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  • : Philo-socio-anthropo-histoire. Revue en ligne éditée par une partie de l'ancienne rédaction de "La Pensée" exclue en 2004, élargie à d’autres collaborateurs et consacrée au renouvellement de la pensée critique de la globalisation, du politique, de l’économique, du social et du culturel.
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  • Cette revue de Philo-socio-anthropo-histoire est éditée par une équipe de militants-chercheurs. Elle est ouverte à tout auteur développant une pensée critique sur la crise de civilisation du système capitaliste occidental.
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17 avril 2021 6 17 /04 /avril /2021 22:17

Dans le prolongement du numéro précédent (N°225), l’auteur étudie ici comment, face à la peur et aux « nouveaux défis », la science peut servir à ouvrir de nouvelles perspectives.

La Rédaction

 

La science contre la peur ?

-

avril 2021

 

III . Des sciences prises en otage ou s’ouvrant aux débats éclairés ?

 

Pierre Lenormand*

 

Comme il nous est quotidiennement répété, le diagnostic et le traitement des deux crises - climatique ou sanitaire - se feraient donc au nom de la « science et des scientifiques », et cela alors même qu’on agite toutes les peurs millénaristes, les prédictions qui se veulent quasi-prophétiques et les culpabilisations possibles : science domestiquée d’un côté et croyance irrationnelle de l’autre forment un ensemble utile pour faire douter. Et jamais pourtant on n’a autant invoqué la « vérité scientifique », auquel nous devrions tous nous soumettre. Une science en somme triomphante, qui imposerait ses solutions à la société et au pouvoir politique : n’a-t-on pas entendu une partie de la société civile, venant notamment du monde de l’entreprise, reprocher à nos dirigeants de céder au « pouvoir médical » ?

 

Avec le petit recul dont on dispose aujourd’hui, il est permis de poser deux questions :

 

- celle du rapport entre le vrai et le faux, l’idée dominante chez nos gouvernants et dans les médias étant que la vérité scientifique est polluée par des rumeurs, des thèses erronées, voire malveillantes. D’où les pesantes campagnes, qui se développent plus que jamais, mais sont de peu d’effets contre les ‘fake-news’ (1).

- celle du rapport entre science et politique : outre d’innombrables - et souvent contestables - polémiques, l’analyse et à la gestion de ces deux crises par le pouvoir politique ont soulevé des questions sérieuses.

 

Mais en fait, la vérité qui nous est présentée en matière climatique ou sanitaire est un objet hybride, tenant à la fois de la science et du politique, et que l’on pourrait désigner comme ‘vérité officielle’, catégorie proche de celle de ‘pensée unique’ (2). Son intérêt essentiel est de masquer les vraies controverses, trop souvent dissimulées, minimisées, niées ou reléguées dans des publications et médias « alternatifs » (3).

 

Concernant les deux crises qui nous intéressent, on relèvera que c’est tantôt à une vérité officielle que l’on a affaire, tantôt à plusieurs vérités officielles, variables dans le temps et dans l’espace. Je voudrais examiner ici comment l’analyse et le traitement de la crise climatique et de la crise sanitaire ont pu être soumis à des rapports de force et à des influences à la fois extérieures et internes à la science, pouvant dénaturer la démarche scientifique elle-même et impacter gravement les décisions qui en découlent.

 

Des vérités officielles à géométrie variable.

Entre consensus et cacophonie, la fabrique de ces vérités emprunte, au premier abord, des voies très différentes :

 

Concernant le climat, après un temps marqué par des débats de fond, une orthodoxie s’est imposée, en empruntant la voie du consensus scientifique, affirmé et réaffirmé par la plupart des différents spécialistes. Mais qui dit consensus ne dit pas unanimité, et un choix a été fait entre les deux grandes écoles climatologiques qui depuis plus d’un siècle attribuent le réchauffement observé soit à des facteurs naturels (essentiellement astronomiques) soit à des facteurs d’origine humaine (les émissions de gaz à effet de serre). Suite aux travaux du GIEC, la thèse « anthropique » est désormais dominante, et reconnue officiellement comme seule vraie par les accords de Paris en 2015. Elle s’oppose radicalement à l’autre, allant jusqu’à refuser toute idée de synthèse.

 

Il en va tout autrement, semble-t-il, de l’épidémie du coronavirus, où l’on semble passer du foisonnement à la cacophonie : qu’il s’agisse de l’origine, de l’évolution ou de la gestion de la pandémie, de très nombreuses hypothèses ont été émises, donnant lieu aux oukazes successifs d’une pensée officielle variable suivant le lieu, le moment et les circonstances. Le phénomène a été en France à la limite de la caricature, les tests, les masques, les traitements et les vaccins ayant nourri et continuant à nourrir tribunes et conflits. Au jour le jour, les institutions officielles délivrent la vérité du moment, établie - des témoins l’ont rapporté - sur la base d’un compromis réalisé au sein des instances, et débouchant aussi sur un consensus, provisoire cette fois, qui s’imposerait pour d’obscures bonnes raisons, comme le souci de « ne pas démobiliser l’opinion », ce qui, on en conviendra, n’a rien de scientifique (4).

 

Dans tous les cas, l’établissement de la doxa climatique - ou de la vérité du moment en matière sanitaire - repose sur des choix, sur le tri opéré entre des données variables suivant les instruments de mesure utilisés, les interprétations qui en sont faites et la publicité qui leur est accordée, le plus souvent de manière à renforcer les inquiétudes.

 

Des moyens semblables leur permettent de s’assurer l’hégémonie :

 

Le premier est le matraquage médiatique : sites, presse et médias ‘alignés’ reprennent sans cesse les informations inquiétantes, les seules qui fassent ‘du buzz’, passant sous silence tous celles qui permettraient, ne serait-ce qu’au nom du doute cartésien, de remettre en cause les certitudes proclamées.

 

Mépris et diabolisation frappent alors tous ceux qui osent contester la doxa établie ou la vérité du moment. On recourt pour cela à l’étiquetage sommaire, allant des ‘zozos’ selon le médecin Axel Kahn aux ‘charlatans’, voire aux ‘complotistes’, la climatologue Valérie Masson-Delmotte dénonçant de son côté les ‘climato-sceptiques’ comme des ‘négationnistes’. Injure suprême, on dénie à des chercheurs éminents d’être des scientifiques. Des sanctions sont prises : en 2015, le présentateur météo de France 2, Philippe Verdier, est licencié. Le Professeur Christian Perrone est en 2020 démis par l’APHP de ses fonctions de chef de service à l’hôpital de Garches .

 

En réduisant les sujets discutés à des querelles d’egos, des préjugés régionalistes ou des a priori politiques, les médias dominants contribuent à cacher, minimiser ou nier l’existence de véritables controverses scientifiques.

 

Devant la levée de boucliers provoquée par la multiplication des interdits, Macron et son entourage ont appelé à la rescousse la dernière née des techniques comportementales, le « nudge », méthode ‘douce’ pour inciter des individus ou l'ensemble d'un groupe humain à modifier leurs comportements ou à faire certains choix sans contrainte ni obligation et sans impliquer aucune sanction. Cette méthode d’influence, ce « paternalisme libertarien » qui permet de faire ses choix sans coercition, a fait l’objet d’un contrat entre la présidence et une branche dédiée du groupe BVA.

 

Tous les porteurs de vérités officielles se retrouvent enfin pour refuser les débats publics sur les questions de fond, au profit des approches réductrices servies au commun des mortels : alarmistes contre ‘rassuristes’, réalistes contre ‘réchauffistes’, ‘pro-climats contre ‘anti-climats’.

 

Des sciences sous influences

On savait l’histoire contemporaine (5) et d’une manière plus générale les sciences sociales, ‘sous influence’. Reposant sur l’observation et l’expérience, les sciences de la nature et de la vie pouvaient paraître moins sujettes à de telles dérives. Le passé a cependant montré comment les idéologies, et tout particulièrement les religions, ont pu fermer ou privilégier des voies de recherche, jusqu’à invalider telle découverte ou interdire telle théorie, ignorer et combattre de vrais progrès de la connaissance scientifique, en astronomie comme en biologie par exemple (6). Qu’il s’agisse du réchauffement climatique ou du coronavirus, chacun d’entre nous a pu relever les insuffisances, les contradictions et les incohérences des mesures adoptées. En introduction à son article ‘une Médecine sous influence’ (Le Monde diplomatique, novembre 2020) Philippe Deschamps écrit : « Le doute n’épargne plus l’expertise médicale, soupçonnée de succomber à des influences politiques, médiatiques et surtout économiques. »

 

On soulignera donc, en premier lieu, le poids des facteurs extra-scientifiques :

 

Parmi eux, l’influence des grands intérêts privés est essentielle : compagnies pétrolières, gros producteurs et utilisateurs de charbon ont longtemps et encore aujourd’hui apporté leur soutien aux experts, politiques, économistes et scientifiques qui minimisent et vont jusqu’à nier le réchauffement climatique. Dès le début de la pandémie, les grands groupes pharmaceutiques (Sanofi, Gilead, Novartis, Roche, Pfizer, Bayer) ont pesé non seulement sur les traitements et les vaccins mais sur tout ce qui à l’amont pouvait orienter les recherches et les décisions politiques dans un sens qui leur soit favorable.

