du texte étasunien est construit sur la préoccupation que le LLRC et le Plan d'action national ne « répondent pas adéquatement aux graves allégations de violations de la législation internationale des droits de l'homme et du droit international humanitaire ».


Cet accent mis sur la nécessité de rendre des comptes n'est pas motivé par une croyance authentique qu'il ne peut y avoir de réconciliation sans elle, mais parce que cette nécessité de rendre des comptes constitue le pilier sur lequel est bâtie la responsabilité de protéger (RtoP), un concept initialement connu sous la formule du « droit d'ingérence », et que Washington a imposé à l'ONU de manière à assurer la légitimité de ses interventions unilatérales de plus en plus agressives, et de sa domination sur les peuples, de leurs richesses et de leurs ressources dans les pays présentant un intérêt stratégique pour Washington !


Dès 2011, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme a déclaré son intention d'envoyer une équipe visant à identifier les lacunes présentes dans le rapport LLRC. L'idée maîtresse du rapport que Stephen J. Rapp, ambassadeur extraordinaire (Ambassador-at-Large) au Bureau de la justice pénale mondiale du Département d'Etat des USA, a présenté au Congrès des Etats-Unis en Avril 2012, est qu'un mécanisme indépendant doit être créé pour enquêter sur les « allégations crédibles auxquelles le LLRC a échoué à répondre ». Les résolutions de mars 2012 et 2013, deux résolutions rédigées par les Etats-Unis, reconnaissent seulement que la LLRC constitue une « contribution possible » pour la réconciliation.


La position de Washington, dans le cas de Sri Lanka, est qu'il ne peut y avoir de réconciliation sans nécessité de rendre des comptes, contrairement à la position que les USA ont adopté dans le cas des responsables de l'apartheid en Afrique du Sud ou des juntes militaires soutenues par les Etats-Unis en Amérique latine. L'ambassadrice étasunienne Eileen Donahoe, s'adressant à la presse à Genève, était claire sur le fait que la résolution sur Sri Lanka constituait un signal de la part de la communauté internationale « visant à aboutir à une paix durable et à une réconciliation à Sri Lanka, il faudra des mesures significatives tendant vers la vérité et la nécessité de rendre des comptes ». « La communauté internationale », a-t-elle déclaré, «  sait qu'une enquête indépendante et crédible doit permettre d'aller de l'avant et que c'est ce qui manque. »


Quant au langage et à la signification du texte, Washington est aussi très claire: « Si l'on compare avec le texte de l'année dernière ... il est juste de dire qu'il y a un renforcement du langage et du sens du texte ... qui s'appuient fortement sur les conclusions du Haut Commissaire, qui étaient sérieuses et où l'on réaffirmait la nécessité d'un mécanisme permettant d'aboutir à la vérité. Très clairement ! »

 

 

Les mécanismes internationaux mis en mouvement


Dans un geste intelligent qui semble être passé totalement inaperçu au sein de l'establishment de notre politique étrangère, Washington a glissé dans la résolution les prémices d'une machinerie internationale conceptualisée par le Groupe Darusman et incorporées dans le rapport de Navi Pillay. Depuis lors, les responsables de la politique étrangère de Sri Lanka ont adopté l'attitude de l'autruche, sans doute par désir de rester éloigné d'un mécanisme qui a pris tout à coup des proportions effrayantes.


La résolution met en marche la composante de surveillance du mécanisme d'enquête international, un mandat est attribué au Haut-Commissariat, un « rôle constructif pour le Bureau », selon l'ambassadeur américain Michele Sison à Colombo. Le Bureau est invité à faire un rapport au Conseil en l'espace de cinq mois, puis encore une fois après sept mois, et portant sur la mise en œuvre par le gouvernement sri lankais des demandes contenues dans les paragraphes 2 et 3, qui se concentrent principalement sur la nécessité de rendre des comptes. Le Conseil a approuvé à cet effet l'allocation des fonds budgétaires généraux visant à engager un membre du personnel professionnel pendant cinq mois dans le but d'effectuer des recherches, de consulter les « parties prenantes », et de produire des projets de textes. Il est probable que du personnel supplémentaire sera recruté à l'aide des contributions volontaires provenant de pays riches et assortis de conditions.


Le Haut-Commissariat fera un suivi et des rapports sur les mesures prises par le Gouvernement du Sri Lanka pour: 1/ « mener une enquête indépendante et crédible sur les allégations de violations du droit international des droits de l'homme et du droit humanitaire international, selon le cas »; 2/ mettre en oeuvre de façon « effective » les recommandations « constructives » de la LLRC (autrement dit celles liées aux comptes à rendre), et 3/ « s'acquitter de ses obligations légales en la matière avec l'engagement d'initier des actions crédibles et indépendantes pour garantir la justice, l'équité, la responsabilité et la réconciliation pour tous les Sri Lankais ».


Dans une indication claire montrant que Washington se dirige résolument vers l'action internationale, la seule demande adressée au Haut-Commissariat est celle d'organiser le suivi des enquêtes et de produire des rapports. Contrairement à la résolution 2012, la résolution 2013, ne demande pas que le Haut-Commissariat fournisse une assistance technique au Sri Lanka, elle ne fait que « l'encourager » à le faire.



La logique implacable de la « Responsabilité de protéger » (RtoP)


La résolution 2013 soumet désormais Sri Lanka à la logique implacable de la « responsabilité de protéger », applicable à quatre crimes spécifiques: génocide, crimes de guerre, nettoyage ethnique et crimes contre l'humanité, ainsi que l'incitation à les commettre. Un concept controversé,  initialement conçu sous l'appellation de « droit d'ingérence » par Bernard Kouchner, ancien ministre français des Affaires étrangères qui a participé à l'opération de 2009 visant à sauver Prabhakaran, avec la Secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton et le Secrétaire au Foreign Office David Miliband[2].


Il est significatif que les trois piliers de ce concept toujours controversé se reflètent dans la dernière résolution étasunienne : 1/ la responsabilité première de l'État de protéger ses populations, 2/ la responsabilité de la « communauté internationale » visant à encourager et à aider les Etats pour s'acquitter de cette responsabilité, et 3/ la responsabilité de la « communauté internationale » visant à protéger de manière « rapide et décisive » les populations lorsque l'État est incapable ou refuse de le faire, par des moyens « appropriés » diplomatiques, humanitaires et autres, y compris l'intervention militaire coercitive.


En ce qui concerne le premier pilier, la dernière résolution définit en outre les mesures que le gouvernement doit prendre pour s'acquitter de sa responsabilité.


Les éléments du deuxième pilier se reflètent dans l'encouragement fait au Haut commissariat des droits de l'homme des Nations unies (HCDH) et l'instauration de mécanismes de procédures spéciales pour fournir des conseils et une assistance technique au gouvernement pour qu'il  s'acquitte de cette responsabilité. Ce point a également été souligné par l'ambassadeur étasunien Donahoe dans son communiqué de presse: « Les Etats-Unis se tiennent prêts à aider Sri Lanka ... Le Bureau du Haut-Commissaire, grâce aux procédures spéciales, se tiennent également prêts à aider le gouvernement de Sri Lanka par l'assistance technique et le renforcement des capacités afin qu'il puisse aller de l'avant vers une paix et une réconciliation durables, fondées sur la vérité et la nécessité de rendre des comptes ».


L'obligation faite dans la Charte de coopérer avec les mécanismes des Nations Unies, conformément aux articles 55 et 56 du chapitre IX sur la coopération économique et sociale internationale, se reflète également dans la demande faite au Haut-Commissariat et visant à préparer le rapport sur Sri Lanka « avec la participation de titulaires de mandat au titre des procédures spéciales. » En dépit donc du battage fait sur les « petites victoires » obtenues ayant apporté des « modifications », la demande faite au Haut-Commissariat répond à l'objectif de Washington de fournir à Navi Pillay l'espace nécessaire pour démontrer que le gouvernement de Sri Lanka manquait à son obligation découlant de la Charte, et continuait même à les ignorer.


Cependant, c'est la décision de mettre en place des éléments de contrôle et de rapport pour un mécanisme d'enquête internationale qui est la plus importante, en ce qu'elle met en marche le troisième pilier encore débattu et controversé du RtoP, qui autorise la « communauté internationale » à utiliser un large éventail d'instruments, allant du plus pacifique à des mesures coercitives telles que des sanctions économiques et politiques ou l'intervention militaire.


Le langage de la résolution est rude. Il cherche à démontrer que le gouvernement de Sri Lanka ne veut pas - et pas seulement qu'il en est incapable - de protéger ses propres populations et qu'il a également refusé de coopérer avec les Nations Unies dans l'exercice de cette responsabilité première, de façon à justifier l'application du troisième pilier. Tout en fournissant au gouvernement une autre occasion de mener « des enquêtes indépendantes et crédibles » au niveau national, la décision d'assurer un suivi externe signale également le manque de confiance dans sa volonté de le faire.


Le texte est clair dans son jugement estimant que le gouvernement n'a pas réussi à répondre adéquatement à la nécessité de rendre des comptes pour les violations passées et, ce faisant, n'a également pas réussi à empêcher « des violations continues des droits de l'homme », mettant ainsi clairement la question de Sri Lanka sous le mandat du Conseil qui gère les situations en cours, et non pas les questions historiques. Il est à noter que « la discrimination sur la base de la religion ou des convictions » a été ajoutée à la liste des « informations persistantes faisant état de violations »  uniquement dans la version finale. Sa simultanéité avec l'envoi d'une lettre adressée au gouvernement par les 57 membres des Etats de l'Orgnisation de la Coopération islamique s'inquiétant de la campagne anti-musulmane lancée alors même que le Conseil se réunissait, est une indication que Sri Lanka peut risquer de perdre le soutien traditionnel des Etats dont il avait bénéficié jusque là[3].


L'ambassadeur étasunien Donahoe, s'adressant à la presse à Genève peu après l'adoption de la résolution, a affirmé que les Etats-Unis avaient mis en avant la résolution « montrant une véritable préoccupation au sujet du manque de suivi des promesses faites par le gouvernement de Sri Lanka visant à mener une forme crédible de comptes rendus au niveau national. » Lier l'impunité aux informations persistantes faisant état de violations des droits de l'homme, fait référence à « la détérioration de la situation des droits humains à Sri Lanka » durant l'année écoulée et a rappelé les fortes inquiétudes existant « concernant l'absence de progrès sur ces questions fondamentales ainsi que les reculs portant sur le respect des droits de l'homme et de la primauté du droit » et la « protection des droits de l'homme également dans la situation actuelle. »


La logique poursuivie est que s'il n'y a pas de nécessité de rendre des comptes pour des crimes passés, l'impunité pour les crimes actuels va se poursuivre et donner lieu à des crimes semblables à l'avenir, ce qui, à son tour, justifie l'intervention extérieure pour s'assurer que la population est protégée contre les crimes futurs. Comme on le verra ci-dessous, la résolution prévoit clairement la mise en place d'un mécanisme d'enquête internationale comme une étape devant suivre.


Avec cette logique implacable, cela aurait déjà constitué une victoire pour Washington si la résolution ne contenait que quatre éléments, dont l'un impliquait une défaillance du gouvernement sri lankais à prendre des mesures indépendantes et crédibles pour assurer la possibilité de rendre des comptes, un autre formulant sa préoccupaction par la persistance de violations, un troisième impliquant l'échec  de la coopération avec les mécanismes des Nations Unies, et un quatrième, demandant au Haut Commissaire de faire rapport sur sa mise en œuvre ! Une référence à une « enquête internationale » n'aurait même pas été nécessaire, car c'est la prochaine étape logique !

 


Les prochaines étapes possibles


Les prochaines étapes dépendront du contenu des rapports de suivi, orales et écrites, présentés par le Haut Commissaire au Conseil lors de sa session de septembre 2013 et mars 2014. L'ambassadeur étasunien Donahoe a admis que la dernière résolution s'était appuyée « fortement sur les résultats de la Haut-Commissaire. » Cette résolution contient maintenant tous les éléments nécessaires pour Navi Pillay, visant à orienter ses futurs rapports.


Les déclarations des dirigeants de la politique étrangère sri lankaise, de son nouveau représentant à Genève, de certains membres du gouvernement et l'interprétation donnée au texte de la résolution indiquent tous que la classe dirigeante est incapable de répondre aux vraies questions posées par la dernière résolution ou d'adopter une politique intérieure et étrangère de nature à rendre le pays moins vulnérable aux pressions extérieures. Au lieu de cela, les signes sont visibles qu'il cède sous la pression étasunienne, qu'il abandonne la souveraineté et de l'indépendance du pays, en l'isolant davantage de ses alliés naturels - la majorité des membres de l'ONU - avec qui Sri Lanka partage des intérêts communs, augmentant ainsi sa vulnérabilité face à une intervention extérieure.


Sri Lanka devrait se rappeler qu'une ligne similaire a été adoptée par Slobodan Milošević en  Yougoslavie, Saddam Hussein en Irak, Mouammar Kadhafi en Libye, Omar Hassan Ahmad Al-Bashir au Soudan, et dans une certaine mesure, Bachar al-Assad en Syrie - qui ont tous cédé initialement aux pressions étasuniennes avec l'illusion que Washington serait un ami.


Il est probable que les rapports produits par le HCDH en Septembre 2012 et pour Mars 2014 chercheront à confirmer que Sri Lanka n'est pas disposée à s'acquitter de sa « responsabilité de protéger » en menant des enquêtes « indépendantes et crédibles » et de coopérer avec les mécanismes des Nations Unies. Toute allégation obtenue par les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales de l'ONU au cours de cette période et de tout exemple d'impunité, seront utilisés pour démontrer l'incapacité d'arrêter une tendance dangereuse.


La prochaine étape est reflétée dans le premier paragraphe du dispositif de la résolution la plus récente, qui en accueillant le rapport de Navi Pillay avec ses conclusions et recommandations, approuve implicitement son appel à « une enquête internationale indépendante et crédible sur les violations présumées du droit international des droits de l'homme et de la loi internationale humanitaire. » Pour lever toute ambiguïté, cet appel est explicitement énoncé dans le préambule.


Et pour ceux qui n'ont pas compris, l'ambassadrice des Etats-Unis Michele Sison, s'adressant à l'Association des correspondants étrangers à Colombo le 8 Avril, a déclaré que ce qui se passera après « dépendra du gouvernement de Sri Lanka. Le Haut Commissaire des Nations Unies pour le rapport des droits de l'homme … a réaffirmé une recommandation de longue date pour 'une enquête internationale indépendante et crédible' sur les violations présumées des droits de l'homme internationaux et du droit international humanitaire à Sri Lanka. La dernière résolution a pris note de cet appel, et demande au Bureau de la Haut-Commissaire de tenir le Conseil informé des progrès de Sri Lanka à la session Septembre 2013 et présentera un rapport détaillé en mars 2014. La dernière résolution encourage également le gouvernement de Sri Lanka à répondre aux huit demandes en suspens par des titulaires de mandat au titre des procédures spéciales des Nations unies. »


Dans une déclaration antérieure, l'ambassadeur Sison a déclaré que Washington renouvellerait « l'examen de toutes les options disponibles au sein du CDH et au-delà », soulignant que les mécanismes internationaux peuvent être indiqués lorsque les États sont incapables ou refusent de répondre à leurs propres obligations. Quelques jours après que la résolution ai été adoptée, le sous-secrétaire d'État pour le Sud et les affaires d'Asie centrale, Robert Blake, a averti qu'il pourrait être contraint d'enquêter sur les crimes de guerre présumés si le gouvernement sri-lankais ne menait pas sa propre enquête « indépendante et crédible ».


Il est probable que dans une résolution de suivi, les Etats-Unis se concentreront sur une combinaison des deux piliers et des trois responsabilités de la communauté internationale visant à « réagir collectivement d'une manière opportune et décisive quand un Etat n'est manifestement pas parvenu à assurer cette protection. »

 


Instruments disponibles pour une intervention extérieure - pacifique et coercitive


Le Document final du Sommet mondial de 2005 adopté par l'Assemblée générale offre une gamme d'instruments disponibles en vertu de la Charte des Nations Unies pour la communauté internationale, les deux mesures pacifiques envisagées en vertu du Chapitre VI de règlement pacifique des différends et du chapitre VIII sur les accords régionaux qui ont traditionnellement été menés soit par les organes intergouvernementaux ou par le Secrétaire général, ainsi que des mesures coercitives en vertu du Chapitre VII, « au cas où ces moyens pacifiques se révéleraient inadéquats et que les autorités nationales s'avèrent manifestement défaillantes pour protéger leurs populations contre de génocide, de crimes de guerre, de nettoyage ethnique et de crimes contre l'humanité. » En vertu du chapitre VII, le Conseil de sécurité peut autoriser des mesures coercitives, y compris des sanctions économiques et politiques ou d'intervention militaire coercitive.

 


Mesures pacifiques


Le chapitre VI prévoit des mesures pacifiques, y compris la négociation, l'enquête, la médiation, la conciliation, l'arbitrage, le règlement judiciaire, le recours aux organismes ou accords régionaux, ou d'autres moyens pacifiques, notamment en nommant des personnalités ou des envoyés spéciaux pour engager le dialogue et préparer une médiation locale ou régionale de l'ONU ou bien encore des efforts de facilitation comme cela s'est produit dans le cas de la Libye, du Sud-Soudan ou de la Syrie.


Washington pourrait, comme prochaine étape, et à travers les Nations Unies, demander l'aide internationale dans le cadre du deuxième pilier sous la forme d'une commission internationale d'enquête, d'un rapporteur spécial ou d'un expert indépendant pour établir les faits et identifier les auteurs de crimes et de violations relatives à RtoP.


Les commissions d'enquête et des missions d'établissement des faits sont de plus en plus souvent utilisées et peuvent être créées par le Secrétaire général, le Conseil de sécurité ou le Conseil des droits de l'homme comme il l'a fait dans le cas de la Syrie pour mener des enquêtes et recueillir « un faisceau d'indices » qui contribueront à assurer la possibilité de rendre des comptes. Lors de sa dernière session, le Conseil a également créé une commission d'enquête sur la République populaire démocratique de Corée (RPDC), un pays pour lequel Sri Lanka s'est récemment joint à Washington pour le condamner ! Il est à noter que Darusman était Rapporteur spécial du Conseil sur la RPDC et devrait également siéger à la Commission. Les deux commissions ont été établies sur la base de rapports présentés par Navi Pillay.


Dans une indication  sur les conséquences de ces procédures, Rupert Colville, porte-parole de Navi Pillay, a souligné que les « Commissions antérieures d'enquêtes ont joué des rôles très importants dans les situations entrant dans le domaine de la justice internationale, par exemple ... la commission d'enquête ... dans l'ex-Yougoslavie, qui a précédé le Tribunal de La Haye ... ». Ce que Rupert Colville ne dit pas, c'est que la première guerre d'agression illégale menée par les forces sous commandement américain de l'OTAN contre la Yougoslavie, sous prétexte de protéger les droits de l'homme, a fait des milliers de morts parmi les civils et plus de 6 000 grièvement blessés, selon la Commission d'enquête indépendante constituée par Ramsey Clark, ancien Procureur général américain. Les enfants représentaient 30% de toutes les victimes et 40% du nombre total de blessés. En outre, environ 300 000 enfants ont subi des traumatismes psychologiques graves et nécessitent une surveillance médicale continue et un traitement. Débarrassés de Milosevic, les agresseurs ont démantelé la Yougoslavie - le seul pays alors non aligné en Europe[4] - donnant naissance au désormais célèbre « modèle Kosovo » défendu par Washington et ses alliés. Selon l'expert sénateur suisse du Conseil de l'Europe,  Dick Marty, le Kosovo est devenu un centre des trafics - de drogue, d'armes, d'organes humains, de prostitution, sous le contrôle du soi-disant combattant de la liberté et actuel Premier ministre de cet Etat artificiel, Hashim Thaci.


Le chapitre IV de la Charte des Nations Unies autorise également l'Assemblée générale et le Secrétaire général à présenter « des situations susceptibles de menacer la paix et la sécurité internationales » à l'attention du Conseil de sécurité, comme c'est le cas pour la Syrie. Le Haut Commissaire peut demander au Conseil de sécurité de porter son attention sur son rapport sur Sri Lanka, une demande que le Conseil peut ou non accorder en fonction de la capacité du gouvernement à unir ses forces à l'intérieur et à l'extérieur à travers des actions aux niveaux national, régional et international. La recommandation de Navi Pillay au Conseil de sécurité du 12 Février 2013 visant à présenter la Syrie devant la Cour pénale internationale donne une indication d'un plan d'action s'offrant à elle.


Le Conseil de sécurité peut saisir la Cour pénale internationale, là où la Cour ne peut exercer sa compétence par ailleurs, une autorité reconnue dans le Statut de Rome. Il a exercé ce pouvoir pour la première fois en Mars 2005, quand il s'est référé à « la situation qui prévaut au Darfour depuis le 1er Juillet 2002. » Le Soudan n'est pas partie prenante du Statut de Rome. La seconde fois fut lors du renvoi de Février 2011, lorsque le Conseil a demandé à la Cour d'étudier la réaction violente du gouvernement libyen à la guerre civile libyenne.

 


Des mesures coercitives


Lorsqu'un État ne parvient pas à donner satisfaction à des mesures pacifiques, diplomatiques et autres, le Conseil de sécurité peut autoriser des mesures coercitives en vertu des articles 41 et 42 de la Charte, y compris des sanctions qui peuvent comprendre l'interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radio-électriques et d'autres moyens de communication, le gel des avoirs financiers et l'interdiction de voyager; la suspension des accès aux crédits, aux aides et aux prêts des institutions financières internationales; restreindre la fourniture d'autres services financiers;  décider la rupture des relations diplomatiques, l'embargos pour les sportifs, des restrictions sur la coopération scientifique et technique.


Et en finale, le Conseil de sécurité peut autoriser l'usage de la force, en vertu du chapitre VII, article 42 de la Charte, y compris une action militaire coercitive qui peut comprendre des démonstrations de force, des mesures de blocus et d'autres opérations exécutées par air, mer, ou des forces terrestres de membres des Nations Unies.

 


Interventions unilatérales illégales


L'administration étasunienne est autorisée par le Congrès des Etats-Unis à prendre des mesures coercitives unilatérales, en violation de la Charte des Nations Unies et du droit international, y compris des sanctions, des blocus et des embargos contre d'autres États, s'ils répondent au critère d'Etats « voyous et récalcitrants ».


Le concept de « changement de régime » élaboré à Washington ne s'arrête pas à un changement de direction gouvernementale, mais au démantèlement de l'Etat-nation, au désarmement des populations, en les divisant, le plus souvent sur des lignes ethno-religieuses, entre musulmans et orthodoxes en Yougoslavie, sunnites et chiites en Irak, sunnites et alaouites en Syrie, musulmans et chrétiens au Soudan, entre tribus en Libye, etc. La fragmentation des pays sur des lignes communautaires, un système théorisé par l'administration étasunienne, en particulier par l'ancien Secrétaire d'Etat Madeleine Albright, constitue une démonstration claire que Washington ne se soucie pas le moins du monde de réconciliation !


Les États-Unis ont imposé des sanctions unilatérales pouvant prendre la forme d'embargos sur les armes, les réductions ou l'interruption de l'aide étrangère, les restrictions aux exportations et aux importations, le gel des avoirs, des augmentations tarifaires, la diminution des quotas d'importation, la révocation de la clause commerciale de la nation la plus favorisée (NPF), des votes dans les organisations internationales, la rupture des relations diplomatiques, les refus de visa, l'annulation de liaisons aériennes et les interdictions de crédit, d'accès aux financements et aux investissements. Au cours des dernières années, le Congrès a adopté - et l'Administration gouvernementale a mis en place - l'équivalent d'une politique visant à l'effondrement du système financier de la République islamique d'Iran et de la Syrie, au moyen de sanctions ciblant les systèmes financiers de ces pays.


Alors que les sanctions sont présumées ne pas toucher au commerce des produits humanitaires,  vivres et médicaments, ce commerce devient très limité en raison des règlementations bloquant les transactions financières.

 


Sri Lanka, dans le bourbier international de sa propre fabrication


Aujourd'hui, Sri Lanka se trouve dans un bourbier international en grande partie de sa propre fabrication. Les décideurs politiques sri-lankais ont tragiquement failli à leur devoir de répondre aux aspirations politiques, sociales et économiques des populations, sans le soutien et le sacrifice desquelles, indépendamment de leurs origines ethniques, la défaite du terrorisme et du séparatisme n'aurait pas été possible en mai 2009.


Les lendemains de la guerre ont créé les conditions nécessaires pour l'adoption de politiques socio-économiques indépendantes et la recherche d'une solution politique à la question nationale qui aurait facilité la réconciliation et l'unité entre tous les Sri Lankais. Étayée par des politiques socio-économiques visant à éliminer les disparités et l'émergence d'une identité sri-lankaise commune qui aurait aussi rendu le pays moins vulnérable aux pressions et aux conditionnalités extérieures.


Cependant, au lieu de profiter des conditions favorables ainsi créées en suivant le choix fait par le peuple en faveur de la paix, du développement socio-économique et du bien-être, les décideurs ont gaspillé les dividendes de la paix en s'alignant sur les exigences d'une élite dont les intérêts sont étroitement liés à celle du capital global étasunien.


La poursuite et le renforcement supplémentaire d'un modèle étranger néolibéral de développement soutenu par l'endettement orienté vers l'exportation, dénommé « Consensus de Washington », a rendu Sri Lanka plus dépendant et plus vulnérable aux pressions extérieures, aux chocs et aux conditionnalités, et a considérablement réduit sa capacité à poursuivre une politique étrangère indépendante. Il est significatif que dans l'affaire de la Ceylon Electricity Board, l'ambassadeur des Etats-Unis Michele Sison se sentait investie d'une « responsabilité de protéger », en agissant comme un proconsul. L'avenir liant le futur du bien-être de Sri Lanka aux décisions prises dans les pays capitalistes occidentaux, où leur modèle est sur le point de s'effondrer également, expose, de façon irresponsable, l'ensemble du pays et ses habitants à un choc sans précédent qui est inévitable.


Quelle sera la réponse à la catastrophe attendue ? Une recherche de boucs-émissaires, des tactiques de diversion, alors que le pays a connu des temps de crises socio-économiques graves ? Comment cela peut-il faciliter la réconciliation et l'unité ? Comment l'exonération d'impôts des casinos pourra-t-elle améliorer l'économie réelle et la vie de la majorité des gens ordinaires qui en dépendent ?


Les conséquences de cette vision néolibérale de la politique étrangère de Sri Lanka sont de plus évidentes ! Moins d'un mois après que la résolution étasunienne ai été adoptée, un représentant de Sri Lanka occupant un poste stratégique a plaidé pour une alliance « géopolitique et stratégique » forte avec les Etats-Unis, dans le cadre du projet de Pivot asiatique de John Kerry. « Pivot asiatique » visant à inverser « la tendance de la Chine à resserrer son étau » sur la région ! Des rumeurs ont également fait état de discussions qui auraient été ranimées sur l'installation d'une base étasunienne dans cette île stratégique. Il y a cinquante-cinq ans, en 1957, les Britanniques ont été forcés de retirer leurs bases militaires dans le pays, et Sri Lanka est devenue officiellement un pays non-aligné. Washington n'a jamais fait mystère de son intérêt pour l'acquisition de Trincomalee comme base pour sa Septième Flotte.


Ayant été autrefois une base britannique de première ligne contre les Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale, Sri Lanka devra-t-elle maintenant devenir une base de première ligne pour les Etats-Unis, face à la Chine ou encore à l'Inde ? Est-ce là la confirmation d'un changement radical de la politique traditionnelle de non-alignement de Sri Lanka dans les relations internationales ? Est-ce que l'Inde qui joue un jeu dangereux avec les Etats-Unis peut aider à créer un cheval de Troie sur son flanc sud, à travers une partition de Sri Lanka et des répercussions possibles pour sa propre intégrité territoriale et sa crédibilité dans la région ?


Assistons-nous aussi à un abandon de la souveraineté de Sri Lanka en faveur de puissants lobbies américains, qui s'expriment en notre nom ? Une édition récente du Sunday Times (7 Avril 2013) fait état d'une décision de la Banque centrale, lors de la récente session du Conseil des droits de l'homme, de transférer la défense de l'économie et des finances de Sri Lanka au Thomson Advisory Group LLC (TAG) à Washington.


Pour compléter le tableau, le Dr Dayan Jayatilleke a fait une autre révélation au sujet d'un accord secret conclu avec Israël, avant même que la guerre ai pris fin, sur une coopération post-conflit portant sur la sécurité intérieure, ce qui indique qu'il pourrait y avoir un renforcement de ces mêmes forces à l'intérieur des centres de pouvoir, prêtes à sacrifier le peuple et le pays à leurs ambitions mercantiles.


On ne peut faire appel à la classe dirigeante avec sa mentalité de vassal, comme en témoigne son refus de rejeter les menaces et les ordres édictés à partir de Washington, pour consolider la souveraineté politique de Sri Lanka qui nécessite une stratégie rendant le pays économiquement indépendant de ceux qui cherchent son assujettissement et sa domination, une stratégie capable de défendre les choix du peuple.


Si Sri Lanka doit éviter un scénario catastrophe, déjà vécu par d'autres pays qui croyaient aussi qu'ils seraient épargnés par Washington, il n'a pas d'autre alternative que de s'appuyer sur son propre peuple et sur son unité – et non pas sur une puissance étrangère – afin de protéger et de promouvoir ses intérêts. Il est également nécessaire de s'unir dans une opposition résolue à la logique criminelle de RtoP, qui vise non seulement à désarmer le peuple, mais à remplacer la gouvernance par une élite nationale soumise à la domination d'une élite étrangère.


Ce qui est nécessaire, c'est un effort collectif visant à développer une nouvelle société et une identité commune, fondée sur un héritage commun de valeurs et de principes, fondée sur la reconnaissance des besoins et des aspirations de tous les groupes de citoyens vivant à l'intérieur des frontières nationales. Pour permettre une véritable réconciliation, cette vision doit répondre au besoin de justice sociale, d'égalité et de non-discrimination, fondée sur les aspirations sociales plutôt que sur la cupidité de l'élite arriviste, donc aussi sur le renforcement de la base économique et sociale du pays.


Sur le plan international, Sri Lanka doit consolider son indépendance politique en éliminant sa vulnérabilité aux pressions de Washington et de ses alliés, en se libérant grâce à la diversification de ses relations économiques, financières et politiques, fondées sur le respect mutuel, la solidarité, la réciprocité et la complémentarité.


C'est seulement ainsi que Sri Lanka retrouvera sa place dans la communauté internationale et le respect de la dignité de son peuple et de son histoire millénaire !

 



[1]    Pour accéder au texte adopté par la Commission des droits de l'homme de l'ONU, se reporter à < http://fr.scribd.com/doc/131616227/UN-Resolution-on-Sri-Lanka > faisant suite aux travaux de la Commission sri lankaise de réconciliation : <   www.slembassyusa.org/downloads/LLRC-REPORT.pdf >

[2]    Prabhakaran était le chef de la rébellion séparatiste des Tigres tamouls, auteurs de nombreux attentats terroristes et suicides visant tant des fonctionnaires et des militaires sri lankais que de nombreux civils, cinghalais, musulmans mais aussi tamouls opposés à ses projets ou à ses méthodes politiques. Lors de l'effondrement de la rébellion soutenue par les puissances occidentales, celles-ci tentèrent sans succès de sauver son chef en l'exfiltrant avant la chute de leur dernier fief.

[3]    NDLR. En liaison avec l'apparition à Sri Lanka d'un parti ultra-bouddhiste auteur d'une virulente campagne islamophobe visant la minorité musulmane du pays. Parti qui semble bénéficier de l'appui tacite de membres du gouvernement dont on a découvert qu'ils avaient des relations étroites avec Israël.

[4]    NDLR. Depuis le démantèlement de la Yougoslavie, la Biélorussie a adhéré au Mouvement des non alignés, devanant ainsi le seul Etat européen membre de cette organisation.

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3 juin 2013 1 03 /06 /juin /2013 21:37

 

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Le cas de Sri Lanka est emblématique. En raison de la position stratégique de ce « porte-avion » possédant un port en eau profonde dans l'Océan indien, voie reliant le Moyen-Orient et l'Afrique avec leurs richesses à l'Asie orientale en plein développement. A un moment où « l'empire euro-atlantique » est entré dans une crise dégénérative profonde mais défend becs et ongles les restes de son statut de « vainqueur de la Guerre froide » et de puissance « unipolaire ». Nous avions déjà abordé la question dans notre numéro 41.

 

Nous reproduisons ici deux nouveaux articles parus à Sri Lanka, dans leur version originale en anglais et traduit en français, d'un des membre de notre Conseil scientifique. Qui a longtemps travaillé à l'ONU pour le droit au développement avant d'être ambassadrice de son pays dans plusieurs pays d'Amérique latine dont Cuba puis à Genève auprès de l'ONU. Et qui poursuit aujourd'hui à l'ONU avec l'appui des pays non alignés, sa lutte pour le droit au développement et contre les politiques d'ingérence des Etats de l'OTAN qui maintiennent leur pression en utilisant systématiquement le chantage aux droits de l'homme avec une telle hypocrisie et une telle arrogance que ce concept est aujourd'hui devenu largement une coquille vide qui continue pourtant à impressionner les faibles. Dans ce premier article, Tamara Kunanayakam relate les divisions profondes qui existent dans l'establishment de son pays et portant sur l'attitude à adopter envers les exigences occidentales. Article qui démontre que ce que Malek Bennabi, le théoricien algérien de l'anticolonialisme, nommait « la colonisabilité » existe toujours. Ce qui nous permet de comprendre, à partir de l'exemple de Sri Lanka, les aller et retours constatés dans les rapports de force internationaux alors même que le système dominant se trouve aujourd'hui largement délégitimé et sans plus aucune vision d'avenir.

 

La Rédaction

 

 

Le retour de Darusman: Rapport de Navi Pillay sur le Sri Lanka

 

(Version française – English version)

 

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printemps 2013


Tamara Kunanayakam

(20 Février 2013)


« Oh, mais grand-mère! Qu'est-ce que vous avez de grandes dents! 'C'est pour mieux te manger!' Et avec cela, le loup se jeta sur Little Red-Cap, dévorant son ensemble ».

Les Frères Grimm


«La vérité, l'âpre vérité»

Georges Jacques Danton

 


Qui est derrière Navi Pillay[1] ?


Compte tenu des bruits rassurants et conciliant qui ont émergé à Sri Lanka dans les milieux liés à l'establishment de sa politique étrangère ces derniers mois, notamment les déclarations selon laquelle il n'était pas question de critiquer Navi Pillay qui s'est opposée au représentant permanent de Sri Lanka à Genève,[2] il est probable que ces élites ont été brutalement réveillées de leur profond coma par la véhémence du rapport de la Haut-Commissaire et l'apparition presque simultanée d'un même projet véhément de résolution US qui sera déposé au Conseil des droits de l'homme dans quelques semaines maintenant[3] !


Apparemment, Washington et certains de ses alliés européens ont réussi à mettre l'establishment diplomatique de notre pays dans un état de profonde inconscience lui permettant de ressasser des assurances et réassurances, selon lesquelles il n'y aurait pas de résolution déposée cette fois parce que ses auteurs étaient satisfaits des progrès réalisés jusqu'ici. Et pourtant, il allait de soi que le Conseil allait être obligé de prendre position par une forme d'action, bonne ou mauvaise, portant sur un rapport qu'il avait lui-même demandé au Haut-Commissaire de lui soumettre pour examen à sa 22e session, et donc de placer formellement Sri Lanka à son ordre du jour.



La dernière sortie de lapin du chapeau de Navi Pillay !


Le gouvernement a été prié par le Conseil de présenter un plan d'action détaillé décrivant les mesures qu'il a prises et prendra pour mettre en œuvre les recommandations du rapport de la commission sri lankaise « Lessons Learnt and Reconciliation Commission » - LLRC[4], et pour traiter des violations présumées du droit international. Le Bureau du Haut Commissaire a été chargé de faire un rapport sur les conseils et l'assistance technique apportés par le Bureau, ainsi que sur les mécanismes de procédures spéciales pertinentes, qu'il a été encouragé à fournir pour mettre en œuvre ces mesures, exigeant toutefois que de tels conseils et assistance soient étendus «en consultation avec et en concurrence avec le gouvernement ».


Néanmoins, en dépassant grossièrement le caractère technique de son mandat, le Bureau a concocté un rapport politique qui ressemble à celui d'un mécanisme de suivi plutôt qu'à un rapport technique décrivant les besoins déterminés par le gouvernement sri lankais, les conseils et l'assistance technique que le Bureau pourrait offrir dans ce but. Le rapport contient une évaluation arbitraire de la situation sur le terrain, la recherche des lacunes dans le travail de la LLRC, présente des allégations comme étant des faits, portant a priori des jugements sur ce que le gouvernement a fait ou n'a pas fait, et se permet de définir unilatéralement les domaines devant être prioritaires dans l'action du gouvernement.


Ayant dépassé le rôle de fournisseur d'assistance technique à l'autorité politique, en violation du mandat donné à son bureau et en empruntant beaucoup de ses recommandations au rapport Darusman[5], le Haut Commissaire dicte pratiquement les mesures que le gouvernement devrait prendre !


L'aiguillon dans le rapport cependant, se trouve dans son dernier paragraphe, avec une recommandation, cette fois adressée au Conseil, et qui n'est rien d'autre qu'une reproduction de la recommandation 1 (B) du Groupe Darusman.


Compte tenu de la partialité notoire et de la sélectivité du Bureau et de sa persistance à vouloir jouer le rôle de catalyseur, un rôle expressément interdit par le Conseil, il appelle à « une enquête internationale indépendante et crédible sur les violations présumées des droits humains internationaux et du droit humanitaire, qui pourrait aussi contrôler tout le processus national dans le but rendre des comptes. » Il encourage le Conseil à faire ainsi en invoquant les points de vue des groupes de pression qualifié de « nombreux acteurs au Sri Lanka, comprenant aussi des éminents leaders communautaires » qui auraient affirmé que l'attention portée par le Conseil pour « les questions de responsabilité et de réconciliation » a « contribué à créer un espace de débat et catalysé des avancées positives. »

 

Navi Pillay a donc été clairement inspirée par Darusman ! Elle commence son analyse et la termine avec Darusman, empruntant la voie visant à fournir des munitions et la justification nécessaire pour amener la question de Sri Lanka un peu plus loin, celle d'un simple problème technique vers un problème politique devant être présenté sous le point 4 de l'ordre du jour du Conseil, ouvrant ainsi la voie menant à un contrôle international sur ce pays, et confirmant ce que j'ai déclaré dans une interview à Ayesha Zuhair du Daily Mirror, le 22 Avril 2012, selon lequel la référence à la LLRC dans la résolution du Conseil était une feinte comme il en existe dans la stratégie militaire, et que le véritable objectif de ses auteurs était de mettre de l'avant la nécessité de rendre des comptes et de donner une légitimité au rapport Darusman. De là à ce qu'il atterisse à New York, ce n'est plus qu'une question de temps !


L'importance accordée au controversé « Groupe d'experts sur l'obligation de Sri Lanka à rendre des comptes » dirigé par Darusman dans le deuxième paragraphe du rapport n'est guère innocente, étant donné que les introductions aux rapports de l'ONU sont généralement consacrées à établir la liste des autorités législatives sur lesquelles elles s'appuient. C'est calculé pour servir un objectif politique prédéterminé, le paragraphe en question répétant de manière sélective, comme des perroquets, l'allégation notoire que le Groupe spécial Darusman « a trouvé des allégations crédibles de violations potentielles graves du droit international commises par le gouvernement de Sri Lanka et les Tigres de libération de l'Eelam tamoul ( LTTE) » !

 

Rappelons la session de Septembre 2011 du Conseil des droits de l'homme, lorsque nous avons réussi à galvaniser le soutien des pays en développement visant à prévenir la tentative de nos détracteurs d'imposer la légitimité du rapport Darusman en le faisant entrer par la porte de derrière pour le présenter au Conseil par l'intermédiaire de son président de l'époque ?

