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  • : Philo-socio-anthropo-histoire. Revue en ligne éditée par une partie de l'ancienne rédaction de "La Pensée" exclue en 2004, élargie à d’autres collaborateurs et consacrée au renouvellement de la pensée critique de la globalisation, du politique, de l’économique, du social et du culturel.
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  • Cette revue de Philo-socio-anthropo-histoire est éditée par une équipe de militants-chercheurs. Elle est ouverte à tout auteur développant une pensée critique sur la crise de civilisation du système capitaliste occidental.
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8 décembre 2020 2 08 /12 /décembre /2020 11:33

Le principe de base de la méthode scientifique est que ne peuvent émettre des opinions sur un sujet bien précisé que ceux qui ont acquis les connaissances scientifiques nécessaires dans un domaine précis. Eux seuls sont en état de pouvoir peser le pour et le contre et de débattre de la pertinence d’une hypothèse. Le grand public, et cela comprend aussi bien sûr les politiciens et les journalistes, ont, eux, le droit de poser des questions et éventuellement de faire part de leurs peurs et de leurs doutes, voire de leurs hypothèses.

La panique pandémique mondialisée actuelle s’est répandue de façon très inégale sur la planète, variant en fonction de la sagesse relative mais démontrée de certains gouvernements et de certaines sociétés face à une situation qui a été mal gérée ailleurs, ou trop bien manipulée par les élites possédantes du capitalisme tardif aux intérêts sonnant et trébuchant immédiats. On a ainsi fait faire au cours de l’année écoulée un nouveau bon régressif de quelques siècles dans la pensée publique. D’où les discussions actuelles dans les médias et sur internet sur le sexe des anges, l’origine du covid-19, la validité des masques ou du confinement, la qualité des poudres de perlimpimpin ou la valeur des vaccins souhaités.

On remarquera dans ce contexte que les décideurs et les médiocrates aux ordres des pays de l’UE nous bombardent « d’informations » sur les vaccins made in USA & associés, sans jamais mentionner la validité éventuelle des progrès en cours des vaccins cubains, russes, chinois ou autres, pourtant souvent plus avancés dans les recherches, et souvent moins chers. Du coup, on ne peut s’étonner qu’avec de tels dirigeants, les peuples, en particulier ceux d’un « Occident » qui ressemble de plus en plus à une civilisation morte en terme de créativité réelle, ne croient plus dans les énoncés officiels et se laissent aller à suivre d’autres courants, d’autres vagues et du coup, parfois, divaguent. Nous estimons donc dans cet article qu’il faut tenter de raison garder et de reprendre humblement le chemin d’une réflexion critique, et donc critiquable.

La Rédaction

 

Vacciner est-ce prévenir ?

-

Décembre 2020

 

Dr. Badia Benjelloun

 

Un bond de 6% dans les marchés financiers a été enregistré en une matinée le 9 novembre à l’annonce de l’efficacité à 90% du vaccin expérimental Pfizer-BioNTech. De telles progressions réalisées en une matinée sont rarement observées.

 

Le 3 décembre, Pfizer déclare, à la suite d’une détection de problèmes sur la chaîne de production, ne pouvoir respecter son programme de distribution. L’information a pesé sur la tendance à Wall Street, faisant passer au rouge le SP500. Ainsi en va-t-il de l’allocation des ressources dans le capitalisme décadent du vingt-et-unième siècle. Elle varie au bon gré de rumeurs et de communications émises par des firmes que les investisseurs à l’affût de profits à très court terme, pris dans une course aveugle à la bonne affaire, ne prennent que peu de soins à vérifier. Si les finances publiques étasuniennes avaient favorisé précocement Johnson & Johnson, Moderna et Astra Zeneca dans l’attribution de fonds pour la recherche de vaccin contre la COVID-19, la commande de 100 millions de doses à Pfizer pour 1,98 milliards de dollars en juillet représente un investissement non négligeable dans le développement et la production.

 

Toute raison perdue

Quel est donc le résultat qui a bien pu susciter un tel enthousiasme ? Dans leur communiqué de presse, Pfizer-BioNTech ont déclaré avoir identifié 94 cas de Covid-19 parmi les 43 538 participants à l’essai de phase 3, une semaine après avoir reçu la deuxième dose du vaccin ou du placebo, laquelle intervient 3 semaines après la première dose. A ce stade, la répartition entre ceux qui relèvent du groupe placebo ou du groupe vaccin aurait permis de suggérer que l’efficacité du vaccin est de 90%.

 

Il faut distinguer l’efficacité mesurée au cours d’études rigoureuses en double aveugle (efficacy) de l’efficacité effective (effectiveness) d’un vaccin, cette dernière mesure le pouvoir réel de protection à l’échelle d’une population en période épidémique. Ce qui est en effet visé lors d’une mise en route d’une routine vaccinale, c’est la réduction de la transmission interhumaine, du risque d’exposition et donc de la maladie pour les sujets non vaccinés.

 

La mesure de l’efficacy ne peut évaluer la diminution de l’efficacité vaccinale avec le temps. Elle ne tient pas compte non plus de la moindre protection conférée à des sujets mauvais répondeurs, sujets âgés ou porteurs d’un facteur d’immunosuppression par exemple.

 

Que veut-on ?

Cette distinction entre l’efficacité théorique, celle des essais, et celle observée quand le vaccin est administré en masse dans des situations d’épidémie est étayée par des études de grandes cohortes. Grâce à ce type d’études, il a été montré l’effet protecteur très élevé de la rougeole (de 93 à 98%) et de la rubéole (96%) contrairement au vaccin contre les oreillons (75%) qui avait été estimé à plus de 90% dans les essais.

 

Il importe de préciser quels sont les critères d’efficacité retenus pour un vaccin. S’agit-il de réduire la mortalité ou les hospitalisations en soins intensifs ? Diminuer la transmission et la circulation du virus ? Prévenir les séquelles à moyen ou court terme ?

 

Le choix des personnes incluses dans l’essai importe pour déterminer si l’essai a été bien conçu. S’agit-il de personnes particulièrement exposées au virus, comme le personnel soignant ?

 

L’essai a-t-il été réalisé dans des lieux à forte circulation du virus ? A-t-on sélectionné parmi les volontaires des personnes susceptibles de faire des formes graves ?

 

L’appréciation à une semaine seulement de la fin du protocole vaccinal sur moins d’une centaine de personnes n’autorise pas à parler d’efficacité au sens le plus commun de ce terme. A l’évidence, il manque le volume de patients et le recul temporel nécessaires pour lancer ce type d’affirmation.

 

Vite !

La décision précipitée du Royaume-Uni à autoriser l’emploi de ce vaccin revient à réaliser les derniers essais cliniques normalement supportés par les laboratoires qui doivent apporter la preuve de l’innocuité et de l’efficacité de leur produit sur des fonds publics britanniques et sur des sujets qui ne sont plus des volontaires. Cette distorsion dans les procédures est de plus en plus fréquemment observée. Les essais cliniques de la troisième phase, les plus coûteux, doivent être menés jusqu’à leur terme avant l’obtention de mise sur le marché. Les firmes tirent souvent argument de l’urgence thérapeutique pour faire supporter par les organismes de sécurité sociale cette dernière étape.

Interrogé sur la chaîne américaine NBC, le président de Pfizer a été obligé de reconnaître les incertitudes concernant la réduction de la transmission du virus par le vaccin.

 

Le Professeur Fauci, dirigeant de l’Institut national américain des maladies infectieuses et des allergies, a critiqué vivement l’empressement du gouvernement britannique qui a validé l’emploi à vaste échelle du vaccin Pfizer sans étude rigoureuse des données de l’essai. Il a atténué ses propos dès le lendemain en présentant des excuses auprès des autorités scientifiques et sanitaires britanniques qu’il ne voulait pas accuser de négligence.

 

L’histoire du groupe Pfizer, fondé par deux cousins au siècle dernier dont l’un était confiseur, est celle d’un géant pharmaceutique. Il s’est hypertrophié ces vingt dernières années à coup d’absorptions, rachats, licenciements, suppressions de sites de production. Il est leader dans le domaine du médicament. Son chiffre d’affaires et de capitalisation boursière lui a permis d’assurer l’acquisition d’une technologie développée par la firme allemande BioNTech. Sa puissance financière l’autorise à être convaincant auprès de la presse financière et sans doute de dirigeants politiques. Sa compétence en matière de vaccins se limite à un vaccin anti-pneumocoque, de structure particulière, car s’adressant à une capside de la bactérie streptococcique faite de polyosides (sucres, structures très stables par rapport aux protéines). Il protège principalement les nourrissons contre des méningites et des pneumopathies. La vaccination contre le pneumocoque est devenue obligatoire depuis 2018, le Prevenar de Pfizer coûte une cinquantaine d’euros (49,92€), le Pneumovax de Sanofi-Pasteur est commercialisé pour une vingtaine (18,22€).

 

Non inédit même si pas éprouvé

L’enveloppement d’un morceau d’ARN codant pour une protéine dans des vésicules lipidiques, loin d’être une technologie inédite, a été déjà tenté pour le vaccin de Moderna contre le cytomégalovirus. La phase deux des essais cliniques a été débutée en janvier 2020, la production était prévue pour début 2021 après une phase trois qui devait se réaliser sur 8 000 femmes en âge de procréer recrutées en Europe et en Amérique du Nord. Le but de cette vaccination est de prévenir les malformations survenant chez 20% des nouveaux nés après infection maternelle lors de la grossesse. Les annonces des résultats des premiers essais ont fait flamber la valeur de l’action Moderna au Nasdaq.

 

Il ne s’agit pas d’une thérapie génique, laquelle suppose l’intégration d’un matériel génique exogène dans l’ADN du receveur en manipulant des cellules ex vivo puis en les réintroduisant dans l’organisme. Ici, l’ARN inoculé enveloppé dans des liposomes fait travailler les cellules dans lesquelles il pénètre exactement comme le ferait le virus tout en restant dans le cytoplasme sans entrer dans le compartiment nucléaire. Il parasite provisoirement son métabolisme et en lui faisant synthétiser une protéine étrangère. Le système immunitaire alors confronté à un non-soi est stimulé et il réplique par une réponse spécifique.

 

D’autres voies plus aisées

Depuis de nombreuses années, des techniques bio-industrielles éprouvées permettent de synthétiser des protéines plus ou moins complexes. L’insuline recombinante humaine a été produite par génie génétique et commercialisée dans les années 1980.

 

De nombreuses équipes se sont attachées à faire synthétiser au moyen de vecteurs par des insectes de préférence à des cultures cellulaires de mammifères cette fameuse protéine de surface du Sars-Cov-2 spike responsable de l’attachement puis de la pénétration du virus. Toutes les variétés vaccinales à l’essai s’adressent à elle, de manière plus ou moins directe, puisque les anticorps neutralisants identifiés chez les convalescents sont dirigés contre elle. Cette technologie industrielle est parfaitement maîtrisée depuis des décennies, ce qui n’est pas le cas de celle de l’ARN. Il existe bien d’autres moyens de faire produire par l’homme une réaction immunitaire contre le virus de la Covid-19. L’utilisation de virus inactivé, méthode ancienne (grippe, poliomyélite) a été adoptée par des laboratoires en Inde et en Chine, est ancienne et dénuée d’effets secondaires même si elle est réputée moins efficace. L’insertion du morceau codant pour la région de la spike se liant au récepteur ACE2 dans un virus inoffensif, l’adénovirus humain choisi par Astra-Zeneca et le Sputnik V russe en est une autre.

 

Ecart entre le soin et les objectifs ?

Dans le cas où l’hypothèse d’une vaccination contre la COVID-19 est retenue, c’est-à-dire que des preuves non frelatées indiquent qu’elle est raisonnablement susceptible de conférer une immunité solide, durable et sans exposer le sujet sain à des effets secondaires immédiats et lointains inacceptables, autant s’adresser à des technologies éprouvées pour leur robustesse et leur industrialisation. En effet, il ne suffit pas de démontrer l’efficacité vaccinale sur quelques centaines ou des milliers d’individus. Il importe qu’elles économisent temps et moyens humains et financiers pour combattre une pandémie puisqu’elles sont destinées à couvrir plus de la moitié de la population mondiale, soit 3,5 milliards d’individus. La conception des bâtiments et des machineries nécessaires pour répondre à des besoins d’une telle ampleur puis leur réalisation est un facteur à prendre en compte.

 

Le PDG de Pfizer tenait à ce que trois conditions fussent remplies avant la mise à disposition du vaccin au grand public. L’efficacité du produit n’est pas rigoureusement démontrée, car il n’est pas précisé si les volontaires des deux bras sont exposés à un risque épidémique équivalent, prérequis essentiel avant de pouvoir conclure qu’il est efficace chez une majorité.

 

On ne peut déclarer la ‘sûreté’ du produit qu’au terme de longs mois au moins après les deux injections du produit, l’exemple du Celebrex® le rappelle douloureusement. Enfin, l’incident récent qui a fait baisser le nombre de doses en mesure d’être livrées avant la fin de l’année jette un doute sérieux sur la qualité et la constance de la qualité du processus de fabrication. Est-il réellement maîtrisé, auquel cas cela laisse supposer que la fabrication industrielle a été mise au point avant que l’efficacité n’aie été prouvée. Bien sûr, les conditions de conservation de ce produit biologique (- 70° Celsius) vont freiner son emploi voire le faire abandonner par la grande majorité de la population cible.

 

Pfizer a commercialisé l’anti-inflammatoire Celebrex ® en ignorant comme la firme Merck qui a commercialisé Vioxx ® ses effets cardiovasculaires parfois mortels déjà apparus à la phase 3 sans bénéfice ajouté par rapport aux anti-inflammatoires non stéroïdiens classiques. Pfizer est connu pour avoir conduit en 1994 un essai clinique pour un traitement antibiotique contre la méningite auprès d’un groupe de deux cents enfants dans l’État de Kano au nord du Nigéria. Les familles ignoraient que leurs malades participaient à un test contre une pathologie grave pour laquelle une éthique médicale minimale recommanderait la comparaison avec une molécule homologuée. Quelques enfants sont décédés mais une bonne part a gardé des séquelles neurologiques importantes. A son comportement délictueux, la firme a ajouté des procédures infamantes.

 

Quelques fondamentaux

Plus fondamentalement, il n’y a pas de raccourci pour déterminer la durée de l’immunité acquise par la maladie ou par la vaccination. Seul un suivi méticuleux sur des mois et des années donnera la réponse. Une chute d’anticorps spécifiques accompagnée d’une réinfection a été reportée dans quelques cas sans que soit établie la fréquence de survenue d’un tel événement régulièrement observé avec les coronavirus bénins des rhumes d’hiver. Il a été observé une absence de corrélation entre la hauteur de la réponse en anticorps et sa durabilité ainsi que leur nature, neutralisants ou non, et la sévérité de la maladie ce qui rend peu fiable le suivi sur la simple titration en anticorps.

 

Des cellules mémoires spécifiques du Sars-COV 2 (T et B) ont été observées chez des patients pour lesquels un monitoring immunologique étroit a été déployé. Il semble acquis qu’un vaccin doive induire une réponse cellulaire T durable pour être efficace, or les essais de phase deux n’observent que rarement cette réponse.

 

Par ailleurs, l’essentiel des vaccins en préparation dans le monde se sont focalisés sur la protéine S (spike) alors que l’infection naturelle induit une large réponse vis-à-vis de nombreux autres épitopes du virus et c’est sans doute la qualité de cette réponse et les interactions entre ses différents composants qui doivent être la clé de la qualité de la réponse et de sa durabilité.

 

Il est nécessaire de rappeler que des essais de vaccination avec le Sars-CoV 1 ont été abandonnés car expérimentés chez le furet, ils déclenchaient des hépatites auto-immunes. Chez le macaque infecté, l’administration d’immunoglobulines contre le Sars-CoV-1 aggrave les lésions pulmonaires, induit un orage de cytokines et réduit la cicatrisation des plaies.

 

Un travail récent mené à Singapour a pu mettre en évidence que chez 23 patients ayant eu l’infection par Sars-CoV-1 il y a 17 ans, 23/23 ont des cellules T réactives avec le sars-CoV-1 mais aussi avec le Sars-Cov-2. De plus 19/37 sujets n’ayant jamais contracté ni le Sars-Cov-1 ni le Sars-CoV-2 ont des cellules T réactives avec le Sars-CoV-2. Le statut immunitaire antérieur des sujets vis-à-vis des coronavirus bénins doit jouer un rôle non négligeable dans la réponse à la COVID-19 comme à la vaccination contre le Sars-CoV-2.

 

Une analyse plus fine des patients enrôlés dans la vaccination, en particulier interroger leur profil en anticorps spécifiques des différents coronavirus permettrait de comprendre protection et réaction vaccinales.

 

Profit et santé publique

La course au profit et le prétexte de l’urgence épidémique dispensent de telles précautions les firmes. Bien définir avec rigueur les limites méthodologiques des pratiques interventionnelles éviterait les pertes de temps comme ce qui a été observé avec l’hydroxychloroquine et le remdesevir.

 

L’industrie du médicament et des dispositifs médicaux est devenue aujourd’hui le secteur le plus rentable avec un taux de profit estimé à 18% en moyenne versus le bancaire (13,5%) ou l’armement. Si la compétition entre firmes (privées et publiques) peut être stimulante pour la découverte ou la mise au point d’un procédé, elle devient concurrence féroce entre fibres prédatrices.

 

Personne n’attend de cette industrie qu’elle ait une vocation philanthropique mais en période de pandémie, diriger des moyens humains, précieux et limités, et financiers dans des voies de pure spéculation figure l’un des aspects particulièrement abjects de ce capitalisme tardif (à côté des guerres périphériques pour la démocratie ou contre le terrorisme).

 

Parmi les 250 vaccins en cours de préparation dans le monde, l’Inde et la Chine ont mis au point un vaccin selon la technique éprouvée du virus inactivé. Les essais de la phase trois pour le vaccin chinois de la firme Sinovac, toujours en cours en Turquie, au Brésil et en Indonésie, sont prometteurs. En cas de succès probable, il sera distribué à plus d’un milliard d’individus. Son développement se fait en toute discrétion car il ne concerne pas Wall Street.

 

Badia Benjelloun

 

 

Notes :

 

https://www.lci.fr/sante/covid-19-le-vaccin-de-pfizer-et-biontech-a-t-il-ete-developpe-avec-des-fonds-publics-comme-le-pretend-alexis-corbiere-2169516.html

 

https://www.nature.com/articles/d41586-020-03166-8

 

https://www.modernatx.com/cytomegalovirus-cmv

 

https://investors.modernatx.com/news-releases/news-release-details/moderna-completes-enrollment-cytomegalovirus-cmv-vaccine-mrna/

 

https://thehill.com/news-by-subject/healthcare/528619-pfizer-chairman-were-not-sure-if-someone-can-transmit-virus-after

 

https://www.reuters.com/article/us-health-coronavirus-britain-fauci-apol/fauci-apologizes-for-casting-doubt-over-uks-approval-of-pfizer-vaccine-idUSKBN28D3AH

 

https://www.youtube.com/watch?v=2fcFa2xI6sY

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Prot%C3%A9ine_recombinante

 

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7534368/

 

https://www.20minutes.fr/economie/41973-20041220-economie-un-nouvel-anti-inflammatoire-incrimine

 

https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/les-dessous-d-un-megaratage-pharmaceutique_1381024.html

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Trovafloxacine

 

https://www.crumpe.com/2020/12/pfizer-a-deja-rencontre-des-problemes-de-fabrication-de-vaccins-contre-le-coronavirus-crumpe/

 

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC525089/

 

https://insight.jci.org/articles/view/123158

 

https://www.nature.com/articles/s41586-020-2550-z

 

https://www.sudouest.fr/2020/11/18/covid-19-le-vaccin-chinois-coronavac-est-sur-et-declenche-bien-une-reponse-immunitaire-8086392-10980.php

 

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22 novembre 2020 7 22 /11 /novembre /2020 19:24

La France jouit encore aujourd'hui d'une aura hérité de l'histoire ce qui explique pourquoi les intellectuels et les chercheurs attachés au progrès social attendent toujours de bonnes nouvelles en provenance de Paris. D'où l'intérêt de cet article qui montre que, en Russie, quand on réfléchit sur une nouvelle forme de planification économique pour faire face au désastre économique actuel renforcé par la gestion chaotique de la pandémie, on regarde encore vers la France ...où le pouvoir a semblé reconnaître certes qu'il fallait reprendre le chemin d'une économie un tant soit peu planifiée après avoir ri de cette idée pendant trente ans alors que c'est ce qui avait aidé la France à se devenir une puissance industrielle respectée. Mais encore une fois, il ne s'agissait que d'un effet d'annonce de la part d'un groupe dirigeant sans imagination qui navigue à vue et ne vise qu'à gérer le provisoire.

Qu'à cela ne tienne, en Russie, malgré le démantèlement de l'URSS, on travaille toujours d'arrache pied sur l'élaboration de nouvelles méthodes de planification qui pourront être prêtes le jour où, à Moscou, le vent de l'histoire recommencera à souffler.

La Rédaction


FRENCH BUREAUCRATIC PLANNING

OR

CYBER PLANNING OF ECONOMY?

-

Novembre 2020

 

Professor Elena Veduta, Doctor of Economic Sciences &

Grigor Eritsyan, Master of the faculty of Public Administration of Lomonosov Moscow State University*


Pandemic syndrome: awareness of the need for economic planning.
     The coronavirus crisis of 2020 will be a turning point for the world and globalization, as it has put many States at risk of economic and political collapse. In this regard, the scientific community and the political leaders of many countries are in search of new tools to influence the economy in order to ensure access to the growth trajectory of the public good. The existing system of capitalism, where the driving motive is to maximize profits and money, has proved to be unviable, posing a threat to humanity and unable to solve economic, social and environmental problems.


     The so-called new "green deal", promoted by the IMF, the world Bank, the Democratic party and others, only leads to increased social and technological inequality in developed and developing countries, and in fact, will only deepen the global crisis and environmental problems. Modern Western economic thought that serves capitalism cannot offer new tools for regulation the economy. The appeal of scientists and the public to study the planned experience of the USSR and the reasons that led the USSR to abandon it is becoming more and more relevant, since planning is considered by many as a tool that allows the world economy to get out of the global crisis. France was among the first countries to declare the need for the planning method.


French imitation of economic planning to speed up crisis development.
     In July of this year, the French Prime Minister, in an address to French parliamentarians, recognized the harmfulness of the country's economy's excessive dependence on foreign capital and the economic policies of foreign countries, such as China and the United States. Considering, among other things, the consequences of the pandemic for the French economy, he recognized the necessity to revive material production in the country. He named planning as a tool for reviving the economy. To this end, the General Commissariat for planning, which was dissolved in 2006, was restored, headed by Francois Bayrou.


      However, as a public politician and follower of a market economy, Bayrou does not have the necessary economic knowledge to develop a plan for the development of France's material production to improve the lives of its citizens. From this Institute, you can expect some scenario forecasts of the country's economic development, on the basis of which decisions will be made on the development of certain sectors of the economy, but with such planning, the country's economy will be disproportionate and continue to fall down, without solving the problems of the development of material production. Consequently, such support for to the French Government will be useless.


      Moreover, the ideology of planning in France remained in the seventies when its viability was proved by the structural crisis of 1973-1975. The question arises: "why knock on the old door if you do not open it?". In addition, the scientific and technical capabilities of modern digital technologies for the practical implementation of economic planning in the interests of people are completely ignored. The French Government's approach to economic planning discredits the very idea of planning.


     In principle, all supporters of the so-called market economy and the "new green deal" can only operate with declarations on human rights and freedoms, "let's make the planet cleaner", without having a plan for this and practical implementation of the declared declarations. Unlike Roosevelt's "New deal", which contained “An honest code of competition”, which in fact was a plan for the development of the US economy, the declared manifestos of the market economy and the new green deal suggest further unwinding of economic chaos in the world and thereby strengthening all types of technological, economic and social inequality, as well as environmental degradation due to monetary motivation.


     The absence of a plan for the development of material production, or rather its replacement with the use of the same old monetary instruments, has nothing to do with ensuring the proportional development of the economy in the direction of the growth of the public good. This is confirmed by the government's announced restart of the economy. It is planned to allocate 100 billion euros to support enterprises (tax incentives, credit subsidies), transition to green energy (development of "sustainable" transport and alternative energy sources) and support the social sector. The government plans to raise this amount by issuing bond loans and providing "gratuitous" grants from the EU. The authorities plan to return 60 billion euros that will be borrowed from financial markets to holders by 2025. At the same time, according to economists’ forecasts, the country's public debt will grow to 120-140% relative to GDP, which means that France will become more dependent on its creditors.


     The expectation that France will receive "gratuitous grants" from the EU, which will be reimbursed by increasing countries ' contributions to the pan-European budget, means that France will further increase its dependence on bureaucratic Brussels. The present system of managing the EU economy has proved its inability to cope with the problems of the economic crisis with monetary instruments. France, having declared economic planning, is not really going to get out of the crisis, remaining a hostage to the bureaucratic EU, which intends at the "pandemic stage" to move from financial stabilization, which destroyed Europe's material production, to the inflationary phase of the global crisis. Its result will be the growth of nationalism and euroscepticism in the EU, like the thirties of the last century.

Cybernetic economic planning to improve people's lives
     The only country that had experience in cybernetic planning with feedback from enterprises in a sliding planning mode to effectively governance the national economy was the Soviet Union. It was this method of planning the economy that helped the USSR become a superpower that carried out the industrialization of the economy in a few years, defeated fascism and became one of the leaders of the bipolar world. The specificity of its planning was that the plan was drawn up by the method of successive approximations to the final planned balance, which allows ensuring the proportionality of economic development in the direction of solving the country's strategic tasks. Following this method, the Soviet economist Nikolai Veduta, taking into account the mistakes of the Soviet planning experience, developed a cybernetic model of intersectoral balance, which serves as an economic integrator of the activities of all economic agents to ensure the growth of the public good, which should be the basis of an automated system for state planning. Without the use of this instruments, it is impossible to get out of the global economic crisis and reach a new level of social progress.


     Western economists, who do not understand the essence of the method of successive approximations, have a primitive view of the methodology of Soviet planning, evaluating it as "barrack planning". The old monetary instruments used in the XVI – early XIX-th century will inevitably destroy production in the XXI-th century and have disastrous consequences for humanity, hiding behind the declarations of the "new green deal" etc.


     Albert Einstein, one of the great scientists of the XX century in the article "Why socialism?", published in 1949, declared the inevitability of the planned economy and system of management focused on meeting the needs of society and each individual. The only country that gained experience in such planning was the USSR. However, as each of the first inventor, the Soviet Union maked mistakes. Soviet society could not resist the transformation of the country's top leaders, who should be responsible for the future of their generations, into a party of nomenclature that wanted to become rich, like the Western oligarchs.  Therefore, since the mid-fifties of the last century, party dictatorship have contributed to the reform of the country's economic management system to increase its chaos. The transition to a market economy, that is, to economic chaos, completed the success of the USSR, which used "manual" planning, making it impossible to draw up a balanced plan. To win socialism in the cold war with capitalism, the country needed an automated system of state planning and true democracy with the organization of control from below over the activities of the authorities. This is the only alternative, the necessity of which is declared by Dimitris Kostnantakopoulos, urging to pay close attention to all the experience gained by mankind, including the first experiment of the USSR.

* For more informations about cybernetics and planned economy researches at Moscou University :

< http://strategplan.com/?fbclid=IwAR24neQtYliWX02RBpFJN6CYkQyGPyX0Yaa6fSwqS0lfUZLexdSjawuXE58  >

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11 octobre 2020 7 11 /10 /octobre /2020 20:00

Alors que des puissances nouvelles émergent dans différentes parties du monde, les vieilles puissances occidentales avec les Etats-Unis à leur tête depuis 1945 semblent à la fois touchées par l’instabilité, la stagnation, les tensions et l’inefficacité. On pourrait dès lors en conclure que, peu à peu, chacune d’entre elle devrait tenter de quitter le navire en perdition pour trouver la sécurité auprès d’équipages plus jeunes, plus vigoureux et plus robustes. Pourtant, les lignes d’affrontement actuels semblent reprendre les contours géopolitiques qu’on avait connu lors de l’affrontement du bloc occidental avec le « camp de la paix ». Ce qu’on observe en particulier en Afrique où la nouvelle présence économique chinoise ou russe est combattue par les puissances occidentales qui ont auparavant contribué à y installer le « djihadisme » qu’elles prétendent aujourd’hui combattre. Pourquoi, dans ce contexte, les élites françaises ne semblent pas en état de mener un jeu plus autonome ?

La Rédaction


 

Contradictions inter-impérialistes

ou

contradictions intra-impérialistes

France-Europe-USA ?1

-

Octobre 2020

 

Bruno Drweski


 

Philip Butler, un spécialiste de la politique russe, faisait il y a peu, une description assez réaliste de l’état des rapports internationaux où de plus en plus de gouvernements considèrent qu’ils se trouvent face aux puissances occidentales dans la position d’un homme sain d’esprit se retrouvant devant un patient en état sénilité avancée, ce qui rend désormais tout dialogue rationnel impossible2. En plus, les Etats-Unis se trouvent depuis la fin du premier mandat Trump dans une situation de semi-guerre civile intérieure qui atteind aussi par la force des choses les puissances « périphériques » du bloc euro-atlantique où les forces politiques doivent prendre partie dans ce bras de fer. La politique aventurière des Etats-Unis continue à faire toujours beaucoup de dégâts dans le monde, particulièrement en Afrique, à cause des leurs guerres récurrentes, des autres formes d’interventions extérieures, de leurs politiques de sanctions et de blocus visant les Etats indépendants, du poids de leur surarmement constamment renforcé comme conséquence indirecte de la délocalisation de leurs productions civiles. Les peuples arrivent donc tous peu à peu à la conclusion que résister ou louvoyer face au système dominant en crise présente somme toute moins de risques que de se soumettre pour garder une paix qui se révélera de toute façon illusoire dans la mesure où l’on a désormais affaire à un pompier-pyromane qui n’hésite pas à détruire ce qu’il ne peut plus contrôler. On constate cette attitude de retrait face aux provocations dans les cas cubain, venezuelien, chinois, russe, iranien, syrien, mais c’est aussi le cas dans une certaine mesure avec des pays comme le Pakistan ou la Corée du sud. Alors qu’un nombre grandissant d’Africains mettent en doute non seulement le discours du président Trump ou de ses concurrents néoconservateurs, mais plus largement le discours de tous les dirigeants occidentaux qui ne parviennent pas à se prononcer de leur côté de façon indépendante tout en prétendant continuer à jouer le rôle de puissances tutrices de leurs anciennes colonies.

Cette méfiance des peuples mais aussi d’une partie des élites ne concerne plus seulement les réactions face aux discours dénués de sens de la plupart des dirigeants occidentaux mais aussi les effets concrets des politiques occidentales, tout particulièrement dans leur volet interventionniste et militaire. Il faut donc aujourd’hui poser plusieurs questions : Quels sont les objectifs réels des élites mondialisées liées au bloc euro-atlantique et ses associés ? En quoi les tiraillements visibles auxquels nous assistons entre les différentes factions de l’establishment US et ses excroissances dans les pays associés ou soumis témoignent ils de la prolongation des habituelles contradictions inter-impérialistes que l’on a connues dans le passé ? Et en quoi témoignent ils de l’émergence possible d’un nouveau type de contradictions au sein de ce qui était jusqu’à la fin du monde bipolaire le bloc impérialiste unifié ?

C’est aujourd’hui l’Afrique et son voisinage immédiat, l’Asie occidentale, qui constituent la zone clef de l’affrontement des contradictions mondiales, ce qui apparaît tout particulièrement au regard de la concurrence tendue que se livrent dans cette partie du monde les puissances occidentales en crise et les puissances émergentes autour de l’axe Chine-Russie-Eurasie. Ces questions nous intéressent particulièrement en France puisqu’il s’agit de l’Afrique et des pays méditérranéens mais aussi de l’influence croissante non seulement de la Chine mais aussi de la Russie dans le vaste continent eurasiatique, dont l’Europe, et plus particulièrement la France, constituent la pointe avancée vers l’Atlantique. Alors dans le grand jeu qui se déroule entre la France et son « étranger proche » méditerranéo-africain, Paris est elle condamnée à garder son gouvernail orienté vers l’Atlantique nord ou ne devrait elle pas envisager de changer de cap en imaginant un nouveau monde où elle se rapprocherait sous une forme dégagée des dominations du passé des pays avec lesquels elle a des liens anciens ?

 

Une économie mondialisée et financiarisée tournant en cercle vicieux

Partout dans le monde nous sommes aujourd’hui témoins d’une tendance qui démontre que les capacités d’investissement productifs des entreprises et des Etats occidentaux diminuent alors qu’en même temps la baisse tendancielle des taux de profits les poussent à conquérir de nouveaux marchés et surtout des moyens d’écouler ce qu’ils savent le plus souvent produire, les armes, parfois quelques autres articles comme les médicaments déjà connus et ne nécessitant plus aucun investissement. Mêmes leurs vassaux jusqu’ici les plus soumis se retrouvent donc souvent eux-aussi tiraillés entre leurs liens de dépendance privilégiés et leurs intérêts à trouver des protecteurs ou des partenaires plus fiables et plus viables.

En Occident, tout semble donc souvent orienté, via l’OTAN, vers des dépenses militaires exigées d’alliés vassalisés, dans la perspective de prolonger l’existence d’une économie peu productive et de prédation. De telles politiques sont caractéristiques d’empires déclinant et cela contriue à pousser les vassaux à vouloir surnager et râmer vers un autre rivage, en pouvant même commencer à ignorer les menaces et la propagande des puissances décaties. Ce qui semble le cas aussi bien de la France, des autres puissances européennes que des Etats-Unis, bien que dans chaque cas à un degré différent. La France avec ses vassaux africains post-coloniaux, a désormais été réduite elle-même à une situation de dépendance vis à vis du « gendarme mondial » d’outre-Atlantique, et Macron semble contre toute raison vouloir après quelques rodomondates3 à se raccrocher au final et coûte que coûte aux USA, cette fois ci sans doute dans l’espoir que l’arrivée éventuelle de Biden à la Maison blanche pourrait restaurer la stabilité d’antan, alors qu’un retour à cette situation devient peu probable parce que cela ne dépend plus vraiment des choix qui seront faits aux Etats-Unis mais du rythme de leur déclin semble-t-il désormais irréversible. Tout semble fait pour ne pas exciter la bête blaissée.

C’est sur la contradiction entre le profit capitaliste, la nécessité de faire face aux concurrences et le déclin du pouvoir politique des pays impérialistes que tablent les puissances émergentes et les pays aujourd’hui les plus dynamiques, au nombre desquels il faut compter les milieux africains les plus énergiques, certaines bourgeoisies nationales locales qui semblent mener la danse alors que le « petit peuple » manifeste quotidiennement son énergie et son inventivité dans un environnement qui depuis la fin du monde bipolaire et jusqu’à l’apparition des puissances émergentes eurasiatiques ne faisait que se dégrader. Malgré l’ingérence et l’agressivité des Etats-Unis et des Occidentaux, parfois verbale, parfois violente, parfois provocatrice, les capitalistes occidentaux continuent à investir en Chine et en Asie orientale et n’arrivent pas par contre à contrer les investissements chinois, publics ou privés, en Afrique ou ailleurs. Les capitalistes semblent donc ne plus pouvoir progresser en s’appuyant sur la puissance de leurs Etats et de leurs armées. C’est dans ce contexte que l’on doit analyser les contradictions grandissantes entre la France toujours présente économiquement et militairement en Afrique, les Etats-Unis et leurs troupes des quelques milliers de soldats sous les ordres de l’AFRICOM, le commandement militaire américain basé en Europe. Sans oublier l’Allemagne dont on néglige trop souvent le rôle. Ses fondations qui préparent le terrain intellectuel en direction de ladite « société civile », tandis que ses services secrets du BND essaient de tailler des croupières aux entreprises basées en France au profit des entreprises allemandes alors que, simultanément, les Allemands se présentent là où la présence nord-américaine serait trop coûteuse ou trop impopulaire, ce qui explique pourquoi les contradictions qui existent entre les USA et l’Allemagne restent souvent peu visibles4.

Tout cela se fait face à la Chine et aussi à la Russie, ce qui confirme qu’une transition, un basculement géopolitique et géo-économique est bien en train de s’opérer en Afrique-Asie occidentale, pays stratégiques et riches en ressources naturelles. Sous le triple coup de boutoir du développement des forces productives, de la résistance des peuples et des exploités et de l’affaiblissement irréversible de l’hégémonie euro-atlantique, c’est la fin du mode de production capitaliste qui se profile à l’horizon avec l’apparition de facteurs de freinage économique qui exacerbent les tensions entre impérialistes piaffant d’impatience devant les signes de leurs incapacité à conquérir de nouveaux marchés ou à préserver leurs marchés traditionnels stabilisés.
 

L’Afrique, un terrain d’affrontements et de projets dynamiques : le rôle des puissance contre-hégémoniques

Si certains analystes considèrent que la Chine et la Russie sont de nouvelles puissances impérialistes concurrentes des vieilles puissances impérialistes, force est de reconnaître que leurs méthodes d’intervention, les secteurs dans lesquels elles investissent et les possiblités encore limitées qu’ont ces deux pays rendent leur pénétration des pays africains de nature très différente de celle des vieilles puissances impérialistes. On doit dès lors demander si nous avons affaire dans ce cas à des « contradictions inter-impérialistes » plus ou moins classiques, ou à des contradictions entre de vieilles bourgeoisies impérialistes essouflées manipulant des bourgeoisies compradores locales de plus en plus rétives face à des bourgeoisies nationales chinoises ou russes dynamiques et capables d’investir dans des secteurs plus diversifiés et plus créatifs pour les pays concernés. A quoi s’ajoute la question sur le caractère communiste du gouvernement chinois et du rôle des entreprises publiques chinoises.

Si la présence chinoise est visible déjà depuis longtemps en Afrique, le retour de la Russie est plus récent et semble ne s’être opéré que depuis que la Russie s’est sentie menacée par les puissances occidentales dans son « étranger proche ». Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a rencontré dernièrement le Secrétaire exécutif de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), Workneh Gebeyehu, comme prolongement du sommet Russie-Afrique qui s’était tenu en octobre 2019 à Sotchi. Ils ont parlé de la nécessité de développer une coopération élargie avec les organisations africaines d’intégration régionales, en particulier dans les domaines de la lutte contre le covid-19, dans le domaine de la santé et de l’humanitaire, dans le domaine agricole et phytosanitaire et dans le domaine de l’éducation. Domaines qui ne sont jamais privilégiés par des puissances impérialistes traditionnelles. Cette politique qui se veut positive en Afrique se situe dans la foulée des politiques chinoises d’investissements qui se veulent « gagnant-gagnant » et qui ne sont pas aux dires de certains sans rappeler les « aides fraternelles » de l’époque du camp socialiste. On doit donc poser la question de savoir si les méthodes et les objectifs des puissances émergentes eurasiatiques en Afrique par rapport aux puissances traditionnelles sont différents seulement sur le plan « cosmétique » ou si c’est la nature de cette coopération qui est profondément différente, peut-être parce que ces Etats ont, à la différence des puissances occidentales, des systèmes politiques qui leur permettent d’avoir des actions planifiées sur le long terme ?

Que recouvre ainsi l’exemple d’Oil Price en Egypte où la Russie et la Chine sont accusées ensemble par les Occidentaux et en particulier dans le cadre de l’intervention d’une « star écologiste », Haley Zaremb5, de chercher à « prendre le contrôle nucléaire » de l’Afrique ? Dans une situation où l’Egypte ne peut pas appuyer le développement de son réseau électrique sur ses seuls barrages car le pays est devenu un importateur net de pétrole et qu’il a donc besoin de l’énergie nucléaire pour réduire ses importations de pétrole et de gaz naturel. Sur un autre registre, celui de la sécurité, les Occidentaux accusent la Chine d’établir des relations étroites avec des pays sans tenir compte des critères des droits de l’homme tandis qu’ils dénoncent le retour de la Russie sur le continent noir qui vendrait ses méthodes de contre-insurrection expérimentée avec succès en Syrie à des « régimes autoritaires » africains6. Dénonciation qui peut faire sourire dès lors qu’on a en tête les méthodes, et aussi les échecs, des interventions militaires françaises ou américaines au Mali, en Centrafrique ou en Somalie, sans mentionner le Ruanda et l’est aujourd’hui esclavagisé du Congo-Kinshasa (RDC). C’est peut-être la lente déliquescence des pouvoirs africains et du système de la Françafrique consécutive à l’assassinat de Sankara, à la guerre civile en Côte d’Ivoire ou en Centrafrique et dans de nombreux autres pays en principe protégés par la France, qui est parfois doublée par les USA, qui pourrait expliquer pourquoi la Chine ou la Russie ont pu venir remplir un sentiment de vide et de délaissement, à partir de quoi on a assisté à un retour des interventions françaises dans la foulée de la destruction de la Libye jusqu’à ce que Macron cherche à être présent à la fois au Sahel puis sur le théâtre syrien et enfin libanais. D’autant plus qu’à la rivalité avec la Russie et la Chine, on voit se rajouter dans le monde arabo-africain la multiplication de activités de la Turquie et de l’Iran ou de la diaspora libanaise chiite. Quoiqu’on pense de la politique de tous ces pays, il est clair que désormais, se sentant courtisés, les Africains ont devant eux de nombreux choix qui leur permettent de sortir du traditionnel tête-à-tête avec leur ancienne puissance coloniale, ou éventuellement son protecteur d’outre-Atlantique.