 

Lesliens d’intérêt’ de tel expert avec telle multinationale de Big Pharma sont encore très généralement cachés, en dépit de la loi qui oblige en France tous les scientifiques s’exprimant publiquement à une ‘déclaration préalable d’intérêt’. S’y ajoutent les ‘conflits d’intérêt’ proprement dits, désignant les liens (conventions, rémunérations et avantages) que les experts siégeant dans des instances publiques peuvent entretenir avec ces mêmes sociétés privées.

Plus largement, ces intérêts privés sont défendus par des groupes de pression publics et privés, les fameux ‘lobbies’ (7) avec leurs milliers de lobbyistes, qui à Paris, à Bruxelles et à l’ONU cherchent à influencer tout détenteur d’une parcelle de pouvoir politique (8). Il est devenu banal de dénoncer ces lobbies, en oubliant trop souvent de mettre en cause ceux qui les emploient et qui les payent.

 

D’autres rapports de forces extérieurs à la science interviennent, notamment politiques : le pouvoir politique choisit au quotidien, parmi de nombreuses études, celles qui sont susceptibles d’appuyer les décisions prises et de nourrir la communication gouvernementale.

Au niveau géopolitique, un tri est fait également, suivant les pays cette fois. Les modes de lutte contre la pandémie ayant fait leurs preuves à Taïwan, en Corée du sud, en Australie sont reconnus aisément, mais ils sont ignorés ou dénigrés quand il s’agit du Kerala (Inde), du Vietnam, ou de Cuba, toujours suspectés de totalitarisme et de violations des droits de l’homme puisque sous gouvernement communiste. La nouvelle guerre froide engagée par la triade (USA, Europe, Japon) contre la Russie et la Chine s’est étendue à la fabrication, la certification et la diffusion de leurs vaccins.

Au niveau international toujours, le crédit accordé aux grands organismes politico-scientifiques proches de l’ONU n’est pas le même : le doute est jeté depuis longtemps sur l’agence de l’ONU qu’est l’Organisation mondiale de la Santé, accusée notamment de complaisance envers la Chine pour sa gestion des débuts de l’épidémie. Le Groupe Intergouvernemental d’Experts pour le Climat (GIEC) jouit au contraire d’une très grande confiance, et ses rapports seraient l’expression de la pure vérité scientifique. Son histoire (9), la désignation de ses experts, son ‘résumé pour les décideurs’ - écrit sous le contrôle des pouvoirs en place - montrent au contraire, et tout particulièrement depuis 2015, qu’il ne saurait être politiquement neutre. Toute puissance de l’orthodoxie climatique (10) ?

 

Les déterminants de la doxa climatique ou sanitaire sont aussi internes :

Les « communautés scientifiques » ne sont pas exemptes de partialité, d’effets de mode, de querelles d’écoles. Les sciences qui se font n’échappent pas aux certitudes prématurées, ni aux contingences qui les contaminent. Le foisonnement des hypothèses, des méthodes et des résultats, parfois contradictoires, trouve sa source dans la diversité des spécialistes ayant leur propre système explicatif : médecins, épidémiologistes, immunologues, virologues, infectiologues, sociologues et économistes de la santé d’une part, physiciens, climatologues, météorologues, paléo-climatologues, glaciologues et aussi économistes de l’autre : cette diversité est utile pour faire progresser les connaissances.

 

Mais les choses ne sont pas égales, entre des ‘sachants’ reconnus et les autres : il y a une hiérarchie des savoirs. Relevant de disciplines placées au premier plan, virologues, épidémiologistes et infectiologues ont pris le pas sur les médecins et les sociologues, ce qui n’est pas sans conséquences. S’agissant du climat, ce sont les climatologues qui ont pris le dessus sur tous les autres, s’imposant comme seuls légitimes, jusqu’à disqualifier les sciences de la terre, ou minimiser les apports des historiens du climat.

 

La recherche et l’administration de la preuve elle-même peut être altérée non seulement par l’absence de protocoles sérieux ou de précautions suffisantes, mais aussi par des règles et critères formels, tels les ‘essais randomisés en double aveugle’, données comme seuls valables, quand des ‘études observationnelles’, à l’hôpital et sur dossiers, pourraient utilement les compléter. Question qui se prolonge dans le débat persistant sur la place assignée, voire sur la priorité accordée au terrain ou à la modélisation.

 

Le recours permanent à quelques experts soigneusement choisis contribue à imposer dans les têtes des simplifications abusives, voire des erreurs - tout le monde en commet. Devenus d’incontournables vedettes médiatiques, ils bénéficient des connivences entre pairs, toujours prêts aux compromis consensuels.

 

Michel Collon (11) écrivait en février dernier : « Malheureusement, on nous enferme dans un faux dilemme : ou bien croire la version officielle sans poser de questions ou bien croire des charlatans. Or, cette crise montre précisément qu’il faut arrêter de « croire ». C’est de science que nous avons besoin. Et elle exige le débat démocratique sans tabous, la stimulation des échanges et des bonnes controverses pour analyser tous les phénomènes humains et trouver des solutions aux problèmes. Marx et Engels l’avaient bien compris. Einstein aussi dans son célèbre article de 1949 démontrant que le capitalisme était dépassé car incapable de résoudre ses problèmes ». (entretien au Drapeau Rouge, «Nos dirigeants n’ont pas l’esprit scientifique et n’ont pas fait l’effort de comprendre», 6 février 2021)

 

Soyons clairs : il ne s’agit ni d’idéaliser, ni d’enrôler la science, pas plus qu’il n’y a lieu de faire table rase de toutes les connaissances accumulées : on ne part pas de rien. C’est justement ce faisceau de connaissances qu’il faut passer au crible de débats éclairés.

 

L’irremplaçable débat scientifique

Le 10 septembre 2020, 35 scientifiques, chercheurs et professionnels de santé publient une tribune : « Nous ne voulons pas être gouvernés par la peur ». Quinze jours plus tard, le 27, ils sont plus de 300 à donner au Journal du Dimanche le texte « Il est urgent de changer de stratégie sanitaire face à la covid-19 ». Le JDD refuse de publier cet appel, que Médiapart reprend alors sur son site. La reprise des contaminations et le deuxième confinement vont le faire repasser à la trappe, mais les principaux points qu’il relève sont et restent à ce jour tout à fait pertinents : « la prétention du pouvoir à fonder scientifiquement sa stratégie est contestable. Nous pensons au contraire que la peur et l’aveuglement gouvernent la réflexion, qu’ils conduisent à des interprétations erronées des données statistiques et des décisions administratives disproportionnées, souvent inutiles voire contre-productives ». Au moins mériteraient-elles examen.

 

Un an plus tôt, 500 scientifiques de 13 pays signaient à l’intention du Secrétaire général des Nations unies l’adresse ‘Il n’y a pas d’urgence climatique’ : « Les sciences du climat se doivent d’être moins politisées, tandis que la politique climatique se doit d’être davantage scientifique. Les scientifiques doivent aborder de façon ouverte les incertitudes et les exagérations dans leurs prévisions d’un réchauffement planétaire, et les dirigeants politiques doivent évaluer de façon dépassionnée les bénéfices réels et les coûts envisagés à l’adaptation au réchauffement climatique, ainsi que les coûts réels et les bénéfices envisagés de l’atténuation ». Rappelant que l’action politique doit respecter les réalités scientifiques et économiques, ils concluaient (12) : « Nous vous invitons également à organiser avec nous début 2020 une réunion de haut niveau, constructive, entre des scientifiques de réputation mondiale des deux côtés du débat sur le climat ».

 

Ni les uns ni les autres n’ont reçu de réponse de ceux à qui ils s’étaient adressés. Ils posaient pourtant de vraies questions, qui pourraient nourrir un grand débat scientifique, irremplaçable à mes yeux.