 

Dans une vision caricaturale de son rôle, le Haut Commissaire met en place un noeud coulant pour justifier le fait d'aborder des questions politiques. Par conséquent, le rapport proprement dit se fonde sur les questions identifiées dans un paragraphe du préambule, paragraphe qui n'a aucune validité opérationnelle et qui n'est pas lié à la demande expresse faite au Bureau. Le résultat est qu'il permet de jongler avec les faits et de porter des jugements a priori permettant de servir l'agenda politique de auteurs de la résolution, qui se trouvent également être les principaux bailleurs de fonds du Bureau et les trésoriers de l'écrasante majorité de son personnel au Haut-Commissariat - un fait connu de tous, mais que l'establishment de la politique étrangère du Sri Lanka a choisi d'ignorer ! Le rapport fait un effort maladroit pour réécrire l'histoire, afin de démontrer la continuité qui existerait entre les événements de 2009 et la situation actuelle, de sorte que Sri Lanka relèverait dès lors de la compétence du Conseil, afin de monter un dossier visant à démontrer que le gouvernement sri lankais n'est pas disposé ou est incapable de protéger ses propres citoyens, préalable juridique permettant d'invoquer la tristement célèbre «responsabilité de protéger» par une «communauté internationale» nébuleuse.


La conclusion tirée de cette tentative grossière est reflétée dans le résumé du rapport qui mérite d'être cité :


 «Les mesures prises pour enquêter sur de nouvelles allégations de violations graves des droits de l'homme n'ont pas été concluantes, manquant de l'indépendance et de l'impartialité nécessaire pour inspirer confiance. Au même moment, on continue à signaler des exécutions extrajudiciaires, des enlèvements et des disparitions forcées au cours de la dernière année, ce qui souligne l'urgence de lutter contre l'impunité ».


Comme je l'ai déclaré à Ayesha Zuhair dans mon interview, l'objectif des auteurs de la résolution de Mars 2012 a été d'établir un rapport accablant à l'occasion de la prochaine session, qui a) donne une légitimité à Darusman, cette fois-ci en utilisant la personne du Haut Commissaire, ce pourquoi la résolution a été déposée en vertu de l'article 2 portant sur son rapport annuel et non au titre du point 11 concernant l'assistance technique; b) relie le passé, le présent et l'avenir, et c) démontre la mauvaise foi du gouvernement sri lankais et l'absence de volonté politique visant à résoudre les problèmes soulevés dans la résolution. Grâce à mon accès privilégié à l'information au sein du Bureau du Haut Commissaire, j'ai eu connaissance dès le début de ce plan visant à réintroduire le plan Darusman, mais les dirigeants de notre establishment de la politique étrangère ont rejeté cette information, comme ils le faisaient pour tous les autres renseignements ou analyses que j'ai fournies ou pour les suggestions que j'ai formulées.


Mes observations et mes analyses sont basées sur ma propre expérience au sein du système des droits de l'homme de l'ONU depuis 1989, expérience qui a débuté avant les métamorphoses du Centre pour les droits de l'homme qui fonctionnait comme secrétariat d'un organisme multilatéral à celle de Bureau politique du Haut Commissaire qui est souvent en conflit avec l'organisme d'où elle tire son autorité. J'ai eu connaissance du fait que l'ONU publiait des rapports de mission rédigés par certains puissants gouvernements, avant même que la mission n'ai eu lieu ! Le reste appartient à l'histoire !


Dans un avant-goût des choses à venir, le dernier lapin que Navi Pillay a sorti de son chapeau ne fait pas mystère sur les intentions réelles des auteurs - légitimer Darusman et l'intervention internationale visant Sri Lanka; valider la résolution du Conseil de Mars 2012; isoler Sri Lanka en réfutant les arguments juridiques et procéduriers que certains d'entre nous avaient proposé en Mars 2012 lors du précédent réglage de la nature de la résolution, ce qui avait contribué à galvaniser le soutien des pays en développement, et s'était reflété dans les votes contre ou les abstentions concernant la résolution présentée par les Etats-Unis; encercler la direction sri lankaise, ouvrant ainsi la voie à un changement de régime.

 


L'Establishment de la politique étrangère du Sri Lanka: myopie, incompétence ou calcul (ou «jouer  pour perdre») ?


La myopie de l'establishment de la politique étrangère de Sri Lanka à l'égard de son importance stratégique sur le grand échiquier de la politique mondiale, ou - pour lui donner le bénéfice du doute - son incompétence, ou bien même le calcul de certains secteurs puissants à l'intérieur du pays qui peuvent tirer profit de la défaite, a abouti à l'isolement rampante de Sri Lanka au niveau international, à l'encerclement de son Président en vue d'un «changement de régime», ou tout simplement, à la suppression d'un chef d'Etat indépendant et trop imprévisible, mais toujours très populaire, qui, avouons-le, constitue la véritable cible. Je pourrais être accusée d'être une théoricienne de la conspiration, mais ce n'est pas parce que l'homme et le chien semblent être situés physiquement sur les côtés opposés qu'ils ne travaillent pas ensemble pour rassembler les moutons qui se trouvent entre eux !


Pourquoi l'establishment a-t-il mis en place une politique étrangère qui a pris dans un piège le pays en l'amenant dans un cercle vicieux ? Pourquoi nos adversaires ont-ils adopté une sempiternelle politique défensive visant à s'assurer du « temps et de l'espace», tout en «plaidant coupable» pour avoir abattu le terrorisme sans leur aide ? Pourquoi blâmer une « diaspora » obscure pour des interventions conçues par les grandes puissances, poussant à mettre tous les Sri Lankais vivant à l'étranger dans un même panier, quel que soient les communautés auxquelles ils appartiennent, y compris la majorité de la diaspora tamoule qui ne soutient pas le terrorisme ou le séparatisme ? Pourquoi faire montre de chaleur puis ensuite de froideur envers la personne de Navi Pillay, sans regarder derrière elle, en direction de l'institution qu'elle représente, qui n'est qu'un simple reflet du rapport de force international dans le monde réel, un instrument du grand et du puissant ?


A notre establishment de la politique étrangère nous devons poser la question de savoir comment les objectifs de la politique étrangère de Washington sont définis, ou celle de Londres, de Paris, ou  d'Ottawa? Est-ce que Mme Navi Pillay peut influencer les décisions de Washington, ou est-ce que sont les actions de Washington qui influencent Navi Pillay ?

 

Est-ce la «diaspora», ou le LTTE et ses partisans, qui influence Washington et ses alliés, ou sont-ils seulement de simples outils dans leurs mains pour faire avancer les objectifs impérialistes à travers la mise en place d'une nouvelle architecture internationale fondée sur la suprématie et l'unilatéralisme étatsunien plutôt que sur le multilatéralisme, un système basé sur les principes de l'égalité souveraine des Etats et le droit des peuples à l'autodétermination qu'ils considèrent comme un anachronisme, en particulier dans le contexte de l'effondrement de l'économie occidentale, de l'émergence de la Chine, et d'un équilibre mondial du pouvoir tendant à se déplacer loin de son orbite de contrôle? Est-ce que l'establishment de la politique étrangère de Sri Lanka a étudié les interventions extérieures en Yougoslavie, en Irak, en Afghanistan, en Libye, en Syrie, au Mali, ou en Amérique latine, et comment les interventionnistes ont créé et utilisé des dissensions internes et transformé en mercenaires des opposants sans scrupules et sans principes ?


Pourquoi notre establishment de la politique étrangère reste-t-il aveugle aux ambitions mondiales des États-Unis et de leurs alliés, ignorant un domaine d'étude appelé la géopolitique et sa branche qui s'occupe de géostratégie ? Il n'y a pas longtemps, j'ai été consternée d'entendre le fonctionnaire le plus haut placé aux affaires extérieures me dire que Sri Lanka n'a pas d'importance stratégique !


Pourquoi notre establishment de la politique étrangère n'affronte-t-il pas la tête haute les défis mondiaux de notre temps dont Sri Lanka, à l'instar de nombreux autres pays en développement, n'est qu'une victime, joignant nos forces avec le même esprit visant à la restauration de son rôle historique en tant que promoteur du non-alignement qui a joué un rôle essentiel dans la construction d'un véritable multilatéralisme, le seul système qui puisse garantir l'égalité souveraine entre les grands et les petits, les puissants et les faibles, les riches et les pauvres, les pays développés et les pays en développement, le Nord et le Sud ? Sommes-nous en train de nous éloigner de la Mahinda Chintana[6] ?


Notre establishment de la politique étrangère a grossièrement sous-estimé les instruments et les moyens que le système multilatéral met à notre disposition pour assurer le respect de la souveraineté, tout en surestimant le rôle de la personne de Navi Pillay. S'il y avait eu un minimum de compréhension du jeu des rapport de forces internationaux et de l'importance de renforcer la position internationale de négociation de Sri Lanka, le ministère des Affaires extérieures aurait saisi le sens de mon initiative préventive d'écrire au Haut Commissaire en lui demandant de clarifier un courriel interne qui a exposé le rôle de catalyseur joué par le Haut-Commissariat pour la promotion de la résolution 2012 face à Sri Lanka, ce qui a soulevé des doutes quant à son impartialité, son objectivité et sa non-sélectivité, en violation du mandat que lui a confié l'Assemblée générale. Au lieu de saisir cette occasion en or, le ministère des Affaires extérieures s'est publiquement distancié de la déclaration de son propre représentant permanent à l'ONU, rassurant Navi Pillay, qu'il n'avait pas l'intention de porter des accusations contre elle,[7] cédant ainsi sans combat un outil de négociation inestimable. L'establishment de la politique étrangère a également rejeté comme une patate chaude notre initiative visant à prendre les devants pour proposer une résolution qui était populaire et visait à assurer la transparence du Bureau du Haut Commissaire et l'obligeait à rendre des comptes à l'organe multilatéral d'où il tire son autorité, une résolution qui aurait pu être adoptée avec une majorité écrasante et considérablement renforcer notre crédibilité et notre pouvoir de négociation. Mais quand l'Occident s'est vicieusement opposé à toute initiative qui aurait pu affaiblir son emprise sur l'institution et saper ses positions, cela ne faisait pas partie de la stratégie de compromis choisi par notre establishment de la politique étrangère. Dans ces circonstances, la récente critique de Navi Pillay par le Secrétaire par intérim Kshenuka Seneviratne de notre Ministère des relations extérieurs portant sur ses déclarations sur Sri Lanka sonne creux et hypocrite, et a peu de poids, désarmés que nous sommes et tanguant comme nous le faisons d'une attitude extrêmement conciliante à une hostilité apparente, dépourvue de raisonnement et de vision.


Pourquoi l'establishment de notre politique étrangère place-t-il une confiance infinie dans nos détracteurs, tout en trahissant nos amis et alliés naturels au sein de la communauté internationale, ce qui entrave l'avancement des questions promues par le Mouvement des pays non alignés, appliquant aveuglément les sanctions étasuniennes unilatérales illégales contre des pays qui se sont tenus de notre côté, réagissant par un silence assourdissant en renonçant à nos principes en échange d'avantages éphémères et contestables, et en soutenant tacitement les interventions extérieures en Syrie, Iran, Corée du Nord, en Palestine, en Libye, en Afghanistan, en Irak, pays qui ont eu des gouvernements ciblés pour un «changement de régime» par les mêmes puissances qui s'apprêtaient à intervenir militairement pour sauver Prabakharan et ses acolytes[8], qui n'ont pas pardonné à Sri Lanka sa victoire en solitaire sur le terrorisme, et qui continuent d'avoir leurs yeux rivés sur nous ? Et pourtant, ce même establishment de la politique étrangère, sans vergogne, va s'adresser aux pays en développement qui détiennent la majorité au sein du Conseil, pour les prier de lui accorder leurs votes ! Pas étonnant que Sri Lanka ai acquis à Genève l'opinion d'être un allié peu fiable et opportuniste, qui cherche le contact avec des représentants de pays uniquement lorsqu'un vote lui est nécessaire !


Quiconque a eu à négocier sait que si quelque chose doit être atteint, il faut le faire à partir d'une position de force. Pourquoi alors avons-nous affaibli notre position de négociation dans les moments les plus cruciaux, en allant demander à genoux à nos ennemis de l'aide, en quémandant pour obtenir plus d'argent, plus de prêts du FMI, dans le cadre du Generalized System of Preferences (GSP), arguant que notre survie économique dépendait de leur bienveillance, succombant à des conditionnalités extérieures et compromettant ainsi les principes mêmes pour lesquels nos parents et grands-parents se sont battus ? Pourquoi l'establishment de la politique étrangère a-t-il choisi les moments cruciaux de la bataille pour diviser ses forces en opposant des diplomates de carrière contre les nominations politiques, des chefs de missions contre leurs adjoints, des représentants du commerce contre des représentants de la politique étrangère, du personnel national contre du personnel recruté localement, et ainsi de suite, sans fin ?


Pourquoi face à une telle hostilité, l'establishment de notre politique étrangère abaisse les défenses du pays, ce qui affaiblit nos positions, et renforce les leur, en se laissant isoler, encercler et exposer à une attaque extérieure dont, en fin de compte, les gens ordinaires seront victimes ?


Notre establishment de la politique étrangère serait-il affligé de myopie, ou est-ce de l'incompétence ou de la cupidité de certains secteurs lorgnant pour avoir une part du butin par une alliance opportuniste avec le riche et le puissant ?

 


Sri Lanka, dans l'œil du cyclone ?


A la veille de la 22ème session du Conseil, Sri Lanka apparaît sous une lumière sombre, dans un scénario du style petit Chaperon Rouge de Grimm, avec des conditions objectives et subjectives jouant contre elle. Son pouvoir de négociation est en lambeaux, et elle sera littéralement jetée aux loups, ou AU loup !


Le Conseil sera saisi, d'au moins deux documents officiels: un rapport accablant du Haut Commissaire et un autre sur l'Examen périodique universel. Il y a aussi la possibilité que le fantôme du rapport Darusman fera sa réapparition sous la forme d'une référence au rapport Petrie Charles de révision interne de l'ONU sur les actions de l'ONU à Sri Lanka au cours des dernières étapes de la guerre, une recommandation de Darusman qui ne montre pas Sri Lanka sous une lumière positive.


Sri Lanka n'est pas membre du Conseil et n'y a pas de droit de vote. Elle devra faire face à un bloc puissant de pays alliés avec les Etats-Unis, un autre membre votant, avec la Pologne à sa tête qui préside le Conseil.


Si l'establishment de la politique étrangère décide de s'en prendre à ses adversaires, la tête haute - ce qui est très peu probable connaissant son penchant pour transiger sur les principes avec ses propres ennemis, il aura des difficultés à trouver un proxy pour parler en son nom, étant donné que Cuba n'est plus un membre du Conseil. Rares sont les pays qui ont le courage de se mouiller pour des questions de principes, et qui sont dotés de ce noble sentiment de solidarité envers leurs semblables. Sri Lanka aura également perdu la Russie et la Chine, qui sont hors du Conseil cette année. Il est également probable que, depuis Mars 2012, Sri Lanka aura perdu quelques-uns de ses amis non-alignés, qui ont été consternés par les tentatives de l'establishment de la politique étrangère de saboter les questions qui leur tiennent à cœur, questions qui reflètent la poursuite du débat sur la décolonisation et la défense du multilatéralisme.


A moins de démontrer que le maintien de Sri Lanka à l'ordre du jour peut créer un dangereux précédent affectant négativement la souveraineté et l'indépendance des autres pays et le multilatéralisme en général, et si dans les quelques jours et semaines à venir, nous pouvons regagner la confiance de nombreux amis et alliés que nous avons perdus au cours des trois dernières années écoulées depuis la session spéciale de 2009, on peut penser que peu de pays en développement vont se mouiller pour défendre Sri Lanka contre une initiative étasunienne.


Nous nous sommes mis dans une position de faiblesse et le décor est planté pour une résolution de consensus, dans laquelle Sri Lanka se place contre Sri Lanka !


Notre pays et son peuple ont besoin d'une vision permettant de rétablir son rôle historique, d'avoir une stratégie à long terme qui soit dans leur intérêt, d'une analyse correcte de la situation internationale, géopolitique et la géostratégique, d'une cohérence et d'arguments convaincants, et de moyens permettant de défendre nos valeurs millénaires. Aujourd'hui, nous nous trouvons peut-être avec un pas de plus vers le « changement de régime », mais le pays n'est pas désarmé pour autant, doté qu'il est de femmes et d'hommes de qualité, patriotes, capables de faire face à cette nouvelle menace à sa souveraineté, sans précédent par sa gravité depuis que l'indépendance a été gagnée en 1948 !

 

 

English version :

 


Geneva :  “Responsibility to Protect” Vs sovereignty of the people!

 

Tamara Kunanayakam

 

“Only the working class in its mass remained loyal to the profaned homeland!”

Francois Mauriac, 1943

 

 

Reactions to the latest US resolution adopted by the Human Rights Council have varied from lamenting about unjust criticism when significant progress in resettlement, reconstruction and demining has been made, to complacency about minor amendments, although these have left intact its essence, the relentless logic that underpins the “Responsibility to Protect” (RtoP). Despite these differences, there seems to be a consensus that the text is soft, harmless, and “nothing to worry about.”

 

It is this latter interpretation, which disregards that accountability is only a pretext for Washington to advance its geopolitical interests in the region, that I consider my duty to challenge in this piece, an interpretation for which, until recently, I had a more charitable explanation – erroneous reading of the text! I have meanwhile revised this position. The startling suggestion from certain high quarters that Sri Lanka “become a stronger geopolitical and strategic ally” of the US and confirmation of behind the scenes concessions to Washington as the US draft was being considered by the Council, indicate that sections of the ruling elite might have chosen to capitulate and bargain away our independence and sovereignty.

 

The relentless logic that underpins the “Responsibility to Protect” (RtoP) remains intact! According to that logic, if the State fails to protect its citizens, then that responsibility is transferred away from the people within that State to an alien power. This new concept that the US seeks to impose on UN member States as an ideological pillar of the new international architecture attacks the sovereignty principle, effectively depriving the people of their inalienable right to self-determination, and its corollary, permanent sovereignty over natural wealth and resources, without which the right to self-determination will be bereft of substance. RtoP effectively transfers sovereignty from the people to an alien power, meaning, in today’s still unipolar world, the USA. The ideology that underpins RtoP, which is that peoples’ of developing countries are incapable of governing themselves, is no different from the ideology of racial superiority advanced by former colonial powers in their so-called “civilising mission” over peoples of Africa, Asia and Latin America that lasted over five centuries.

 

Speaking to press in September 2001, Silvio Berlusconi, declared, “

We should be conscious of the superiority of our civilisation, which consists of a value system that has given people widespread prosperity in those countries that embrace it, and guarantees respect for human rights and religion.” He also said the West was "bound to occidentalise and conquer new people.

 

 

In this context, it is legitimate to question the motivations behind sections of the ruling elite who argue that if harshness there is in Washington’s attitude toward Sri Lanka, then it is due to the unkindness or “megaphone diplomacy” on the part of some of us. Is it meant to disarm the people, to justify a choice that swings between discarding all dignity and pleading for “time and space” (to do what is, anyway, the country’s sovereign right and responsibility to do), or capitulating and accepting a strategic alliance with Washington? 

 

Under the circumstances, it is a moral obligation and a patriotic act to examine the text thoroughly, grasp its implications, and understand why “the Sri Lanka issue” is increasingly moving centre stage in the most politicised of all UN fora. Only that will arm the people, collectively, with the knowledge, conviction, and the confidence to assume responsibility for defending their sovereignty in the months and years ahead, in the context of US ambitions to dominate Asia in its quest for global supremacy that is, elsewhere, leaving behind ruin, dissension, chaos, death, deprivation, and despair for all those who have become victims of its aggression.

 

Washington’s focus on accountability – pillar of the controversial “Responsibility to Protect” (RtoP)

 

Government and critiques alike, for different reasons, provide a skewed interpretation of the text, wrongly concluding that the focus of the resolution is on reconciliation and LLRC recommendations, missing its essence – accountability. It ignores the fact that the entire US text is built on a concern that LLRC and the National Action Plan do not “adequately address serious allegations of violations of international human rights law and international humanitarian law.”

 

This focus on accountability is not motivated by a genuine belief that there can be no reconciliation without it, but because accountability is the pillar upon which the Responsibility to Protect (RtoP) stands, a concept initially known as the “right to intervene,” which Washington is forcing upon the UN so as to provide legitimacy for its increasingly aggressive unilateral interventions, and domination of peoples and their wealth and resources in countries of strategic interest to Washington!

 

As early as 2011, the High Commissioner for Human Rights declared her intention to send a team to identify the gaps in the LLRC report. The thrust of the report of Stephen J. Rapp, Ambassador-at-Large in the Office of Global Criminal Justice at the US State Department, presented to the US Congress in April 2012, was that an independent mechanism must be established to investigate the “credible allegations, which the LLRC failed to address.”The March 2012 and 2013 resolutions, both authored by the US, acknowledge only LLRC’s “possible contribution” to reconciliation.

 

Washington’s stand, in the case of Sri Lanka, is that there can be no reconciliation without accountability, contrary to that it adopted for those responsible for apartheid South Africa or US-supported military juntas in Latin America. US Ambassador Eileen Donahoe, speaking to the press in Geneva, was clear that the resolution was a signal by the international community that “lasting peace and reconciliation in Sri Lanka will require meaningful steps toward truth and accountability.” “The international community,” she said, “knows an independent and credible investigation must go forward and that that’s what’s lacking.”

 

As for the language and meaning of the text, Washington is also very clear: “if you compare the text from last year… it is fair to say there’s a strengthening in the language and the meaning of the text … and does rely heavily on the findings of the High Commissioner, which were serious and reasserted the need for a truth mechanism. Very clearly!”  

International machinery set in motion

 

In a smart move that seems to have gone totally unnoticed by the foreign policy establishment, Washington has sneaked into the resolution the beginnings of the international machinery conceptualized by the Darusman Panel and incorporated in the Navi Pillay Report. Since then, Sri Lanka’s foreign policy makers have adopted an Ostrich-like attitude, perhaps wishing away a mechanism that is suddenly taking on frightening proportions.

 

The resolution sets in motion the monitoring component of the international investigation mechanism; the mandate is assigned to OHCHR, a “constructive role for the Office,” according to US Ambassador Michele Sison in Colombo. The Office is asked to report to the Council in five months, and again in seven months, on the implementation by the Government of the requests contained in operative paragraphs 2 and 3, which focus primarily on accountability.  The Council approved the allocation of General Budget funds to engage a professional staff person for 5 months to conduct research, consult with “stakeholders”, and to produce draft texts. It is likely that additional staff will be recruited using voluntary funds originating from rich countries with conditions attached.

 

OHCHR will be monitoring and reporting on the steps taken by the Government to: (1)conduct an independent and credible investigation into allegations of violations of international human rights law and international humanitarian law, as applicable”; (2) implement “effectively” the “constructive” recommendations of LLRC (meaning those related to accountability); and, (3) “fulfil its relevant legal obligations and commitment to initiate credible and independent actions to ensure justice, equity, accountability, and reconciliation for all Sri Lankans.

 

In a clear indication that Washington is moving resolutely toward international action, the only request addressed to OHCHR is monitoring and reporting. Unlike the 2012 resolution, the 2013 resolution does not request OHCHR to provide technical assistance to Sri Lanka; it only “encourages” it to do so.

 

Implacable logic of “Responsibility to Protect” (RtoP)

The 2013 resolution subjects Sri Lanka, henceforth, to the implacable logic of the “responsibility to protect,” applicable to four specified crimes: genocide, war crimes, ethnic cleansing and crimes against humanity, as well as to their incitement. A controversial concept, it was initially conceived as the “right to intervene” by Bernard Kouchner, former Minister of Foreign Affairs of France, who participated in the 2009 operation to rescue Prabhakaran, along with US Secretary of State Hillary Clinton and British Foreign Secretary David Milliband. 

 

It is significant that all three pillars of this still debated concept are reflected in the latest US resolution: (1) the primary responsibility of the State to protect its populations; (2) the responsibility of the “international community” to encourage and assist States in fulfilling this responsibility; and, (3) the responsibility of the “international community” to protect in a “timely and decisive” manner when the State is unable or unwilling to do so, through “appropriate” diplomatic, humanitarian and other means, including coercive military intervention.

 

As for pillar one, the latest resolution is further defines the steps the Government must take to fulfill its responsibility.

 

Elements of pillar two are reflected in the encouragement to OHCHR and special procedures mechanisms to provide advice and technical assistance to the Government to fulfil that responsibility. This point was also emphasised by US Ambassador Donahoe in her press statement: “The United States stands ready to assist Sri Lanka... The Office of the High Commissioner, as well as the Special Procedures, are also standing by ready to assist the government of Sri Lanka with technical assistance and capacity building so that they can move forward toward a sustainable peace and reconciliation, based on truth and accountability.

 

The Charter obligation to cooperate with UN mechanisms, in accordance with articles 55 and 56 of Chapter IX on International Economic and Social Cooperation, is also reflected in the request to OHCHR to prepare the report on Sri Lanka “with input from relevant special procedures mandate holders.” Despite the trumpeting about “small victories” achieved through “amendments,” the request to OHCHR meets Washington’s objective of providing Navi Pillay with the space necessary to demonstrate that GoSL is failing in its Charter obligation, should it continue to ignore them.

 

However, it is the decision to put in place the monitoring and reporting components of an international investigation mechanism that is the most significant, in that it sets in motion the still debated and controversial third pillar of RtoP, which authorises the “international community” to utilise a wide range of tools, from peaceful to coercive measures such as economic and political sanctions or military intervention. 

 

The language of the resolution is harsh. It seeks to demonstrate that GoSL is unwilling – not just unable – to protect its own populations and has also failed to cooperate with the UN in carrying out this primary responsibility, so as to justify application of the third pillar. While providing the Government another opportunity to conduct “independent and credible investigations” domestically, the decision to ensure external monitoring also signals the lack of confidence in its willingness to do so.

 

The text is clear in its judgement that the Government has failed to adequately address accountability for past abuses and by doing so, has also failed to prevent “continuing ... violations of human rights,” thus bringingthe Sri Lanka issue squarely within the mandate of the Council, which handles ongoing, not historical, situations. It is noteworthy that “discrimination on the basis of religion or belief” was added to the list of “continuing reports of violations” only in the final version. Its simultaneity with the dispatch of a letter addressed to the Government by the 57 member Organisation of Islamic Cooperation expressing concern over the anti-Muslim campaign launched even as the Council was meeting, is an indication that Sri Lanka may risk losing the traditional support it has benefited from.

 

US Ambassador Donahoe, speaking to the press in Geneva shortly after adoption of the resolution, claimed that the US had put forward the resolution “out of a genuine concern about the lack of follow-through on the promises by the government of Sri Lanka to carry out a credible form of domestic accountability.” Linking impunity to continuing reports of violations of human rights, she referred to “the deteriorating human rights situation in Sri Lanka” over the past year and recalled strong concerns “over the lack of progress on these vital issues as well as backsliding on respect for human rights and the rule of law” and the “protection of human rights in the current situation as well.”

 

The logic pursued is that if there is no accountability for past crimes, impunity for present crimes will continue and give rise to similar crimes in the future, which, in turn, justifies external intervention to ensure that the population is protected from future crimes. As will be shown below, the resolution clearly envisages the establishment of an international investigation mechanism as a next step.

 

With this implacable logic, it would have been sufficient victory for Washington had the resolution only contained four elements, one implying failure of the Government to take independent and credible action to ensure accountability, another expressing concern about continuing violations,  a third implying failure to cooperate with UN mechanisms, and, a fourth, requesting the High Commissioner to report on implementation! A reference to “international investigation” would not even have been necessary, since it is the logical next step!

 

Possible next steps

 

The next steps will depend on the content of the monitoring reports, oral and written, submitted by the High Commissioner to the Council at its September 2013 and March 2014 sessions.  US Ambassador Donahoe admitted that the latest resolution had relied “heavily on the findings of the High Commissioner.” That resolution now contains all the elements necessary for Navi Pillay to orient her future reports.

 

Declarations of the foreign policy establishment, its representative in Geneva, statements of certain members of the Government, and the interpretation given to the text, all indicate that the ruling class is unlikely to respond to the real issues posed in the latest resolution or adopt a domestic and foreign policy capable of rendering the country less vulnerable to external pressures. Instead, the signs are that it is caving under US pressure, surrendering the country’s sovereignty and independence, isolating it further from its natural allies – the UN majority – with whom the country shares common interests, and increasing its vulnerability to external intervention.

 

Sri Lanka should remember that a similar line was adopted by Yugoslavia’s Slobodan Milošević, Iraq’s Saddam Hussein, Libya’s Muammar Gaddafi, Sudan’s Omar Hassan Ahmad Al-Bashir, and to a certain extent, Syria’s Bashar al-Assad  – who all initially conceded to US pressures in the delusion that Washington was a friend.

 

It is likely that the reports produced by OHCHR in September 2012 and March 2014 will seek to confirm that Sri Lanka is not willing to fulfil its responsibility to protect by conducting “independent and credible” investigations and cooperating with UN mechanisms. Any allegation received by UN special procedures mandate holders during this period and any instance of impunity, will be utilized to demonstrate the failure to arrest a dangerous trend.

 

The next step is reflected in the first operative paragraph of the latest resolution, which by welcoming Navi Pillay’s Report and its conclusions and recommendations, implicitly endorses her call for an independent and credible international investigation into alleged violations of international human rights law and international humanitarian law.” To remove any ambiguity, the call is explicitly spelled out in the preamble.

 

And, for those who haven’t understood, US Ambassador Michele Sison, speaking to the Foreign Correspondents Association in Colombo on 8 April, said that what happens next depends on the government of Sri Lanka. The UN High Commissioner for Human Rights’ report ... reaffirmed a long-standing recommendation for ‘an independent and credible international investigationinto alleged violations of international human rights and international humanitarian law in Sri Lanka. The latest resolution took note of this call, and asks the Office of the High Commissioner to update the Council on Sri Lanka’s progress at the September 2013 session and present a comprehensive report in March 2014. The latest resolution also encourages Sri Lanka’s government to respond to the eight outstanding requests by UN special procedures mandate holders.

 

In an earlier statement, Ambassador Sison said that Washington would renew “consideration of all options available in the UNHRC and beyond,” pointing out that international mechanisms can be appropriate when States are either unable or unwilling to meet their own obligations. A few days after the resolution was adopted, US Assistant Secretary of State for South and Central Asian Affairs, Robert Blake, warned that it may be forced to investigate alleged war crimes if the Sri Lankan government does not conduct its own "independent and credible" inquiry.

 

It is likely that in a follow-up resolution, the US will focus on a combination of pillar two and three responsibilities of the international community to “respond collectively in a timely and decisive manner when a State is manifestly failing to provide such protection.”

 

Available tools for external intervention – pacific and coercive

 

The 2005 World Summit Outcome Document endorsed by the General Assembly,  provides a range of tools available under the UN Charter to the international community, both pacific measures envisaged under Chapter VI on Pacific Settlement of Disputes and Chapter VIII on Regional Arrangements that have traditionally been carried out either by intergovernmental organs or by the Secretary-General, as well as coercive measures under Chapter VII, should peaceful means be inadequate and national authorities manifestly failing to protect their populations from genocide, war crimes, ethnic cleansing and crimes against humanity.” Under Chapter VII, the Security Council may authorize coercive measures, including economic and political sanctions or coercive military intervention.

 

·          Peaceful measures

 

Chapter VI provides for peaceful measures, including negotiation, enquiry, mediation, conciliation, arbitration, judicial settlement, resort to regional agencies or arrangements, or other peaceful means, including by appointing eminent persons or special envoys to initiate dialogue and prepare for local, regional or UN mediation or facilitation efforts as in the case of Libya, or Southern Sudan, or Syria.

 

Washington could, as a next step, and through the UN, call for international assistance under pillar two in the form of an international commission of inquiry, a Special Rapporteur, or an Independent Expert to establish the facts and to identify the perpetrators of crimes and violations relating to RtoP.

 

Commissions of Inquiry and fact-finding missions are increasingly used and may be established by the Secretary-General, the Security Council, or the Human Rights Council as it did in the case of Syria to conduct investigations and gather “a body of evidence” that will help ensure accountability. At its recent session, the Council also established a Commission of Inquiry on the Democratic Peoples’ Republic of Korea, a country that Sri Lanka recently joined Washington in condemning! It is noteworthy that Darusman was the Council’s Special Rapporteur on DPRK and is also expected to serve on the Commission. Both Commissions were established on the basis of reports submitted by Navi Pillay.

 

In an indication of the consequences, Rupert Colville, Navi Pillay’s spokesman pointed out that “earlier Commissions of Inquiries played really key roles in moving situations into the area of international justice, for example … a Commission of Inquiry…in the former Yugoslavia, which predated the Hague Tribunal…”   What Rupert Colville does not say is that the first illegal war of aggression led by US-led NATO forces against Yugoslavia, under the guise of protecting human rights, resulted in thousands of civilian deaths and more than 6,000 seriously injured, according to the Independent Commission of Inquiry called by Ramsey Clark, former US Attorney General. Children made up 30% of all casualties and 40% of total number injured.  In addition, approximately 300,000 children suffered severe psychological traumas and will require continuous medical surveillance and treatment. Having got rid of Milosevic, the aggressors dismantled Yugoslavia – the only NAM country in Europe – giving birth to the now famous “Kosovo model” championed by Washington and its allies.  According to European Union expert Swiss Senator Dick Marty, Kosovo has become the centre of trafficking – from drugs, to arms, to human organs, to prostitution, under the control of the so-called freedom fighter and current Prime Minister of this artificial state, Hashim Thaci.

 

Chapter IV of the UN Charter also authorizes the General Assembly and the Secretary-General to bring “situations which are likely to endanger international peace and security” to the attention of the Security Council, as in the case of Syria. The High Commissioner may request the Security Council to bring to its attention her report on Sri Lanka, a request that the Council may or may not grant, depending on the Government’s ability to unite its forces internally and externally through actions at domestic, regional and international levels. Navi Pillay’s recommendation to the Security Council on 12 February 2013 to refer Syria to the International Criminal Court is an indication of a course of action open to her.

 

The Security Council may refer cases to the International Criminal Court, where the Court may not otherwise exercise jurisdiction, an authority recognized in the Rome Statute. It exercised this power for the first time in March 2005 when it referred “the situation prevailing in Darfur since 1 July 2002.” Sudan was not party to the Rome Statute. The second such referral was in February 2011 when the Council asked the Court to investigate the Libyan government’s violent response to the Libyan civil war.

 

·         Coercive measures

 

When a State fails to respond to diplomatic and other peaceful measures, the Security Council may authorise coercive measures under Articles 41 and 42 of the Charter, including sanctions that may include complete or partial interruption of economic relations and of rail, sea, air, postal, telegraphic, radio, and other means of communication, freezing of financial assets and imposition of travel bans; suspending credits, aid and loans from international financial institution

s; restricting provision of other financial services; the severance of diplomatic relations; sports embargoes; restrictions on scientific and technical cooperation.

 

Eventually, the Security Council may authorize the use of force, under Chapter VII, Article 42, of the Charter, including coercive military action that may include demonstrations, blockade, and other operations by air, sea, or land forces of Members of the United Nations.

 

Illegal unilateral interventions

 

The US Administration is empowered by Congress to institute unilateral coercive measures, in violation of the UN Charter and international law, including sanctions, blockades and embargoes, against other States if they fulfil the "rogue and recalcitrant" requirement.

 

Washington’s concept of “regime change” does not end with a change in leadership, but with the dismantling of the Nation State, disarming the people by dividing them, usually on ethno-religious lines, as between Muslims and Orthodox in Yugoslavia, Sunnites and Shiites in Iraq, Sunnites and Alaouite in Syria, Muslims and Christians in Sudan, the tribes in Libya, etc. The partitioning of countries on communitarian lines, a system theorised by the US Administration, particularly by former Secretary of State Madeleine Albright, is a clear demonstration that Washington’s doesn’t care a dime about reconciliation!

 

US imposed unilateral sanctions may take the form of arms embargoes, foreign assistance reductions and cut-offs, export and import limitations, asset freezes, tariff increases, import quota decreases, revocation of most favoured nation (MFN) trade status, votes in international organizations, withdrawal of diplomatic relations, visa denials, cancellation of air links, and credit, financing, and investment prohibitions. Over the past several years, Congress has enacted – and the Administration has implemented – the equivalent of a financial system meltdown on the Islamic Republic of Iran and on Syria, by means of sanctions targeting the countries’ financial systems.

While the sanctions are presumed to exempt humanitarian trade in food and medicine, such commerce is severely constrained, because of executive orders blocking the attendant financial transactions.

 

Sri Lanka, in an international quagmire of its own making

 

Today, Sri Lanka finds itself in an international quagmire largely of its own making. The decision-makers have tragically failed in their duty to meet the political, social and economic aspirations of the people, without whose backing and sacrifice, whatever their ethnic origins, the defeat of terrorism and separatism would not have been possible in May 2009.

 

The immediate aftermath of the war provided the conditions necessary for the adoption of independent socio-economic policies and the search for a political solution to the national question that would have facilitated reconciliation and unity among all Sri Lankans. Buttressed by socio-economic policies aimed at eliminating disparities and the emergence of a common Sri Lankan identity would have also rendered the country less vulnerable to external pressures and conditionalities.

 

However, instead of taking advantage of the favourable conditions thus created to pursue the choice of the people for peace and socio-economic development and well-being, decision-makers have squandered away the peace dividend by aligning themselves to the demands of an elite, whose interests are closely tied to that of US-led global capital.

 

The pursuit and further reinforcement of a foreign debt-driven, export-oriented neoliberal development model, referred to as the “Washington Consensus,” has made Sri Lanka more dependent and vulnerable to external pressures, shocks and conditionalities and has drastically reduced its ability to pursue an independent foreign policy. It is significant that in the affair of the Ceylon Electricity Board, US Ambassador Michele Sison felt invested with a "responsibility to protect" by acting like a proconsul. Tying Sri Lanka’s future well-being to decisions taken in Western capitalist nations, where the model is on the verge of collapse, also, irresponsibly, exposes the entire country and people to the unprecedented shock that is inevitable.

 

What will be the response to the anticipated disaster? A search for scapegoats, diversionary tactics, as the country has known in times of serious socio-economic crises? How will it facilitate reconciliation and unity? How will tax-exempted casinos improve the real economy and the lives of the majority of ordinary people who depend upon it?

 

The consequences of this neoliberal vision for Sri Lanka’s foreign policy are becoming evident! Less than one month after the US resolution was adopted, a strategically-placed Sri Lankan representative pleaded for a stronger “geopolitical and strategic” alliance with the USA, as part of John Kerry’s Asia Pivot to reverse “China’s drive to tighten its grip” on the region! Rumours also have it that discussions on the establishment of a US base on this strategic island might have been revived. Fifty-five years ago, in 1957, the British were forced to withdraw their military bases in the country, and Sri Lanka officially became a Non-Aligned country. Washington has never made a mystery of its interest to acquire Trincomalee for its Seventh Fleet.

 

Having once been a front-line British base against the Japanese during World War II, will Sri Lanka now become a front-line base for the US, against China or even India?  Is this confirmation of a radical shift from Sri Lanka’s traditional policy of Non-Alignment in international relations? Is India playing a risky game with the US that may help create a Trojan Horse on its southern flank, through a partition of Sri Lanka with possible repercussions for its own territorial integrity and credibility in the region?

 

Are we also seeing a surrender of Sri Lanka’s sovereignty to powerful US lobbies, which are speaking on our behalf? A recent edition of The Sunday Times (7th April) reported on a decision by the Central Bank, during the recent session of the Human Rights Council, to hand over defense of Sri Lanka’s economy and finance to Thomson Advisory Group LLC (TAG) in Washington.

 

To complete the picture, Dr. Dayan Jayatilleke made another revelation about a secret agreement made with Israel, even before war ended, for post-conflict cooperation on Homeland Security, indicating that there might be a strengthening of those same forces within the centres of power, which are ready to sacrifice people and country for mercenary ambitions.