On doit aussi rappeler que si les Britanniques dénoncent la montée des activités de la Russie en Afrique en agitant l’épouvantail de ses succès en Syrie7, on sait que les services secrets britanniques ont vendu une opération de propagande encore plus spectaculaire que celle tentée par la France de Fabius et de Hollande, à savoir rendre des mercenaires takfiristes venus de presque toute la planète présentables pour leur permettre de jouer le rôle d’avant-garde de l’influence occidentale. Et l’on voit désormais que les mêmes Britanniques répètent l’opération en Afrique en accusant désormais les Russes d’y répéter leur politique syrienne alors que ce sont les services britanniques qui ne font qu’y répéter leur propre modèle de propagande8. Alors, entre Etats-Unis, Royaume-Uni voire Allemagne, quel est la place laissée à la France dans ce jeu ?

La France de Macron tente de jouer le grand écart, en se lançant sur le plan intérieur dans une n-ème campagne sur le thème islam visé désormais sous le vocable incongru de « séparatisme » tout en dénonçant le « djihadisme » en Afrique, cela après que Sarkozy ai co-organisé avec le Royaume-Uni et les Etats-Unis la destruction de l’État libyen au profit des « djihadistes », ouvrant ainsi la porte au « djihadisme » dans le Sahel de la part d’anciens trafiquants relookés en fous de dieu. En Afrique occidentale et équatoriale, la France reste toujours incontournable mais désormais, comme d’ailleurs en Syrie, elle tend à chasser en meute avec ses complices et concurrents européens, le Royaume-Uni et l’Allemagne, sous la supervision des Etats-Unis.

Ainsi, si à l’Institut français des Relations internationales (IFRI), on calcule que les investissements russes restent faibles, on concentre son attention non pas sur les nouveaux secteurs mentionnés plus haut mais sur l’exportation des armes où la Russie irait jusqu’à fournir 49 % du total du matériel militaire vendu en Afrique. Le chercheur de l’IFRI ne va toutefois pas jusqu’à creuser plus loin pour mentionner de quels pays proviennent les 51 % restant. On voit là qu’il y a plutôt une rage à avoir perdu presque la moitié de ce marché plutôt qu’à dénoncer le fait que les dirigeants africains éprouvent toujours le besoin d’acheter des armes parce que les pays occidentaux n’ont pas été capables d’assurer la paix et la coopération dans le monde et dans leurs pré-carrés à l’époque de leur « victoire post-guerre froide ». La tonalité des discours des Occidentaux a cependant tendance à donner l’impression que ces derniers sont globalement sur la défensive en Afrique et que leur cohésion est de moins en moins évidente, tandis que les dirigeants russes et chinois sont de moins en moins intimidés par les injonctions, critiques et plaintes occidentales, Lavrov ayant notamment déclaré récemment « Il est temps de cesser d’appliquer les mesures occidentales à nos actions et d’arrêter d’essayer d’être aimé par l’Occident à tout prix ». Il est devenu clair que la pandémie du covid-19 a démontré les faiblesses des économies et l’inefficacité des politiques occidentales alors, qu’avec les moyens du bord, beaucoup de pays africains ne s’en sont pas trop mal sortis et que, là encore, Chine, Russie mais aussi Cuba ont marqué des points. Les graves tensions internationales actuelles pourraient mener vers la guerre totale et mondiale mais on voit aussi émerger des puissances qui semblent en état de prévoir les chocs et de proposer simultanément des politiques durables de développement à long terme. On se demande dès lors pourquoi le bloc occidental, même s’il est touché par des phénomènes de morcellement, n’a pas encore été rejeté dans les poubelles de l’histoire par des puissances en crise comme la France, alors que le cap vers l’Eurasie est ouvert ? Cette situation témoigne du fait que la vassalisation et la pénétration de pays comme la France, l’Allemagne ou le Royaume-Uni sont à ce point profondes qu’ils ne sont pas en état de sortir des ornières dans lesquelles ils ont été placés depuis 1945. A quoi il faut ajouter la peur de puissances ultra- et néoconservatrices devant toute audace et tout changement. Les contradictions actuelles du bloc occidental sont donc moins inter-impérialistes que intra-impérialistes.

Panique à Paris et en Europe : les USA prévoiraient de se désengager d’Afrique ! Mais quel est l’intérêt de la présence US en Afrique pour la France ?

« Beaucoup d'aide (militaire) occidentale arrive dans cette région, de la part des Français et des Européens avec le soutien des États-Unis », avait expliqué le 10 mars dernier le chef de l’Africom, le général Stephen Townsend, avant de la juger toutefois « insuffisante et mal coordonnée »9. Les actions des Européens sont jugées à ses yeux peu efficaces, alors que les groupes « djihadistes » qui opèrent dans cette région visent visiblement et on se demande pourquoi l’Europe mais pas vraiment les USA. Ils désorganisent aussi profondément la vie de pays africains aux pouvoirs soumis et corrompus. En conséquence, ce général ne prône pas l’augmentation de la présence US en Afrique occidentale. On peut se demander en lisant entre les lignes ce type de déclarations si les Etats-Unis ne se servent pas contre les puissances européennes des soit disant « djihadistes » recrutés souvent à partir de bandits de grands chemins ou autres lumpenprolétaires, pour mieux les effrayer, les domestiquer, les tenir en laisse, les utiliser et les amener à financer des opérations militaires des Etats-Unis pour le plus grand profit de leur complexe militaro-industriel. Mais on doit également poser la question pourquoi ces Etats devraient continuer dans la voie de ce type de coopération avec les USA, si elle coûte cher et qu’elle est d’une efficacité doûteuse dans la lutte contre le terrorisme ? Terrorisme dont les liens épisodiques avec les services secrets des USA ou d’autres puissances sont connus de tous. Et aujourd’hui on apprend que sous la pression des USA, on ne sait pas trop ce qu’en pensent les Français, des centaines de membres d’Al Qaida arrêtés au Mali on été libérés10. Pourquoi les Européens ne se dégagent ils dès lors pas des bras du pompier-pyromane ? Après tout, il existe maintenant une alternative géo-stratégique, en Eurasie. Serait-ce parce que les élites possédantes françaises ou d’autres pays sont incapables de se dégager elles-mêmes des circuits néocoloniaux de la françafrique qui grèvent et le développement de l’Afrique et la renaissance d’une dynamique économique et politique créative en France ? Donc, si Washington montre sa valse-hésitation au Sahel et se déclare prête à reconsidérer son engagement dans cette région, est-ce que c’est parce qu’elle est si puissante ou parce qu’elle sait que ses associés sont de toute façon si peu autonomes ?

Le général Townsend, lorsqu’il était questionné à la Chambre des représentants sur la révision de la politique américaine en Afrique, a déclaré « Je pense que l'Europe peut et doit faire davantage avant que les États-Unis fassent davantage dans cette partie du monde » mais que « Coordonner ces efforts pourrait en fait être suffisant ». Qu’entendent les USA par « coordonner » ? Se soumettre ? Financer ? Et cela porte-t-il sur le seul volet militaire ou s’agit-il d’une politique « coordonnée » dans le domaine de l’exploitation des ressources africaines et des politiques économiques ?

Selon un récent rapport portant sur les opérations militaires américaines en Afrique rédigé par le Bureau de l'Inspecteur général du Pentagone, un organisme qui se veut indépendant, « la menace terroriste en Afrique persiste et en certains endroits, elle s'accroît »11. Malgré les efforts de la France et des USA ? Le commandement US indique que les activités extrémistes violentes en Afrique de l'Ouest auraient augmenté de 250 % depuis 2018 ! L’Africom dit avoir récemment été amené à devroir modifier sa stratégie en se fixant désormais l'objectif limité de « contenir » les extrémistes et non plus de les « affaiblir », selon l'inspecteur général Glenn Fine. Quelques 6 000 militaires nord-américains sont actuellement déployés en Afrique, dont 800 en Afrique de l'Ouest, en principe pour aider la France mais peut-être aussi pour « sécuriser » les mines d’uranium du Niger, et sans doute aussi pour éviter des coopérations des pays concernés avec la Chine ou la Russie. 500 éléments de leurs forces spéciales sont en Somalie. On doit du coup poser la question sur ces puissances et cette « hyperpuissance » qui ne sont pas en état d’affaiblir des groupes armés composés de vanupieds ?12

Au début de 2020, une partie fine s’est déroulée entre Washington et Paris lorsque la France a voulu pouvoir bénéficier dans ses choix atlantistes en Afrique de l'appui de parlementaires américains, démocrates comme républicains, certains étant très proche de Donald Trump. Dans trois lettres, ils ont enjoint de ne pas retirer de moyens à l’Africom, dans un contexte où, à la mi-janvier 2020, le général Milley déclarait « La question sur laquelle nous travaillons avec les Français, c'est le niveau de soutien que nous leur apportons. Est-ce trop ? Est-ce trop peu ? Est-ce que c'est ce qu'il faut ? ». Alors que le ministre américain de la Défense, Mark Esper, déclarait de son côté à la veille de recevoir Florence Parly, Ministre des armées, « Très franchement, aucune décision n'a encore été prise ». Les États-Unis rappelaient à qui voulait l’entendre que leur « mission numéro un est la compétition avec la Russie ou la Chine », comme l'énonçait d’ailleurs déjà la Stratégie nationale de Défense américaine pour 2018. Et que, pour les Etats-Unis, « sur le plan du contre-terrorisme, je veux m'assurer que nous répondions en priorité aux menaces contre notre territoire national »13. La concurrence économique et politique pour les USA en Afrique vise donc d’abord la Chine et la Russie, et si elle est économique et politique, c’est bien sûr pour éviter le renforcement de ces puissances émergentes mais aussi peut-être pour récolter des bénéfices sur place, forcément au dépens des intérêts économiques déjà présents, donc des intérêts français. Il en va de même quoique à un degré moins important de la présence allemande. Les USA donnent l’impression de vouloir se faire prier par la France. Dans ce contexte, on peut se demander si la menace « djihadiste » est vue aux USA comme une vraie menace ou comme un moyen de pression sur leurs « alliés » ? Et les richesses de l’Afrique ne peuvent pas être négligées dans ce jeu de la part de Washington. On a parfois l’impression que les USA s’amusent avec la France comme le chat avec la souris qui sait qu’au final il aura toujours les moyens de la manger. Tout en contrôlant les potentats africains qui lui sont soumis.

 

Le flou persiste sur la stratégie américaine

Si certains dirigeants, hauts fonctionnaires ou élus à Washington semblent vouloir s’inquiéter d’un éventuel retrait militaire des USA du Sahel, d’autres décideurs, comme le général Townsend, ont estimé que les « djihadistes » sont plus dangereux pour l'Europe que pour les États-Unis. « Les problèmes issus de l'Afrique de l'Ouest se manifesteront en Europe avant de se manifester en Amérique », a-t-il déclaré. La sous-secrétaire à la Défense en charge de l'Europe et l'Afrique au Pentagone, un couplage d’ailleurs révélateur, Kathryn Wheelbarger, constate que « Les Français soulignent l'importance du soutien américain à leurs opérations » car « Il y a simplement certaines capacités qu'ils n'ont pas. ». Du coup, « Ce que nous avons essayé de faire, c'est de les encourager à accélérer leurs processus de décision quant à l'acquisition de ces capacités, pour qu'ils ne dépendent plus du soutien des États-Unis ». Le sort des 4 500 soldats français présents au Sahel seraient donc dépendant du bon vouloir de Washington ? On a vraiment l’impression qu’on se partage les rôles à Washington car Paris est en position de demandeuse dans son propre pré-carré post-colonial. Qu’entendent en fait les Etats-Unis par l’acquisition de capacités ? L’achat de matériel militaire US ? Le financement de conseillers US ? Le financement d’une présence militaire US ? Le financement de la maîtrise par les Etats-Unis des communications satellitaires ? Pourquoi la France n’aurait-elle pas les capacités pour faire face seule à la situation et pour défendre les restes de son empire ? En quoi son armée est-elle désuète ?

De son côté, pour Elie Tenenbaum, chercheur à l’IFRI, « La France et les Etats-Unis sont de moins en moins alignés » car Washington est moins préoccupée par la menace terroriste que par la présence de la Chine et de la Russie sur le continent africain14. Alors que la ministre française des armées, Florence Parly, annonçait le 2 février 2020 l’envoi de 600 soldats supplémentaires au Sahel, portant l’opération « Barkhane » à 5 100 militaires, à Washington, Donald Trump demandait de redéployer ses moyens pour les concentrer face à la Chine et à la Russie, tendant à réduire les forces de l’Africom, ce qui a provoqué la crainte de Paris qui semble considérer qu’un retrait de son partenaire d’outre-Atlantique mettrait en grande difficulté ses opérations au Sahel, à savoir, celles conventionnelles de « Barkhane », mais aussi celles de ses forces spéciales de la mission « Sabre ». En fait, les deux pays sont dans une situation de rapports inégaux dans lesquels la France se retrouve dans une position plus affaiblie qu’elle ne l’a jamais été depuis 1945. Son comportement démontre publiquement que Paris et Washington auraient deux visions stratégiques différentes en Afrique même si leurs forces agissent côte à côte mais pas de manière coordonnée. Ce qui démontrerait au mieux pour Paris un manque de volonté de la part de Washington de tenir compte des intérêts du petit impérialisme français en Afrique, au pire, qu’on est en état de l’amener à se soumettre encore plus. Quand quatre soldats américains ont été tués à Tongo Tongo, au Niger, en octobre 2017, la coûteuse opération menée par les USA en liaison avec les forces nigériennes n’a pas été communiquée aux Français, ce qui démontre clairement que Washington ne reconnaît plus l’ex pré-carré français qu’elle lui reconnaissait pendant la guerre froide, qu’elle n’a pas envie de tenir compte des humeurs de son supposé allié, voire que les intérêts des deux pays ne coïncident pas sur le plan sécuritaire, mais peut-être aussi sur d’autres plans. En tous cas, les USA font ce qu’ils veulent dans ce qui était le pré-carré français.

L’opération Tongo-Tongo a coûté cher aux USA, et elle a sonné le début d’exigence de la part de Washington pour que les Français, voire les Européens si Paris s’en révèle incapable, participent au financement de leurs opérations militaires. C’est dans ce contexte qu’on doit examiner les raisons qui permettent d’expliquer pourquoi Paris, même humiliée, semble tant craindre le départ des forces US de son « arrière-cour » africaine. Si un général US déclare que « Les Européens sont mal coordonnés au Sahel », est-ce que cela veut dire que les Etats-Unis veulent « remettre de l’ordre » dans cette partie du monde en prenant plus d’importance au dépens de la France ou qu’ils veulent qu’on les prie de rester en en payant le prix, ou encore qu’ils préparent leur sortie, sachant que l’hyperpuissance d’après 1991 n’a plus les moyens d’être une superpuissance en position de force, à la fois en Afrique, en Asie occidentale et dans ce qu’ils appellent la zone « Indo-Pacifique » ?
 

USA et France ont ils les mêmes intérêts stratégiques en Afrique ?

Depuis la fin du mandat de Barack Obama, les rapports sont difficiles entre Paris et Washington qui n’a jamais voulu en fait s’impliquer militairement trop directement sur le continent africain, même si elle voulait y conquérir des parts de marchés et surtout limiter les possibilités d’accès à des ressources vitales de la part de la Chine puis de la Russie. Les Etats-Unis restent en principe dans la logique du « leadership from behind » qui avait autrefois, pendant la guerre froide, laissé à la France l’apparence de son ancienne puissance et des profits tirés de l’exploitation des marchés locaux, alors que Washington avait à l’époque suffisamment à conquérir ailleurs. Ce qui n’est plus tout à fait le cas. Les deux pays ont à partir de 2011 ensemble participé à la désorganisation de toute la zone arabe, de la Libye à la Syrie, et la France, « cerise sur le gâteau », a même rejoint en 2014 les efforts des USA dans un Irak qu’elle avait refusé d’envahir en 2003. Tout cela est aujourd’hui devenu trop coûteux pour les Etats-Unis alors que les résultats en terme de parts de marché de toutes ces interventions se sont faits attendre. Quand les chefs d’Etats africains à l’indépendance doûteuse ont vu leurs ressources se tarir, ils ont cru que la manne pourrait revenir si le prétexte du terrorisme permettait d’attirer des financements et de sécuriser leurs pouvoirs. Les USA se sont engagés alors sur ce terrain, de la Somalie au Sahel, en marchant sur les plattes bandes de la françafrique qui n’avait plus de moyens suffisant pour se défendre, ce qui au final n’a contribué qu’à multiplier les foyers de tensions et la formation de groupes armés aux mains de seigneurs de la guerre locaux. Aujourd’hui, comme ils le font en Europe, les USA demandent aux Français et aux Européens de financer la participation américaine à la sécurisation de leur pouvoir tout en contrant les rivaux chinois et russes, c’est finalement à cela que le terrorisme aura servi.

 

Une puissance US en perte de vitesse et une France essouflée : Les Européens peuvent-ils compenser ?

La France n’aurait plus, selon les dires en provenance des USA, les capacités suffisantes en matière de renseignement, de renseignement électromagnétique, de surveillance, de reconnaissance, de transport stratégique et de ravitaillement en vol et elle ne contribuerait pas, selon Washington, à hauteur de 45 millions de dollars aux opérations de soutien de l’Africom au Sahel. Mais quand on observe l’état de déliquescence de l’armée des USA, on se dit que cette dernière tient au final car elle peut encore s’appuyer sur la puissance magique du dollar mais que les spirales de dépenses militaires publiques doivent constamment augmenter alors que les moyens stagnent au mieux et que les entreprises privées d’armement augmentent leurs bénéfices tout en produisant des armes de moins en moins performantes, voire pleines de défauts conceptuels ou de fabrication15.

 

Plusieurs pays européens participent aux opérations en Afrique, Espagne, Allemagne, etc. ce qui leur permet aussi d’entrainer leurs troupes et de tenter de placer leurs entreprises sur les marchés locaux. Africom est en fait une structure américaine dont le commandement est basé en Europe, sous le commandement de la structure militaire américaine en Europe, l’Eucom, et elle semble liée aux intérêts de la branche européenne du complexe militaire américain. Elle plaide donc pour le maintien de l’aide aux Français, face aux décideurs US qui semblent décidés à aller plus vite dans le désengagement sur le terrain et à trouver chez les Européens les financements nécessaires pour conserver l’hégémonie US tout en ne risquant plus rien, et surtout tout en ne dépensant rien mais, au contraire, en recevant les primes du « leadership from behind ». Globalement, les USA et l’Africom restent concentrés sur Djibouti et l’Océan indien, face à la Chine, et en Afrique occidentale, le seul pays où ils sont fortement engagés est le Niger, le pays de l’uranium. Est-ce un hasard ? S’agit il de mettre la main sur ce minerai ou d’empêcher la Chine d’en profiter ?

 

Quel intérêt pour les Africains ?

L’Afrique recèle un potentiel de ressources extraordinaires et elle jouit d’une population jeune, inventive, courageuse et pleine de projets, ce qui, à terme, devrait permettre à ce continent de sortir de la pauvreté. Jusqu’à présent son développement était grevé par le maintien de structures néocoloniales qui entretenaient la plupart des pays dans un cycle de dépendance et de tête-à-tête avec l’ancienne puissance dominante. La Seconde Guerre mondiale a considérablement affaiblit ces puissances, ne laissant au premier rang que les Etats-Unis qui entrèrent en rivalité avec l’Union soviétique, ce qui donna aux Africains quelques marges de manœuvres qui disparurent dans les années 1990 poussant ce continent vers une régression d’autant plus forte qu’elle se faisait dans le cadre du carcan néolibéral alors dominant. Aujourd’hui, d’autres pays périphériques par rapport à l’ordre capitaliste ou post-colonial ont émergé, ce qui menace les positions des puissances impérialistes traditionnelles, et ouvre des possibilités de choisir des partenaires moins gloutons. Tandis que le bloc occidental est marqué par des contradictions majeures qui se manifestent jusqu’à son sommet. Mais le conservatisme des élites possédantes d’Europe occidentale les empêchent de se dégager du carcan qui pèse sur elles, si bien que les Etats-Unis continuent à pouvoir dicter leurs règles en profitant de la peur de déstabilisation qui taraude les Européens. Dans ce contexte, la France perd constamment ses positions tout en continuant à vouloir rattacher les restes de sa puissance à la puissance nord-américaine en chute à l’échelle mondiale sans contrer l’hégémonie allemande au niveau européen. L’Afrique francophone a encore à payer un tribut à son ancienne puissance coloniale, ce que symbolise particulièrement le Franc CFA, malgré les tentatives de son relookage. Mais la France n’a plus les moyens de sa puissance au moment où les Etats-Unis essouflés sont amenés à vouloir faire financer par d’autres toutes leurs entreprises. Ce qui sur le court terme représente sans doute un second tribut que les Africains doivent payer. Mais cette situation de double occupation semble provoquer des résistances grandissantes qui peuvent profiter du jeu existant entre toutes les puissances, ascendantes ou descendantes.

 

Notes :

1Conférence prononcée le 10 octobre2020 à la Conférence-débat sur le thème : « Soldats français hors d’Afrique » organisée par l’Association nationale des Communistes à Saint-Denis.

2 <https://histoireetsociete.com/2020/09/26/lincontinence-verbale-des-occidentaux-na-plus-dimportance-pour-les-russes >; Phil Butler, chercheur politique, analyste, politologue et spécialiste de l’Europe de l’Est, est l’auteur du récent best-seller “Putin’s Praetorians” et d’autres livres. https://journal-neo.org/2020/09/25/western-metrics-no-longer-matter-for-russians/

3Rappelons ses premiers discours en principe atypiques sur la Syrie, la Russie, la Chine, l’Afrique, la Biélorussie ou le Liban qui contrastent très vite après quelques semaines avec ses déclarations ultérieures.

4Voir sur ce sujet en particulier l’ouvrage de Dorota Dakowska, Le pouvoir des fondations. Des acteurs de la politique étrangère allemande, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. Res Publica, 2014. Et son mémoire de DEA soutenu à l’université de Straasbourg qui a précédé.

5 < https://oilprice.com/Energy/Energy-General/Why-Russia-Is-Pushing-Unneeded-Nuclear-Power-Plants-On-Egypt.html>

6 Samuel Ramani du Royal United Services Institute for Defense and Security Studies (RUSI)

7 < https://thegrayzone.com/2020/09/23/syria-leaks-uk-contractors-opposition-media/ >

9 < https://www.lepoint.fr/afrique/les-europeens-mal-coordonnes-au-sahel-selon-un-general-americain-11-03-2020-2366736_3826.php >

10 < https://french.presstv.com/Detail/2020/10/08/635918/Mali-les-USA-veulent-maintenant-étouffer-les-FAMAS >

11Idem

12Idem

13Idem

15 < https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/20120504trib000697060/le-f-35-grandeur-et-decadence-du-programme-militaire-vedette-americain-.html > ; < https://www.lepoint.fr/monde/f-35-l-avion-de-chasse-de-l-armee-americaine-incapable-de-viser-01-02-2020-2360761_24.php > ; < https://fr.sputniknews.com/international/201806051036668133-armes-defaut-armee-USA/ >

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25 septembre 2020 5 25 /09 /septembre /2020 13:47

Hormis l’image de guerres permanentes et de foyer de migrations ou du nouveau commerce d’esclaves, la Libye a largement quitté le viseur des « grands » médias peu intéressés à faire le bilan de choix politiques qui ont abouti à la destruction de la prospère et stable Jamahiriya socialiste, comme ils ne veulent pas remarquer que le fils rescapé du guide libyen assassiné sous supervision de l’OTAN, est devenu un des hommes politiques les plus populaire dans son pays. Du coup, le public ne peut comprendre l’enjeu de la guerre intestine qui oppose aujourd’hui les différentes factions de « seigneurs de la guerre » locaux.

Sans présenter une analyse approfondie des bases économiques, sociales, idéologiques sur lesquelles s’appuient ces différentes factions et sur les contradictions qui existent sur le long terme entre les intérêts nationaux libyens, arabes et africains par rapport aux politiques de domination et d’intervention tant française, allemande, italienne que nord-américaine et par rapport à l’emergence de puissances alternatives dans la grande Eurasie, il est bon de noter qu’une évolution vers un retour minimum de stabilité pourrait représenter, en attendant mieux, un compromis utile, non seulement pour la paix mais aussi pour les différents protagonistes de la situation les plus proches géographiquement du foyer de tension méditerranéen. Ce que résume ici un de nos collègues politologues polonais.

 

La Libye : vers l'instabilité ou vers la paix ?

-

septembre 2020

 

 

Mateusz Piskorski*

 

L'instabilité politique

 

Le Premier ministre du Gouvernement d'union nationale de Libye, Fayez el-Sarraj, a déclaré le 16 septembre 2020 qu'il quittait son poste et qu'il remettrait son autorité au nouveau chef du pouvoir exécutif jusqu'à la fin octobre. On ne sait pas qui remplacera el-Sarraj. Les changements sont également mûrs dans l'est de la Libye, où se trouvent des autorités alternatives par rapport à celles de Tripoli. Le 13 septembre, le « gouvernement de Tobrouk », dirigé par Abdallah al-Thani, a présenté une note prévoyant sa démission. La raison de cette décision peut se trouve dans les contradictions accumulées entre le Khalifa Haftar et le gouvernement de Tobrouk, ainsi que les problèmes économiques et sociaux qui ont entraîné des manifestations de masse dans les villes de la Cyrénaïque la semaine dernière. Il convient de noter que dans l'ouest du pays aussi, le mécontentement de la population ne s'est pas atténué : des manifestations de masse contre la corruption, les groupes armés illégaux et les problèmes économiques s'y sont également déroulées en août.

 

Ces derniers jours, cependant, le sentiment d'une instabilité politique croissante à Tripoli et Tobrouk a contrasté avec l'accalmie que l’on constate sur les fronts. En août dernier, Fayez el-Sarraj et la présidente de la Chambre des représentants, Aguilla Saleh, basée dans l'est de la Libye, ont déclaré une trêve. De nouvelles élections sont prévues pour l'année prochaine, suivies par la formation en principe d’un nouveau gouvernement qui devrait unifier le pays. Des consultations entre les parties en conflit ont eu lieu au Maroc et en Suisse, à Genève.

 

Selon les experts, le gel du conflit, les changements en cours et l'incertitude politique croissante dans les deux principaux centres de pouvoir parallèles en Libye sont étroitement liés. La stabilisation sur la ligne de front a mis en évidence des contradictions internes dans chaque camp et qui étaient auparavant moins importantes face à une menace commune visant chacun des deux camps. Il s'agit tout d'abord du Gouvernement d'union nationale, où différentes forces sont rassemblées : des « islamistes » orientés vers les « Frères musulmans », la Turquie et le Qatar, des salafistes aussi comme les Forces spéciales Rada, des commandants locaux de terrain qui affirment leur pouvoir dans les villes et les petites agglomérations et qui ne sont pas intéressés par une véritable unification du pays. Cependant, il y a aussi l’importance des représentants des milieux d'affaires et des milieux plus pragmatiques présent au sein du Gouvernement d'union nationale. Le vice-président du Conseil présidentiel de Libye, Ahmed Miitig, est par exemple considéré comme l'un de ces hommes politiques.

 

L'accord pétrolier

Le 18 septembre 2020, presque simultanément, Ahmed Miitig et le commandant de l'armée nationale libyenne concentrée dans l’est du pays, Khalifa Haftar, ont convenu de reprendre les exportations de pétrole. Ensemble, ils ont résolu un problème qui constituait la pierre d'achoppement depuis neuf mois, après que des tribus libyennes aient bloqué les exportations en provenance de la plus grande puissance pétrolière d'Afrique. La raison de ce blocus pétrolier était due au mécontentement des populations de l'est libyen face à la répartition inégale des revenus de la vente des principales richesses du pays. La National Oil Corporation (NOC) estime que le blocus pétrolier a coûté au pays 10 milliards de dollars1. Les nouveaux accords pétroliers entre l’Armée nationale libyenne et le Gouvernement d'Union nationale, conclus entre Haftar et Miitig, soulèvent dès lors l'espoir de pouvoir restaurer la stabilité après l'inévitable transformation politique qui devrait suivre.

 

Le bureau de presse de l’Armée nationale libyenne a déclaré que le nouvel accord prévoyait un système de distribution équitable du pétrole au profit de tous les Libyens. Et immédiatement près cette annonce, l’Armée nationale libyenne a annoncé la levée du blocus pétrolier. Le compromis mis en œuvre dans l'accord de Haftar et Miitig est crucial pour mettre fin à la guerre civile, qui ne s’est jamais arrêtée en Libye depuis 2011. Cet accord est la clé du rétablissement de véritables contacts diplomatiques et économiques entre les deux parties du pays, l'Est et l'Ouest, ainsi que de la stabilité générale. L'accord est aussi bénéfique pour la population et pour les entreprises libyennes, avec lesquelles Miitig a de bons contacts. Les compagnies pétrolières étrangères opérant en Libye devraient également trouver un côté positif à cet accord. Il s'agit tout d'abord de l'ENI italienne et de Total français

 

Miitig sera-t-il le nouveau premier ministre du futur Gouvernement d'Union nationale ?

 

Plusieurs experts admettent qu'Ahmed Miitig pourrait devenir le nouveau chef du Gouvernement d'Union nationale - Premier ministre ou Président du Conseil présidentiel. Contrairement aux autres candidats du Gouvernement d'Union nationale, avant tout, Fathi Bashagha, ministre de l'intérieur de ce gouvernement, Miitig n'a aucun contact avec les gangs « islamistes » comme celui de Bashagha subordonné aux militants des Forces spéciales Rada, et il n'est pas accusé de torture et se comporte comme un politicien considéré comme laïque.

 

L'avantage du Miitig est qu’il a conclu des accords avec le pouvoir de l’est libyen et qui se révèlent cruciaux pour toute la région. Ce que ni el-Sarraj, ni Bashagha, ni l'ONU n'ont pu faire jusqu’à présent. Cela signifie que l'on lui fait confiance à l'Est, ce qui est important pour le rétablissement de la paix et de l'unité de la Libye.

 

Jusqu'à présent, de nombreuses négociations (y compris dans les pays européens, la dernière étant la conférence de Berlin fin janvier 2020) sur le règlement libyen, malgré les succès intermédiaires, n'ont jamais abouti à obtenir des résultats tangibles. En outre, l'instabilité permanente a alimenté les actions d’acteurs extérieurs visant la Libye. En particulier, la Turquie, un des allié manifeste du Gouvernement d'Union nationale, qui a fourni à Tripoli des armes et même des mercenaires en provenance de Syrie. En même temps, Ankara n'a pas caché qu'elle considérait la situation en Libye comme étant en conjonction avec ses revendications qui portent sur son rôle dans une grande partie de la Méditerranée orientale. Le large soutien de la Turquie au Gouvernement d'Union nationale a en effet commencé après que Fayez el-Sarraj ait signé un accord turco-libyen de délimitation des zones maritimes en novembre 2019. Ce document a confirmé les revendications de la Turquie sur une grande partie du plateau et des eaux de la mer Méditerranée, au détriment de la Grèce et de Chypre.

 

Il est important de noter que cet accord portait également atteinte aux intérêts économiques de la France : la compagnie pétrolière française Total participe en effet au développement du plateau continental revendiqué par la Turquie. Et un gazoduc vers l'Europe, auquel les entreprises françaises sont également intéressées, doit être construit dans ces régions. C'est pourquoi les relations entre la France et la Turquie se détériorent constamment depuis un an, ce qui a failli provoquer un conflit armé en juin, lorsqu'une frégate turque se trouvant au large des côtes libyennes a refusé d'exécuter un ordre d'inspection de la cargaison de la part de la frégate française et l'a prise dans son viseur.

 

Dans la situation actuelle, Miitig se retrouve donc peut-être comme étant l'homme politique qui peut enfin établir un dialogue entre les différentes parties prenantes au conflit et parvenir à un équilibre avec l'Est. Il s'est également engagé dans la coopération multi-vectorielle avec les puissances régionales.

 

Fathi Bashagha, son principal concurrent, a longtemps misé de son côté sur les États-Unis, et ce n'est pas par hasard qu'il avait proposé de construire une base américaine en Libye dès février 2020. Les intérêts américains en Méditerranée ne coïncident pas avec les intérêts des puissances européennes : Washington n'a en effet pas besoin d'une Europe indépendante et forte. Les États-Unis seraient plutôt prêts à prendre eux-mêmes le contrôle du pétrole libyen, après quoi le pays continuerait d'être une source d'instabilité dans la région, comme cela s'est produit au Moyen-Orient après l'invasion américaine en Afghanistan et en Irak ou depuis avec l'arrivée de troupes américaines en Syrie orientale et méridionale. Par conséquent, la sympathie pro-américaine de Bashagha pourrait se révéler très dangereuse.

 

Comparé à Bashagha, Miitig ressemble donc à un homme politique plus indépendant, prêt à travailler avec les Européens et à prendre en compte les intérêts des puissances continentales européennes, principalement la France et l'Italie. Enfin, bien qu'il ne soit pas aussi dépendant de la Turquie que Fayez Sarraj, Miitig est l'une des rares personnages politiques en Libye aujourd'hui qui représente une position que l’on pourrait qualifier derealpolitik’.

 

Importance pour l'Europe

 

La Libye compte parmi les plus proche voisin africain de l'Europe, elle constitue une source de richesse pétrolière incalculable, mais aussi de menaces potentielles : terrorisme, radicalisme takfiriste-islamiste, et enfin flux incontrôlé de réfugiés et de migrants en provenance d'autres pays africains. Dans le contexte actuel, les politiciens européens ne devraient pas logiquement louper l'occasion qui semble se présenter de contribuer à la résolution du conflit. Car l'instabilité en Libye provoque aussi l'afflux d'éléments radicaux et de combattants terroristes dans les capitales occidentales, et elle contribue à l'augmentation du nombre de migrants.

 

Il apparait donc très important aujourd'hui que l'UE fasse tout son possible pour prévenir une nouvelle crise migratoire et promouvoir la paix en Libye. Peut-être qu’Ahmed Miitig, candidat au poste de Premier ministre, pourrait-il devenir la figure qui apportera enfin la stabilité à un pays déchiré par des divisions internes. À tout le moins, l’accord pétrolier pourrait déjà améliorer considérablement la situation des compagnies pétrolières européennes et stabiliser en même temps la situation socio-économique en Libye même.

 

* Politologue polonais, analyste des conflits géopolitiques, en particulier dans la zone Europe-Eurasie et au Moyen-Orient.

 

Note :

1 < https://twitter.com/NOC_Libya/status/1308743752975110144?s=20 > consulté le 20/09/2020

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17 septembre 2020 4 17 /09 /septembre /2020 23:00

La mode de l’écologie politique et de la décroissance s’appuie sur un sentiment de culpabilité qui profite au final aux gestionnaires du système prédateur, guerrier et destructeur des équilibres environnementaux. Il n’en reste pas moins que la question de l’origine de l’homme et ses rapports avec la nature reste centrale. Car l’homme, s’il n’était pas entré en conflit avec la nature, avec les lois de la nature, n’aurait sans doute par survécu, et s’il a survécu, il doit dès lors réfléchir dans quel but il se trouve sur terre, maître de la terre. Réflexion qu’ouvre cet essai. Aux périodes d’essor, de progressisme et de développement, l’homme croit en son destin et en son avenir, aux périodes de stagnation et de crise, il se replie sur une vision pessimiste de lui-même et de la vie. Ce que nous expérimentons aujourd’hui en cette période de stagnation post-moderniste. On peut dès lors à juste titre multiplier les exemples négatifs, ils sont légions, mais rappelons aussi, pour les optimistes, que, en Chine par exemple, on a reboisé au cours de la décennie écoulée l’équivalent en surface de ce qu’on a perdu en Amazonie. Donc cela doit amener à la question : Qui reboise et pourquoi, quel système le favorise ? Et qui déboise et pourquoi, quel système le favorise ? En attendant, réfléchissons à ce qui fait que l’homme développe des systèmes de prédation qui se retournent contre lui-même en tant qu’espèce, même s’ils créent une satisfaction (factice?) pour certains.

La Rédaction

 

Technologie, écologie

et

histoire humaine :

une hypothèse

-

Septembre 2020

 

« lidem satiali innoxii sunt. »1

Pline l’ancien, Histoire naturelle, livre VIII, chap. XIX.

 

 

Claude Karnoouh

 

Diverses associations vouées à l’écologie, divers instituts forestiers, des départements universitaires spécialisés dans l’enseignement de la gestion des espaces naturels et, last but not least nombre d’hommes politiques des partis verts d’Europe occidentale doublés d’ONG étasuniennes se sont inquiétés à juste titre de la liberté donnée aux agriculteurs brésiliens de défricher par milliers de nouveaux hectares de la forêts amazonienne. Ainsi ce que l’on a l’habitude de désigner comme le « poumon du monde » est inexorablement réduit par des abattages massifs de la forêt primaire. Certes l’Amazonie n’est point la seule zone du monde où la déforestation va bon train. La destruction forestière massive touche simultanément l’Indonésie, la péninsule indochinoise et l’Afrique équatoriale. Plus récemment, en Allemagne, en Italie, en Autriche et dans les allées de la Commission européenne la crainte d’une disparition de l’une des dernières grandes forêts primaires tempérées d’Europe, celle des Carpathes roumaine été dénoncée en raison des abattages massifs commandés par des entreprises autrichiennes ou Ikea. Voilà quelques exemples pris à des milliers de kilomètres les uns des autres et qui instruisent le même processus auquel on adjoindra les feux massifs qui dévorèrent sans merci les forêts subtropicales australiennes pendant l’été 2019 car le manque d’eau ne permettait pas des arrosages massifs et simultanés à l’échelle des zones incendiées. Il y avait un manque criant d’eau et ce pour une seule raison : celle-ci avait été vendue à des compagnies de soda comme Coca-Cola ! Autant de déboisements qui entraînent simultanément l’élimination d’espèces animales sauvages dont certaines sont aujourd’hui au bord de l’extinction comme l’orang-outan de Bornéo et Sumatra, les éléphants du Laos, les koalas d’Australie, les Gorilles de plaines et des montagnes d’Afrique équatoriale, les Bonobos de la République du Congo, etc.

 

Voilà qui expose l’enjeu du défi car le défrichage sans limite n’est pas uniquement un problème forestier, celui de la destruction de bois et de sous-bois, mais conjointement un problème zoologique, celui de l’annihilation de la faune sauvage, et humain, ce qui reste de civilisations primitives comme celle des Pygmées d’Afrique équatoriale ou des tribus indiennes d’Amazonie centrale est voué à disparaître2. Au cours de l’été australien de 2019, les gigantesques incendies ont engendré la disparition plus de deux milliards d’animaux brûlés, y compris parmi les espèces les plus menacées de disparition totale comme les Koalas. Le président du Brésil Bolsonaro, quant à lui, proclame sans ambages que l’arrivée de l’agriculture industrielle et de la christianisation (néo-protestante) fera des Indiens des hommes enfin civilisés ! On croit régresser dans le temps, ainsi on se croirait revenu dans le passé des Amériques du XVIIIe siècle3 ! La planète brûle d’un feu infernal, la planète perd ses forêts, la planète étend sans limites sa population et ses mégapoles, la planète est devenue une gigantesque décharge d’ordures, la planète s’est transformée en champ expérimental d’une agriculture et d’un élevage chimique, et l’on trouve pêle-mêle le mercure des orpailleurs, les boues rouges industrielles de la Méditerranée occidentale, les rejets des engrais chimiques des côtes bretonnes, enfin et non des moindres, l’accumulation des déchets plastiques couvrant des surfaces gigantesques de l’Océan pacifique, etc. La Planète est souillée, maculée, polluée, contaminée… et, les animaux sauvages en sont éliminés.