 

Il aurait pour objectif de réexaminer les vérités officielles et démonter les catéchismes pseudo-scientifiques, aussi bien que remettre à leur place les croyances et les émotions multipliées dans les réseaux dits ‘sociaux’. Il faudra pour cela sortir des polémiques personnelles, des querelles stériles qui se déploient sur le marché médiatique : elles conduisent à la mise en doute de la parole scientifique, jusqu’à discréditer toute science. Le premier danger est bien là : la nécessaire approche ‘critique’ de la science ne doit pas conduire au ‘relativisme’ post-moderne, suivant lequel toutes les opinions se vaudraient, y compris en matière de science. Et l’idée avancée ici ou là de ‘ne pas laisser la science aux mains des scientifiques’ est trompeuse, car bien entendu les problèmes posés à la science seront résolus par les scientifiques eux-mêmes (13). Une autre tentation répandue parmi les ‘sachants’ serait de débattre des questions ‘en interne’. Huis clos imprudent et intenable quand la vie et l’avenir de chacun est en jeu. On n’échappera pas, tôt ou tard, à des controverses publiques, à des débats informés, sans exclusion et sans a priori. Le plus tôt sera le mieux. Et il doit être admis que les simples citoyens que nous sommes sont en droit, avec le concours des scientifiques qui le voudront bien, non seulement de participer à ces débats, mais aussi, à l’amont, de les initier et d’en préciser le cadre et les conditions.

 

On nous objectera que l'extrême technicité et la sophistication du traitement de données et des modélisations propres aux recherches contemporaines rendraient de tels débats inaccessibles au commun des mortels. Sans doute supposent-ils un grand effort de vulgarisation et d'explications de la part des chercheurs, des ‘savants', et un considérable effort de formation scientifique du public. Y renoncer par avance serait enfermer les citoyens dans le statut de sujet dépendant, méthodiquement entretenu par l'infantilisation et la culpabilisation ambiantes. On ne saurait évidemment pas se satisfaire de ‘conférences de citoyens’ réduites à une petite élite tirée au sort et dûment chapitrée. C’est à l’échelle de la nation toute entière que ces débats devront être ouverts, pour examiner sans tabou les hypothèses, les interprétations et les actions qui en découlent. Avec pour horizon le retour à la raison nécessaire à la construction d'un avenir commun. Je n'ignore pas l'énormité de la tâche. On ne sera pas trop nombreux pour y travailler.

 

Afin de nous éviter de cruelles désillusions, nous devrons également savoir que les réponses apportés par les chercheurs sont de moins en moins simples, et rarement définitives. Il y a à cela des raisons objectives, comme par exemple des évolutions contrastées et imprévues des températures, ou comme le caractère nouveau et largement imprévisible de la propagation du virus et de ses variants, longtemps ignorés par l’orthodoxie sanitaire. Les analyses dominantes laissent peu de place à des questionnements en apparence éloignés du sujet : ainsi des facteurs géographiques qui interviennent dans les manifestations du réchauffement climatique comme dans les conditions de l’expansion du covid-19 : des différences sont observables d’un continent, d’un pays voire d’un territoire à l’autre, qui attendent d’être élucidées. Les leçons de l’histoire des épidémies, notamment celle du SARS-CoV-1 (qui a sévi dans l’Asie du sud-est en 2003) ou celle de la grippe dite de Hong Kong (30 000 morts durant l’hiver 1968-69 en France) n’ont pas toujours, ni partout été tirées ; et de son côté, l’ampleur et la durée du petit âge glaciaire a pu être - volontairement ou non - ignorée ou sous-estimée. L’analyse concrète des situations concrètes implique que les sciences au coeur des crises que nous traversons échappent à un cloisonnement encore répandu entre disciplines et entre chercheurs, en s’ouvrant notamment aux sciences humaines et sociales : histoire, géographie, économie, mais aussi anthropologie, sociologie, psychologie, philosophie même. Les unes et les autres contiennent sans doute au moins une part des explications à venir.

 

Parmi les conditions à remplir pour que ces débats soient possibles et fructueux, il en est une tout à fait essentiel, qui exigera de tous la plus grande détermination. Réfléchissant sur les causes qui ont conduit à la ‘gestion catastrophique de la pandémie’, qu’elle compare à l’ « Etrange Défaite » décrite en 1940 par Marc Bloch, Barbara Stiegler (14) souligne l’arrogance et l’entêtement de nos ‘décideurs’, mais plus encore la responsabilité des gouvernements successifs dans le déclin de de l’université et de la recherche publique française : la LPPR, ou loi sur la recherche (15), a été « un coup de grâce ». Au lieu de soutenir la science comme une enquête collective sur les causes de nos problèmes et sur les processus à long terme dans lesquels nous étions impliqués, la loi parachevait sa mise en tutelle par le monde économique et politique, accélérant une dérive qui avait commencé à se généraliser dès les années 2000 en Europe. En choisissant de la soumettre à la logique court-termiste des « appels à projets », elle plébiscitait ce qui justement avait désarmé la recherche française sur le coronavirus en même temps que celle sur les zoonoses, jugées à l’époque peu rentables sur le marché de la « valorisation » (16). Victimes du « solutionnisme technologique », des secteurs entiers de la recherche fondamentale et appliquée, mais aussi l’ensemble des savoirs critiques qui n’avaient rien à vendre sur le marché, étaient progressivement réduits à la misère, depuis des années déjà, par un « pilotage managérial » de la recherche qui avait désarmé l’hôpital, au nom de l’accélération des rendements et de l’innovation ». (p. 47)

 

Et elle conclut : « Nous pouvons certes, continuer à nous confiner dans la tiédeur de nos bureaux et à participer activement, avec nos écrans, à la mise en place des réformes qui détruisent les institutions qui, jusque là, avaient porté ces métiers… Mais nous pouvons aussi tenter de nous unir, avec quelques autres, pour constituer des réseaux de résistance capables de réinventer la mobilisation, la grève et le sabotage, en même temps que le forum, l’amphithéâtre ou l’agora. (…) En s’y mettant à plusieurs, ici et maintenant, en ouvrant en grand nos institutions à tous les citoyens qui, comme nous, sont convaincus que le savoir ne se capitalise pas, mais qu’il s’élabore ensemble et dans la confrontation conflictuelle des points de vue, nous pourrions peut-être contribuer à faire de cette ‘pandémie’, mais aussi de la santé et de la vie non pas ce qui suspend, mais ce qui appelle la démocratie » (p. 54-55).

 

29 mars 2021

IV. Sortir de la peur !

 

« Chaque fois que la peur montre le bout de son nez elle annonce que nous allons faire une bêtise ! Ce signal d'alarme nous pétrifie au lieu de nous prévenir que nous risquons de commettre un impair. S'il est impossible de l'empêcher, on peut la canaliser et s'en servir astucieusement. S'obliger à retrouver son calme, ne pas y croire, refuser d'y céder (...) Penser que demain est un autre jour, refuser de se laisser guider par la peur, les jours heureux sont à portée de main ». Jean-Jacques Birgé, compositeur, écrivain, club Médiapart, juin 2017 (17).

 

Nous avons vu comment, pour faire face à la réalité sanitaire et climatique, le débat scientifique public entre la société et les savants était nécessaire : le triptyque du collectif ‘Réinfo covid-19’ « Questionner, Comprendre, Agir » est sans doute un bon pilote pour aborder les trois grandes questions (l’origine, la dynamique et les moyens à mettre en œuvre) que posent les crises climatique et sanitaire. Où en sommes-nous ?

Deux crises sans solution visible à court terme

Nous souhaitons tous ardemment sortir aussi bien et aussi rapidement que possible du covid-19. De près ou de loin, cette épidémie a touché la plupart d’entre nous, causé des décès dans la plus cruelle des solitudes, notamment dans les EHPAD. Sachons toutefois garder la mesure, en retenant avec les démographes et de nombreux praticiens que la létalité du SARS-CoV2 reste modeste (18). Mais il y a eu trop de souffrances, et trop de morts, imputables à l’absence d’une vraie stratégie et à la situation profondément dégradée de notre système de santé, miné par quarante ans de gestion néo-libérale (19).