 

The ruling class with its vassal mentality, as reflected in its refusal to reject the threats and orders decreed from Washington, cannot be relied upon to consolidate Sri Lanka’s political sovereignty, which requires a strategy that renders the country economically independent of those who seek its subjugation and domination, a strategy capable of defending the choices of the people.

 

If Sri Lanka is to avoid a disastrous scenario, experienced by those who also believed they would be spared by Washington, it has no other alternative, but to rely on its own people and their unity – not on an alien power – to protect and advance its interests.  It is equally necessary to unite in resolute opposition to the criminal logic of RtoP, which aims not only at disarming the people, but at replacing governance by a national elite with domination by an alien elite.

 

What is needed is a collective effort to develop a new society and a common identity, founded on a shared heritage of values​​ and principles and based on recognition of the needs and aspirations of all groups of people living within the national borders. To permit genuine reconciliation, this vision must respond to the need for social justice, equality and non-discrimination, founded on social aspirations rather than on the greed of an arriviste elite, thus also strengthening the economic and social base of the country.

 

Internationally, Sri Lanka must consolidate its political independence by eliminating its vulnerability to pressures from Washington and its allies and by freeing itself through diversification of its economic, financial and political relations, based on mutual respect, solidarity, reciprocity, and complementarity.

 

Only thus will Sri Lanka regain its rightful place in the international community and respect for the dignity of its people and its millenary history!

 



[1]    Navanethem "Navi" Pillay (née en 1941), Sud-Africaine d'origine indienne tamoule, est le Haut Commisaire des Nations Unies pour les droits de l'homme.

[2]          “We won’t accuse Pillay: Government” Daily Mirror, 09 June 2012.

[3]    NDLR. Projet déposé depuis et adopté.

[4]    NDLR. Travaux de la Commission sri lankaise de réconciliation : <   www.slembassyusa.org/downloads/LLRC-REPORT.pdf >

[5]    Rapport établi par des experts appointés à titre privé sous la direction de Marzuki Darusman : < www.un.org/News/dh/infocus/Sri_Lanka/POE_Report_Full.pdf >

[6]    NDLR. Vision élaborée en 2006 à Sri Lanka pour un Etat développé et autonome.

[7]    Daily Mirror, op. Cit.

[8]    NDLR. Prabakharan dirigeait la rébellion séparatiste et violente des Tigres tamouls au nord de Sri Lanka soutenue par les puissances occidentales jusqu'à sa chute.

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19 mai 2013 7 19 /05 /mai /2013 17:05

 

 

logo730         A l'heure où la Guerre froide est officiellement terminée depuis vingt ans, l'anticommunisme devient étonnament de plus en plus virulent, et les polémiques faisant référence à des clivages datant de cette période semblent recouvrir beaucoup des tensions et conflits existant réellement de nos jours. En particulier en Europe occidentale. Car, ailleurs dans le monde, les clivages, même s'ils peuvent parfois paraître flous là-bas aussi, s'appuient plus souvent sur des intérêts mesurables et des situations analysables. La question du capitalisme et donc de l'anticapitalisme reste sans doute d'actualité partout, pas seulement en Amérique latine où ce discours reste omniprésent, mais aussi dans de nombreux autres pays du Sud, dont nous avons tendance à ignorer les débats, en Afrique, en Inde et ailleurs en Asie. Y compris en Chine où se déroulent des polémiques virulentes et des combats fractionnistes portant sur l'avenir du socialisme, y compris dans le Parti communiste. Mais la question du capitalisme serait-elle dépassée en Europe ? Au moment où des pans souvent majoritaires des opinions manifestent leur rejet du système dominant.



  •            Le « retour du religieux » semble également brouiller les pistes, malgré plusieurs décennies de théologie de la libération en Amérique latine. Mais c'est l'islam en fait qui trouble. Car le « monde » arabo-islamique est situé à la jonction entre le monde développé et le Sud post-colonial (ou néocolonial ?), et donc la religion qui prédomine dans ce carrefour des contradictions se trouve elle-aussi au carrefour des interrogations. D'où les amalgames faciles à faire en Europe où l'on aime confondre islam, islamisme, wahabisme, salafisme, takfirisme, Frères musulmans, Hezbollah, Hamas, Djihad islamique, talibans, Qatar, Arabie Saoudite, Iran, Afghanistan, etc. Quand cela arrange les médiocrates en particulier. Alors même que les uns sont à l'avant-garde des puissances de l'OTAN, que les autres sont à la pointe de la résistance au monde unipolaire et que d'autres encore hésitent à prendre partie dans le « grand jeu » planétaire. Un esprit occidental accepte avec difficulté, par exemple, le fait que ce soit le Hezbollah qui, au Liban, soutient la déconfessionalisation de l'Etat ...mise en place par la France coloniale, laïque et républicaine, ou que les Frères musulmans ne constituent pas un parti monolithique mais avant tout une école de pensée qui a, à l'origine au moins, ouvert la réflexion islamique sur des champs nouveaux avec un regard novateur. D'où la difficulté à classer les musulmans à « droite » ou à « gauche »...dans un monde où ces deux concepts ont beaucoup perdu de leur clarté. D'autant plus que la question religieuse a, selon les époques et les contextes, été souvent envisagée à gauche selon d'autres critères que ceux de l'apogée de la période coloniale ou de celui qui a dominé l'URSS et ses associés à partir de la période stalinienne, ce que nous avons d'ailleurs déjà traité dans notre revue, en particulier les approches nuancées sur la question de Karl Marx et de Vladimir Lénine.
  •             Il est clair néanmoins que, considérant les lignes de clivages droite/gauche, avec leurs extrêmes, telles qu'elles ont été élaborées dans l'Europe du XXe siècle, l'effort doit désormais porter, dans une civilisation en crise profonde, sur les capacités à renouveler ou à se réapproprier le langage et les concepts pour empêcher les pêcheurs en eaux troubles de bloquer une réflexion devenue indispensable dans une situation de guerres sans fin et de graves dangers. Pour cela, il fallait commencer par un état des lieux des polémiques ou des semblants de polémiques en cours dans l'Europe francophone, ce à quoi nous amène cet article.


  • La Rédaction

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  • Une réflexion sur  la confrontation entre "gauches droitisées" néolibérales et adeptes des  guerres humanitaires et nouveaux fronts "anti-impérialistes" contestant ces gauches "capitulardes". Deux "camps" qui rappellent la guerre froide, mais dans un contexte profondément changé. 
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  • LES NOUVEAUX CAMPISMES
  • Gauche bombardière versus nébuleuse anti-impérialiste

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  • Mai 2013


  • Par Jean-Marie Chauvier *


  • Le ton monte entre les deux « camps » de la « post-gauche » européenne. Et volent les noms d’oiseaux ! « Antisémite », « conspirationniste », « rouge-brun » d’un côté. « Agent de la CIA », « sioniste », « complice de l’impérialisme » de l’autre. Et « fasciste toi même ! » comme il sied !

  • Je dis « post » gauche, car elle est « d’après » celle que nous avons connue au vingtième siècle. Elle est finie, notre bonne vieille gauche avec ses révolutionnaires communistes, syndicalistes, trotskystes, maoïstes ou anarchistes d’un côté[1], ses réformistes sociaux-démocrates ou chrétiens-démocrates de l’autre et, un peu à côté, un peu plus au Sud, les « mouvements de libération » du « tiers-monde », le tiersmondisme.  Les communistes se sont dispersés, reniés et libéralisés, les uns sont passés au business, d’autres se sont reconvertis dans les mouvements sociaux et des gauches radicales recomposées.[2] Les socialistes ont renoncé au réformisme : ils gèrent le système, auquel ils sont bien intégrés. Plus question ici de petits quémendeurs de strapontins, de « sociaux-traîtres » du mouvement ouvrier. Bien enracinés dans la nouvelle bourgeoisie technocratique, ils siègent dans les cercles majeurs du pouvoir économique mondial, au FMI, à l’OMC, et même dans les chambres obscures de « la finance » théoriquement honnie.[3] Le « socialisme » des Blair, DSK, Lamy n’est plus la social-démocratie historique, c’est une nouvelle droite enracinée dans la bourgeoisie technocratique qui, sans aucun lien avec les travailleurs ou les bases militantes, sortant tout droit des hautes écoles, prend les commandes « par le haut » de ce qui fut autrefois « les partis ouvriers ». Des partis qui ont largué la classe et les quartiers populaires, et dont les dirigeants vivent à un niveau de vie sans plus aucun rapport avec les conditions d’existence des gens « normaux ». Leur incompréhension des masses n’est pas un défaut d’analyse, c’est le fruit d’un point de vue « de classe » et « de caste ».

  • Tous n’en sont pas encore à ce stade, il reste des PS « en retard » dans cette mutation. Face à des électorats populaires, certains veulent encore, certes, se réclamer d’une certaine dose de « keynésianisme » et de sens social, ce qui fait par exemple du PS francophone de Belgique « le plus à gauche d’Europe ».

  • Le tiers-monde – une réalité qui ne fut jamais homogène - a vu ses différenciations atteindre un nouveau stade de développement inégal. Les « nouveaux pays émergents » occupent le devant de la scène. Les vieux nationalismes « d’orientation socialiste » ont cédé le pas, du moins au sud de la Méditerranée, à la « renaissance de l’Islam », du moins en tant qu’habit commode des intérêts on ne peut plus matériels et « profanes » des pétromonarchies « sunnites ». La Russie et la « Nouvelle Europe », libérées « du communisme » et ramenées à la périphérie du capitalisme développé, ont épousé diverses variantes du néolibéralisme de choc, non sans répliques des nationalismes du ressentiment. En marge de ces grandes tendances, dans quelques pays riches, les plus fidèles à leurs inspirations révolutionnaires initiales, les libertaires, s’investissent dans de nouvelles expériences et luttes d’auto-émancipation, anti-autoritaires comme toujours. De nouveaux militants esquissent une réflexion sur ce que pourrait être un « autre » communisme, ici et maintenant.

  • Nos anciennes gauches, s’il en reste, ne savent en vérité plus où donner de la tête : entre appels d’air et d’offres néolibéraux et persistances anticapitalistes, leurs cœurs balancent, certains ont rallié le « Monde libre » euro-atlantiste, d’autres retrouvent des ardeurs « anti-impérialistes ». Camp contre camp.

  • Les uns, façon Bernard-Henri Levy ou Daniel Cohn-Bendit, Joshka Fischer, Laurent Fabius et Tony Blair, Stéphane Courtois ou Silvio Berlusconi,  Manuel Barroso ou Angela Merkel, Caroline Fourest ou Pierre-André Taguieff,  toujours attentifs au péril rouge, nous alertent (diversément) quant aux menaces de ce début de XXIème s!ècle : « nouvel antisémitisme », « islamo-fascisme », persistance des utopies révolutionnnaires. Les plus déterminés en appellent aux « ingérences humanitaires » de l’OTAN contre « les dictatures », soit les nouvelles guerres d’exportation de la Démocratie. Les autres, façon Noam Chomsky, Norman Finkelstein, Michel Collon ou Jean Bricmont, Bruno Drweski et les PC grec ou portugais, les nouvelles gauches latino-américaines soutiennent (diversément) « les souverainetés nationales » agressées et les résistances aux guerres impérialistes ou encore, nullement « campistes » et plutôt de gauches socialistes, façon Jean Ziegler ou Jean-Luc Melenchon, Die Linke en Allemagne ou Syriza en Grèce –-sonnent l’alarme quant aux périls des inégalités et de la dégradation des démocraties, de la « destruction massive » des peuples par la faim.[4]
  • Les deux camps s’affrontent sur la question palestinienne, le premier enclin à défendre Israël, le second à en contester la politique voire la légitimité, après avoir constaté le piège et la tromperie qu’ont constitué, pour les Palestiniens, un « processus de paix » sous l’égide des Etats-Unis qui a permis à Israël de réaliser sans trop d’entraves son entreprise coloniale, au point de rendre caduc le projet de « deux États » auquel on avait tant sollicité l’adhésion de l’Organisation de Libération de la Palestine.

  • Un climat d’intolérance s’installe, spécialement du côté de ceux qui, en position dominante et désormais très contestée, se réclament de la Démocratie occidentale, des causes étatsunienne, européiste, israélienne. Indice sans doute de leur crainte de voir s’effondrer l’édifice de mythes et de mensonges, le pot aux roses de la « mondialisation » étant découvert. On observe, au sein de ces élites gouvernantes un surcroît d’arrogance et d’agressivité envers les syndicalistes, les mouvements et les intellectuels qui mettent en cause leur légitimité.

  • Avec des méthodes dignes de la « surveillance du Territoire », les gardiens de vertu dressent des cartographies de « nouveaux réacs », des « listes noires » où figurent, pêle-pêle des « antisémites » ou prétendus tels, des nationalistes, des fascistes, des souverainistes de gauche comme de droite, des communistes restés orthodoxes ou staliniens, des « conspirationnistes » (entre par là ceux qui dénoncent les complots des Etats-Unis), le tout organisé en « galaxies », comme s’il s’agissait d’organisations bien huilées, avec un maître d’œuvre qui serait par exemple l’humoriste Dieudonné – parlons de « complotisme » !

  • L’effet de cette chasse aux sorcières est de stigmatiser, de jeter la suspicion sur des gens qui, en conséquence, peuvent être privés de tribunes, de publications, voire d’emplois, et tout cela, par des instances qui se réclament de la « liberté d’expression » et de la laïcité. Les accusés (les sorcières) pourraient très bien, avec pertinence, dresser  leur propre catalogue de « nouveaux réacs » de la gauche caviar et bobo virée à droite : tous ceux qui, (ex) sociaux-démocrates, ex-gauchistes, ex-communistes, brûlent ce qu’ils ont adoré dans leur jeunesse, et voient partout des « khmers rouges » (ou verts) et des « staliniens ». On pourrait dessiner leur « galaxie » : fondations politiques libérales et anticommunistes à gros financements bancaires, empires médiatiques, réseaux de connivence politiques-financiers-journalistes, « dîners en ville », cercles fermés d’éditeurs, rédac’chefs et directeurs de rubriques littéraires, clubs occultes où se rencontrent les grands de ce monde.[5] Galaxie ou nébuleuse, pas obligatoirement « grand complot », mais multiplicité de conspirations, de petites et grandes combines hors de tout contrôle public. Les questions des guerres menées par l’Occident depuis vingt ans sont particulièrement sensibles : ceux qui les ont critiquées se sont attirés les épithètes de « complices de Milosevic », « rouges-bruns », puis vinrent les « suppôts de Saddam Hussein » et les « kadhafistes », les complices de « Bachar », on vous laisse deviner la suite…

  • A l’inverse, les ennemis de l’ingérence ne se sont pas privés de dénoncer les « impérialistes » et, surtout, les « sionistes » censés « diriger le monde », ce qui nous rapproche parfois des théories des « Protocoles des Sages de Sion ». Ce n’est pas l’orientation de la majorité des critiques des « guerres humanitaires », mais une telle tendance, ouvertement « anti-juive », se répand sur divers sites internet, et certains franchissent allègrement le pas qui, des « lobbies » mènent à la « finance juive », dans la bonne tradition des anti-ploutocrates des années trente. Ce qu’August Bebel appelait « l’anticapitalisme des imbéciles » a encore de beaux jours devant lui, même si le racisme contemporain en Europe vise principalement les Arabes, les Africains noirs, les Musulmans, les Roms… (auxquels la chasse est ouverte, comme dans les années trente, et malgré la grande fraternité de « l’Union européenne » !)

  • Aliment de choix pour les antisémites : la quasi-totalité des organisations et institutions juives sont solidaires d’Israël. Les propagandistes israéliens et les sionistes de combat, qui encouragent par ailleurs l’islamophobie et justifient la destruction en cours de la société palestinienne, dont les porte-voix en Occident (tel BHL) ne cessent d’exciter à la guerre, apparaissent en effet (à tort ou à raison) comme le principal noyau dur belliciste de l’Occident et aux Etats-Unis dont ils influencent la politique. Sans d’ailleurs se rendre compte du caractère suicidaire, pour le peuple juif de Palestine, d’une politique d’hostilité systématique envers son environnement arabe, au cas où des dirigeants américains viendraient à considérer la carte israélienne comme « moins essentielle » pour leurs intérêts dans cette région. « Le pays du monde où les Juifs sont les moins en sécurité », avertissait déjà Marcel Liebman il y a trente ans.[6]
  • Le monde musulman est lui-même travaillé par des idéologies rétrogrades haineuses- wahhabites, salafistes, takfiristes- qui sont censés répliquer par une « guerre de religion » aux humiliations infligées depuis des décennies au monde arabe et musulman par les impérialistes  occidentaux. « Retour du religieux » qui ne doit pas trop masquer la nature très « profane » des conflits en cours et des intérêts en jeu.[7]
  • « Choisis ton camp camarade ».

  • -               « Il faut choisir son camp »,dit un jour un fonctionnaire soviétique face à une assemblée de communistes remuants, dont d’anciens prisonniers de camps staliniens.
  • -               « Moi, mon camp » répondit l’un des remuants, « c’est la Kolyma ». (une région célèbre de camps au bout de la Sibérie). Souhaitons à tous nos campistes de ne pas en connaître de pareils !

  • Il fallait, il faut toujours « choisir son camp ». Mais quel « camp » ?

  • Les anciens camps de la guerre froide ont disparu, les « entre deux », les pacifistes et non alignés ont perdu leurs anciennes fonctions. Mais, ô surprise, le campisme est toujours là, métamorphosé. Et bien partagé !

  • Plus question, certes, d’opposer « camp socialiste » ou « anti-impérialiste » au « camp impérialiste » ou, à l’inverse, de dresser le « monde libre » contre « l’Empire du Mal » communiste. Quoique… certains n’ont pas encore été informés de la chute du mur et continuent de se la jouer, la bonne vieille guerre froide ! Et de projeter sur la Russie leur ancien rêve soviétique, ou sur l’Iran et la Syrie leur ancien projet « anti-impérialiste ».

  • Si « l’Est » nous paraît encore menaçant, avec ses Russes mal désoviétisés et son Alexandre Loukachenko immanquablement affublé de l’appellation « dernier dictateur d’Europe » au Belarus, si la bataille pour le contrôle de l’Eurasie reste primordiale, c’est vers le « Sud » surtout que nous sommes allés chercher l’indispensable nouvelle « image de l’ennemi ».

  • De fait, aussitôt l’URSS disparue, en 1991, l’hyperpuissance américaine, la seule désormais, et ses alliés de l’OTAN ont redéfini un « axe du Mal », désigné des « États-voyous » à éliminer, engagé des guerres en série et considéré la Russie comme un dangereux résidu d’URSS. Leur « soft power » de fondations et ONG à gages ont œuvré un peu partout à « l’expansion de la Démocratie » et aux « révolutions colorées ».

  • De leur côté, les États adversaires ou menacés par cet hégémonisme armé, et leurs alliés au sein des opinions publiques, ont réactivé une sorte d’ersatzde l’anti-impérialisme où, peu importe l’idéologie, « tout ami de mon ennemi (américain) est un ami ». Ainsi, la Yougoslavie, la Serbie, l’Irak, la Libye, la Syrie, l’Iran, le Belarus, la Russie de Poutine, la Chine, le Venezuela, et bien sûr Cuba, – tous États considérés comme « voyous » ou « ratés » par les uns – sont pour les autres des lignes de résistance qu’il faut soutenir, même si les régimes de ces pays ne plaisent pas. Deux camps à nouveau ? Deux campismes en tout cas, aux fortes pesanteurs.

 

  • LE NOUVEAU CAMP N°1 OU LA GALAXIE EURO-ATLANTISTE

  • Le CAMP N°1, une galaxie bien organisée autour des EU et de l’OTAN, bénéficie du soutien de toutes les droites et extrême-droites néolibérales et des gauches repenties et ralliées aux vainqueurs de 1989-91. Sociaux-Démocrates bien entendu, mais aussi Verts et anciens communistes (italiens surtout), libéraux-libertaires et « anti-toutistes » apolitiques ont fait leur la cause de la Démocratie, des Libertés, des Minorités (ethniques, sexuelles) bafouées par les régimes autoritaires et les conservatismes que combat l’Occident. De là leur appui, explicite ou honteux et discret, actif ou passif, aux guerres de l’OTAN, à « l’ingérence humanitaire » même si, comme c’est le cas, cette « ingérence » a déjà provoqué, depuis vingt ans, la perte de millions de vies humaines, la destruction de pays entiers comme l’Irak et par ailleurs renforcé le système d’exploitation et de domination que l’on désigne aujourd’hui sous l’aimable euphémisme de « mondialisation », la tyrannie du libre échange étant confondue avec le joyeux « village global » et sa tendre « multiculturalité ». La « gauche » du CAMP N°1 a renoncé à la contestation du capitalisme pour s’investir dans la défense des minorités, l’antiracisme, les Droits de l’Homme, la « guerre morale ».

  • Elle est devenue gentille, tolérante. Quoique : armée jusqu’aux dents ! L’Empire du Bien est bien un Empire ! Charitable et humanitaire, pas révolutionnaire, mais certes militaire !

  • Les « gauches » de droite ont applaudi à la « thérapie de choc » meurtrière en Russie (quelle « mortalité en excès » pour la « transition au Marché » selon les recettes FMI-Harvard-Gaïdar ?) de même qu’elles ont approuvé la première guerre contre l’Irak (Golfe 1991) et le blocus qui a suivi – encore des centaines de milliers de morts – tout comme elles ont pris parti en 1999 en faveur de la guerre « du Kosovo » lorsque les bombardiers de l’OTAN ravagèrent l’ancienne Yougoslavie – combien de milliers de victimes sous prétexte d’ « éviter le génocide » ? Au Congo et au Rwanda, on a vu, de ces ingérences, d’autres résultats, encore plus monstrueux.

  • La « gauche » passée à droite et à l’américanisme militant  est bien entendu hostile aux gauches « populistes » d’Amérique latine, aux Chavez et Moralès, à ces révolutions non alignées qui redistribuent les richesses au bénéfice des classes les plus pauvres, chose inacceptable sans doute pour les « gauches » eurocratiques qui font exactement le contraire.

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  • La gauche bombardière et sa chasse aux sorcières

  • Au premier appel de Bernard-Henri Levy s’avance ainsi, tambour battant, la gauche bombardière ! Elle chasse son propre fantôme d’ancienne gauche en dénonçant les « galaxies » de « conspirationnistes » et « néofachos », les « antisémites » et autres « rouges bruns » qui refusent ce monde unipolaire, et dès lors l’américanisme triomphant, le sionisme colonisant. L’accusation de « complotisme » sert à masquer les réels complots et les agences d’influence très réelles mais souvent « invisibles » qui piègent les peuples, celle d’ « antisémitisme » est parfois fondée mais plus souvent un chantage destiné à discréditer et à culpabiliser les critiques d’Israël, le thème des « rouges bruns » ou communo-nazis est une autre variété d’amalgames, dont on use et abuse et qui est d’ailleurs impropre à qualifier les réelles convergences entre certains courants nationalistes de droite et de gauche. On a de plus en plus affaire à une « chasse aux sorcières » où des experts en « antifascisme » et de soi-disant « anarchistes » usent de méthodes typiquement policières : fichages, délation, filatures, opérations « coup de poing » contre les malpensants. L’une des méthodes utilisées consiste à dénoncer les auteurs qui publient dans tel ou tel site ou publication sous prétexte que tel autre auteur « détestable » y est également publié. Il faudrait en conséquence ne pas publier dans ces endroits « sulfureux », ce qui revient à ne plus rien publier, puisque les portes des médias bien pensants sont fermées aux non conformistes. Imaginons que le même procédé soit utilisé pour disqualifier quiconque écrit dans l’un de ces journaux, tel « Le Monde ». Sous prétexte que ce quotidien publie régulièrement ces « intellectuels faussaires » (dixit Pascal Boniface)[8] que sont BHL, Caroline Fourest, Alexandre Adler et leurs semblables, voire Faurissson, il faudrait boycotter ce journal !? Comment qualifier ce genre de démarche ? Oserions-nous dire « totalitaire », émanant de gens qui souhaitent n’entendre partout qu’un seul et même son de cloche ! Un véritable terrorisme intellectuel qui induit l’autocensure parmi les politiques et les journalistes « qui ne veulent pas d’ennuis », ou craignent de se faire traiter d’ « antisémites », puisque c’est l’épithète le plus généreusement distribué (avec le « populisme ») à l’égard de tous ceux qui refusent de se soumettre au Nouvel Ordre Mondial. Parler d’ « ordre mondial » ou de « mondialisme », d’après le soupçon des inquisiteurs, lecteurs de vos pensées intimes, viserait secrètement « la finance juive » ou « le complot juif ». Il n’est quasiment plus possible de parler de la finance spéculative – et éventuellement d’une banque telle que Goldman Sachs ou des oligarques juifs de Russie – sans être soupçonné d’antisémitisme. Constater les liens  d’allégeance envers Israël d’un grand nombre d’intellectuels et d’organisations des communautés juives serait également « de l’antisémitisme ». Mais comment s’étonner, par contre, de la montée des sentiments antijuifs du fait même de ces connivences avec un État qui fait ce qu’il fait envers le peuple palestinien ? Le même procédé est utilisé contre les historiens, les chercheurs qui remettent en cause la doxa officielle (israélienne et quasi-unanime en Europe et en Amérique du Nord ») à propos de « l’holocauste » ou de « la Shoah ».

  • Le judéocide est une chose, largement vérifiée, les constructions idéologiques et politiques à son propos, l’instrumentalisation qu’en fait Israël en sont une autre. On peut faire une comparaison : les Soviétiques ont bien vécu une terrible guerre avec énormément de souffrances et d’héroïsme, mais la guerre telle que reconstruite dans la mythologie de la « Grande Guerre Patriotique » s’est éloignée de celle réellement vécue, et fut instrumentalisée dans les options politiques successives de l’URSS et de la « Nouvelle Russie ».

  • « Révisionnisme », « négationnisme », désignant d’odieuses ou ridicules « négations », servent aussi de prétextes à faire décider comment doit s’écrire l’histoire, par des gouvernements ou des parlements. Est-ce bien leur rôle ? Nous faut-il des « Histoires officielles » ? Les Etats, les Eglises, les temples du dogme quel qu’ils soient ont toujours procédé de la sorte mais de nos jours, l’interdit du libre examen use et abuse des sentiments de culpabilité que nourrit le crime immense du génocide nazi.

 

  • Révisionnisme et « guerre des mémoires »

  • Ce qui n’empêche pas la complaisance officielle envers les « nouveaux États » de l’Est qui réhabilitent, peu ou prou, d’anciens complices des exterminations commises par l’Allemagne nazie et ses alliés. L’une des couvertures de ces réhabilitations est la théorie du « double génocide » qui prétend placer un signe d’égalité entre crimes nazis et staliniens. Comme si les répressions et les terreurs exercées par le régime stalinien contre ses propres ressortissants et dans la logique politique qui fut la sienne pouvaient être placées sur le même plan qu’une entreprise délibérée d’agression, d’extermination et de colonisation inspirée par les théories du darwinisme social, du racisme, de l’antisémitisme éradicateur. Non, Staline n’égale pas Hitler, et les peuples le savaient, les dirigeants et généraux occidentaux aussi, qui applaudissaient en 1943 à la victoire de Stalingrad et de Koursk, ouvrant la voie au « deuxième front » (d’Ouest) et à la libération de l’Europe. Mais la Victoire n’est pas le seul argument « en faveur de Staline » : si les Soviétiques avaient été défaits, qu’en serait-il advenu des peuples de l’Est, des Juifs en cours de génocide, de l’Europe occupée ? La théorie dite de « l’affrontement des deux totalitarismes » fait fi de la réalité de l’agression nazie, de son projet colonial (Generalplan Ost) de ses génocides, (« solution finale » des problèmes juif et tsigane) de la mort en partie programmée par les nazis de 26 à 27 millions de Soviétiques.[9]
  • Adepte de la théorie des totalitarismes, l’historien allemand Ernst Nolte avait enclenché la discussion autour du lien « génétique » entre bolchévisme et nazisme, le second s’étant inspiré du premier. A cette vision qu’il a effectivement développée, l’auteur apporte cependant une « nuance » peu connue. Interrogé au sujet de la paternité bolchévique de l’idée d’extermination, Ernst Nolte corrige : « Je faisais(…) une distinction, qui ne fut en général pas suffisamment prise au sérieux, entre anéantissement social(propre au marxisme et au bolchévisme) et anéantissement biologique(propre au nazisme) ». La destruction d’une classe n’équivaut donc pas à la destruction biologique d’un groupe humain. Cette distinction n’est  en effet pas « prise au sérieux » par ceux-là même qui, en France, ont vanté le « courage » de Nolte d’en finir avec le « tabou ».[10]
  • L’amalgame nazisme-communisme s’opère sous couvert de « guerre des mémoires », étant entendu que celle des crimes nazis serait atteinte d’hypermnésie, et celle des crimes du communisme « d’amnésie ». Que l’on sache, le communisme fut dès 1917 la cible d’une guerre qui fit usage de moyens multiples y compris militaires et  génocidaires et ce, dès la guerre internationale de 1918-20 que l’on dit « civile russe » et qui se traduisit entre autres par une vague sans précédent de pogromes perpétrés par les armées « amies » du général Denikine et du nationaliste ukrainien Simon Petlioura. Sans doute, les interdits et les tabous communistes levés après 1989 font-ils place à une redécouverte de cette histoire et en particulier de celle des terreurs sous Staline. Mais si les « tâches blanches » de cette histoire-là méritent d’être investiguées, il en irait de même pour celles qui couvrent les engagements national-fascistes (baltes, ukrainiens, hongrois, roumains, croates, français etc…) dans la collaboration nazie et le génocide, y compris l’ extermination de millions de Polonais. Il est juste de mettre en lumière le massacre des Polonais à Katyn par le NKVD, mais pourquoi taire celui des Biélorussiens à Khatyn et dans des centaines d’autres villages brûlés (avec leurs habitants) par les SS et leurs auxiliaires lettons et ukrainiens ? Or, ce sont les héritiers de ces criminels et collaborateurs qui mènent la danse du révisionnisme anticommuniste, organisant ou tolérant les célébrations de Waffen SS et autres armées et légions fascistes avec l’assentiment (qui ne dit mot consent !) des institutions européennes.[11]
  • De quelle « guerre des mémoires » serait-il question ?  Le champ de bataille de l’histoire et la réflexion sur la violence au XXème siècle mérite, comme l’a montré l’historien Enzo Traverso, une recherche d’une toute autre nature.[12]
  • Tous comptes faits, le « révisionnisme » qui imprègne plusieurs résolutions européennes récentes, renvoyant dos à dos nazisme et stalinisme (ou communisme) ne devrait pas s’arrêter en si bon chemin de révisions : pourquoi ne pas inclure dans les faits qui « relativiseraient » les crimes nazis ceux commis par d’autres Alliés que l’URSS, les bombardements massifs des populations civiles d’Allemagne, Hiroshima et Nagasaki ? Et tant qu’à dresser l’inventaire des responsabilités européennes dans les grandes boucheries de l’ère moderne et contemporaine, pourquoi ne pas y inclure les impérialismes et les nationalismes qui ont déclenché la Première Guerre mondiale, matrice des violences de masse de ce siècle, ou plus en amont, les crimes et les génocides coloniaux ? Si fondées soient-elles, pourtant, ces remontées aux sources de la violence qui s’est déchaînée sur plusieurs continents en même temps que l’expansion du capitalisme, ne devrait pas servir à « noyer le poisson », à banaliser l’extrême violence du nazisme, en ce qu’elle est représentative des aboutissements paroxystiques, justement, du colonialisme (cette fois, à l’Est de l’Europe), du racisme et de l’antisémitisme éradicateur, et cela, non point dans une « barbarie » étrangère à nos moeurs, mais au cœur et avec tous les moyens de la civilisation industrielle et technicienne, des grandes entreprises capitalistes allemandes et autres engagées dans le projet nazi. [13]
  • La grande mobilisation « antitotalitaire ».
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  • Le « tournant » fondateur de la post-gauche libérale semble se situer au moment de la chute du Mur de Berlin en 1989 et de l’URSS en 1991. De fait, il lui est bien antérieur. L’effondrement du bloc de l’Est, par exemple, ne peut expliquer le sabordage par le haut du Parti communiste italien – celui qui, le plus influent, le mieux enraciné, le plus distancié de Moscou, avait le moins de raison de s’en aller, laissant orpheline une grande culture démocratique. L’autodestruction du PCI obéissait à des raisons, à des intérêts internes à sa direction, qui évolua rapidement vers le libéralisme social.[14] C’est également du sommet, des élites intellectuelles de gauche et post-68 qu’est venue l’entreprise de « libéralisation » des gauches qui impliquait, dans le cas français, une exclusion de la vie politique française du PCF, réputé « stalinien » et « sectaire », alors même que son leader Georges Marchais tentait, par à coups, un « aggiornamento » qui déplaisait profondément au Kremlin, alors spectateur impuissant de la désagrégation du mouvement communiste en Europe occidentale.[15] C’est paradoxalement au moment où le régime soviétique se désidéologise et s’ouvre aux influences de l’extérieur, au temps de Léonid Brejnev et de la montée en force d’une nouvelle génération de technocrates que s’opère, à l’Ouest, la grande mobilisation « antitotalitaire », épaulée par les programmes de relance des armements du Pentagone.

  • Dès les années 1970, la « découverte » bien tardive du Goulag par des intellectuels post-gauchistes et le détournement des idées de mai 68 et des dissidences de l’Est au profit du néolibéralisme a servi à contrer les poussées de gauche au Portugal et en France, jetant les bases d’une résignation générale à l’ordre existant. Ce qu’a méticuleusement décrit l’Américain Michaël Scott Christofferson.[16]
  • Les dissidents de l’Est, du moins ceux qui furent accrédités à Paris, Londres ou Washington[17]- le très conservateur Alexandre Soljénitsyne, les libéraux Vladimir Boukovski, Andrei Sakharov et plus tard Vaclav Havel – relayés en France par les dits « nouveaux philosophes » - ont fourbi les arguments de la disqualification, non seulement du communisme d’État, mais de l’interventionnisme d’État dans l’économie et des protections sociales, et finalement de l’idée révolutionnaire elle-même, de 1789, des « Lumières »… La révolution portugaise de 1984, le Programme commun de la Gauche en France, la révolution au Nicaragua et au Salvador, en Angola et au Mozambique ont été présentés comme les préludes au basculement de la planète entière dans le communisme totalitaire. Tel était le point de vue largement répandu à Paris jusqu’au milieu des années 1980. Les chars de l’Armée Rouge allaient défiler sur les Champs Elysées, l’URSS en 1984 illustrait le monde « orwellien » qui nous guettait, le réformisme d’un Gorbatchev était un « mythe » (« Le Monde », mars 1985)… Nous étions pourtant à quelques années de la dislocation du bloc de l’Est, qui devait « prendre de court » les kremlinologues patentés. Lesquels tournèrent la page hâtivement, comme s’il n’y avait rien à dire sur leurs gigantesques erreurs de diagnostic !

  • Ce matraquage idéologique « antitotalitaire » a très exactement correspondu à la mise en œuvre de la « révolution conservatrice » des Margaret Thatcher et Ronald Reagan, [18]  qui allaient inspirer plus tard les « thérapeutes » russes puis les « révolutions » – SOROSe en Géorgie, orangiste en Ukraine.[19]
  • Le tournant ponctué par les « chutes » de 1989-91 s’explique également par les échecs du dit « socialisme réel » et  les crimes de masse du stalinisme, bien que les phases les plus dramatiques de cette histoire aient été surmontées : ce sont moins les violences que les blocages d’un système pacifié qui l’ont fourvoyé dans l’impasse et discrédité à l’échelle internationale. Autre paradoxe : l’URSS stalinienne était beaucoup plus largement admirée, à gauche, que l’URSS déjà libéralisée des années 1956-85. La profondeur des déceptions était bien sûr à la mesure de l’énormité des attentes. L’URSS fut d’ailleurs dénoncée à gauche, successivement, pour n’avoir pas été assez « socialiste » et « trop molle » envers les Etats-Unis (années 60) avant d’être stigmatisée pour le contraire, trop peu « libérale » et trop « agressive ». (années 70-80).

  • Mais les dissidents agréés et leurs amis patentés ne représentent en rien les aspirations démocratiques, socialistes et autogestionnaires qui se firent jour dans les soulèvements de Budapest et Varsovie 1956, les conseils de travailleurs de Tchécoslovaquie en 1968-69, le mouvement « Solidarnosc » en 1980. La doxa dissidente occidentalisée n’en a retenu que la contestation du régime en place et l’aspiration aux libertés de type libéral. Lors du trentième anniversaire de « Solidarnosc » en 2010, ce ne sont pas les comités des gauches solidaires des dissidents qui furent invités à Varsovie, mais les représentants des grandes puissances occidentales et du Vatican. A juste titre: c’est eux, et non « les gauches solidaires » qui ont été les  vrais artisans du changement.

  • On a d’ailleurs pu vérifier la nature du « droitdelommisme » proclamé à l’Est comme à l’Ouest lorsque de grands hérauts de cette cause, à l’instar de M.Havel, se sont mobilisés…pour les guerres contre l’Irak. Humanisme agissant, sans doute !

  • Comme ancien militant du soutien aux dissidences démocratiques de l’Est, je mesure l’étendue de l’imposture, et je fais mienne la réflexion du philosophe slovène Slavoj Zizek : « Les foules est-allemandes criaient, dans un premier temps : « Nous sommes LE peuple » (Wir sind DAS Volk) réalisant de cette façon le geste de la politisation dans sa forme exemplaire- elles, la « lie » contre-révolutionnaire ; exclue du Tout officiel, privée de juste place dans l’espace officiel (…) revendiquait le fait de représenter LE peuple, au nom de « tous » ; pourtant, deux ans plus tard (l’auteur se trompe, le délai fut plus court !) le slogan se transforma en un « Nous sommes UN peuple » (« Wir sind EIN Volk »), signalant explicitement la fermeture sur elle-même d’une ouverture politique qui avait été authentique, mais momentanée, signalant la réappropriation de l’élan démocratique par les multinationales à travers la réunification allemande, qui signifiait le rattachement à l’ordre policier/politique libéral-capitaliste de l’Allemagne de l’Ouest ». (…) « Les foules est-allemandes pleines de dignité se rassemblant autour des églises protestantes et défiant avec héroïsme la terreur de la Stasi se transformèrent en de vulgaires consommateurs de pornographie de bas étage; les Tchèques civilisés, mobilisés par l’appel de Havel et d’autres icônes de la culture, se transformèrent brutalement en spécialistes au rabais de l’arnaque pour touristes occidentaux …La déception fut réciproque : l’Ouest, qui commença par idolâtrer le mouvement de dissidents de l’Est en considérant comme la réinvention de sa propre démocratie aux abois, regarde avec un mélange de mépris et de désabusement les régimes postsocialistes actuels comme un composé réunissant l’oligarchie ex-communiste corrompue et/ou des fondamentalistes ethniques et religieux; l’Est, qui commença par idolâtrer l’Ouest en le considérant comme l’exemple à suivre d’une démocratie prospère, se retrouve pris dans le tourbillon « d’une commercialisation à outrance et d’une colonisation économique. Tout cela en valait-il la peine ? ».[20]
  • Certains, en tout cas, y ont trouvé leur compte dans cette « mutation » qui permit, à l’Est, la reconversion d’une fraction de la nomenklatura dans « les affaires » et, à l’Ouest, de brillantes carrières en reniements des « idéaux » ( ?) de la veille.