 

Toutes ces destructions ne sont pas dues au hasard, à une sorte d’accident inattendu, elles tirent toutes leur origine de la satisfaction d’un appétit capitaliste sans limite obtenu grâce aux bénéfices issus de l’agriculture-élevage industrielle. Les surfaces d’exploitation de ce capitalisme agro-industriel exigent, au nom de la rentabilité maximum du capital, des surfaces gigantesques comme on en rencontre au Brésil par exemple, où une seule ferme peut avoir une superficie exploitable égale ou supérieure au Luxembourg ou à la moitié de la Belgique ; où, comme aux USA et en Chine, quand des fermiers élèvent 40 000 dindes, 30 000 porcs, 10 000 vaches ! Plus l’exploitation est vaste et orientée vers la monoculture, le mono-élevage, plus la rentabilité du capital investi est élevée et plus elle exige l’usage massif d’engrais chimiques, de pesticides, d’antibiotiques, d’hormones de croissances qui, tous ensemble, concourent à l’augmentation exponentielle de la pollution des légumes, des viandes, des eaux de ruissellement et, par-delà, des cours d’eau et de la mer. Cette agriculture n’a cure de l’environnement parce qu’elle nourrit la plupart du temps des capitaux spéculatifs se déplaçant dans le monde rural pour trouver, un jour ici, un autre là, autant de lieux où produire engendre un profit maximum en un moindre temps possible. On se gardera d’oublier les dégradations irréversibles réalisées par le fracking des gaz de schiste pour du pétrole dont les effets entraînent la ruine totale et irréversibles des sols et sous-sols.

 

Certes la dévastation de la terre par l’homme n’est guère nouvelle. Celle-ci commença dès que le genre homo se détermina comme homme, cependant, à l’évidence, ce qui change dans la modernité ce sont le niveau des destructions dominé par le « règne de la quantité ». Il est là l’un des traits spécifiques de l’homme qui le différencie radicalement des animaux auxquels on a pris aujourd’hui l’habitude de le comparer systématiquement aujourd’hui au nom d’une thèse tout à fait stupide, interspécie. Certes, il y a parfois des similitudes entre l’homme et l’animal, surtout entre l’homme et ses lointains cousins les singes et plus précisément les chimpanzés, toutefois rien n’équivaut au pouvoir destructeur de l’homo sapiens sapiens de la modernité, et d’une modernité qu’il faut peut-être faire remonter à la haute Antiquité. En effet, ce qui donne à l’homme moderne son trait spécifique, c’est sa qualité destructrice unique dans le règne animal. L’homo sapiens sapiens moderne détruit bien au-delà tous les besoins essentiels pour sa survie, bien au-delà de ses besoins alimentaires vitaux. A la différence des animaux, même les plus violents, il extermine en masse pour dominer sans partage, puis pour profiter sans partage. Je n’ai pas ouï dire que ce soient les lions ou les tigres qui aient exterminé des troupeaux herbivores au point de faire disparaître des populations entières de gazelles ou de lions. Ce sont bien les hommes qui tuent et, par surcroît, s’entretuent avec enthousiasme malgré des torrents de pleurs, des milliers de pages de repentirs et de remords post factum.

 

Au début du XIIIe siècle, le roi d’Angleterre Jean-sans-Terre publia un édit stipulant l’expulsion de Londres intramuros des bas-fourneaux tant l’air et les chaussées y étaient pollués par les fumées et les résidus de la combustion du bois et du minerai de fer. Le paysage de la Provence tel que nous le connaissons présentement, avec ses montagnes pelées couvertes de garrigues où affleurent les strates du calcaire tertiaire n’a rien d’originel, c’est le résultat du travail humain quand, tout au long du Moyen-Âge, le défrichage massif et la pratique systématique de la glandée décimèrent les grandes forêts de chênes qui la couvraient4. Forêt de chênes qui faisait dire à Pline l’Ancien parlant de la Gaule romaine : « Gallia Comata »5. L’histoire de la destruction de la Terre originelle, se résume en perspective cavalière par passage du paléolithique des chasseurs-cueilleurs au néolithique tardif des agriculteurs-d’éleveurs sédentaires ayant conservé partiellement la chasse comme source complémentaire de protéines et plus tard comme privilège aristocratique. Pour défendre leurs troupeaux ou leurs piscicultures, les agriculteurs éliminèrent systématiquement certaines espèces comme les loutres, les loups, les ours, les cougars, les lynx, etc… Et plus tard, les jaguars, les lions, les panthères, les ours, les éléphants et les rhinocéros, etc., dont la survie du présent est due essentiellement en ce que tous ces animaux sont protégés par diverses lois, des parc naturels et des réserves nationales. De plus, il convient de n’oublier point l’extension massive de la domestication et de l’élevage de certaines espèces animales, laquelle entraîne des mutation radicales des écosystèmes originaux, et tout autant des modifications sociétales profondes comme par exemple l’intrusion du cheval en Amérique du Nord parmi les sociétés indiennes des grandes plaines.

 

Mutations écologiques et exterminations animales vont l’amble. Selon les meilleures recherches d’archéologie préhistorique actuelles, il semblerait que l’action destructrice de l’homme est consubstantielle à la nature humaine de l’homme en tant homme, Erectus, Denisovensis, Neandertal puis Sapiens. Selon des recherches entreprises durant la seconde moitié du XXe siècle et au début du XXIe, où la génétique joue un rôle prépondérant, on peut affirmer que certains animaux et en particulier de très grands animaux furent exterminés par des chasseurs-cueilleurs dès le Paléolithique jusqu’à l’époque de la protohistoire. Si parmi eux les mammouths sont les plus célèbres, on signalera un petit cheval en Amérique du Nord et plus spectaculaire, le kangourou géant d’Australie ou le paresseux géant d’Amérique latine tropicale. Il est assumé que tous ces animaux ne redoutaient point l’homme et se laissaient approcher sans frayeur.

 

Dans son petit ouvrage fort roboratif La domestication de l’être, Sloterdijk note à l’encontre des éthologues que ce qui instaure de manière indiscutable la nature humaine de l’homme ne fut rien d’autre que la technique, fût-elle la plus rudimentaire comme celle des galets brisés. Cependant, la lecture des plus récents travaux d’anthropologie préhistorique m’oblige à rajouter trois éléments qui n’appartiennent qu’à l’homme et à lui seul, et sans lesquels il n’eût jamais été l’homme le conquérant de la Terre. Deux facteurs physiologiques, la marche verticale et la langue, et un facteur technique essentiel pour ce qu’il offre des possibilités inédites à la réorganisation de l’écologie, il s’agit de l’usage conscientisé du feu qui apparaît entre 790 000 et 400 000 avant notre ère, puis est recréée, sans que l’on puisse savoir quelle fut la méthode de conservation ou d’ignition. C’est pourquoi l’annonce présente, à savoir que nous entrons dans la sixième extermination massive de la faune sauvage, ne se présente pas, au bout du compte comme je l’écrivait auparavant, en tant que qualité inhérente à la modernité de l’homme propre à la production du capitalisme tardif, car pour en comprendre les plus profonds ressorts, elle doit être regardée comme une suite contemporaine d’une antédiluvienne détermination spécifique à l’homme.

 

Nous connaissons des animaux, corbeaux, pies et singes qui savent se servir d’outils pour arriver à leurs fins, essentiellement se nourrir ou se défendre ; certes, il y a des animaux qui manifestent des comportement de deuil vis à vis de leurs semblables décédés comme les éléphants et les chiens ; certes il y a des animaux capables de répéter parfaitement des comportement par apprentissage comme les perroquets et les chiens ; certes, enfin, il y a des animaux qui montrent des sentiments d’attachement à l’autre semblable, de sociabilité et d’affection devenant ainsi un groupe, un troupeau, une horde, avec son ordre et sa hiérarchie très sévère, parfois féroces, mais aucune espèce, ni même parmi les plus proches de nous, chimpanzés, bonobos, gorilles et orang-outangs ne sont capables de transformer une matière première naturelle qu’il ont trouvé autour d’eux, pierre ou morceau de bois. C’est justement la transformation de la matière brute, de la matière donnée immédiatement dans la nature, en un instrument, donc en une forme à visée fonctionnelle, qui marque la destinalité humaine, et, sait-on jamais, sa fatalité mortifère. Richard Lewinsohn dans son histoire des animaux et leur rôle dans le développement de la civilisation humaine6, note que les premiers outils de l’homme sont des armes. Cette remarque souligne précisément le type du premier travail humain avec des outils : la violence décuplée pour obtenir de la nourriture, pour se défendre et attaquer. Dans un passage de son commentaire sur le Parménide, Heidegger rappelle la théorie de l’évolution de l’histoire de Marx comme lutte de classe dans le cadre fondateur de l’exploitation de l’homme par l’homme. Or, à ce propos, le maître de Fribourg se demandait si avant même l’exploitation de l’homme par l’homme et l’apparition des classes sociales, le fondement même de l’histoire humaine initiale ne serait pas l’extermination de l’homme par l’homme, à laquelle nous pourrions ajouter l’extermination de toute vie sauvage par l’homme7. Les derniers résultats des recherches sur la préhistoire humaine viennent soutenir ce propos de Heidegger en ce qu’il y est montré que les premiers outils furent des armes. Si tel est le cas, il n’est guère étonnant que l’homme, en son essence nihiliste, annihile les espèces animales jusqu’à leur extinction complète. Voilà un travail qu’aucun autre animal n’a fait et ne fait, même les plus cruels parmi les félins comme les lions et les tigres. Tout ce que l’homme moderne a pu décrire comme cruauté animale n’est certes pas entièrement faux, mais ne se peut comparer à l’acharnement de la cruauté humaine. Une fois le chef évincé, voire tué par des lions concurrents, les vainqueurs gardent toutes les lionnes ; une fois tuée une gazelle le tigre s’en repaît sans exterminer toute la harde. L’homme extermine ses semblables et les animaux bien au-delà des besoins immédiat de se défendre et, rappelons cette réalité essentielle, ce n’est pas le raffinement culturel de telle ou telle civilisation qui tempéra ce fond des comportements humains. La Grèce athénienne avait l’habitude de raser les citées vaincues et de passer la plupart de leurs habitants au fil de l’épée quand ils n’étaient pas pris comme esclaves, comme cela arriva à Platon ; et la Rome antique, républicaine et impériale, ne fut pas en reste ! Aussi peut-on voir au fil du développement des techniques et des forces productives humaines l’intensification des massacres guerriers et des ravages imposés à la nature. L’homme quant à lui, malgré les guerres et les épidémies parce qu’il possède une énorme capacité de survie en raison de son intelligence, d’une forte fécondité et de ses capacités médicales déjà présente dans la plus haute antiquité. Toutefois, force nous est de constater que plus la techno-science s’intensifie, plus la productivité s’installe comme finalité ultime de la vie sur terre (avec la conformation psycho-sociale qu’elle modèle), plus la nature est donc détruite, et ce quel que soit les régimes politico-économiques. Or rien ne semble présentement pouvoir arrêter cette machine infernale.

 

Dès lors que l’alternative communiste s’est achevée aussi dans l’idéel de l’hyperproduction et qu’aujourd’hui le profit maximum en un minimum de temps domine sans partage l’ensemble du monde, nous atteignons à la vérité ultime du capitalisme : réduire le monde à la somme des objets produits dans le monde. Ou si l’on préfère à la somme des marchandises, et donc à la somme du travail et, en conséquence, à la somme de la plus-value, en bref réduire le monde au Capital et à la circulation frénétique de l’argent : « L’argent danse pour vous » écrivait Marx dans le chapitre consacré au fétichisme de la marchandise.

 

En effet, dès lors que l’ensemble des rapports de production et d’échanges s’articule autour d’une seule et unique finalité économique, le profit maximum obtenu dans le minimum de temps investi, il semble évident que la multiplication à l’infini des marchandises et des services divers privatisés engendre une croissance exponentielle de ces mêmes marchandises et des privatisations des services publics. Le système productif et commercial ne peut s’intensifier qu’en fonctionnant sur deux modes. Le premier consiste à multiplier à l’infini (ou à l’illusion de l’infini !) les marchandises réelles et potentielles, engendrant une appétence de l’innovation dans tous les domaines, y compris ceux qui touchent à l’essence biologique et moléculaire de la vie, et dont la publicité a pour mission d’en faire la propagande en insistant sur la nature innovatrice et salvatrice de l’objet. Le second mode vise à privatiser les besoins minimaux et vitaux nécessaires à la vie de l’homme moderne urbain et para-urbain, habitant au sein d’une société de masse où la division technique et sociale du travail est de plus en plus spécialisée.

 

Croissance sociale et croissance financière

Dans ce cadre général un analyste se doit d’établir une différence entre le capital de croissance sociale et le capital de croissance financière ou de spéculation. Le partage entre ces deux régimes de fonctionnement du capital sont de fait déterminés par l’état des rapports de classe à l’échelle internationale. En effet, chaque fois que la conjoncture internationale menace le cœur du capitalisme impérial, c’est-à-dire pour l’essentiel anglo-saxon, celui-ci fait des concessions aux salariés, aux classes moyennes, à la petite paysannerie, aux artisans, mettant en avant le capital de croissance sociale, Welfare State. Inversement, dès lors que le capitalisme se perçoit libre de tous ses mouvements financiers et sans entrave aucune soit parce que les législations d’État ont laissé la porte ouverte à la perte de souveraineté, soit parce que le mouvement social est étouffé qui intensifie la paupérisation des ouvriers, des employés et des classes moyennes, le seul but financier domine l’ensemble du socius. C’est exactement cela qui advient en Occident depuis le milieux des années 1970 et en Europe-postcommuniste depuis l’implosion de l’URSS. Or cette radicalisation et cette extension du capital financier est aussi concomitante avec une désindustrialisation massive de l’Occident au profit de la main-d’œuvre très bon marché d’Asie et du tiers-monde tropical en général, et à une exploitation toute aussi massive de la main-d’œuvre appelée par l’émigration en Occident, laissant comme seule source de bénéfices à nombre de pays de l’Est le pillage du potentiel agricole, forestier et des matières premières. Exploitation frénétique qui, tant en Europe de l’Est que sous les Tropiques, mène à des surcroits de pollution ingérables et à la sixième extinction massive des espèces sauvages.

 

Les impostures de l’écologie politique

Après cette longue description des catastrophes écologiques qui sont maintenant notre lot quotidien, il convient, en bonne logique analytique, de revenir sur les limites, et, au-delà, sur les impostures de l’écologie politique des pays développés. Ici et là on lit dans la presse dite mainstream d’Occident qu’il nous faut réduire drastiquement la vitesse des automobiles, qu’il nous faut arrêter de faire rouler nos vieilles voitures, qu’il nous faut des éoliennes partout où le vent souffle, des plaques solaires pour couvrir les champs, les prés et les lacs ensoleillés, qu’il convient d’en finir avec le plastic, qu’il ne nous faut plus manger de viande, etc. Une très jeune adolescente norvégienne ou suédoise largement subventionnée par des sources financières très obscures, devenue en quelques jours la grande prêtresse du réchauffement climatique, parlant à l’ONU devant l’ensemble des représentants mondiaux, hier devant les commissaires de l’UE à Bruxelles, demain invitée personnelle de la Chancelière allemande, Madame Merkel, lance des avertissements péremptoires aux grands de ce monde pris dans une sorte de délire hypnotique devant cette adolescente au visage sinistre ! Elle déclare la fin du monde imminente si l’on ne change pas de politique, c’est pourquoi il convient de réduire drastiquement la circulation automobile européenne et la pollution industrielle des pays émergents. Cependant, au-delà de ce catalogue avec lequel on ne peut qu’être d’accord, notre nouvelle prophétesse oubliait, comme par hasard, de rappeler que les plus grands pollueurs du monde demeurent encore aujourd’hui les pays occidentaux. Ainsi pour le plastique, elle a omis Coca-Cola et Pepsi-Cola (cf., New-York Post du 18 novembre 2019) ; pour le transport elle a oublié les très grands cargos porte-containers dont les moteurs diesel de 40 000 chevaux-vapeur utilisent comme combustible un fuel lourd très riche en soufre et hyper-polluant ; elle néglige aussi l’élevage intensif et l’agriculture industrielle qui exigent outre d’énormes volumes d’eau, des engrais et des désherbants chimiques hautement toxiques pour l’environnement et, last but not least, elle est frappée d’amnésie quant à la déforestation induite qui annihile les forêts primaires d’Afrique centrale, d’Indonésie et du Brésil au profit de l’huile de palme, du soja, du coton et autres plantes à usage industriel ! Certains s’émurent même qu’elle ne dénonça point les centrales à charbon chinoises. Voilà qui manifeste une écologie à intérêt variable comme la portance de certains avions à réaction.

 

Que peut-on tirer d’une telle description banalement objective ? Dire que l’essence de la dynamique capitaliste s’articulant sur la plus-value maximale du capital investi transforme toute chose en marchandise et en son équivalent monnaie, voilà une évidence répétée depuis des lustres. Ainsi, toute chose matérielle, toute matière première, tout animal (y compris l’homme) ou végétal est une marchandise potentielle, voilà qui est aussi une banale vérité dont les exemples abondent. Cependant, ce constat est très insuffisant ! Car les pays communistes, les pays du tiers monde d’inclination socialiste ont eux-aussi détruit l’environnement avec la même frénésie productiviste que les pays capitalistes, sans se soucier des ravages écologistes qu’ils causaient. Aussi force nous est-il de constater qu’il est quelque chose de commun à ces deux systèmes politico-économiques qui se tient dans l’exaltation déchaînée du progrès productiviste et, par voie de conséquence, dans la volonté de destruction de la nature. Pour rendre compte de ce socle commun à ces deux systèmes politiques modernes il ne faut pas rester le nez collé sur un présent où nous les observons comme formes politico-économiques antithétiques et antagoniques, il nous faut remonter très loin dans le temps et faire appel à nouveau aux résultats les plus contemporains de la recherche en archéologie préhistorique.

Depuis longtemps nous savons que dans les temps préhistoriques du tertiaire des espèces animales comme les dinosaures ont été éliminées totalement par un phénomène naturel titanesque, la chute d’un gigantesque astéroïde sur la terre. En ces temps-là, il n’y avait pas la moindre présence humaine sur la terre, c’était le sort banal de l’évolution de la vie sur la planète marquée par de phénoménales éruptions volcaniques, comme plus tard les variations climatiques entre glaciations massives et réchauffements démesurés. Par ailleurs, on a souvent montré qu’aucune espèce animale n’avait éliminé totalement une autre espèce d’animale, en bref, jamais les lions n’ont éliminé leur ennemi juré les hyènes ! En revanche très tôt, par la seule activité de ce prédateur intelligent, très curieux et habile, l’homme préhistorique a réussi l’extinction du cheval en Amérique du nord et longtemps avant son retour avec les conquérants européens, du kangourou géant en Australie, du paresseux géant en Amérique du Sud, du mammouth, du mastodonte, de l’ours des cavernes, du tigre aux dents de sabre en Eurasie. Ce travail s’est réalisé non seulement avec ses dents, ses bras et ses mains, mais, aussi primitifs furent-ils, avec des outils.

 

L’outil

Voilà ! Le mot-concept est lancé : l’outil. Oui ! Qu’est-ce donc que l’outil dans sa définition empirique ? Un objet fabriqué, créé, qui « sert à faire un travail »8. Ainsi donc, avec des artefacts qui prolongeaient en intensifiant et diversifiant l’action de la main et du bras, l’homme pouvait réaliser des travaux qu’il était incapable d’accomplir auparavant. Après avoir mis le feux aux savanes et aux forêts pour capturer des animaux, encore fallait-il les découper, non seulement pour les consommer, mais pour en garder les morceaux en les fumant par exemple. Comme contre-argument de type anti-spéciste certains rétorqueront que certains animaux, singes et corbeaux par exemple utilisent aussi des éléments naturels, branches, tiges, pierres, comme outils pour se procurer de la nourriture, voire dans quelques très rares cas pour se défendre des prédateurs. Cependant, aucun ne fabrique des outils, c’est-à-dire qu’aucun ne transforme de la matière brut trouvée dans la nature en lui donnant une forme fonctionnelle, qu’on peut présupposer pensée comme telle comme le fit l’homo habilis. Or cette transformation de la matière brute en forme-outil plurifonctionnelle comme les premiers couteaux-grattoirs est à l’origine de cette opération théorico-pratique propre à l’homo. La taille de la pierre exige en effet un concept, sinon au moins une notion abstraite envisageant la potentialité fonctionnelle de l’objet obtenu en frappant avec une autre pierre, un bois de cerf ou une branche un nucléus de silex, d’obsidienne ou de basalte. Il faut que le sujet sache ou ait l’intuition que les éclats obtenus ainsi seront plus ou moins conformes aux usages préalables qu’il souhaite en faire.

 

Pendant plus de 2,5 millions d’années l’homo raffina les outils lithiques, depuis le simple galet coupé en deux avec ses arrêtes tranchantes, les splendides feuilles solutréennes jusqu’aux splendides pierres polies que Cook et Bougainvilliers trouvèrent encore au XVIIIe siècle dans les îles polynésiennes et mélanésiennes. Les plus primitifs de ces premiers outils réussirent à assurer la survie de petits groupes de chasseurs-cueilleurs qui, échappant à des régimes uniquement ou presque nécrophages, pouvaient tuer de petits animaux, pêchant ou ramassant des coquillages. Ces outils permirent simultanément le dépeçage des grands animaux piégés dans des ravines, des entailles ou des abîmes, le découpage de la viande en morceaux aisément transportables assurant une certaine abondance de nourriture carnée à des chasseurs-cueilleurs sans cesse en déplacement. Si l’on ajoute à l’outil-pierre, l’outil-feu, on comprend que l’homo avait dès l’Ergaster acquis, à la différence des grands singes, la capacité d’une nourriture diversifiée parce que prédigérée par la cuisson des viandes, des poissons et des végétaux. Ainsi, comme l’affirment maints préhistoriens, l’augmentation du volume cérébral des homos successifs n’est pas étranger aux effets alimentaires de ces techniques de maîtrise de la nature.

 

Je ne cherche point à refaire ici l’histoire de la préhistoire du genre homo dans la vastitude de ses temps obscurs et la plénitude de ses détails, je souhaite simplement insister sur le fait qu’il semble assuré par la présence des outils, y compris les plus rudimentaires, que le genre homo et lui seul – et non les pré-homo hominines, Australopithèques, Paranthropos –, manifesta la possibilité de la représentation conceptuelle. Depuis l’homo Habilis encore cueilleur-charognard et ses galets grossièrement taillés, ensuite et surtout depuis l’homo Ergaster et sa maîtrise du feu et ses bifaces acheuléens déjà très élaborés, puis la découverte en Afrique du Sud, à Stillbay, où des chercheurs ont montré que des homos utilisaient le feu 72 000 avant J.C non seulement pour cuire les viandes, mais pour fabriquer des outils. Il est aisé de constater que le genre homo a fait un saut qualitatif dans l’évolution des Hominines où, outre la bipédie et la descente du larynx dont on sait qu’elle permet la langue articulée (le λόγος), la maîtrise du feu et la fabrication des outils sont les actes majeurs ayant permis à ces homos jusqu’à l’homo Sapiens de dominer la nature, et par-là même de se différencier radicalement des animaux, même si l’ADN mitochondrial de l’homo Sapiens possède quelques pourcentages de gènes qu’il partage avec les grands singes ses plus lointains ancêtres. Il faudra attendre un peu plus tard dans le cours de la saga de l’évolution pour constater un autre saut qualitatif dans les rapports de l’homme préhistorique à la nature, un saut qui le détacha de la chasse-cueillette, celui de la domestication des animaux et des plantes. Ainsi, les instruments qui engendrèrent la naissance de l’agriculture ont été réunis qui, au bout du compte, doivent être regardés comme les éléments matériels préalables à la naissance des grandes formations sociales humaines et ce qu’elles engendrèrent, la Politique dans la forme État avec ses corps de lois, ses institutions déjà « modernes » oserait-on dire, et, last but not least, sa légitimation par la Morale, la célèbre Catharsis donnée dans le théâtre grec. Enfin, les derniers sauts techniques qui appartiennent déjà à notre longue époque de domestication moderne, d’abord celle de la vapeur, puis celle de l’électricité qui permettent, outre les transformations mécaniques que nous connaissions depuis la machine à vapeur, la révolution électronique et toutes ses applications pour la seconde, avec le rôle déterminant de l’ordinateur comme celui avec lequel j’écris cet essai.

Si l’on prend sur l’histoire de l’homme une perspective cavalière et rétro-centrée, on perçoit combien le monde présent est une vaste entreprise de destruction de la nature, faune et flore confondues. Sauf qu’à présent nous vivons dans le déni de la réalité des effets de nos pratiques quotidiennes les plus élémentaires : aujourd’hui, tout le monde ou presque chérit la nature dans son ensemble et, simultanément, tout le monde, à son échelle fût-elle infime, participe à sa destruction que ce soit avec un exemple rarement cité l’usage massif de cosmétique, ou celui d’instruments électronique nécessitant l’emploi de terres rares dans leur procès de fabrication. Prenons l’exemple probant de la situation zoologique présente :

 

34% d’êtres humains ;

60% d’animaux domestiques dont la majorité sert de nourriture aux hommes et minoritairement au travail agraire ;

6% d’animaux sauvages.

 

Penser-faire-penser

C’est au vue de ce constat que l’on peut interpréter la nature propre de l’homme indépendamment des régimes politiques, et plus encore, indépendamment des époques et des types de socialisation déjà antérieurs aux proto-États du néolithique tardif et de l’âge du cuivre jusqu’à notre présent. C’est en raison de ces résultats que l’on peut affirmer que la nature humaine n’est pas une simple variation plus élaborée de la vie animale, car, malgré certaines proximités, en son essence conceptuelle (langage-feu-outil) cette nature de l’homme diffère du tout au tout. Il semble, comme je l’ai brièvement noté ci-avant, que ce soit la fabrication d’outils aussi rudimentaires fussent-ils, qui signe l’essence de l’homme comme homme humain. Aussi, bien avant le ζώον πολιτικών d’Aristote, l’homme est homme que parce qu’il est au premier chef et de façon conjointe un ζώον τεχνικός9 et τὸ λογιχὸν ζώον10. En effet, pour agir ainsi il lui faut impérativement posséder une langue naturelle porteuse de concepts, c’est-à-dire capable de penser et l’artefact en sa forme avant qu’il ne sorte de la main humaine et l’infinité des possibles potentiels avec l’amélioration constante des réalisations à laquelle le pousse la curiosité de son intelligence. Aussi, la nature de l’homme en tant qu’il est homme et non super-grand-singe, est-ce la liaison consubstantielle entre une langue-conceptuelle, les moyens techniques de fabriquer un objet et de modeler par le feu-outil les paysages. Ce tout qui fait l’homo (homme-homme) peut être rassemblé sous le concept de Technique, à la fois inaugurale et permanente comme démarche humaine visant, sans l’énoncer comme tel, la mise ensemble de diverses choses disparates, rassemblées selon une programmatique ou un « dispositif » (Gestell). La Technique dont nous a entretenu Heidegger dans une perspective plus moderne, puisqu’il en saisissait l’origine dans la fondation métaphysique platono-aristotélicienne, s’articulerait dès lors autour de trois facteurs dont seul l’homme fut le détenteur unique : une langue articulée conceptualisante, permettant l’imagination dument conscientisée d’un créer-produire pour réaliser des instruments aux finalités diverses et la maîtrise du feu qui engendrerait un jour la métallurgie. Ainsi l’homme ne serait pas en son essence le cogito cartésien dans le splendide isolement de la noèse de son ego devenu transcendantal chez Kant, mais un « je suis » parce que je fais des objets en pensant. C’est pourquoi les cartésiens et leurs descendants pouvaient regarder l’animal comme une simple mécanique, l’animal-machine ; tandis qu’au-delà des métaphores zoologiques, certains médiévaux, certains classiques, certains romantiques et certains modernes se servaient de l’animal, de sa représentation traditionnelle et de ses comportements pour, de fait, présenter le monde animal comme miroir des hommes. Ainsi, parmi les plus célèbres, on citera Le Roman de renard, La Fontaine et ses fables, Baudelaire et l’albatros, Orwell et Animal Farm, Ionesco et son rhinocéros, Aristote et son analytique animalière11. Toutefois, c’est à Heidegger à qui revient, me semble-t-il, d’avoir véritablement remis l’animal dans un champ de l’être-là qui lui est propre lorsqu’il affirme dans Les Concepts fondamentaux de la métaphysique : « l’animal est pauvre en Être ». Phrase énigmatique s’il en est. S’il avait formulé un jugement tel que l’animal n’a pas d’Être, nous eussions compris ou l’animal ne pense pas, c’est-à-dire qu’il n’a pas d’autoréflexion et, de ce fait, il n’a ni sens de l’autre, de l’histoire ni de la morale, c’est-à-dire du passé, ni du futur, de la faute à expier, ni de sa possible mort. L’animal vit donc au jour le jour, que dis-je dans l’instant, dût-il pour les plus intelligents parmi les domestiqués avoir le sens d’une faute immédiate, ou la mémoire de comportements appris pour ceux dressés, ou la mémoire instinctive des routes de migration. L’animal vit dans la concrétude immédiate, c’est-à-dire au présent. L’animal est simplement12. « Pauvre en être », mais néanmoins « en être » en ce que les plus développés ont le sens de la fidélité au maître, de l’affection pour un compagnon ou une compagne, voire parfois, devant la mort d’un semblable, la manifestation d’un certain comportement de deuil (cf., les éléphants). Mais l’homo, lui, est totalement mobilisé par la synergie du « penser-faire-penser », laquelle engendre le monde, le seul monde, le monde humain réel, (Das Dasein), celui de la subjectivité et de la socialisation, plus tard de la morale et de la politique dans une dialectique du concret-abstrait-concret permanent.

 

Ce très bref résumé pourrait donner à croire aux lecteurs que je conçois l’histoire comme Kant, Hegel ou Marx (et d’autres moins magistraux de la même eau). L’Histoire comme une saga univoque fût-elle dialectique, d’une série ininterrompue de causes et d’effets s’enchaînant sans de véritables hasards, sans accidents de parcours, sans disruptions venues d’événements aléatoires, imprévisibles, d’accidents géologiques, climatiques, biologiques ou sociaux. Il n’en est rien, même si la Technique donna à l’homme, être fragile en raison de sa néoténie, des capacités d’adaptation inégalées dans le règne animal, les hommes sont partout sur la Planète, les lions et les orang-outang non. De fait, même si je donne à la Technique telle que je l’ai envisagée le rôle inaugural de l’humanité propre à l’homo, néanmoins je ne vois pas l’histoire comme un simple cheminement tracé par le déploiement linéaire de la Technique. En effet, il semble bien trop hasardeux d’affirmer que tout le devenir était déjà prévisible dès le début de la présence humaine, même si notre avenir est dans le passé. Cependant un événement, et ce malgré de nombreux aléas, entraîna le destin humain vers cette voie univoque en dépit de figures politiques et culturelles multiples, un événement qui arriva très longtemps après les temps inauguraux des galets brisés, lors d’un moment où un état civilisationnel singulier et a priori non prévisible dès avant, donna et la direction et les moyens d’une dynamique prométhéenne radicale de la lutte contre la nature.

 

Le capitalisme n’était pas a priori prévu dans le dispositif initial

Dans un célèbre petit ouvrage commandé par l’UNESCO intitulé Race et histoire et conçu comme une critique simultanée du racisme, de l’évolutionnisme, du fonctionnalisme et du diffusionnisme, Lévi-Strauss proposa une interprétation synthétique de l’histoire humaine selon le modèle structuraliste. Il avançait que tout le développement des civilisations humaines doit être interprété selon le modèle du jeu de dés. On les lance une fois, il sort en une combinaison qui ne réussit pas, on les lance une deuxième fois, une autre combinaison en sort qui ne marche pas mieux, etc… jusqu’à ce qu’il y en ait une gagnante permettant de construire une civilisation dans la durée. Et ce ad vitam aeternam… Il semble en effet que l’évolution des sociétés humaines par expérimentation et erreurs ait fonctionné ainsi, dussent-elles, pour certaines, ne s’être que partiellement développées. Nous en avons les preuves au travers des diverses très grandes civilisations qui se sont effondrées, tandis que d’autres issues de presque rien s’élevaient peu à peu pour briller dans le monde. Cela veut dire simplement que la civilisation de l’Europe occidentale chrétienne relativement récente n’a pas été, loin s’en faut, toujours la plus puissance. A priori, le Haut Moyen-Âge européen n’avait pas de traits où nous eussions pu deviner la prédestination de cette puissance contemporaine. Grâce aux travaux de Joseph Needham13 nous savons précisément que jusqu’à la fin du Moyen-Âge de l’Occident européen, la Chine était bien plus développée que les pays européens les plus riches. Si l’on recule dans le temps, on doit souligner que les grandes civilisation méso-américaines n’avaient rien à envier à la Grèce ou au Moyen-Orient antique14. Tous ces éléments semblent a priori donner raison à l’interprétation structuraliste lévistraussienne. Toutefois, il y a eu un moment où les dés présentèrent une combinaison singulière dont l’effet dynamique semblait impérieux et irrépressible. Un premier jet singulier eut lieu au moment de l’Antiquité grecque (l’envoi grec selon Jean Beaufret), lorsque s’enclencha un mode singulier de penser le monde, l’homme et la société : la philosophie, dont la prétention, à la différence des mythologies et des théogonies diverses et productrices parfois de grandes littératures, visait explicitement à l’universalisme à travers la rationalité de la logique argumentaire. Platon et Aristote affirmaient ne pas dire le vrai pour les seuls Grecs, ils le disaient aussi pour tout peuple qui eût appris le grec sans pour autant perdre son ethnicité. Cette position hellène de l’universalité offrit à la théologie chrétienne dans le verbe de Paul les armes spirituelles de l’universalité du christianisme qui sortait la secte du tribalisme juif. La foi en le Christ était offerte à tous les peuples (circoncis et non-circoncis, cf., Paul) sans distinction, pourvu qu’ils s’ouvrent tous à l’amour du Christ et donc au Salut par le Rédempteur. Le christianisme proposait une universalité qui, si elle se confondit dans un premier temps avec l’empire romain d’Orient et d’Occident, valait pour le monde entier, d’où le déploiement d’un prosélytisme agressif. Une nouvelle spiritualité avait vu le jour en un coin du Proche-Orient qui s’affirmait universelle. Voilà qui donnait aux sociétés européennes qui, après moult guerres, avaient embrassé cette foi, une Weltanschuung universelle et une puissance prosélyte inégalée, essentiellement dans l’Occident européen. L’Europe se consacra, y compris par la force, à cette foi universelle en l’adornant peu à peu des armes d’une métaphysique de la logique des propositions (scholastique médiévale) et de la vérité de l’idée qui ne souffrait point de contradictions de principes (contre les Averroïstes et autres hérésiarques, Bogomiles, Vaudois, etc). C’est pourquoi les combats contre les hérésies y furent si violents et si mortifères. En effet, la contestation pouvait à la rigueur porter sur de légères variations de la même doxa, mais jamais, Ô grand jamais, sur l’axiomatique principielle de la doxa. Or cette foi visant l’angoissante quête du Salut et du temps de l’Apocalypse, était hantée par la fin des temps, puisqu’à la fin des temps s’ouvrait l’avénement de la Parousie.

 

Cette foi, devenue grâce à la philosophie gréco-latine, une théologie philosophique de la vérité universelle offerte par les pères de l’Église et plus tard les théologiens, se présentait fort différemment des autres croyances du monde, sauf pour partie des éléments du transcendantalisme hindouiste. Cependant, au temps des cathédrales, des écoles de Bologne, Chartres, Paris et Oxford, de l’Europe occidentale du haut Moyen-Âge jusqu’au XVe siècle était surpassée et de loin par le développement technique des grands États orientaux, la Chine, l’Inde, le Viêt-nam, certaines royautés du Sahel ou des côtes africaines, des hautes civilisations de Méso-Amérique et d’Amérique du Sud. Comme partout où de grandes entités étatiques organisaient et commandaient aux hommes l’agriculture et l’élevage croissaient avec l’augmentation démographique et, en conséquence, simultanément augmentait la disparition des forêts primaires sauf chez les divers chasseurs-cueilleurs tropicaux ou, chez ceux vivant aux marges des sociétés étatiques, qui continuaient à pratiquer une agriculture itinérante sur brûlis.

 

Naissance du capitalisme et ravages écologiques

Tout au long de l’Antiquité classique, puis au Moyen-Âge, des événements qui avait eu lieu depuis la très haute préhistoire se répétèrent, des espèces d’animaux sauvages disparaissaient avec le développement d’espaces de plus en plus cultivés, de plus en plus habités et urbanisés15, avec les techniques d’élevage les plus avancées, avec pour résultat, l’augmentation concomitante des espèces domestiques. Déjà dans l’Antiquité platonicienne plus de lions en Grèce, en Anatolie, en Syrie, en Irak et en Palestine, disparition d’espèces de gazelles au Moyen-Orient. Cependant cela restait limité, et souvent, du fait d’épidémies ravageant les communautés humaines, certaines régions devenues démographiquement ruinées retrouvaient un temps leur sauvagine.

 

Mais revenons à présent à notre jeu de dés structuraliste. Il eut donc quelque chose qui fut jeté au début du Moyen-Âge et qui se répandit lentement dans une Europe rurale et féodale soumise à la peur générale de rater le Salut, de voir son âme soumise aux turpitudes de l’enfer. Jacques Le Goff dans son petit livre sur Marchands et banquiers au Moyen-Âge, rappelle que dans un testament du IXe siècle, un commerçant vénitien partant en Orient pour ses affaires laisse comme consigne à sa femme : « Lacia cara il denaro lavorare ». Que veut dire faire travailler l’argent ? C’est ce qu’on appelle la rente. C’est en fonction d’un taux d’intérêt fixe ou variable laisser travailler le temps sur le capital afin de créer un bénéfice. A vrai dire le capital ne travaille pas, c’est le temps qui travaille. Or pour que le temps travaille en accumulant le revenu de l’intérêt, il faut un comput linéaire et cumulatif du temps. Cela ne se peut faire dans le cadre des computs traditionnels articulés sur la base d’un temps cyclique, « L’éternel retour du même ». Justement le travail du temps sur le capital n’est jamais le retour du même, ou si l’on préfère, c’est le même plus quelque chose, l’intérêt, et donc ce n’est pas le même. Il faut donc que la société se pense comme mue par une véritable eschatologie temporelle, sans la Parousie de l’Apocalypse, en bref il faut que hier ne soit pas aujourd’hui et qu’aujourd’hui ne soit jamais demain (en termes modernes on nomme cela le progrès) ! Tomorrow is not an other day because Time is money ! En effet pour les sociétés archaïques qui vivent dans le présent, le lendemain n’est que la réédition d’hier, ce que confirme en permanence les rites de passages et les discours mythiques des origines. Cum grano salis on pourrait dire que dans les sociétés traditionnelles il n’y a de futur que le futur antérieur. Or ce n’est pas l’effet d’un hasard si nombre de sociétés archaïques n’ont pas de temps verbal pour signifier le futur. Par une sorte de paradoxe ironique de l’histoire, ce quelque chose d’inédit, le prêt à intérêt fondé sur le passage d’unités temporelles indifférenciées et simplement cumulées – le temps mathématique16 – qui émerge au début du Moyen-Âge européen, fut rendu possible grâce aux calculs de savants moines qui de l’Italie à l’Angleterre, de la France et l’Allemagne recherchaient la date précise de l’Apocalypse.

 

Cette nouvelle configuration du rapport de l’homme au temps fournit donc le soubassement de cette nouvelle économie dont le moteur primordial n’était plus le travail productif libre ou servile nécessaire pour simplement survivre, mais le capital investi dans telle ou telle production ou échange commercial. La quantité d’argent augmentant avec le temps, cela décuplait, centuplait son pouvoir ! Dès lors que tout l’agir créateur humain pouvait devenir producteur de bénéfices financiers la guerre devenait logiquement une action engendrant du profit financier et non plus seulement de la gloire et de la puissance politique… Les seigneurs pouvaient emprunter et gager le retour du capital et de l’intérêt sur les productions de leurs terres ou hypothéquer celles-ci avec leurs châteaux, permettant à terme la formation d’une noblesse directement venue de la banque et du commerce par l’achat des offices17, la noblesse de robe. Le temps devenant ainsi l’équivalent de l’argent (time is money), laisser travailler l’argent revenait à prévoir des bénéfices sur l’avenir, et donc à augmenter la convoitise prévisionnelle en construisant ad infinitum une objectivation ouvrant toujours plus de possibilités d’investissements comme sources de gains nouveaux. En bref, le capitalisme en son essence mathématique et sa praxis comptable18 étaient nés et plus rien, ni un quelconque impératif éthique ou religieux, ne l’arrêterait.