 

On a en effet oublié que l’OMS a défini depuis longtemps les trois éléments de la stratégie à adopter devant toute épidémie : ‘Tester, isoler, soigner’. En guise de stratégie, on est passé dans notre pays à un première triptyque dépister, tracer, isoler’, mais dans les conditions du premier confinement l’isolement était illusoire. Il avait disparu dans le second tester, partager, protéger’, pour revenir avec de plus en plus d’insistance dans les messages officiels, mais sans les moyens nécessaires : il s’agit simplement de ralentir les contaminations pour éviter l’engorgement des hôpitaux. On soulignera, car c’est un comble, que le troisième objectif de la formule initiale soigner’ n’a jamais fait partie des consignes officielles, chacun se souvient du « restez chez vous, prenez du doliprane ». De nombreux praticiens regrettent qu’on ait négligé les divers soins possibles dès l’apparition des premiers symptômes. Dans la lutte contre le virus, plusieurs médications existent, d’autres sont à l’étude, plusieurs cocktails anti-covid sont à l’essai, et de nouvelles pistes thérapeutiques viendront. La communication sanitaire en fait peu de cas, la solution officielle étant maintenant une vaccination massive, elle aussi objet de diverses interrogations et contestations. Mais la campagne avance à très petits pas, faute de doses.

- Des professeurs de médecine, des hospitaliers découvrent que Macron « s’affranchirait » désormais de la science, dénoncent son entêtement, et l’appellent à des mesures plus contraignantes, à durcir les mesures de freinage en attendant les progrès de la vaccination : au soir du 31 mars, en décidant de re-confiner pour un mois l’ensemble du territoire, l’oracle leur a en partie au moins donné raison. Mais la société attendait aussi plus que jamais une parole et des mesures répondant à d’autres attentes (20) :

- Il y avait l’exigence, relayée par les organisations syndicales de travailleurs - d’enseignants notamment - d’une meilleure protection contre les risques de contamination, incluant des dépistages, des jauges renforcées et des fermetures partielles ou totales, et la vaccination des personnels. Avancer la date des vacances scolaires est donc le compromis minimal avec les demandes des employeurs hostiles aux fermetures d’école, qui déplace les problèmes sans leur apporter de solution.

- Il y avait également une aspiration forte de la part d’autres travailleurs, comme ceux de la culture et du spectacle à desserrer l’étau des interdits. Les quelques voix qui voudraient réduire cette demande aux désirs de quelques ‘bobos’ oublient que de fort nombreux citoyens sont également pressés de retrouver une vie sociale, une vie démocratique (21), une vie tout court avec des cinémas, des théâtres et des stades ré-ouverts avec des mesures adaptées, voire des restaurants et des cafés, avec des protocoles expérimentaux pour commencer. Alors que de plus en plus de praticiens et de syndicats s’y rallient, Macron sest contenté d’évoquer une possible reprise progressive à partir de mai. Mais nul ne connaît vraiment la suite.

A moyen terme, il y aurait deux manières de penser l’avenir : la première, l’option « zéro virus » se donne pour objectif son éradication. Etant donné la longue cohabitation que l’humanité entretient - pour le pire mais aussi pour le meilleur - avec les virus et les bactéries, compte tenu de immenses réservoirs que renferment diverses espèces, la seconde option, « vivre avec le SARS-CoV2 » apparaît infiniment plus probable. L’immunité collective obtenue par les guérisons et la vaccination de masse devrait nous permettre de sortir de l’actuel « tunnel ». Et vu la propension à muter de cet organisme, il nous faudra sans doute, comme pour la grippe saisonnière, renouveler périodiquement la vaccination. Une extrême vigilance scientifique est donc requise.

 

La même question de la vision à moyen terme se pose pour le réchauffement climatique : atténuation ou adaptation ? L’objectif essentiel de la politique climatique mondiale est latténuation, c’est à dire la réduction des émissions de gaz à effet de serre, reposant sur un diagnostic contesté (22) et des résultats à tout le moins médiocres. N’est-ce pas négliger, ou perdre beaucoup de temps dans la recherche et la mise en œuvre d’une nécessaire adaptation, dans le sens de la préservation des ressources fossiles, non seulement les combustibles (charbons et hydrocarbures) mais aussi le phosphore et les terres rares, déjà surexploités. Limpératif catégorique d’une  Europe climatiquement neutre en 2050, placé au dessus de tous les autres, sert de fil conducteur aux quatre grandes programmes (l’économie circulaire, la rénovation des bâtiments, la biodiversité et l’innovation) du plan vert (le « green deal ») européen. (23)

 

Le programme électoral de Macron avait mis l’accent sur une mesure aux effets plus symboliques que réels : la fermeture des quatre dernières centrales à charbon qui pourtant n’émettent qu’un pourcentage infime de GES (24). Mise sur pied en 2019, au lendemain de la révolte des gilets jaunes, et pour se conformer aux engagements pris suite aux « accords de Paris » de 2015, la Convention citoyenne pour le Climat a accouché de 149 propositions destinées à réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre de la France d'ici à 2030 par rapport à 1990. La loi « climat et résilience » actuellement en discussion qui en est en principe issue, n’en reprendrait pas la moitié. On sait déjà que l’objectif annoncé ne sera pas atteint : d’abord parce que les mesures cosmétiques portant sur la publicité, ou hasardeuses sur la pénalisation des comportements ‘climatocides’ et la création d’un délit d’écocide ne seront d’aucun effet sur la réduction des GES ; ensuite parce que le projet est muet sur la production électronucléaire, énergie pourtant décarbonée, mais dont les écologistes et la France Insoumise veulent la sortie à court terme (25) ; pour le très gros chantier de la rénovation thermique des logements mal isolés, aucune planification ni aucun crédit dédié ne sont prévus, mais des sanctions sont prévues par le biais du marché immobilier, avec l’interdiction de louer ou vendre des « passoires thermiques » dès 2026 ; le volet transports est indigent, réduit à l’imprudent retour de l’écotaxe pour les camions, les mesures pour développer le fret ferroviaire, toujours livré à l’abandon, sont dérisoires ; rien non plus sur le caractère démesuré et délétère des échanges à grande distance, dont la récente thrombose du canal de Suez a souligné la fragilité. Pas de solution crédible à brève échéance non plus, il nous faudra donc aussi ‘vivre avec’ des températures plus élevées, et adapter nos activités et nos vies à des hivers plus doux et des étés plus chauds.

Il faut savoir prendre du recul et revenir à la raison..

 

Mais pour avancer dans la réflexion, il est indispensable de sortir de cette espèce d’enfermement de la pensée favorisée par cette pandémie mal contrôlée et ce réchauffement climatique déjà là : nos engagements, voire nos gestes au quotidien nous divisent jusqu’à nous opposer parfois. S’y ajoute un effet de diversion, de masquage des problèmes de fond posés à la société, trop souvent réduits à leur seule dimension écologique, déformée de surcroît par les caricatures obscurantistes, médiatiques ou politiciennes qui nous en sont trop souvent données (26). La sortie de l’alarmisme est sans doute un préalable indispensable.

 

Avant d’être devenu une célébrité contestée, le virologue Didier Raoult avait en 2016 dans son ouvrage Arrêtons d’avoir peur(Michel Lafon, 347 pages) écrit ces quelques lignes à la fois d’actualité (au lendemain des accords de Paris) et prémonitoires : « Quant à l’avenir de la planète et des êtres humains, je me bats contre toutes les modélisations mathématiques prédictives. Scientifiquement il est impossible de prévoir l’avenir ; d’où l’inutilité de pronostiquer des lendemains abominables ! Face aux prophéties apocalyptiques sur les changements climatiques et les nouvelles épidémies, l’Homme ne devrait pas tant s’inquiéter. D’une part parce que l’anxiété et le pessimisme font notre malheur. D’autre part parce que la remarquable inventivité humaine et la créativité du vivant lui-même, comme l’attestent de récentes études sur l’ARN, nous réserve de belles surprises pour remédier aux problèmes à venir.» (page 13) Cet optimisme rationnel, cette confiance dans le progrès sont tout à fait bienvenus. Il faut savoir les reconnaître, sans partager tous les positionnements (27) de personnalités politiquement éloignées de nous, mais assez nombreuses, que nous avons rencontrées en chemin.

 

Allons en effet plus loin. Les angoisses latentes concernant le climat et le caractère obsessionnel de la crise sanitaire, en envahissant le marché médiatique, ont encombré notre quotidien et entretenu un vrai brouillage des enjeux de classe qui traversent la société, en France comme dans le monde. Tout le monde serait visé, tout le monde serait menacé : tous dans le même bateau ? (28) Il faut sortir de ce piège. Car la société vit non seulement un vrai défi sanitaire ou climatique, mais une crise globale.

Désigner le système responsable : un capitalisme en crise.

S’agissant du coronavirus, Barbara Stiegler (page 3) le dit à sa manière :« Si nous ne changeons pas de modèle économique, social et politique, si nous continuons à traiter le virus comme un évènement biologique dont il faudrait se borner à « bloquer la circulation », les accidents sanitaires ne vont pas cesser de se multiplier. ».