  • L’un des aspects de cette conversion est, au sein de la gauche du camp n°1, son acceptation de l’histoire réécrite des communismes. On en a été témoin lors des vingt ans de la chute du Mur : comme la mémoire de l’ancienne RDA est vilipendée, et littéralement « éradiquée » dans ses héritages sociaux, culturels, antifascistes. Un effacement de mémoire étudié par la Fondation Auschwitz de Bruxelles, peu suspecte de sympathies est-allemandes. [21]
  • Ainsi, la vision néolibérale du monde se fait rétrospective : la guerre froide, voire les croisades antérieures contre le bolchévisme depuis 1917, sont acceptées comme autant de jalons sur la route de la « victoire de la Démocratie » (la « fin de l’Histoire »). On entend, chez les repentis (souvent tardifs) du communisme, le lamento des « nous avions tort ». Tort en 1917, en 1936, dans les Brigades Internationales en Espagne, les résistances « noyautées par les staliniens », la solidarité avec le FLN algérien et le FNL vietnamien,  la révolution castriste à Cuba, voire même Allende (« Pinochet a sauvé le Chili du communisme » disent les libéraux de Moscou).

  • Se moquant de ce genre d’anticommunisme, un journaliste russe conservateur disait que « Heinrich Himmler  sera bientôt désigné comme précurseur de la lutte pour les Droits de l’Homme ».

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  • Continuités coloniales et fascistes

  • Au fait, le CAMP N°1 ne peut se contenter d’adhérer aux nouvelles croisades, il doit (ou devrait) assumer les anciennes : coloniales, nazies …Avec, certes, toutes les précautions morales, tous les « repentirs » nécessaires. Il n’y a rien là d’un exercice de haute voltige impossible : il est parfaitement possible, pour la bonne conscience européenne, de regretter les « excès » du colonialisme et de l’esclavage, de commémorer « tous les morts des guerres » et, plus encore, ceux de la « Shoah », sans devoir s’interroger sur les racines et les modalités des phénomènes historiques qui ont produit tant d’horreurs. Les analyser, en effet, ne pourrait être « consensuel », et risquerait de soulever d’encombrantes questions quant aux prolongements actuels de ces phénomènes. Quant aux liens que l’histoire a noués entre les « bourreaux » d’hier et les « démocraties » d’aujourd’hui : ainsi, la formation des services secrets ouest-allemands par le réseau nazi Gehlen,[22] le recrutement de ces mêmes nazis et de leurs collabos ukrainiens ou baltes par les Etats-Unis pour former le « soft power » de Radio Free Europe et des diasporas occupées à préparer la « relève » idéologique dans les nouveaux États issus de la dislocation de l’URSS.[23]
  • Sans oublier les oustachis (fascistes) croates liés au Vatican, émigrés en Amérique latine et réorganisés pour la « lutte d’indépendance » au début des années nonante – une cause soutenue contre les « méchants Serbes » par l’intelligentsia de gauche occidentale.[24]
  • Un bémol cependant : bon nombre des adeptes de ce camp le font par défaut, sans conviction, sous le poids des désillusions, parce qu’ils ne voient pas d’autre perspective, ou parce qu’ils se sentent, au moment où s’amorcent les catastrophes, « plus à l’aise » dans leur confort occidental pourtant bien fragile, parmi « les démocrates ». C’est le sous-camp de la résignation. Ce CAMP N°1 comprend aussi, cela va sans dire, de sincères militants socialistes, écologistes, qui n’ont pas cessé « d’y croire », et d’agir selon leur conscience. Qui douterait d’ailleurs de la sincérité de la plupart des staliniens d’antan ? Ils croyaient vraiment préparer « les lendemains qui chantent ». Cela dit sans la moindre ironie à l’égard de ces militants qui, armés d’une foi aveugle en Staline, se sont dévoués sans compter dans les luttes de libération sociale et les résistances antifascistes. Je ne doute pas de l’honnêteté des « médecins sans frontières » et autres passionnés du « sauvetage de la planète ». Je m’interroge cependant sur des mobilisations d’opinion publique qui se font dans l’émotion et l’urgence, sur le mode du « zapping ». Je m’interroge aussi sur la portée de combats qui ne s’attaquent pas aux racines de la « destruction de masse » ( Ziegler).

 

  • LE CAMP N°2 OU LA NEBULEUSE ANTI-OCCIDENTALE

  • Le CAMP N°2, plutôt nébuleuse que galaxie, assemble plus ou moins tous les adversaires du CAMP N°1, dans un positionnement symétrique : antiaméricanisme contre américanisme, antisionisme contre sionisme, antimondialisme contre mondialisme, souverainisme contre cosmopolitisme, nationalisme contre anti-nationalisme. Ce qui a mobilisé ce « camp », pour l’essentiel, a été la succession, depuis les années 1990, de guerres dites « morales » et « humanitaires ». Il est entendu, dans la vulgate « anti-impérialiste », que les Etats-Unis sont l’ennemi principal, l’impérialisme ou « l’Empire » par excellence, le sionisme et Israël leurs principaux alliés au Proche-Orient et au cœur du monde musulman, le mondialisme l’idéologie des marchés financiers et des multinationales « sans frontières », la prétendue « gouvernance mondiale » une façon de déssaisir les gouvernements des États souverains, les nations les « derniers bastions » d’une humanité qui se s’est pas encore pliée à la civilisation uniforme du Mac Do et du Disneyland.

  • Le problème, ici, réside dans l’essentialisation des « ennemis », leur diabolisation, leur imaginaire monolithisme – tout ce que l’on pouvait relever, d’ailleurs, dans l’antisoviétisme « primaire », qui faisait de l’URSS « l’essence » du Mal, la force diabolique, le monolithe inamovible. L’antiaméricanisme ignore les potentialités et les contradictions d’une société américaine qui n’est pas « extra-terrestre », d’un État et d’un capitalisme étatsunien qui ne sont pas non plus un monolithe inamovible. Cet antiaméricanisme primaire ne voit pas les différences entre les démocrates d’Obama et les réactionnaires républicains. L’antisionisme obsessionnel ignore que le sionisme est un nationalisme et un colonialisme parmi d’autres (il en existe aussi dans le monde arabe) et que, sauf perspective génocidaire, il faudra bien que les Israéliens, « sionistes » ou non, et les Arabes palestiniens « nationalistes » ou « islamistes » apprenent à vivre ensemble dans un cadre à négocier.

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  • Anti-occidentalisme

  • Plutôt qu’un « anti-impérialisme » ancienne façon, du reste, la nébuleuse du CAMP N°2 est un « anti-occidentalisme », dans la mesure où l’on inclut dans « l’Occident » non seulement le « totalitarisme de Marché » et l’Impérialisme, mais toute la civilisation matérialiste (au sens vulgaire), mercantiliste, individualiste et pour tout dire « décadente » qui nous vient des Etats-Unis et serait en train de pourrir l’Europe.

  • La question est certes posée, de la disparition des langues, des peuples, des cultures, et maintenant des États-nations, des fédérations multinationales, des modes de vie dans le grand chaudron de la dite « mondialisation ». Il y a matière à débat, l’évolution mondiale ne suivant pas une ligne de « progression » linéaire, et la « mondialisation » étant une idéologie autant qu’une réalité, la « démondialisation » étant dès lors une hypothèse non moins pertinente, mais le fait est que toutes ces idées d’ « alternatives » réunissent une nébuleuse d’antimondialistes en recherche et passablement confus.

  • Ainsi voit-on des socialistes, des communistes, des nationalistes, des souverainistes, des « populistes », de droite ou d’extrême-droite antilibérales se retrouver – malgré eux, ou délibérément – en convergences et parfois « en rencontres » pour chercher des issues à « l’Empire », à la « Pensée Unique », au désordre mondial imposé par les Etats-Unis, le FMI, l’OTAN, la technocratie de « l’eurodictature ».

  • D’où les passerelles, les rencontres, les alliances qu’on aurait dit « contre-nature » où des militants de gauche se retrouvent avec des nationalistes serbes, des baathistes irakiens ou syriens, des souverainistes de droite français, voire des « antisionistes » vraiment antisémites et des intellectuels de la Nouvelle Droite plus ou moins fascisants. Le comble est atteint lorsque, sous couvert d’antisionisme, des convergences se font entre « pro-palestiniens » d’Europe et islamistes, mélangeant les thèmes classiques de l’antijudaïsme musulman, de l’antisémitisme chrétien voire nazi et du négationnisme.  L’anti-occidentalisme primaire, outre sa perception discutable de « l’Occident », paraît charger ce vocable de tout ce que rejetaient au début du XXème siècle les idéologues de la « décadence » et du « déclin de l’Occident » (Spengler), du romantisme allemand et du rejet des « Lumières », soit une idéologie foncièrement réactionnaire, aux sources du national-socialisme.

  • Les nouveaux « anti-impérialistes » sont aujourd’hui confrontés à un nouveau défi : que faire de ces « soulèvements arabes » qui, sous couvert de revendications populaires et démocratiques portées par les insurgés, fraient la voie à des forces rétrogrades au sens premier ? Faut-il les considérer – Ennahda, Frères Musulmans, Hamas, Hezbollah – comme de nouvelles forces « anti-impérialistes », à moins que ce ne soient les « sous-marins de la CIA » (autre variante du Complot), réactions médiévales à la modernité ? Il existe, dans cette gamme d’interprétations, une médiane : les islamistes « modérés » seraient, à l’instar de nos Démocraties chrétiennes d’après 1945 en Allemagne et en Italie, voire en Belgique, une voie vers la laïcisation démocratique de sociétés profondément « religieuses ».

  • On voit, au sein du CAMP N°2, se dessiner au moins deux tendances : l’une fait front, contre les islamistes, avec les derniers bastions du nationalisme arabe laïc, moderniste (Irak, Syrie), l’autre tente de s’allier à la « révolution » islamiste, de préférence la version chiite, autour de l’Iran et du Hezbollah - les sunnites des pétromonarchies, du Pakistan et des Talibans étant clairement alignées (pour l’heure) sur les Etats-Unis. Encore et toujours prévaut ici un principe qui n’en est pas un, mais relève d’un pur opportunisme sans principes : « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». Le même « principe » avait jadis incité les ennemis du colonialisme britannique, dont des Arabes et des Palestiniens, à soutenir l’Allemagne nazie.

  • Mais où mènent tous ces calculs ? Que restera-t-il, dans ces alliances rien moins que solides, des idéaux d’émancipation sociale, féminine, laïque qui étaient ceux de la gauche, y compris dans le monde arabe que l’on ne disait pas « musulman » il y a quelques décennies ? Comment expliquer que des communistes orthodoxes qui ont admiré « l’offensive » soviétique des années vingt amenant les femmes ouzbèques à enlever leur « parandja » (voile) et à choisir l’école plutôt que l’esclavage domestique, puissent aujourd’hui défendre le port du voile, dans une démarche valorisant « l’identité » au sein d’une société dite « multiculturelle » ? Il faudrait aussi réfléchir à cet investissement dans l’illusoire « multiculturalisme », alors que « l’universalité « réelle » de la globalisation actuelle induit, à travers le marché, sa propore fiction hégémonique (…) de tolérance multiculturelle (dans une floraison d’identités hybrides qui n’est pensable « qu’adossée au socle de la globalisation capitaliste » .[25] Simulacre, dès lors, que cette opposition entre « fondamentalisme » et politiques identitaires postmodernes.

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  • « Rouges-bruns » ? Un détour par l’histoire européenne des années 30-40

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  • Ni rouge ni brun, un certain néofascisme se fait jour, dans la tentative de concilier révoltes populaires et idéologie plus ou moins « völkish ». (populaire ou populiste au
sens raciste sous les nazis). On devine ce néofascisme dans le propos d’Alain Soral, ancien du PCF passé au FN dont il a assuré la façade « gauchiste » avant de s’en faire exclure. Mais sa parole (son site « Egalité et Réconciliation ») est très écoutée dans la mouvance antisioniste, notamment arabe, où convergent rébellions contre injustices sociales et contre « l’ordre mondial ». Et on peut comprendre leurs réactions, au vu des compromissions de la « gauche » établie envers les politiques américaine et israélienne et de ses abandons de la cause des opprimés. Tout le monde, spécialement parmi ces jeunes ou récents arrivants, n’a pas fait « l’université » d’un siècle de luttes sociales, d’avancées et de reculs du mouvement ouvrier, de l’idéologie marxiste, que les jeunes générations ignorent totalement. Et les tentations fascistes, si elles ont surtout intéressé les classes possédantes, les droites inquiètes de la « menace bolchévique », ont toujours comporté des doses importantes de rêveries romantiques, de nostalgies du passé précapitaliste, ou de promesses démagogiques – de quoi exercer des séductions à gauche et en milieu ouvrier. Aux origines idéologiques multiples du fascisme et du nazisme figuraient, outre les songes purement réactionnaires, des élans révolutionnaires (anti-bourgeois) « solidaires » (le solidarisme au dessus des classes) et modernistes (le futurisme italien). Au sein même de la social-démocratie allemande, très anticommuniste (et responsable de l’assassinat de Rosa Luxemburg et de Karl Liebnecht), le refus de l’unité d’action avec le PC allemand face à Hitler début 1933[26] eut pour complément les tentatives d’accomodement avec le nouveau pouvoir hitlérien, allant jusqu’au défilé « unitaire » du 1ermai 1933 .

  • On a donc connu ça dans les années vingt en Allemagne, avec les « nationaux-bolchéviques » de Niekisch et la « gauche nazie » des frères Strasser. Le premier voulait « nationaliser » le message communiste venu de Russie, les seconds prenaient au sérieux le discours « anticapitaliste » que tolérait Hitler à ses débuts. L’un des Strasser fut exécuté en 1933, l’autre résista et s’exila. Leurs exemples sont cités de nos jours au sein des extrême-droites populaires, en Russie et en Ukraine, dans des mouvements qui reprennent la tradition fasciste ou nazie « purgée » de l’horreur hitlérienne. On peut comprendre cela, par exemple, en ex-Union soviétique. Difficile de se réclamer d’un hitlérisme qui a valu au pays 26 millions de morts. Mais on peut déplorer « les folies d’Hitler » tout en imaginant les « bonnes intentions » initiales du fascisme et du national-socialisme, leurs idées de « nationalisme intégral » ou de « purification raciale » que l’on aimerait bien faire renaître de nos jours dans des pays en pleine crise sociale et identitaire. On peut être « néonazi » russe, anti-hitlérien et adepte des frères Strasser. On peut, en Ukraine, se réclamer d’un Alfred Rosenberg, théoricien du racisme nazi qui avait aussi promis aux Ukrainiens « un État indépendant », promesse non tenue « à cause d’Hitler et d’Himmler » qui ont confondu Ukrainiens et « Untermenschen ».

  • Le fascisme a d’ailleurs rallié à sa cause nombre de courants et de personnalités de gauche en Occident. L’ancien leader communiste Jacques Doriot a formé de Parti Populaire Français (PPF) à la base de la Légion des Volontaires Français (LVF) précédant la Division SS « Charlemagne » sur le Front de l’Est. Le néosocialiste français Marcel Déat a fondé le Rassemblement National Populaire (RNP) rallié à Vichy et au fascisme. Notre leader socialiste maison, président du Parti Ouvrier Belge (POB) Henri De Man, théoricien du « socialisme national » qui allait « au delà du marxisme » se mit en 1940 au service de l’occupant, dissolvant le POB et formant le syndicat unique fasciste « Union des Travailleurs Manuels et Intellectuels » (UTMI) auquel se rallièrent des responsables syndicaux chrétiens et socialistes. Des trotskystes du Parti Communiste Internationaliste, (groupe Molinier) en France, désavoués par leurs camarades, préconisèrent « l’entrisme » dans le RNP fasciste de Déat, et d’autres firent campagne pour le « défaitisme révolutionnaire » (contre la Résistance jugée « chauvine »). Les arguments « de gauche » ne manquaient pas pour justifier la collaboration ou la marginalité : l’antistalinisme (« Ni Staline, ni Hitler » proclament après coup les défenseurs du général Vlassov qui se mirent au service d’Hitler), l’internationalisme prolétarien (un soldat allemand est un prolétaire qu’il faut retourner contre Hitler), l’anti-impérialisme (« tous les impérialismes se valent :ni Londres, ni Berlin », proclamait déjà l’Internationale communiste avant l’agression hitlérienne contre l’URSS)[27], ou encore le primat de la Révolution (plutôt que l’antifascisme, faire la révolution socialiste) !  Certains « gauchistes » indécis ont d’ailleurs préféré la fuite, dans leurs études « à la campagne » ou en Amérique latine plutôt que d’avoir à prendre position face à l’envahisseur hitlérien. C’est dans des moments décisifs comme ceux-là – faire face à l’occupation nazie- que l’on reconnaît la valeur d’usage (pratique) des positions politiques qui, en temps normal, se discutent aimablement dans des salons et les arrière-salles de café. Chercher le « frère prolétaire allemand » sous l’uniforme de la Wehrmacht ou de la SS était pour le moins hasardeux, et lorsqu’un pays et un peuple sont occupés, c’est effectivement « la patrie » (et non une idéologie) que défendent les résistants, indépendamment des projets nourris pour l’après-guerre.

  • La majorité des militants de gauche (une minorité de Belges) rejoignirent la résistance à direction communiste mais pluraliste de composition (Front de l’Indépendance, Armée Belge des Partisans, Comité de Défense des Juifs) ou syndicale renardiste (Mouvement Syndical Unifié), et trotskyste (Ernest Mandel, Georges Verrecken), ou encore l’Armée Secrète liée à Londres. C’était aussi le camp de l’Armée Rouge et des alliés américain, britannique, gaulliste, des grandes résistances grecque et yougoslave. Ce n’était pas « une option parmi d’autres » d’égales valeurs, c’était le seul choix efficace dans la lutte contre le nazisme, tout autre choix, si noblement argumenté qu’il fut (internationalisme, anti-impérialisme), constituait une aide « objective » à l’occupant.

  • D’autres, aujourd’hui, relativisent à leur façon le combat antinazi d’hier : il faut cesser de  « culpabiliser » les Européens (les non juifs) à propos du génocide des Juifs, relativiser son importance, il faut dénoncer les « buts impérialistes » de la coalition anti-hitlérienne (Etats-Unis surtout), il faut reconnaître les crimes de guerre des Alliés.

  • Bla bla pseudo-réaliste, qui découvre la lune – bien sûr les Alliés anti-hitlériens avaient aussi des buts impérialistes et ont commis des crimes de guerre- et prétend « tourner la page » pour les générations nées après 1945. Or, la question, n’est pas de « culpabiliser » ou non des générations qui n’y sont pour rien, mais de prendre la mesure des responsabilités des institutions qui ont servi ou composé avec le nazisme et le fascisme : compagnies industrielles, États et polices ayant organisé la déportation des Juifs, organisations nationalistes qui ont prêté main forte à la Wehrmacht et aux Waffen SS et dont les héritiers réclament aujourd’hui « l’amnistie » pour les collabos, Eglise catholique et pape Pie XII complices des régimes clérical-fascistes de Croatie et de Slovaquie, de l’Eglise uniate dont les prêtres bénirent la SS Galitchina (Galizien) en Ukraine etc… Et ce, d’autant qu’il y a des continuités tenaces entre ces forces d’appui au fascisme et leurs héritiers actuels.
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    • « National-bolchévisme »

    • Sans verser dans les nostalgies nazies ou fascistes des groupes extrêmes, nationalistes russes et ukrainiens, ou eurasiens, cultivent leur « propre voie » (osobyi put’ou Sonderweg)dans l’Apocalypse. L’un des mouvements troubles, à cet égard, est le national-bolchévisme formé depuis les années 1990 en Russie. Son leader le plus connu, l’écrivain très prisé dans la jeunesse Edouard Limonov, se réclame de Lénine et de Mussolini, de la révolution sociale et nationale, y associant même les idées libérales démocratiques, dans l’espoir d’offrir une alternative au régime eltsinien-poutinien qui soit tout à la fois non capitaliste, nationaliste et très moderne. On a parfois qualifié Limonov de « national-stalinien ». L’étiquette conviendrait mieux à l’équipe dirigeante du PC de Ziouganov. Le phénomène limonovien en est très éloigné : à la fois culturel (enraciné dans la jeunesse des « rockers métallisty ») et rompu à la provocation contestataire, c’est moins une ligne politique qu’un style de combat inédit. Si l’on ajoute que le romancier a fondé la nouvelle vague érotique de la jeune littérature post-soviétique et qu’il admire la « révolution orange » en Ukraine, on admettra que l’outsiderde Moscou échappe aux définitions simplettes. Limonov, imprévisible et très évolutif, fraie tout à la fois avec les opposants libéraux pro-américains, l’extrême-gauche radicale et les nationalistes à la bannière monarchiste.[28]
    • Une autre variante du national-bolchévisme (« sans Limonov ») a rejoint les néoeurasistes (ou eurasiens) d’Alexandre Douguine. Ce courant originellement issu de l’émigration russe de l’entre-deux guerres, anticommuniste, néo-impérial et solidaire de l’URSS contre l’envahisseur allemand (contrairement aux émigrés fascistes) projette un État fort, un Empire restauré, mobilisé dans une option géopolitique opposant la puissance continentale euro-asiatique à la puissance maritime euro-atlantique. Projet qui peut séduire le CAMP N°2, et c’est bien pourquoi il recrute des adeptes en Europe occidentale. Parmi ceux-ci, les idéologues de la Nouvelle Droite, tels Alain de Benoist et les Belges Jean Thiriart et Robert Steuckers, qui avaient permis en 1991 d’établir un lien entre l’ancien chef SS wallon Léon Degrelle et la mouvance nationale-communiste regroupée autour de l’écrivain Alexandre Prokhanov, devenu théoricien d’un « nouvel Empire » russe et proche du Secrétaire général du PC de la Fédération de Russie, Guennadii Ziouganov. Ce flirt éphémère avec des nazis à la Degrelle fut désavoué par les théoriciens du national-patriotisme lié au PC, tel Serguei Kourguinian. Mais le fait est que « la tentation » a existé. A-t-elle entièrement disparu ?

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    • Les marais du confusionnisme

    • Confusionnisme ? Souvent. Et dans les deux « campismes ». N’ayant pas d’idéologie cohérente, ni de perspectives comme le « camp socialiste » de jadis, le CAMP N°2 obéit plutôt à une sorte de réflexologie pavlovienne symétrique à celle du CAMP N°1, celui-ci disposant évidemment d’une hégémonie au sein des pouvoirs d’État, des médias et des opinions publiques d’Occident.  La règle : l’ennemi de mon ennemi est mon ami, même si c’est un dictateur, un brigand, un tueur. « Régime syrien » contre « régime saoudien » ? Sunnisme des pétromonarchies contre chiisme capitale Téhéran ? Sarkozy contre Kadhafi ? Bush contre Saddam Hussein ? Tueurs de l’UCK kosovar contre tueurs des milices serbes ? La seule question à se poser serait : qui est l’allié de qui ? Pour qui roule Untel ? Soyez attentif : un Saddam Hussein peut être notre allié, un temps, contre l’Iran « islamiste », mais on peut, dans le temps suivant, faire donner contre lui d’autres « islamistes ». C’est le CAMP N°2 surtout qui fait remarquer, à juste titre, ce système des indignations sélectives, du cynisme géostratégique. Qu’il ne dédaigne pas de pratiquer à son tour, cela va de soi. Dans le vice versa, et vice-versa.

    • L’espoir du CAMP N°2 n’est pas vraiment une « alternative au capitalisme » ou un « altermondialisme » dont beaucoup d’orphelins des gauches se réclament, mais la formation de grands contrepoids à l’hégémonisme euro-atlantiste, autour de la Chine, de la Russie, voire de la nouvelle gauche latino-américaine. Une perspective géopolitique, sans plus. Sauf en Amérique latine, l’anticapitalisme n’a plus cours, vu qu’il s’agit de soutenir des capitalismes que l’on croit « nationaux » contre le « mondialisme » américain, des bourgeoisies supposées « nationales » contre les bourgeoisies « compradores ». A l’instar des libéraux et des sociaux-démocrates, ou des écologistes bon teint qui euphémisent la crise actuelle (crise « financière », ou « de la dette », ou « de la croissance ») les critiques du « mondialisme » ou de l’ « eurodictature », ou du « productivisme » évitent le diagnostic de « crise du capitalisme » qui impliquerait la mise en cause du modèle de développement global et non seulement les « dérives de la finance spéculative », … ou, côté « vert », les « atteintes à l’environnement » ou aux équilibres « climatiques ». Ne serait-il pas temps de remettre à l’ordre du jour « la biosphère » (Vernadski) impliquant l’interaction entre la nature et l’ensemble des activités humaines, en ce compris le système socio-économique qui les formate ?

    • Mais quel gouvernement, quelle grande institution politique ou financière européenne ou mondiale assureraient crédits et subventions aux chercheurs qui entendraient « dépasser le capitalisme » ? Il va de soi que c’est la ligne rouge à ne pas franchir. Et que respectent ceux qui n’ont d’autres « ennemis » que la Commission Européenne ou « les banquiers de Wall Street », ceux qui pensent qu’une bonne dose de souveraineté d’États-nations suffirait à restaurer croissance, emplois, économies protégées.

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    • Pas d’ équidistance pour autant !

    • Mon propos n’est pas de renvoyer tout le monde dos à dos. Les forces de destruction massive de la puissance américaine, de ses tentacules euro-atlantistes ont une capacité de nuisance infiniment supérieure à celle des États qu’elles prétendent éliminer sous divers prétextes. Je ne mets pas non plus un signe d’égalité entre le terrorisme des États, des riches, et le terrorisme des pauvres, même si je regrette que « les pauvres » n’aient souvent plus d’autres moyens pour se faire entendre que le terrorisme et des idéologies religieuses rétrogrades qui nous font regretter le nationalisme arabe ! Mais j’ai beau « regretter », c’est la réalité, et nous ne pouvons décider à la place de ces peuples « la meilleure voie » de leur émancipation. Il y eut jadis une puissante gauche arabe, nationaliste, orientée vers le socialisme. Ses révolutions ont été décevantes, comme toutes les révolutions. Mais elles ont permis d’accomplir des pas importants : prises de conscience, libérations (Algérie), alphabétisations, laïcisations …Nasser, Ben Bella et Aït Ahmed, Bourguiba, plus tard Yasser Arafat, c’étaient les contemporains de Lumumba et Fidel Castro, du « Che » Guevara, de Nelson Mandela et Thomas Sankara. Ce national-progressisme africain, latino-américain et arabe, l’Occident (et Israël) ont tout fait pour l’anéantir, en encourageant ses adversaires, féodaux, tribaux ou islamistes. La Belgique a fait assassiner Lumumba et poussé à l’éclatement du Congo en soutenant « son » Union Minière du Haut-Katanga puis, avec d’autres, la désastreuse aventure « Mobutu ».

    • Israël a encouragé le Hamas contre l’OLP. Les Etats-Unis ont soutenu les Frères Musulmans d’Egypte contre les nationalistes, les Moudjahiddines afghans contre la révolution militaire de 1978 et l’URSS qui l’a soutenue dans les années 1980, la CIA a employé Bin Laden et fourni aux islamistes des armes « soviétiques » puisés dans les vieux stocks égyptiens, les US ont favorisé, via leurs alliés pakistanais, la guerre des Talibans, avec lesquels ils ont négocié le projet de gazoduc « taliban » qui devait détourner des réseaux russes d’exportation le gaz turkmène etc …à l’instar de ce qui se faisait déjà au Sud-Caucase avec le BTC.[29]
    • On pourrait d’ailleurs suggérer le calcul comparatif entre les victimes des mauvaises dictatures  abattues, des bonnes dictatures pro-occidentales soutenues et celles – qui se comptent par millions depuis une vingtaine d’années- des interventions « humanitaires » et « démocratiques ». Combien pour l’Irak ? Plus de deux millions a-t-on dit ? Quelle grande victoire pour « les Droits de l’Homme » !

     

    • Ramener l’imagination au pouvoir

    • J’ai bien conscience de ne proposer ici qu’un « catalogue de plaies et de bosses », de dérives et de dangers. La force d’inertie du système et des pouvoirs qui le servent ou ne peuvent s’en dégager est génératrice de nouveaux conflits, et forcément de confusions qui ne feront qu’obscurcir nos proches perspectives. Plus insatisfaites que jamais, nos sociétés sont aussi plus désarmées, plus désorientées par les technocraties exerçant une écrasante « hégémonie culturelle » au sens gramscien. C’est sans doute cette hégémonie qu’il faudrait renverser pour que de nouveaux « possibles » puissent émerger. Reconstruire des liens sociaux, des mémoires collectives des luttes, une « conscience de classe » que les dominants et leur gigantesque appareil de débilisation des masses s’attachent à détruire. Mais pour dégager la voie de ce que l’on cherche, il faut d’abord identifier ce que l’on refuse. Et par exemple : ces campismes stériles.

    • Les tendances aux « campismes » sont surtout anachroniques et sans issue, elles relèvent de projections sur le présent de configurations passées et de la conjonction de phénomènes contradictoires dans le monde contemporain. Le camp n°1, « euro-atlantiste » est sans doute une coalition d’intérêts de classes dirigeantes et possédantes du « premier monde » euro-américain où la social-démocratie des riches a trouvé sa place. Cette coalition bénéficie d’un consensus « démocratique » des opinions occidentales prises d’effroi devant le cours des choses et cherchant refuge auprès d’institutions politiques, ou bancaires, auxquelles elles ne croient pourtant plus. Coalition et consensus reproduisent les schémas de la guerre froide (la lutte contre le Mal) alors que « l’ennemi » est éclectique et changeant. D’où ce mélange d’anticommunisme radical reprenant vigueur et d’islamophobie, mélange avec lequel se concocte une sorte d’idéologie de l’air du temps.

    • Coalition et consensus résisteront mal à la crise du système de domination. Un exemple entre cent, c’est l’impossibilité d’appliquer à la Syrie le modèle d’intervention expérimenté ailleurs, le « Mal » étant incarné tout à la fois par le régime en place et une grande partie des rebelles islamistes. L’interventionnisme occidental fait de plus en plus figure d’apprenti-sorcier et ses oracles genre BHL de pitres dangereux.

    • Le camp n°2 reproduit lui aussi d’anciens schémas, qu’il croit « anti-impérialistes ». Il confond par exemple le cas du Venezuela chaviste, qui mène une véritable révolution sociale, contraire aux intérêts américains, et celui de la Russie, aux antipodes de cette révolution, qui évolue dans un rapport très ambivalent avec les Etats-Unis, et dont les intérêts peuvent faire conjonction momentanée avec des régimes aussi peu ressemblants que l’Iran, la Syrie ou le Venezuela, sans que l’on puisse écarter l’hypothèse d’un condominium américano-russe dans la gestion de tel ou tel conflit, on le voit par exemple avec la coopération Moscou-Washington dans la logistique de la guerre en Afghanistan. Les tentatives de déstabilisation du régime russe – au travers des « ONG agents de l’étranger » qu’est en train de réprimer Poutine, et de la mobilisation en vue de contester les JO de Sotchi à proximité du Caucase – n’empêchent la coopération « antiterroriste » des deux pays, maintenant que des séparatistes tchétchènes s’attaquent aux deux. Faire exploser la poudrière du Nord-Caucase n’est pas sans dangers pour les artificiers, quels qu’ils soient.

    • L’Ukraine déchirée entre l’Est russophone et russophile et l’Ouest ukraïnophone et « orangiste » (alliance de nationalistes et de libéraux pro-occidentaux) peut suggérer, elle aussi, un schéma où des « anti-impérialistes » (à l’Est)  feraient face à des atlantistes (à l’Ouest). Tels campistes ont donc dit qu’il fallait, contre l’ancien président Viktor Iouchtchenko (Ouest) choisir l’actuel Viktor Ianoukovitch (Est). Or, entre les deux « camps » ukrainiens, il n’y a pas de choix de développement ou de société différents. Il s’agit d’intérêts de fractions de l’oligarchie et de rapports de l’Ukraine avec les puissances extérieures. Les forces « de l’Est » dites « pro-russes » peuvent très bien se trouver en conflit avec Moscou et choisir le rapprochement avec l’Union européenne et l’OTAN. Il en irait de même avec la Biélorussie, en équilibre instable, dont le potentiel est convoité tant par la Pologne et l’Allemagne que par les oligarques russes.

    • Dans ce contexte d’instabilité, de recomposition de l’ordre (désordre) mondial et de crise générale du système capitaliste, nous allons au devant de situations chaotiques, de conflits et de guerres mal prévisibles. Une ère nouvelle a commencé et nous n’avons pas les clés pour la comprendre. La seule certitude, c’est que les clés du passé ne sont plus adéquates et que leur emploi risque de nous faire ouvrir des placards ou des oubliettes plutôt que des portes de sortie. Dans l’invention sociale aussi, la quête d’alternatives ou, plus précisément, d’issues de secours– en ces temps d’Apocalypse, à la fois « fin d’un monde » et « Révélation » - une exigence s’impose : ramener l’imagination au pouvoir.

     

    • Jean-Marie Chauvier *
    • Mai 2013
    • · * Né à Bruxelles en 1941. Auteur de plusieurs essais sur les questions du monde communiste et soviétique, la Russie et l’Ukraine. Notamment : « Gauchisme et Nouvelle Gauche en Belgique » (CRISP, Bruxelles 1973) « Solzhenitsyn : A Political Analysis » (Socialist Register, London 1974) « Die Sowjetunion, Solshenizyn und die westliche Linke » (collectif, dir. Rudi Dutschke, Manfred Wilke, Rowohlt Hamburg 1975 et Orion Press, Tokyo 1975) « L’URSS au second souffle » (Fondation André Renard, Liège 1976), « URSS, une société en mouvement » (ed. de l’Aube 1988, réed.1990),  « Les Conflits Verts » (coll.GRIP, dir.Marc Schmitz, Bruxelles 1992) « Russie post-soviétique : la fatigue de l’histoire » (coll.dir. Veronique Garros, Complexe 1995). De 1964 à 1969, il fut correspondant des quotidiens communistes belge Le Drapeau Rouge et suisse Voix Ouvrière puis, dans les années 1970-80, collaborateur de la Fondation André Renard (FGTB, syndicats wallons), du Courrier de Belgique, du quotidien français Le Monde, des revues Mai et La Revue Nouvelle (Belgique), Les Temps modernes et Politique aujourd'hui (France), et à partir de 1982, il devint l'envoyé spécial en URSS du Monde diplomatique. Journaliste à la Radio-télévision belge francophone de 1975 à 1996. Dans les années 1970-80, il anima le Comité Tchécoslovaquie et le Comité du Premier mai, qui rassemblaient des militants de la gauche belge luttant pour la solidarité avec les dissidents dans les pays du bloc soviétique. Egalement engagé dans les actions de solidarité au Maroc et en Turquie. Animateur dans les années 1990-2000 de l’association « Maison Commune » et des revue et réseau international « Samovar ». En 2007-2013 : collaborateur du « Monde diplomatique » et de revues et sites internet – Belgique, Canada et Russie.


    [1]          Entendu que l’on pouvait être « révolutionnaire » en théorie et « réformiste » en pratique, les PCI, PCF, PCB etc… incarnaient plutôt un réformisme radical tout en maintenant des objectifs de transformation révolutionnaire de la société.

    [2]          Il reste des PC « identitaires » influents : Grèce, Portugal, Bohême-Moravie.

    [3]          v. Geoffrey Geuens « La Finance imaginaire » ed.Aden 2011

    [4]          Jean Ziegler « Destruction massive. Géopolitique de la faim » Seuil 2011.

    [5]          Sur le secteur médiatique de cette galaxie, cf Serge Halimi, « Les nouveaux chiens de garde » Liber-Raisons d’agir 1997

    [6]          Marcel Liebman, historien belge, fondateur de la revue « Mai »,  pionnier du dialogue judéo-palestinien.

    [7]          Cf Georges Corm « Pour une lecture profane des conflits ». La Découverte 2012

    [8]          JM Chauvier  « Comment les nationalistes ukrainiens réécrivent l’histoire », Le Monde diplomatique, août 2007

    [9]          Christian Baechler, Guerre et exterminations à l’Est. Hitler et la conquête de l’espace vital 1933-1945, Tallandier 2012

     

    [10]         Ernst Nolte « Fascisme et totalitarisme », Robert Laffont 2008, pp 989-990

    [11]         Chaque 14 mars à Riga, défilé pour la Waffen SS Latvia, chaque 28 avril, défilé pour la Waffen SS Galizien (Galitchina) à Lviv, chaque 14 octobre en Ukraine, défilé pour l’armée des insurgés nationalistes ukrainiens (OUN-UPA) responsables, entre autres, du massacre des Polonais de Volhynie en 1943.

    [12]         Enzo Traverso « L’Histoire comme champ de bataille », ed. La Découverte, 2011

    [13]         V. Adam Tooze « Le salaire de la destruction. Formation et ruine de l’économie nazie », Les Belles Lettres, 2012 et Jacques R. Pauwels « Big Business avec Hitler », Aden 2013

    [14]         V. Guido Liguori, « Qui a tué le parti communiste italien ? » ed.Delga, 2011

    [15]         V. le témoignage : Anatoli Tcherniaiev « Sovmestnyi iskhod. Dnevnik dvukh epokh 1972-1991 gody » Rosspen, Moskva, 2008. (en russe). V. notre article : http://www.mondialisation.ca/le-journal-d-anatoli-tcherniaiev-un-t-moignage-exceptionnel-sur-l-agonie-du-mouvement-communiste-international/27655 

    [16]         Michaël Christofferson « Les Intellectuels contre la gauche », contre-feux Agone 2009

    [17]         Dissidences non accréditées car non alignées sur le bloc occidental : Roy Medvedev (URSS) Eugène Varga (son testament), Rudolf Bahro (RDA), Marc Rakovski (Hongrie), Alexandre Zinoviev (URSS), les animateurs des conseils de travailleurs en Tchécoslovaquie 1968-69, la masse anonyme des militants du renouveau socialiste engloutis par la contre-révolution des années 1990.

    [18]         C’est en 1983 que Reagan fonde la National Endowment for Democracy (NED) qui, depuis lors, déverse ses millions de dollars sur tous les continents et au profit des oppositions aux régimes jugés dérangeants pour Washington.

    [19]         v. JM Chauvier « Les multiples pièces de l’échiquier ukrainien », Le Monde diplomatique janvier 2005

    [20]         Slavoj Zizek « Plaidoyer en faveur de l’intolérance » Flammarion 2004, réed.2007

    [21]         « Témoigner. Entre Histoire et Mémoire », revue pluridisciplinaire de la Fondation Auschwitz, n°104, juillet-septembre 2009.

    [22]         Michaël Mueller, Erich Schmidt-Eeeboom, Histoire des services secrets allemands. Nouveau monde ed. 2009.

    [23]         Alfred Wahl, La seconde histoire du nazisme dans l’Allemagne fédérale depuis 1945, Armand Colin 2006

    [24]         Jean Ziegler « La Haine de l’Occident », 2008 (cf le dernier chapître)

     

    [25]         Egalement voir l’intéressante réflexion de Slavoj Zizek dans son « Plaidoyer pour l’intolérance » op.cit.

    [26]         Souvent invoqué, le sectarisme gauchiste du PC allemand dénonçant les « sociaux-fascistes » au même titre que les hitlériens ne doit pas faire oublier que dans les années précédent l’ arrivée au pouvoir d’Hitler, des dirigeants sociaux-démocrates ont fait tirer sur des communistes qui se battaient contre les SA nationaux-socialistes.

    [27]         En rupture avec la stratégie antifasciste décidée en 1935 par le VIIème Congrès de l’IC, ce mot d’ordre « Ni Londres, ni Berlin » découlait du tournant du Pacte germano-soviétique de 1939 et sera abandonné lors de l’invasion hitlérienne du 22 juin 1941. Il a créé un profond embarras au sein des partis communistes. Mais l’idée même de l’équivalence des impérialismes, qui fut celle des internationalistes en 1914, séduisait d’autres courants de gauche qui ne voyaient pas de différence entre Hitler et Churchill (voire Staline le « fasciste rouge »).

    [28]         Le Parti National Bolchévique ayant été interdit, Limonov et ses militants se sont rassemblés au sein du parti « Autre Russie » arborant le drapeau blanc-noir-jaune de l’ancienne cour impériale, tout en conservant pour les « intimes » la faucille et le marteau dans une esthétique rappelant le drapeau nazi.