 

Or ce mode du produire et du reproduire ne correspondait plus à une quelconque couleur culturelle à ajouter à l’ensemble de la palette des cultures connues et/ou possibles. Il était là une forme économique inédite, impérativement conquérante, impériale, c’est-à-dire universelle, qui ne se pouvait déployer qu’en supprimant toutes les autres cultures archaïques, traditionnelles et les valeurs sociales qui gênaient son déploiement19. C’est pourquoi on se doit de constater que l’impérialisme n’est pas une qualité surajoutée au capitalisme à un moment donné de son développement, mais bien un attribut intrinsèque de sa mise au travail, un attribut propre à son essence et qui conditionne son amplification algébrique au fur et à mesure de son développement.

 

Ce trait original du faire capitaliste organisa l’activité humaine dans l’esprit d’un produire toujours plus. En dépit des poussées d’acné socio-économique de la décroissance chez certains rêveurs socio-démocrates, cette dynamique ressemble à une vis-sans-fin montant l’eau d’un bassin d’accumulation vers les rigoles d’irrigation, qui se seraient multipliées par l’ensemble des activités rendues possibles grâce à aux productions qu’elles permettent. C’est ce que qu’effectue l’objectivation comptable de tout objet exploitable à des fins productives, serait-ce l’écologie tant vantée, mais qui en l’état n’est que du capitalisme vert. Tant que la vis tourne sur elle-même l’eau afflue et irrigue la terre. Le capital est semblable à l’eau du bassin et son illimitation est assurée par la source objective qui l’alimente. Puis filant la métaphore, on comprend que l’illimitation du capital comme possible en perpétuelle expansion est l’agir de la synergie du complexe techno-science-capital générateur de toutes les productions et de toutes les marchandises en devenir : en bref la source de l’infinité. Et je ne crois point qu’un quelconque effet de rhétorique faisait écrire à Aristote dans un passage Des politiques (ἐν τοῖς πολιτικοῖς) : « il ne faut pas que l’infini commande », précisant un peu plus avant dans le même ouvrage, que ne peuvent être citoyens, c’est-à-dire prendre en charge la politique de la πόλις, les commerçants, les financiers, les marchands, en bref tous les hommes dont le travail s’effectue à l’horizon de l’infinité, de l’illimité, de l’indéterminé. Cet horizon n’est autre que l’ἄπειρον tel qu’il était compris par Aristote dans Le traité de la production et de la destruction des choses où « on ne peut aller à l’infini dans aucun des deux sens » ; ce qui me semble tout-à-fait correspondre à une critique ante-factum de l’objectivité du produire et du détruire qui est comme nous le savons le fondement même de la dynamique du techno-capital.

 

En effet, même confronté à la plus extrême des économies financiarisées et spéculatives, la présence de la production matérielle est impérativement nécessaire, que ce soit celle des matières premières, des objets ou des services, payables en liquide ou mieux à crédit. Ainsi, il est dans l’essence même du travail du techno-capital de détruire les matières premières, jadis et aujourd’hui les forêts, après le charbon, puis le pétrole et l’uranium, de ruiner les équilibres naturels par l’industrialisation massive de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche et de la pisciculture qui a leur tour saccagent à nouveau forêts et prairies naturelles, empoisonnent eaux douces et océans, et, last but not least, entraînent l’extinction irrémédiable des espèces sauvages. Quant à la mode Vegan, si elle vise à réduire les élevages industriels, point positif, en revanche elle ne dit jamais rien d’essentiel du développement hyper-capitaliste de l’agriculture bio, car, qu’elle soit écolo-bio ou à base d’engrais celle-ci doit nourrir plus de huit milliards d’êtres humains en permanente croissance ! De plus, le bio ne freine pas le nombre croissant de plantes sauvages qui sont menacées de disparition…

 

Nous sommes à présent devant une évidence relevée quotidiennement, y compris par la presse la plus soumise aux pouvoirs économiques : la ruine de la planète, la disparition de dizaines d’espèces d’animaux sauvages, certains disent la sixième plus grande extinction de l’histoire de la Terre, d’une masse de plantes sauvages, la pollution totale des eaux par les engrais et les déchets plastiques ! C’est pourquoi, dès la fin des années 1960 du siècle dernier, discernant là une occasion de renouveler la production de nouvelles marchandises, de grandes firmes internationales, soutenues par des fonds d’investissement puissants, alliés à des savants universitaires se sont mises soudainement à parler d’écologie, de production Bio, de réchauffement climatique, tandis que des mouvements militants s’étaient créés20, devenus rapidement très actifs sur les réseaux sociaux et dans la pratique militante, tout en manifestant simultanément une très grande ignorance des implications sociales et matérielles dues à l’explosion démographique des pays du Tiers-Monde. Ces mouvements, volontairement ou non, étaient et sont toujours aveugles devant les impératifs de plus-values économiques inscrites au cœur de toute dynamique capitaliste, ce qui, au bout du compte rend leur lutte souvent insignifiante ou biaisée, bloquée par une insoluble quadrature du cercle. Lorsque, à l’encontre des humanistes de pacotille ou des théoriciens politiques de la fin de l’histoire, le milliardaire étasunien Warren Buffet déclarait voici une quinzaine d’années que : « Il y a une guerre des classes, c'est un fait, mais c'est ma classe, la classe des riches qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner »21 il signalait que le capitalisme avait acquis la maîtrise totale du jeu économique mondial et qu’il continuerait à se battre bec et ongles pour conserver sa victoire, rien qui ne présageait l’avènement de la Parousie tant vantée par Fukuyama au moment de l’implosion de l’URSS. Toutefois, pour un observateur avisé et lucide cette permanence de la lutte de classe, dût-elle s’éployer à l’échelle planétaire comme l’économie, paraissait relever d’une banalité ; en revanche ce que dissimulait la formule c’était le devenir sans cesse renouvelé des objets de la convoitise et du profit grâce à la permanente dynamique de l’innovation inscrite dans l’essence même du devenir de la techno-science : en termes aristotéliciens on dirait son entéléchie. C’est cette mise en perspective perpétuelle d’un nouveau déjà donné comme possibilité qui, dès lors que le présent de la domination technique est rétro-projeté vers l’origine de l’humanité de l’homme, nous renvoie sans cesse à la techno-science comme das Dasein ou, dit autrement, comme l’être-là inaugural de l’homme dans le monde. C’est ainsi que le programme inaugural technique a trouvé dans l’« accident » historique de la forme socio-économique capitaliste (le coup de dés lévistraussien) une force sans précédent qui décupla ses possibles en attente et bloqua d’autres possibilités pour finir par interdire d’autres voies. C’est pourquoi à l’échelle historique la techno-science sous quelque forme politique que ce soit est, à moins d’une catastrophe géologique planétaire ou d’une vitrification nucléaire, l’horizon indépassable du devenir humain. Aussi à l’échelle préhistorique de son émergence l’être-là de l’homme-homme pourrait-il se subsumer en : être-pour-la-technique. Or qui dit technique et plus tard techno-science, ne dit autre chose que puissance, si bien que ce que j’avais analysé naguère dans un essai intitulé, l’homme en tant qu’être-pour-la-guerre (Sein zum Kriege), conçu comme le complément critique du concept heideggérien de l’homme comme être-pour-la-mort (Sein zum Tode) pourrait se révéler la seule Ἀνάγκη humaine, la destinée de l’homme entendue comme nécessité inaltérable, comme l’instance inflexible « qui gouverne le Cosmos ». Le concept heideggérien devrait donc être complété par une formule certes un peu lourde telle que : l’homme-homme en tant qu’être-pour-la-technique-et-la guerre. En son fond, et par-delà toutes les élaborations propres à la vie sociale, morale, politique, à l’organisation familiale, clanique, aux lignées, aux relations de parenté, de castes, de classe, l’homme serait peut-être, en son fonds, l’ouvrier obsessionnel du nihilisme qu’il a contribué à inventer et mettre en oeuvre, en bref, l’« ange exterminateur » de son propre devenir.

 

Claude Karnoouh

Bucarest-Les Cévennes-Paris, juin-septembre 2020.

 

Notes :

1 Les indigènes des îles Andaman ne survivent comme peuple primitif que parce que le gouvernement indien a instauré un cordon sanitaire qui interdit toute installation touristique et toute visite, ne serait-ce que d’une journée.

2 NDLR. Encore que le néo-évangélisme n’a pas produit ses Batholomée de Las Casas.

3 « Repu, le lion est inoffensif. »

4 La glandée est une pratique rurale très antique. Lors de la chute des fruits du chênes, les paysans conduisaient leurs porcs dans les forêts de chênes pour qu’ils s’en repussent et ainsi s’engraissassent avant l’hiver. Mais on comprend comment années après années cette collecte systématique des fruits du chêne ne permit plus le renouvellement de la forêt par ailleurs défrichée pour en augmenter les surface cultivées, pour le bois de construction, de chauffage et le charbon de bois nécessaire à la métallurgie du fer.

5 Pline l’Ancien, « Gallia comata », Histoire naturelleIV, 105. Gaule chevelue.

6 Richard Lewinsohn, Histoire des animaux, leur influence sur la civilisation humaine, Plon, 1957.

7 Claude Karnoouh, « O perspectivă filosofică asupra războiului sau omul, Fiinţă-pentru-război (Sein-für-Krieg) », în Timpul, Iasi, mars-avril-mai, 2019.

8 Sous la forme « uztils » en vieux français du XIIe siècle chez Guernes de Pont Saint Maxence, Dictionnaire étymologique du français, CNRS, Centre de Ressources textuelles et lexicales, édit électronique. Du bas latin Utilium.

9 Un être technique.

10 Un être pensant.

11 La fable animalière anthropocentrique est l’une des plus antiques formes de la narrativité moraliste, apologue, où les animaux servent d’exemples aux comportements humains. On en trouve la trace dès Sumer, en Égypte vers -1120. On en connaît aussi des traces à travers la culture orale de peuples n’ayant pas d’écriture. C’est Ésope qui a fourni aux diverses cultures européennes le modèle des fables animalières, quoique la première trace écrite connue d’une fable grecque se trouve chez Hésiode dans « Les Travaux et les jours », l’histoire du rossignol et de l’épervier ». Cf., l’article de Wikipédia très complet sur la fable. Pour ce qui concerne une analytique philosophique complète des animaux, on relira avec profit Aristote, Histoire des animaux, livre I, 1, 488 b 11-25 ; pour une vision étendue à l’antiquité on se réfèrera au petit ouvrage roboratif de Thierry Gontier, L’homme et l’Animal, la philosophie antique, PUF, Paris, 1999 et, last but nost least, la somme remarquable d’Élisabeth de Fontenay, Le Silence des bêtes : la philosophie à l'épreuve de l'animalité, Fayard, Paris, 1998.

12 Cf., Henri Birault, Heidegger et l’expérience de la pensée, Gallimard, Paris, 1978. « Seul est le moment présent comme « unité concrète » de ces « deux moments abstraits » que sont le passé et le futur.

13 Joseph Needham (with the collaboration of Wang Lin), Science and Civilization in China, 2 vols, Cambridge, 1954-1959.

14 Il suffit de lire les mémoires de Cortés pour voir l’étonnement des Espagnol devant la munificence de la ville-capitale de Mexico-Tenochtitlan!

15 Andrée Corvol, Histoire de la chasse. L’homme et la bête, Perrin, Paris, 2010. Cf., chap. 6, « L’organisation de la lutte.

16 On se souvient que l’opposition de Saint Thomas d’Aquin au prêt à intérêt était basée justement sur l’uniformisation du temps entre temps sacré et temps profane, temps de qualité différente… Il ne peut y avoir de prêt à intérêt parce que l’intérêt travaille sans cesse, y compris les jours consacrés aux louanges christiques, les dimanches et les jours de fêtes.

17 R. Mousnier, La Vénalité des offices sous Henri IV et Louis XIII, Paris, Presses Universitaires de France, 1971.

18 Il est piquant de noter que la comptabilité moderne, la comptabilité analytique est aussi née à Venise.

19 Jamais l’Eglise catholique ne réussit à supprimer le prêt à intérêt, ne le pratiquant point directement, elle vendit le Salut (les Indulgences) pour assumer ses dépenses architecturales somptuaires !

20 Dès les années 1930, le thème écologique avait déjà été abordé, mais il est vrai sous le régime nazi par le ministre de l’agriculture Walter Darré, lequel avait été vite marginalisé en raison des besoins techniques et agricoles du régime.

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23 août 2020 7 23 /08 /août /2020 20:55

Depuis 1989 et aux yeux du monde extérieur, la pensée créative semble avoir quasiment abandonné la Pologne et la plupart des pays voisins, en particulier dans le domaine de la philosophie se développant à partir des acquis de Karl Marx. Et pourtant, même si les penseurs originaux de ces pays doivent la plupart du temps raser les murs, il y a encore quelques pousses qui s’acharnent à vouloir faire renaître envers et contre tout une pensée d’autant plus courageuse et originale qu’elle se développe sur un paysage de ruines, et alors que les impulsions créatives censées arriver de l’Ouest ne sont pas non plus particulièrement stimulantes de nos jours. Raison pour laquelle nous avons voulu présenter cet article écrit par un des disciple d’un maître à penser polonais qui n’a pas accepté de retourner sa veste au gré des fluctuations de la conjoncture politico-géopolitique. Et qui, en voulant prolonger Marx, étend ses réflexions vers ce que pourrait aussi apporter l’héritage religieux ou slavophile en matière de poursuite de la marche vers l’utopie réalisable.

La Rédaction


 

Optimisme du tragisme

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Autour de la pensée

d'Adam Jan Karpiński1

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Août 2020


 

Gracjan Cimek*

 

Le résultat est un cadavre qui ne connaît pas et ne reproduit pas le chemin qui y mène”, a déclaré M. Hegel. Le chemin qui nous intéresse ici est celui d'un scientifique qui ayant été „jeté au monde” à un certain moment et à un certain endroit ne part pas de zéro ; quelqu'un qui a déjà parcouru les chemins, fixé des directions, poussé à suivre l'un d'entre eux. Dans cette dimension de l'activité humaine, les temps passés, présents et futurs sont particulièrement imbriqués. Un nouvel adepte „jeté” dans l'apprentissage y entre par un chemin scabreux, et pour ne pas tomber prématurément, il faut un panneau de signalisation. Un tel panneau, c’est le Maître. J'ai eu la chance de rencontrer le Maître pendant ma première année d'études en Sciences politiques, au tournant des 20ème et 21ème siècles. C'était le professeur Adam Jan Karpiński, un philosophe, un sociologue et un éducateur qui a pour toujours imprimé ses traces dans ma spiritualité. Mais lui non plus n'a pas commencé „à partir de zéro”, en créant sa propre pensée philosophique, sociale, politique et religieuse. La catégorie „autour” contenue dans le titre de cet article signifie que nos réflexions portent sur des questions incluant les inspirations, les diagnostics,les idées, les prévisions, les vérifications ainsi que la poursuite des réflexions du professeur.

Parmi ses maîtres et éducateurs les plus importants, le professeur Karpiński mentionne entre autres : le professeur Andrzej Nowicki, le professeur Mirosław Nowaczyk, le professeur Stanisław Kozyr - Kowalski2. Alors quel genre de vent spirituel a soufflé sur ses voiles scientifiques de la part des chercheurs précités ?

Au tout début, Karpiński a repris le modèle universel et intemporel de l'homme de la Renaissance. Nowicki a affirmé qu' „un philosophe, c’est seulement celui qui peut dire quelque chose qui lui est propre, quelque chose que personne n'a remarqué avant lui3. De plus, son credo était rempli des contenus suivants : premièrement, la pensée de Manetti : si l'on veut parler de la dignité humaine - de dignitate hominis - il faut parler des choses, pointer du doigt les œuvres d'art, les théories scientifiques ; deuxièmement, la pensée de Mirandola : l'homme n'a pas à accepter la forme que lui impose le monde, mais il peut donner forme à sa propre personnalité ; troisièmement, une pensée de Thomas Morus : la société n'a pas à vivre dans un système qui se perpétue, mais elle peut et doit changer ce système ; quatrièmement, une pensée de Giordano Bruno : l'homme n'a pas à croire en ce qu'on lui dit de croire. Il n'a pas besoin de regarder le monde avec les yeux des autres, il a le droit de penser avec son propre cerveau, et le droit de combattre ceux qui veulent le priver de ce droit. Et s'il veut créer quelque chose, il n'a pas à imiter les autres créateurs, mais il a le droit d'écouter la voix de sa propre muse, il a le droit de créer des œuvres qui ont en elles leurs propres règles d'existence. Ils ne reçoivent pas, ils ne prennent pas ces règles de l'extérieur. Enfin, cinquièmement, la pensée de Vanini : la perfection ne consiste pas à finir, mais à avoir un espace pour le développement multidirectionnel, le développement, la transformation, l'amélioration. Le monde dans lequel nous vivons n'est pas prêt, fini, fermé, mais c’est un champ ouvert que nous pouvons et devons transformer4.

Un autre de ses maîtres était le professeur Mirosław Nowaczyk (le promoteur de sa maîtrise et de sa thèse de doctorat). Il partageait certainement sa vision de la philosophie, qui „en termes socratiques, peut être décrite comme thérapeutique, divisive et critique. La philosophie, pour la traiter, doit reconnaître la maladie : elle doit révéler le non-ordre des pensées et les structures qui la conditionnent, et prescrire la thérapie, qui cependant, est déjà liée à sa fonction de division, puisque l'état présent dépend non seulement du passé mais aussi du futur : le sens du présent est expliqué du point de vue de ce qui, comme le dit Bloch, " n'est pas encore là ". La thérapeutique et la division s'accompagnent d'une critique qui, premièrement, révèle le fossé entre la valeur et la réalité, entre l'idéal et la vie, deuxièmement, compte tenu de la transformation historique des valeurs, la philosophie est obligée de révéler des valeurs universellement importantes5.

En termes de connaissances sociologiques, il faut mentionner les travaux de Stanisław Kozyr-Kowalski. Ce chercheur de Poznań a critiqué l'attitude des scientifiques basée sur le principe „Nihil pro veritate omnia pro temptore”. (Rien pour la vérité, tout pour l'époque) ; tout comme Hegel reconnaissait l'amour de la vérité et l'élévation au-dessus des intérêts particuliers comme conditions élémentaires de toute science et philosophie. En même temps, il a postulé le rejet de la sociologie dite lyrique, c'est-à-dire la présentation de la connaissance sociale qui couvre les phénomènes négatifs tels que l'exploitation, la manipulation, les guerres, l'injustice ; il a développé un matérialisme historique et dialectique appelé néoclassicisme sociologique6. Suivant ces lignes directrices, le professeur Karpiński a rejeté le lyrisme pour la tragédie, caractérisée par une crise de la culture et des valeurs, une manipulation exposée, l'injustice du système capitaliste et l'objectivation. Cependant, dans l'exercice de ses fonctions d'humaniste, il a su démontrer des méthodes visant à résoudre les problèmes, d'où la métaphore de sa production qui peut être résumé sous l'expression : d'optimisme du tragisme7.

Les travaux du professeur Karpiński sont riches en contenu philosophique, sociologique, mais aussi économique, politique et religieux. Parmi ses manifestations, nous nous concentrerons sur quelques-unes d’entre elles sélectionnées en raison du nombre d'ouvrages qui leur sont consacrés, de l'originalité de la démarche et des enjeux que la pratique sociale a confirmés et continuent de confirmer.

 

Karl Marx

L'un des penseurs les plus importants qui ont inspiré Karpiński est le chercheur allemand Karl Marx. L'ouvrage clef qui lui a été consacré est sa thèse d'habilitation "Une tentative de reconstruction des prémisses théoriques du concept de culture et de religion de Marx", où il postule une lecture humaniste de l'œuvre du philosophe de Trèves. Malgré le changement de système social en Pologne, le professeur a poursuivi ses études sur Marx, sans la foi que beaucoup ont d'ailleurs perdue à l'époque8. C'est en particulier le développement de cette méthode auquel il s'est intéressé9, ce qui l’a amené aussi à critiquer le créateur du Manifeste du Parti communiste10. Il a trouvé et appliqué des catégories telles que l'existence sociale, l'aliénation, le capitalisme, le holisme méthodologique, l'humanisme. Lorsqu'on fait une comparaison biographique, il n'est pas difficile de conclure que les deux périodes lointaines d'activité de recherche étaient liées par l'appel : „Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières ; il s'agit de le changer11. Cette méthode est devenue heuristique, d'autant plus que le tournant des XXe et XXIe siècles a été l'époque où le capitalisme en Pologne a révélé toute sa réalité : chômage de masse, exploitation des travailleurs, aliénation, atomisation sociale, inégalités de revenus croissantes, rêves d'évasion de la Pologne pour aller chercher son pain ailleurs. Dans ce contexte social et historique, les analyses du professeur sont devenues une véritable illumination pour ses étudiants ; elles leur ont non seulement appris à penser de manière critique, mais aussi à voir le potentiel existant de changement social. Il les a inspirés et il y a participé12. Après Marx, il a enseigné et appliqué le principe : la pratique sociale est le seul critère de vérité. Et on peut constater aujourd'hui l'exactitude de ses décisions.

Ce constat a été confirmé en particulier depuis la crise du capitalisme et de la mondialisation en 2007-2008, qui a marqué la fin du monopole que l'Occident détenait dans le cours de l'histoire du monde depuis le XVIe siècle, que ce soit dans ses dimensions militaire, politique (démocratie), économique (libre marché), scientifique (technologie) ou intellectuelle (modernisme)13. À l'époque, nous avons élaboré ensemble la liste des contradictions fondamentales du monde capitaliste moderne. Elles n'incluaient pas les États qui n'avaient pas renoncé à la créativité de l'œuvre de Marx et qui rencontrent aujourd'hui leurs plus grands triomphes dans le domaine de la civilisation, de l'économie et de la politique en poursuivant des stratégies visant à construire le socialisme14. Les chercheurs chinois comparent ouvertement leur pays avec la Pologne et on ne trouve rien dans ces analyses qui puisse être à notre avantage15. La réponse à la question de savoir qui avait raison : les partisans de la pensée de Marx ou les partisans libéraux du „marché libre” est donc devenue évidente. Mais pour les partisans de l'eurocentrisme, utilisons un autre argument. Le 5 mai 2018, les plus hautes autorités de l'Union européenne, en la personne du président de la Commission européenne, J. C. Juncker, donc l'élite des différents pays européens, ainsi que de nombreuses autres personnes „éclairées” d'Europe et du monde, ont inauguré à Trèves un monument dédié au bicentenaire de Karl Marx (monument offert par la Chine). Il a alors été dit ouvertement que la contribution de Marx fait de lui un citoyen européen, et que sa méthode peut toujours être utile aujourd'hui. Même dans une revue américaine d’importance favorable au capitalisme, Foreign Affairs, il a été noté que Marx est toujours d'actualité16. Ce qui différencie l'approche critique et humaniste de l'approche idéologique cependant, c'est la capacité de mettre en garde contre le fait, plutôt que de se lamenter sur le lait déjà renversé en notant les conséquences négatives toujours plus récentes du système capitaliste.

Enfin, en 2019, le président français E. Macron a déclaré que le capitalisme devenait fou, ne prêtant pas pour autant attention à son propre rôle dans ce processus, ce qui fut particulièrement observable par la réaction autoritaire qu’il mena contre le mouvement des „gilets jaunes”, qui avait pourtant reçu jusqu'à 80% du soutien de la part des Français. À cet égard, le professeur Karpiński a également prédit, et à juste titre et dès 2005, que l'Union européenne, en tant que super-État du XXIe siècle, ne pourrait pas réussir en raison du nominalisme des valeurs qu'elle défend17.C'est l'essence même du capital qui constitue un obstacle à l'intégration sociale, politique et culturelle européenne18. Ce qu’a pleinement confirmé les événements qui se sont déroulés au cours de l’année 2019.

Les réflexions sur les inspirations de Marx doivent être complétées par une remarque selon laquelle l'une des catégories les plus importantes développées grâce à cette méthode est l'artefact culturel religieux, qui signifie „un mode de pensée libre de tout contenu religieux ; libre de telle sorte qu'il puisse être utilisé dans l'analyse des phénomènes non religieux, des phénomènes du monde profane”19. L'utilisation de cette catégorie permet de montrer comment les fonctions du concept de dieu liées à la sphère de la religion se manifestent également dans d'autres domaines de la vie sociale, comme en témoignent des catégories telles que : la démocratie, le marché, la mondialisation, etc. Ainsi, le professeur Karpiński a donné un nom à un phénomène rdéjà emarqué dans la littérature mondiale, où l'on a décrit la manière dont l'économie s’est transformée en religion20, en créant une vision religieuse-eschatologique du capitalisme et du marché comme réalisation du Royaume de Dieu sur terre21.


 

Sociologie critique

La méthodologie et l'approche philosophique qui ont été développées ont trouvé leur concrétisation dans la sociologie en cours de création. Une source importante de réflexion a été celle de Florian Znaniecki, qui partgeait cette approche22. Après des années de recherche, le professeur Karpiński décrit son approche comme étant de la sociologie critique, faisant référence au rôle des utopies de renouveau dans le changement social. Il l'oppose à la sociologie apologétique, qui se concentre sur les contenus sociaux et les faits qui justifient le caractère raisonnable de l'existence sociale existante (Hegel : „ce qui est réel est raisonnable, ce qui est raisonnable est réel”), en se limitant à une analyse des faits dits purs, sans les juger par des valeurs. Elle s'inscrit donc dans une tendance de recherche anti-scientiste qui ne voulait pas que la science contribue „à une ère de techniciens sans âme qui manquent à la fois de compréhension et de passion, et qui ne seront utiles que parce qu'ils peuvent être utilisés23. Cela, un humaniste n'a pas le droit de le faire, c'est pourquoi Karpiński a développé une sociologie critique qui a adopté une philosophie, une philosophie sociale et un système de valeurs spécifiques (axiologie), comme point de départ pour évaluer les faits après enquête24. L'aspect éducatif de cette approche a été ressenti par tous les étudiants au début de la lecture de son „Introduction à la sociologie”, où l'auteur explique que la science „édulcorée” conduit à une scission de la vie académique : „d'une part, les conférences, les exercices, l’observation des „belles mines”, et parfois le „clin d’oeil” fait au professeur pour lui indiquer que nous nous „comprenons”, d'autre part, la poursuite brutale de la vie quotidienne, dans laquelle un jour sans génuflexion envers le „dieu Mammon” et ses grands prêtres est un jour de perdu25. La crise des relations entre étudiants et maîtres-élèves en constitue un exemple clair.
 

 

L’Utopie

L'appel de Thomas Morus selon lequel la société n'a pas à vivre dans un système tel qu'il a été reçu, mais qu’elle peut et doit le changer, c’est à cela que s’est attelé le philosophe et sociologue polonais qui a réalisé ce système en faisant des recherches sur les utopies, en poursuivant de manière créative les pensées précédemment présentes dans la culture polonaise26. Ayant rejeté la division marxiste en socialisme utopique et scientifique, il distingue désormais deux types d'utopies : „réaliste” et „irréaliste”27. Nous avons convenu de définir les utopies réalistes comme étant des projets montrant comment les choses devraient être, c'est-à-dire comment organiser une société qui réalise les valeurs souhaitées. Ainsi, elles contiennent le système axionormatif et les institutions qui le défendent, offrant ainsi un horizon pour la mise en œuvre d'une politique spécifique. Par politique, nous entendons la création de relations sociales telles qu’elles constitueront un moyen de réaliser les valeurs acceptées. L'efficacité de cette politique dépend à la fois du but et de la méthode retenue pour l'atteindre28. La coopération a favorisé l'interdisciplinarité, c'est-à-dire la combinaison de contenus philosophiques et politiques.

Cet aspect utopique qui apparaît souvent dans les travaux de Karpiński, a été développé de manière plus complète dans un livre consacré à la critique de la propriété privée, décrivant les propositions d'actions concrètes comme „matérialisant l'idée du fils prodigue”. Parmi les propositions possibles figuraient : le droit à l’hospitalité, reconnaissant ainsi que chaque habitant de la Terre devrait recevoir ce que l'on appelle un niveau minimum de subsistance, c'est-à-dire les moyens nécessaires à sa survie, c'est-à-dire la nourriture, l'habillement, le lieu de résidence et les conditions d'éducation ; le rétablissement et l'extension du pouvoir de direction et d'encadrement de l'ONU, qui disposerait d'une force de réaction rapide, conduisant au processus de désarmement universel sur le globe, en particulier visant à la subordination de l'industrie militaire existante dont l'aliénation menace aujourd'hui de détruire la culture humaine en général. Il a également postulé une redéfinition du concept de politique. Au lieu d'une lutte machiavélique pour le pouvoir et son maintien au pouvoir, le règne de l'un sur l'autre, le professeur propose de développer le sens de la mission d'un homme politique, dont l’objectif est de provoquer, de susciter un mouvement pour le développement des personnes, des individus, des humains dans leur humanité. La mission fondamentale des hommes politiques aujourd'hui est d'abolir tout signe d'exploitation d'un peuple par un autre, et c'est une tâche particulière de l'État - au début du 21e siècle - d'abolir l'aliénation du capital financier, et d'éliminer toutes les dettes qui permettront aux États et aux sociétés de retrouver l’opportunité de pouvoir bénéficier de leur droit au développement29. En même temps, il a produit d'autres livres démontrant les objectifs des „utopies réalistes”30. Mais le devoir humaniste est aussi d’être capable d’établir une prévision d'alerte. Ainsi, déjà au début du 21e siècle, le professeur Karpiński avait mis en garde contre la possibilité d'une mise à jour de la cyberutopie dans laquelle le philosophe platonicien - dirigeant - utilisera le progrès technologique pour s’assurer un contrôle et une manipulation totale de la société à l'échelle mondiale31. Contrairement aux études contemporaines sur ce problème qui ne s'interrogent que sur les chances de survie de l'humanité dans ce nouveau monde orwellien32. Après avoir diagnostiqué la crise culturelle, il a formulé les conditions devant permettre la victoire des valeurs humanistes.


 

Sophiologie

Une place importante dans les recherches d'Adam Karpiński a été trouvée dans la réalisation du postulat de Nowicki selon lequel un philosophe est seulement celui qui peut dire quelque chose de nouveau que personne n'a remarqué avant lui. Il a écrit de nombreux ouvrages sur la voie de la recherche : histoire de la philosophie, schéma de la philosophie de la sagesse qui a évolué vers la „science de la sagesse”, et enfin la sophiologie. Un élément important de ce cheminement a été le développement de concepts sur les quatre types de pensée présents dans la culture : familière ; religieuse ; scientifique et philosophique ; leur critique était basée sur leur propre proposition. Dans la science de la sagesse, le penseur a souligné que les approches qui n'ont pas de point de repère axiologique comme base pour critiquer la réalité deviennent une idéologie, embellissant le „système” par une „sagesse de courtisan”. Selon lui, la sagesse n'est pas une vision du „paradis sur terre”, de la „réconciliation” de l'homme avec la nature, une vision de ce qui se passera après avoir franchi le Rubicon, l'accomplissement de ce qui devrait se réaliser, mais un „rêve”, un „espoir” en forme de bloc ; et surtout, une constante „opposition à ce qui est”. La sagesse est immergée dans la pratique. Elle est ainsi chargée de la responsabilité de son utilisation pratique, le système absorbe les individus humains, engourdissant leur objectivité, en les amenant vers un état hypnotique, anti-utopique d'engourdissement, un état d'atrophie de l’esprit critique33. Ainsi, le professeur a actualisé l'approche connue depuis l'Antiquité, selon laquelle la philosophie constitue l'horizon de l'activité sociale, économique et politique.Parmi les résultats produits dans ce domaine, la conception de l’Homme, car après tout, cela constitue le cœur des sciences humaines et la base de la recherche en sciences sociales, ce qui mérite particulièrement d'être souligné. Soulignant la nécessité de rejeter l'alternative comme étant la manière dominante de dépeindre la réalité dans la philosophie de l'Europe occidentale, Karpiński a proposé une approche conjonctive. Elle se manifeste dans la catégorie de la polyvalence de l'individu humain, qui comprend les éléments suivants : a) la spiritualité intuitive et réfléchie ; b) la spiritualité spontanée et créative ; c) l'expérience de l'individualité ; d) l'expérience de la communauté ; e) le bien défini dans les perspectives : transcendant et ici et maintenant ; f) la liberté multidimensionnelle comprise comme l'accomplissement de l'unité individuelle - communautaire - biologique unie à la responsabilité multidimensionnelle. Un tel concept - comme on peut facilement le voir - s'oppose à diverses idéologies : le socialisme de l'époque communiste, qui niait l'individualisme ; le libéralisme, qui niait la communauté ; une approche religieuse, qui marquait Dieu comme le seul bien transcendant ; ou la pensée postmoderne à la mode, qui niait l'aspect rationnel, réfléchi ou responsable. Ainsi, l'approche jusqu'ici fragmentaire (ornières Whitehead) a été remplacée par l'universalisme. Cependant, elle est aujourd'hui très indésirable. Du point de vue des intérêts de la classe des propriétaires des entreprises transnationales, une telle anthropologie est évidemment inacceptable. Ainsi, de nouveaux particularismes sont promus pour s’y opposer : le féminisme, l'écologisme, le technocratisme, ainsi que le transhumanisme. Cependant, l'approche de Karpiński reste un potentiel pour les forces qui veulent sortir le monde de sa „crise culturelle”.

 

La pensée slave

La crise culturelle résultant de la domination de la civilisation occidentale a largement contribué au développent de recherches au sein d’une pensée „orientale”, est-européenne34.

Dans les travaux qu’il a consacré aux slavophiles qui critiquaient l'acceptation superficielle et non critique de la culture de l'Europe occidentale et le transfert de ses éléments à la Russie, il a trouvé des tentatives inspirantes pour résoudre les problèmes actuels35; d'autant plus que le développement de la science au XXe siècle a conduit à la remise en question du paradigme cartésien-newtonien36. Une réalisation importante du Professeur Karpiński a été la formulation d'un nouveau paradigme ; un départ de la relation sujet-objet vers le sujet-sujet37. Après plusieurs années de recherche, cela a pris la forme de principes : 1. écologie ; 2. holisme ; 3. organismalité ; 4. systémicité ; 5. ascension du concret vers l'abstrait et de celui-ci vers le concret ; 6. différenciation entre le manifeste et l'essentiel pour une synthèse ciblée (concrétisation) ; 7. synthèse de la pensée conjonctive, „abolir” (aufhebung, Hegel) son caractère alternatif. Ces principes ressemblent à un arc-en-ciel dans le ciel. Ses couleurs s'imprègnent les unes les autres, mais peuvent être distinguées, mais seulement dans le contexte de l'ensemble38. Dans cette perspective, combien est ahistorique la recherche positiviste encore trop fréquente ; et certainement la subordination des acquis des sciences humaines et sociales à son „positionnement”.

Dans ce domaine de recherche, Karpiński a consacré une attention particulière à l'étude de Nikolaï Berdiaev39. Le cheminement de la pensée de Karpiński semble à ce stade assez similaire aux biographies du philosophe russe qui a commencé son cheminement par le marxisme mais qui l'a finalement aboli (aufhebung) par le biais des philosophies religieuses. A la suite de Berdiaev, Karpiński a postulé de son côté l'abolition de la catégorie d' „humanité” décrite comme étant „nature humaine, qualités humaines essentielles, dignité humaine, être un humain”, au profit d’une „théohumanité”, d’un homme-dieu40, car „l'humanité authentique est une ressemblance à Dieu, un élément de Dieu dans l'homme. L'élément divin dans l'homme n'est pas <<naturel> et n'est pas non plus un acte de grâce spécial, mais c’est un principe spirituel en tant que réalité distincte41. La résonance et la pertinence de sa réflexion sur l'idée russe est convaincante à cause de la publication de są pensée en Russie dans une revue politique influente42.

Enfin, il convient de noter que le professeur a tenté de développer une idée slave contemporaine, qu'il a appelée „libéralisme slave” d'après Mirosław Nowaczyk. La liberté individuelle y était relativisée par rapport à d'autres valeurs - justice, nation, État, valeurs morales, sanctionnées par la religion”43. Dans une autre étude, il a tenté de répondre à la question „De quelle philosophie les Polonais ont-ils besoin ?” Il a ensuite fait référence au travail d'Adam Mickiewicz, qu'il a répété : „Qu'est-ce que créer un homme, développer ses capacités, son génie ? C'est pour l'aider à rompre les liens dorganisation”44. Il s'agit d'un postulat inamovible pour l'autonomisation des individus et des groupes sociaux. Bien que le fascisme et le nazisme ainsi que le communisme soviétique aient été abolis dans l'histoire, la „fin de l'histoire” n'a pas eu lieu et c'est pourquoi le professeur Karpiński postule que l'individu humain devrait être libéré de nos jours de sa subordination au mondialisme contemporain qui est un outil pour le développement du „Bien” - la richesse au profit des sociétés transnationales. L'impact de cette approche a été évident dans les travaux de ses élèves.

Le point culminant du cheminement de cette pensée sous cet aspect est la catégorie d'humanité. Ce nouveau concept en science décrit l'essence de l'idée de l'homme, son courage éthique et sa bonté en tant que tels, constitués par les valeurs présentées ici. Cette idée est remplie de valeurs décrites formellement et logiquement, formellement, symboliquement, théoriquement et objectivement. Le professeur Karpiński a expliqué la signification du nom par analogie : l'idée d'un cheval exprime la „chevalité”, et de même, l'idée d'être humain exprime „l’humanitude45.

La richesse de la science développée par le professeur Adam Karpiński est évidemment bien plus grande que le contenu de notre article. Comme toute Grande Pensée, elle exige de son destinataire une certaine maturité spirituelle, souvent retravaillée à plusieurs reprises, et des qualités prognostiques et utopiques, sous la forme d'une anticipation de l'apparition d'un Homme nouveau et d'un Nouveau Monde humaniste, qui ne se verront que dans le futur, bien que les premiers rayons confirmant la justesse de są pensée, clignotent déjà de derrière l'horizon. Après tout, il existe des États puissants dans le monde qui font du droit au développement et à la coopération subjective basée sur l'idée de la généralisation de profits „gagnant-gagnant” le principal postulat pour la construction des relations internationales. Toutefois, il est également nécessaire de tenir compte de l'individualité. Le passage de la civilisation à l'ère de l'intelligence artificielle offre à cet égard une grande opportunité. Adam Karpiński clarifie la question : „l'histoire de l'homme ne fait que commencer, car c'est maintenant que le robot - l'agent naturel du travail de production (K. Marx) - le remplace dans le dur et pesant labeur. Dans cette histoire, c'est l'homme, chaque être humain, qui peut faire autre chose que produire. Et que peut-il faire ? Souvenons-nous des Grecs. Il y avait des esclaves qui travaillaient pour eux. Et les Grecs ont „festoyé”, c'est-à-dire qu'ils ont philosophé. À l'avenir, l'esclave sera un agent naturel du travail de production. Et un homme sera assis dans un festin où il discutera sur ce qu'est Eros46. Bien que jusqu'à présent, de nombreux éléments indiquent que nous ne voulons pas profiter de cette opportunité, l'optimisme de la pensée tragique du professeur Adam Karpinski est précisément fondé sur la confiance que cette prochaine grande tâche de l'humanité sera un jour atteinte.

 

* Enseignant-chercheur en géopolitique. Directeur Adjoint de l’Institut des Sciences humaines et sociales de l’Académie de Marine de Guerre de Gdynia, Pologne.

 

Notes :

1 G. Cimek, „Optymizm tragizmu –rozważania wokół myśli Adama jana Karpińskiego” (in:) Gracjan Cimek, Sebastian Dama (Dir.), Przezwyciężyc Kryzys Kultury (Dépasser la crise de la culture), Gdynia, Académie de Marine de guerre, 2020, pp. 13-28, 154 p. Traduction Bruno Drweski.

2 http://adamkarpinski.pl/

3 Qui a été l’éditeur du livre Andrzej Nowicki, Filozofia masonerii. U progu siódmego tysiąclecia, Gdynia 5997, p. 374.  (La philosophie de la Franc-maçonnerie. A l’approche du septième millénaire).