 

Et à propos de la nouvelle loi sur la recherche, elle poursuit : « Il ne s’agissait surtout pas de demander aux laboratoires et aux universités de réfléchir, conjointement avec les étudiants et l’ensemble des citoyens, à l’enchaînement des causes qui avait pu nous conduire là où nous en étions. Il s’agissait au contraire de faire de la crise une aubaine pour renforcer la même logique : accélérer la course compétitive à l’innovation, tant du côté numérique (e-learning, e-santé, traçage) que de l’industrie pharmaceutique (molécules ou vaccins) : non pas à lutter contre les causes qui avaient produit la crise mais à s’y adapter… » (page 48).

 

C’est en effet ce « système économique, social et politique » qu’il est nécessaire d’identifier clairement, alors qu’il s’ avance masqué, réduit à sa dimension technologique, à son aptitude à l’innovation, à son caractère globalisant ou donné comme le cadre naturel de toute croissance (29). Mais le capitalisme ne suscite plus autant d’adhésion qu’auparavant (30). Pour nous, il s’agit clairement du capitalisme à l’âge néo-libéral dont les ‘lois’, via le MEDEF et la CGPME, ont inspiré voire dicté toutes les décisions prises par les gouvernements successifs depuis quarante ans. Parmi celles-ci, je ferais une place particulière à celle qui impose des destructions périodiques de capital. Directement ou indirectement, les mesures ‘pour le climat’ et ‘contre la pandémie’ en conduit à de telles destructions. Cette dimension nécessaire du mode de production capitaliste, longtemps dissimulée car particulièrement pernicieuse, est désormais rappelée et justifiée théoriquement par Philippe Aghion, professeur au Collège de France, conseiller d’Emmanuel Macron et ardent partisan d’une « nouvelle croissance reposant sur l‘innovation et la destruction créatrice » (31)

 

Au terme de sa phase d’ultra-financiarisation, exposé à des critiques venant parfois de ses plus fermes partisans, mais sans revenir sur ses principes fondamentaux (l’exploitation, le profit et l’accumulation), le capitalisme se cherche un nouveau cadre, un nouveau modèle où le pouvoir de décision resterait entre les mains des détenteurs de capitaux. C’est un objectif du même ordre que poursuit le Forum de Davos : après avoir reçu la jeune Greta Thunberg en janvier 2020, il a présenté cette année la feuille de route d’un nouveau capitalisme. On a beaucoup raillé et même accusé de complotisme tous ceux qui s‘inquiétaient des conclusions de ce rassemblement de « l’élite mondiale ». Mais l’allemand Klaus Schwab, fondateur du Forum, le dit lui-même : « The pandemic represents a rare but narrow window of opportunity to reflect, reimagine and reset our word » (la pandémie représente une fenêtre d’opportunité rare mais étroite de réfléchir, de réinventer et de réinitialiser notre monde). Après avoir décrit en 2017 la ‘quatrième révolution industrielle’ il publie en septembre 2020 « Covid-19, la grande réinitialisation » et à nouveau en janvier 2021 : ‘Stakeholder Capitalism : a global economy that works for progress, people and planet’ (capitalisme des ‘parties prenantes’ : une économie globale qui œuvre pour le progrès, le peuple et la planète), pas encore traduit en français. Il faudra y revenir.

Ne nous bouchons pas les yeux : ce à quoi nous avons affaire, ce ne sont sans doute pas des complots, mais de vrais programmes, allant de l’effet d’aubaine aunew green dealeuropéen et à la grande ré-initialisation (le grand ‘reset). Revendiquant hautement concurrence et compétition, c’est un capitalisme renouvelé, totalement décomplexé, reposant sur les neurosciences, la robotisation et la numérisation complète du monde, une anti-utopie qui nous est proposée pour ‘le jour d’après’. Fin de cycle ou fin de vie pour le capitalisme ? La réponse en fait nous appartient.

 

Sortir de la peur pour en finir avec le capitalisme et réciproquement

Les politiques de la peur ont été et restent l’auxiliaire précieux de ceux qui gouvernent aujourd’hui pour les intérêts du capital. On ne se débarrassera pas du capitalisme sans enlever de nos têtes toutes ces peurs qui nous enferment dans le désarroi et l’impuissance pour mieux nous soumettre à son emprise, y compris sous des formes ouvertement autoritaires et fascisantes (32). Mais nous ne pourrons nous en débarrasser vraiment qu’en sortant du capitalisme. C’est sous cette double contrainte que les travailleurs et les peuples doivent et peuvent reprendre leur/notre destin en main.

 

Pour nous, il y a un premier obstacle à lever, celui des états d’urgence - anti-terroriste et sanitaire - des décrets et ordonnances liberticides, de la loi « sécurité globale », auxquels il va falloir s’opposer, désobéir, en exerçant notamment notre droit constitutionnel à manifester. Imposer ce retour aux libertés démocratiques élémentaires est un premier pas nécessaire pour regagner tout ce qu’un demi-siècle de gestion néo-libérale nous a ôté. Tout ce qui pouvait nous apparaître comme des acquis avaient été - c’est une banalité - ‘conquis’ par les luttes. En dresser brièvement la liste souligne en même temps l’ampleur de leur remise en cause : l’actualité a mis au premier plan la destruction méthodique de notre système de santé, et les multiples atteintes à la sécurité sociale, à l’éducation, au système des retraites, au droit du travail et autres droits sociaux, au logement populaire et aux services publics, voués à liquidation et /ou la privatisation. Ignorées par les grands médias, d’innombrables luttes se déroulent pourtant chaque jour, mais elles restent dispersées, et trop souvent sans perspectives d’avenir.

 

La mise en convergence et l’intensification de ces combats est donc à mettre à l’ordre du jour, pour des mobilisations de grande ampleur, avec l’objectif de reconquérir le terrain perdu et gagner des droits et des moyens d’action nouveaux. Un combat syndical résolu, porteur de perspectives émancipatrices, peut dès maintenant être engagé. C’est dans ce sens que la CGT Energie de Paris publiait le 28 mars une « Adresse solennelle à toutes les structures de la CGT » interpellant les militants de la Confédération, mais aussi chacun d’entre nous :

 

« Aujourd’hui, à cause de la politique capitaliste menée dans notre pays, toutes les générations se retrouvent sans aucune perspective (…). Si nous ne réagissons pas, nous allons au-devant d’une situation gravissime économiquement, écologiquement et socialement. Pourtant des solutions existent pour une sortie rapide de ce tunnel infernal et mortifère ! La CGT se doit de poser immédiatement des revendications interprofessionnelles claires partout dans le pays. (…)« Revendiquons la nationalisation totale du secteur de la santé et de la recherche, sous contrôle exclusif des représentants démocratiquement élus des personnels et usagers ! (…) Revendiquons la nationalisation et le contrôle exclusif, par les représentants démocratiquement élus des agents et usagers, de tous les secteurs essentiels à la nation : Education nationale, Energie, Banques, Culture, Transports publics, Poste et télécommunications, Autoroutes, Audiovisuel, Grande distribution alimentaire. »

L’appel se termine ainsi : « Plus largement, cette phase historique révèle une chose importante que la lutte de classe a toujours mise en avant : seuls les travailleurs sont essentiels à une nation car ils sont les seuls à en produire les richesses. »

 

Cette observation jette les bases d’un second objectif, proprement politique, soutenant et prolongeant le premier : rassembler les travailleurs dans un « camp » assez large, mais assez déterminé, pour construire un projet politique transformateur et assez puissant pour l’imposer, en établissant de nouveaux rapports de force. Les travailleurs directement exploités en sont le centre : entendons par là les différentes composantes de la classe ouvrière aujourd’hui, ouvriers proprement dits mais aussi employés, du cadre à l’exécutant, incluant précaires et chômeurs. Avec les travailleurs eux aussi exploités des services (publics ou privés), du commerce, de l’information, ils constituent le salariat, 80 % des actifs, la base sociologique de ce camp. Et toute l’histoire du mouvement ouvrier montre que des alliés peuvent être trouvés dans les diverses couches relevant de la petite bourgeoisie, intellectuelle notamment, ainsi que parmi tous les exclus du système, les sans-papier, les sans-droit et les sans-toit, qui luttent pour l’égalité.

 

Elargissant ses réflexions sur la France ‘périphérique’ (celle des ronds points, des classes « moyennes » et populaires) le géographe Christophe Guilluy écrit dans son dernier livre Le temps des gens ordinaires (Flammarion 2020) : « le fait nouveau est la constitution d’un bloc populaire solide qui conteste le modèle globalisé et multiculturel». Et il développe : face à « une nouvelle bourgeoisie vivant dans les métropoles mondialisées, tenant à l’écart plus de la moitié de la population française (…) ces gens ordinaires (sont) non seulement indispensables, mais aussi hautement respectables et dignes de fonder le modèle d’une société meilleure que celle où nous vivons. » On peut avoir des réserves sur son analyse (33) mais ce ‘fait nouveau’ est à prendre comme une bonne nouvelle.
 