    [29]         BTC : Bakou-Tbilisi-Ceyhan, capitales de l’Azerbaidjan, de la Géorgie et port pétrolier de Turquie. L’oléoduc BTC a été mis en chantier dans les années 1990, sur ordre de l’administration Clinton, les Etats-Unis décrétant le Sud Caucase « zone stratégique » de leurs intérêts, afin d’exporter une partie des pétroles de la Caspienne qui, jusque là, s’écoulaient  par les réseaux (ex)soviétiques.

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    8 avril 2013 1 08 /04 /avril /2013 01:52

     

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    Les médias occidentaux ont finalement peu parlé de la mort du vrai symbole de la fin du « socialisme réel » et de l'Union soviétique. Ce qui montre leur propension à ne même pas se souvenir de ceux-là même qui ont ouvert le voie aux victoires de leur modèle social. Amnésie systématique qui contribue petit à petit à la délégimitation du système dominant en crise.

    Dans cette étude, écrite par un Moldave vivant en Roumanie mais qui a étudié à Leningrad et qui connait bien ce que fut la société soviétique finissante et sa transition du socialisme réel, assez peu communiste, vers le libéralisme réel, assez peu « libéral » au sens anglo-saxon du terme, nous avons une interprétation du phénomène Berezovsky comme élément d'un processus social profond qui échappa en finale à son promoteur. Tandis que la culture et le savoir intellectuel entraient dans une lente agonie, en URSS comme ailleurs.

    Le capitalisme commence toujours par un vol. C'est une évidence pour tout économiste. Alors l'auteur constate ici que le cynisme le plus absolu a permis de produire en Russie le capitalisme le plus sauvage, un capitalisme d'abordage, un capitalisme de corsaires, car il fallait, comme toujours dans ce système, voler le premier million. L'auteur n'aborde pas la question des réseaux qui furent utiles à ces quelques oligarques pour s'assurer la primauté dans le pillage de ce qui était censé être leur pays et leur peuple. On sait d'ailleurs aujourd'hui que de « menues sommes » leur furent accordées en provenance d'Amérique du Nord ou d'Israël. Et comme ce capitalisme était un système de réseau, on pourrait aussi s'intéresser sur les fondements générationnels, régionaux, sociaux, ethniques auxquels les Berezovsky & Co. se sont liés pour obtenir ces premières sommes. Sans doute pas beaucoup, mais dans un pays où il n'existait alors pas du tout de riches propriétaires, il suffisait d'un peu de richesse pour devenir vite corsaire et, comme le dit l'auteur, un « héros » du nouveau système censé promouvoir à partir de rien les plus cyniques ...système qui fut en fait transitoire vers une autre étape, celle d'un capitalisme d'Etat russe qui a finalement broyé en exil Berezovsky. Un homme qui semble avoir compris au soir de sa vie, qu'il n'avait servi à rien, si ce n'est qu'à détruire pour permettre à d'autres de reconstruire un pays qu'il semble avoir redécouvert en rendant le dernier souffle comme étant le sien. Et le peuple russe dans tout cela ? Une grande inconnue pour le moment encore, dont en tout cas on peut dire que c'est déjà de ses colères qu'on a eu peur lorsque Berezovsky & Co. ont cautionné la transition du capitalisme de corsaires sous Eltsine vers un capitalisme d'Etat sous Poutine.

    La Rédaction


    Berezovsky
    L’icône du néolibéralisme ou la courte histoire de la victoire dans l’Est européen communiste

    Avril 2013



    par Vasile Ernu (écrivain et membre de la rédaction de CriticAtac,Bucarest)


    On peut avec conviction affirmer qu’avec la mort de Berezovsky s’est achevée une époque. Cependant, il serait bon de comprendre que ce qu’elle nous lègue est plus vivant que jamais et que, présentement, nous commençons à peine à colliger les effets véritables de l’action de petits groupes d’acteurs économiques et politiques dont la victoire est un triomphe douloureux et une catastrophe tragique pour une entière communauté humaine.

    Généalogie: de la conversion au libéralisme pendant les années 1960 au revanchisme des années 1990

    Selon la généalogie de Berezovsky qui n’est, de fait, qu’un modèle idéal et générique de l’oligarque, il faudrait rappeler trois phénomènes importants qui eurent lieu en URSS et qui préparèrent le terrain à ce qui se passerait au cours des années 1990 (ceci étant aussi valable pour l’ensemble des pays du bloc communiste). Par manque de place, je vais ici simplifier l’histoire de cette généalogie car, sans cette approche, il me semble qu’on ne peut comprendre correctement les années 1990.

    Premier phénomène: En URSS pendant les années 1950, voire après la Seconde Guerre mondiale, on installe les bases d’une infrastructure et d’un système d’éducation nationale qui vont massivement contribuer au développement et à l’extension d’un groupe social très important : l’intelligentsia technique, spécialisée et scientifique (ingénieurs, médecins, agronomes, physiciens, mathématiciens, géologues, etc.). Pour la première fois, il se crée dans la société un phénomène sans précédent, une masse critique d’intellectuels, une sorte de classe moyenne de l’intelligentsia communiste légitime, une super-élite intellectuelle qui commence à vivre du potentiel énorme de cette classe moyenne intellectuelle. C’est de cette couche sociale que sortira la génération „spoutnik”, la „génération du dégel” et plus précisément la génération de la „pérestroïka”, celle qui enterrerait le communisme. Le fer de lance de cette couche sociale sera donc une intelligentsia technique et non point humaniste, laquelle a eu cependant un rôle relativement important. De cette époque, sortira une grande partie des oligarques, quoique la généalogie de ce groupe provienne de diverses racines (des structures du PCUS, des groupes de diverses structures étatiques spécialisées, des groupes maffieux traditionnels réorganisés pendant les années 1970, etc.). Berezovsky arrive par le biais de cette filière : ingénieur, mathématicien, chercheur à l’Académie des sciences de l’URSS. Mon sentiment, établit sur des données biographiques, est que les plus importants oligarques russes, tout autant que les groupes oligarchiques qui joueront un rôle important dans les années 1990, proviennent de cette couche sociale : la classe moyenne de l’intelligentsia technique.

    Le second phénomène. Une fois le procès de déstalinisation commencé en 1956 au sein du Parti communiste soviétique après le XXe congrès (moment oublié aujourd’hui), l’intelligentsia soviétique va faire un demi-tour complet (U turn) : dans sa majorité elle devient fondamentalement libérale. (A propos des intellectuels directement liés au pouvoir politique je ne m’en souviens plus parce qu’ils n’ont plus joué de rôle important, seulement des rôles rituels). Commençant avec cette période, l’intellectuel soviétique typique appartenant à cette catégorie écoute de la musique et des radios étrangères, lit des livres et discute de sujets interdits ou partiellement tolérés par le pouvoir. Tout est donc interprété dans une grille de lecture de type libérale-dissidente. Prenons un exemple dans la littérature. Le style de littérature qui a, de fait, gagné la mise et qui est lu par tout intellectuel soviétique comme le „Notre père”, c’est Boulgakov (avec une préférence pour Cœur de chien, que tout intellectuel russe connaît par cœur : l’histoire raconte la revanche du prolétariat sur la bourgeoisie sur un ton ironique tout à fait admirable), Pasternak (icône de l’intelligentsia libérale), Soljenitsyne (la conscience morale et tout ce qu’il a donné de meilleur à cette intelligentsia), etc. Et avec pour résultat, la monopolisation du discours par ce groupe d’intellectuels et la marginalisation des autres traditions. Les directions de pensée de l’intelligentsia révolutionnaire et socialiste ont été marginalisées jusqu’à leur disparition ou alors, elles ont été utilisées comme une sorte de massue idéologique au service de la critique des groupes libéraux. Cela peut aller jusqu’aux critiques très dures du régime comme Platonov ou Chalamov, qui furent ultra-marginalisés par ces libéraux (pour le pouvoir cela apparaissait comme „normal”), car leur manière de poser le problème créait un inconfort non seulement pour la pensée officielle soviétique, mais aussi pour la pensée libérale. C’est le cas d’Alexandre Zinoviev, le plus pertinent. Tant qu’il critiqua le communisme, il fut un héros, mais à partir du moment où il commença à proposer une critique forte du capitalisme, il s’est transformé en un traître pour ce groupe de libéraux des années 1970-1980. Au pays du „socialisme”, les groupes d’intellectuels de gauche étaient devenus une rareté marginale, même Marx fut mis à l’index!

    Dans la tradition de l’intelligentsia russe du XIXe siècle, cette couche sociale d’intellectuels assumait la fonction de représenter les gens simples, les gens du peuple et leurs intérêts face au pouvoir. De cette tradition sortiront les grands courants socialistes et révolutionnaires qui non seulement représenteront les intérêts du peuple, mais, et plus encore, lutteraient pour leur réalisation. La Révolution d’Octobre en fut le point nodal, le moment où les masses populaires prirent leur revanche sur la bourgeoisie et l’aristocratie russe qui d’une part furent ignorante et, de l’autre, très cynique devant la réalité sociale et économique de la population de l’Empire russe. La tradition se poursuivit jusqu’au moment des grandes épurations staliniennes. Après la Seconde Guerre mondiale, les choses se transforment radicalement : l’élite intellectuelle soviétique, même devenue libérale, élitiste et „incomprise” du peuple, se considéra néanmoins comme une partie de ceux qui ont consenti le „sacrifice de la révolution” accomplie par les prolétaires et les masses, tandis que pour le bien de son confort, elle se tiendra toujours auprès de la nomenclature communiste, dût-elle totalement la mépriser. Cette intelligentsia joua sur deux plans : libérale en pensée, conformiste dans ses attitudes pratiques afin de conserver ses privilèges. De fait, l’élite intellectuelle devint une nouvelle aristocratie qui n’eut plus aucune liaison avec le peuple et qui ne représenta que ses propres intérêts. Dans la pratique, on peut avancer que l’élite intellectuelle préparait la revanche des années 1990 quand elle se présenterait comme l’avant-garde de la mise en place du nouveau régime et de la nouvelle idéologie néolibérale au détriment des intérêts du peuple qu’elle méprisait avec compassion.

    Le troisième phénomène: En URSS à la fin des année 1960 apparut pour la première fois une nouvelle couche sociale qui, d’un point de vue économique, commença à fonctionner selon d’autres règles que celle de l’économie planifiée. L’Homme soviétique en tant qu’agent économique et légal était un homme qui avait un salaire dû à un travail légalement accompli, tandis que les chances d’obtenir d’autres revenus étaient minimes. Sous le communisme, ne pas être „intégré dans la sphère du travail” plaçait automatiquement la personne dans une situation pénale passible d’une condamnation. C’est pourquoi, avoir des revenus illégaux „immérités” créait une situation très périlleuse pour n’importe quel citoyen soviétique. Les condamnations pour revenus illicites étaient très dures et appliquées sous la rubrique du „vol du bien public”, tandis que pour les délits économiques d’un certain niveau, la peine pouvait aller jusqu’à la peine capitale. Il faut le dire, au commencement des années 1960, les dissidents étaient mieux tolérés du pouvoir que les „éléments” qui volaient le „bien public”. (Ici je ne fait pas référence au „vol” toléré par le pouvoir comme forme de re-paiement non-conventionnel ou comme manière d’assurer un revenu minimal : petit pot-de-vin, le seau de tomates ou de pommes-de-terre pris par le paysans kolkhozien, etc.). Et malgré ces condamnations, dans les années 1970-1980, on voit se développer une économie parallèle qu’il eût été très difficile d’imaginer à l’époque stalinienne. Les premiers à donner le ton, ce sont les gangsters et les spéculateurs qui, dans les années 1970, se réorganisent en créant un véritable réseau de marché noir, suivis par divers groupes qui vont offrir des prestations de service et du commerce à la limite de la légalité. Petit à petit, cette économie alternative va atteindre le sommet de l’élite communiste. Une bonne part des intellectuels sont entrés dans ce jeux : donnant des conseils, rendant divers services, y compris dans le commerce, etc. L’intellectuel soviétique libéral était de plus en plus attiré par les biens de consommation qui manquaient tant, mais que l’on pouvait se procurer avec de l’argent. C’est pourquoi, il lui fallait trouver les moyens de gagner l’argent nécessaire à son désir de consommer ! Le malheur de l’époque se résume à cela : comment peut-on vivre du revenu d’un seul salaire ? Ce domaine de l’économie alternative a représenté l’un des aspects les plus intéressants et les plus significatifs de la phase terminale du communisme, et qui est totalement ignoré des chercheurs contemporains.

    Berezovsky (et l’ensemble des élites de l’oligarchie russe des années 1990) est le produit typique de ces phénomènes et à la lecture de sa biographie nous les retrouvons tous rassemblés.

    Les années 1990: Le rêve doré du néolibéralisme parmi la jeunesse ou, du grand hold-up à sa légitimation en tant que lutte pour la démocratie et l’extension du capitalisme

    Si vous souhaitez trouver le plus de vérités sur le début de la transition du communisme au capitalisme, à la „lutte pour la démocratie et le marché libre”, je vous suggère de ne pas lire les rapports établis par les institutions officielles occidentales (FMI, Banque Mondiale, ambassade des États-Unis, et d’autres encore dont je ne me souviens plus, etc.), ni les opinions des analystes politiques, des experts et des économistes, même s’il est vrai qu’il y a des exceptions. Je ne dis pas qu’il ne faille pas du tout les lire, je dis qu’il ne faut pas commencer par eux, parce que dans le meilleur des cas ils mentent, armés des meilleures intentions. (Il y a ainsi une catégorie de textes infâmes qui ne mentent point, sans pour autant dire la vérité, comme cette caméra qui choisit pour filmer un angle présentant une image réelle, mais, de fait, celle d’une fausse réalité). Le mieux, c’est de commencer par lire les biographies de ceux qui ont réalisé de grandes fortunes à cette époque. C’est simultanément très intéressant de lire des interviews, car très souvent, ces hommes disent des vérités cyniques tout en reconnaissant des choses qui normalement entraînent au minimum des condamnations à la prison à vie. L’histoire de ces hommes d’affaires qui travaillaient dans les années 1990 nous montre que certains disparurent prématurément, tandis que d’autres sont devenus les piliers de la nouvelle société. Toutes ces histoires représentent de fait l’essence et la vérité récente de la grande rupture des années 1990. C’est pourquoi je voudrais esquisser quelques idées significatives en partant de la biographie et du discours du plus important de ces oligarques des années 1990 à l’Est communiste : Boris Abramovici Berezovsky.

    Pirates et pillages comme forme d’accumulation du capital nommée privatisation

    Berezovsky demeure donc l’étalon et le héros de la période initiale, de l’époque des débuts du capitalisme dans l’espace soviétique. Il représente l’homme arrivé sur le marché des biens avec rien, sans argent, sans capital et qui a mis la main sur à peu près tout : industries, usines, banques, ressources naturelles et contrôle politique. Dans cette guerre des années 1990 où l'on voit le transfert de propriété passer des mains de l’État à celles d’un petit groupe privé opérant avec les méthodes les plus illégales et les plus criminelles, Berezovsky devient le leader unanimement accepté. Ces temps demandaient un héros, et lui est arrivé avec l’image du „génie de la combine”, de celle du „démon et de l’ange”, porte-drapeau de cet immense hold-up qui se nomme les grandes privatisations. Sur les techniques et la manières dont cet homme a mis la main la VAZ (la plus importante usine de construction de machines de l’URSS), sur Sibneft (pétrole), sur l’Aeroflot ou ORT (le poste national de télévision de l’URSS-Russie), il n’est pas la peine de s’étendre car on peut lire cela dans tous les grands médias. Et puis, au bout du compte, les schémas ne sont pas si compliqués qu’ils faillent leur attribuer autant de génialité qu’on leur décerne. La grande privatisation, ce super-vol postcommuniste demeure en permanence un thème tabou à l’Est et il est peu probable de penser que quelqu’un le soulèvera un jour sérieusement parce que pas une seule force politique interne ni externe ne le désire. Pourquoi ? Parce que tous les groupes politiques et financiers importants (internes et externes) impliqués dans ce jeu ont profité au maximum de cette „privatisation”, et tous savent que ce phénomène ne s’est jamais effectué sur une base légale ni même après un débat politique réellement démocratique dans le pays. Illégitime et criminel c’est peu dire! Quant à moi, présentement, c’est autre chose qui m’intéresse.

    Si derechef nous regardons plus attentivement cette période initiale (une suggestion que m’a faite Boris Kagarlitsky1), alors nous pouvons observer que les actions des premiers hommes d’affaires importants de ce capitalisme primitif, ainsi que celles des groupes qui devaient jouer un rôle fondamental dans le procès de la „grande privatisation”, ressemblaient de manière frappante avec celles des pirates des Caraïbes du XVIIe siècle. De fait, ils refont le cheminement des début du capitalisme : des groupements d’hommes en rien remarquables, et d’autres pas mieux dotés gravitant autour d’eux ne s’élèvent pas, car les premiers sont disposés à faire n’importe quoi pour mettre la main sur le „trésor-capital“. A ce moment Berezovsky & Co ont accompli la première loi fondamentale du capitalisme dans l’époque ainsi nommée de la « concurrence sans limite » : quand l’un gagne, les autres perdent disait n’importe quel oligarque qui se respecte. Parfois même les idéologues du néolibéralisme reconnaissaient ce schéma. Berezovsky a donc réalisé le rêve libéral de la couche sociale à laquelle il appartenait, il a atteint le sommet et a été contraint de marcher sur de très nombreux cadavres, y compris sur ceux de ses condisciples du rêve néolibéral, car, lorsque l’un gagnait énormément, beaucoup d’autres perdaient à peu près tout.

    Dans un tel contexte, des qualités normalement considérées comme négatives dans la plupart des cultures et des époques, deviennent des qualités positives, très appréciées et respectées. Ce n’est pas l’effet du hasard si le monde de la pègre, les célèbres bandits de l’espace soviétique (et ceci est valable partout dans le monde dans une période de transition) se sont retrouvés très proches et très impliqués dans les affaires des hommes qui avaient pour nom oligarques, devenant même l’emblème d’une époque. C’est l’époque de l’absence de limites et de règles élémentaires ainsi qu’en rêvaient les honnêtes néolibéraux. Les années 1990 sont donc l’époque du rêve doré du néolibéralisme parmi la jeunesse. Mais cela c’est déjà une vieille histoire : le premier million qui s’est gagné grâce au vol est devenu une règle acceptée. Le problème n’est plus le vol, mais bien sa légitimation post-factum.

    Les mécanismes de légitimation du grand Hold-up

    L’Oligarchie n’a rien inventé de neuf, elle a seulement répété certains mécanismes déjà utilisés par les pays occidentaux quand ils passèrent jadis par des périodes de transitions plus longues. La grande tragédie de l’Est, c’est le manque de temps dans cette course effrénée pour récupérer les décalages du développement. L’Est est un Occident plus pauvre qui a perdu dès le départ et qui court sans cesse pour récupérer le temps perdu. Si nous regardons avec attention aussi bien la période stalinienne que celle dite de „transition”, nous pouvons observer un phénomène similaire. Staline voulait une modernisation rapide et radicale de l’État afin de récupérer ce décalage. „Les réformistes”, les restaurateurs du capitalisme veulent la même chose, rapidement et radicalement pour atteindre en quelques années le développement des États-Unis si cela est possible. Ils veulent brûler les étapes, car ils n’ont plus le temps. Le résultat se montre alors : beaucoup de sang, beaucoup de souffrances bien visibles, d’où peu gagnent et une grande majorité perd. En Occident, ce sang et cette souffrance se sont étendus sur une plus longue période temporelle ; maintenant ils sont repoussés à la périphérie, c’est pourquoi le sang et la souffrance y sont moins visibles. Mais revenons à présent aux mécanismes de légitimation des oligarques en partant de l’analyse des actes et des affirmations de Berezovski.

    Le discours:

    Il semble hallucinant d’écouter le discours de légitimation de ces individus. Ce discours vient du discours libéral promu pendant la période soviétique, mais tout autant, sinon plus, du discours néolibéral. La première thèse utilisée par tous : le communisme est le mal, le capitalisme et donc la démocratie sont le bien, aussi n’avons-nous fait que de détruire le communisme et construire une société meilleure. Cela ne comptait nullement qu’il existait déjà un État, une société, une législation : la fin justifiait n’importe quel moyen si l’on était contre l’„Empire du Mal”. Le discours des oligarques n’est en rien différent de celui des intellectuels anti-communistes. Et ce n’est pas l’effet du hasard si tous les intellectuels anti-communistes ont reçu des prix et ont sérieusement travaillé (revues, centres d’analyse, bourses, prix) avec l’argent des oligarques.

    La seconde thèse est beaucoup plus réaliste : il n’existe pas de manière juste et équilibrée de privatiser (Berezovsky), mais tout était à notre portée car l’État était faible. Comme l’aurait dit S.O.Vîntu (un oligarque roumain) : défendez votre État sinon nous le prenons-volons et vous ne pouvez rien nous faire.

    La troisième thèse se base sur une sorte de darwinisme : nous avons mis la main sur les ressources et le pouvoir parce que nous l’avons pu, c’est pourquoi nous le méritons. Puis une autre thèse encore plus employée : ce que nous avons fait ce n’est que la lutte pour le capitalisme, c’est-à-dire pour la démocratie et les droits de l’homme. Tous les oligarques importants se considèrent comme les plus grands combattants s’étant mis au service de la démocratie. La démocratie devient dans leur optique l’équivalent de l’accumulation du capital, et cette idéologie sera imposée jusque dans le village le plus reculé de la Sibérie grâce à la propagande des mass-médias qu’ils contrôlent. La thèse centrale est donc le discours néolibéral le plus caractéristique : marché libre, dérèglementation, la main invisible, retrait de l’État du jeu économique, etc. Aussi assument-ils que ce qui est advenu n’a été au bout du compte que l’effet „naturel” du capitalisme.

    Mass-médias. Très vite, Berezovsky comprendra qu’il a besoin non seulement du capital, mais d’instruments tout aussi importants que la politique et l’économie modernes, les mass-médias. Il investira donc des sommes énormes afin de se créer un empire médiatique, et avec l’aide de cette arme réussira facilement à se construire une nouvelle image pour influencer l’opinion publique et particulièrement pour propager la nouvelle idéologie dominante. Si nous comparons cela avec la vieille école de la propagande soviétique, cette dernière ressemble à un jeu d’enfant. (A cet effet, je recommande peut-être le plus important roman qui se déroule au cours de cette époque : La génération P de Viktor Pelevin). Tous les grands oligarques de cette époque, des années 1990, se bâtiront de cette manière des trusts audio-visuels et les contrôleront de très près, ce qui est le cas aujourd’hui et non seulement en Russie.

    L’approche et la confiscation du pouvoir d’État

    Le pas suivant et fort important deBerezovsky a été la création d’un mécanisme pour lui permettre de s’approcher du pouvoir. Pour ce faire, il utilisa plusieurs stratégies : des prêts à des gens ou à des institutions afin de pourvoir ensuite les contrôler, l’organisation de banquets (à coup sûr des partouzes) et la pratique du chantage. Aussi, assez rapidement, Berezovsky deviendra-t-il non seulement un proche du Kremlin, mais l’un de ses stratèges. Vers la fin de la carrière de Boris Eltsine, il se comporte et parle comme s’il était à peu près l’homme possédant les pleins pouvoirs en Russie. Les gestes et la manière qu’il avait de communiquer à cette époque nous semblent aujourd’hui hallucinants. Parfois même, il parlait des plus importants personnages de l’État russe comme de pions ou d'employés. De fait, c’est lui qui va introduire ce type de „management politique” en Russie, celui où la politique est vue comme un business qui doit se soumettre aux règles contrôlées par un patron. Dans sa conception, l’État se transforme en une quelconque entreprise. Pour lors, quand Berezovsky se confond avec le pouvoir politique, il n’a plus besoin d’aucune légitimation. C’est à ce moment là que les premiers signes d’un changement vont apparaître.

    Eltsine étant plongé dans un état avancé de déchéance physique et mentale (maladie, alcoolisme, etc.), le problème de son remplacement se pose. Le paradoxe est là, car l’un des hommes clef qui avait dessiné le modèle du nouveau dirigeant était précisément Berezovsky. Et Poutine arrive très largement au pouvoir grâce aux suggestions de Berezovsky. D’après les textes et les témoignages des gens impliqués dans la nomination du successeur de Eltsine à la tête de la Russie, le choix et la „sélection” de Poutine ressemble à s’y méprendre au recrutement du dirigeant principal d’une multinationale. Et ceci n’est pas dû au hasard.

    Berezovsky face à face avec Poutine ou de la piraterie à la multinationale

    A la fin des années 1990 au début des années 2000 les signes du changement apparaissent. Berezovsky, le corsaire intrépide du capitalisme russe le sent. Toutefois, il semble qu’il ne comprenne pas que le temps du capitalisme „romantique”, celui de la piraterie aventurière vit ces derniers moments. Le capital est mené par sa propre dynamique tandis que le romantisme perd de plus en plus de terrain. Après être passé par une période d’aventures et de „romantisme”, le capitalisme entre dans une période conservatrice et bureaucratique qui demande du calme et de l’ordre. Quel que soit notre déplaisir à parler du caractère oligarchique du capitalisme russe et de ses élites, il nous faut constater que cette époque a duré environ dix ans. Heureusement et en raison de divers motifs, l’oligarchie russe n’a pas réussi à se maintenir au pouvoir.

    L’époque „romantique” des oligarques russes ne pouvait pas durer pour quelques simples raisons. La bourgeoisie construite durant le régime communiste et postcommuniste est fondamentalement bureaucratique, fortement liée aux structures étatiques, et dépendante d’elles. On peut voir cela parmi les pays européen postcommunistes qui se trouvent à la périphérie du capitalisme occidental, et plus particulièrement parmi ceux dont l’économie de base est fondée sur l’exportation de matière première. Un deuxième aspect nous apprend que cette bourgeoisie est liée à l’ancienne construction de l’État communiste et à la structure de ses couches sociales : les États communistes ont été des États sociaux dont le niveau cultural moyen était fort relevé, si bien que même en faillite, il est difficile de les rejeter dans le „tiers-monde”. La destruction radicale de cet État et de ses structures augmentait énormément le risque de voir surgir des révoltes voire même une guerre civile. Les couches sociales les plus importantes, les intellectuels, les travailleurs et même les paysans avaient perdu à ce moment toute stabilité sociale et le peu de privilèges qu’ils avaient eu auparavant. Tous les mécanismes de protection sociale minimale se sont grippés puis bloqués, depuis l’accès aux ressources jusqu’aux fonctions professionnelles, rendant de ce fait impossible toute ascension sociale. L’accès à la protection sanitaire, à l’éducation, à la protection sociale, aux droits sociaux, et plus précisément, l’accès au travail spécialisé et non seulement cela, étaient devenus le luxe et le privilège d’une élite. Le pays subit donc une violente régression, et le risque que ces couches sociales ne puissent plus accepter ces ruptures dues à la pression socio-économique radicale était énorme. La nouvelle direction était devenue consciente des risques intérieurs qui pouvaient surgir à tous moments, et ce d’autant plus que la Russie a derrière elle une longue tradition de révoltes et de guerres civiles. Il y avait aussi des facteurs externes, mais ils ressortissent à une autre analyse.

    A la fin des années 1990, nous avions donc un choc entre d’une part les intérêts des pionniers du capitalisme postcommuniste, ces pirates „romantiques” fermement décidés à piller le pays avec le scénario d’une aventure très spectaculaire, aventure en général accompagnée de crimes et de luttes urbaines, et d’autre part la logique froide, corporative et bureaucratique, d’une nouvelle étape du capitalisme. La logique individualiste agressive perdait de sa force et de son pouvoir face à la logique corporative-bureaucratique que le capital commençait à s’imposer comme une dynamique de classe plus large et supérieure tant à la logique individuelle qu’à celle des petits groupes.

    Cette époque coïncide avec l’arrivée au pouvoir d’un nouveau leader au Kremlin, Vladimir Poutine, qui comprend qu’il peut renforcer son pouvoir en négociant avec ces groupes agressifs et influents, tandis qu’une bonne partie d’entre eux comprennent de leur côté qu’il est de leur intérêt de renoncer à une part de leur capital et de leurs privilèges en contrepartie d’une paix garantie qui leur assurera le passage vers une nouvelle étape de profits. Afin de faire un peu d’ordre, l’histoire nous dit que Poutine convoqua et négocia avec tous les oligarques du pays. Il leur proposa le rachat par l’État des secteurs stratégiques, essentiellement l’énergie, en échange de cela, à côté de l’argent qu’ils reçurent pour ce rachat, l’État leur offrit une légitimité, un accès libre à d’autres secteurs de l’économie, et naturellement la liberté. A peu près tous les héros des années 1990 comprirent qu’une nouvelle étape commençait et acceptèrent ce marché. L’État réussit ainsi a récupérer quelques secteurs stratégiques, ainsi que les ressources énergétiques avec lesquelles il a construit un type de capitalisme d’État (uniquement dans ce domaine, pour le reste, l’économie demeure du bon néolibéralisme) qui est devenu une arme stratégique importante tant pour la politique intérieure que pour la politique extérieure. A partir de gains énormes fait avec l’exportation de matières premières, et en particulier le gaz et le pétrole, l’État peut assurer un minimum de paix sociale par redistribution, tandis que le géant Gazprom est devenu une arme politique géostratégique permettant à la Russie de se relever „après avoir été mise à genoux”.

    Fin de l’histoire (2)

    Berezovsky quant à lui a choisi de se placer avec Khodorkovski, Gusinsky & Co de l’autre côté du fleuve, et partit pour l’exil londonien, s’auto-intitulant „le plus grand ennemi de Poutine”. Ceci étant dit, il est devenu un ennemi très pratique pour Poutine et, simultanément, un allié pour l’Occident. La propagande interne en Russie a fait de lui un Méphisto, le personnage incarnant le Mal qui pille la Mère-Russie, accusé de tous les maux possibles et impossibles, tandis que les Occidentaux lui ont bâti une image positive, quoique controversée en l’utilisant comme instrument de propagande contre le Kremlin. Berezovsky, depuis sa villa londonienne, assumait son rôle d’opposant numéro Un „au despotisme de Poutine”, de combattant pour la démocratie et les droits de l’homme, se dessinant l’image du réfugié et du démocrate devenu une réelle victime du „dictateur du Kremlin”, jouant parfaitement les deux rôles.

    Durant les derniers moments de sa vie, il était de plus en plus évident que le pirate des années 1990, ce „génie des combines” ne réussissait pas à s’adapter au capitalisme développé qui joue selon d’autres règles. Il savait prendre à l’abordage les vaisseaux ballotés par la tempête du capitalisme primitif, mais n’avait pas la patience d’attendre les bonnes occasions dans les zones d’accalmie et d’ennui du capitalisme monopolistique-bureaucratique. Et alors, comme n’importe quel pirate, il a consumé ses biens aussi rapidement qu’il les avait volés sans pour autant devenir plus heureux. L’histoire dit qu’une bonne partie de ses biens a été pris par divers réseaux établis parmi ses commensaux qui, aujourd’hui, ont envahi le monde en tant qu’investisseurs respectables et piliers d’honnêtes sociétés commerciales et financières.

    Dans la dernière interview qu’il accorda à Forbes, on se rend compte que Boris Abramovitch Berezovsky est plongé dans un état de dépression, se manifestant toujours plus impuissant. Il a même écrit une lettre à Poutine lui demandant pardon, l’implorant de le gracier afin qu’il puisse revenir vivre en Russie. Ses conclusions sont simples : il a cru pouvoir vivre hors de Russie, mais il a sous-estimé la Russie et surestimé l’Occident. Enfin, ce qui me paraît le plus intéressant arrive au moment de conclure, quand il affirme qu’il n’aurait pas du quitter la Russie et ce, quelle que soit la peine à laquelle il eût été condamné. Le reporter lui demande alors : si vous étiez resté en Russie, vous auriez reçu la même peine que celle donnée à Khodorkovsky, la confiscation de vos biens et la perte de votre liberté ? Berezovsky réfléchit et conclut ainsi : Khodorkovsky a tout perdu, mais il n’a pas perdu la chose la plus importante, et plus précisément le sens de l’idée de combat, le sens de la vie. Moi, ici, à Londres, j’ai gardé ma liberté et mon bien, en revanche j’ai perdu le sens, je ne sais plus pour quoi lutter. Ici, j’ai perdu le sens de vouloir vivre encore. Il semble donc que l’exil ou la prison transforment les hommes du pouvoir en véritables sages.

    Les héros des années 1990 nous quittent peu à peu, en revanche nous commençons à peine à colliger tous les effets du chaos et du désastre social, économique et politique de ce temps. Serait-ce là le début d’un printemps ?

    Traduction et notes de Claude Karnoouh

    1 Depuis 2007 le directeur de l’Institut de la globalisation et du mouvement social (IGSO) dont on dit qu’il est le « meilleur think tank de gauche » de Russie.

    2 Pour une brève histoire des « sept banquiers » qui ont activement participé au démantèlement de la puissance publique soviétique, voir < http://fortune.fdesouche.com/26769-breve-histoire-de-loligarchie-en-russie#more-26769 >

    Pour les sept oligarques : < http://www.dementieva.fr/russie/geopolitique3.html >

    Boris Abramovitch Berëzovski, homme d’affaires russo-israélien, est le plus connu de ces oligarques. Sa fortune trouve son origine dans la vente frauduleuse des voitures produites par la société d’Etat AvtoVaz, plus connue en Europe sous le nom de LADA. Il parvient ensuite à se rapprocher de la “famille” Eltsine. Il s’empare alors d’actifs pétroliers et industriels, puis de la gestion de la compagnie Aéroflot, qu’il amène au bord de la faillite. L’éditeur de la version russe du magazine “Forbes”, le russo-américain Paul Klebnikov, lui consacre un ouvrage très critique, « le parrain du Kremlin ». Sa liberté de parole lui vaut d’être assassiné le 9 juillet 2004 à Moscou. Le soutien ouvert de Paul Klebnikov à la politique de restauration de l’Etat de Vladimir Poutine explique que son assassinat a eu très peu d’écho en France, contrairement à celui d’Anna Politovskaïa deux ans après.

    Vladimir Alexandrovitch Goussinski, est également un homme d’affaires russo-israélien. Sa fortune provient de la banque qu’il fonde en 1989, et de son alliance avec le maire de Moscou, Youri Loujkov. Il fonde le premier groupe de médias privé et regroupe ses activités au sein de «Média Most». Il livre à Boris Berëzovski un combat à mort au début des années 90, puis se réconcilie avec lui en 1996, afin de soutenir la candidature d’Eltsine. Il est un membre éminent du congrès juif mondial, et fonde avec Mikhaïl Friedman, le Congrès juif russe. La crise de 1998 l’affaiblit durablement.

    Vladimir Olegovitch Potanine, dont le poste au ministère du commerce extérieur lui permet de s’enrichir considérablement et de créer son groupe financier, INTERROS, et sa banque, ONEXIM, est un autre oligarque fameux. En 1995, il est le concepteur du système de prêts contre actions, qui permet aux banquiers d’acquérir à peu de frais des pans entiers de l’industrie russe. Pour quelques centaines de millions de dollars prêtés à l’Etat russe à la limite de la banqueroute, les oligarques s’emparent alors d’actifs qui en valent plusieurs milliards. Vladimir Potanine, grâce à ce système, s’empare de Norilsk Nickel.

    Mikhaïl Borisovitch Khodorkowski débute sa carrière comme membre influent du Komsomol de Moscou (organisation de jeunesse soviétique où étaient recrutées les futurs cadres du parti communiste). C’est grâce aux fonds de cette organisation et à ses liens avec le Parti communiste, qu’il fonde sa banque, la MENATEP. Il s’empare ensuite des actifs de la compagnie Yukos grâce au système prêts contre actions. La privatisation de Yukos est émaillée de nombreux assassinats et se fait au mépris le plus absolu du droit des actionnaires minoritaires, notamment étrangers. Le maire de Neftyougansk, où se trouve le plus gros actif de Yukos, et qui avait entrepris une grève de la faim pour obtenir le paiement des taxes dues à sa ville au bord de la ruine, est assassiné le 26 juin 1998, jour de l’anniversaire de Khodorkowski. Le chef de la sûreté de Yukos, Alexeï Pitchouguine, est toujours en prison pour ce crime. Ceux qui s’apitoient sur le sort de l’oligarque en pensant qu’il paie très cher des opérations financières feraient bien de s’informer sur les crimes de sang de l’ère Khodorkowski. Khodorkowski se lie avec les milieux d’affaires états-uniens et dépense sans compter auprès des agences de communication pour se construire une image positive, abusant les très complaisants médias occidentaux.

    Mikhaïl Maratovitch Friedman reste encore aujourd’hui l’un des plus puissants hommes d’affaires russe. Avec son associé Piotr Aven, ministre du commerce extérieur au début des années 90, il fonde le groupe consortium “Alfa”, dont les fleurons sont la banque “Alfa” et la compagnie pétrolière “TNK”.

    Vladimir Victorovitch Vinagradov privatise à son profit la banque d’état “Inkombank” en 1993. Il disparaît de la scène politico-économique après la banqueroute de sa banque, lors de la crise de 1998.

    Alexander Pavlovitch Smolenski, condamné à l’époque soviétique pour divers trafics refait lui surface en créant la banque “Stolichny”. La privatisation à son profit de la banque d’état AGROPROM, lui permet de fonder “SBS AGRO”, première banque privée et deuxième banque de Russie. En 1998, la banque est emportée par la crise et ruine plusieurs millions de petits épargnants. Il perd alors toute influence politique, même s’il conserve sa fortune.


    Ces sept banquiers ne sont pas les seuls hommes riches et influents de l’ère Eltsine, mais ce sont eux les “faiseurs de rois”. Ils ont construit leur fortune sur le triptyque “Tchénovnik” (responsable politique), mafieux, homme d’affaires. On trouve également dans les provinces russes, des oligarques locaux très puissants, ayant construit leur pouvoir sur la même base.

    Pour résumer comment le règne de ces oligarques arriva à son terme : < http://www.horizons-et-debats.ch/index.php?id=2615&print=1&no_cache=1 >

    « ...C’est Vladimir Poutine qui mit fin aux agissements des oligarques. Il mit en garde contre de nouvelles implications et menaça d’enquêter sur l’origine des fortunes. Berezovski et Gussinski en tirèrent les conséquences et quittèrent la Russie. La famille du premier émigra en Israël et lui-même se rendit en Grande-Bretagne. Gussinski devint citoyen israélien et créa dans l’Etat hébreu un empire médiatique. Khodorkovski resta, voulant tenir tête à Poutine. Il ne manqua pas une occasion de montrer qu’il se sentait lié à l’Occident. Lorsqu’il voulut fusionner Yukos et Sibneft, groupes stratégiquement importants – le second appartenait à Roman Abramovitch – et les vendre ensuite à ExxonMobile (Rockefeller), Poutine en eut assez, d’autant qu’il avait été menacé verbalement par Khodorkovski lors d’un différend personnel. Poutine fit enquêter sur ce dernier puis le fit arrêter. Les délits qui lui sont reprochés seraient également punissables en Occident. Khodorkovski comptait fermement que son immense fortune et ses amis occidentaux, comme Kissinger, Rockefeller, Rothschild, et le lobby pro-Israël aux Etats-Unis le protégeraient de toutes poursuites.