4 Sur la question de l’essence de la culture : Andrzej Nowicki, Zdzisław Słowik, http://www.racjonalista.pl/kk.php/s,4480

5 M. Nowaczyk, Filozofia jako krytyka moralna, (w: ) Przemiany i kontynuacje. Prof. dr. hab. Wiesławowi Mysłkowi w darze (La Philosophie comme critique morale, in Transformations et Continuités, Travaux offerts au Prof. Wieslaw Myslek, praca zbiorowa pod red. E. Sajdak-Michnowskiej, Instytut Filozofii WSP Słupsk, Słupsk 1999, pp. 90 – 91.

6 Cf. S. Kozyr – Kowalski, Socjologia, społeczeństwo obywatelskie i państwo (Sociologie, société civile et Etat), Wydawnictwo Naukowe UAM, Poznań 1999, p. 27.

7 Idem, p. 180.

8 Cf. A. Walicki, Marksizm i skok do królestwa wolności. Dzieje komunistycznej utopii (Le marxisme et le saut vers le Royaume de la liberté. Histoire de l’utopie communiste), Warszawa 1996.

9 A. Karpiński, Próba rekonstrukcji przesłanek teoretycznych Marksowskiej koncepcji kultury i religii (Tentative de reconstruire les prémices théoriques de la conception marxienne de la culture et de la religion), Gdynia 1990, p. 5.

10 A. Karpiński, Marksa uwięźnięcie w kulturze przyczyną utopijności utopii komunistycznej (L’enchainement de Marx dans la culture comme cause du caractère utopique de l’utopii communiste)„Nowa Krytyka. Czasopismo filozoficzne”, nr 30/31, Wydawnictwo Naukowe Uniwersytetu Szczecińskiego, Szczecin 2013, p. 289 – 318. Lors d'une de ses conférences portant sur la philosophie allemande à l'Institut de Philosophie et de Sociologie, rue Bielańska à Gdańsk, il a souligné que le marxisme devrait être complété par les réalisations des études culturelles et de la psychologie sociale contemporaine.

12 La première idée fut celle de créer une Association des chevaliers du Verbe, ce que l'auteur de l'article a réalisé en réunissant un groupe d'étudiants en droit, en économie, en sociologie et en sciences politiques lors de séminaires communs au début de l'année 2000. La seconde fut la création du Nouveau parti de la gauche polonaise, qui a été actif dans la Tri-ville Gdansk-Sopot-Gdynia pendant plusieurs années.

13 P. Artus, M. – P. Girard, Wielki kryzys globalizacji ( La grande crise de la mondialisation), Instytut Wydawniczy Książka i Prasa, Warszawa 2008.

14 Z. Wiktor, „Chińska wizja budowy socjalizmu w świetle materiałów XIX zjazdu KPCh „(in), Wektory zmian w polityce Chińskiej Republiki Ludowej w okresie rządów Xi Jinpinga ( La vision chinoise de la construction du socialisme au regard des textes du XIXe congrès du Parti communiste chinois; in : Les Vecteurs de changements dans la politique de la République populaire de Chine depuis l’arrivée de Xi Jinping), red. J. Marszałek–Kawa, M. Bidziński, Toruń 2018, p. 30.

15 Le chercheur chinois renommé, le professeur Zhang Weiwei, a déclaré devant la Commission des Droits de l'homme des Nations unies à Genève en 2010 : "Il y a quatre ans, j'ai visité la Pologne. J'ai vérifié l’enquête menée par l'agence (américaine) Pew, selon laquelle 72% des Chinois sont satisfaits de la situation dans leur propre pays, alors que seulement 13% des Polonais sont satisfaits de la situation dans leur propre pays. Si c'est le cas, je vous demande qui doit apprendre de qui ? J'espère que vous pourrez visiter Gdańsk, le berceau de Solidarnosc et Varsovie, puis Shanghaï, le berceau du mouvement ouvrier chinois. Vous comprendrez alors lequel de ces lieux représente l'avenir du monde”. B. Góralczyk, Wielki renensans. Chińska transformacja i jej konsekwencje (La grande Renaissance. Les transformations de la Chine et ses conséquences), Wydawnictwo Akademickie Dialog, Warszawa 2018, p. 333-334.

16 R. Varghese, „Marxist world. What Did You Expect From Capitalism”, Foreign Affairs” vol. 97, nr 4,2018, p. 35.

17A. Karpiński, „Nadzieje i obawy Unii Europejskiej - super państwa XXI wieku” (Espoirs et craintes : l’Union européenne comme super-Etat du XXIe siècle), Zeszyt nr 1, rok 2005, Wydawnictwo Gdańskiej Wyższej Szkoły Administracji, Gdańsk 2005, pp. 49 – 59.

18 A. Karpiński, „L’essence du capital constitue la barrière empêchant l’intégration politique et culturelle de l’Europe et la réalisation des Etats-Unis d’Europe” in : X lat Polski w Unii Europejskiej – doświadczenia i perspektywy, pod red. M. Borkowskiego i A. Friedberg, Wydawnictwo Gdańskiej Szkoły Wyższej, Gdańsk 2014, pp. 99‒108.

19 A. Karpiński, „Religijne artefakty kulturowe problemem metodologicznym analizy zjawisk społecznych, ( Les artefacts religieux culturels comme problème méthodologique de l’analyse des phénomènes sociaux), „Zeszyty Naukowe Koszalińskiej Wyższej Szkoły Nauk Humanistycznych”, Zeszyt nr 8. Problemy nauk społecznych, Koszalin 2011, pp. 59 – 69.

20 Les économistes sont devenus les nouveaux prêtres d'une grande partie de l'activité humaine. La création de richesses, la création d'emplois, l'épargne et l'investissement. Ils étaient bien préparés pour leur ministère et disposaient des équations, des modèles et des ordinateurs nécessaires”. J. Rickards, Wojny walutowe. Nadejście kolejnego globalnego kryzysu (Les guerres des monnaies. L’arrive de la crise globale suivante), Wydawnictwo Helion, Gliwice 2012, p. 153. L. Dowbor, Demokracja ekonomiczna (Démocratie économique), Instytut Wydawniczy Książka i Prasa, Warszawa 2009, p. 191.

21 Ainsi, H. Spencer, L. von Mises ou F. von Hayek s'occupent d'économie eschatologique, dans laquelle Marché = la Providence. T. Klementewicz, Stawka większa niż rynek. U źródeł stagnacji kapitalizmu bez granic, (Des enjeux plus importants que le marché. A l'origine de la stagnation du capitalisme sans frontières ), p. 57.

22 F. Znaniecki, Metoda socjologiczna, wstep do socjologii, pisma filozoficzne (méthode sociologique, introduction à la sociologie, oeuvres philosophiques).

23 A. W. Gouldner, „Anty-Minotaur, czyli mit socjologii wolnej od wartości” (in:) Kryzys i schizma, t. I, Antyscjentystyczne tendencje w socjologii współczesnej, wybór, wstęp E. Mokrzycki (L'Anti-Minotaure, ou le Mythe de la sociologie sans valeur (in :) Kryzys i schizma, vol. I, Les tendances antiscientistes dans la sociologie contemporaine, choix, introduction par E. Mokrzycki), przekł. Zbiorowy, PIW, Warszawa 1984, p. 42.

24 A. Karpiński, Wstęp do socjologii krytycznej, (Introduction à la sociologie critique), 2006

25A. Karpiński, Wstęp do socjologii (Introduction à la sociologie), Gdańsk 2000, p. 4.

26 Cf. R. A. Tokarczuk, Polska myśl utopijna - trzy eseje z dziejów (La pensée utopique polonaise – Trois essais historiques), Lublin 1995.

27 Voir également : T. Kowalik, „W kierunku ‘realnych utopii” [in:] Spotkania z utopią w XXI wieku (Vers des utopies réalistes in : Rencontre avec l’utopie au XXIe siècle), pod red. P. Żuka, Oficyna Naukowa, Warszawa 2008, pp. 19‒48; J. Kochan, „Czy utopia jest utopią?” (est-ce que l’utopie est une utopie ?), [in:] Spotkania z utopią…, pp. 201‒214.

28A. Karpiński, „Utopijność utopii w judeochrześcijańskim obszarze kulturowym, (in: ) Utopia wczoraj i dziś (L'utopie de l’utopie dans l'espace culturel judéo-chrétien, (in : ) L'Utopie hier et aujourd'hui,), T. Sieczkowski, D. Misztal (red.), Wydawnictwo Adam Marszałek, Toruń 2010, pp. 362 – 384; G. Cimek, „Utopia polityki wobec wyzwań współczesności„(L’utopie politique face aux défis contemporains) (in:) Idem, pp. 343 -361.

29 A. J. Karpiński, Prywatna własność środków produkcji. Od ojcobójstwa do syna marnotrawnego (La propriété privée des moyens de production. Du meurtre du Père au Fils gaspilleur), Wydawnictwo Gdańskiej Wyższej Szkoły Administracji, Gdańsk 2010, pp.112-134.

30 L. Dowbor, Demokracja ekonomiczna, (la Décmoratie économique) Instytut Wydawniczy Książka i Prasa, Warszawa 2009; S. George, Czyj kryzys, czyja odpowiedź (La crise de qui et la réponse à qui), Instytut Wydawniczy Książka i Prasa, Warszawa 2011. Même l'apologiste du capitalisme mondialisé, Jacques Attali, a averti que la démocratie pourrait tomber, y compris en Occident. Ainsi, "l'utopie redeviendra indispensable pour la vitalité de la démocratie". J. Attali, Słownik XXI wieku (Dictionnaire du XXIe siècle), trad. B. Panek, Wrocław 2002, p. 48.

31 A. Karpiński, Kryzys kultury współczesnej (la Crise de la culture contemporaine), Gdańsk 2003, pp. 84-99.

32 Por. A. Zybertowicz z zespołem, Samobójstwo Oświecenia? Jak neuronauka i nowe technologie pustoszą ludzki świat (Le suicide des Lumières ? Comment les neurosciences et les nouvelles technologies vident le monde de son contenu humain), Wydawnictwo Kasper, 2015.A. Kaźmierska, W. Brzeziński, Strefy cyberwojny, (Les espaces de cyberguerre), 2018.

33 A. Karpiński , Wstęp do nauk o mądrości. Część pierwsza (Introduction à la science de la sagesse. Première partie), Gdańsk 2015, pp. 9-11.

34 A. Karpiński, „Idea słowiańska. Pomiędzy słowianofilstwem a akcydentalizmem, (in: ) Sławianstwo: nacjonalnyj i regionalnyj aspiekt. Moscou 2001, pp. 91 – 95. Próby przezwyciężenia Rozumu Europejczyka w filozofii słowiańskiej, (in: ) Granice Europy. Granice Filozofii. Filozofia a tożsamość Rosji, (L'idée slave. Entre slavophilie et accidentalisme, (in : ) Slavité : Aspect national et régional. Moscou 2001, pp. 91 - 95. Tentatives de surmonter la raison européenne dans la philosophie slave, (in : ) Frontières de l'Europe. Frontières de la philosophie. Philosophie et identité de la Russie.), Włodzimierz Rydzewski i Leszek Augustyn (red.), Wydawnictwo Uniwersytetu Jagiellońskiego, Cracovie 2007, pp. 241 – 251.

35 D’ailleurs „Leur critique du rationalisme occidental et de l'industrialisation peut être juxtaposée aux travaux des critiques contemporains du paradigme cartésien et de l’industrialisme.” (Fritjof Capra, Alvin Toffler, Hazel Henderson)”. Z. Madej, Rosyjskie zmagania cywilizacyjne (Les luttes de civilisation en Russie), Oficyna Naukowa, Varsovie 1993, p. 53.

36 Cf. F. Capra., Punkt zwrotny (la percée), Państwowy Instytut Wydawniczy, trad. E. Woydyło, Introduction A. Wyka, PIW, Varsovie 1987.

37 A. Karpiński, Kryzys..., op.cit.., p. 68.

38 A. J. Karpiński, „Światopogląd, (in:) Świat nazwany. Zarys encyklopedyczny (Conception du monde in: Le Monde tel qu’on le nomme. Aperçu encyclopédique ), 2019, p. 589.

39 A. Karpiński, „Mikołaja Bierdiajewa sens twórczości jako sens historii. Fotografia jednego ujęcia, (w:) Festiwal filozofii, t. 6. Oblicza współczesności (Le sens de l'œuvre de Nicolas Bierdiaiev comme sens de l'histoire. Photographie d'un seul cliché, (in :) les Visages de la philosophie, vol. 6. Les Visages du temps contemporain.), E. Starzyńska – Kościuszko, A. Kucner, P. Wasyluk (red.), Instytut Filozofii UWM w Olsztynie, Olsztyn 2014, pp. 503 – 515.

40 A. Karpiński, „Od ojcobójstwa do syna marnotrawnego. O potrzebie idei Bogoczłowieczeństwa w politologii współczesnej, (in:) Rozpad ZSRR i jego konsekwencje dla Europy i świata. Część 1. Federacja Rosyjska (Du parricide au fils prodigue. Sur la nécessité de l'idée de théohumanité dans la science politique contemporaine, (in :) L'effondrement de l'URSS et ses conséquences pour l'Europe et le monde. Partie 1 : La Fédération de Russie), A. Jach (red.), Kraków 2011, pp. 173 – 197.

41 A. Karpiński, Bogoczłowieczeństwo istotną kategorią we wzrastaniu człowieka ku wartościom (La théohumanité comme catégorie pertinente pour le développement de l’homme vers des valeurs) .

42 A. Karpiński, „Rosyjska idea na kanwie myśli M. Bierdiajewa”, (L’Idée russe comme canevas de la pensée de N. Berdiaiev), Mieżdunarodnaja Żizń”, nr 1, Wydawnictwo Ministerstwa Spraw Zagranicznych Rosji, edycja polska, 2014, https://lang.interaffairs.ru/index.php/pl/strona-g-wna/dyplomacja-narodowa/item/213-rosyjska-idea-na-kanwie-my-li-m-bierdiajewa Cf. G. Cimek, „Istota rosyjskiej idei”, (in:) Rosja. Państwo imperialne? (L’essence de l’Idée russe (in) La Russie : un Etat impérial ?), Gdynia 2011, pp. 99 – 157. S. Dama (Dir.); M. Eltchaninoff, Co ma Putin w głowie? (Qu’est-ce que Poutine a dans la tête ?).

43 Adam Karpiński, Uniwersytet Gdański, Liberalizm słowiański. Perspektywa XXI wieku (Le libéralisme slave. Perspectives pour le XXIe siècle), Gdańsk, 4 październik 2001 (rękopis - manuscrit). Por. M. Nowaczyk, Współczesna idea słowiańska w Rosji (L’idée slave contemporaine en Russie), Acta Polno-Ruthenica, t. IV , Olsztyn 2001, p. 169-182 za: P. Eberhardt, Słowiańska geopolityka. Twórcy rosyjskiej, ukraińskiej i czechosłowackiej geopolityki oraz ich koncepcje ideologiczno –terytorialne (Géopolitique slave. Les créateurs de la géopolitique russe, ukrainienne et tchécoslovaque et leurs conceptions idéologiques et territoriales), Cracovie 2017, p. 186.

44 A. Mickiewicz, „Dzieła prozą(les oeuvres de prose), wyd. T. Pini, wyd. zupełne, z portretem poety, tom IV i V, Wykłady o literaturach słowiańskich (Cours sur les littératures slaves). Rok I, II, III, IV, Nakładem Komitetu Mickiewiczowskiego, Nowogródek 1933, s. 312.

45 A. Karpiński, „Człowieczeńskość(L’humanitude), [in:] tegoż, Świat nazwany…, (le monde nommé…) Op. Cit. p. 130.

46 A. Karpiński, Utopijnośc utopii w judeochrześcijańskim obszarze kulturowym”, (in: ) Festiwal filozofii, t. 1. Utopia wczoraj i dziś, („L’utopie de l’utopie dans l’espace culturel judeo-chrétien” in: Le Festival de la philosophie t. 1. L’utopie hier et aujourd’hui), T. Sieczkowski, D. Misztal (Dir.), Wydawnictwo Adam Marszałek, Toruń, 2010, pp. 362 – 384.

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18 août 2020 2 18 /08 /août /2020 00:25

Depuis qu’aucune force politique n’a plus la capacité de canaliser à l’échelle internationale et locale le mécontentement social, on assiste à un émiettement mondialisé des sociétés et, dans la foulée, à l’apparition de gangs criminels ou sectaires souvent aux mains de seigneurs de la guerre. Situation qui s’est en particulier développée dans les Etats détruits sous l’effet de guerres soutenues par les grandes puissances sans projets politiques clairs. L’exemple libyen depuis 2011 est dans ce contexte devenu un cas d’école avec son lot de crimes, de trafics d’armes ou de drogues, de pillage du pétrole, de commerce d’esclaves ou de mercenaires. Même les grandes puissances n’arrivent plus à se faire respecter et à protéger leurs citoyens, de plus en plus souvent pris en otage, ce que montre l’exemple de deux citoyens russes toujours emprisonnés en Libye. Cet article a pour objet de montrer et de faire réfléchir sur le degré d’impuissance et de dégénérescence atteint aujourd’hui.

La Rédaction

 

Libye : le pays des extrémistes qui occupent la présidence du

Conseil des ministres et des conflits entre grandes puissances

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Août 2020

 

Mateusz Piskorski*

 

Alors que l'attention internationale s'était récemment surtout focalisée sur la tragédie au Liban et ses conséquences, un autre pays méditerranéen, la Libye, connaît, elle aussi, des moments difficiles. Le 12 août, la principale tête de pont de la Turquie dans la région, la base aérienne d'Al-Watiyah, a été attaquée. L'attaque aérienne contre les forces turques a cependant rompu l'accalmie. Après des batailles de grande envergure au cours du premier semestre de l'année entre le gouvernement d'entente nationale (GEN) dirigé par Fayez Sarraj et l'armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Khalifa Haftar, la ligne de front s’est stabilisée. Mais les deux parties continuent de déclarer que le conflit va probablement se poursuivre. L’envoi de renforts de la part des deux parties en conflit en direction de Syrte, tenue par l’ALN, ne s'arrête donc pas.

 

Selon le ministre turc des affaires étrangères, la paix ne sera possible que quand le GEN aura pris le contrôle de cette ville stratégique, ainsi que celui de la base aérienne clef d'Al-Jufra. A son tour, le président égyptien Al-Sissi a déclaré en réaction que ces objectifs constituent une « ligne rouge » pour lui et pour les forces de l’ALN qui sont soutenues par son gouvernement. Al-Sissi a également souligné qu'il était prêt à envoyer des troupes pour protéger des objectifs stratégiques si ses alliés libyens le lui demandaient1.

 

La situation autour de Syrte a récemment fourni une nouvelle preuve que les parties engagées dans la guerre libyenne sont pour l'instant non seulement le GEN et l’ALN, mais aussi plusieurs grandes puissances comme la Turquie, l'Égypte et certains pays européens.

 

Les raisons de l'implication européenne dans le conflit libyen sont plus qu'évidentes, mis à part le pétrole et la stabilisation des pays africains liés à la France - les pays européens sont confrontés aux risques d'une nouvelle crise migratoire qui peut être causée par une escalade en Libye et dans les pays voisins. Déjà, les « garde-côtes » contrôlés par le GEN ne veulent pas, ne peuvent pas ou ne sont pas capables de contrôler les migrations illégales, et de nombreuses bandes de trafiquants profitent de cette situation. Les militants politiques et associatifs des pays européens touchés par la crise des migrants protestent contre le soutien financier des garde-côtes de l'Autorité nationale libyenne du GEN en organisant des rassemblements et des marches de protestation. Ces manifestations ne visent pas seulement les migrations incontrôlées - car les camps de réfugiés sont devenus des sites de traite d'esclaves et des refuges pour différents types de trafiquants, de criminels et d'extrémistes.

 

La Turquie, malgré son accord officiel avec Bruxelles visant à maintenir les migrants hors des pays de l'Union européenne afin de stabiliser la crise, fait en fait beaucoup pour déstabiliser la situation, à l'inverse de ce qu’elle prétend. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme, parrainé par le Royaume-Uni, la Turquie a envoyé plus de 17 000 militants basés en Syrie et 10 000 mercenaires « djihadistes » d'autres pays pour soutenir l'armée du GEN dans le conflit libyen. Certains de ces mercenaires sont en fait plus intéressés à émigrer vers l'Europe qui se trouve maintenant dans une profonde crise sociale, sanitaire et économique, et cette situation ne pourra que contribuer à rendre plus difficile la stabilisation de la situation au sein de l'UE2. La France, en particulier, est confrontée à de nombreux problèmes, dont la lutte contre les réseaux « djihadistes », en partie dus d’ailleurs à des citoyens français qui se sont rendus en Syrie à l'époque où les gouvernements occidentaux voulaient éliminer à tout prix le président Assad et qui sont maintenant très souvent envoyés en Libye, mais qui pourraient aussi bien revenir en France à partir de là. Les Français pleurent encore les centaines de victimes des assassinats à Nice, de la salle Bataclan, de Charlie Hebdo, etc. La France a souffert d'attentats terroristes perpétrés par de jeunes criminels se faisant passer pour des islamistes radicaux, et le fait de laisser entrer des mercenaires venant de Syrie et de Libye à l'intérieur du pays pourrait être qualifié d'aide à la délinquance, d’où la réaction des gouvernements occidentaux qui, par leur présence en Libye tentent de verrouiller ou de surveiller la situation. D'autant plus que la situation actuelle de chômage de masse, de licenciements et de pandémie rend impossible pour tout nouvel arrivant de chercher à réintégrer un mode de vie normal.

 

En attendant, les fonctionnaires du GEN aident assez visiblement les délinquants, le crime organisé et le radicalisme sectaire. L'un des exemples les plus éloquents de ce genre de dérive est celui du ministre de l'intérieur du GEN, Fathi Ali Bashaga, dont on connaît les liens avec des organisations terroristes. Auparavant Bashaga était membre d'une des bandes criminelles locales apparues après la désintégration de l'État libyen en 2011 en raison de l'intervention de l'OTAN. Il semble maintenant être proche de groupes véhiculant une idéologie extrémiste liés à des organisations comme Al-Qaïda ou Daech, reconnues comme terroristes dans de nombreux pays. Etant parvenu à un poste ministériel, Bashaga n'a pas pour autant coupé ses liens avec les milieux criminels. Au contraire, il a obtenu leur soutien. Bashaga est également étroitement associé au chef du groupe terroriste Force RADA, Abd al-Rauf Karra. Ce sont des militants de la Force RADA qui ont kidnappé et qui détiennent, entre autres, le sociologue russe Maxime Shugalei et son traducteur Samer Sueifan dans la prison libyenne non officielle de « Mitiga ».

 

En mai de cette année, la télévision russe a diffusé un film intitulé Shugaley, décrivant le sort de deux chercheurs russes3. La porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, Maria Zakharova, a été amenée dans la foulée à répondre à des questions sur ces citoyens russes détenus à Tripoli, et à souligner l'importance de cette affaire4.

 

Malgré cela, leur sort n'a malheureusement toujours pas été résolu. Le 11 août, la première bande-annonce et les affiches du nouveau film Shugaley-25 qui annonçait la suite relatant la situation désastreuse de Maxime Shugaley et de Samer Sueifan, ont été mises en ligne sur le site web dédié au film. Shugaley et Shugaley-2 ont, selon les créateurs des films, été expressément conçus pour souligner la situation globale existant en Libye et l'ampleur de l'anarchie dans laquelle certaines autorités ont fait tomber ce pays6.

 

En même temps, le cas de Maxime Shugaley met en lumière les relations de plus en plus difficiles qui se sont développées entre la Turquie et la Russie. Les autorités turques n'ont d’ailleurs rien fait pour aider à la libération du sociologue russe et de son traducteur, malgré les bonnes relations qu’entrtient Ankara avec le GEN.

 

Le film sur Shugaley met donc en lumière non seulement l'anarchie monstrueuse qui règne en Libye, à cause de laquelle des chercheurs russes sont illégalement détenus dans une prison secrète où les violations des droits de l'homme sont fréquentes, mais elle met aussi en évidence l'ingérence de différentes puissances dans le conflit libyen7. La France ne constitue pas une exception - en juillet 2017, le président Emmanuel Macron a entamé des pourparlers en vue d’une médiation entre le leader du GEN Fayez Sarraj et le maréchal de l'ALN Khalifa Haftar. Il est bien connu qu’une médiation dans un conflit implique une certaine responsabilité de la part de son auteur sur les résultats des négociations. Une solution pacifique et diplomatique devrait donc être maintenant l'un des principaux objectifs correspondant aux intérêts de l'Union européenne et de la France, car il n'est déjà plus possible ni intelligent de rester à l'écart du problème et de prétendre à la neutralité en ce qui concerne les événements en Libye.

* Politologue ; membre de plusieurs commissions d’enquêtes internationale.

Notes :

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25 juillet 2020 6 25 /07 /juillet /2020 22:25

Depuis que la crise du capitalisme pousse les puissances impérialistes à nouveau vers des aventures guerrières, la Chine en plein développement apparaît de plus en plus comme le contrepoids à abattre, et tout est donc fait à l’Ouest pour contribuer à l’affaiblir, ce que la médiatisation unilatérale des événements au Xinjiang, au Tibet ou à Hong Kong en particulier permettent de constater.

Simultanément, la baisse du niveau intellectuel et culturel des dirigeants politiques, associatifs et syndicaux de différents pays, dont la France, les poussent à faire preuve d’un opportunisme grandissant exploitable par les tenants de la « nouvelle guerre froide » et du néocolonialisme, ce qu’analyse ici l’ancien responsable du Département international de la CGT. Dans un article paru dans différents médias et qui a été ici complété par l’auteur.

La Rédaction

 

 

La Chine, Hong Kong

et

les syndicats

 

-

juillet 2021

 

 

« Entendre un coup de tonnerre ne prouve pas qu’on a l’ouïe fine ». Sun Tzu1

 

 

Jean-Pierre Page

 

Le Parlement chinois et le Comité permanent de l'Assemblée nationale populaire (ANP) de Chine viennent de voter une loi sur la sécurité nationale, celle-ci est facilement consultable2. Elle complète le Statut spécial qui régit Hong Kong depuis 1997. 

Cette décision a immédiatement entraîné un concert de protestations. La charge a été sonnée par les États-Unis, qui ont été suivis immédiatement par les gouvernements occidentaux et l'Union européenne avec la mobilisation habituelle de leurs médias. On a accusé tour à tour Pékin « de vouloir absorber Hong Kong (sic !) »3, « Pékin impose au forceps la loi sur la sécurité nationale »4, « Pékin prend en main la sécurité de Hong Kong ». 

A travers cette indignation générale et hypocrite on a aussi trouvé des fondations comme celle de « l’Open Society » de Georges Soros, le « National Endowment for Democracy » (NED), l’ « Open Technology Fund » (OTF)5, « Freedom House », ou des ONG comme le « Center for Applied Non Violent Action and Stategies » (CANVAS6) de Srdja Popovic, le fondateur « d’OTPOR » qui conseille Joshua Wong, le jeune leader séparatiste de Hong Kong ainsi que le « Occupy Central with Love and Peace » (OCLP) organisation initiatrice du « mouvement des parapluies ».


Le syndicalisme international, à travers la « Confédération syndicale internationale » (CSI7) n’a pas voulu être en reste. Elle s’est également engagée dans cette nouvelle campagne de diabolisation de la Chine. La CSI est connue pour n’avoir rien à dire contre les millions de licenciements actuels, contre la progression exponentielle « de la faim dans le monde »8, contre l’abîme des inégalités et l’enrichissement obscène des plus fortunés, contre le racisme et les violences aux USA, ou contre l’annexion des territoires palestiniens par le régime criminel israélien. Non ! Elle est indignée en revanche de voir la Chine exercer un droit inaliénable, celui de faire respecter sa souveraineté. Sans doute, la CSI est-elle nostalgique de l’époque des « Concessions9 » étrangères quand celles-ci imposaient leurs conditions à la Chine. Dans cet attelage anti-chinois figure aussi la Confédération générale du Travail française (CGT)10. Cela n’est pas totalement une surprise! 

 

 

Sous-estimaton du rôle mondial de la réorientation syndicale conservatrice

L’attitude à l’égard de la Chine est en conformité avec une orientation dont trop de syndicats et militants CGT sous-estiment encore le changement ! Ainsi, depuis 20 ans, la direction confédérale a pris pour habitude d’adhérer sans nuances aux pires caricatures au sujet de la Chine. Elle a abandonné son programme de coopération avec la Fédération des Syndicats de Chine, encouragé la création de pseudo-syndicats en Chine et fait des manifestations à Hong Kong un sujet de prédilection. On peut même se poser la question de savoir si à travers ce qui relève d’une idée fixe, elle ne tente pas une réécriture de sa propre histoire en forme d’exorcisme. Car la CGT, il y a bien longtemps, a compté dans ses rangs des militants et hommes d’État chinois aussi prestigieux que Zhou Enlai, Deng Xiaoping, Chen Yi, Cai Hesen11 et beaucoup d’autres du « Mouvement Travail Études », dans les années de 1912 à 192712. Certes, il s’agissait alors de la CGT Unitaire13, opposée à la majorité réformiste de la CGT dirigée par Léon Jouhaux, ce chaud partisan de « l’union sacrée », à la veille de la Première Guerre mondiale14.


Dans son récent communiqué15 au sujet des décisions du Parlement chinois sur Hong Kong, la déclaration de la CGT procède par raccourcis en ne s’appuyant sur aucun fait précis. Visiblement, dans sa précipitation, le Département international de la CGT n’a pas pris ni la précaution ni le temps de consulter le texte officiel de cette loi spécifique à Hong Kong. Il convient donc de clarifier plusieurs points et de replacer les choses dans leur contexte.

1- Ainsi, contrairement à ce qui est affirmé, la présente loi ne met pas un terme aux précédentes, du fait même qu’aucune législation sur la sécurité à Hong Kong n’existait avant celle-ci. C’était d’ailleurs là le problème, comme on va le voir plus loin. 

2- la loi réaffirme d’emblée le respect des principes des droits humains, le droit de réunion, de manifestations, d’expression, de publication. Elle rappelle le principe de présomption d’innocence. La loi est placée sous la responsabilité directe du chef de gouvernement de Hong Kong, des institutions et administrations du territoire qui veillent à son application comme à la désignation des magistrats. Le Chef de la police est nommé par les autorités locales. Un bureau et des moyens sont mis en place pour prendre en charge cette mission, son fonctionnement échoit au territoire.

3- la loi n’évoque à aucun moment le respect du droit syndical qui est garanti à Hong Kong, y compris le pluralisme syndical puisqu’il y existe plusieurs confédérations d’orientations bien différentes. Oser dire que les « syndicalistes seront considérés comme terroristes s’attaquant à la sécurité d’État » n’est pas un argument sérieux.


4 - il est tout aussi inexact de prétendre que la nouvelle loi mettrait un terme à 49 conventions de l'Organisation internationale du Travail (OIT) dont 6 fondamentales, que Hong Kong avait ratifié. La loi dont ce n’est pas l’objet, n’évoque jamais le droit du travail et encore moins l’action de l’OIT, qui, d’ailleurs, ne s’est pas exprimée sur ce sujet. Faut-il ajouter que la CISL à laquelle a succédé la CSI n’avait rien trouvé à redire quand Bill Clinton a soutenu une réforme de l’OIT conduisant à se débarrasser des conventions et normes jugées obsolètes16. Il recommandait de n’en conserver que quelques-unes. C’est d’ailleurs dans le même esprit que Guy Ryder, ancien secrétaire général de la CISL puis de la CSI et actuel directeur général de l’OIT, propose une transformation radicale de cette agence internationale qui déboucherait sur une nouvelle charte de Philadelphie17.


5 - Qu’en est-il des 370 arrestations de militants menacés de peines « de prison à vie » selon le Département international de la CGT ? Celles-ci sont en réalité moins de la moitié selon les agences de presse et n’ont donné lieu à aucune suite de quelque nature que ce soit. En fait, elles sont le résultat d’une manifestation d’un millier d’étudiants. Il est vrai que ces interpellations par la police ne sont pas plus acceptables à Hong Kong, à Paris ou ailleurs. Toutefois, il faut rappeler au mouvement syndical en France qu’il n’a pas jugé bon de condamner les violences, les incarcérations, les peines de prison ferme dont les gilets jaunes ont été les victimes. Il faut être cohérent ! On attend encore un engagement et une action de la part de la CGT en faveur de la libération de Georges Ibrahim Abdallah ou de Julian Assange. La politique des deux poids et deux mesures est partout inacceptable. 

- En fait, le problème est que la CSI, la CFDT et la CGT semblent contester, mais sans le dire directement, le droit de la Chine à faire respecter son intégrité, son unité et à mettre un terme aux ingérences étrangères. Plutôt que d’interpeller les autorités chinoises ou solliciter l’avis des syndicats du pays concerné, la CGT, sans peur du ridicule, préfère s’en remettre à Macron et son gouvernement qu’elle interpelle « pour faire respecter à Hong Kong les droits fondamentaux ». Sur ce plan en effet et sans ironie, il est difficile de contester l’expertise du locataire de l’Elysée. 

7 - L’outrance de certaines déclarations syndicales peut laisser entendre que Hong Kong ne serait pas la Chine. Ce qui logiquement reviendrait à admettre que cela pourrait être aussi le cas du Tibet, de la région autonome Ouïghours du Xinjiang18, de Taïwan et, pourquoi pas pendant qu’on y est, de la légitimité du système et du pouvoir politique dans la République populaire de Chine depuis 1949.


8 - Pourtant Hong Kong a été très officiellement rétrocédé à la Chine populaire en 1997. Elle est devenue une région administrative disposant d’un statut particulier jusqu’en 2048. Ainsi, partie intégrante du territoire chinois, elle bénéficie d’un protocole original, mais provisoire qui permet un fonctionnement selon la formule « un pays deux systèmes »19. Un seul pays et non deux, ce que visiblement certains syndicalistes aveuglés n’arrivent pas à comprendre, au point de se poser la question si, en fait, ils ne sont pas attachés à voir perdurer le capitalisme à Hong Kong ? La formule mise au point à l’époque entre Margaret Thatcher et Deng Xiaoping implique l’appartenance indiscutable du territoire à la Chine. Il ne saurait pas y avoir d’ambiguïté à ce sujet. Le drapeau rouge aux 5 étoiles flotte sur tous les bâtiments publics à Hong Kong et il n’existe aucune frontière entre le continent et la presqu’ile. Le monde entier s’accorde sur ce point. Visiblement, pas tout a fait quand même !

 

Mais au fond, qu’en est-il des institutions à Hong Kong ?

 
Depuis 1997, la transition s’est accompagnée d’un fonctionnement original puisque le chef de l’exécutif de Hong Kong, précédemment désigné comme « Gouverneur » par Londres, est dorénavant proposé par l'Assemblée nationale populaire chinoise. Il est élu par un collège de grands électeurs du territoire : le Comité électoral de Hong Kong. Il s’agit de la Cheffe de l’exécutif, Carrie Lam, celle qui a été soumise à la pression des manifestations et qui finalement en a tenu compte en annonçant l’abandon du projet d’extradition20. Sujet éminemment politique à l’origine des événements qui concernait la corruption du monde des affaires et ses rapports avec la criminalité.


Pendant plus d’un siècle et demi et jusqu’en 1997, les colons britanniques ont régné sur Hong Kong, il n’y avait pas d’élections et cela ne posait aucun problème aux puissances occidentales. On a vite oublié la répression brutale qui frappa les travailleurs de Hong Kong en 1967. À l’appel des syndicats, des revendications sociales firent alors l’objet d’une large mobilisation à laquelle le Gouverneur britannique a répondu par la force : 51 morts, 800 blessés, des milliers d’arrestations, des peines de prison très lourdes21. Les temps ont changé ! En fait, la Chine a introduit un système autrement plus démocratique et là, soudainement, ceci serait devenu une mise en cause caractérisée des droits de l’homme. 

À partir de 1998, le Conseil législatif, sorte de Parlement local, a été élu, « le Legco ». Il l’est pour moitié par la population et pour l’autre à travers une désignation des représentants des corporations professionnelles locales. Cette institution parlementaire vote des lois, décide du budget et désigne les magistrats. Le capitalisme comme système perdure dans la sphère économique et monétaire. Il n’y a pas d’armée de Hong Kong, c’est la Chine qui depuis 1997 et conformément aux accords de rétrocession assure la sécurité du territoire! Mais c’est la région administrative et la Cheffe de l’exécutif qui doit s’en charger, ce qui sera particulièrement le cas en ce qui concerne l’application de la loi qui vient d’être votée.


Voici, une vingtaine d’années, le Conseil consultatif de Hong Kong devait élaborer et décider d’une telle législation pour laquelle il avait reçu un mandat. Le problème, c’est qu’il ne l’a pas fait. Dans le même temps, la recherche systématique de nouveaux sujets de conflits avec la Chine a conduit les États-Unis à multiplier ouvertement les ingérences sur le territoire. Devant cet État de fait, le gouvernement central et le Parlement à Pékin ont décidé d’assumer leurs responsabilités afin de combler le vide législatif, conséquence des défaillances de l’administration locale. 

Cette loi sur la sécurité interdit la sécession, la subversion, le terrorisme et la collusion avec une puissance étrangère ou des éléments extérieurs, toutes choses mettant en cause la souveraineté nationale. Or, Hong Kong n’est pas une lointaine dépendance de la Chine appelée à le devenir ou au statut contesté, c’est la Chine, y compris dans sa continuité géographique ! Cette prérogative du parlement chinois est par conséquent conforme au droit international. Elle est imprescriptible et régit le statut, les droits et devoirs de tous les membres des Nations Unies sans aucune exception. Il en va de même du fonctionnement de l’Assemblée générale de l’ONU ou chaque État compte pour un. Hong Kong, faut-il le rappeler, n’est pas membre de l’ONU.

 

 


Droit des États à la souveraineté et la non ingérence

Chaque État a donc le pouvoir de se donner les moyens de défendre sa souveraineté dans le cadre de frontières reconnues. C’est évidemment très différent de la conception « élastique » qu’ont les États-Unis et Israël qui déterminent leur sécurité nationale en empiétant ou en s’accaparant unilatéralement le territoire de leurs voisins comme en le voit en Cisjordanie, au Liban ou en Syrie, voire beaucoup plus loin encore, quand Washington le réaffirme selon l’ancienne doctrine Monroe22 à l’égard de l’Amérique latine. C’est notamment le cas pour Cuba et le Venezuela, ou encore pour des pays dont la plupart des Américains auraient sans doute du mal à les situer sur une carte de géographie, comme l’Afghanistan, la Syrie, l’Iran, la Corée, voire l’Europe de l’Est ou les Pays baltes.

Il faut donc et comme toujours replacer les choses dans leur contexte réel et ne pas laisser faire l’imagination ou la paresse. Prendre le temps et un peu de hauteur de vue sur le sujet est nécessaire, singulièrement pour le Département international de la CGT!


La colonisation de Hong Kong était pour l’Empire britannique un enjeu de première importance. Elle a duré 150 ans. Elle permettait une présence économique, militaire et géopolitique dans une région décisive. Par ailleurs, le marché de l’opium dont elle détenait le monopole était pour Londres une source de revenus non-négligeable. Dans une moindre mesure, cela était aussi le cas de Macao, pour le Portugal. Aujourd’hui, on trouve à Hong Kong 1 350 multinationales US qui ont leurs bureaux et 85 000 citoyens américains y vivent, ainsi que 34 000 Britanniques et 300 000 Canadiens23.

Ce qui était vrai hier, l’est tout autant aujourd’hui. Hong Kong permet un accès direct à la Chine et demeure un objet de convoitise. Le port de Hong Kong est devenu avec le temps, l’un des premiers au monde pour le trafic des containers et des pétroliers. À l’extrémité de la rivière des Perles (Zhu Jiang), le territoire est un site particulièrement favorable, véritable porte d’entrée de la Chine24. Les caractéristiques stratégiques de Hong Kong sont devenues pour Washington une des préoccupations essentielles et ne sont pas étrangères à l’hégémonie que les États-Unis entendent exercer dans cette partie du monde à travers une conflictualité permanente avec la Chine et la Russie.