Mais nous le savons bien, la mise en mouvement des « prolétaires »(34) et a fortiori de ces « gens ordinaires » impose de lever toute une série d’obstacles : les intérêts immédiats des uns et des autres ne sont pas identiques, et l’on sait bien que la convergence des luttes est un des grands enjeux du moment. Frédéric Lordon a montré l’ampleur des « diversions sociétales » (35) largement préfabriquées qui sont, sur une base raciale, religieuse, de ‘genre’ ou d’orientation sexuelle, mises en avant pour empêcher ce rassemblement. Elles se superposent aux entreprises plus classiques, ouvertes ou non, de corruption et de collaboration de classe qu’il faut continuer à combattre.
 

Il reste à définir et nommer les solutions, qui pour nous s’appellent socialisme : un socialisme pour aujourd’hui et demain, qui « en fini(sse) avec les monarchies patronales et la dictature de la propriété privée » des grands moyens de production, d’échange et d’information, et « permette leur appropriation sociale pour une gestion souveraine et populaire (...) En construisant des majorités d’idées, non sur la base d’arrangements de circonstances ou en renonçant à nos valeurs, mais sur la base d’un contenu transformateur ». Celui-ci n’est pas déjà écrit : « il est temps d’inventer le socialisme du XXIème siècle » (36). C’est pourquoi il nous faut relancer dès maintenant la bataille idéologique et regagner les esprits à ce progrès social radical, quand la plupart de ceux qui devaient le porter y ont renoncé. Commençons par n’avoir pas peur des mots, en nous les réappropriant sans complexe : prolétariat, révolution, socialisme, communisme (37), si souvent abîmés, galvaudés, trahis. Retrouvons dans notre histoire les moments où les idées émancipatrices, révolutionnaires, ont fait avec le mouvement social trembler les puissants (38). Nourries par la compréhension des réalités d’aujourd’hui, reprenons les à notre compte, tant il est vrai que les idées, « en s’emparant des masses  (…) peuvent devenir des forces matérielles réelles » pour changer le monde (39). Gagnons aussi la guerre des idées.
 

Ainsi parviendrons nous à sortir de la peur. Mieux, à la retourner contre ceux qui instrumentent et manipulent les peurs qui les servent : « L’histoire de la mobilisation communiste met en évidence ce qui hante la démocratie libérale depuis le XIXe siècle : la représentation politique des classes populaires et la peur de l’accession au pouvoir des classes exploitées »(40). C’est la seule qui vaille.

10 avril 2021

* Géographe

Additif : ------------------------------------------------------------

La plupart de nos amis et camarades se refusent à entrer dans des débats scientifiques qui les dépassent, et relèveraient des seuls chercheurs concernés. Cette modestie les honore, et en effet la responsabilité de distinguer le vrai du faux incombe aux spécialistes des diverses disciplines en jeu. Toutefois il ne nous est pas interdit de leur poser des questions, de préférence pertinentes, ce qui nous conduit à nous engager - avec la prudence nécessaire - sur un terrain où nous sommes preneurs des réponses que les scientifiques pourront nous apporter. Quelques précautions préalables :

 

- Sciences médicales et sciences du climat ont des objets différents : sciences physiques de la terre et de l’atmosphère, sciences biologiques de la vie et de la santé. Elles se développent suivant des ‘pas de temps’ différents : semaines et mois d’un côté, imposant de réagir à très court terme voire au jour le jour, années et décennies de l’autre, appelant des actions de moyen et long terme.

- Les unes et les autres étudient des phénomènes naturels, biologiques ou physiques, avec une dimension prédictive où l’inerte et le vivant peuvent interagir. Leurs méthodes du coup se rapprochent : traitement massif des données, recours grandissant aux techniques de la modélisation, souvent obscures pour le profane, où par ailleurs causalité et corrélation ne sont pas simples à démêler

- Ces sciences relativement récentes et plus ou moins « matures » sont enfin confrontées à des phénomènes nouveaux, avec de grandes inconnues et des zones d’ombre : des incertitudes persistantes voisinent avec des avancées inégales dans la connaissance. Elles obligent les spécialistes - comme leurs critiques - à la plus grande modestie.

NOTES :

 

(1) La bataille fait rage sur les médias alignés pour dénoncer ces fausses informations qui font « l’infox » : à la télévision, documentaire sur la « fabrique de l’ignorance » (Arte), chroniques régulières à la radio, comme celle de Tristan Mendès-France (« Antidote » sur France inter), site des ‘décodeurs’ « au fil des réseaux » du quotidien de référence ‘le Monde’ », nanti d’une ’charte’. D’autres sites, comme celui des « déQodeurs, l’info vérifiée et vérifiable » avec son slogan  « décodons l’info, ensemble », n’oublient pas les très nombreuses ‘fake-news’ d’origine gouvernementale.

 

(2) Voir à ce sujet Serge Halimi « Le grand bond en arrière, comment l’ordre libéral s’est imposé au monde » (2004, réédité en 2012 chez Agone) et Noam Chomsky « Les 10 stratégies de manipulation des masses » (2012) raccourci saisissant des méthodes qui permettent de ‘fabriquer le consentement’.

 

(3) Ainsi l’auditeur ou l’internaute curieux se doit-il de consulter des médias non alignés comme Le Média, Sud Radio, RT France, souvent dénoncés comme complotistes, vendus à une idéologie coupable ou à une puissance étrangère… Le site ‘ France soir’ (qui a repris le titre après la liquidation en 2019 du quotidien lancé à la Libération) a dans la dernière période donné la parole à des intervenants non conformistes, comme le journaliste André Bercoff, dénoncé sur Wikipedia comme étant « collaborateur de la fachosphère, Boulevard Voltaire, Figarovox et de l’hebdomadaire ‘Valeurs actuelles’ ». Chacun appréciera ces joyeux amalgames...

 

(4) Le Larousse définit le consensus comme « accord et consentement du plus grand nombre, de l’opinion publique. Procédure qui consiste à dépasser un accord sans procéder à un vote formel, ce qui évite de faire apparaître les objections et les abstentions ». Relevant donc plutôt de ‘Science Po’, ce concept paraît totalement étranger à la science proprement dite, où la vérité ne saurait dépendre d’une opinion, et encore moins d’un vote. Dans ces conditions, on peut s’interroger sur la validité même du ‘consensus scientifique’. Au mieux un objet hybride, quelque part entre science et politique.

 

(5) Lacroix-Riz Annie (2004) : l’histoire contemporaine sous influence (Le temps des cerises, 146 pages)

 

(6) Alors que l’on pouvait croire certaines hypothèses ou théories totalement abandonnées, voire condamnées, des découvertes récentes ont permis de rouvrir le débat : refusant de me prononcer sur le fond de questions très complexes qui divisent des spécialistes très pointus, je note quand même par exemple que l’arrivée de « l’épigénétique » dans les relations entre génétique et environnement permet de dépasser en effet les présupposés idéologiques qui les avaient séparés. (voir Guillaume Suing ; L’écologie réelle, une histoire soviétique et cubaine, Delga 2018, 212 p.)

 

(7) Le terme - et la chose - viennent de Londres, où depuis des siècles les contacts entre les députés et le monde économique, en principe interdit dans la salle des débats, se faisaient dans un vestibule du Parlement, ‘le lobby’. Le terme et les vrais marchandages qu’il recouvre ont été repris aux Etats-Unis, et nous sont revenus par l’Europe de Bruxelles.

 

(8) Un cas intéressant de lobbying ‘public’ est le soutien accordé en France à l’orthodoxie climatique par le CEA (Commissariat à l’Energie atomique) et les associations qui en dépendent, surtout depuis Fukushima. Les Laboratoires du CEA fournissent régulièrement des rédacteurs aux principaux rapports du GIEC, et les polémistes les plus acharnés dans la lutte menée contre ceux qui osent mettre en doute l’origine purement anthropique de l’augmentation de la température moyenne mondiale d’un degré environ observée depuis 1880.