    Source: interinfo, suite 387, mars 2011

     

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    24 mars 2013 7 24 /03 /mars /2013 16:09

     

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    Depuis le démantèlement du contrepoids soviétique et la fin du monde bipolaire, le « nouvel ordre mondial » promis par Bush père a accouché d'un monde de guerres permanentes qui démontrent la justesse de l'affirmation faite par Jean Jaurès à la veille de la Première Guerre mondiale : « Le capitalisme produit la guerre comme la nuée porte l'orage ». Ce système, sans le contrepoids du mouvement social (et socialiste) des peuples, ne semble que pouvoir mener vers des guerres permanentes, à la fois explicables logiquement et absurdes dans une perspective historique longue. Vingt ans, cela permet d'avoir la distance nécessaire permettant de déceler les processus et démontrer le caractère illusoire ou hypocrite de ceux qui ont pu soutenir que la fin du « socialisme réel » allait aboutir à la fin de la spirale des dépenses consacrées aux guerres ...et des profits qu'en tirent les propriétaires-actionnaires du système. Pour s'en convaincre, il faut aller chercher l'information au centre même de « l'empire » qui, pour le moment, permet toujours d'avoir accès à beaucoup de ses propres analyses et de ses propres stratégies, preuve qu'il n'est pas réductible à une simple conspiration de ses élites. Analyses qu'il faut ensuite traiter avec la distance nécessaire, en s'appuyant sur l'expérience historique. Ce qui est particulièrement faisable dans les sociétés visées de longue date par l'agressivité du « centre ». En particulier donc en Amérique latine, et ce que démontre cet article. Région du monde suivie çà et là dans ce processus de compréhension du monde politique réellement existant d'aujourd'hui par d'autres « sociétés émergentes », au moment où le principal théâtre d'affrontement entre puissances en crise et puissances émergentes se déroule dans ce que George W. Bush a défini comme « le Grand Moyen-Orient », espace où les sociétés peinent depuis le début dudit « printemps arabe » à différencier ce qui provient de tensions et de pesanteurs internes à leurs propres sociétés de ce qui est généré, exploité et manipulé par des intervenants étrangers.

     

    L'article ci-joint analyse dans le détail la logique économico-militaire du système dominant en crise. Il explique les processus de privatisation, de militarisation, de mercenarisation et de lumpenisation qu'il exporte sur la planète entière. Il esquisse également les contours de son évolution interne, reprenant en fait ce que Karl Marx avait déjà théorisé sous le nom de « loi de la rétribution historique » dans un article qu'il avait écrit dans le New York Tribunesur la révolte des Cipayes aux Indes qui entraîna des violences d'une rare ampleur contre les colons anglais et les Indiens convertis au christianisme. Violences que la propagande coloniale anglaise expliquait par la barbarie des insurgés hindous et musulmans, et que Marx expliqua comme une violence réactive des « offensés » qui retournaient en fait à ses géniteurs la violence originelle de situation et de répression introduite par les « offenseurs ». Or, nous pouvons constater aujourd'hui que la barbarisation des relations et des guerres qui se déroulent sous nos yeux dans tout ledit « Grand Moyen-Orient », et qui fut d'abord testée en Amérique latine puis en Yougoslavie, provient en fait des centres mêmes de l'empire. Violence aveugle, sectaire, effrayante, qui entraîne un processus de barbarisation croissante des relations à l'intérieur même du « centre ».

     

    La Rédaction

     

     


    La mutation du système d'intervention militaire des

     

    États-Unis

    -

    Printemps 2013



    Par Jorge Beinstein*

       

     

    Traduit de l'espagnol par Ramon Bell-LLoch

    (version en espagnol à la fin - version en espanol al final del articulo)


     

    « Les Illusions désespérées produisent de la vie dans tes veines »

    St. Vulestry



    « Les gens croient que les solutions proviennent de leur capacité à étudier raisonnablement la réalité discernable. En réalité, le monde ne fonctionne déjà plus ainsi. Nous formons maintenant un empire et, quand nous agissons, nous créons notre réalité propre. Et pendant que  tu étudieras cette réalité là, nous, nous agirons de nouveau, en créant d'autres réalités que tu pourras aussi étudier. Nous sommes les acteurs de l'histoire, et,  à vous, à vous tous, il ne vous reste seulement qu'à étudier ce que nous faisons ».

    Karl Rove, Conseiller de George W. Bush, été 20021



    Guerre et économie


    Des concepts comme celui de « keynésianisme militaire » ou d' « économie de la guerre permanente » constituent de bons déclencheurs pour comprendre le long cycle de prospérité impériale des États-Unis : Leur décollage il y a un peu plus de sept décennies, leur essor et leur réponse récente à son étape d'épuisement ouvrant un processus militariste-décadent actuellement en cours.


    En 1942, Michal Kalecki exposait le schéma de base de ce qui a été postérieurement connu sous le nom de « keynésianisme militaire ». En s'appuyant sur l'expérience de l'économie militarisée de l'Allemagne nazie, l'auteur signalait les résistances des bourgeoisies d'Europe et des États-Unis à l'application de politiques étatiques de plein emploi basées sur des stimulants directs consacrées au secteur civil et leur prédisposition à les favoriser quand on les orientait vers les activités militaires2. Par la suite, Kalecki, déjà en pleine Guerre froide, décrivit les caractéristiques décisives de ce qu'il qualifiait comme étant le triangle hégémonique du capitalisme USAnien3 qui combinait la prospérité interne avec le militarisme décrit comme la convergence entre des dépenses militaires, la manipulation médiatique de la population et de hauts niveaux d'emploi4.

    Cette ligne de réflexion, à laquelle ont adhéré entre autres Harry Magdoff, Paul Baran et Paul Sweezy, postulait à la fois une économique marquée par le succès à moyen terme de la stratégie de « l'économie du Beurre + des Canons » (« Guns and Butter Economy ») et le renforcement simultané de la cohésion sociale interne des États-Unis avec de leur présence militaire globale, processus comportant aussi ses limites et annonçant son épuisement inévitable à long terme. Sweezy et Baran pronostiquaient (fort justement) vers le milieu des années 1960 qu'une des limite décisive pour la reproduction du système provenait de la dynamique technologique du keynésianisme militaire elle-même, provoquée par la sophistication technique croissante de l'armement qui tendait inévitablement à augmenter la productivité du travail en réduisant ses effets positifs sur l'emploi, ce qui, en finale, aboutirait à ce que l'augmentation des coûts de l'armement aurait des effets nuls, voire négatifs, sur le niveau général de l'emploi5.

     

    Ce qui a été rendu évident depuis la fin des années 1990, quand a commencé une nouvelle étape d'augmentation des dépenses militaires, processus qui se poursuit actuellement, et qui a marqué la fin de l’ère du keynésianisme militaire. Le développement actuel aux États-Unis de l'industrie de l'armement et de ses secteurs associés augmente les dépenses publiques, causant un déficit fiscal et un endettement, sans contribuer pour autant à augmenter en termes nets le niveau général de l'emploi. En réalité, le poids financier et le développement technologique de ce secteur contribuent de manière décisive à maintenir de hauts niveaux de loisirs et une croissance économique nationale anémique ou négative qui le transforme en fait en catalyseur accélérant et approfondissant la crise de l'Empire6.


    D'autre part, les premiers textes relatifs à ce qu'on a appelé l' « économie de la guerre permanente » sont apparus aux États-Unis au début des années 1940. Il s’agissait d'une vision simplificatrice quisous-estimait, généralement, les rythmes et les raccourcis concrets de l'histoire, mais qui s'avère aujourd'hui suprêmement utile pour comprendre le développement du militarisme dans le très long terme. Vers 1944, Walter Oakes définissait une nouvelle phase du capitalisme où les dépenses militaires occuperaient une position centrale ; il ne s'agissait pas d'un fait conjoncturel imposé par la Seconde Guerre mondiale alors en cours, mais d'une transformation qualitative intégrale du système dont la reproduction étendue universellement pendant plus d'un siècle, avait fini par produire des masses d'excédents de capital qui ne trouvaient pas d'espaces d'application dans les puissances centrales dans l'économie civile productrice de biens et services de consommation et de production.


    L'expérience des années 1930, comme le démontrait Oakes, indiquait que ni les chantiers publics mis en oeuvre lors du New Dealde Roosevelt aux États-Unis, ni la construction d'autoroutes en Allemagne nazie, n'avaient pu aboutir à une reprise significative de l'économie et de l'emploi : c'est seulement la mise en ordre de marche d'une économie de guerre en Allemagne, et à partir de 1940 aux États-Unis qui avait permis d'atteindre dans un premier temps ces objectifs7. Dans le cas allemand, la course à l'armement s'est terminée par une défaite catastrophique, dans le cas USAnien, la victoire n'a pas mené à la réduction du système militairo-industriel, mais au contraire, à son expansion.


    Avec la diminution des effets économiques de la guerre, l'économie des États-Unis a commencé à connaître un refroidissement, et le danger de récession a alors pointé son nez, mais le début de la guerre froide puis la guerre de Corée (1950) ont éloigné ensuite ce spectre, en ouvrant un nouveau cycle de dépenses militaires.


    En octobre 1949, le professeur de l'Université de Harvard, Summer Slichter, qui jouissait d'un grand prestige, indiquait devant une convention de banquiers : « La Guerre (Froide) augmente la demande de biens, aide à maintenir un haut niveau d'emploi, accélère le développement de la technologie, donc elle créée tout ce qui améliore le niveau de vie dans notre pays… En conséquence, nous devrions remercier les Russes pour leur contribution à ce que le capitalisme fonctionne mieux que jamais aux États-Unis ». Et vers 1954, la revue U.S. News andWorld Reportpouvait du coup formuler un tel constat : « Ce que signifie pour le monde des affaires la Bombe H ? : une longue période de grosses ventes qui iront en augmentant durant les prochaines années. Nous pourrions conclure par cette affirmation : la bombe H a jeté la récession par la fenêtre »8.


    Comme l'indiquait au début des années 1950, T . N. Vance, un des théoriciens de « l'économie de la guerre permanente », les États-Unis avaient désormais versé dans une succession de guerres qui définissaient de manière irréversible les grandes orientations de la société, y compris, après la guerre de Corée, lorsqu'il convenait seulement d'attendre de nouvelles guerres9. Dans le texte constitutif de sa théorie, Walter Oakes formulait deux prévisions décisives : l'inévitabilité d'une Troisième Guerre mondiale qu’il plaçait vers 1960 et l'appauvrissement des travailleurs USAniens depuis la fin des années 1940, provoquée par la dynamique de concentration des recettes effectuées par le complexe militairo-industriel10.


    Nous pouvons considérer en principe que ces prévisions se révélèrent inexactes. La Troisième Guerre mondiale ne s'est pas produite malgré le renforcement de la tendance vers la prolongation de la Guerre froide, qui a pu maintenir la vague militariste pendant plus de quatre décennies traversées par deux grandes guerres régionales (les guerres de Corée et du Vietnam) accompagnées d'une série dense d'interventions impériales directes et indirectes, petites et moyennes. Et, quand la Guerre Froide se termina, après un bref intervalle durant les années 1990, la guerre universelle de l'Empire s'est finalement poursuivie, cette fois contre de nouveaux « ennemis » qui justifiaient son prolongement (« guerres humanitaires », « guerre globale contre le terrorisme », etc, etc.) : l'offre de services militaires, l' « appareil militariste » et les secteurs associés à ce dernier créaient, inventaient, leur demande propre. L'appauvrissement des classes affaiblies des États-Unis ne s'est pas produit non plus d'une façon précipitée ; au contraire, la redistribution keynésienne de recettes a pu être maintenue jusqu'aux années 1970, le niveau de vie des
    travailleurs et des classes moyennes s'est amélioré substantiellement, et l'interaction positive entre militarisme et prospérité générale a fonctionné. Plusieurs facteurs ont contribué à cela, parmi lesquels l'exploitation de la vaste périphérie du monde grâce à l’émergence des États-Unis comme superpuissance mondiale appuyée sur leur appareil militaire, le rétablissement des puissances capitalistes touchées par la guerre (Japon, Europe occidentale) et qui se sont retrouvées étroitement associées aux États-Unis dans la nouvelle ère ainsi que l'énorme effet multiplicateur au niveau interne des dépenses militaires sur la consommation, l'emploi et l'innovation technologique. Certains de ces facteurs, sous-estimés par Oakes, avaient cependant été indiqués vers le milieu des années 1960 par Sweezy et Baran11.


    Toutefois, c'est l'arrivée de Ronald Reagan à la Maison Blanche (1980) qui marqua une rupture avec cette tendance (bien que déjà depuis les années 1970 les premiers symptômes de la maladie soient apparus), et on entama alors un processus de concentration des profits qui a augmenté de plus en plus vite dans les décennies postérieures. Entre 1950 et 1980, le 1% le plus riche de la population des États-Unis absorbait près 10% du profit national (et même moins entre 1968 et 1978), mais à partir du début des années 1980, cette proportion a monté, et vers 1990 elle atteignait 15% et s'approchait de 25% en 2009 ; Pour leur part, les 10% les plus riches absorbaient 33% de la richesse nationale en 1950, se maintenant toujours sous les 35% jusqu'à la fin des années 1970, alors qu'en 1990 ils arrivèrent à 40% et à 50% en 200712.


    Le salaire horaire moyen a augmenté en termes réels depuis les années 1940 jusqu'au début des années 1970 lorsqu'il a commencé à diminuer, et un quart de siècle plus tard, il avait baissé de presque 20% 13. À partir de la crise de 2007-2008, et avec l'augmentation rapide du loisir la concentration des bénéfices et la chute des salaires se sont accélérées : quelques auteurs utilisent le terme d' " « implosion salariale »14 pour qualifier cette évolution. Une bonne expression pour caractériser la détérioration sociale correspondant à l'augmentation de la proportion des USAniens recevant des bons d'aide alimentaire (« food stamps »). Cette population indigente atteignait presque 3 millions en 1969 (en pleine prospérité keynésienne), mais elle est montée à 21millons en 1980, à 25 millions en 1995 et à 47 millions en 201215.


    Pendant ce temps, les dépenses militaires n'ont pas cessé de croître, propulsées par des vagues bellicistes successives incluses lors du premier grand cycle, celui de la Guerre froide (1946-1991), puis lors du second cycle de la « guerre contre le terrorisme » et des « guerres humanitaires », depuis la fin des années 1990 jusqu'à présent (Guerre de Corée, Guerre du Vietnam, « Guerre des Étoiles » de l’ère Reagan, Guerre du Kosovo, Guerres d'Irak et d'Afghanistan, etc. etc). Après la Seconde Guerre Mondiale, nous pouvons établir deux périodes bien différenciées dans la relation entre les dépenses publiques et la croissance économique (et celle de l'emploi) aux États-Unis. La première s'étend du milieu des années 1940 jusqu'à la fin des années 1960 lorsque les dépenses publiques augmentaient et que les taux de croissance économique étaient maintenus à un niveau élevé, ce furent les années dorées du keynésianisme militaire. Période qui fut suivie par une période où les dépenses publiques continuèrent à augmenter tendanciellement alors que les taux de croissance économique oscillaient autour d'une ligne descendante, marquant ainsi la décadence puis la fin du keynésianisme : l'effet multiplicateur positif des dépenses publiques déclina inexorablement jusqu'à arriver au point où se pose un dilemme sans solution. Chose qui devint évidente au cours de ces dernières années de croissance économique anémique, lorsque la réduction des dépenses de l'Etat produit des forts effets récessifs tandis que son accroissement possible (à chaque fois moins possible) n’améliore pas de manière significative la situation. De la même façon que le « succès » historique du capitalisme libéral au XIXe siècle a produit simultanément les conditions de sa crise, son stade supérieur, keynésien, a aussi généré les facteurs de sa décadence postérieure.


    Le succès de la marche du capitalisme libéral dans sa phase initiale s'est terminé par une gigantesque crise de surproduction et une accumulation de capitaux qui a libéréles rivalités inter-impérialistes, aboutissant au militarisme qui a prit la forme de la Première Guerre mondiale (1914-1918). La « solution » à cette époque a consisté tout spécialement à organiser l'expansion de l'État, de sa structure militaire, avec l'Allemagne et le Japon jouant un rôle pionnier dans ces évolutions. Puis une période de transition turbulente entre le vieux et le nouveau système a duré environ trois décennies (1914-1945) à partir de quoi ont émergé stratégiquement les États-Unis comme seule superpuissance capitaliste intégrant dans sa sphère de domination les autres grandes économies du système. Le keynésianisme militaire est alors apparu dans le centre dominant des États-Unis : au centre même du monde capitaliste. Vance indiquait que « avec le début de la Seconde Guerre Mondiale, les États-Unis et le capitalisme mondial sont entrés dans ce qui est la nouvelle ère de l’Économie de la Guerre Permanente»16. Voilà ce qui se passa si nous comprenons ce processus comme étant marqué par la victoire définitive du nouveau système qui fut précédée par une étape préparatoire complexe, entamée pendant la seconde décennie du XXe siècle.


    Sa genèse a été marquée par le nazisme, première tentative à succès-catastrophe du « keynésianisme militaire »: sa trame idéologique, qui porte jusqu'à la limite la plus extrême le délire de suprématie occidentale, continue à apporter des idées aux méthodes impérialistes les plus radicales de l'Occident, comme le démontrent les faucons George W. Bush ou les néonazis sionistes du XXIe siècle. D'autre part, des études rigoureuses sur le phénomène nazi permettent de découvrir non seulement ses racines européennes (fascisme italien, nationalisme français, etc.) mais aussi USAnienes17. Et cela même si après la Seconde Guerre mondiale, le triomphe de l'économie militarisée aux États-Unis a pris une apparence « civile » et « démocratique », permettant de dissimuler ses fondements guerriers. La décadence du keynésianisme militaire trouve une première explication dans son hypertrophie et son intégration dans un espace parasitaire impérial plus vaste où la base financière occupe une place décisive. Dans une première étape, l'appareil industriel et son environnement se sont développés en transformant aux frais de l'État des emplois directs et indirects orientés vers des transferts technologiques dynamisant du secteur privé, et garantis par des opérations impérialistes menées vers l'extérieur, etc. Mais avec le temps, la promotion de la prospérité impériale a stimulé et a été stimulée par une multiplicité de méthodes sociales parasitant le reste du monde en même temps qu'elles prenaient un poids interne chaque fois plus grand.


    En outre, la dynamique de développement de la croissance économique continue s'est terminée en provoquant la saturation des marchés locaux, les accumulations croissantes de capital, la concentration d’entreprises et des profits. Le capitalisme USAnien et global se dirigeait à la fin des années 1960 vers une grande crise de surproduction « provoquant les premières perturbations importantes sous la forme de crises monétaires (crise de la livre sterling, fin de l'étalon dollar-or en 1971), des chocs énergétiques (chocs pétroliers de 1973-74 et 1979) traversés par des ajustements inflationnistes et récessifs ». Dans les décennies suivantes, la crise n'a pas été dépassée mais elle a été amortie, retardée et traversée grâce à la surexploitation et au pillage de la périphérie, à la financiarisation, à l'augmentation des dépenses militaires, etc. Tout cela n'a pas permis cependant de réinstaller le dynamisme de l'après-guerre mais a seulement empêché l'écroulement du système en atténuant la maladie sur le court-terme, tout en l'aggravant sur le long terme. Le taux de croissance réelle de l'économie USAniene a connu une ligne descendante de manière irrégulière et, en conséquence, ses coûts improductifs croissants ont été chaque fois moins compensés par la collecte fiscale. Au déficit fiscal, est venu aussi s'ajouter le déficit du commerce extérieur provoqué par la perte de la compétitivité globale de l'industrie.


    L'Empire s'est alors transformé en un méga parasite mondial, accumulant des dettes publiques et privées, et versant dans un cercle vicieux déjà connu dans d'autres empires en décadence : le parasitisme dégrade le parasite et le rend plus dépendant du reste du monde parce qu’il exacerbe son interventionnisme global, son agressivité militaire.


    Le monde est trop grand du point de vue de ses ressources concrètes (financières, militaires, etc.) mais la réalisation de l'objectif historiquement impossible de domination globale constitue pourtant la seule possibilité de salut pour l'Empire. Les dépenses militaires et le parasitisme en général augmentent, les déficits croissent, l'économie se bloque, la structure sociale interne se détériore… ce que Paul Kennedy définissait comme une « extension impériale excessive »18 devient un fait objectif déterminé par les nécessités impériales qui opèrent comme un piège historique dont l'Empire ne peut pas sortir.

     


    Dépenses militaires


    Les dépenses militaires des États-Unis sont sous-estimées dans les statistiques officielles. En 2012, les dépenses du Département de la Défense ont atteint officiellement quelque 700 milliards de dollars US. Mais, si à ces dernières, on ajoute les dépenses militaires diluées dans d'autres secteurs du Budget (Département d'État, USAID, Département de l'Énergie, CIA et autres agences de sécurité, paiements d'intérêts, etc.) on arriverait à un chiffre proche a des 1.3 billions (millions de millions) de dollars US19. Ce chiffre représente presque 9% du produit intérieur brut, 50% des recettes fiscales prévues, 100% du déficit fiscal. Ces dépenses militaires réelles ont représenté presque 60% des dépenses militaires globales, et si nous ajoutons à cela les dépenses de leurs partenaires de l'OTAN et de quelques pays vassaux situés hors de l'OTAN comme l'Arabie Saoudite, Israël ou l'Australie, on arriverait à un taux d'au moins 75%20. À partir du grand élan initial de la Seconde Guerre mondiale et de la diminution des dépenses militaires réelles de USA dans l'immédiat après-guerre, c'est une tendance globalement ascendante qui a succédé, et qui a traversé quatre grandes vagues militaristes : la guerre de Corée au début des années 1950, la guerre du Vietnam depuis les années 1960 jusqu'à la moitié des années 1970, la « guerre des étoiles » de l’ère Reagan dans les années 1980 et les guerres « humanitaires » et « contre la terreur » de l'après guerre froide.


    Le keynésianisme militaire de l'Empire provient du passé, mais l'idée que guerre externe et prospérité interne vont de pair continue à dominer l’imaginaire de vastes secteurs sociaux aux États-Unis, constituent des survivances idéologiques sans plus aucune base réelle dans le présent mais sert d'instrument pour la légitimation des aventures guerrières. Nestor Kirchner, l'ancien président argentin, a révélé dans une entrevue qu'il a eu avec le metteur en scène Oliver Stone pour son documentaire « South of the Border », que l'ancien président des États-Unis George W. Bush était convaincu que la guerre constituait la manière de faire croître l'économie des États-Unis. La rencontre entre les deux présidents s'est déroulée lors d'un sommet à Monterrey, au Mexique, en janvier 2004, et la version qu'en donnait le président argentin est la suivante : « J'ai dit au Président Bush que la solution aux problèmes se posant à l'heure actuelle, était celle du lancement d'un nouveau Plan Marshall. Il s’est mis en colère et m'a dit que le Plan Marshall était une idée folle des démocrates, et que la meilleure façon de revitaliser l'économie c'est la guerre. Et que les États-Unis se sont renforcés avec la guerre. »21


    Récemment, Peter Schiff, Président du consultant financier « Euro Pacific Capital » a écrit un article délirant largement diffusé par les publications spécialisées dont le titre dit tout : « Pourquoi pas une autre guerre mondiale ? »22.


    Son article commence en montrant le consensus qui règne entre les économistes et selon lequel, la Seconde Guerre Mondiale a permis aux États-Unis de dépasser la Grande dépression et que si les guerres d'Irak et d'Afghanistan ne sont pas parvenues à réactiver de manière durable l'économie USAnienne cela est dû au fait que « ces conflits sont trop limités pour être économiquement importants ».

     

    Si nous concentrons notre analyse sur les dépenses militaires, le PIB et l'emploi, nous constatons ce qui suit : les dépenses militaires sont passées de 2 800 millions de dollars US en 1940, à 91 milliards en 1944, ce qui a propulsé le Produit intérieur Brut nominal de 101 milliards de dollars US en 1940 à 214 milliards en 1944 (il a doublé en seulement quatre ans), le taux de chômage a alors baissé à peine de 9% en 1939 à 8% en 1940, mais en 1944, il était tombé à 0.7 %. Le premier bond important dans les dépenses militaires s’est produit entre 1940 et 1944, quand elles sont passées de 2 800 millions de dollars US à 12 700 millions, soit l'équivalent de 10% du PIB23, une proportion assez semblable à celle de 2012 (1.3 billions de dollars US, approximativement 9% du PIB). Ceci signifie que les dépenses militaires de 1944 équivalaient à quelque sept fois celles de 1941. Si nous comparons ce bond aux chiffres actuels, cela signifie que les dépenses militaires réelles des États-Unis devraient arriver en 2015 à quelques 9 billions (millions de millions) de dollars US, soit l'équivalent de sept fois le déficit fiscal de 2012.


    Mais des bonds successifs dans les dépenses publiques entre 2012 et 2015 provoqueraient une gigantesque masse de déficits que ni les épargnants USAniens ni ceux du reste du monde ne sont en état de couvrir en rachetant des titres de dette d'un empire devenu fou. Schift rappelle dans son article que les épargnants USAniens ont acheté pendant la Seconde Guerre mondiale 186 milliards de dollars US de bons de la dette publique équivalents à 75% de la totalité des dépenses du gouvernement fédéral entre 1941 et 1945, mais il conclue en constatant que cette « prouesse » est aujourd'hui impossible. Simplement, nous explique Schift qui pousse à l'extrême son raisonnement sinistre, parce qu'il n'y a pas où obtenir l'argent nécessaire pour mettre en marche une stratégie militaire qui relancerait l’économie comme ce fut le cas de 1940-45. En fait, cette impossibilité a des causes encore beaucoup plus profondes. L'économie des États-Unis de 1940 était dominée par des secteurs productifs, principalement industriels, alors que, actuellement, avec la consommation, le développement de toute une classe de services parasitaires (en commençant par la finance), la décadence généralisée de la culture de production, etc., aboutissent à ce que, même en appliquant une injection de dépenses publiques équivalente à celle de 1940-45, on ne pourrait obtenir une réactivation de même envergure. Le parasite est devenu trop fort, sa sénilité est très avancée, il n'y a aucune médication keynésienne qui peut traiter ou qui, au moins, serait capable de reconstituer une partie significative de sa vigueur juvénile.



    Privatisation, développement de l'économie informelle, élitarisme et lumpen-impérialisme


    La stratégie de guerre asiatique, la plus ambitieuse de l'histoire des États-Unis, a fracassé la stabilité politique et économique. La stratégie de domination de la bande territoriale qui s'étend des Balkans jusqu'au Pakistan en passant par la Turquie, la Syrie, l'Irak, l'Iran et les ex- républiques soviétiques d'Asie centrale est taujourd'hui embourbée. Toutefois, son développement a permis de transformer le dispositif militaire de l'Empire en transformant ses machines de guerre traditionnelles en un nouveau système flexible, à mi-chemin entre les structures formelles régies par la discipline militaire conventionnelle et les réseaux touffus d'amateurs groupés autour de noyaux opérationnels officiels et de bandes de mercenaires. Le processus d'intégration de mercenaires dans les opérations militaires trouve ses antécédents dans les derniers moments de la guerre froide, avec l'organisation des « contras » au Nicaragua et  des « moudjahidines » en Afghanistan qui peuvent être considérés comme les premiers pas durant les années 1970 et 1980 vers de nouvelles stratégies d'intervention. Des dizaines de milliers de mercenaires ont alors été formés, armés et financés pour aboutir à des résultats réussis pour l'Empire. Selon diverses études sur le sujet, les États-Unis et l'Arabie Saoudite ont dépensé alors quelque 40 milliards de dollars US dans les opérations afghanes (quand a commencé sa carrière internationale à cette époque le jeune ingénieur Osama Bin Laden) en portant un coup décisif à l'URSS24. Un autre pas important a été franchi avec les guerres ethniques en Yougoslavie, pendant les années 1990, lorsque les États-Unis et leurs alliés de l'OTAN, avec l'Allemagne en tête, ont mené à bien une tâche complexe de désintégration de cet Etat, avec un succès qui s'est appuyé sur l'utilisation de mercenaires. Le cas le plus notoire a été celui de la guerre du Kosovo, quand l'UCK (« Armée de Libération du Kosovo ») est apparue, et dont les membres furent principalement recrutés à partir de réseaux mafieux (trafic de drogues, etc.) et sous le commandement direct de la CIA, puis en étendant ses liens jusqu'à l'ISI (le service de renseignement du Pakistan). Actuellement, l' « État » kosovar « indépendant » se voit relié à l'intervention de l'OTAN en Syrie, ce qui explique pourquoi, en juin 2012, le ministre russe des Affaires étrangères exigeait la cessation des opérations de déstabilisation de la Syrie effectuées depuis le Kosovo25.


    Ces nouvelles pratiques d'intervention ont été accompagnées par un intense processus de réflexion des stratèges impériaux provoqué par la défaite au Vietnam. La « Guerre de basse intensité » a constitué un de ses résultats, et les théorisations autour de ce qui a été appelé la « Guerre de Quatrième Génération (4GW) » ont consolidé la nouvelle doctrine militaire dont l’acte constitutif a été rédigé en 1989 par William Lind et trois membres des forces armées des États-Unis qui ont alors publié leur article dans le Marine Corps Gazette26où furent dès lors effacées les frontières entre les secteurs civil et militaire : toute la société ennemie, et spécialement son identité culturelle, devient dès ce moment, l'objectif de la guerre. La nouvelle guerre est définie comme étant une guerre décentralisée, en mettant l'accent sur l'utilisation de forces militaires « non étatiques » (c'est-à-dire paramilitaires), et en employant des tactiques d'usure propres aux guérillas, etc. A cela s'ajoute l'emploi intense du système médiatique qui doit être concentré afin de pouvoir viser l'ensemble de la société ennemie sous le terme d' « annonce publique globale » (le peuple ennemi est simultanément attaqué psychologiquement et isolé du reste du monde) combiné avec des actions de guerre de haut niveau technologique. Dans ce dernier cas, il s'agit de profiter de la fracture technologique gigantesque existant entre l'empire et la périphérie pour frapper l'adversaire sans être menacé de représailles, ce que les spécialistes appellent la confrontation asymétrique « high-tech/no-tech ».


    Les statistiques officielles relatives aux mercenaires sont généralement confuses et partielles, mais quelques données provenant de sources gouvernementales, civiles ou militaires, peuvent nous montrer l'ampleur du phénomène. D'abord, le rôle du Département de la Défense, qui est le principal contractant de mercenaires. La part du budget destiné à ces dépenses a augmenté d'environ 100% entre 2000 et 2005, le plus souvent par le biais de l'utilisation de modalités propres au fonctionnement des grandes entreprises transnationales comme la terciarisation et la relocalisation d'activités, ce qui a produit un gigantesque univers en expansion d'affaires privées consacrées à la guerre … et financées par l'État, et génératrices de règles complexes de corruption et de corrupteurs27.


    Le « Commandement Central » militaire des États-Unis (US CENTCOM) a fourni récemment quelques données significatives sur ce sujet : les mercenaires engagés et identifiables comme tels dans le secteur Moyen-Orient/Asie Centrale arriveraient à quelque 137 000 personnes travaillant directement pour le Pentagone, parmi lesquels seulement quelques 40 000 d'entre eux seraient des citoyens des USA. Mais, selon des données du Département de la Défense, et en ajoutant les données de l'Afghanistan et de l'Irak, il y aurait en fait 190 000 mercenaires sur le terrain contre quelques 175 000 soldats réguliers, soit 52% du total 28.


    À ces chiffres, nous devons d'abord rajouter celui de mercenaires engagés par d'autres secteurs du gouvernement US, comme le Département d'État ainsi que les contrats dans d'autres zones du monde comme l'Afrique, où l'AFRICOM (commandement militaire US pour ce continent) a augmenté exponentiellement ses activités pendant la dernière décennie. Ce à quoi nous devons encore ajouter les mercenaires agissant sous le commandement stratégique US mais engagés par des pays vassaux, comme les pétromonarchies du Golfe arabo-persique, chose que l'on a pu constater dans les cas libyen et en Syrie.


    Doivent être aussi pris en compte les mercenaires présents dans d'autres régions d'Asie et en Amérique latine. Mais le compte ne termine pas encore là, puisqu'à cette nébuleuse il est nécessaire d'ajouter les réseaux mafieux et/ou paramilitaires présents dans tous les continents avec un « personnel disponible » qui s'autofinance grâce à des activités illégales (drogues, prostitution, etc.) protégées de fait par diverses agences de sécurité US comme la DEA (« Drug Enforcement Administration »)ou bien qui intègre les « agences de sécurité privée » très présentes par exemple en Amérique latine et dans d'autres pays périphériques, où elles sont légalement établies et étroitement liées aux agences de sécurité privées US et/ou à la DEA, à la CIA ou à d'autres organismes du renseignement de l'Empire.


    Et la liste se prolonge… Récemment a été publiée par le Washington Postune étude relative à l' « ultra-Amérique secrète » (Top Secret America), celle des agences de sécurité. Etude qui nous informe sur l'existence actuelle de 3 202 agences de sécurité (1 271 publiques et 1 931 privées) employant quelques 854 000 personnes, travaillant dans des secteurs comme l' « antiterrorisme », la sécurité intérieure et le renseignement en général, et qui sont domiciliées dans quelque 10 000 lieux répartis à travers le territoire des États-Unis29. En ajoutant les différents chiffres mentionnés plus haut et en évaluant les données occultes, certains experts avancent un nombre approximatif global (pour l'intérieur et hors du territoire des États-Unis) proche du million de personnes présents sur les théâtres de combats de la périphérie, faisant de l'espionnage, élaborant des manipulations médiatiques, activant des « réseaux sociaux », etc.


    Comparons par exemple ces données avec les 1 million 400 mille personnes qui forment approximativement le système militaire public de l'Empire. Pour leur part, les troupes régulières ont souffert d'un rapide processus d'informatisation, de rupture avec les normes militaires conventionnelles, et former des commandos d'intervention inscrits dans une dynamique ouvertement criminelle. C'est le cas de ce qu'on appelle le Commandement Conjoint pour les Opérations spéciales ou « JSOC » (Joint Special Operations Command). Commandement conjoint secret en liaison avec le commandement direct du Président et du Secrétaire à la Défense, avec autorité pour élaborer une liste d'assassinats ciblés, et qui possède son propre service de renseignement, sa flotte de drones, ses avions de reconnaissance, ses satellites, et aussi ses groupes de Cyber-guerriers capables d'attaquer les réseaux d'internet. Le JSOC dispose de nombreuses unités opérationnelles. Créé en 1980, puis enterré après son échec retentissant en Iran lorsqu'il a tenté de libérer le personnel de l'ambassade US à Téhéran, il a été récemment ressuscité. En 2001, il disposait de quelques 1 800 membres, mais actuellement, ils arriveraient à 25 000. Dans les derniers temps, il a effectué des opérations létales en Irak, au Pakistan, en Afghanistan, en Syrie, en Libye, et très probablement au Mexique et en Colombie et ailleurs. Il s'agit d'un groupement d' « escadrons de la mort » de portée globale, autorisé à effectuer toute une catégorie d'opérations illégales, depuis des assassinats individuels ou de masse, jusqu'à des sabotages, des interventions dans la guerre psychologique, etc. En septembre 2003, Donald Rumsfeld avait édicté une résolution plaçant le JSOC au centre la stratégie « antiterroriste » globale, et depuis lors, son importance est allée croissant pour devenir aujourd'hui, sous la présidence du prix Nobel de la paix Barak Obama, une sorte d’exercice clandestin au profil criminel clair sous les ordres directs du Président des Etats-Unis30. Les forces d'intervention des États-Unis ont acquis maintenant une tournure clairement privée-clandestine, conforme au concept de « Guerre de Quatrième Génération », et elles fonctionnent à chaque fois de plus en plus à la marge des codes militaires et des conventions internationales. Un récent article d'Andrew Bacevich décrit les étapes de cette mutation franchies pendant la décennie écoulée et qui aboutissent actuellement à ce que l'auteur nomme « l'ère Wickers » (du nom de l'actuel Sous-secrétaire au renseignement du Département de la Défense) concentré sur l'élimination physique d' « ennemis », l'utilisation dominante de mercenaires, la multiplication de campagnes médiatiques et de réseaux sociaux, tout cela destiné à déstructurer des organisations et des sociétés définies comme hostiles aux USA.


    Au début de l'année passée, celle qui était alors Secrétaire d’État, Hillary Clinton, a prononcé une phrase qui ne requiert pas de grandes explications : « Les États-Unis se sont réservés le droit de s'attaquer en tout lieu du monde à tout ceux qui sont considérés comme une menace directe pour leur sécurité nationale »31. Si nous ajoutons à cette orientation mercenaire-gangster de l'Empire, d'autres aspects comme la financiarisation intégrale de leur économie dominée par le court terme, sa désintégration sociale interne avec l'accumulation accélérée de marginaux pour une population totale qui représente 5% de la population mondiale mais comptant une masse de prisonniers équivalent à 25% du total de personnes emprisonnées dans le monde, etc., nous arriverons à la conclusion que nous sommes en présence d'une sorte de lumpenisation de l'impérialisme, désormais complètement dominé par des intérêts parasitaires, embarqué dans une logique destructive de son environnement qui dégrade en même temps ses bases de préservation internes32.



    L'illusion du metacontrôle du chaos


    Nous pourrions établir une convergence entre l'hypothèse de « l'économie de guerre permanente » et de celle du « keynésianisme militaire », quand ce dernier constituait la première étape du phénomène (qui dura approximativement entre 1940 et 1970). Ce furent les années de la prospérité impériale, alors que ses dernières réalisations étaient déjà mêlées avec des symptômes évidents de crise, période qui se prolongea jusqu'à la fin de la guerre froide. À cette étape fleurissante, succéda une seconde étape post -keynésienne caractérisée par la domination financière, la concentration des profits, la baisse des salaires, la marginalisation sociale et la dégradation du niveau culturel général, avec un appareil militaire qui opérait comme accélérateur de la décadence en provoquant des déficits fiscaux, et des endettements publics. L'option de la privatisation de la guerre qui fut alors choisie apparaît dans ce contexte comme une réponse « efficace » au déclin de l'esprit de combat de la population (difficultés croissantes à réaliser le recrutement forcé de citoyens à partir de la défaite du Vietnam). Toutefois, le remplacement du citoyen- soldat par le soldat-mercenaire, et la présence décisive de ce dernier aboutit tôt ou tard à des dommages sérieux dans le fonctionnement des structures militaires : ce n'est pas la même chose que d'avoir à administrer des citoyens normaux et une masse de délinquants. Quand le lumpen, les bandits, prédominent dans une armée, cette dernière se transforme en une armée de bandits, et une armée de bandits, ce n'est déjà plus une armée. Le potentiel désintégrateur des mercenaires se produit sur le long terme et le contrôle devient presqu'impossible, car les erreurs commises lors des combats ne peuvent être compensées que très partiellement par des déploiements technologiques très coûteux et aux résultats incertains. La formation de forces clandestines d'élite non-mercenaires, appuyées sur un appareil technologique sophistiqué capable d'asséner des coups ponctuels destructeurs contre l'ennemi, comme c'est le cas pour le JSOC, constituent de bons instruments terroristes, mais ils ne peuvent remplacer les fonctions d'une armée d'occupation et, à moyen terme (et même souvent à court terme), ils aboutissent à renforcer l'esprit de résistance de l'ennemi. Nous pouvons synthétiser de manière caricaturale la nouvelle stratégie militaire de l'Empire en partant de la prédominance de diverses formes de « guerre informelle » combinant mercenaires (beaucoup de mercenaires) et escadrons de la mort (type JSOC), bombardements massifs, drones, contrôle médiatique global, meurtres technologiquement sophistiqués de dirigeants périphériques. La guerre devient dès lors élitiste, elle est transformée en un ensemble d'opérations mafieuses, et s'éloigne physiquement de la population des USA qui perçoit son cercle dominant comme étant dvenu un jeu virtuel dirigé par des gangsters.


    D'autre part, l'adoption comme méthode dominante de structures mercenaires et clandestines d'intervention externe produit des effets contre-indiqués pour le système institutionnel de l'empire, tant du point de vue du contrôle administratif des opérations que des modifications (et de la dégradation) des relations internes de pouvoir. Le comportement de gangster, la mentalité mafieuse finissent dans ce contexte par prendre de fait le pouvoir dans les hautes sphères civiles et militaires, ce qui se traduit au début par des actions dirigées vers l'extérieur, périphériques, et par la suite (rapidement) par des remises au point et la généralisation de tels comportements à l'intérieur même du système de pouvoir.