 

Une stratégie visant au maintien de l’hégémonie mondiale
Le « National Defense Strategy Plan25 » qui constitue une Bible pour le Pentagone et le Département d’Etat considère en effet « l’Asie du Sud-Est » comme décisive pour le maintien de la suprématie mondiale US. Barak Obama en avait fait une priorité avec son « Pivot to Asia ». « Si nous ne fixons pas les règles, la Chine les fixera26 » avait-il proclamé. Avec Donald Trump, les néoconservateurs ont poursuivi cette politique. Dans le contexte de crise systémique du capitalisme marquée par le déclin US illustré entre autres par l’épidémie de Covid19 et l’explosion du chômage, il ne fait guère de doute que cette préoccupation est devenue obsessionnelle. Dans un avenir proche, et sans doute, de manière plus agressive encore « Sleepy » Joe Biden, s’il est élu président, ne dérogera pas à cette orientation, y compris avec en prime les risques d’une confrontation nucléaire. Le fait que Trump et Biden s’accusent mutuellement de « faiblesses » à l’égard de la Chine ne fait que caractériser le caractère bipartisan des menaces américaines. Ainsi, dans un signe inquiétant, Mike Pompeo a pour la première fois officiellement qualifié d’illégales les revendications territoriales dans la mer de Chine méridionale. Pékin a été accusé “de mépris vis-à-vis du système international fondé sur des règles”. Cette hypocrisie est d’autant plus scandaleuse que les États-Unis refusent de ratifier “la Convention des Nations Unies sur les droits de la mer”. En fait, Washington bafoue systématiquement le droit international tout en prétendant en fixer les règles.

 

Cette perspective n’est d’ailleurs pas sans inquiéter la Chine et d’autres pays de la région, comme la Corée du Nord et du Sud ou les Philippines. Xi Jinping a appelé les forces armées chinoises à réfléchir aux pires scenarii27. Dans le même temps, l’Australie28 a décidé d’accroître nettement son budget de défense. Aux États-Unis, le secteur militaro-industriel est en expansion avec y compris d’importants investissements, et même des créations d’emplois pour assurer la modernisation des équipements militaires en particulier la force nucléaire. Ainsi récemment, le Général US Joseph Votel ancien responsable du Central Command des forces armées américaines et l’Amiral Samuel Locklear III ont interpellé fermement l’administration présente et future à Washington afin de mettre sur pied, sur le modèle de la lutte contre le terrorisme, une vaste alliance offensive contre le Covid19. Le moment est venu, ont-ils affirmé, pour les États-Unis de prendre ce leadership pour garantir la sécurité nationale. En d’autres termes, Donald Trump et Mike Pompeo considérent que la Chine est la cause de l’épidémie et donc la menace la plus importante pour la paix mondiale. Cela s’adresse tout particulièrement au Parti communiste chinois (PCC) devenu l’adversaire clairement désigné29. Le New York Times a rapporté que la Maison blanche envisageait sérieusement une interdiction de voyage sans précédent visant les 90 millions de membres du PCC, ainsi que leurs familles.

 

C’est pourquoi depuis 1997, l’impérialisme n’a pas ménagé les moyens de pression pour utiliser, manipuler, influencer, financer les forces politiques, sociales et économiques locales hostiles à la rétrocession de Hong Kong à la Chine.

 

Hyper-médiatisation et financements étrangers

Ces tentatives incessantes de déstabilisation ont été mises en images par l’hyper médiatisation du  « Mouvement des parapluies » tout comme la survalorisation des dirigeants séparatiste, qu’ils soient étudiants comme Joshua Wong ou syndicaliste comme Lee Cheuk Yan, secrétaire général de la HKCTU, ou multi milliardaire comme celui de l’industrie médiatique Jimmy Lai surnommé le Ruppert Murdoch de Hong Kong. Tous sont présentés comme imaginatifs, intelligents, courageux, créatifs, attachés au mode de vie occidental, à l’économie de marché et à la démocratie, mais surtout, ils sont farouchement hostile au Parti communiste chinois. Bref, on nous rejoue David contre Goliath.

 
Tous bénéficient du soutien politique et financier de la Grande-Bretagne et des États-Unis comme de leurs nombreuses fondations. Les réseaux sociaux, les lobbies, la presse internationale, les commentateurs et les « experts » assurent leur notoriété. Chaque manifestation à Hong Kong bénéficie d’une couverture médiatique enthousiaste au point d’en rendre compte en temps réel et à travers le monde par des déclarations et des reportages, qui font pâlir d’envie tous ceux dont les luttes sont maintenues sous l’éteignoir. Deux poids et deux mesures, là aussi. On assiste par ailleurs, à un feu roulant d’annonces plus spectaculaires les unes que les autres. Ainsi, dans le cas de Londres, le Premier ministre Boris Johnson a récemment proposé d’offrir des passeports britanniques aux 7,5 millions d’habitants de la presqu’ile qui le souhaiteraient « au nom du maintien des profonds liens d’histoire et d’amitié avec le peuple de Hong Kong30 » sans semble-t-il mesurer l’impact que cela pourrait avoir s’il devait passer à l’acte. Cette provocation typiquement « colonialiste » a fait l’objet d’une riposte ferme de la Chine qui a dénoncé un exemple flagrant d’ingérence.


Dans le même registre, c’est bien sur le cas des États-Unis. C’est ce qu’ont mis en évidence les multiples rencontres à Washington des « pro democracy » de Hong Kong avec l’ensemble de l’establishment politique, républicain et démocrate , avec la Maison blanche, l’administration et les différentes officines chargés d’assurer le suivi sur le terrain. Afin de veiller à l’hégémonie nord-américaine sur le reste du monde, Donald Trump s’est autorisé à signer une loi en faveur du statut de Hong Kong31. Imaginons l’inverse ! Ainsi une rencontre officielle entre le Secrétaire d’État US et une délégation des porte-paroles de l’opposition séparatiste de Hong Kong comprenant un représentant syndical de la HKCTU a eu lieu32. À cette occasion, Mike Pompeo a déclaré « les États-Unis entendent peser de tout leur poids dans la suite des évènements qu’a connu Hong Kong 33». Il répondait à l’appel de Joshua Wong34 à Donald Trump et au Congrès en faveur de leur intervention afin que les États-Unis conditionnent dorénavant toute négociation commerciale avec la Chine à une clause en faveur « du respect des droits humains35 ». Depuis l’assassinat de Georges Floyd et les violences policières qui ont provoqué cette vague inédite de protestations aux USA, on sait à quoi s’en tenir.


Washington n’a donc pas ménagé les moyens et les efforts à travers la mobilisation prioritaire du personnel de son consulat, tout particulièrement ceux de la diplomate Julie Eadeh, cheffe de la section politique, qui a multiplié les rencontres avec les leaders étudiants. Pour leur part, « CANVAS et l’OTF36 » ont pris en charge la formation sur le terrain des  gentils organisateurs de manifestations avec une familiarisation aux « catapultes, herses, javelots, arcs et flèches enflammées37 ». Ce qui devant autant d’innovations a entraîné dans les médias occidentaux des béats d’admiration !


Lors de la manifestation de soutien devant le consulat des États-Unis à Hong Kong on a fait flotter drapeaux américains et britanniques et on a distribué « un manuel de désobéissance » made in USA. Un document fidèle à la rhétorique de Gene Sharp38. Il faut reconnaître dans cette promotion de la non-violence le « smart power39 ». Les Américains sont des experts de cette méthode qui a fait ses preuves en Serbie, Géorgie et notamment en Ukraine. Il est intéressant de noter qu’Otpor-Canvas a fait également éditer à cette occasion un livre « Umbrella, a political tale from Hong Kong40 » et fait fleurir sur les banderoles le poing noir si caractéristique de son réseau que l’on retrouve dorénavant à Hong Kong, comme à Washington, Paris, Londres, Berlin, Madrid, Moscou « Les ONG sont des entreprises habillées en mère Theresa, mais les journalistes ne les voient pas41 » disait Linda Polman. Elles sont les agents de la démocratisation américaine et du néolibéralisme, comme le démontre remarquablement Ahmed Bensaada dans son dernier ouvrage42.


Tout cet investissement politique nord-américain coûte beaucoup d’argent ! On a donc invité les entreprises locales et américaines à se mobiliser, dont la compagnie aérienne Cathay Pacific avec son ex-PDG Ruppert Hogg qui est un soutien inconditionnel du « mouvement des parapluies », il a facilité l’occupation de l’aéroport de Kai Tak. On a aussi sollicité le « tycoon » Jimmy Lai déjà cité, mais aussi le grand patron de la « National Basketball Association » (NBA) aux États-Unis, Dary Morey et bien d’autres. On a fait ruisseler les dollars, et le NED43 a activé ses réseaux tout en accordant une subvention immédiate aux organisations « pro democracy ». Elle a été officiellement de 623.933 dollars US, dont 194 710 dollars US pour entre autre le syndicat HKCTU.

 

Ce dernier, entretient des liens avec la CSI, la CGT et la CFDT. Eloigné des revendications sociales, son action est essentiellement politique. Dans une interview au journal de la CFDT en octobre 2019, Lee Cheuk Yan, son Secrétaire général déclarait : « Les dirigeants chinois ne veulent qu’un modèle, celui totalitaire du Parti communiste » et il ajoutait : « Notre combat dépasse la simple question de Hong Kong, nous nous battons pour tous les travailleurs chinois44 ». Ce qui a le mérite d’être parfaitement clair. C’est donc de préoccupations et d’actions politiques dont il s’agit avec des objectifs non dissimulés, comme en d’autres temps le voulait « Solidarnosc » en Pologne45 ! Hong Kong n’est donc qu’un prétexte en forme de cheval de Troie. Pour la clarté du débat, il serait intéressant qu’on nous dise si les syndicats français partagent de tels objectifs et ce qu’en pensent leur syndiqués.


Faut-il ajouter pour être complet qu’au sein du Conseil d’administration du NED, dont Ronald Reagan aimait à dire que sa mission était d’assumer ce que la CIA ne pouvait faire, on trouve aussi l’AFL-CIO, à travers sa fondation, l’ACILS46 impliquée dans 90 pays et particulièrement à Hong Kong. Elle est un des autres piliers de la CSI. Il faudrait évoquer enfin  les millions de dollars que le NED consacre à la Chine pour le développement de syndicats « indépendants », en faveur de l’économie de marché47 et de la propriété privée.


Que les syndicats, dont la CGT, ne trouvent rien à redire à de tels faits avérés. Que l’on se trouve à l’aise dans un compagnonnage avec des organisations dont la question syndicale n’est sans doute pas la première des préoccupations, peut s’apparenter à de l’ignorance diront certains, à de la duplicité diront d’autres, plus vraisemblablement aux deux !

 

 

Hong Kong, problèmes sociaux et capitalisme

Cela étant dit, les manifestations à Hong Kong de la part d’une partie importante de la population sont incontestables. Celles-ci expriment un mécontentement réel à l’égard des insuffisances et des responsabilités de l’administration locale, mais cela se conjugue aussi avec d’autres exigences que l’on ne doit pas sous-estimer, comme la vie chère, la crise du logement ou des transports et l’aggravation spectaculaire du chômage qui sont des évidences difficiles à nier.


Faut-il encore en comprendre les causes. Hong Kong est une des villes les plus chères au monde et, depuis plusieurs années, l’influence de ce qui était hier l’un des tigres asiatique a décru dans des proportions significatives face à des rivales, comme Canton (Shenshen), Gangshou et surtout Shanghaï. Lire dans la déclaration de la CGT qu’à Hong Kong on applique et respecte les conventions de l’OIT est consternant, car ce n’est tout simplement pas le cas. Il faut connaître ce que sont les conditions de vie et de travail dans cette immense mégapole ! Il faut faire l’effort de s’informer et découvrir ce qu’est l’existence précaire de millions de gens qui vivent à Hong Kong, comme ceux sur le village flottant d’Aberdeen et son port de pêche, ou dans les immenses bidonvilles de Kowloon et de Sham Shui Po où l’on s’entasse dans des logements grands comme des toilettes. Bien des familles ne gagnent qu’autour de 400 euros par mois alors que dans le même temps, les milliardaires s’enrichissent de manière éhontée, entretenant une corruption dans le secteur privé qui est devenue endémique. Le marché de l’immobilier résidentiel et commercial à Hong Kong se partage entre quatre conglomérats dynastiques. Ce sont ceux-là qui gangrènent la vie locale et qui craignent par-dessus toutes les réformes, les inculpations, les condamnations et les extraditions. Ils sont les principaux soutiens des protestations. Dans cette situation chaotique qu’a connu Hong Kong pendant plusieurs mois, une question peut se poser : le mécontentement légitime ne s’est-il pas trompé de cible ?


Il ne s’agit pas de fermer les yeux sur les problèmes que rencontre la Chine, sujet que ne contestent pas les dirigeants chinois eux-mêmes. Dans ce pays continent de 1,4 milliards d’habitants, comme en serait-il autrement ? N’y a-t-il pas une incroyable prétention, une arrogance typiquement occidentale, à vouloir donner des leçons à la Chine quand le capitalisme a le bilan qui est le sien, tout spécialement en France en Europe ou aux États-Unis ? C’est pourquoi tordre les faits au point où certains le font à la CSI, à la CFDT, mais aussi à la CGT, est faire preuve d’une rare mauvaise foi.


Naissance d’une nouvelle Eurasie et perspectives de développement en Europe

Ne faudrait-il pas mieux pour le mouvement syndical réfléchir et étudier sérieusement cette vaste région du monde au centre de tous les défis et enjeux, dont le développement prochain déterminera aussi le nôtre ? Hong Kong se trouve au centre d’un affrontement aux conséquences planétaires dans cette vaste région récemment baptisée « Indo-Pacifique », un nouveau concept étasunien. Celui-ci est en fait une reconfiguration géopolitique visant à exclure la Chine de la communauté des pays asiatiques, mais qui y inclut unilatéralement les États-Unis. Cette politique mise au point à Washington est conduite par un « quarteron » stratégique sous leadership américain, « la quadrilatérale ». Elle est composée des États-Unis, de l’Inde, du Japon, de l’Australie, qui entendent résister à la montée en puissance économique, financière, politique, culturelle de la Chine, et contrer son influence grandissante en Asie du Sud-Est et internationalement. Il est significatif qu’à l’occasion de la session du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU à Genève, 46 États ont récemment apporté un soutien incontestable à la Chine dans sa lutte contre le terrorisme et le séparatisme dans la province du Xinjiang48.


Il est un fait que l’impact des initiatives de la Chine bouleverse la donne internationale, et donc le rapport des forces. Mais cela doit-il être vu comme un risque ou plutôt comme une opportunité ? La croissance mondiale est dépendante pour 35 % de la croissance chinoise (chiffres 201749), autant dire des millions d’emplois dans les pays développés, dont l’Europe et la France. La crise systémique et les conséquences du désastre économique et social qui s’annonce simultanément à la pandémie de Covid19 devraient aider certains dirigeants et militants syndicaux à anticiper autrement qu’en faisant référence à l’air du temps, comme c’est malheureusement le cas.


Par exemple comment ne pas tenir compte dans les analyses syndicales des bouleversements qui interviennent et se préparent à l’échelle mondiale, illustrés par la coordination stratégique de la Chine avec la Russie, ou les alliances anti-hégémoniques illustrées par « l’Organisation de Coopération de Shanghaï » et de nombreux traités de libre-échange entre voisins. Comment doit-on articuler cela avec les préoccupations quotidiennes dans les entreprises ? C’est particulièrement le cas des Nouvelles routes de la soie. Que pense la CGT et sa Fédération des cheminots des trains de fret Chine-Europe qui sont un point phare de cet immense projet, en comptant sur ce nouveau pont continental entre l’Asie, l’Eurasie et l’Europe, et qui concerne 34 villes de 12 pays européens ? N’y a-t-il pas là une matière au développement de coopérations syndicales ? Comment anticipe-t-on toutes les incidences en matière d’emploi, d’innovations, de formation ? Pourquoi faut-il s’enfermer dans le cadre étroit d’une prétendue relance économique verte dans une Europe intégrée dont les travailleurs font depuis longtemps l’amère expérience ? Doit-on faire le choix de participer à des campagnes politiciennes de diabolisation de la Chine ou chercher à donner un sens concret à la coopération et la solidarité syndicale internationale avec un agenda au service de l’emploi et du développement ?

 
Ce sont là les vraies questions auxquelles il faut répondre et qui touchent aux priorités comme au contenu des orientations internationales indépendantes de la CGT. Là aussi, les syndicats doivent assumer leurs responsabilités et montrer dans la clarté par la démocratie syndicale et ouvrière, que ce sont eux qui sont la Confédération générale du Travail et nul autre.

 

Syndicalisme d’accompagnement de l’impérialisme ou syndicalisme internationaliste
Depuis son affiliation à la Confédération européenne des Syndicats (CES) et à la CSI, la CGT a fait le choix de rompre avec ses précédents engagements internationaux, et surtout avec une démarche indépendante qui lui avait valu reconnaissance et prestige au sein du mouvement syndical mondial. Aujourd’hui, 20 ans après, ne faut-il pas reconnaître que cette évolution handicape le travail de toutes les structures de la CGT ? En Europe, la CGT participe dorénavant aux côtés de la CES50 et de la CFDT à l’accompagnement des décisions de la Commission de Bruxelles et de la Banque centrale européenne en revendiquant toujours plus d’intégration. Au niveau international, elle fait le choix d’épouser des causes politiques conformes aux orientations du syndicalisme institutionnel et du système dominant. Contrairement à la décision de son 52e congrès national, d’avoir des relations avec toutes les centrales syndicales internationales, la direction de la CGT persiste à faire preuve d’ostracisme à l’égard de la FSM et de la plupart de ses affiliés.

 

Dans cette impasse, persister serait sans issue ! Ne faut-il pas mieux se ressaisir et changer ce qui doit l’être ? Il fût un temps où la CGT prétendait que son affiliation à la CES changerait l’orientation de celle-ci. On sait depuis qu’il n’en a rien été et qu’en fait c’est bien la CES, de surcroit présidée par le Secrétaire général de la CFDT Laurent Berger, qui dorénavant influence la CGT. Internationalement, on assiste à une mutation identique, c’est la CSI qui a déteint sur la CGT et non l’inverse.


Ces évolutions se sont imposées le plus souvent sans véritables discussions et débats. Faut-il s’en accommoder, ou faut-il en tirer les conséquences ? Le moment n’est-il pas venu de renouer sans attendre de vaines échéances, illusoires par ailleurs, avec un internationalisme au contenu de classe affirmé ? La réponse appartient aux syndiqués et militants qui font la CGT ! Il faut convaincre qu’il y a urgence à répondre à de telles questions, et cela d’autant plus vite que l’on vit un moment historique décisif, fait de risques comme d’opportunités. Cela ne saurait pas être différé ! Ce sont des responsabilités nouvelles, inédites. Plus que jamais le combat pour l’unité et la cohésion de la CGT est à l’ordre du jour !


Pour conclure ! Après sa mise en application, que constate-t-on à Hong Kong ?

Le climat a évolué, l’initiative a changé de camp. L’objectif de créer un point de fixation propice à une internationalisation des problèmes dans la forme de Tian’anmen voici presque 30 ans, est un échec. Il n’y a pas eu d’intervention militaire pour rétablir l’ordre comme l’espéraient certains apprentis sorciers. Les autorités chinoises ont fait preuve de sang-froid, de discernement et de patience, laissant aux institutions locales le soin de gérer une situation chaotique. L’armée est demeurée dans ses casernes, elle est actuellement mobilisée au nettoyage des rues après les manifestations violentes et les actes de vandalisme de la dernière période.


Les importants moyens humains, matériels et financiers mis en œuvre par les États-Unis et la campagne médiatique internationale ont été tenus en respect et n’ont pas atteint leurs objectifs. Certaines organisations comme « l’OTF » ont du plier bagages. Plusieurs dirigeants étudiants séparatistes cornaqués directement par l’administration US flanquée de groupes comme CANVAS ont annoncé leur démission. C’est le cas de Joshua Wong, Nathan Law, Jeffrey Ngo, Agnès Chow qui quittent le parti « Demosito51 ». Ils ont précisé qu’ils poursuivraient leur action mais à titre individuel. Joshua Wong a donné rendez-vous en 2048. En attendant, il va rejoindre l’Open University52 de Hong Kong dont le réseau mondial est financé à hauteur de 1 milliard de dollars par Georges Soros dans son combat contre Xi Jiping et Donald Trump qu’il considère comme les principales menaces à toute société néolibérale et ouverte. L’opposition dite modérée de Claudia Mo Man-Ching déclare vouloir négocier avec les autorités après les élections de septembre.


Enfin, une importante partie de l’opinion, et c’est là l’essentiel, souhaite voir les choses évoluer et aspire à plus de calme, elle rejette la violence. La perspective d’une « révolution de couleurs » à Hong Kong ne semble plus d’actualité.


Ce constat n’est pas sans illustrer un contexte international caractérisé par le recul d’une domination US minée par la crise de la domination impérialiste, une crise qui est économique, sociale, politique, environnementale, démocratique, et gravissime sur le plan sanitaire. Cette évolution qui va s’accélérer et s’aggraver entraîne pour les États-Unis une indiscutable perte de crédibilité. Dans un proche avenir, elle entraînera de nombreuses conséquences, y compris des risques de guerre. Ainsi Donald Trump invoquant la mise en œuvre de la loi sur la sécurité a annoncé de nouvelles sanctions à l’égard de la Chine en décrétant la fin du traitement préférentiel dont bénéficiait Hong Kong, ce qui affectera directement l’activité économique du territoire. Quant au New York Times, celui-ci a décidé de transférer son siège régional à Séoul. Enfin, la Grande-Bretagne a de son côté annoncé qu’elle expurgeait tout son réseau 5 G des équipements produits par le géant chinois de télécoms, Huawei.

 

Ces décisions ne rendent pas la situation moins périlleuse, tant il est connu que « quand la bête est blessée, c’est là, qu’elle est la plus dangereuse ».

Jean-Pierre Page


Ancien responsable du département international de la CGT. 

 

jean.pierre.page@gmail.com
 

 

Notes :
 

1 Sun Tzu, général et stratège chinois (VIe siècle av J.C) dans L’Art de la Guerre.


2 Consultable en anglais et chinois: The Law of the People's Republic of China on ...
www.chinadaily.com.cn/a/202007/01/WS5efbd6f5a..


3 « Pékin espère absorber Hong Kong et faire de même avec Taïwan » Marianne, 1er juillet 2020


4 Pékin, impose au forceps la loi sur la sécurité nationale », TV 5 Monde, 1er juillet 2020.


5 L'OTF est une structure médiatique US qui a succédé à « Free Asia. Program » etqui soutient l’idée de « société ouverte » chère à Soros et à son mentor Karl Popper. Encouragée par Hillary Clinton, le but de l’OTF est de mettre à disposition des systèmes de communications via Internet qui échappent aux contrôles, surveillances et contraintes imposées par des gouvernements. OTF joue un rôle important dans le soutien à l’opposition séparatiste à Hong Kong.


Center for Applied Non Violent Action and Strategies – CANVAS) dont le dirigeant est le fondateur d’OTPOR, voir “Vers des révolutions colorées ou vers une révolution sociale” Jean-Pierre Page et Bruno Drweski, Le Grand Soir, 18 juin 2020.


7 CSI (Confédération Syndicale Internationale) héritière de la tristement célèbre CISL (Confédération Internationale des Syndicats libres) issue de la scission de la Fédération syndicale mondiale (FSM) en 1949. La CSI est une organisation aux orientations calquées sur les choix idéologiques et politiques des pays occidentaux. Toutes les confédérations françaises sont affiliées à la CSI, dont la CGT.


8 « 121 millions de personnes vers un niveau critique de la faim, selon Oxfam », Libération, Nelly Didelot, 9 juillet 2020


9 Les concessions accordées aux puissances impérialistes en Chine au 19e et 20e siècles, dont la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Russie et les États-Unis constituaient des zones placées sous administration étrangère et situées à l’intérieur des villes chinoises.


10 « Nouvelle attaque de la CGT contre la Chine », Jean-Pierre Page, Le Grand Soir, 21 août 2019.


11 Cai Hasen était un ami proche de Mao Zedong avec qui il partageait une importante correspondance. Les deux sont à l’origine de la création du PCC dont l’idée était née à travers les échanges entre Cai Hasen et Mao Zedong.


12 « Montargis, berceau de la Chine Nouvelle », Le Monde, 9 septembre 2006. On y découvrira comment Deng Xiaoping travaillait et militait à la CGTU chez Hutchinson à Châlette-sur-Loing, dont il fût licencié pour sa participation à une grève et ses activités syndicales. Le Mouvement « Travail-études » organisait et encourageait de jeunes Chinois à venir étudier en France où par la suite plusieurs d’entre eux se sont familiarisés avec l’étude du marxisme et de la Révolution russe.

 

13 CGT unitaire, née en décembre 1921 de la scission de la CGT, la CGTU était affiliée à l’Internationale syndicale rouge.

 

14 Léon Jouhaux : Secrétaire général de la CGT de 1909 à 1940. Il contribua après la Seconde Guerre mondiale à la création de Force Ouvrière et à la scission du syndicalisme français avec l’aide des services secrets US et du syndicat AFL.

 

15 « Hong Kong alignée de force sur le droit chinois », Déclaration de la CGT, 2 juillet 2020.

 

16 « Discours à la conférence internationale du travail » de Bill Clinton. OIT, 16 juin 1999.

 

17 L’OIT est une agence spécialisée du système des Nations Unies. L’OIT a adopté la Charte de Philadelphie en 1944. « A l’OIT, combattre l’attaque visant à désarmer le mouvement syndical et les travailleurs » Swadesh Dev Roye, dans Camarades, je demande la parole, Jean-Pierre Page, Investig’Action, 2016

 

18 À ce sujet, il faut signaler le soutien apporté à la Chine par 46 États du Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève, Valeurs actuelles, 5 juillet 2020.


19 « Un pays, deux systèmes » selon la formule énoncée par Deng Xiaoping en 1997.


20 Carrie Lam est la cheffe de l’exécutif de Hong Kong depuis 2017. Diplômée de Cambridge. Elle est élue par le collège électoral des grands électeurs de Hong Kong.

 
21 « Les émeutes de 1967 à Hong Kong », Le Hong Kongais.com, 4 mai 2017


22 La doctrine Monroe dès la fin du 19e siècle caractérise la politique étrangère expansionniste des USA. L’objectif au départ concernait la mer Caraïbes, la mare nostrum s’est étendue ensuite à toute l’Amérique latine en raison de son importance stratégique.


23« Cui Tiankeu rassure les ressortissants américains à Hong Kong », French/China org, 2 juin 2020.


24 « Trafic portuaire et organisation de l’espace à Hong Kong », Les cahiers d’Outre Mer, janvier-mars 1980.


25 « How Biden would wage great power compétition », Patrick Tucker, Defense one, 1er juillet 2020


26 « Quel pivot pour le bilan asiatique d’Obama », Philippe Le Corr, Asialyst, 2 novembre 2016

 
27« Ce rapport secret qui exhorte la Chine à se préparer à la guerre » Jérémy André, le Point, 8 mai 2020. Cette information, donnée par l’agence Reuters serait basée sur des conversations, mais sur aucun document écrit. « L’Australie va nettement accroître son budget défense », Reuters, 1er juillet 2020.


28 « The US needs a global coalition to defeat the Covd » Joseph Votel et Samuel Locklear, Defense one, juillet 2020


30 « Hong Kong : Boris Johnson pourrait offrir des millions de passeports », Le Point, 3 juillet 2020.


31« The US needs a global coalition to defeat the Covd » Joseph Votel et Samuel Locklear, Defense one, juillet 2020


32 « Trump signe une loi en faveur de l’autonomie de Hong Kong », le Figaro, 28 novembre 2019.


33 HKCTU : Hong Kong Confederation of Trade Unions est une organisation syndicale hostile à la rétrocession de Hong Kong à la Chine. Elle bénéficie d’une aide importante de la CSI et de l’AFL-CIO. Ses forces sont 5 fois moins importantes que celle de la Hong Kong Federation of Trade Unions (HKFTU) présentée par les médias comme pro Pékin.


34 « US Secretary of State Mike Pompeo weighs in on extradition bill in Hong Kong », South China Morning Post, 17 mai 2019.


35 Joshua Wong, fréquent visiteur à Washington est très proche du sénateur républicain Marc Rubio qui propose de sanctionner les pays qui font appel à l’aide médicale cubaine et qui est par ailleurs un soutien inconditionnel de Juan Guaido, la marionnette US vénézuélienne.


36 « Hong Kong activist Josha Wong seeks from Donald Trump », Hong Kong free Press, 15 septembre 2019.


37 « Hong Kong, le système D des manifestants », Le Télégramme, 16 novembre 2019.


38 Gene Sharp est un philosophe américain qui a inspiré les partisans des « révolutions colorées » comme du « Printemps arabe » et Otpor en Serbie. Voir Arabesques, Ahmed Bensaada, Investig’Action, 2016


39 Les concepts de « smart power, soft power & hard power » ont été développés par Joseph Nye, conseiller à la sécurité de plusieurs présidents des États-Unis, politologue et professeur à Harvard University.


40 « Umbrella, a political tale from Hong Kong », Kong Tsung Kan, Pema Press, 2017


41 « The crisis caravan », Linda Polman, 2010.


42 Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien, Ahmed Bensaada, Alger, Epic éditions, 2020.


43 NED : National Endowment for Democracy créé par Ronald Reagan pour selon son expression « faire ce que la CIA ne pouvait pas ». Il est facile de consulter son site pour connaître le montant des subventions accordées dans le monde entier.


44 « Hong Kong, nous n’avons rien d’autre à perdre que nos chaînes », interview de Lee Cheuk Yan, secrétaire général de la HKCTU, affilié à la CSI. Bulletin CFDT, 5 novembre 2019.


45 « Une solidarité qui a couté cher – Histoire populaire de Solidarnosc » Bruno Drweski, préface de Jean-Pierre. Page, Delga, 2019.


47 ACILS : American Center for International Labor Solidarity. Connu pour avoir financé le coup d’État contre Hugo Chavez en 2002 avec 154 377 dollars versés à la centrale syndicale du Venezuela CTV affiliée à la CSI.


48 Le NED a versé plus de 3,5 millions de dollars en 2015 pour des programmes de formation politique et idéologique à vocation syndicale en Chine. Ces programmes se tiennent notamment à Hong Kong.


49 « La Chine soutenue par 46 États », Valeurs Actuelles, 5 juillet 2020.


50 « La contribution de la Chine à la croissance mondiale », Xinhua, Worldpress, 2017


51 Demosito est un parti créé en 2016 et lié au mouvement étudiant. Après le vote de la loi sur la sécurité, Joshua Wong, Nathan Law, Jeffrey Ngo et Agnès Chow ont annoncé le démantèlement du parti.


52 « Georges Soros announces 1 billion dollars to start Open University », RTT News, 24 janvier 2020. Il a fait cette annonce en marge du Forum de Davos janvier 2020.

 

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8 juillet 2020 3 08 /07 /juillet /2020 19:46

Même si le communisme a été décrété mort il y a trente ans, les partisans du capitalisme sans frontières qui décrétèrent pourtant à l’époque « la fin de l’histoire » s’acharnent avec un hargne rarement vue au cours des siècles contre un cadavre qui, du coup, semble toujours dangereux ...et donc bien vivant.

Nous sommes donc abreuvés d’ouvrages à prétention scientifique qui utilisent une méthode quasi-stakhanoviste pour augmenter le nombre de « victimes du communisme ». En évitant la plupart du temps toute étude comparative avec les politiques répressives et exterminatrices des différents régimes capitalistes, en évitant aussi de remettre les drames de la construction du socialisme dans leur contexte, celui auquel étaient confrontés des dirigeants provenant de classes sociales sans expérience de l’exercice du pouvoir et qui se heurtaient non seulement à des puissances extérieures mais avaient aussi à gérer des intérêts sociaux contradictoires à l’intérieur même du pays et aussi du parti communiste. Les erreurs économiques, les répressions, les purges et les contre-purges doivent donc être vues comme une forme de guerres civiles larvées dans un contexte de menaces et de guerres extérieures. Et donc avec des responsabilités partagées qu’on ne peut considérer en bloc comme provenant « du régime », mais bien plus souvent de différentes factions représentant différents intérêts dont certains étaient liés à ceux de puissances extérieures. Il est donc salutaire d’avoir ici un article qui résume les principaux éléments du discours historique anticommuniste et qui lui apporte des éléments de réponse, à partir des trop rares études sérieuses faites sur le sujet par des chercheurs réellement indépendants.

La Rédaction

 

 

La foutaise anticommuniste

des

100 millions de morts”

-

Juillet 2020

 

 

Bruno Guigue

 

Du Parlement européen aux manuels scolaires en passant par Michel Onfray, l’anticommunisme a repris du service. « Démocratie contre totalitarisme », les « 100 millions de morts », le Goulag, la Révolution culturelle, tout s’enchevêtre et compose un tableau destiné à sidérer l’opinion, inoculant l’idée d’une vaste conspiration des forces du mal dont la Chine, cet odieux régime totalitaire dont Le Monde prédisait la « faillite » il y a encore trois mois, constituerait le dernier avatar. Mais si seulement on se contentait d’affabuler sur le présent ! Non, il faut encore réécrire l’histoire en la repeignant aux couleurs de l’idéologie dominante.

On va même jusqu’à dire que ce sont les courageuses démocraties occidentales menées par l’Oncle Sam qui ont vaincu Hitler, et non l’Union soviétique. Peu importe la réalité historique, peu importe que, de Moscou à Stalingrad, de Stalingrad à Koursk, et de Koursk à Berlin, ce soit l’URSS qui ait abattu la machine de guerre du nazisme et expédié ses plans de domination raciale dans les poubelles de l’histoire. Et qu’au prix de 27 millions de morts, le peuple soviétique ait libéré le monde de cette folie meurtrière.


 

La contribution du communisme à l’émancipation

On oublie, par la même occasion, de rappeler l’immense contribution du communisme à l’émancipation humaine. Car c’est le bolchevisme qui a donné son élan décisif à la lutte anticoloniale, et le « Congrès des peuples de l’Orient », réuni à Bakou en 1920, qui a inauguré un processus de libération constituant l’événement majeur du XXe siècle. Un appel à la révolte qui a connu un succès retentissant en Asie ! Après avoir transformé le plus grand pays de la planète, la Russie, le communisme a triomphé dans le pays le plus peuplé, la Chine. Et mettant fin à un siècle de chaos et de pillage colonial, Mao Zedong a restauré la souveraineté chinoise en 1949.

Après avoir unifié le pays, aboli le patriarcat, réalisé la réforme agraire, amorcé l’industrialisation, vaincu l’analphabétisme, donné aux Chinois 24 ans d’espérance de vie supplémentaire, mais aussi commis dans les années 1960 des erreurs tragiques dont le peuple chinois a tiré le bilan, le maoïsme a passé la main. Ses successeurs ont tenu compte des enseignements tirés de cette expérience, et ils ont construit une économie mixte, pilotée par un État fort, dont les résultats ont défié les prévisions les plus optimistes. Mais sans la Chine de Mao, comment celle de Deng et de Xi eût-elle jamais vu le jour ?

Certes, au terme d’un siècle d’existence, le communisme réel paraît fort éloigné d’une théorie élaborée au beau milieu du XIXe siècle. Mais quelle doctrine, dans l’histoire, fait exception à la règle selon laquelle les actions des hommes échappent à leurs intentions ? Et en existe-t-il une seule qui ait réussi à faire de la coexistence humaine un lit de roses ? La marche en avant du communisme n’a pas été sans échecs, et l’effondrement de l’Union soviétique, désastreux pour l’équilibre mondial, en témoigne. Le communisme historique n’a aboli ni la division interne de la société, ni le poids de la contrainte étatique. Mais il a conjuré les affres du sous-développement, vaincu la malnutrition, éradiqué l’analphabétisme, élevé le niveau d’éducation et libéré la femme dans des pays où le capitalisme n’avait laissé que des ruines.

A l’évidence, il vaut mieux naître en Chine qu’en Inde : le taux de mortalité infantile y est quatre fois moins élevé et l’espérance de vie y est de 77 ans contre 68. En Inde, il vaut mieux vivre au Kérala : dirigé par les communistes depuis 1957, cet État est le plus développé de toute l’Union indienne, et le seul où les femmes jouissent d’un taux de scolarisation proche de 100 %. Il vaut mieux résider à Cuba, pays socialiste, qu’à Haïti, ce protectorat américain : l’espérance de vie y est de 80 ans au lieu de 64, et elle a même dépassé celle des États-Unis. Il est vrai que le système de santé et le système éducatif cubains sont des modèles mondialement reconnus. Vainqueur de deux impérialismes, le Vietnam socialiste, lui aussi, connaît un développement spectaculaire fondé sur une économie mixte et un État fort.

Le mouvement communiste n’a pas fondé une société sans classes, mais il a mené des luttes de classes qui ont contribué au progrès social dans le monde entier. Si les Français bénéficient de la Sécurité sociale, ils le doivent au communiste Ambroise Croizat, figure de la Résistance avant de devenir ministre du général de Gaulle en 1944. Les avancées sociales du monde développé ne sont pas le fruit de la générosité patronale, mais de conquêtes arrachées de haute lutte. En construisant un rapport de forces favorable, les combats menés par les communistes ont joué un rôle majeur. Leur influence dans les syndicats, le contre-pouvoir instauré dans les pays développés, mais aussi le prestige de l’Union soviétique et l’écho rencontré par les avancées obtenues dans les pays socialistes ont contribué au progrès social en Occident et ailleurs.


 

Violences, répressions et interprétations anhistoriques

Mais il en faut davantage pour décourager les détracteurs du communisme. Les violences commises lors des processus révolutionnaires, en effet, servent de prétexte à une interprétation anhistorique. Réduisant le processus réel à un théâtre d’ombres idéologiques, cette lecture partisane s’affranchit de toute contextualisation. Elle occulte alors la véritable signification du phénomène communiste : la réponse des masses prolétarisées à la crise paroxystique de sociétés arriérées, coloniales et semi-coloniales (Russie, Chine, Corée, Vietnam, Cuba). Dans la même veine, le décompte des victimes du communisme se prête à une inflation grotesque. On empile alors sans nuance les morts de la guerre civile russe, de la guerre civile chinoise, de la collectivisation forcée, du Goulag, du Grand Bond en Avant et de la Révolution culturelle. Nier la réalité des violences commises au nom du communisme est absurde, mais les compilations de chiffres qui interdisent toute compréhension historique et identifient le communisme à une entreprise criminelle sont ineptes.

Cette supercherie a évidemment pour finalité d’occulter la contribution du capitalisme aux horreurs du siècle. Elle s’affranchit d’une série de faits massifs : les massacres coloniaux, les guerres impérialistes, les crimes des dictatures et les embargos imposés par les prétendues démocraties, sans parler de la paupérisation de populations entières par le capitalisme, ont fait vingt fois plus de morts que le communisme. Les critères d’appréciation que l’on applique à ce dernier deviendraient-ils sans objet lorsqu’on veut les appliquer aux crimes capitalistes ? Et des atrocités commises par les démocraties occidentales, pourquoi ne déduit-on pas le caractère criminogène du libéralisme ?

Puisque les fourriers de l’anticommunisme adorent les chiffres, on ne résistera pas au plaisir de leur en donner. Lorsque Hannah Arendt accrédite la thèse d’un « système concentrationnaire » homogène qui serait commun au nazisme et au stalinisme, par exemple, il est clair qu’elle s’affranchit de la réalité des faits. Contrairement aux camps nazis, le Goulag n’obéissait pas à une logique d’extermination, mais de punition et de rééducation. Et des travaux menés par les historiens J. Arch Getty, Gábor T. Rittersporn et Viktor N. Zemskov depuis l’ouverture des archives soviétiques, il ressort un tableau du système carcéral soviétique beaucoup plus fiable que les extrapolations habituelles.

Entre 1933 et 1953, le nombre de prisonniers, toutes catégories confondues, oscille entre 900 000 et 1 700 000, atteignant un pic de deux millions en 1938, soit un taux d’incarcération moyen comparable à celui des États-Unis au début du XXIe siècle. Bien sûr, les conditions de détention sont très dures. Mêlés à des détenus de droit commun qui représentent 90% des effectifs, les opposants ou déclarés tels y purgent une peine infamante. En raison du froid et des conditions sanitaires, la mortalité est élevée, surtout durant la guerre, mais la population soviétique souffre davantage lorsqu’elle est proche du front. On y déplore au total 1 300 000 décès, soit un taux de 4,1% pour l’ensemble de la période (1933-1953) et de 10% durant la guerre.¹

Au million de morts du Goulag (1933-1953), il faut évidemment ajouter les 680 000 exécutions de la terreur des années 1936-38. Et si l’on veut compléter le tableau, on peut aussi lui imputer les deux à trois millions de victimes de la révolution chinoise (1949-1969), la violente révolution agraire menée par une paysannerie famélique à la fin des années 1940 étant responsable de la majorité de ces pertes humaines dans un pays qui comptait 500 millions d’habitants en 1949 et un milliard en 1980. Mais si ces événements dramatiques ont plongé l’humanité dans des abîmes de violence, que dire des dix millions d’Amérindiens exterminés par la démocratie américaine, des dix millions de Congolais assassinés par le roi des Belges, des deux millions d’Algériens, d’Indochinois et de Malgaches abattus par la République française entre 1945 et 1962, des deux millions de Coréens, des trois millions de Vietnamiens et des quatre millions d’habitants d’Asie du Sud-Est, du Moyen-Orient et d’Amérique latine éliminés à distance par la cybernétique militaire, exécutés par les dictatures ou massacrés par les terroristes dont Washington, aujourd’hui encore, tire les ficelles ?