 

(9) L’histoire même du Groupe intergouvernemental d’Experts pour le Climat est éclairante. C’est à la suite de la catastrophe de Tchernobyl qu’est créé le GIEC, « organisation intergouvernementale autonome constituée d'une part de scientifiques apportant leur expertise et d'autre part de représentants des États participants ». Cette structure hybride a été décidée par le G7 sous la pression de Ronald Reagan et Margaret Thatcher, qui redoutaient de voir l'expertise climatique relever de scientifiques soupçonnés de militantisme écologique. Pour Nigel Lawson, secrétaire à l’Énergie puis Chancelier de l’Échiquier dans le gouvernement Thatcher, l’objectif était de contrer les syndicats britanniques des mineurs de charbon, tout en soutenant le nucléaire en tant que source d'énergie propre pour remplacer le charbon. Son objet est d’ailleurs très strictement délimité : « Le GIEC a pour mission d’évaluer, sans parti pris et de façon méthodique, claire et objective, les informations d’ordre scientifique, technique et socio-économique qui nous sont nécessaires pour mieux comprendre les risques liés au réchauffement climatique d’origine humaine...»

 

(10) Après le « Le débat est clos » de Bruno Latour en 2015, Dominique Bourg confirme en 2020 : « en matière de climat, nous connaissons la trajectoire. Ce qu’annonçaient les premiers modèles dans les années 60 et 70 se réalise aujourd’hui ; il n’y a pas à avoir confiance ou pas confiance : ça se produit ! (« Doit-on avoir peur, » page 14 ). Il faudrait sans doute y regarder de plus près.

 

(11) Journaliste et essayiste belge, Michel Collon a commencé sa carrière au journal du Parti du Travail de Belgique, l'hebdomadaire ‘Solidaire’, avant de créer le collectif indépendant ‘Investig'Action’, relayé par un site Internet de « réinformation » qu'il gère avec une équipe formée en grande partie de bénévoles. Sur le thème «Covid 19 : la peur ou le débat ? », il a le 19 mars organisé une rencontre avec le Docteur Louis Fouché, anesthésiste-réanimateur à l’Hôpital de la Conception de Marseille et fondateur du collectif « Réinfo-Covid », qui allait en partie à l’encontre des thèses développées une semaine plus tôt sur la même chaîne « Michel Midi » d’Investig’Action par le docteur et immunologue Badia Benjelloun. Preuve que les médias, quand ils le veulent, peuvent lancer des débats scientifiques et contradictoires.

 

(12) A retrouver in extenso sur « Climat Environnement Energie », le site des ‘climato-réalistes’, septembre 2019.
 

(13) C’est pourquoi l’idée - partagée par une partie de l’opinion avertie - et a priori sympathique - d’une ‘science citoyenne’ peut produire des effets positifs, mais aussi entretenir l’illusion - un peu démagogique - d’une science populaire, ou démocratique, dont le succès dépendrait de la participation de tous. Il n’y a pas lieu non plus de céder à la croyance aveugle dans une science toute-puissante qui permettrait de régler tous les problèmes du monde. La fuite en avant technologique dans l’innovation et le tout numérique relève de cette idéologie scientiste, vieille tentation française issue du positivisme d’Auguste Comte, et illustrée par les anticipations visionnaires du chimiste Marcellin Berthelot (1827-1907. Et plutôt qu’abandonner l’intelligence artificielle aux mains des détenteurs de capitaux et de ceux qui les servent, il serait plus sage de compter sur l’intelligence collective associant savants et citoyens.
 

(14) Stiegler Barbara (2021) : de la démocratie en pandémie. Santé, recherche, éducation (Tracts, Gallimard, 60 pages)

 

(15) il s’agit de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche 2021-2030 (LPPR). En dépit de l’hostilité de la quasi-totalité des enseignants et des chercheurs et de leurs organisations, la loi fut votée le 20 novembre 2020.

 

(16) Dirigeant d’entreprise, haut fonctionnaire et ancien des services secrets de la DGSE, Alain Juillet dénonce de son côté « la disparition de la souveraineté sanitaire, avec non seulement des délocalisations menées massivement depuis des décennies mais aussi une déconfiture totale de la recherche scientifique. La patrie de Pasteur en est réduite à quémander fébrilement des doses de vaccins qu’elle n’a ni conçus, ni même négociés, léguant le pouvoir commercial aux instances bruxelloises cornaquées par l’Allemagne… » (28 mars).

 

(17) J.J. Birgé « la peur mauvaise conseillère » (le club de Médiapart , juin 2017). Le sociologue Gérald Bronner avait déjà, dans La planète des hommes. Réenchanter le risque’ (PUF, 2014), tenu des propos semblables.

 

(18) Pour ce dernier volet, je voudrais rappeler le court essai de Barbara Stiegler  ‘de la démocratie en pandémie. Santé, recherche, éducation’ (Tracts Gallimard, n° 23, février 2021, 59 pages, 3,90 €). On peut y lire, pages 6 et 7 : « A la différence de ce que suggère dans nos imaginaires le terme de « pandémie », un mal qui frapperait tout le monde partout et n’importe quand (le pan- désignant le peuple entier, et en l’occurence toute la population mondiale), ce virus ne peut avoir de conséquences graves, dans l‘immense majorité des cas, que sur des organismes déjà affaiblis, soit par le grand âge, soit par des facteurs de morbidité. Le caractère extraordinaire de cette épidémie est donc moins endogène au virus comme entité biologique qu’aux circonstances sociales et politiques qu’il révèle et que le confinement a d’ailleurs durablement aggravées, en augmentant les inégalités, en accélérant le délabrement du système de santé et en abandonnant à eux-mêmes une grande partie des patients. »

 

(19) Le « Quotidien du Médecin » publiait en mars 2020 la courbe du nombre de lits par habitant, passé de 11 pour mille en 1980 à 6 pour mille aujourd’hui. 4 200 suppressions de lits en 2018, 3 400 en 2019 sont à mettre au compte de l’actuel quinquennat, qui en 2020 a poursuivi les fermetures, et programme pour 2021 celles des hôpitaux parisiens Beaujon et Bichat.

 

(20) Ces demandes sont présentées comme incompatibles entre elles : il faudrait donc choisir. N’y a-t-il pas pourtant possibilité de trouver les moyens de répondre à ces trois exigences : elles possédent chacune leur légitimité, et ne sont peut-être contradictoires qu’en apparence.

 

(21) La plus grosse escroquerie en cours dans nos grands médias est d’imputer « au virus » la fin de toute vie publique démocratique, pourtant politiquement organisée depuis des années, la pandémie ayant simplement fourni de nouveaux alibis à de nouvelles restrictions.

 

(22) Les prévisions alarmistes du GIEC n’ont jamais fait l’unanimité. Voir sur le site de l’ANC, rubrique environnement, (juin 2019) : Drweski Bruno, Lenormand Pierre, Suing Guillaume : ‘lutter pour le climat : les raisons d’une défiance’. La déclaration des 500 « il n’y a pas d’urgence climatique » (voir partie trois et note 12) avançait cinq arguments : « le réchauffement climatique est provoqué par des facteurs naturels aussi bien qu’anthropiques ; le réchauffement est bien plus lent que prévu ; la politique climatique s’appuie sur des modèles inadéquats ; le CO2 est l’aliment des plantes, le fondement de toute vie sur terre : le réchauffement climatique n’a pas provoqué davantage de catastrophes naturelles» . Signalons aussi le récent ‘merci au CO2’ de François Gervais (l’Artilleur, 2020 117 pages) qui souligne les coûts démesurés d’une politique climatique dogmatique reposant sur un diagnostic erroné.

 

(23) Face à des états dont il est convenu de condamner l’inaction, la Commission européenne lance en pleine pandémie, le 9 décembre 2020, le ‘pacte européen pour le climat’, qui invite à l'échelle de l'UE « les individus, les communautés et les organisations à participer à l'action en faveur du climat et à construire une Europe plus verte ». Suivant la logique anti- et supra-nationale de l’UE, c’est la ‘société civile’ qui est appelée à la rescousse de l’orthodoxie climatique.

 

(24) Le caractère démagogique, voire hypocrite de cette décision est éclatant si l’on veut bien considérer l’intérêt de ces quatre unités de production : les 2 unités de Carling-Saint Avold en Lorraine, Cordemais sur l’estuaire de la Loire, et Gardanne dans les Bouches du Rhône. Elles étaient susceptibles, en période de forte demande hivernale, d’apporter un supplément de production indispensable. A Carling, le maintien de l’exploitation permettrait, suite à la fermeture de Fessenheim, d’éviter l’importation d’Allemagne de MWh produits à partir du charbon ou du lignite (!). A Cordemais et Gardanne, deux centrales très modernes, les salariés ont déposé plusieurs projets susceptibles de sauvegarder la production et l’emploi en remplaçant au moins en partie le charbon par des combustibles issus du bois ou des déchetteries. A Cordemais, les décisions dépendent d’EDF. A Gardanne, les travailleurs ont pendant deux ans affronté la volonté des investisseurs privés tchèques de liquider la tranche charbon, effective en décembre 2020. La centrale biomasse devrait redémarrer.