    L'horizon objectif (au-delà des discours et des convictions officielles) de la « nouvelle stratégie » n'est donc pas l'établissement de régimes vassaux solides, ni l'installation d'occupations militaires durables visant à contrôler des territoires de manière directe mais il vise à déstabiliser plutôt, à casser des structures sociales, des identités culturelles, à dégrader ou à éliminer des dirigeants. Les expériences de l'Irak et de l'Afghanistan (et du Mexique), et plus récemment, celles de la Libye et de la Syrie confirment cette hypothèse. Il s'agit d'une stratégie du chaos périphérique, de transformer des nations et des régions entières en zones désagrégées, balkanisées, avec des États fantômes, des classes sociales (supérieures, moyennes, inférieures) profondément dégradées, sans capacité de défense et de résistance devant les pouvoirs politiques et économiques occidentaux qui pourront ainsi piller impunément leurs ressources naturelles, leurs marchés et leurs ressources humaines (résiduelles).


    Cet impérialisme fanatique du XXIe siècle correspond aux tendances visant à la désintégration qui existent au sein des sociétés capitalistes dominantes, en particulier celle des États-Unis. Ces économies ont perdu leur potentiel de croissance vers la fin 2012, après une décennie de crise financière, elles oscillaient entre croissance anémique (États-Unis), stagnation tournant vers la récession (Union européenne) et contraction productive (Japon).


    Les États, les entreprises et les consommateurs sont écrasés sous les dettes, la somme de dettes publiques et privées représentent plus de 500% du Produit intérieur Brut au Japon et au Royaume-Uni, plus de 300% en Allemagne, en France et aux États-Unis où le gouvernement fédéral a été en 2011 au bord de la faillite. Au-dessus de ces dettes et des systèmes productifs financiarisés, il existe une masse financière globale équivalente à quelque vingt fois le Produit Brut mondial, moteur dynamisant, drogue indispensable du système qui a cessé de croître depuis approximativement une décennie et dont les gouvernements des puissances centrales essaient d’éviter qu’il ne se dégonfle. Se présente alors à leurs yeux l'illusion d'une espèce d'objectif de contrôle stratégique global contrôlé depuis leurs grandes hauteurs, depuis les sommets d'un Occident regardant de haut sur les terres basses, périphériques, où pullulent des milliers de millions d'êtres humains dont les identités culturelles et les institutions sont perçues comme autant d'obstacles à leur prédation. Les élites occidentales, l'empire collectif dominé par les États-Unis, sont chaque jour plus convaincues que cette prédation prolonge leur vieillesse, et éloigne d'elles le fantôme de la mort.


    Le chaos périphérique apparaît à la fois comme le résultat concret de ces interventions militaires et financières (produit de la reproduction décadente de ses sociétés) et comme la base féroce de prédations. Le géant impérial cherche à profiter du chaos mais il
    finitpar introduire le chaos dans ses propres rangs, car la destruction postulée de la périphérie n'est pas autre chose que l'autodestruction du capitalisme en tant que système global, avec perte rapide de rationalité. Le fantasme du metacontrol impérialiste du chaos
    périphérique exprime une profonde crise de perception du monde réel, la croyance dans le fait que les désirs des puissants se transforment facilement en faits réels, le fait que ce qui est virtuel et ce qui est réel soient confondus, formant ainsi un gigantiesque marécage psychologique.


    En réalité, la « stratégie » ayant pour objectif le contrôle impérial du chaos, avec ses méthodes opérationnelles concrètes transforment l'empire en un entrelacs de tactiques qui tendent à former une masse croissante incohérente, prisonnière du court terme. Ce qui prétend constituer une nouvelle doctrine militaire, une pensée stratégique innovante répondant à la réalité globale actuelle facilitant la domination impérialiste sur le monde n'est pas autre chose qu’une illusion désespérée produite par la dynamique de la décadence. Derrière l'aspect d'une offensive stratégique, apparaissent les camouflages historiquement défensifs d'un système dont la coupole impériale perd sa capacité d'appréhension de la réalité globale, la raison d'État se transforme en un délire criminel extrêmement dangereux vu le gigantisme technologique des État-Unis et de ses partenaires européens.



    (*) Membre du Conseil scientifique de La Pensée libre; Économiste, écrivain, éditeur, Argentine. Conférence prononcée à l'occasion du Séminaire“Nuestra America y Estados Unidos: desafios del Siglo XXI”. Facultad de Ciencias Economicas de la Universidad Central del Ecuador, Quito, 30 y 31 de Enero de 2013.

     

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    1 Ron Suskind, “Without a doubt: faith, certainty and the presidency of George W. Bush”, The New York Times, 17-10-04.

    2 Marshall Society (Cambridge), printemps 1942. Michal Kalecki, “Political Aspects of Full Unemployment”, Political Quaterly, V 14, oct.-dec. 1943.

    3NDLR. Devant le dilemme qui s'ouvre à tout chercheur devant l'emploi d'un terme satisfaisant désignant les habitants des Etats-Unis d'Amérique tenant compte du fait que les USA ne forment qu'un Etat parmi les multiples autres Etats USAniens, nous aurions pu reprendre le vocable de « nord-USAnien » utilisé le plus fréquemment en Amérique latine, ce qui englobe cependant aussi les Canadiens, les Groënlandais et les habitants de St-Pierre et Miquelon. Nous avons donc préféré reprendre le néologisme inventé au Québec d'USAnien pour qualifier les habitants des USA.

    4 Michal Kalecki, « The Last Phase in the transformation of Capitalism », Monthly Review Press, New York, 1972.

    5 Paul Sweezy & Paul Baran, « Monopoly Capital, » Monthly Review Press, New York, 1966.

    6 Scoot B. MacDonald, “Globalization and the End of the Guns and Butter Economy”, KWR Special Report, 2007.

    7 Oakes, Walter J., “Towards a Permanent War Economy?”, Politics, February 1944.

    8 John Bellamy Foster, Hannah Holleman y Robert W. McChesney, “The U.S. Imperial Triangle and Military Spending”, Monthly Review, October 2008.

    9 Vance, T. N. 1950, “After Korea What? An Economic Interpretation of U.S. Perspectives”, New International, November–December; Vance, T. N. 1951, “The Permanent Arms Economy”, New International.

    10 Oakes, Walter J, Op. Cit.

    11 Paul Sweezy & Paul Baran ,Op. Cit.

    12 Thomas Piketty & Emmanuel Saez, “Top Incomes and the Great Recession: Recent Evolutions and Policy Implications”, 13th Jacques Polak Annual Research Conference, Washington, DC─November 8–9, 2012.

    13 U.S. Bureau of Labor Statistics.

    14 Lawrence Mishel and Heidi, “The Wage Implosion”, Economic Policy Institute, June 3, 2009.

    15 FRAC, Food Research and Action Center- SNAP/SNAP/Food Stamp Participation.

    16 Vance T. N, “The Permanent War Economy”, New International, Vol
    17, No 1, January-February 1951.

    17 Domenico Losurdo, “Las raices norteamericanas del nazismo”, Enfoques Alternativos, no 27, Octubre de 2006, Buenos Aires.

    18 Paul Kennedy, “Auge y caida de las grandes potencias”, Plaza & James, Barcelona, 1989.

    19 Chris Hellman, “$ 1,2 Trillon: The Real U.S. National Security Budget. No One Wants You to Know About”, Alert Net, March 1, 2011.

    20 Fuentes: SIPRI, Banco Mundial y calculos propios.

    21 El video de la entrevista Kirchner-Stone publicado por Informed Comment/Juan Cole esta localizado. english: -angrily-said-war-would-grow-us-economy.html&ei=BYYCUYCnC4P88QSX3oGACA

    22 Peter D. Schiff, “Why Not Another World War ?”, Financial Sense,
    19 Jul 2010.

    23 Vance T. N, 1950, Op. Cit.

    24 Dilip Hiro, “The Cost of an Afghan 'Victory'”, The Nation, 1999 February 15.

    25 « Una delegacion de la oposicion siria viajo a Kosovo, en abril de 2012, para la firma oficial de un acuerdo de intercambio de experiencias en materia de guerrilla antigubernamental ». Red Voltaire, “Protesta Rusia contra entrenamiento de provocadores sirios en Kosovo”, 6 de Junio de 2012.

    26 William S. Lind, Colonel Keith Nightengale (USA), Captain John F. Schmitt (USMC), Colonel Joseph W. 12 Sutton (USA), and Lieutenant Colonel Gary I. Wilson (USMCR), “The Changing Face of War: Into the Fourth Generation”, Marine Corps Gazette, October 1989.

    27 David Isenberg, “Contractors and the US Military Empire”, Rise of the Right, Aug 14th, 2012.

    28 David Isenberg, “Contractors in War Zones: Not Exactly “Contracting”, TIME U. S., Oct. 09, 2012.

    29 Dana Priest and William M. Arkin, “Top Secret America. A hidden world, growing beyond control”, Washington Post, July 19, 2010.

    #sdfootnote30anc">30 Dana Priest and William M. Arkin, “Top Secret America, A look at the military's Joint Special Operations Command”, The Washington Post, September 2, 2011.

    31 Andrew Bacevich, “Uncle Sam, Global Gangster”, TomDispatch.com,
    February 19, 2012.

    32 Narciso. Isa Conde, “Estados neoliberales y delincuentes”, Aporrea, 20/01/2008, http://www.aporrea.org/tiburon/a49620.html. Karen DeYoung and Karin Brulliard, “As U.S.-Pakistani relations sink, nations try to figure out ‘a new normal’”, The Washington Post /National Security, January 16, 2012.13

     


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    Version en espanol

     

     

    La ilusión del metacontrol imperial del caos(*)

    La mutación del sistema de intervención militar de los Estados Unidos

     

    Jorge Beinstein

    jorgebeinstein@gmail.com

     

    Las Ilusiones desesperadas generan vida en tus venas”

    St. Vulestry

    La gente cree que las soluciones provienen de su capacidad de estudiar

    sensatamente la realidad discernible. En realidad, el mundo ya no

    funciona así. Ahora somos un imperio y, cuando actuamos, creamos

    nuestra propia realidad. Y mientras tú estás estudiando esa realidad,

    actuaremos de nuevo, creando otras realidades que también puedes

    estudiar. Somos los actores de la historia, y a vosotros, todos vosotros,

    sólo os queda estudiar lo que hacemos”.

    Karl Rove, asesor de George W. Bush, verano de 2002 (1)

     

    Guerra y economía

     

    Conceptos tales como “keynesianismo militar” o “economía de la guerra permanente” constituyen buenos disparadores para entender el largo ciclo de prosperidad imperial de los Estados Unidos: su despegue hace algo más de siete décadas, su auge y el reciente ingreso a su etapa de agotamiento abriendo un proceso militarista-decadente actualmente en curso.

     

    En 1942 Michal Kelecki exponía el esquema básico de lo que posteriormente fue conocido como “keynesianismo militar”. Apoyándose en la experiencia de la economía militarizada de la Alemania nazi, el autor señalaba las resistencias de las burguesías de Europa y Estados Unidos a la aplicación de políticas estatales de pleno empleo basadas en incentivos directos al sector civil y su predisposición a favorecerlas cuando se orientaban hacia las actividades militares (2). Más adelante Kalecki ya en plena Guerra Fría describía las características decisivas de lo que calificaba como triángulo hegemónico del capitalismo norteamericano que combinaba la prosperidad interna con el militarismo descripto como convergencia entre gastos militares, manipulación mediática de la población y altos niveles de empleo (3).

     

    Esta línea de reflexión, a la que adhirieron entre otros Harry Magdoff, Paul Baran y Paul Sweezy, planteaba tanto el éxito a corto-mediano plazo de la estrategia de “Manteca + Cañones” (“Guns and Butter Economy”) que fortalecía al mismo tiempo la cohesión social interna de los Estados Unidos y su presencia militar global, como sus límites e inevitable agotamiento a largo plazo.

    Sweezy y Baran pronosticaban (acertadamente) hacia mediados de los años 1960 que uno de los límites decisivos de la reproducción del sistema provenía de la propia dinámica tecnológica del keynesianismo militar, pues la sofisticación técnica creciente del armamento tendía inevitablemente a aumentar la productividad del trabajo reduciendo sus efectos positivos sobre el empleo y finalmente la cada vez más costosa carrera armamentista tendría efectos nulos o incluso negativos sobre el nivel general de ocupación (4).

     

    Es lo que se hizo evidente desde fines de los años 1990, cuando se inició una nueva etapa de gastos militares ascendentes que continúa en la actualidad, marcando el fin de la era del keynesianismo militar. Ahora, el desarrollo en los Estados Unidos de la industria de armas y sus áreas asociadas incrementa el gasto público causando déficit fiscal y endeudamiento, sin contribuir a aumentar en términos netos el nivel general de empleo. En realidad, su peso financiero y su radicalización tecnológica contribuyen de manera decisiva a mantener altos niveles de desocupación y un crecimiento económico nacional anémico o negativo transformándose así en un catalizador que acelera, profundiza la crisis del Imperio (5).

     

    Por otra parte los primeros textos referidos a la llamada “economía de la guerra permanente” aparecieron en los Estados Unidos a comienzos de los años 1940. Se trataba de una visión simplificadora que, por lo general, subestimaba los ritmos y atajos concretos de la historia, pero que hoy resulta sumamente útil para comprender el desarrollo del militarismo en el muy largo plazo.

     

    Hacia 1944 Walter Oakes definía una nueva fase del capitalismo donde los gastos militares ocupaban una posición central; no se trataba de un hecho coyuntural impuesto por la Segunda Guerra Mundial en curso, sino de una transformación cualitativa integral del sistema cuya reproducción ampliada universal durante más de un siglo, había terminado por generar masas de excedentes de capital que no encontraban en las potencias centrales espacios de aplicación en la economía civil productora de bienes y servicios de consumo y producción.

     

    La experiencia de los años 1930, como lo demostraba Oakes, señalaba que ni las obras públicas del New Deal de Roosevelt en los Estados Unidos, ni la construcción de autopistas en Alemania nazi, habían conseguido una significativa recuperación de la economía y el empleo: solo la puesta en marcha de la economía de guerra, en Alemania primero y desde 1940 en los Estados Unidos, había logrado dichos objetivos (6).

    En el caso alemán la carrera armamentista terminó con una derrota catastrófica, en el caso norteamericano la victoria no llevó a la reducción del sistema militar-industrial sino a su expansión.

     

    Al reducirse los efectos de la guerra, la economía de los Estados Unidos comenzó a enfriarse y el peligro de recesión asomó su rostro, pero el inicio de la guerra fría y luego la guerra de Corea (1950) alejaron al fantasma abriendo un nuevo ciclo de gastos militares.

    En octubre de 1949 el profesor de la Universidad de Harvard Summer Slichter, de gran prestigio en ese momento, señalaba ante una convención de banqueros: “[La Guerra Fría] incrementa la demanda de bienes, ayuda a mantener un alto nivel de empleo, acelera el progreso tecnológico, todo lo cual mejora el nivel de vida en nuestro país… en consecuencia nosotros deberíamos agradecer a los rusos por su contribución para que el capitalismo funcione mejor que nunca en los Estados Unidos” . Hacia 1954 aparecía la siguiente afirmación en la revista U.S. News & World Report: “¿Qué significa para el mundo de los negocios la Bomba H?: un largo período de grandes ventas que se incrementarán en los próximos años. Podríamos concluir con esta afirmación: la bomba H ha arrojado a la recesión por la ventana”(7).

     

    Como lo señalaba a comienzos de los años 1950 T. N. Vance, uno los teóricos de la “economía de la guerra permanente”, los Estados Unidos habían ingresado en una sucesión de guerras que definían de manera irreversible las grandes orientaciones de la sociedad, después de la guerra de Corea solo cabía esperar nuevas guerras (8).

    En su texto fundacional de la teoría, Walter Oakes realizaba dos pronósticos decisivos: la

    inevitablidad de una tercera guerra mundial que ubicaba hacia 1960 y el empobrecimiento de los trabajadores norteamericanos desde fines de los años 1940, provocada por la dinámica de concentración de ingresos motorizada por el complejo militar-industrial (9).

    Podemos en principio considerar desacertados a dichos pronósticos. No se produjo la tercera guerra mundial aunque se consolidó la Guerra Fría, que mantuvo la ola militarista durante más de cuatro décadas, atravesada por dos grandes guerras regionales (Corea y Vietnam) y una densa serie de pequeñas y medianas intervenciones imperiales directas e indirectas. Cuando se esfumó la Guerra Fría, luego de un breve intermedio en los años 1990 la guerra universal del Imperio prosiguió contra nuevos “enemigos” que justificaban su desarrollo (“guerras humanitarias”, “guerra global contra el terrorismo”, etcétera): la oferta de servicios militares, el “aparato militarista” y las áreas asociadas al mismo creaban, inventaban, su propia demanda.

     

    Tampoco se precipitó el empobrecimiento de las clases bajas de los Estados Unidos; por el contrario, la redistribución keynesiana de ingresos se mantuvo hasta los años 1970, el nivel de vida de los trabajadores y las clases medias mejoró sustancialmente, funcionó la interacción positiva entre militarismo y prosperidad general. A eso contribuyeron varios factores, entre ellos la explotación de la periferia ampliada gracias a la emergencia de los Estados Unidos como superpotencia mundial apuntalada por su aparato militar, el restablecimiento de las potencias capitalistas afectadas por la guerra (Japón, Europa Occidental) que en la nueva era se encontraban estrechamente asociadas a los Estados Unidos y el enorme efecto multiplicador a nivel interno de los gastos militares sobre el consumo, el empleo y la innovación tecnológica. Algunos de estos factores, subestimados por Oakes, habían sido señalados a mediados de los años 1960 por Sweezy y Baran (10).

    Sin embargo la llegada de Ronald Reagan a la Casa Blanca (1980) marcó una ruptura en la tendencia (aunque ya desde los años 1970 habían aparecido los primeros síntomas de la enfermedad), y se inició un proceso de concentración de ingresos que fue avanzando cada vez más rápido en las décadas posteriores.

     

    Entre 1950 y 1980 el 1 % más rico de la población de los Estados Unidos absorbía cerca del 10 % del Ingreso Nacional (entre 1968 y 1978 se mantuvo por debajo de esa cifra) pero a partir de comienzos de los años 1980 esa participación fue ascendiendo, hacia 1990 llegaba al 15 % y cerca de 2009 se aproximaba al 25 %.

    Por su parte el 10 % más rico absorbía el 33 % del Ingreso Nacional en 1950, manteniéndose siempre por debajo del 35 % hasta fines de los años 1970, pero en 1990 ya llegaba al 40 % y en 2007 al 50 % (11).

     

    El salario horario promedio fue ascendiendo en términos reales desde los años 1940 hasta comienzos de los años 1970 en que comenzó a descender y un cuarto de siglo más tarde había bajado en casi un 20 % (12). A partir de la crisis de 2007-2008 con el rápido aumento de la desocupación se aceleró la concentración de ingresos y la caída salarial: algunos autores utilizan el término “implosión salarial” (13).

    Una buena expresión del deterioro social es el aumento de los estadounidenses que reciben bonos de ayuda alimentaria (“food stamps”), dicha población indigente llegaba a casi 3 millones en 1969 (en plena prosperidad keynesiana), subieron a 21millones en 1980, a 25 millones en 1995 y a 47 millones en 2012 (14).

     

    Mientras tanto los gastos militares no dejaron de crecer, impulsados por sucesivas olas belicistas incluidas en el primer gran ciclo de la guerra fría (1946-1991) y en el segundo ciclo de la “guerra contra el terrorismo” y las “guerras humanitarias” desde fines de los años 1990 hasta el presente (Guerra de Corea, Guerra de Vietnam, “Guerra de las Galaxias” de la era Reagan, Guerra de Kosovo, Guerras de Irak y Afganistán, etcétera).

    Luego de la Segunda Guerra Mundial podemos establecer dos períodos bien diferenciados en la relación entre gastos públicos y crecimiento económico (y del empleo) en los Estados Unidos. El primero abarca desde mediados de los años 1940 hasta fines de los años 1960 donde los gastos públicos crecen y las tasas de crecimiento económico se mantienen en un nivel elevado, son los años dorados del keynesianismo militar.

    El mismo es seguido por un período donde los gastos públicos siguen subiendo tendencialmente pero las tasas de crecimiento económico oscilan en torno de una línea descendente, marcando la decadencia y fin del keynesianismo: el efecto multiplicador positivo del gasto público declina inexorablemente hasta llegar al dilema sin solución, evidente en estos últimos años de crecimientos económicos anémicos donde una reducción del gasto estatal tendría fuertes efectos recesivos mientras que su incremento posible (cada vez menos posible) no mejora de manera significativa la situación.

    Así como el “éxito” histórico del capitalismo liberal en el siglo XIX produjo las condiciones de su crisis, su superador keynesiano también generó los factores de su posterior decadencia.

     

    La marcha exitosa del capitalismo liberal concluyó con una gigantesca crisis de sobreproducción y sobreacumulación de capitales que desató rivalidades interimperialistas, militarismo y estalló bajo la forma de Primera Guerra Mundial (1914-1918). La “solución” consistió en la expansión del Estado, en especial su estructura militar, Alemania y Japón fueron los pioneros.

     

    La transición turbulenta entre el viejo y el nuevo sistema duró cerca de tres décadas (1914-1945) y de ella emergieron los Estados Unidos como única superpotencia capitalista integrando estratégicamente a su esfera de dominación a las otras grandes economías del sistema. El keynesianismo militar norteamericano apareció entonces en el centro dominante de los Estados Unidos: el centro del mundo capitalista. Vance señalaba que “con el comienzo de la Segunda Guerra Mundial los Estados Unidos y el capitalismo mundial entraron en la nueva era de la Economía de la Guerra Permanente” (15). Fue así si lo entendemos como victoria definitiva del nuevo sistema precedida por una compleja etapa preparatoria iniciada en la segunda década del siglo XX.

     

    Su génesis está marcada por el nazismo, primer ensayo exitoso-catastrófico de “keynesianismo militar”: su trama ideológica, que lleva hasta el límite más extremo el delirio de la supremacía occidental, sigue aportando ideas a las formas imperialistas más radicales de Occidente, como los halcones de George W. Bush o los sionistas neonazis del siglo XXI. Por otra parte, estudios rigurosos del fenómeno nazi descubren no solo sus raíces europeas (fascismo italiano, nacionalismo francés, etcétera) sino también norteamericanas (16). Aunque luego de la guerra el triunfo de la economía militarizada en los Estados Unidos asumió un rostro “civil” y “democrático”, ocultando sus fundamentos bélicos.

     

    La decadencia del keynesianismo militar encuentra una primera explicación en su hipertrofia e integración con un espacio parasitario imperial más amplio donde la trama financiera ocupa un lugar decisivo. En una primera etapa el aparato industrial-militar y su entorno se expandieron convirtiendo al gasto estatal en empleos directos e indirectos, en transferencias tecnológicas dinamizadoras del sector privado, en garantía blindada de los negocios imperialistas externos, etcétera. Pero con el correr del tiempo, con el ascenso de la prosperidad imperial, incentivó y fue incentivado por una multiplicidad de formas sociales que parasitaban sobre el resto del mundo al mismo tiempo que tomaban cada vez mayor peso interno.

     

    Además el continuo crecimiento económico terminó provocando saturaciones de mercados locales, acumulaciones crecientes de capital, concentración empresaria y de ingresos. El capitalismo norteamericano y global se encaminaba hacia fines de los años 1960 hacia una gran crisis de sobreproducción que provocó las primeras perturbaciones importantes bajo la forma de crisis monetarias (crisis de la libra esterlina, fin del patrón dólar-oro en 1971), luego energéticas (shocks petroleros de 1973-74 y 1979) atravesadas por desajustes inflacionarios y recesivos (“estanflación”).

     

    En las décadas siguientes la crisis no fue superada sino amortiguada, postergada través de la superexplotación y el saqueo de la periferia, la financierización, los gastos militares, etcétera. Todo ello no reinstaló el dinamismo de la postguerra pero impidió el derrumbe, suavizó la enfermedad agravándola a largo plazo.

     

    La tasa de crecimiento real de la economía norteamericana fue recorriendo de manera irregular una línea descendente y en consecuencia sus gastos improductivos crecientes fueron cada vez menos respaldados por la recaudación tributaria. Y al déficit fiscal se le sumó el déficit del comercio exterior perpetuado por la pérdida de competitividad global de la industria.

     

    El Imperio se fue convirtiendo en un mega parásito mundial, acumuló deudas públicas y privadas ingresando en un círculo vicioso ya visto en otros imperios decadentes; el parasitismo degrada al parásito, lo hace más y más dependiente del resto del mundo, lo que exacerba su intervencionismo global, su agresividad militar.

     

    El mundo es demasiado grande desde el punto de vista de sus recursos concretos (financieros, militares, etcétera) pero el logro del objetivo históricamente imposible de dominación global es su única posibilidad de salvación como Imperio. Los gastos militares y el parasitismo en general aumentan, los déficits crecen, la economía se estanca, la estructura social interna se deteriora… lo que Paul Kennedy definía como “excesiva extensión imperial” (17) es un hecho objetivo determinado por las necesidades imperiales que opera como una trampa histórica de la que el Imperio no puede salir.

     

    Gastos militares

     

    Los gastos militares de los Estados Unidos aparecen subestimados en las estadísticas oficiales. En 2012 los gastos del Departamento de Defensa llegaron a unos 700 mil millones de dólares, si a los mismos se les adicionan los gastos militares que aparecen integrados (diluidos) en otras áreas del Presupuesto (Departamento de Estado, USAID, Departamento de Energía, CIA y otras agencias de seguridad, pagos de intereses, etcétera) se llegaría a una cifra cercana a los 1,3 billones (millones de millones) de dólares18. Esa cifra equivale a casi el 9 % del producto Bruto Interno, al 50 % de los ingresos fiscales previstos, al 100 % del déficit fiscal.

     

    Esos gastos militares reales representaron casi el 60 % de los gastos militares globales aunque si les sumamos los de sus socios de la OTAN y de algunos países vasallos extra-OTAN como Arabia Saudita, Israel o Australia se llegaría como mínimo al 75 %19.

    A partir del gran impulso inicial en la Segunda Guerra Mundial y el descenso en la inmediata post guerra los gastos militares reales norteamericanos oscilaron en torno de una tendencia ascendente atravesando cuatro grandes olas belicistas: la guerra de Corea a comienzos de los años 1950, la guerra de Vietnam desde los años 1960 hasta mediados de los años 1970, la “guerra de las galaxias” de la era Reagan en los años 1980 y las guerras “humanitarias” y “contra el terrorismo” de la post guerra fría.

     

    El keynesianismo militar del Imperio ha quedado en el pasado, pero la idea de que guerra externa y prosperidad interna van de la mano sigue dominando el imaginario de vastos sectores sociales en los Estados Unidos, son restos ideológicos sin base real en el presente pero útiles para la legitimación de las aventuras bélicas.

    Néstor Kirchner, ex presidente de Argentina, reveló en una entrevista con el director Oliver Stone para su documental “South of the Border”, que el ex presidente de los Estados Unidos George W. Bush estaba convencido de que la guerra era la manera de hacer crecer la economía de los Estados Unidos. El encuentro entre ambos presidentes se produjo en una cumbre en Monterrey, México, en enero de 2004, y la versión del presidente argentino es la siguiente: “Yo dije que la solución a los problemas en este momento, le dije a Bush, es un Plan Marshall. Y él se enojó. Dijo que el Plan Marshall es una idea loca de los demócratas y que la mejor forma de revitalizar la economía es la guerra. Y que los Estados Unidos se han fortalecido con la guerra” (20).

     

    Recientemente Peter Schiff, presidente de la consultora financiera “Euro Pacific Capital” escribió un texto delirante ampliamente difundido por las publicaciones especializadas cuyo título lo dice todo.” ¿Porque no otra Guerra mundial?” (21). Comenzaba su artículo señalando el consenso entre los economistas de que la Segunda Guerra Mundial permitió a los Estados Unidos superar la Gran Depresión y que si las guerras de Irak y Afganistán no consiguieron reactivar de manera durable a la economía norteamericana se debe a que “dichos conflictos son demasiado pequeños para ser económicamente importantes”.

     

    Si enfocamos el análisis en la relación entre gastos militares, PBI y empleo constataríamos lo siguiente: los gastos militares pasaron de 2800 millones de dólares en 1940 a 91 mil millones en 1944 lo que impulsó al Producto Bruto Interno nominal de 101 mil millones de dólares en 1940 a 214 mil millones en 1944 (se duplicó en solo cuatro años), la tasa de desocupación apenas bajó del 9 % en 1939 al 8 % en 1940 pero en 1944 había caído al 0,7 %, el primer salto importante en los gastos militares se produjo entre 1940 y 1941 cuando pasaron de 2800 millones de dólares a 12700 millones equivalentes al 10 % del PBI (22) proporción bastante parecida a la de 2012 (u$s 1,3 billones, aproximadamente 9 % del PBI). Esto significa que el gasto militar de 1944 equivalía a unas siete veces el de 1941. Si trasladamos ese salto a cifras actuales eso significa que el gasto militar real de los Estados Unidos debería llegar en 2015 a unos 9 billones (millones de millones) de dólares equivalentes por ejemplo a siete veces el déficit fiscal de 2012.

     

    La sucesión de saltos en el gasto público entre 2012 y 2015 acumularía una gigantesca masa de déficits que ni los ahorristas norteamericanos ni los del resto del mundo estarían en condiciones de cubrir comprando títulos de deuda de un imperio enloquecido.

    Schift recuerda en su texto que los ahorristas norteamericanos compraron durante la Segunda Guerra Mundial 186 mil millones de dólares en bonos de deuda pública equivalentes al 75 % de la totalidad de gastos del gobierno federal entre 1941 y 1945 concluyendo que esa “proeza” es hoy imposible. Simplemente, nos explica Schift llevando al extremo su razonamiento siniestro, no hay de donde obtener el dinero necesario para poner en marcha una estrategia militar-reactivadora similar a la de 1940-45.

     

    En realidad esa imposibilidad es mucho más fuerte. La economía de los Estados Unidos de 1940 estaba dominada por componentes productivas, principalmente industriales, actualmente el consumismo, toda clase de servicios parasitarios (empezando por la maraña financiera), la decadencia generalizada de la cultura de producción, etcétera, nos indican que ni aun aplicando una inyección de gastos públicos equivalente a la de 1940-45 se podría lograr una reactivación de esa envergadura. El parásito es demasiado grande, su senilidad está muy avanzada, no hay ninguna medicina keynesiana que lo pueda curar o que por lo menos sea capaz de restablecer una parte significativa de su vigor juvenil.

     

    Privatización, informalización y elitización. Lumpen-imperialismo.

     

    La guerra asiática, la más ambiciosa de la historia de los Estados Unidos, fracasó tanto desde el ángulo político-militar como del económico, la estrategia de dominación de la franja territorial que va desde los Balcanes hasta Pakistán pasando por Turquía, Siria, Irak, Iran y las ex repúblicas soviéticas de Asia central se encuentra hoy empantanada. Sin embargo, su desarrollo permitió transformar el dispositivo militar del Imperio convirtiendo su maquinaria de guerra tradicional en un sistema flexible a medio camino entre las estructuras formales regidas por la disciplina militar convencional y las informales agrupando una maraña confusa de núcleos operativos oficiales y bandas de mercenarios.

     

    El proceso de integración de mercenarios a las operaciones militares tiene antecedentes en los tramos finales de la guerra fría, la organización de los “contras” en Nicaragua y de los “muyahidines” en Afganistán pueden ser consideradas como los primeros pasos en los años 1970 y 1980 de las nuevas estrategias de intervención. Decenas de miles de mercenarios fueron en esos casos entrenados, armados y financiados con resultados exitosos para el Imperio.

     

    Según diversos estudios sobre el tema, los Estados Unidos y Arabia Saudita gastaron unos 40 mil millones de dólares en las operaciones afganas (donde comenzó su carrera internacional el por entonces joven ingeniero Osama Bin Laden) asestando un golpe decisivo a la URSS (23). Otro paso importante fueron las guerras étnicas en Yugoslavia durante los años 1990, donde los Estados Unidos y sus aliados de la OTAN, principalmente Alemania, desarrollaron una compleja tarea de desintegración de ese país cuyo éxito se apoyó en la utilización de mercenarios, el caso más notorio fue el de guerra de Kosovo donde se destacó el ELK (”Ejército de Liberación de Kosovo”) cuyos integrantes eran principalmente reclutados desde redes mafiosas (tráfico de drogas, etcétera) bajo el mando directo de la CIA extendiendo sus lazos hasta el ISI (servicio de inteligencia de Pakistán). Actualmente, el “estado” kosovar “independiente” aparece vinculado con la intervención de la OTAN en Siria, en Junio de 2012 el ministro de relaciones exteriores de Rusia exigía el cese de las operaciones de desestabilización de Siria realizadas desde Kosovo (24).

     

    Estas nuevas prácticas de intervención fueron acompañadas por un denso proceso de reflexión de los estrategas imperiales disparado por la derrota en Vietnam. La “Guerra de Baja Intensidad” fue uno de sus resultados y las teorizaciones en torno de la llamada “Guerra de Cuarta Generación (4GW)” consolidaron la nueva doctrina en cuyo paper fundacional (1989) redactado por William Lind y tres miembros de las fuerzas armadas de los Estados Unidos y publicado en el “Marine Corps Gazete” (25) son borradas las fronteras entre las áreas civil y militar: toda la sociedad enemiga en especial su identidad cultural pasa a ser el objetivo de la guerra.

     

    La nueva guerra es definida como descentralizada, poniendo el énfasis en la utilización de fuerzas militares “no estatales” (es decir paramilitares), empleando tácticas de desgaste propias de las guerrillas, etc. A ello se agrega el empleo intenso del sistema mediático tanto focalizado contra la sociedad enemiga como abarcando a la llamada “opinión pública global” (el pueblo enemigo es al mismo tiempo atacado psicológicamente y aislado del mundo) combinado con acciones de guerra de alto nivel tecnológico. En este último caso se trata de aprovechar la gigantesca brecha tecnológica existente entre el imperio y la periferia para golpearla sin peligro de respuesta, es lo que los especialistas denominan confrontación asimétrica “high-tech/no-tech”.

    Las estadísticas oficiales referidas a los mercenarios son por lo general confusas y parciales, de todos modos algunos datos provenientes de fuentes gubernamentales, civiles o militares, pueden ilustrarnos acerca de la magnitud del fenómeno. En primer lugar el rol del Departamento de Defensa, principal contratista de mercenarios, su presupuesto destinado a esos gastos se incrementó en cerca de un 100 % entre el 2000 y el 2005 empleando modalidades propias de las grandes empresas transnacionales como la tercerización y la relocalización de actividades, lo que ha producido un gigantesco universo en expansión de negocios privados consagrados a la guerra… financiados por el Estado y generadores de intrincados entramados de corrupciones y corruptelas (26).

     

    El llamado “Mando Central” militar de los Estados Unidos (US CENTCOM) dio a conocer recientemente algunos datos significativos: los mercenarios contratados reconocidos en el área de Medio Oriente-Asia Central llegarían a unos 137 mil trabajando directamente para el Pentágono, de ese total solo unos 40 mil serían ciudadanos norteamericanos. Aunque según datos del Departamento de Defensa sumando los datos de Afganistán e Irak estarían en el terreno unos 175 mil soldados regulares y 190 mil mercenarios: el 52 % del total (27).

     

    A estas cifras debemos agregar en primer lugar a los mercenarios contratados por otras áreas del gobierno norteamericano, como el Departamento de Estado y luego los contratos en zonas del mundo como África donde el AFRICOM (mando militar norteamericano en ese continente) ha incrementado exponencialmente sus actividades durante el último lustro y luego debemos incorporar a los mercenarios actuando bajo el mando estratégico norteamericano pero contratados por países vasallos como las petromonarquías del Golfo Pérsico visible en los casos de Libia y Siria.

     

    Deben ser también incluidos los mercenarios operando en otras regiones de Asia y en América Latina. Pero la cuenta no termina allí, ya que a ese universo es necesario agregar a las redes mafiosas y/o paramilitares agrupando en todos los continentes a un “personal disponible” que se autofinancia gracias a actividades ilegales (drogas, prostitución, etcétera) protegidas por diversas agencias de seguridad norteamericanas como la DEA o bien que integra “agencias de seguridad privada”, muy notorias por ejemplo en América Latina legalmente establecidas en los países periféricos y estrechamente vinculadas a agencias privadas norteamericanas y/a la DEA, la CIA u otras organismos de inteligencia del Imperio.

     

    Y la lista sigue… recientemente apareció publicada en el “Washington Post” una investigación referida a la “América ultra secreta” (Top Secret America) de las agencias de seguridad que informa acerca de la existencia actual de 3202 agencias de seguridad (1271 públicas y 1931 privadas) empleando a unas 854 mil personas trabajando en temas de “antiterrorismo”, seguridad interior e inteligencia en general, instaladas en unos 10 mil domicilios en el territorio de los Estados Unidos (28).

     

    Sumando las distintas cifras mencionadas y evaluando datos ocultos algunos expertos adelantan un total aproximado global (dentro y fuera del territorio de los Estados Unidos) próximo al millón de personas combatiendo en la periferia, haciendo espionaje, desarrollando manipulaciones mediáticas, activando “redes sociales”, etcétera. Comparemos por ejemplo ese dato con las aproximadamente 1 millón 400 mil personas que conforman el sistema militar público del Imperio.

     

    Por su parte las tropas regulares han sufrido un rápido proceso de informalización, de ruptura respecto de las normas militares convencionales, conformando comandos de intervención inscriptos en una dinámica abiertamente criminal. Es el caso del llamado Comando Conjunto de Operaciones Especialeso “JSOC” (Joint Special Operations Command). Comando conjunto secreto en línea de mandos directa con el Presidente y el Secretario de Defensa con autoridad para elaborar su lista de asesinatos, tiene su propia división de inteligencia, su flota de drones y aviones de reconocimiento, sus satélites e incluso sus grupos de ciber-gerreros capaces de atacar redes de internet.

     

    Dispone de numerosas unidades operativas. Creado en 1980 quedó sepultado por su estrepitoso fracaso en Irán cuando trató de rescatar al personal de la embajada norteamericana en Teherán, fue resucitado recientemente. En 2001 disponía de unos 1800 miembros, actualmente llegarían a 25 mil, en los últimos tiempos ha realizado operaciones letales en Irak, Pakistán, Afganistán, Siria, Libia y muy probablemente en México y Colombia, etcétera. Se trata de un agrupamiento de “escuadrones de la muerte” de alcance global, autorizado para realizar toda clase de operaciones ilegales, desde asesinatos individuales o masivos, hasta sabotajes, intervenciones propias de la guerra psicológica, etcétera. En Septiembre de 2003 Donald Runsfeld había dictado una resolución colocando al JSOC en el centro la estrategia “antiterrorista” global y desde entonces su importancia ha ido en ascenso pasando hoy a ser, bajo la presidencia del premio nobel de la paz Barak Obama, una suerte de ejercito clandestino de claro perfil criminal bajo la órdenes directas del Presidente (29).

     

    Las fuerzas de intervención de los Estados Unidos tienen ahora un sesgo claramente privado-clandestino, en plena “Guerra de Cuarta Generación” funcionan cada vez más al margen de los códigos militares y las convenciones internacionales. Un reciente artículo de Andrew Bacevich describe las etapas de esa mutación durante la década pasada que culminan actualmente en lo que el autor denomina “era Wickers” (actual subsecretario de inteligencia del Departamento de Defensa) focalizada en la eliminación física de “enemigos”, el uso dominante de mercenarios, de campañas mediáticas, redes sociales, todo ello destinado a desestructurar organizaciones y sociedades consideradas hostiles.

    A comienzos del año pasado la entonces Secretaria de Estado Hillary Clinton pronunció una frase que no requiere mayores explicaciones: “Los Estados Unidos se reservan el derecho de atacar en cualquier lugar del mundo a todo aquello que sea considerado como una amenaza directa para su seguridad nacional” (30).