Manifestement, le nombre des victimes importe moins que leur position sur l’échiquier politique. En Indonésie, la répression militaire organisée par la CIA contre les communistes en 1965 a fait au moins 700 000 morts. Mais cet événement ne figure dans aucun livre d’histoire occidental. Et encore de tels chiffres ne mentionnent-ils que les victimes directes des opérations militaires ou paramilitaires. Si l’on tient compte de l’effet mortifère des sanctions économiques imposées par les États-Unis, le bilan humain prend des dimensions incalculables, et les 500 000 enfants assassinés par l’embargo contre l’Irak (1991-2003) illustrent à eux seuls cette anthologie de l’horreur. Ces victimes immolées sur l’autel de la prétendue démocratie et des soi-disant droits de l’homme, il est vrai, sont de mesure nulle en regard de la mission civilisatrice de l’Occident.


 

Répressions, supercheries statistiques et batailles de chiffres

Mais la falsification idéologique ne s’arrête pas en si bon chemin. Comme il faut à tout prix grossir les chiffres du côté adverse, on procède à une autre supercherie statistique. On inclut en effet, dans le décompte des victimes du communisme, le bilan des catastrophes rencontrées par les pays socialistes au cours de leur développement. On attribue alors la famine des années 1931-33 à la volonté perverse du régime stalinien qui serait seul responsable, avec la dékoulakisation, d’une dramatique pénurie des ressources alimentaires. Or cette interprétation est erronée. Pour l’historien américain Mark Tauger, certes, « le régime porte la responsabilité partielle de la crise et des cinq millions de décès environ qui en ont résulté », mais il faut distinguer « responsabilité et acte intentionnel ».

La famine de 1931-33 fut « un événement extrêmement compliqué, avec des causes à la fois environnementales et humaines ». En définitive, « les actions du régime soviétique, pour sévères qu’elles eussent été, semblent clairement avoir été orientées vers la gestion d’une crise économique involontaire et d’une famine, plutôt que vers la création intentionnelle d’une telle crise afin de punir un groupe particulier ».² Que cette famine n’ait pas seulement frappé l’Ukraine, mais aussi une grande partie de la Russie et du Kazakhstan, au demeurant, invalide de manière factuelle la thèse chère aux néo-nazis de Kiev selon laquelle Staline aurait voulu punir les Ukrainiens en les faisant mourir de faim.

En Chine, l’échec retentissant du Grand Bond en Avant a également provoqué une famine responsable de dix à douze millions de morts entre 1959 et 1961. Alors qu’il s’agit d’une erreur monumentale de politique économique aggravée par des conditions climatiques désastreuses, le discours dominant attribue cette catastrophe à la nature criminelle du maoïsme. Le principal inconvénient de cette vision anhistorique des faits, c’est donc qu’elle en brouille l’intelligibilité. Elle occulte les conditions objectives dont les communistes, saisissant les rênes d’une société au bord de l’effondrement, ont hérité malgré eux. Car une fois la prise du pouvoir accomplie, il a fallu sortir le pays des ornières de la misère et de la dépendance. Et faute d’alternative crédible, la transition vers la modernité fut menée à coups d’investissements colossaux et de rythmes infernaux.

Cet effort de développement s’est effectué dans les pires conditions, toutes les ressources étant dirigées vers la croissance accélérée des forces productives, le primat de l’industrie lourde reléguant au second plan la production de biens de consommation. Il a fallu jeter les bases d’une économie moderne sans aucun appui extérieur, rectifier les erreurs commises, changer de trajectoire lorsque c’était nécessaire. Drame d’un décollage industriel accéléré dans un environnement hostile, cette expérience s’est aussi payée d’un drame politique, seule la poigne de fer du Parti communiste ayant pu maintenir le cap contre vents et marées. Mais si la Russie, la Chine et le Vietnam sont devenues des nations modernes, il est clair qu’elles le doivent aux efforts accomplis sous le socialisme.

L’histoire ne délivre aucune excuse absolutoire, mais encore faut-il considérer les faits avec honnêteté intellectuelle. Admettons que les régimes communistes soient responsables de ces tragédies humaines. Si l’on tient vraiment à les inscrire au passif du communisme, la logique voudrait qu’on inscrive au passif du capitalisme les famines qui ont frappé les populations soumises au joug colonial et néo-colonial européen. Alors les faits parleront d’eux-mêmes. Les ravages du colonialisme européen sont de l’ordre du non quantifiable, et les génocides s’ajoutent aux génocides. Pour ne prendre que cet exemple, la domination britannique en Inde, c’est combien de dizaines de millions de morts ? Et qui sait que Churchill, en ordonnant la réquisition des réserves de céréales, a fait périr trois millions de Bengalais en 1943 ?

Bataille de chiffres, inventaire des hécatombes, comptabilité macabre à vocation accusatoire, lecture criminologique de l’histoire ? Aucun problème, allons-y. Mais à cet égard, on voit infiniment plus de raisons d’être communiste que libéral, conservateur, réactionnaire et tout ce qu’on voudra. Oui, il y a eu 100 millions de morts, mais ils sont imputables au capitalisme et à ses avatars, le colonialisme et l’impérialisme. Le communisme, lui, a sauvé infiniment plus de vies qu’il n’en a sacrifiées. Si les révolutions communistes ont généré des violences, celles-ci répondaient à la cruauté des systèmes d’oppression dont elles ont signifié la disparition. Et contrairement aux horreurs occidentales, jamais le communisme, même lorsqu’il avait la main lourde, ne s’en est pris à des enfants. Désolé, mais aucune comptabilité objective des victimes n’établira d’équivalence historique entre communisme et barbarie. Leitmotiv de l’idéologie dominante, foutaise libérale, cette imputation exclusive des malheurs du siècle se condamne elle-même à l’insignifiance.

Notes :

1. J. Arch Getty, Gábor T. Rittersporn and Viktor N. Zemskov, « Victims of the Soviet Penal System in the Pre-War Years : A First Approach on the Basis of Archival Evidence », The American Historical Review, Oxford University Press, 1993.

2. Mark Tauger, Famine et transformation agricole en URSS, Delga, 2017, p. 23.

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2 juillet 2020 4 02 /07 /juillet /2020 17:30

A l’heure où la crise du capitalisme converge avec la crise sanitaire, le mécontentement devient mondial et c’est dans ce contexte que les réactions face au meurtre raciste de George Floyd ont enflamé presque toute la planète. Mais si ce mécontentement est réel au moment où le système-monde est affaibli et divisé, on doit poser la question des manipulations que se dirigeants ne peuvent s’empêcher d’imaginer s’ils veulent tenter de voir leur système prolonger son existence. Ce que l’on peut faire en étudiant les relations que les centres occidentaux connus pour avoir promu les dites « révolutions colorées » entretiennent avec les organisations de protestation les plus médiatisées.

La Rédaction

 

 

Vers des « révolutions colorées »

ou

vers une révolution sociale ?

-

Juin 2020

 

« Nous allons combattre le racisme, pas par le racisme mais par la solidarité. Nous allons combattre le capitalisme, pas par le capitalisme noir mais par le socialisme ».

Fred Hampton(1948-1969)1

 

Bruno Drweski, Jean-Pierre Page 2

 

Il ne fait pas de doute que l’onde de choc qui a entrainé les évènements sans précédents aux États-Unis percute la vision que bien des gens pouvaient avoir d’un pays où semblait-il, le rapport des forces était à leurs yeux immuable. Ce qui allait de pair avec une vision de l’histoire écrite et réécrite selon les besoins du système dominant.

Aujourd’hui, ce regard souvent superficiel, ces idées reçues, se trouvent bouleversés. Les USA ne sont donc pas invincibles et cette crise ne se réduit pas à ceux-ci mais au capitalisme dans sa version néolibérale la plus brutale. La contestation y est dorénavant devenue globale! C’est là une des leçons essentielles qu’il faut déjà tirer de ce bouleversement historique et de ses implications. Aux USA, des centaines de villes manifestent, on y trouve des travailleurs, des jeunes, des classes moyennes surendettées, des Blancs, des Noirs, des Latinos, des Asiatiques, unis dans l’action, et pas les uns sans les autres. Ce qui est tout à fait nouveau, c’est le degré massif atteint par ces convergences.

Le même phénomène a en même temps lieu à l’échelle mondiale avec des rassemblements de masse souvent interdits et toujours réprimés, y compris dans le contexte des contraintes de l’épidémie. C’est le cas dans d’autres pays, France, Allemagne, Italie, Espagne, Autriche, Pologne, mais aussi en Amérique latine, au Brésil, au Mexique, en Argentine, au Chili, en Asie, au Japon, en Inde, au Sri Lanka, et jusqu’en Australie ou en Nouvelle-Zélande.

Ce mouvement, caractérisé par l’ampleur et la durée, a pour l’heure mis en échec la tentative de Trump et du capital de tenter un coup d’état militaire. Cette conspiration n’est d’ailleurs pas sans rappeler le film prémonitoire de John Frankeinheimer « 7 jours en mai »3.

Succédant à de précédentes mobilisations sociales et politiques sur les cinq continents, nous assistons donc à un aiguisement des contradictions donnant à la lutte de classes une dimension inédite. Car, en dépit des discours médiatiques et de beaucoup de ce qu’il est convenu d’appeler les « ONG » ou la « société civile » présentant ces événements sous l’angle de la « question raciale », c’est bien, à travers les injustices et les inégalités d’apparence raciale, de lutte de classe qu’il s’agit, d’où le caractère rassembleur du mouvement auquel tout prolétaire, tout précaire, tout exclu peut s’identifier.

Les défaillances de la « gauche » comme d’une partie du mouvement syndical à jouer un rôle à la hauteur de leur histoire constituent dans le même temps un handicap, mais aussi une opportunité. Car cela permet la nécessaire clarification sur le contenu de ce que doit être l’alternative, à travers un programme de transformation par la rupture, afin de redéfinir ce que devrait être la direction de ce mouvement, et donc la place qui doit être celle des travailleurs en son sein. Pour cette raison, on ne saurait réduire les choses au seul combat antiraciste, qui ne saurait pour autant être négligé, mais qu’en fait ce sont des enjeux de classe qui sont au centre de l’action. Cela ne peut être « race contre classe » comme visiblement le souhaiteraient certains ! Il y a donc urgence à bien mesurer la portée des changements en cours, tant au niveau de l’action que de la conscience.

1 Fred Hampton fut un des dirigeants les plus populaire du parti des Black Panthers. Il fût assassiné pendant son sommeil dans une opération du FBI, sur ordre de J. Edgar Hoover.

2 Article écrit avec l’apport d’informations collectées par Badiaa Benjelloun

3 « 7 jours en mai », un film de John Frankeinheimer, 1964.

Un mouvement inédit par son ampleur et sa durée !

L’assassinat de Georges Floyd n’a pas été bien sûr le premier crime raciste commis aux USA. Ce qui a provoqué l’indignation, c’est le « trop c’est trop » qui a coïncidé avec la perception et le vécu concret des effets de ce qu’est la barbarie néolibérale. Le crime raciste s’est cumulé avec le traitement social et sanitaire de l’épidémie de coronavirus aux USA. Celui-ci a témoigné du cynisme des dirigeants du pays, de leur mépris, de leur irresponsabilité d’autant plus évidente qu’il a aggravé plus encore les inégalités sociales. Ce sentiment est d’autant plus aigu que Georges Floyd était lui-même porteur du virus, mais sans aucune ressource pour le soigner !

Comment cela n’aurait-il pas touché l’opinion, et parmi eux les plus défavorisés, les éternels laisser-pour-comptes qui se prolétarisent aujourd’hui à grande vitesse, les exclus du système qui sont les premières victimes de l’épidémie, et parmi eux les Afro-américains. Dans ce raz le bol général et cette colère retenue depuis si longtemps, on trouve ceux dont les difficultés sont devenues insupportables. Ces étudiants de milieu modeste confrontés aux problèmes du surendettement que provoquent leurs études, et souvent à la perte depuis le coronavirus d’un emploi de survie, autant que ces 40 millions de travailleurs ayant perdu leur travail au cours des deux derniers mois, et qui se voient eux et leurs familles privés non seulement de salaires mais de toute couverture sociale. Faut-il ajouter à cette liste ceux qui sont contraints de reprendre le travail dans des conditions dangereuses. Et qui, à l’exception du 1% les plus riches, pourraient se retrouver dans cette liste qui ne cesse de s’allonger ? Ce qui s’est passé est donc tout sauf un évènement isolé et passager.

Bien des choses cachées jusque là derrière le mur médiatique, le sentiment de honte silencieuse et le pilonnage idéologique remontent du coup désormais à la surface et sont dorénavant arrivées à maturation. Cela est confirmé bien au delà de l’émotion causée par le caractère odieux et délibéré du crime, à travers la détermination et l’ampleur d’un mouvement qui touche géographiquement et socialement toute la société américaine et bien au-delà de ce qu’on appelle abusivement et péjorativement « les minorités ». Mais de plus, ce vécu est le même également que celui ressenti dans de très nombreux pays. D’autant plus que l’américanisation du genre de vie, des « valeurs » serinées matin et soir par les médias mondialisés et des circuits d’informations fait que le monde entier se sent aujourd’hui quelque part, pour le meilleur et pour le pire, « américain ». Si la planète entière doit vivre au rythme des incendies de forêts dans l’état de Washington ou d’un braquage au Texas tout en ignorant ce qui se passe dans le pays voisin, voire à quelques kilomètres de chez soi et tout en ignorant aussi les mouvements de masse qui traversent les Etats alliés à l’impérialisme, alors il est logique que cet impérialisme culturel se retourne aujourd’hui contre ses géniteurs.

Ce qui est inédit donc, c’est que cela conduit nombre de gens, et certains pour la première fois, à réfléchir sur la nature et la légitimité même du système économique, social et politique qu’on leur a imposé. Aux Etats-Unis, celui-ci s’est construit d’abord sur un génocide, puis sur l’esclavage, la violence sociale, la surexploitation des travailleurs, la répression brutale du mouvement ouvrier, la marginalisation violente de tout esprit critique, la superficialité1. Poser le problème en ces termes, c’est aussi souligner combien l’émergence des pays riches, tout comme leurs rivalités, furent souvent le produit de situations identiques comme la colonisation, le pillage des ressources humaines et des richesses naturelles. Toutes ces spoliations insupportables se poursuivent d’ailleurs aujourd’hui à travers une recolonisation qui sert de prétexte aux guerres impérialistes et aux répressions de toutes sortes.

Ce constat met en cause les relations sociales, économiques et politiques entre les États, les institutions, les rapports entre les peuples du Nord et ceux du Sud, le mode de production, les rapports de propriété, le rapport à la nature, le dérèglement climatique, les libertés, les valeurs et les croyances. L’unilatéralisme et l’arrogance des Etats-Unis comme centre mondial de l’impérialisme, le suivisme et la lâcheté de ses vassaux ont mis les peuples du monde en coupe réglée.

Comme le montrent les grands mouvements d’émancipation populaire, il faut parfois un évènement déclencheur pour ensuite, en cherchant les causes véritables, aboutir à vouloir aller plus loin quant aux solutions à rechercher. L’action des Gilets jaunes n’a-t-elle pas commencé avec la contestation de l’augmentation du prix du litre de kérosène pour déclencher ensuite un mouvement de contestation radicale du capitalisme lui même2.

C’est pourquoi, la chute des statues de ceux qui symbolisent la servitude et l’esclavage va donc bien au delà de la seule dénonciation morale du racisme comme crime contre l’humanité. Elle exprime aussi le refus de l’oppression sous toutes ses formes comme l’aspiration à une autre société.

 

2 L’Assemblée des Assemblées s’est déroulé à Toulouse du 6 au 8 mars 2020.

Let’s make America great again !

Aujourd’hui devant ce qui est la faillite d’un système, que reste-t-il des slogans « Let’s make America great again »1 ou « America first » lancés par Donald Trump lors des élections présidentielles de 2016 ? Que deviennent les leçons de morale visant à justifier les ingérences et les sanctions régulièrement adressées quasiment au monde entier sous prétexte de faire respecter les droits de l’homme. En fait, dans sa fuite en avant, le néolibéralisme comme système politique voit dans la fonction répressive le but et l’objet de sa ré-ingénierie de l’Etat2. C’est encore une fois ce à quoi nous assistons aussi dans de nombreux pays et pas seulement aux USA, mais en France ou en Allemagne, à travers l’arsenal répressif mis en place, la pandémie servant de prétexte pour l’encadrement autoritaire des libertés publiques, ou encore par la mise en cause de tous les moyens de défense que le mouvement ouvrier a imposé au capital, les interdictions de toute idée critique, la banalisation des idées extrémistes et fascisantes.

Nous sommes arrivés à ce moment critique de l’histoire où rien ne peut plus masquer la décrépitude d’un système, ses tares, voire sa débilité ou sa sénilité comme le remarquait notre regretté Samir Amin. Les États-Unis qui en sont l’exemple le plus extrême, voient leur leadership et leur crédibilité contestée, non seulement par son peuple, mais dans une moindre mesure par ses propres vassaux. Le chaos règne et le pays fait figure de bateau ivre. Dans l’incapacité de se ressaisir, son déclin semble dorénavant s’imposer comme un fait. Pour freiner celui-ci, le choix est celui de l’arbitraire et de la tyrannie. « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair obscur surgissent les monstres » prophétisait Gramsci, ce qui est tellement d’actualité.3

  Le voile se déchire peu à peu, l’establishment démocrate et républicain semble paralysé et silencieux. Aucune voix ne s’élève, pas même celle de Bernie Sanders qui, après avoir appelé à voter Clinton, a lancé le même appel en faveur de Joe Biden. Trump accuse les manifestant d’être des « terroristes », il conspire, les menacent d’une intervention militaire et appelle à tirer à vue. Et c’est « silence dans les rangs » de la part du Congrès et du Sénat. L’establishment politique fait corps contre ce que l’on qualifie de « subversion anarchiste ». Quant à l’ancienne conseillère à la sécurité de Barak Obama, Susan Rice, elle met en cause la Russie qui serait derrière la violence et les manifestations4.

Certes, on sait que l’armée refuse d’intervenir et que l’actuel comme l’ancien Secrétaire d’État à la Défense5 critiquent ouvertement le Président, ce qui est aussi le cas de plusieurs généraux et haut-gradés6, mais ce qu’ils mettent en cause, c’est le risque encouru pour le statut de l’armée, et non pas la mise en cause de la démocratie, ce qui est le cas aussi parce que l’armée profite du secteur florissant lié au complexe militaro-industriel. La Garde nationale conteste également les ordres qui lui sont donnés, du moins une partie d’entre elle. Quant à la direction de la Confédération syndicale AFL-CIO aux prises avec les nouvelles affaires de corruption de sa fédération de l’automobile UAW, elle a cru bon elle-aussi de dénoncer les manifestations. Ce n’est donc pas totalement surprenant que des manifestants s’en soient pris au siège de la Centrale et qu’un incendie s’y soit déclaré.

 

1 Donald Trump s’est auto-proclamé l’auteur et propriétaire de la marque déposée « Let’s make America great again », en fait c’est l’ancien président Ronald Reagan qui en était à l’origine, Bill Clinton y avait eu également recours.

2 « Néolibéralisme contre souveraineté », Tamara Kunanayakam, La Pensée libre n°155, novembre 2018.

3 Antonio Gramsci (1891-1937), Cahiers de prison.

4 « Moscou soutient les troubles aux USA », Al Manar, 7 juin 2020.

5 Le général du corps des marines et ancien ministre de la défense de Trump James Mattis, surnommé « mad dog Mattis », « le Moine soldat » ou encore « Chaos», s’est illustré en Irak dans les massacres de Falloujah commis par l’armée US.

6 La consultation des newsletters « Defense one » ou « The D brief » que rédigent quotidiennement un groupe de hauts-fonctionnaires du Pentagone est éloquente quant à l’esprit qui règne au sein de l’état major militaire américain.

Un pays divisé !

Au fond, ce que renvoie le miroir relève tout à la fois de la barbarie et de la pétaudière. Le roi est nu, cela se sait mais surtout cela se voit. Les États-Unis dans leur forme actuelle font désormais face à un problème existentiel. Depuis 150 ans1, ils n’ont jamais connu de situation aussi périlleuse, ce qui de surcroit les fragilisent internationalement et leur dénie toute légitimité à incarner un quelconque leadership.

Pire, le pays est profondément et durablement divisé. A ce point tout est possible, y compris une « guerre civile » comme l’admettent de nombreux observateurs2. Certains évoquent un éclatement du pays. La contestation de l’élite, de l’autorité du Président et de son appareil devient de plus en plus fréquente. Au point de le conduire à menacer le pays d’une occupation militaire ou d’appeler ses soutiens à « libérer » certains états « coupables », comme on l’a vu à l’occasion des mesures de confinement prises par les gouverneurs du Michigan, du Minnesota, de la Virginie quand des manifestants en armes ont occupé les parlements locaux3.

Trump menace ainsi de ses foudres les habitants de Seattle qui ont pris pacifiquement le contrôle d’un quartier devenu le « Chaz », ils ont mis en place une zone autonome sans présence policière avec l’appui de la Mairie. Dans cette ville, on a donc décidé des coupes importantes dans les budgets de la police pour les reverser aux activités sociales. A Seattle, la population de cette « Commune », comme elle se revendique, se réunit tous les jours en Assemblée générale et met en place des structures autogestionnaires.

Cette révolte, c’est aussi le cas dans d’autres villes importantes comme Los Angeles où le budget de la police a été coupé de 150 millions de dollars. A Minneapolis, on a démantelé les services de police dont la réputation de violence raciste était connue bien qu’elle ait été dirigée par un chef de police d’origine afro-américaine4. Pour l’heure, il n’y a aucune chance que l’Etat de Washington utilise la garde nationale pour écraser « Capitol Hill » et « Chaz ». Pour l’heure, rien ne peut se faire sans l’approbation du Gouverneur, même si Trump a tweeté au Maire « Reprenez votre ville MAINTENANT. Si vous ne le faites pas je le ferai. Ce n’est pas un jeu ». Le Maire de la ville lui a répondu de « retourner dans son bunker » !

Face à cette situation, le caractère imprévisible de Donald Trump et de ses supporters fait planer la menace d’une intervention violente. Elle pourrait provoquer l’embrasement. Faut-il rappeler qu’aux USA et sans aucun contrôle, 300 millions d’armes, dont une moitié d’armes de guerre, sont en circulation. Cette situation peut donc entraîner des surenchères et de nouvelles provocations. Enfin, si les élections présidentielles ont lieu, ce qui n’est plus certain, une possible victoire de Joe Biden dit « Sleepy Joe » pourrait entraîner la réaction brutale des troupes de Trump. Puisque l’on peut s’attendre à la contestation des résultats par un camp ou un autre selon la « bonne vieille tradition » d’origine sorosienne d’accuser de falsification toute élection dont les résultats ne conviennent pas au Deep State USAnien5.

 

1 La guerre de sécession aux Etats-Unis dura de 1861 à1865.

2 « Vers une guerre civile aux Etats-Unis, il y a péril en la demeure », interview de Ferry de Kerckhove, ancien diplomate canadien et professeur à l’université d’Ottawa. Sputnik, 11 juin 2020.

3 « Trump appelle à libérer des états gouvernés par des démocrates », Le Point 18 avril 2020.

4 « On a créé un espace sur pour tous, à Seattle des manifestants organisent une zone autonome», The Observer, 12 juin 2020.

5 L’appellation « d’Américains » pour qualifier les habitants des seuls USA provoque de nombreuses réticences chez les autres peuples des Amériques. Ce qui explique pourquoi, au sud du Rio Grande, on a tendance à utiliser l’appellation de « Nord Américains », ce qui ne convient pas non plus aux Canadiens, aux St-Pierre et Miquelonais ou aux Groenlandais, d’où l’invention au Québec du terme « Usanien » pour qualifier leur voisin du sud, alors que, en France ou ailleurs dans la francophonie, c’est l’appellation « Etasuniens » que certains tentent de généraliser. Nous utilisons dans cet article alternativement toutes ces appellations pour habituer le lecteur à se poser cette question et tenter d’y trouver une réponse satisfaisante et à terme consensuelle ...tant que les Etats-Unis continueront à exister.

 

Comment en est-on arrivé là ?

Bien avant l’élection de Donald Trump et l’épidémie de covid19, en réalité depuis plusieurs dizaines d’années, tous ces ingrédients explosifs se sont accumulés de manière irrépressible. La crise est devenue systémique. On vantait la reprise économique américaine dont on espérait pouvoir bénéficier des retombées. On ne tarissait pas d’éloges sur le dynamisme, la baisse du chômage, la performance des entreprises US, l’agressivité commerciale US vis-à-vis de la Chine et même de l’Union européenne, la fermeté face à la concurrence militaire chinoise ou russe, tout en taisant les actes de sanctions illégales ou d’espionnage industriel et scientifique de la première puissance en terme d’activités de renseignement dans le monde.

Seulement, on feignait d’ignorer l’essentiel, à savoir que la reprise économique US n’était qu’apparence, sa base industrielle pratiquement liquidée, à l’exception du complexe militaro-industriel, demeurait pour la schizophrénie financière et « l’exubérance irrationnelle du marché » selon le mot d’Alan Greenspan1. La crise de 2008 avait sonné l’alarme et avait donné un avant-goût de ce qui arrive maintenant. Mais l’aveuglement américanophile répandu dans le pays et à l’étranger grâce à un système de propagande quasi-monopolistique et bien rodé faisait qu’on refusait d’admettre qu’en réalité la crise s’aggravait et creusait chaque jour un peu plus l’abime des inégalités sociales, contribuait à l’appauvrissement de masse à cause du surendettement et de la multiplication des bulles financières. Goldman & Sachs prévoyait pourtant l’explosion pour mars 2020, et pour une fois on ne leur donnera pas tort.

En fait, pendant toute cette période, la crise a bien profité au 0,01% de milliardaires et des familles les plus riches. Pendant qu’une poignée s’enrichissait de façon éhontée, le peuple, lui, s’appauvrissait dans des proportions inédites. Une étude récente a ainsi confirmé que les 15 000 foyers les plus aisés s’étaient accaparés 37% des revenus au cours des deux dernières années, au détriment des 300 millions d’Américains.

Pendant ce temps, et alors que le pays est ravagé par l’épidémie du Covid19 provoquant le décès de presque 120 000 victimes2, on en prévoit 240 000 ce qui serait une « victoire » selon Trump et que l’économie est à l’arrêt ou déstabilisée, les milliardaires américains ont encore vu leur valeur nette combinée s’envoler de 434 milliards de dollars3. Comble de cynisme, Jeff Bezos, l’homme le plus riche du monde4 a annoncé qu’Amazon ne prolongera pas au delà de la fin mai l’indemnité de 2 dollars de l’heure pour les employés de ses entrepôts. Jeff Bezos gagne 11 000 dollars chaque seconde.

Mais, tout comme en 2008 quand Barack Obama avait renfloué les banques à hauteur de 787 milliards de dollars, Trump va faire encore mieux : il a décidé une première tranche d’aides massives de l’ordre de plus de 1 000 milliards de dollars, la FED après le choix d’un taux zéro d’intérêts jusqu’en 2022, a décidé d’accorder 750 milliards de rallonge pour éponger les dettes des entreprises. C’est « du jamais vu » et cela a provoqué immédiatement la hausse spectaculaire de la bourse de Wall street. Dow Jones, Nasdaq et le S&P se portent donc très bien, à la faveur de la crise sanitaire et de la pauvreté de masse5.

On parle beaucoup de la réussite d’Amazon, de Facebook, de Microsoft, de Google, de Steer Tech6, des Start-Up de la Silicon Valley mais on ferme les yeux sur l’envers du décor. Car pour tout ça, il y a un prix à payer. La crise du coronavirus et l’assassinat de Georges Floyd ont opéré comme un formidable révélateur. La pauvreté de masse, la violence sociale, l’accroissement sans précédent des inégalités, l’endettement abyssal des familles, de leurs enfants étudiants, comme celui de l’Etat US, la déliquescence du système de santé dont, de toute façon les Américains sont privés s’ils perdent leur emploi. Ainsi, la population noire est la première victime de l’épidémie, elle l’est également de la crise économique et sociale sans précédent.

Selon une recherche menée par le Pew Center, à peine la moitié des Étasuniens âgés de 18 à 24 ans disposent en ce moment d’un emploi, le taux le plus bas depuis 1948, une époque pourtant bien antérieure à l’arrivée des femmes sur le marché du travail. Presqu’un cinquième de jeunes hommes âgés de 25 à 34 ans vivent encore chez leurs parents, et les ressources de l’ensemble des foyers ayant à leur tête des personnes de moins de 35 ans sont 68 % plus basses aujourd’hui qu’elles ne l’étaient en 1984L’incroyable montant total des emprunts étudiants non libérables a passé la barre des 1 000 milliards de dollars et dépasse désormais le total combiné des cartes de crédit et des emprunts automobiles. Le quart des étudiants endettés se trouve dans la catégorie des mauvais payeurs, et des indices inquiétant montrent qu’une grande part de cette dette étudiante va se transformer en charge permanente, réduisant de fait des millions de personnes à l’état de serfs. Un large éventail de la jeune génération étasunienne semble totalement appauvri, et tout indique qu’elle va le rester7

Le néolibéralisme ne sous-estime pas le fait que les vieilles structures s’effondrent ! C’est pourquoi, il entend constituer un modèle unique pour tous qui entend imposer la « logique du marché » à toutes les formes d’interaction humaine, économique aussi bien que financière, sociale, politique, culturelle, écologique et même psychologique. Pourtant, son bilan est terrifiant. Voilà pourquoi ce désastre nous est présenté comme la conséquence de la crise sanitaire alors que celui-ci n’avait pas attendu le coronavirus. La détresse sociale, l’accaparement des richesses par une petite oligarchie, les crimes racistes, la militarisation et la violence de la société US, la répression et l’autoritarisme d’Etat contre tout ce qui s’oppose à la logique du capital sont devenus des réalités incontournables et incontestables. Pour l’immense majorité des Américains, tout cela est devenu insupportable et c’est ce qu’ils expriment dans la rue.

Pour gérer la résistance, les régimes néolibéraux ont utilisé « l’économie comportementale », une nouvelle théorie apparue avec la montée du néolibéralisme dans les années 1980. Selon cette théorie, les gens se comportent souvent de manière irrationnelle ou stupide, et qui va contre de leur propre intérêt en raison de préjugés psychologiques ou neurologiques, et ils auraient donc besoin d’être poussés à penser. Toute critique du système est rejetée comme venant de « théoriciens du complot » ou de « paranoïaques », et ceux qui défendent la souveraineté ou l’intervention de l’État dans l’intérêt commun sont accusés de totalitarisme, et parfois réduits au silence avec succès.

Le projet néolibéral est toujours identifié à des objectifs nobles, comme la civilisation, les droits de l’homme, la liberté, la démocratie, le développement, le progrès, le modernisme, l’indépendance, l’objectivité et la prospérité. Ce qui n’est pas dit, c’est que ces termes sont pris dans le sens correspondant au point de vue d’une oligarchie mondiale. Vu depuis l’autre bout de la société, où dominent pauvreté, chômage, sous-emploi et insécurité, cela signifie exactement le contraire. Et c’est ce que la jeunesse appauvrie des États-Unis vient de comprendre dans sa masse.

 

1 Alan Greenspan, ancien Président de la Réserve fédérale américaine mettait alors en garde (en 1996) contre une surévaluation du marché des actions.

2 Chiffres au 12 mai 2020. John Hopkins University dashboard

3 Chiffres enregistrés entre le 18 mars et le 19 mai. « Tale of two crisis : billionaires gain as workers feel pandemic pain », publiée par « Americans for tax fairness » et « Institute for Policy Studies », Anguille sous roche, 23 main 2020.

4 La fortune de Jeff Bezos est estimée à 153 milliards de dollars, Business Insider, 6 octobre 2018

5 « Trump annonce des aides massives aux entreprises », France 24, 17 mars 2020.

6 Anuja Sonalker de Steer Tech aime à répéter « Les humains sont des risques biologiques, les humains ne le sont pas » in « Sreen new deal », The intercept, Naomi Klein, avril 2020.

7 « L’Amérique s’embrase, la révolte de la jeunesse américaine », Jacob Cross, les 7 du Québec, 10 juin 2020.

 

Société civile, élites, et fondations

« Celui qui n’a pas d’objectifs ne risque pas de les atteindre »1. Le capitalisme n’en manque pas, et dans ce contexte il cherche à reprendre l’initiative. Sa stratégie ne saurait être sous estimée. « Le néolibéralisme est indissociable du capitalisme, et cette « fabrication » de l’ordre mondial néolibéral s’opère par une restructuration consciente de l’État-nation et la promotion des élites pour en assurer sa reproduction »2. Cela se fait entre autre par le rôle imparti à la soi-disant « société civile », censée être seule capable d’incarner la démocratie représentative et donc susceptible de prendre la tête d’un mouvement qui se cherche un programme et une direction. C’est ce à quoi nous sommes confrontés à travers ces évènements.

Sous la pression des USA, « la société civile » est devenue une référence commode pour permettre un plus grand contrôle, le dévoiement de toutes actions sociale et pour mieux les précipiter dans l’impasse des institutions, aux côtés des entreprises. Pour cette stratégie, les ONG sont de bien commodes chevaux de Troie. Aujourd’hui, elles pullulent par millions dans le monde. On en compte 1 million en Inde, 210 000 au Brésil, 15 000 en Thaïlande. Ces structures diverses travaillent sur des créneaux très variés, en d’autres termes les problèmes « sociétaux » : droits de l’homme, économie, racisme, droits des minorités, LGBTQ-, libertés religieuses, etc. Dans le même temps, de 1945 à 2015, le nombre d’églises néo-évangélistes a triplé en France, il s’en est créé plus d’une par semaine3. Aux USA les adeptes se comptent par dizaines de millions. Ces sectes sont souvent soupçonnées de manipulation mentale, d’intégrisme et d’ingérence politique mais aucun pouvoir français et encore moins Etatsunien n’ose constater le danger. L’intégrisme doit toujours venir des « barbares » du Sud ou de l’Est, jamais de l’Extrême-Occident.

En violation de la Charte des Nations Unies, on a imposé à son Assemblée générale, le partenariat de l’ONU avec les entreprises privées, le ”United Nations global compact” impliquant 13 000 entreprises de 179 pays4 avec le soutien des syndicats conservateurs affiliés internationalement à la Confédération syndicale internationale CSI (ex-CISL) et parmi elle, les confédérations françaises, dont la Confédération générale du Travail CGT. Il est intéressant de noter la constitution de ces nouvelles alliances ONG/Syndicats, comme l’illustre la récente déclaration altermondialiste CGT/Greenpeace/Attac « en faveur d’une sortie de crise », en fait pour la promotion d’un « capitalisme vert à visage humain », ce qui veut dire « décroissant », et donc porteur d’appauvrissement et de précarisation sous couvert d’écologie.5

On retrouve aux côtés des ONG, les think tanks et les fondations. Aux USA, en trente ans, le nombre de Fondations est passé de 27 000 à 87 000. Elles sont alimentées financièrement par les grandes entreprises, les états, les institutions fédérales, supranationales ou autres, entre autres, le Département d’État américain ou l’Union européenne. Dans une totale opacité, elles contrôlent les médias, les cercles "intellectuels", comme c’est probablement le cas avec le nouveau "Front populaire" encore une fois pour une « autre Europe », autour de Michel Onfray et de Natacha Polony, Jean-Pierre Chevènement, Philippe de Villiers, Idriss Aberkane, Régis de Castelnau, Jacques Sapir, Didier Raoult et d'autres.

Il existe donc tout un maillage très dense qui, surtout depuis la disparition de l'URSS, s'est mis en place et dont l’influence est largement sous-estimé ! Ainsi, un cas intéressant est celui de la Société du Mont-Pèlerin (SMP)! Fondée en 1947 par le philosophe Karl Popper, concepteur de la « société ouverte » dont Georges Soros est le disciple, Friedrich Von Hayek, de l’École autrichienne d’économie, Milton Friedman, de l’École de Chicago, devenu conseiller économique du président américain Ronald Reagan, Allan Walters devenu conseiller économique de la Première ministre britannique Margaret Thatcher et d’autres néolibéraux membres de l’oligarchie étasunienne et de l’aristocratie européenne. Un quart de siècle plus tard, l’occasion s’est présentée pour ses idéologues d’occuper des positions de pouvoir dans l’État avec l’école monétariste associée à Milton Friedman et aux « Chicago Boys », gagnant le soutien des classes dirigeantes au début des années 1980 pour restructurer le système capitaliste et rétablir l’accumulation du capital. Avec la dictature fasciste d’Augusto Pinochet qui a transformé son pays en laboratoire du libéralisme, le Chili n’a toujours pas récupéré des ravages provoqués par leur politique et se trouve tragiquement frappé par l’épidémie de coronavirus, d’ailleurs aux côtés du Brésil. Il faut noter aujourd’hui, et parmi d’autres exemples, que Paulo Guedes, ministre de l’économie ultra-libéral du gouvernement d’extrême droite de Jair Bolsonaro, est lui aussi lié à la SMP et à l’école de Chicago6.

La SMP est un puissant réseau mondial de planification politique dirigé par une élite de plus de 500 groupes de réflexion et de nombreuses écoles de commerce, de fondations soutenues par des entreprises, de médias et de départements universitaires d’économie transformés en centres idéologiques de la stratégie néolibérale. Parmi eux, on trouve l’Atlas Economic Research Foundation (Atlas Network), l’American Enterprise Institute, Heritage Foundation, le Cato Institute, l’Institute of Economic Affairs, le Centre for Policy Studies et l’Adam Smith Institute. La plupart ont été financés et dirigés avec l’aide d’au moins un membre de la SMP.7 Georges Soros est l’un d’entre eux, il a donné le nom de « société ouverte » (Open Society) à sa fondation tentaculaire. Il l’a fait en hommage à son Maître à penser Karl Popper. Atlas pour sa part dispose d’un réseau de quelque 500 organisations dans 96 pays, et assure le lien stratégique avec la SMP et les groupes de réflexion néolibéraux. Atlas est aussi associé au State Policy Network (SPN), un réseau de groupes de réflexion de droite largement financé par les entreprises multinationales. Il constitue la pierre angulaire du déploiement organisationnel, de la diffusion et de l’activation de l’idéologie néolibérale dans le monde. Il a été créé par le membre de la SMP Antony Fisher, avec le soutien de Milton Friedman et de Margaret Thatcher; sa mission, « jeter des groupes de réflexion favorables au marché libre partout dans le monde » et diffuser un schéma organisationnel pour activer l’idéologie avec des ambitions mondiales. Atlas a été impliqué dans des changements de régime et des déstabilisations, en particulier en Amérique latine et en Europe de l’Est, fonctionnant comme une extension de la politique étrangère américaine. On connaît le rôle des « révolutions de couleurs », et dans ce cadre l’action de Georges Soros et d’Otpor (« Résistance »).

Otpor8 est une organisation basée en Serbie qui a été inspirée et mise en place à la fin des années 1990 en s'appuyant sur les théories de Gene Sharp9, soutenue et financée par le Département d'Etat à l'époque de Hillary Clinton, et par Georges Soros. Otpor a eu un rôle et une action déterminante dans la chute de Milosevic en Serbie, dans le « Printemps arabe »10, dans les « révolutions de couleurs » dans plusieurs ex-pays socialistes, dont l'Ukraine, comme dans le tiers monde. Otpor est implanté dans plus de 50 pays et est également soutenu par le NED (National Endowment for Democracy), il est lié aux services d'intelligence US et il complète ainsi l’action d’officines comme Freedom House, active elle parmi les organisations professionnelles de journalistes, ou encore « USAid » ou les « Peace corps », institutions visibles de l’administration US consacrées au développement dans le monde et connus internationalement comme des couvertures de la CIA.