 

(25) Le candidat à la prochaine présidentielle Mélanchon a proposé en mars 2021 une sortie totale du nucléaire civil avant 2030, et un objectif 100% d'énergies renouvelables. Selon le magazine mensuel ‘Capital’ cette mesure coûterait 217 milliards d'euros. Une telle décision supposerait une réduction de la production électrique totalement déraisonnable, mais conforme au plan NégaWatt des Verts.

 

(26) Toute autre chose est l’écologie scientifique, qui en étudiant les écosystèmes, nous permet de réfléchir sur nos relations entre les sociétés et la nature. Voir Acot Pascal, Arzalier Francis, Drweski Bruno, Lenormand Pierre, Suing Guillaume : ‘Ecologie : pour une approche réellement progressiste’ (brochure éditée par l’ANC et le Cercle Manouchian, automne 2019, 57 pages).

 

(27) On relèvera ses considérations sur les totalitarismes (page 320) et sur les « néo-conservateurs américains héritiers des Lumières »(p. 321) Au nom d’un progrès assimilé au mouvement, Didier Raoult écrit : « les progressistes se retrouvaient à gauche au XIX ème siècle et au début du Xxème. (…) Une forme de conservatisme très marqué se retrouve maintenant à gauche (défense des acquis) et d’une façon ultime chez les écologistes et leur principe de précaution.» C’est la définition même du progrès qui est ici en cause.

 

(28) A y regarder de plus près, il n’en est rien : ainsi de l’injonction faite aux peuples qui cherchent à sortir de leur dépendance économique de garder le charbon ou le pétrole « sous terre », comme il était demandé au président Rafael Correa dans l’affaire du Parc Yasuni : les Equatoriens ont encore en tête l’hypocrisie des grands de ce monde. Dans notre pays, ce sont les projets de taxe carbone (donc vertueuse !) sur les carburants qui ont jeté des milliers de gilets jaunes sur les ronds points. On a vu aussi comment le coronavirus touchait en priorité les plus pauvres, les plus fragiles, et comment les quartiers et les départements populaires ont été avec les confinements les plus exposés aux contaminations. Mais les forces de l’ordre seront indulgentes pour tous les propriétaires ou locataires de résidences secondaires qui voudront une nouvelle fois quitter leur région de confinement. Au niveau international, les disparités de distribution de vaccins entre pays développés et pays dominés ont été jugées ‘grotesques’ par le directeur général de l’OMS.

 

(29) Les gigantesques profits privés tirés du formidable marché des vaccins peuvent ainsi trouver de curieux avocats : le physicien -climatologue au CEA François-Marie Bréon, procureur acharné de tous les climato-critiques, et par ailleurs rédacteur en chef - ce qui est plus inquiétant - de la revue rationaliste « Sciences et pseudo-sciences » est l’auteur le 29 janvier 2021 d’un tweet dont il ne s’est pas à ma connaissance repenti : « Bon, j’espère que tout le monde réalise bien que Big Pharma est maintenant notre seul espoir pour sortir de cette merde. On va arrêter de taper dessus pendant quelque temps. (…) Perso j’admire et je suis reconnaissant à ceux qui ont développé un vaccin si rapidement et ça mérite rémunération.»

 

(30) Dans un article très éclairant « pourquoi sommes-nous si soumis ?» (club Médiapart, 27 décembre 2020). le psychanalyste belge Jordi Grau relève que « de plus en plus de citoyennes et de citoyens prennent conscience (des) conséquences désastreuses sur la nature, les sociétés humaines, et sur la liberté individuelle et collective (du capitalisme) Pourtant cette machine monstrueuse continue à fonctionner… »

 

(31) Dans son livre Le pouvoir de la destruction créatrice. Innovation, croissance et avenir du capitalisme’ (Odile Jacob, 2020) Philippe Aghion donne une image d’un suavité extrême que les travailleurs en proie aux fermetures d’entreprises et aux suppressions d’emplois apprécieront sûrement : « La destruction créatrice est le processus par lequel de nouvelles innovations viennent constamment rendre les technologies et activités existantes obsolètes. C’est le processus par lequel les emplois nouvellement créés viennent sans cesse remplacer les emplois existants. Ce livre invite le lecteur à repenser l’histoire et les énigmes de la croissance à travers le prisme de la destruction créatrice et à remettre en cause nombre d’idées reçues. Pourquoi les révolutions technologiques et l’automatisation créent plus d’emplois, etc, etc...».

 

(32) Une politique plus dirigiste, voire explicitement « anti-démocratique » est revendiquée depuis longtemps par des militants ‘pro-climats’, et des infectiologues ont récemment appelé à de plus grandes restrictions des libertés, dans le même temps où est dénoncé le caractère « totalitaire » de la politique sanitaire de la Chine ou du Vietnam.

 

(33) Dans un entretien au Figaro Magazine, Chritophe Guilluy précise ce qu’il entend par là : « la classe moyenne occidentale, autrefois colonne vertébrale de nos sociétés, n’existe plus, elle est déclassée. C’est pourquoi j’utilise le concept de «gens ordinaires», qui regroupe des catégories différentes, formant hier la classe moyenne: des ouvriers, des employés, mais aussi des paysans, des retraités, des petits fonctionnaires comme des petits artisans ou indépendants. Ils peuvent être aussi bien dans les services publics que dans le secteur privé. Certains viennent de la gauche, d’autres de la droite. Ce bloc relève aussi d’origines très diverses (bien que minoritaires, il y avait des personnes issues de l’immigration, dans le mouvement des «gilets jaunes», celles-ci n’avaient pas d’étendard identitaire et se définissaient avant tout par leur catégorie sociale) ».

 

(34) La question est posée par Gilles Questiaux « Qui sont et où sont les prolétaires aujourd’hui » sur le site ‘Réveil Communiste’ (9 avril 2021). L’appartenance aux classes exploites n’entraîne pas automatiquement la conscience de classe nécessaire au renversement de l’ordre existant. A fortiori pour les couches petites bourgeoises dépendantes et soumises - y compris de leur plein gré - au catéchisme de l’ordolibéralisme… Gilles Questiaux souligne à cet égard l’importance de l’existence d’une organisation politique capable de surmonter, dans les idées comme dans les luttes, toutes ces difficultés.

 

(35) Frédéric Lordon a des formules simples et fortes : « le capitalisme nous détruit, détruisons le capitalisme ! ». Il sait aussi décrire une réalité complexe : dans le Monde diplomatique (mars 2021, page 19) qui reprend sous le titre « Pour favoriser une entente des luttes » un chapitre de son livre ‘Figures du communisme (La Fabrique, 2021), il met en garde contre l’ignorance, le rejet, ou le mépris a priori de causes et de luttes diverses qui animent la société, et notamment la jeunesse.

 

(36) Voir le Manifeste pour un socialisme de notre temps, brochure de 12 pages (2017) éditée par l’Association Nationale des Communistes (ANC) que l’on peut se procurer en écrivant (joindre un chèque de 3 euros) à Boualem Guennad, ANC 13 - 9, rue Saint André 13014 Marseille. Il en existe aussi une édition électronique accessible sur le site <ancommunistes.org>.

 

(37) On renvoie à nouveau à Frédéric Lordon, pour un extrait de la présentation de son livre (note19) : « ...Sortir du capitalisme a un nom : communisme. Mais sortir du capitalisme demeure un impensable tant que le communisme demeure un infigurable. Car le communisme ne peut pas être désirable seulement de ce que le capitalisme devient odieux. Il doit l’être pour lui-même. Or, pour l’être, il doit se donner à voir, à imaginer : bref se donner des figures. La fatalité historique du communisme est de n’avoir jamais eu lieu et pourtant d’avoir été grevé d’images désastreuses. À la place desquelles il faut mettre enfin des images de ce qu’il pourrait être lui, réellement ».

 

(38) Le journal L’Humanité du 18 mars titrait en une : «150 ans après, la Commune fait toujours peur aux puissants ».

Ne désespérons jamais.

 

(39) La formule est de Karl Marx, dans la « critique de la philosophie du droit de Hegel », reprise par Robert Paris, sur le site « Matière et Révolution », juin 2017.

 

(40) Tiré de Jean Pénichon (2021) : « Socialisme : 100 ans d’histoire des communistes en France », brochure à paraître (ANC & Cercle Manouchian, page 1).

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