     

    Si sumamos a esta orientación mercenaria-gangsteril del Imperio, otros aspectos como la

    financierización integral de su economía dominada por el cortoplacismo, su desintegración social interna con acumulación acelerada de marginales, con una población total que representa el 5 % de la mundial pero con una masa de presos equivalentes al 25 % del total de personas encarceladas en el planeta, etcétera, llegaríamos a la conclusión de que estamos en presencia de una suerte de lumpen imperialismo completamente dominado por intereses parasitarios embarcado en una lógica destructiva de su entorno que al mismo tiempo va degradando sus bases de sustentación interna (31).

     

    La ilusión del metacontrol del caos.

     

    Podríamos establecer la convergencia entre la hipótesis de la “economía de guerra permanente” y la del “keynesianismo militar”, este último expresó la primera etapa del fenómeno (aproximadamente entre 1940 y 1970). Fueron los años de la prosperidad imperial cuyos últimos logros ya mezclados con claros síntomas de crisis se prologaron hasta el final de la guerra fría. A esa etapa floreciente le sigue una segunda post keynesiana caracterizada por la dominación financiera, la concentración de ingresos, el desinfle salarial, la marginalización social y la degradación cultural en general donde el aparato militar opera como un acelerador de la decadencia provocando déficits fiscales, y

    endeudamientos públicos.

     

    La opción por la privatización de la guerra aparece como una respuesta “eficaz” a la declinación del espíritu de combate de la población (dificultades crecientes en el reclutamiento forzado de ciudadanos a partir de la derrota de Vietnam). Sin embargo el remplazo del ciudadano-soldado por el soldado-mercenario o la presencia decisiva de este último termina tarde o temprano por provocar serios daños en el funcionamiento de las estructuras militares: no es lo mismo administrar a ciudadanos normales que a una masa de delincuentes.

     

    Cuando el lumpen, los bandidos predominan en un ejército, el mismo se convierte en un ejército de bandidos y un ejército de bandidos ya no es un ejército. El potencial disociador de los mercenarios es a largo plazo de casi imposible control y su falencias en el combate no pueden ser compensadas sino muy parcialmente por despliegues tecnológicos sumamente costosos y de resultado incierto.

     

    La conformación de fuerzas clandestinas no-mercenarias de elite, respaldadas por un aparato tecnológico sofisticado capaz de descargar golpes puntuales demoledores contra el enemigo, como es el caso del JSOC, son buenos instrumentos terroristas pero no remplazan las funciones de un ejército de ocupación y a mediano plazo (muchas veces a corto plazo) terminan por fortalecer el espíritu de resistencia del enemigo.

     

    Podríamos sintetizar de manera caricatural a la nueva estrategia militar del Imperio a partir del predominio de diversas formas de “guerra informal” combinando mercenarios (muchos mercenarios) con escuadrones de la muerte (tipo JSOC), bombardeos masivos, drones, control mediático global, asesinatos tecnológicamente sofisticados de dirigentes periféricos. La guerra se elitiza, se transforma en un conjunto de operaciones mafiosas, se aleja físicamente de la población norteamericana y su cúpula dominante empieza a percibirla como un juego virtual dirigido por gangsters.

     

    Por otra parte la adopción de estructuras mercenarias y clandestinas de intervención externa como forma dominante tiene efectos contraproducentes para el sistema institucional del imperio tanto desde el punto de vista del control administrativo de las operaciones como de las modificaciones (y de la degradación) en las relaciones internas de poder. El comportamiento gangsteril, la mentalidad mafiosa termina por apoderarse de los altos mandos civiles y militares y se traduce al comienzo en acciones externas, periféricas y más adelante (rápidamente) en ajustes de cuentas, en conductas habituales al interior del sistema de poder.

     

    El horizonte objetivo (más allá de los discursos y convicciones oficiales) de la “nueva estrategia” no es el establecimiento de sólidos regímenes vasallos, ni la instalación de ocupaciones militares duraderas controlando territorios de manera directa sino más bien desestabilizar, quebrar estructuras sociales, identidades culturales, degradar o eliminar dirigentes, las experiencias de Irak y Afganistán (y México) y más recientemente las de Libia y Siria confirman esta hipótesis.

     

    Se trata de la estrategia del caos periférico, de la transformación de naciones y regiones más amplias en áreas desintegradas, balcanizadas, con estados-fantasmas, clases sociales (altas, medias y bajas) profundamente degradadas sin capacidad de defensa, de resistencia ante los poderes políticos y económicos de Occidente que podrían así depredar impunemente sus recursos naturales, mercados y recursos humanos (residuales).

     

    Este imperialismo tanático del siglo XXI, se corresponde con tendencias desintegradoras en las sociedades capitalistas dominantes, en primer lugar la de los Estados Unidos. Esas economías han perdido su potencial de crecimiento, hacia finales de 2012 luego de un lustro de crisis financiera oscilaban entre el crecimiento anémico (Estados Unidos), el estancamiento girando hacia la recesión (la Unión Europea) y la contracción productiva (Japón).

    Los estados, las empresas y los consumidores están aplastados por las deudas, la suma de deudas públicas y privadas representan más del 500 % del Producto Bruto Interno en Japón e Inglaterra y más del 300 % en Alemania, Francia y los Estados Unidos donde el gobierno federal estuvo en 2011 al borde del default. Y por encima de deudas y sistemas productivos financierizados existe una masa financiera global equivalente a unas veinte veces el Producto Bruto Mundial, motor dinamizador, droga indispensable del sistema que ha dejado de crecer desde hace aproximadamente un lustro y cuyo desinfle tratan de impedir los gobiernos de las potencias centrales.

     

    Se presenta entonces la ilusión de una suerte de metacontrol estratégico desde las grandes alturas, desde las cumbres de Occidente sobre las tierras bajas, periféricas, donde pululan miles de millones de seres humanos cuyas identidades culturales e instituciones son vistas como obstáculos a la depredación. Las elites de Occidente, el imperio colectivo hegemonizado por los Estados Unidos, están cada día más convencidas de que dicha depredación prolongará su vejez, alejará el fantasma de la muerte.

     

    El caos periférico aparece a la vez como el resultado concreto de sus intervenciones militares y financieras (producto de la reproducción decadente de sus sociedades) y como la base de feroces depredaciones. El gigante imperial busca beneficiarse del caos pero termina por introducir el caos entre sus propias filas, la destrucción deseada de la periferia no es otra cosa que la autodestrucción del capitalismo como sistema global, su pérdida veloz de racionalidad. La fantasía acerca del metacontrol imperialista del caos periférico.

     


    expresa una profunda crisis de percepción, la creencia de que los deseos del poderoso se convierten fácilmente en hechos reales, lo virtual y lo real se confunden conformando un enorme pantano psicológico.

     

    En realidad la “estrategia” de metacontrol imperial del caos, sus formas operativas concretas la convierten en una maraña de tácticas que tienden a conformar una masa crecientemente incoherente, prisionera del corto plazo. Lo que pretende convertirse en la nueva doctrina militar, en un pensamiento estratégico innovador que responde a la realidad global actual facilitando la dominación imperialista del mundo no es otra cosa que una ilusión desesperada generada por la dinámica de la decadencia. Bajo la apariencia de ofensiva estratégica, irrumpen los manotazos históricamente defensivos de un sistema cuya cúpula imperial va perdiendo la capacidad de aprehensión de la totalidad real, la razón de estado se va convirtiendo en un delirio criminal extremadamente peligroso dado el gigantismo tecnológico de los Estado Unidos y sus socios europeos.


    (*), Conferencia dictada en el Seminario “Nuestra América y Estados Unidos: desafíos del Siglo XXI”. Facultad de Ciencias Económicas de la Universidad Central del Ecuador, Quito, 30 y 31 de Enero de 2013.

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    (1), Ron Suskind, “Without a doubt: faith, certainty and the presidency of George W. Bush”, The New York Times, 17-10-04.

    (2), Su exposición desarrollada en la Marshall Society (Cambridge) en la primavera de 1942 fue publicada el año siguiente. Michal Kalecki, “Political Aspects of Full Unemployment”, Political Quaterly, V 14, oct.-dec. 1943.

    (3), Michal Kalecki, The Last Phase in the transformation of Capitalism, Monthly Review Press, Nueva York, 1972.

    (4), Paul Sweezy & Paul Baran, Monopoly Capital, Monthly Review Press, Nueva York, 1966.

    (5), Scoot B. MacDonald, “Globalization and the End of the Guns and Butter Economy”, KWR Special Report, 2007.

    (6), Oakes, Walter J., “Towards a Permanent War Economy?”, Politics, February 1944.

    (7), Ambas citas aparecen en el texto de John Bellamy Foster, Hannah Holleman y Robert W. McChesney, “The U.S. Imperial Triangle and Military Spending”, Monthly Review, October 2008.

    (8), Vance, T. N. 1950, “After Korea What? An Economic Interpretation of U.S. Perspectives”, New International, November–December; Vance, T. N. 1951, “The Permanent Arms Economy”, New International.

    (9), Oakes, Walter J, artículo citado.

    (10), Paul Sweezy & Paul Baran, libro citado.

    (11), Thomas Piketty & Emmanuel Saez, “Top Incomes and the Great Recession: Recent Evolutions and Policy Implications”, 13th Jacques Polak Annual Research Conference, Washington, DC─November 8–9, 2012.

    (12), Fuente: U.S. Bureau of Labor Statistics.

    (13), Lawrence Mishel and Heidi, “The Wage Implosion”, Economic Policy Institute, June 3, 2009.

    (14), FRAC, Food Research and Action Center- SNAP/SNAP/Food Stamp Participation ().

    (15), Vance T. N, “The Permanent War Economy”, New International, Vol 17, Nº 1, January-February 1951.

    (16), Doménico Losurdo, “Las raices norteamericanas del nazismo”, Enfoques Alternativos, nº 27, Octubre de 2006, Buenos Aires.

    (17), Paul Kennedy, “Auge y caída de las grandes potencias”, Plaza & James, Barcelona, 1989.

    (18), Chris Hellman, “$ 1,2 Trillon: The Real U.S. National Security Budget No One Wants You to Know About”, Alert Net, March 1, 2011.

    (19), Fuentes: SIPRI, Banco Mundial y cálculos propios.

    (20), El video de la entrevista Kirchner-Stone publicado por Informed Comment/Juan Cole está localizado en: -angrily-said-war-would-grow-us-economy.html&ei=BYYCUYCnC4P88QSX3oGACA

    (21), Peter D. Schiff, “Why Not Another World War ?”, Financial Sense, 19 Jul 2010.

    (22), Vance T. N, 1950, artículo citado en (14).

    (23), Dilip Hiro, “The Cost of an Afghan 'Victory'”, The Nation, 1999 February 15.

    (24), “Una delegación de la oposición siria viajó a Kosovo, en abril de 2012, para la firma oficial de un acuerdo de intercambio de experiencias en materia de guerrilla antigubernamental”. Red Voltaire, “Protesta Rusia contra entrenamiento de provocadores sirios en Kosovo”, 6 de Junio de 2012.

    (25), William S. Lind, Colonel Keith Nightengale (USA), Captain John F. Schmitt (USMC), Colonel Joseph W.

    Sutton (USA), and Lieutenant Colonel Gary I. Wilson (USMCR), “The Changing Face of War: Into the Fourth Generation”, Marine Corps Gazette, October 1989.

    (26), David Isenberg, “Contractors and the US Military Empire”, Rise of the Right, Aug 14th, 2012.

    (27), David Isenberg, “Contractors in War Zones: Not Exactly “Contracting”, TIME U. S., Oct. 09, 2012.

    (28), Dana Priest and William M. Arkin, “Top Secret America. A hidden world, growing beyond control”, Washington

    Post, July 19, 2010.

    (29), Dana Priest and William M. Arkin, “Top Secret America, A look at the military's Joint Special Operations

    Command”, The Washington Post, September 2, 2011.

    (30), Andrew Bacevich, “Uncle Sam, Global Gangster”, TomDispatch.com, February 19, 2012.

    (31), Narciso. Isa Conde, “Estados neoliberales y delincuentes”, Aporrea, 20/01/2008, http://www.aporrea.org/tiburon/a49620.html.

    Karen DeYoung and Karin Brulliard, “As U.S.-Pakistani relations sink, nations try to figure out ‘a new normal’”, The Washington Post /National Security, January 16, 2012.

     

     

     

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    17 mars 2013 7 17 /03 /mars /2013 18:59

     

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    Cet article provient d'une conférence faite au Centre culturel syrien et tentant de replacer la crise syrienne dans son contexte géopolitique international, la crise syrienne ayant cessé, si jamais elle l'avait jamais été, d'être le résultat de facteurs strictement d'origine locale pour devenir un enjeu dans les tentatives de « rééquilibrages » des rapports internationaux entre puissances « traditionnelles » et puissances « émergentes ».


    La Rédaction

     

     

     


     

    La crise syrienne.


    L'émergence de nouveaux rapports de force internationaux

    et

    l'arrêt mis aux tentatives de désagrégation des

    États-nations

    -

    Mars 2013


     


     

    Conférence : « Le chemin vers le dialogue en Syrie : la résistance et les rapports de force internationaux », Union nationale des étudiants syriens, Union des patriotes syriens; Centre culturel arabe syrien de Paris, 02 mars 2013

     

     

    Depuis l'antiquité mais plus encore avec le développement des communications modernes, la Syrie constitue la « porte du Levant » qui ouvre la voie vers l'intérieur de la masse continentale de l'Eurasie. Elle constitue le coeur du monde arabe et du cercle culturel arabo-musulman. Située hier aux limites de l'Etat des croisés, aujourd'hui située aux limites de l'entité « juive » rêvée par Oliver Cromwell au nom d'une lecture littéraliste de la Bible. Monde arabo-musulman qui se situe lui-même à la jonction entre un « centre occidental », aujourd'hui en crise profonde, et les masses marginalisées et appauvries du tiers-monde parmi lesquelles émergent, en Asie/Eurasie en particulier, de nouvelles puissances.

     

    Dans ce contexte international, la crise syrienne occupe aujourd'hui une place prépondérante. Comme à d'autres moments de l'histoire récente des rivalités entre pôles de puissance, d'autres pays ont pu occuper cette place de « ligne de front », la Corée après 1948, la Vietnam après 1956, la Palestine dans les années 1970. La crise syrienne constitue donc pour le moment le baromètre des contradictions internationales. On peut constater que les événements qui se sont déroulés au cours des deux dernières années ayant démontré que les Etats-Unis et leurs affidés de l'OTAN ne pouvaient parvenir à faire s'écrouler l'Etat syrien et son régime, des négociations ont été récemment engagées. A la fois entre les puissances déclinantes euro-atlantiques et les puissances montantes d'Eurasie, comme entre le gouvernement de Damas et des fragments consistant de l'opposition. Il faut poser la question de savoir où ces négociations peuvent mener. Peuvent-elles mener à un compromis acceptable pour toutes les parties en présence, syriennes et non syriennes ? Ne constituent-elles qu'un jeu dans la poursuite de la stratégie des puissances de l'OTAN et de Tel Aviv visant à fragmenter sans le claironner la Syrie et les autres Etats du « Grand Moyen-Orient » ? Ne sont-elles pas une étape dans une « stratégie du chaos » qui, sans apporter d'accalmie en Syrie, permettrait de maintenir le conflit sous perfusion et d'empêcher ainsi que ce pays ne se reconstitue comme base arrière durable face à la terre de Palestine, dans le contexte d'une lutte planétaire des peuples s'opposant aux politiques de domination, d'injustice, d'inégalité et d'exploitation ?

     

    Car, et indépendamment des désirs ou des humeurs des dirigeants politiques placés aujourd'hui en position de pouvoir dans les puissances occidentales, la question du rapport de force entre puissances déclinantes et émergentes, et donc des retournements d'alliance envisageables pour certaines d'entre elles au moins, la France ou l'Allemagne en particulier, c'est évidemment le constat qu'une sortie de crise aboutit toujours à une modification des rapports de force qui dicte les comportements ultimes des uns ou des autres. Car il est clair qu'un Etat, qu'un pays, qu'un peuple qui sort victorieux d'une confrontation militaire est toujours à terme, et malgré les destructions subies, toujours plus fort qu'il ne l'était avant le début du conflit. Il en sera donc ainsi de la Syrie, si elle sort du conflit pacifiée et unie. Il en sera également ainsi des puissances qui l'ont soutenue. Il faut donc poser la question de savoir si les USA et leurs protégés directs peuvent se permettre de conclure un compromis qui renforcerait les dynamiques de rapprochement et de coopération interméditerranéennes, au sein de la vaste Eurasie/Afrique qui se constitue aujourd'hui en marché et en espace de communication et d'échange privilégié face à une Amérique du Nord risquant d'être graduellement rejetée vers la « périphérie » ?


     

    La fin du projet de « Grand Moyen-Orient » ?1

     

    Dans le cas syrien, on ne peut que constater le fait que, quoiqu'on pense du régime au pouvoir à Damas, ce régime a tenu le choc puissant auquel il a été confronté depuis deux ans, l'armée syrienne, composée de conscrits et non de soldats payés comme de simples mercenaires, ne s'est pas débandée comme les armées confrontées à une situation révolutionnaire. Ce qui implique d'accepter la conclusion logique de ce fait qui est que l'Etat syrien réellement existant jouit d'une assise consistante, et donc d'une base populaire indéniable. Les faits sont têtus en effet.

     

    La question est donc de savoir si les plans du remodelage du « Grand Moyen-Orient » qui avaient vu le jour à l'époque de l'administration Bush, plans envisagés à l'époque de la conjonction entre néo-conservateurs, chrétiens sionistes et sionistes tout court, à l'époque donc du « hard power » le plus strict ont été définitivement remisés aux magasins des accessoires avec la situation actuelle où le « soft power » occupe à Washington le devant d'une scène qui reste néanmoins marquée par la synthèse plus globale conçue comme le « smart power »2? Combinaison plus subtile que sous Bush mais poursuivant en fait les mêmes objectifs à long terme, directement liés aux intérêts de l'économie de marché mondialisée et sans frontières. Buts qui rappellent en plus consistant les traditionnelles politiques des empires qui ont morcellé en leur faveur les régions dominées, des accords Sykes-Picot pour le Levant à la fragmentation de l'empire chinois soumis aux guerres de l'opium et aux seigneurs de la guerre jusqu'à la renaissance nationale de 1949. Partout en effet, les puissances coloniales modernes et en principe progressistes ont préféré jouer dans leurs dépendances sur les tribalismes, les traditionalismes, les archaïsmes avec quelques hochets modernistes plutôt que d'y apporter un vrai progrès économique, technique et idéologique. On peut donc doûter que Washington et Tel Aviv aujourd'hui aient vraiment intérêt à un retour de la paix dans les rares pays vraiment indépendants du Moyen-Orient. A moins que les rapports de force internationaux ne les y obligent, et qu'ils hésitent devant la coûteuse fuite en avant dans une guerre qui ne pourrait être que mondiale, ou qu'ils préfèrent s'engager dans d'autres théâtres d'opération plus immédiatement importants ou moins hasardeux pour leurs intérêts, voire pour leur survie3.


     

    Crise mondiale et crise de légitimité

     

    La crise syrienne, comme toute crise, contient des facteurs internes et des facteurs externes qu'il faut aussi savoir analyser. Il était illusoire de penser que la pression du mondialisme capitaliste n'ai pas pu avoir de conséquences sur la population syrienne, comme sur tous les peuples du monde. Dans ce contexte, la pression de l'économie mondialisée au profit d'intérêts de plus en plus restreints exerce une pression sur toutes les sociétés qui ne sont jamais en état de se protéger entièrement. Ce qui entraîne, à des degrés divers liés à la taille des pays et à leur puissance de cohésion, polarisations, émiettements, fragmentations des Etats, des nations, des classes, des idéologies, des religions. Face à cette pression constante depuis une trentaine d'années, soit depuis le retour d'un processus de mondialisation entré en crise en 1914, l'ordre-désordre dominant aujourd'hui amène individualismes, société de la convoitise, consumérisme infantilisant, identités refuges, cultes de rituels opposés les uns aux autres mais tous vidés de leur force interne originale. Cela concerne aussi bien les religions que les idéologies laïques qui se sont toutes retrouvées logées à la même enseigne, celle du marché, nouvelle idole suprême des temps post-modernes. Pour contrôler ce désordre, l'OTAN avec son aile israélienne, a voulu devenir le gendarme du monde, alors même que, avec l'auto-dissolution pacifique du Pacte de Varsovie puis de l'URSS, sa légitimité était devenue nulle.

     

    L'économie mondiale actuelle, au sein de laquelle a essayé de se mouvoir de façon originale la Syrie depuis 1991, est marquée par l'affaiblissement des protections nationales, la généralisation des flux financiers et criminels incontrôlés, les paradis fiscaux, la désindustrialisation, la précarisation, la polarisation sociale et la lumpenisation des masses, en particulier des jeunes, éduqués ou non. En général mal éduqués et donc incapables de comprendre la logique de fonctionnement du monde actuel. Fragmentations sociales et économiques qui vont de pair avec l'hyperconcentration de la propriété des médias et des moyens de production et d'échanges désormais aux mains de quelques-uns. Ce qui ne les empêche pas de vouloir rester dans l'ombre la plupart du temps dans un « monde de la communication » où des médias uniformes dominent 90% des flux d'information4...et donc de propagande. Propriétaires mal connus qui démultiplient leurs oppositions à toute idéologie collectivement mobilisatrice, à toute religion collectivement mobilisatrice, à tout Etat-nation collectivement mobilisateur, dont la Syrie. Au profit des idéologies ou religions stérilisantes de la différenciation et de la fragmentation.

     

    Les deux dernières décennies ont prouvé que la puissance euro-atlantique s'appuyant sur ses piliers sécuritaires et économiques que sont les USA, l'OTAN, l'Union européenne et l'entité israélienne s'est bien sûr attaquée en priorité aux idéologies anti-impérialistes, communisme, socialisme/nationalisme arabe ou islam mobilisateur (anti-usuraire) comme on peut le voir dans le cas de l'Iran, du Hezbollah et du Djihad islamique palestinien, ou du Hamas avant le rachat de plusieurs de ses chefs par le Qatar. Mais au delà, il s'est aussi attaqué à tout Etat voulant maintenir une politique un tant soit peu indépendante, et une économie orientée vers le développement de sa propre société, même lorsque celui-ci avait renoncé à son idéologie mobilisatrice. C'est pour cela que des Etats aussi différents que l'Union des républiques socialistes soviétique d'hier ou la Russie capitaliste d'aujourd'hui, Cuba ou l'Algérie, le Venezuela ou la Chine, la Corée (Nord) ou la Biélorussie, l'Afghanistan des talibans ou la Libye de Kadhafi, l'Irak de Saddam Hussein ou l'Iran, et bien sûr la Syrie « baathiste » se sont retrouvés sur la liste des cibles impériales. Une tendance comparable est d'ailleurs imposée également dans les régions du monde qui se sont soumises aux règles dominantes, ce qu'on peut en particulier observer avec la mise en place graduelle d'une Europe fédérale des régions5par exemple, dont l'objectif est de casser les solidarités nationales et citoyennes. Partout dans le monde, nous avons pu constater que la tendance à soutenir les séparatismes ethniques ou ethnico-religieux est omniprésente à l'heure du mondialisme : soutien constant aux séparatismes taïwanais, baloutche6, kurde(s), Tigres tamouls à Sri Lanka7, aux intégrismes, « bouddhistes » à Sri Lanka8, au Tibet ou en Birmanie, « hindou »9à Sri Lanka ou en Inde, aux séparatismes ethnico-religieux dans la Caucase10, sans oublier les alliances bien connues entre les pétromonarchies, les takfiro-islamistes, les sionistes juifs et les néo-évangélistes chrétiens « born again »11. Autant d'exemples qui s'appuient sur la tendance mondialiste au délitement des nations politiquement constituées sur la base d'une communauté de citoyens égaux devant la loi, tant à leurs yeux et qu'à celui de leur Etat, et quelque soit son régime politique.

     

    La Syrie a donc subi les pressions « internationales », comme les autres, et même plus fortement en raison de sa taille réduite, de ses frontières artificiellement dessinées par les accords Sykes-Picot et mal défendables, et d'un manque de ressources naturelles (récemment, on a en revanche découvert beaucoup de gaz en Syrie ce qui excite les convoitises12!). Pressions extérieures qui ont amené à une certaine libéralisation de son économie au cours des deux dernières décennies et qui a pu produire des clivages entre couches sociales et entre régions favorisées et moins favorisées, situation qui a facilité la crise actuelle13. Mais qui n'a pas empêché les dirigeants syriens d'atteindre à la veille de la crise présente, quatre objectifs clefs : l'auto-suffisance alimentaire, l'auto-suffisance en matière de production de médicaments, la création d'une industrie cinématographique nationale de qualité à destination des spectateurs arabes et le non endettement envers les Banques usuraires mondiales. A l'heure où tant d'Etats « islamiques » dénoncent les manquements apparents aux « règles » d'un islam à géométrie variable dont ils estiment avoir le monopole de l'interprétation, il est nécessaire de rappeler que, pour un musulman (comme il en était à l'origine pour tout chrétien et tout juif), le plus grand des péchés après l'adoration des idoles est celui de pratiquer ou de se soumettre à l'usure. La politique de Damas dans ce domaine est donc bien plus « islamique » si l'on s'en tient à l'esprit des textes que l'imposition littéraliste et purement formelle de textes sélectionnés pour être capitalisto-compatibles par des royautés affairistes en perte de repères. L'islamisme takfiro-salafiste échevelé a autant de lien avec l'islam que la corde avec le pendu ou les inquisiteurs avec Jésus-Christ.

     

    Il faut aussi rappeler que si le gouvernement syrien semble avoir parfois suivi une ligne changeante et parsemée de contradictions dans sa politique économique, ce qui est la conséquence de la crise du « socialisme arabe » et plus largement du socialisme à une époque marquée par le retour de « l'idéologie du petit propriétaire » qui camoufle en fait la concentration de la propriété aux mains d'une élite mondialisée, ce sont quand même plutôt des fonctionnaires syriens ayant fait carrière au PNUD plutôt qu'au FMI qui ont élaboré les politiques économiques du pays14. Bref, sans nier les tensions sociales et économiques qui se manifestent en Syrie, on constate que la politique suivie à Damas depuis la crise du « socialisme réel » ne pouvait convenir ni aux puissances financières occidentales, ni aux monarchies affairistes de la péninsule arabique ni aux bourgeois parvenus de Turquie. Pays tous traversés par des phénomènes de polarisation sociale qui ont produit une masse de jeunes lumpenisés,sans avenir, frustrés et facilement manipulables par une idéologie simpliste, réductrice et littéraliste. Le véritable problème de la Syrie aujourd'hui est donc désormais celui-ci : Après avoir stoppé les vagues d'attaques visant les grands centres syriens, vers où vont se diriger les regards et l'argent des pétromonarchies et des puissances occidentales qui ont intérêt à diriger vers l'extérieur la haine accumulée de leurs jeunes désoeuvrés et de ceux dont ils se sont servis à travers l'ensemble du monde musulman, depuis la guerre d'Afghanistan jusqu'en Libye et au Mali ? Vers la Syrie ? Vers d'autres cieux ? Ou vers un lent et difficile programme de reclassement de ces jeunes dans une économie de paix et de développement ?

     

    Car la masse des jeunes du monde arabe ou d'ailleurs est soumise, en particulier par le biais des chaines de télévisions du Golfe et la multiplication de sites takfiro-islamistes, à la propagande d'un « islam politique de marché », d'un « islam de gadgets néohollywoodiens », à un télécoranisme à la mode du télévangélisme anglo-saxon et à ses « fatwas internet » n'exigeant ni savoir, ni réflexion, ni recul, ni effort (ijtihad) mais fournissant « en un seul kit et en un seul clic » un « produit théologique immédiatement consommable », néolibéralisme oblige. C'est d'ailleurs un même phénomène qu'ont pu constater chez eux les services de sécurité de la Russie et de la Chine, pays menacés par des groupes terroristes « islamistes » ou autres dont on découvre les liens avec les puissances occidentales et le Mossad15.


     

    Géopolitique des tensions internationales

     

    C'est dans ce contexte que les grandes puissances émergentes, en particulier la Russie et la Chine, ayant analysé le processus et les conséquences du démantèlement de l'Etat libyen, ont décidé de dire « stop ! » aux manoeuvres extérieures visant à verser le l'huile sur le feu de la contestation syrienne. Contestation qui a bien sûr des racines locales, mais qui n'aurait jamais débouché sur le drame actuel sans une ingérence militaire, secrète, financière, venue de monarchies « arabo-islamiques » connues pour leurs liens avec Washington, et même Tel Aviv. Ce contexte a coïncidé avec la décision non seulement du gouvernement syrien qui, seul, n'aurait pu rien faire, mais avec celle d'une partie importante de la société syrienne, et en particulier des conscrits de l'armée et des comités populaires locaux, de dire « stop ! » aux tentatives de déstabilisation du seul Etat arabe de la « ligne de front » qui a activement soutenu sans interruption la résistance libanaise et palestinienne dans ses diverses tendances et factions.

     

    Les médias occidentaux « mainstream »16, massivement acquis par les intérêts qui soutiennent les politiques d'ingérences otaniennes, ont finalement dû admettre que les « minorités » en Syrie ne se sont pas associées à la rébellion. Ils ont admis tardivement qu'une « bourgeoisie » syrienne d'origine musulmane sunnite n'avait pas rompu avec le régime. Ils oublient en revanche en général de constater que les ouvriers des usines ne peuvent pas plus soutenir de leur côté les « combattants » qui viennent piller et incendier leurs usines pour revendre les machines et les pièces sur le marché turc17! Faits dont la connaissance permet de remplir ce « trou noir » de l'information que la presse dominante refuse de voir : pourquoi, soumis à une telle pression militaire et économique, luttant sur quasiment toutes ses frontières, la « régime de Bachar el Assad » tient envers et contre tout depuis deux ans ? Il est clair que n'importe quel régime soumis à de telles pressions et sans partenaire solide à aucune de ses frontières, ne peut tenir sans l'appui d'une grande partie de son peuple. Cela ne veut pas dire que les forces d'opposition n'ont pas de base sociale en Syrie et que les dirigeants au pouvoir soulèvent un appui enthousiaste et unanime, chose qui n'existe nulle part sur la planète. Cela ne signifie pas non plus que les autorités syriennes n'ont pas commis des erreurs et des répressions inconsidérées dans le passé et au début des manifestations les visant. Mais cela prouve que, dans une situation de confrontation entre un camp gouvernemental ayant le contrôle de l'Etat, et des groupes armés de rébellion soutenus, armés et formés en partie au moins à l'étranger, une partie décisive de la société syrienne a décidé de soutenir l'Etat.

     

    Cela, dans une situation internationale où plusieurs autres Etats puissants ont eux-aussi décidé de soutenir la Syrie : la Russie, l'Iran et la Chine. La Syrie n'est pas seule car elle est l'objet de menaces qui visent d'autres Etats non alignés dans le monde. Il est clair que cette coalition d'intérêts qui s'est formée autour de Damas a réussi à stopper les tentatives de déstabilisation des puissances prônant un mondialisme incontrôlé, et que l'équilibre ou le déséquilibre du monde se joue en ce moment, pour une bonne part, en Syrie et autour de la Syrie. Il faut aussi commencer à poser la question, au cas où les rapports de force internationaux obligeront à tenir des négociations sérieuses, de ce qui va se passer avec la masse de jeunes « combattants » venus de la péninsule arabique, de Turquie, des pays arabes ou musulmans en crise ou en déshérence comme la Libye, la Tunisie, l'Egypte, les pays du Sahel, la Somalie, etc. Seront-ils abandonnés à leur propre sort auquel cas ils chercheront à se recycler dans des conflits sans fin, ici ou là ? Rome avait déjà connu une telle situation avec « ses » barbares à la fin de l'empire d'Occident. Reviendront-ils vers leurs pays d'origine où ils constitueront une masse frustrée et prête à tout pour déstabiliser ceux qui les ont laissé tomber, ce qui concerne en particulier la Turquie, l'Arabie saoudite, le Yémen, l'Irak ? Karl Marx, à l'occasion des violences commises aux Indes contre les colons anglais et les convertis au christianisme par les Cipayes, des insurgés hindous et musulmans faisant front commun contre le colonisateur, avait formulé la thèse de « la loi de la rétribution historique » selon laquelle c'est l'offenseur qui élabore les comportements qui sont ensuite simplement repris par l'offensé contre son oppresseur. Si cette loi se confirme en Syrie, on peut penser que c'est vers les pays qui ont envoyé en Syrie leurs « affidés » que vont désormais se retourner les violences auxquelles nous assistons. Retour du balancier qui ne peut que faire peur aux « offenseurs ». On peut donc poser la question : est-il encore temps pour revenir vers une politique rationnelle de paix et d'équilibre vers laquelle tendent tous les peuples du monde, à commencer par les Syriens qui ont été les premières victimes de l'instrumentalisation de leurs problèmes internes ? La Syrie et les autres Etats non alignés sur le bloc USA/OTAN/UE/Israël en crise existentielle et économique ont-ils l'énergie pour élaborer un ou des projets de société porteur de progrès social et économique, échappant aux règles d'un capitalisme échevelé et désormais mortifère ?

     

    Il est clair en tout cas que le simple fait que Damas ai tenu depuis deux ans déjà constitue un arrêt décisif à une évolution qui semblait, dans la foulée desdits « printemps arabes » qui faisaient eux mêmes suites aux « révocolors » dans les pays de l'ex-bloc soviétique, devoir emporter tous les Etats refusant de souscrire non plus au « nouvel ordre économique mondial » prôné par les Etats non alignés dans les années 1970, mais à un « nouvel ordre mondial » formulé par Bush père et qui ne comportait plus aucune perspective de développement, mais seulement un ordre sans perspectives.

     

    Le rapport de force étant désormais connu, en Syrie comme au niveau mondial, les négociations peuvent commencer puisqu'aucun protagoniste n'est capable d'imposer sa paix à lui tout seul. Il reste à savoir si tous ont compris qu'ils ont intérêt à privilégier la paix et la réconciliation sur toute autre considération, ou si des pêcheurs et des prêcheurs en eaux troubles ne vont pas continuer à saboter toute initiative permettant aux Syriens attachés avant toute chose au maintien de l'indépendance de leur pays, le seul pays arabe vraiment souverain avec l'Algérie aujourd'hui, de négocier un compromis acceptable pour tout patriote. De la paix ou du chaos, c'est finalement les forces capables de proposer une issue sur le long terme qui gagneront mais, pour cela, le chemin peut encore être parsemé d'embûches. En tout cas, tous les peuples du monde ne peuvent se désintéresser du sort de Damas qui, comme à l'époque des invasions mongoles, symbolise l'avenir du monde, car, après avoir conquis et détruit Bagdad, c'est sous les murs de Damas, que le chef mongol Hulagu fut défait. Damas qui, avec Alep, sont considérées comme les deux plus anciennes cités (« civitas ») du monde, et donc de ce que nous appelons la « civilisation ». Notre civilisation commune à tous.

     

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    1 Voir sur ce sujet, entre autre, Ahmed Bensaada, Arabesque américaine (le rôle des États-Unis dans les révoltes de la rue arabe). Éditions Michel Brulé. Montréal, Québec, Canada. 2011, 119 p.; Vincent Capdepuy, « Grand Moyen-Orient – Greater Middle East. Le lieu d'un moment », M@ppemonde, N°93, 2009.

    2 Pour une synthèse rapide des principaux éléments de cette doctrine dont les origines ont été formulées dès le début de la Guerre froide, voir Nye, Joseph. « Get Smart : Combining Hard and Soft Power », Foreign Affairs. Retrieved 12 April 2012.

    3Autant, on peut constater que les milieux dirigeants des Etats-Unis peuvent être partagés sur la préférence à accorder à leur propre économie, et donc à d'autres questions telles que les rapports directs avec la Chine, l'importance de l'Amérique latine, la priorité vers l'Atlantique ou le Pacifique, l'importance du contrôle des flux énergétiques et financiers et donc du Moyen-Orient, dans une perspective plus ou moins pacifique, autant on doit poser la question des défis qui menacent l'entité sioniste qui s'est implantée en Palestine, et dont l'avenir paraît incertain, tant pour des raisons externes qu'internes, dans une situation de paix prolongée qui amènerait logiquement au rapprochement de tout le monde arabe dans lequel « l'Israël-Palestine » est encastrée. Ce qui, malgré les tensions que l'on décèle au sein même de l'establishment militaire de Tel Aviv, laisse supposer qu'une paix durable, en particulier en Syrie, serait le plus mauvais scénario de son point de vue. Ce qui pose en conséquence la question de la puissance de « l'Israel lobby » aux USA et chez leurs alliés à imposer une politique de guerre coûte que coûte.

    4Voir http://www.globalissues.org/article/159/media-conglomerates-mergers-concentration-of-ownership et C. Edwin Baker, Media concentration and democracy : why ownership matters, Cambridge University Press, Cambridge, etc., 2007, 256 p.

    5 Pierre Hillard (auteur), Edouard Husson (postface), Paul-Maire Coûteaux (Préface), Minorités et régionalismes dans l'Europe Fédérale des Régions : Enquête sur le plan allemand qui va bouleverser l'Europe, François Xavier de Guibert, 2004, 422 p.

    6 Antoine Decaen (Buenos Aires), « Quand le Mossad se fait passer pour la CIA pour recruter des terroristes de Jundallah », Mecanopolis reprenant un article de Foreign policy, http://centpapiers.com/quand-le-mossad-se-fait-passer-pour-la-cia-pour-recruter-des-terroristes-de-jundallah

    7Jean-Pierre Page, http://www.lapenseelibre.org/article-entretien-avec-jean-pierre-page-sur-le-sri-lanka-79682753.html

    8 Tariq A. Al Maeena, « Neo-Fascism On The Rise In Sri Lanka », February 23, 2013, Gulf News; Uppul Joseph Fernando, « Is Israel Whipping up Anti-Muslim Feelings in Sri Lanka Through Mossad. Agents Embedded in Govt and Security Establishments? », 20 February 2013, Ceylon today

    9Sajjad Saukat, « Official Confession of ‘Hindu Terrorism’ », http://readersupportednews.org/pm-section/109-109/15882-official-confession-of-hindu-terrorism

    10Voir http://zebrastationpolaire.over-blog.com/article-sotchi-2014-debut-du-blitzkrieg-activisto-informationnel-115817370.html

    11Et ne négligeons pas les mélanges a priori étonnant de sollicitudes pour les « banlieues » françaises, donc pour les jeunes des classes populaires d'origine immigrée, où l'on voit l'interventionnisme financier du Qatar s'amalgamer avec les ingérences de l'ambassade des USA : http://www.marianne.net/Banlieues-OPA-americaine-sur-les-beurs-et-les-blacks_a86469.html et les prêches des néoévangélistes d'outre-Atlantique.

    12http://www.leblogfinance.com/2011/08/syrie-hausse-des-productions-de-gaz-et-de-petrole.html ; http://www.wikistrike.com/article-syrie-la-guerre-pour-le-gaz-104498838.html

    13Voir http://www.ptb.be/nieuws/artikel/rencontre-avec-samir-amin-washington-ne-veut-pas-liberer-la-syrie-mais-laffaiblir.html

    14Voir Bruno Drweski, « L'économie sociale de marché », dans « Syrie : Le chemin de Damas. L'avenir d'un peuple », coordination Yves Vargas, pp. 67-89, Le temps des Cerises, 2007.

    16« Intervention de Bahar Kimyongür à la Conférence sur la Syrie au Palais des Nations en marge de la 22e session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, Genève », http://www.comite-valmy.org/spip.php?article3258

    17Syrie/Pillage d'usines : Damas accuse la Turquie. http://fr.rian.ru/world/20130110/197183523.html

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    14 mars 2013 4 14 /03 /mars /2013 18:05

     

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    Article retiré à la demande de l'auteur pour cause d'efficacité de la répression économique

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