Le National Endowment for Democracy11 créé en 1983 par le président Reagan comme mécanisme de financement permanent pour soutenir les organisations privées qui s’engageraient dans la propagande et l’action politique que la CIA avait organisées et financées secrètement par le passé. Le NED a été présidé par Judy Shelton précédemment membre important d’Atlas, elle a été la conseillère pour la campagne présidentielle de Trump et sa candidate favorite pour présider la FED12.

La Cour européenne des Droits de l’Homme est également un exemple de ce type d’ingérence publique-privée. Georges Soros l’a complètement infiltrée, au point qu’un quart des juges y siégeant sont liés à sa Fondation « Open Society » (OSF) par l’intermédiaire de son réseau d’ONG. Soros qui aime à se présenter comme « un chef d’Etat sans Etat » a ainsi réussi à étendre son influence et à convertir la Cour européenne (CEDH) à son idéologie13.

Ces « brocanteurs d’idées », comme les appelait Hayek, produisent, diffusent, ancrent et, dans les périodes de crise, défendent le dogme néolibéral, contribuant à créer un cadre idéologique omniprésent qui représente de manière trompeuse les clivages internationaux et intra nationaux pour justifier la perpétuation du néolibéralisme, pour le rendre légitime. Selon Philip Mirowski (2009), ils « se soucient non seulement de la diffusion des idées néolibérales, mais aussi de jeter un doute sur des sujets controversés, comme le réchauffement climatique. Ils nient certaines réalités et cherchent à semer la confusion sur d’autres »14.

1 Sun Tzu, L’art de la guerre

2 « Néoliberalisme contre souveraineté » Tamara Kunanayakam, La Pensée libre n°155, novembre 2018.

3 « En France les Eglises évangélistes consolident leur croissance », la Croix, 4 janvier 2017.

4 Le « United Nation global compact » fut lancé par Kofi Annan au Forum de Davos en janvier 1999. Bill Jordan secrétaire général de la CISL depuis devenue CSI y apporta son soutien.

5 Interview croisée, « Face à la crise il faut sortir du système néolibéral et productiviste » CGT/Greenpeace/Attac, Le Monde, 27 mai 2020.

6 « Paulo Guedes, le gourou ultralibéral de Jair Bolsonaro », France 24, 11 octobre 2018.

7 « Néolibéralisme versus sovereignty. The case of Sri Lanka », Tamara Kunanayakam, Sri Lanka Journal of economic research n°6, Sri Lanka Forum of University Economists, Colombo

8 Otpor a été créé en 1998, elle a pour fondateur Srdja Popovic co-fondateur du Mouvement Canvas (Centre for Applied Nonviolent Action and Strategies) impliqué dans plus de 50 pays. Il est financé par Georges Soros, l’International Republican Institute et le National Endowment for Democracy (NED).

9 Gene Sharp (1928-2018) est un philosophe américain qui a théorisé et inspiré les « révoltions de couleurs » réussies ou tentées en Serbie, Ukraine, Kirghizstan, Géorgie, Biélorussie et le « printemps arabe ».

10 Ahmed Bensaada, « Arabesques », enquête sur le rôle des Etats unis dans révoltes arabes », Investig’Action, 15 mai 2015.

11 Le NED est actuellement présidée par Carl Guershman. Dans son Conseil d’administration où avaient siégé Condolezza Rice, ancienne secrétaire d’état de George Bush, et Franck Carlucci, ancien patron de la CIA, on trouve aujourd’hui la fine fleur des néo-conservateurs et, parmi eux, Victoria Nuland cheville ouvrière du coup d’état en Ukraine et épouse de Robert Kagan théoricien du néo-conservatisme, et Elliot Abrams, actuellement détaché en Colombie pour organiser la subversion au Venezuela.

12 FED, réserve fédérale des Etats-Unis.

13 « Comment Georges Soros a infiltré la Cour européenne des Droits de l’Homme », Bastien Lejeune, Valeurs actuelles, 20 février 2020.

14 Cité par Tamara Kunanayakam, voir note 30, voir également « L’après ne sera pas favorable à une société de gauche, mais à des mesures néolibérales », Philipp Mirowski, Libération, 28 avril 2020.

 

L’épreuve de force est engagée

Par conséquent, une formidable partie de bras de fer à l’échelle des Etats-Unis, de l’Occident et du monde entier est donc désormais engagée. On ne saurait en sous-estimer l’enjeu et encore moins les moyens utilisés par le capital pour venir à bout des mobilisations populaires qui, de surcroit, ont pris une dimension globale. Le capitalisme ne renoncera à aucun moyen et surtout pas à la violence et à l’autoritarisme qui caractérise dorénavant sa nature et son fonctionnement. Il est clair que nous allons vers une radicalisation mais aussi vers une clarification. En ce sens, on peut déjà parler de situation révolutionnaire. Evidemment, le mouvement populaire peut faire face à des handicaps, mais il ne fait aucun doute que la volonté qui se dégage dès à présent témoigne d’un choix conscient des peuples à se dégager de la gangue qu’impose le capitalisme. Cette évolution, si elle est inéluctable, dépendra aussi de la capacité de ce mouvement international à se donner les moyens et l’organisation nécessaire pour le conduire à ses fins.

La suite des événements qui se succèdent aux Etats-Unis, et ce qui commence de nouveau à pointer très vite en France. C’est ce que montre la mobilisation des personnels de santé le 16 juin brutalement réprimée par Macron. Cela met en évidence et clairement qu'il y a une bataille sur le contenu de classe, l'orientation de classe et la direction de cet immense mouvement protestataire de masse qui est partout très profond. Aux USA, le crime raciste visant George Floyd a été l’élément déclencheur des émeutes et manifestations mais il n’en est pas la cause première, c’est toute la classe dite moyenne qui voit sa situation s’effriter sans plus aucun espoir de sortie du tunnel. L'oligarchie, le capital, ses représentants et ses défenseurs, les opportunistes de l'air du temps, y compris dans la prétendue gauche, celle qu’on peut qualifier de « morale et sociétale », craignent par-dessus tout que ce combat ne devienne anticapitaliste. C'est là que les Soros et sa « société ouverte », ses créatures comme Otpor/Canvas, la plupart des mal nommées Organisations « non » gouvernementales, les fondations et think tanks euro-atlantistes et mondialistes interviennent avec la force de leurs réseaux et relais.

Le poing levé, image de marque caractéristique d’Otpor, se retrouve ainsi massivement aux côtés de Black Lives Matter (BLM) et souvent ensemble dans les manifestations US, mais aussi à Paris, Londres, Berlin, Auckland, Londres. Cela n’a rien d’innocent, et n’a rien d’une coïncidence …L’objectif est de s’appuyer sur des ethno-communautarismes essentialisés, des « identités visibles » vidées de tout contenu et projet social rassembleur et alternatif, pour réduire cette nouvelle étape de la lutte de classes à une confrontation raciale et/ou identitaire. Ceci pourrait être aussi le cas de BLM, dont l’indépendance est assez relative si l’on tient compte des énormes subventions en millions de dollars, près de 100 millions de Georges Soros, de la Fondation Ford ou du Président de Facebook Mark Zuckerberg, 8e fortune mondiale1, mais aussi de banques comme J. P Morgan, la Chase, ou la Fondation Kellog2. Est-ce un hasard si BLM, créé en 2013, a surgi comme un mouvement visible immédiatement après la défaite électorale imprévue de la candidate des grands médias, du complexe militaro-industriel et du Deep State, Hillary Clinton, « l’interventionniste libérale » néoconservateur ? Toutes ces méthodes de « manipulation des identités » de la part des chantres du « libéralisme », on avait déjà pu les observer avec l’instrumentalisation de l’islamisme après 2001 et 2003, puis dans les autres pays musulmans ciblés par l’impérialisme.

La violence policière est d'autant plus facilement assimilée aux « Blancs » que, de fait, elle est effectivement la plupart du temps raciste. Aux Etats-Unis, même quand il y a des politiques d’égalité, c’est la plupart du temps des politiques de « discriminations positives » et « d’égalité séparée » qu’il s’agit, alors qu’en France l’obsession est, à l’inverse, d’ignorer autant que faire se peut tout ce qui pourrait rappeler d’une façon ou d’une autre les différences de traitement pour raisons ethniques, fussent elles évidentes. Macron ne veut-il pas ouvrir un débat sur les principes de statistiques ethniques à contre courant de tout universalisme propre à la République française ? Et, concernant la violence policière, on doit rappeler que les Gilets jaunes de la France profonde en ont aussi expérimenté la « couleur », comme auparavant les manifestants antimondialistes de Seattle de 1989, preuve que c’est tout le système qui dans son ensemble devient répressif et rompt progressivement avec les mythes fondateurs libéraux.

C’est donc dans ce contexte qu’il faut se pencher sur les thèses somme toutes assez fumeuses de Peggy Macintosh sur les « Priviledged Whites »3 (« Privilège d’être blanc ») qui essentialisent l’ensemble des « Blancs » et les culpabilisent en bloc du coup, selon la bonne vieille méthode héritée du néo-protestantisme, sans doute pour les empêcher de se sentir dignes de se révolter contre l’ordre injuste. Comment pourrait-on considérer par exemple comme un privilégié l’agriculteur français surendetté qui se suicide à cause de sa misère et de son sentiment d’humiliation et d’isolement tragique ? En France, c’est un agriculteur qui se suicide tous les deux jours4. En quoi sa situation peut-elle être comparable à celle du gros actionnaire d’une « multinationale » et grand proprétaire terrien, blanc ou même pas forcément, voire avec un précaire urbanisé qui a quand même accès à des restes de services publics dans son voisinage immédiat, y compris quand il n’est pas « blanc » ? En quoi la situation de l’immigré ukrainien ou moldave sans papier serait elle différente de celle de l’Africain de même statut, hormis le fait que le premier ne connaît même pas la langue ni même les codes culturels de son exploiteur ? Ce genre de théorie ne fait que repousser ce « Blanc » là, y compris immigré, dans le camp de l’extrême droite racialiste et raciste. Est-ce là le but non avoué des libéraux à bout de souffle ?

Soros roule donc pour son « business » et ses promoteurs, il roule pour sa classe et pour une vision néo-libérale à la fois « ouverte » et « tolérante » pour les flux de capitaux et de main-d’oeuvre, à cet égard le Brésil de Bolsonaro constitue un nouveau banc d'essai, avec d’ailleurs la menace sous-jacente d'un coup d'état que font planer les militaires et alors que déjà ils occupent la plupart des postes au sein du gouvernement et de l’administration, y compris le ministère de la Santé. En France et en Europe occidentale, nous constatons aussi le développement d’une forme de « fascisation rampante » lancée cette fois par un « extrême centre » à la fois autoritaire et libéral, mais souvent aussi promoteur de la logique du « clash des civilisations » empruntée à Samuel Huntingdon et Francis Fukuyama. Macron, comme ses prédécesseurs, sait très bien manipuler le chaud et le froid, entre ses références subliminales à Pétain camouflées derrière des références à de Gaulle, ses proclamations « républicaines », son arrogance de classe et ses « en même temps » parfois carrément racistes5.

On le voit, l'enjeu actuel est d'importance car nous sommes face à un cataclysme social et économique montant comme un tsunami déjà perceptible à l’horizon et qui aura inévitablement des conséquences politiques considérables. Lesquelles ? Ça, on ne le sait pas encore exactement, mais une chose est certaine, le tsunami arrive à grande vitesse et l'adversaire de classe au prise avec la crise de son système comprend très bien les risques qu’il comporte pour sa propre survie. Serons nous dès lors capables de nous hisser, nous les peuples, à ce niveau d'exigence pour empêcher la nouvelle barbarie technicisée de triompher ? C'est là toute la question politique qui doit intéresser les vrais progressistes, c’est-à-dire les partisans du progrès social et humain, du progrès de l’intelligence et du savoir, les partisans de l’humanisation de la vie collective. Risques et opportunités, voilà le défi devant lequel nous nous trouvons partout dans le monde, y compris désormais au centre de l’empire qui a rapatrié en quelque sorte la situation de crise permanente qu’il avait auparavant imposée dans ses périphéries néocoloniales, ce qui apparaît aussi particulièrement dans ses maillons faibles, en particulier en France.

Les polices se mettent donc aux ordres, ici en réprimant, en éborgnant ou même en tuant, et là, les mêmes en se mettant à genoux, en retirant certaines vidéos des réseaux internet, en excluant des Mark Twain ou des philosophes décrétés « blancs » pour mieux éteindre les convergences et la lutte de classe au nom d'un analphabétisme historique moralisateur. Celui-ci encourage à se mettre à genoux non plus par rébellion contre une autorité injuste mais pour mieux se soumettre à nouveau, sous une autre forme, à la même autorité qui n’a pas l’intention d’abdiquer et de se voir privée de ce qu’elle a confisqué dans le cadre de décennies de mesures de privatisation de la vie économique et politique.

C’est dans ce contexte qu’on assiste à une tentative de racialiser l’antiracisme pour le rendre manipulable par l’une des deux ailes du même système dominant. En fait, Soros, Trump, Wall street, « révolutions de couleurs », pseudo indigénisme, « Privilège blanc », féminisme dans sa version « Pussy Riot » ou « Femen », islamisme takfiri, néo-évangélisme, sionisme religieux ou « laïc », etc, tout cela, c’est au fond la même chose et tout cela roule pour les mêmes intérêts. Ce qui explique pourquoi certains peuvent verser des larmes de crocodile sur George Floyd ou sur Adama Traoré, mais en même temps oublier l’adolescent palestinien Iyad al Halak tué à Jérusalem6, le combat pour la libération de Julian Assange, de Mumia Abou Jamal, de Leonard Peltier ou de Georges Ibrahim Abdallah et aussi l’exigence de réhabilitation de tous les Gilets jaunes injustement accusés, blessés, humiliés et réprimés, toutes couleurs de peau, toutes origines et toutes appartenances idéologiques ou religieuses confondues.

Les Blacks panthers ou Malcolm X ont été grands en leur temps car ils ont fait du combat des Noirs du Yankeeland le combat d’avant-garde de la justice pour tous les opprimés et exploités, y compris les Vietnamiens alors noyés sous les bombes et les militants du mouvement de toutes couleurs Students for a Democratic Society. C’est pour cela que la CIA, le FBI utilisant le programme des années 50 contre le Parti communiste, le COINTELPO, les a assassinés, humiliés, drogués, terrorisés, divisés. Comment oublier l’assassinat de Fred Hampton, de Huey Newton, de Bobby Hutton ou encore le combat exemplaire d’Angela Davis. Aujourd’hui, les neocons-neolib d’extrême centre, les NSA – CIA – Soros – Otpor – NGO - Freedom House – NED - etc veulent momifier le combat contre le racisme en le ...racialisant, en prônant en fait le « clash » des civilisations, le choc des « identités » ou de religions ritualisées et vidées de tout contenu spirituel, comme ils ont su vider le « socialisme » de tout contenu social pour l’amener vers le terrain largement stérile du sociétal. Le glissement sémantique du « social » vers le « sociétal », du « gouvernement » vers la « gouvernance » ou des « organisations de masse » vers la « société civile » n’est pas une opération d’importance secondaire car la maîtrise des mots ou leur perversion, c’est le début du contrôle des esprits.

L'adversaire de classe ne manque pas de recours pour remplacer si nécessaire et une fois qu'ils ont servi, les Trump, Bolsonaro, Macron et autres, et même le pape d’hier, d’aujourd’hui ou de demain. Féminisme, racialisme, indigénisme à sa sauce, le capital est bien armé, il a allumé des contre-feux partout ...en tentant et parfois en réussissant à figer les luttes et les figures de lutte dans une « essence » indépassable. Or, ce qui est requis aujourd’hui, ce sont des vraies révolutions, c’est l'émancipation de toute l’humanité qui n’est ni « blanche » ni coloniale ni ex-coloniale car elle est partout exploitée et fragmentée en « identités » opposables les unes aux autres, repêchables les unes ou les autres. Si le martyr Malcolm X a laissé une leçon à l’humanité, c’est bien celle-là, qu’il a accompli d’abord en quittant la secte ethno-religieuse « Nation of Islam » pour s’élever vers la conscience de l’universel, tout en restant d’ailleurs musulman, mais désormais ouvert à l’idée du socialisme et d’un panafricanisme progressiste et non racial. C’est pour cela que la secte a assassiné la cible désignée par le FBI.

Il existe bien sûr dans chaque société des spécificités plus ou moins importantes qu’il faut prendre en compte et respecter, et il existe des inégalités nationales, religieuses, régionales, ethniques, sexuelles ou autres, mais lorsque celles-ci sont réellement portée par un mouvement autonome et authentique, elles ne se laissent pas soumettre par des minorités politiquement manipulées et collaborant avec le système répressif. L’objectif, et ce qui permet de départager le bon grain de l’ivraie, c’est d’atteindre la majorité et non pas « les » minorités. Car c’est la majorité qui est opprimée, et la minorité la plus opprimée et la plus courageuse, est justement ciblée parce qu’elle sait s’élever au-dessus de sa propre condition pour servir d’avant-garde à la majorité.

Le plus souvent ce combat se déroule à l’intérieur même de chaque mouvement politique, associatif ou syndical, car tous les mouvements porteurs de perspectives, sont pénétrés aujourd’hui par des éléments corrupteurs, porteurs de diversion et de manipulation. C’est d’ailleurs à cela qu’on reconnaît la force potentielle d’un mouvement, au fait que les oppresseurs et les exploiteurs cherchent à le corrompre et à le pénétrer de l’intérieur justement parce qu’il représente une force réelle potentielle en soi indéracinable.

 

1 La fortune de Mark Zuckerberg est estimée à 74,1 milliards en 2019.

2 « La Syrie à Seattle, la commune défie le régime US » Pepe escobar, Mondialisation.ca, 12 juin 20120.

  • 3 McIntosh, Peggy (2019). On Privilege, Fraudulence, and Teaching As Learning: Selected Essays 1981-2019 (pp. 107–118). New York: Routledge.

4 < https://www.lefigaro.fr/vox/societe/2018/08/17/31003-20180817ARTFIG00252-pourquoi-un-agriculteur-se-suicide-t-il-tous-les-deux-jours-en-france.php >

5 Voir les non dits et les implicites de « l’esprit français » macronien : < http://www.lapenseelibre.org/2020/06/n-198-80e-anniversaire-de-la-bataille-de-montcornet.un-esprit-francais-aux-relents-petainistes.html > et < http://www.lapenseelibre.org/2020/06/n-199-m.macron-contrebandier-de-memoire-en-pieces-detachees.html >

6 http://www.france-irak-actualite.com/2020/06/george-floyd-et-iyad-al-halak-ou-deux-poids-et-deux-mesures.html

Retour sur les « révocouleurs »

Depuis au moins le renversement de Milosevic en Yougoslavie, mais sans doute déjà bien avant, avec par exemple les pseudo charniers de Timisoara et la fausse révolution roumaine de 1989, les observateurs attentifs et critiques des campagnes médiatiques et émotionnelles avaient remarqué la capacité du système mondialisé à organiser des groupes chargés de prendre en main le mécontentement de différentes catégories sociales pour le diriger contre des pouvoirs qui ne plaisaient pas car ils étaient trop indépendants, parce qu’ils commençaient à manifester une certaine indiscipline envers les injonctions des gros centres financiers et militaro-industriels ou parce qu’ils ne maîtrisaient tout simplement plus la situation dans leur pays. Ce qu’on allait appeler ici « révolutions colorées » ou là « printemps arabe » visait au départ des gouvernements de pays périphériques par rapport au « centre de l’empire » euro-atlantique ayant pour noyau les pays anglo-saxons des « Five Eyes »1 et pour centre névralgique Wall street. Mais, au fur et à mesure de la crise et du délitement de « l’empire » qui a suivi la crise de 2008 et la montée des puissances émergentes, on a pu assister au « rapatriement vers le centre » d’un certain nombre de méthodes qu’on croyait au départ réservées aux pays périphériques, au point où, aujourd’hui, on doit poser la question des liens pouvant exister entre le mouvement BLM qui s’est développé dans la foulée des manifestations anti-Trump.

Loin de nous l’idée de nier le fait que tous les mouvements de protestation ayant visé ou renversé des pouvoirs d’un bout de la planète à l’autre n’auraient pas joui de l’appui d’une base sociale peut-être parfois minoritaire mais incontestablement importante et ayant de véritables raisons de mécontentement. Nous pensons néanmoins que, dans beaucoup de cas, la manœuvre a consisté à faire dévier le mécontentement sur des cibles secondaires par rapport aux véritables responsables des situations de détresse qu’ont subi les populations et que le battage médiatique planétaire organisé autour de certaines protestations les a empêcher de respirer, donc de se développer et de pouvoir vaincre. On a asphyxié la révolution à Bahrein en grossissant les manifestations de Damas et on a oublié Gaza pour encenser l’euromaïdan.

Hormis les organisations que nous venons de mentionner, rappelons que le maillage entre secteurs privés, pouvoir étatique et services secrets ont été théorisés à partir du concept de non violence par Gene Sharp et Joseph Nye2  sous l’expression de « Smart power », une habile combinaison d’interventions secrètes violentes, le « hard power », et d’interventions de la mal dite « société civile », le « soft power ».

Lorsqu’on analyse un régime politique et social dont le pouvoir s’étend à plusieurs pays, on doit toujours poser la question de ses maillons faibles. A l’échelle du monde, le « Grand Moyen-Orient » imaginé sous Bush 2, allant des rivages nord-africains de l’Atlantique au coeur du Xinjiang et l’Europe du centre-est constituent le terrain d’affrontement central, pour des raisons géopolitiques et énergétiques, mais aussi parce que les pouvoirs existant y sont relativement faibles et peu légitimes. Mais au sein même du noyau central de la « famille atlantique », c’est la France qui a toujours fait figure de mauvais élève potentiel, ce qu’on a remarqué particulièrement en 2003 lorsque Paris a refusé de s’aligner sur la politique d’agression de Washington visant l’Irak. On aura constaté depuis que la France a bel et bien été reprise en main, au point où le monolithisme de ses médias est devenu caricatural, l’alignement atlantiste et européiste de ses élites politiques, de droite comme de gauche, « exemplaire », ce qui a permis l’inimaginable jusque là, le retour d’une France définitivement post-gaulliste dans l’organisation militaire de l’OTAN et sa participation à plusieurs agressions armées au « grand » Moyen-Orient et en Afrique. On doit donc poser la question des étapes qui ont abouti à cette dégénérescence dans un pays qui n’est pourtant toujours pas vraiment « normalisé » car, si ses élites politiques, économiques, culturelles et médiatiques ont été presque totalement domestiquées, le peuple de France dans sa diversité continue de manifester une propension à la rébellion qui éclate tantôt en banlieue, tantôt avec les Gilets jaunes, tantôt par des vagues de grèves et de manifestations de masse. Aujourd’hui, alors que la crise du covid-19 a démontré l’incapacité du gouvernement Macron à répondre aux besoins de la masse des Français tout en démontrant sa capacité à satisfaire les exigences des plus riches, le mécontentement est généralisé. Il est clair que, au moment où le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, au moment où le Deep State US peine à reprendre le contrôle du centre de l’empire erratiquement gouverné par l’outsider Trump, au moment où la misère guette des pans entiers des classes travailleuses, une vague de mécontentement de masse risque de menacer l’ensemble du système capitaliste mondialisé. D’où la nécessité dans toute réflexion critique de voir venir les choses et de bien analyser en quoi les manifestations de mécontentement pourraient déboucher sur une convergence révolutionnaire ou, au contraire, être égarées par des manœuvres de diversion.

Aux différences sociales, régionales, religieuses et idéologiques qui ont fait l’histoire de France sont venues se rajouter aujourd’hui les conséquences de la colonisation, des guerres coloniales et des migrations provoquées par les effets du néocolonialisme puis de la destruction du camp socialiste. Ce qui explique pourquoi la population française, de par ses origines diverses, a de multiples yeux qui regardent le monde entier et qu’elle est simultanément marquée par des sensibilités difficiles à faire converger au premier abord.

Avec la crise du capitalisme, la désindustrialisation d’une grande partie du pays, la capitulation politique de ceux qui incarnaient le courant de lutte de classes, la classe ouvrière qui constituait le noyau solide et organisé structurant l’ensemble des mouvements revendicatifs a vu son rôle s’affaiblir. Nous avons donc assisté à des mobilisations éparpillées au cours des décennies précédentes, quartiers populaires à population en partie immigrée ou post-immigration et peu intégrée dans les secteurs productifs touchés par le chômage de masse, mouvement de la France périphérique rassemblée sous la bannière des Gilets jaunes depuis novembre 2018, vagues de grèves de décembre/janvier 2019/20 et finalement mécontentement provoqué par la politique erratique du pouvoir face à la pandémie du covid-19. C’est dans ce contexte général qu’il faut analyser ce qui pourrait menacer le processus de convergences des mécontentements puisque, comme nous l’avons écrit plus haut, nous pouvons constater que les élites et l’État français ont été repris en main par les partisans d’un nouvel AMGOT3 après la dernière tentative de Paris de mener une politique indépendante en 2003. Et au cours des quinze dernières années, la France est devenue le bon élève de l’impérialisme, un élève qui est même capable de faire du zèle sur la scène internationale, comme on a pu le voir en Libye, en Côte d’Ivoire ou en Syrie et comme il est aussi capable de faire du zèle en matière de répressions des mouvements populaires comme on a pu le voir avec les répressions brutales des banlieues, des mouvements de solidarité avec la Palestine, des mouvements de grève, du mouvement des Gilets jaunes et même des manifestations du 1er mai. Le meilleur moyen de mater un mouvement dynamique, c’est de diviser les mécontents pour les opposer entre eux. Sur une base ethnique ou religieuse, et le racisme d’un côté ou le ressentiment postcolonial d’un autre, peuvent servir à cela, et aussi l’intégrisme religieux ou ethnico-religieux, qu’il soit sioniste, néo-évangéliste ou islamiste. A quoi on peut rajouter tous les éléments de division « sociétaux » qui pourraient contribuer à subdiviser encore plus la communauté nationale et territoriale française en sous-communautés barricadées.

 

1 Voir les révélations d’Edward Snowden à ce sujet < https://fr.wikipedia.org/wiki/Five_Eyes > et le film < https://citizenfourfilm.com >

2 Joseph Nye est professeur à l’Université de Harvard, c’est un analyste des relations internationales, par ailleurs membre de la Trilatérale.

3 l’AMGOT, ou American Government for Occupied Territories, était le plan prévu par les Etats-Unis pour gérer les pays libérés de l’occupation nazie et devant être occupés par l’armée US chargée de préparer leurs institutions d’après guerre sur un mode capitaliste libéral anglo-saxon. En France, c’est la force de la résistance patriotique qui a finalement permis de former un gouvernement national indépendant sous l’égide du Conseil national de la Résistance qui a pu empêcher la transformation de la France en zone d’occupation militaire des États-Unis.

Potentiel, contradictions et manipulations du mouvement de protestation anti-Trump et antiraciste aux Etats-Unis

Gilad Atzmon, ancien citoyen israélien devenu radicalement antisioniste, constate que le jazz a connu le succès mondial qu’on lui connaît car ce fut le chant et la musique du combat des Noirs des Etats-Unis pour leur émancipation. Mais ce style musical a été ensuite récupéré comme article d’exportation culturelle sophistiquée par l’establishment Usanien. Cette évolution est allée de pair avec la transformation du mouvement de rébellion des descendants d’esclaves rebelles luttant pour la justice dans leur pays en courant intégré au système d’exploitation visant à promouvoir une bourgeoisie noire et a pousser la masse à quémander aumônes et « discrimination positive »1, non plus sur la base d’une revendication de justice mais d’une lamentation moraliste de victime consentante. Né sur la terre spoliée de Palestine, Atzmon sait de quoi il parle et de ce que l’humanité a perdu avec l’asservissement d’une partie du jazz au système. On peut constater un phénomène parallèle sur le plan directement politique quand on observe que les représentants patentés de la « communauté noire », de la bourgeoisie noire de service en fait, ont appelé hier à voter Obama, puis Clinton, puis Biden, et pas même Sanders. C’est la vieille histoire d’Uncle Tom et des « nègres de maison », ou le « white man’s burden », « le fardeau de l’homme blanc »2, qui se répète sous nos yeux3. Ce qui permet de penser que le mouvement Black Lives Matter n’est pas le mouvement d’émancipation qu’il prétend être dans le foulée des Black Panthers ou de Malcolm X, ou même du plus modéré Martin Luther King, mais une organisation surtout utilisée par le Deep State parce qu’elle se limite à viser Trump, l’outsider par rapport aux cercles de pouvoir habituels, à dénoncer le racisme sur une base morale et à encenser des victimes qui doivent le rester au final. Elaine Brown ancienne Présidente des Black Panthers, remet les pendules à l’heure quand elle déclare : « BLM a une mentatlité des plantations »4

BLM, fondée en 2013 par un trio de femmes noires de la classe moyenne, queer, très virulentes contre « l’hétéro-patriarcat », est un produit de ce que Peter Dauvergne, de l’Université de Colombie britannique, définit comme la « corporatisation de l’activisme »5. Au fil des ans, BLM a évolué en tant que marque de marketing, comme Nike (qui soutient pleinement le mouvement). Les protestations généralisées de George Floyd l’ont élevée au statut de nouvelle religion. Pourtant BLM n’a aucun véritable attrait révolutionnaire.

Toutefois, il est vrai aussi que l’actuelle mobilisation de masse aux Etats-Unis dépasse largement les cercles organisés par les têtes du mouvement BLM et qu’il dépasse même largement la « communauté » noire, puisqu’il draine une masse issue des classes populaires de toutes origines et aussi des jeunes des classes moyennes « blanches » qui ont compris que leur avenir était bouché dans le capitalisme et qu’ils cherchaient une cause apte à symboliser et canaliser la lutte pour un changement de régime, c’est-à-dire le renversement du « monopartisme bicéphale républicain-démocrate » placé à la tête des États-Unis depuis des décennies. « Pourquoi, dit-on, les patrons ont deux partis, et que les travailleurs n’en ont pas ? » Il y aurait donc aux USA, mais sans doute aussi ailleurs et en particulier en France, une course contre la montre, entre autre, des groupes organisés pour canaliser et domestiquer en faveur du régime actuel le mécontentement légitime et la masse de ceux qui ont compris que c’est tout le système de domination actuel qui doit être renversé. Comme le constate le professeur Norman Finkelstein, une grande partie des manifestants s’attaquent à « un système qui a détruit la vie de tous les jeunes et qui bloque toute sortie du cauchemar qu’ils endurent quotidiennement et qui va certainement s’aggraver. On estime que plus de 40% des personnes licenciées pendant la pandémie de Covid-19 ne seront pas réembauchées. Et cela se traduira pour ces jeunes qui n’ont pas d’épargne et qui joignent à peine les deux bouts, par une expulsion (car ils n’auront plus de quoi payer leur loyer). La plupart des manifestants ont probablement assisté aux rassemblements pro-Bernie Sanders. On oublie souvent que le slogan officiel de la Marche de 1963 à Washington (où Martin Luther King a prononcé son discours « J’ai un rêve ») était « Emplois et liberté pour tous ! ». Il faut espérer qu’une direction, si elle émerge, exigera la « Fin de la brutalité policière ! » et aussi « Des emplois pour tous ! »6. Il est intéressant à cet égard de rappeler que, non loin des Etats-Unis, au Québec, le colonialisme anglais traitait publiquement, avant les années 1960, de « White niggers », les paysans canadiens français soumis au règne de sa gracieuse majesté et que le mouvement de libération nationale du Québec des années 1960, né dans la foulée de la révolution cubaine, de la lutte de libération nationale algérienne et du mouvement pour les droits civiques des Noirs des Etats-Unis a revendiqué haut et fort son statut de porte-parole des « Nègres blancs d’Amérique » en particulier avec la naissance du Front de libération du Québec7. C’est peut-être là, en Amérique du Nord comme en France et ailleurs, que nous pourrons retrouver la voie d’un combat réellement victorieux, émancipateur, anticapitaliste, anti-impérialiste, par dessus « le narcicisme de nos petites différences » visibles, héritées, colorées, formalisées et engluées dans des revendications fragmentées et purement « sociétales », justement parce qu’elles ne sont plus sociales.

 

1 https://reseauinternational.net/liberer-le-peuple-americain/?fbclid=IwAR1pMSvf21_il1UZjUTJBJhhNG5KGOO3xFli87OJxVhgucMrg3Umilj8u8U

2 « The white man’s burden » poème de Rudyard Kipling,

3 < https://dictionary.cambridge.org/fr/dictionnaire/anglais/uncle-tom >, < https://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=93059468 >

4 Pepe Escobar déjà cité

5 Pepe Escobar cité plus haut dans Mondialisation.ca

6 https://lecridespeuples.fr/2020/06/06/norman-finkelstein-analyse-les-manifestations-aux-etats-unis/?fbclid=IwAR29HniIu7bxX7ABVqtxTEj8ogtSjDYVU8uheLOYS_fxbhDPtiihWP4c748

7 < https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/aujourd-hui-l-histoire/segments/entrevue/54821/pierre-vallieres-negres-blancs-amerique-flq-autodetermination >

 

Le Deep State USAnien et son maillon faible français

Grâce à Wikileaks et aux lanceurs d’alerte qui se heurtent aujourd’hui à différents degrés de répressions visant entre autre Julian Assange, Chelsea Mannings et Edward Snowden, l’humanité a eu accès à de nombreux documents qui ont mis en lumière ce que tout chercheur de vérité critique soupçonnait déjà ou même savait sans avoir pour autant la preuve documentée de la source originale. Pour confirmer notre thèse sur l’instrumentalisation des « minorités » par l’impérialisme US, nous citerons ici un document de Wikileaks la « Stratégie d’engagement pour les minorités », qui confirme que depuis fort longtemps l’ambassade des Etats-Unis en France cherche à jouer sur la question « identitaire » qui prouve encore une fois ce par quoi tout militant politique devrait commencer, à savoir qu’il faut toujours analyser au départ un événement en posant la vieille question « Cui Bono ? » ...Dans l’intérêt de qui ? Ce document1 destiné au Département d’État à Washington est de première importance car il montre que depuis longtemps, en l’occurence depuis au moins 2009 mais en fait depuis bien avant, il existe une stratégie organisée visant à pénétrer tous les milieux potentiellement influents en France ou pouvant jouer un rôle de fait désagrégateur de l’Etat-nation. Ce que toute l’histoire de l’après-guerre a d’ailleurs, archives à l’appui, confirmé, avec la scission de la CGT et la création de FO, du parti « trotskyste-lambertiste », les aides à la création de l’EHESS pour contrebalancer le poids du CNRS jugé trop communisant, les stratégies de diffusion des films hollywoodiens, l’aide aux revues et think tanks libéraux ou de « gauche anticommuniste », à certains écrivains idolâtres des Etats-Unis ou d’Israël ce qu’on a appelé la « gauche américaine » de France2. Stratégie des USA qui s’est même parfois étendue à des étrangers, en particulier des chercheurs d’Europe de l’Est en séjour en France dans le cadre de la politique gaullienne de dépassement du clivage de la guerre froide Est-Ouest3. Nous allons donc citer ici quelques fragments particulièrement révélateurs du rapport envoyé par l’ambassadeur des Etats-Unis à Paris de l’époque, Charles Hammerman Rivkin, nommé par le président Barack Obama le 1er juin 2009. Un ambassadeur qui allait multiplier les efforts en direction des « minorités », des « banlieues », particulièrement des Noirs et des musulmans, alors même qu’il était connu pour ses sympathies envers l’entité israélienne et qu’il allait intervenir directement en 2013 auprès du gouvernement français pour que le patriote libanais pro-palestinien Georges Ibrahim Abdallah soit gardé en prison jusqu’à aujourd’hui en France, à l’encontre des principes même du droit et de la législation française. Et qu’il allait en plus co-présider en juin 2014, avec son collègue ambassadeur US à Tel Aviv, le Groupe mixte de Développement économique Etats-Unis-Israël. Un personnage compétent et haut en couleur, « interventionniste libéral » néoconservateur mondialiste sans honte, connu pour ses vastes réseaux à Washington et en Californie, dans le monde politique, du business et de la culture. Il allait recevoir la Légion d’honneur de la part de François Hollande, puis la médaille vermeil de la ville de Paris de la part d’Anne Hidalgo, marque d’allégeance s’il en est de la « gauche caviardée » envers celui qui dirigeait la politique d’ingérence néoconservatrice de la puissance d’outre-Atlantique dans les affaires intérieures de la France. C’est évidemment à partir de cela que nous devons juger les personnes qui ont accepté de serrer la main et de coopérer avec celui qui apparaîtra sans doute, comme le gouverneur colonial d’une France et l’entremetteur des « minorités » et des cercles musulmans de France à la recherche d’une « reconnaissance » et d’un statut de « nouvel Uncle Tom », de « nègre de maison », si bien analysé par Malcolm X et d’autres militants des mouvements d’émancipation noirs d’Amérique. Voici ce que révèlent des fragments révélateurs de cet exemple emblématique de « soft power » US théorisé en 2009.

 

« ...restant fidèle à l’histoire unique de la France et de ses traditions, l’ambassade de Paris a créé une stratégie d’engagement pour les minorités qui englobe, entre autres groupes, les populations musulmanes françaises et répond aux objectifs du REFTEL A. Notre but est de motiver la population française à tous les niveaux pour augmenter ses efforts en vue d’atteindre ses propres idéaux égalitaires, et donc de promouvoir les intérêts nationaux américains (…) en mettant en place une stratégie agressive de communication envers les jeunes, (nous) encouragerons les discours modérés, propagerons les meilleurs pratiques, (...), en visant des dirigeants influents dans notre entourage proche, (…) La France a depuis longtemps été une championne dans le domaine des droits de l’homme et du respect des lois, à la fois sur son territoire national et à l’étranger, et se perçoit avec raison comme un leader historique au sein des nations démocratiques. (mais) (…) les institutions françaises ne se sont pas montrées assez flexibles pour s’ajuster à la démographie de plus en plus hétéroclite. Très peu de minorités tiennent des postes de dirigeants au sein des institutions publiques françaises. Comme le chantre de la diversité du président Sarkozy, Yazid Sabeg, l’a dit à l’ambassadeur Rivkin en décembre, l’Assemblée nationale « sert de miroir de la crise de la représentation en France » (REFTEL B) . L’Assemblée nationale, parmi ses 577 députés, compte un seul représentant noir de métropole, mais ne possède pas de députés d’origine arabe ou musulmane, alors que cette minorité représente approximativement 10% de la population. Il y a deux sénateurs musulmans (sur 343), mais pas de noirs, et seulement quelques sénateurs proviennent de minorités ethniques ou religieuses. Sabeg a également noté qu’aucun des 180 ambassadeurs français n’est noir, et seulement un est de descendance nord-africaine. Malgré la nomination par Sarkozy de ministres comme Rachida Dati, Fadela Amara et Rama Yade, les minorités sont toujours tenues à l’écart des institutions publiques ».

 

Ce constat nord-américain est certes tout à fait réel et il démontre que les élites françaises ont tendance à fonctionner en cercles ethniquement fermés (mais aussi et sans doute surtout socialement), ce qui mérite d’être souligné et combattu. Mais voir les Etats-Unis se placer en promoteur d’une diversité d’apparence pouvait déjà faire sourire à l’époque. Aujourd’hui, en connaissant les évolutions des statistiques de répressions du pays qui emprisonne environ 1/4 de la population carcérale du monde, en particulier celle issue des dites « minorités », c’est, comme on dit, « l’hôpital qui se fout de la charité », et ceux des « représentants » des minorités qui se sont prêtés à ce jeu sont les complices, du système néo-esclavagiste mondialisé mis en place par l’impérialisme yankee et son partenaire stratégique israélien. Quand Rivkin constate donc le fait que, en France, « la politique élitiste et « familiale » est toujours de mise dans les institutions publiques, alors que l’extrême droite et les tendances xénophobes regroupent une petite (mais parfois influente) minorité », cela sonne incroyable quand on sait qu’il est au service de l’Etat et de dynasties politico-économiques inamovibles. Et que dire de cette prétention à constater dès lors que : « La France subit des conséquences néfastes alors que ses institutions dirigeantes n’arrivent pas à représenter la composition de la population. » ? Sans honte donc, notre ambassadeur croyait pouvoir déclamer dans ce rapport secret et devant le rester, il faut le rappeler, que :

 

« Notre stratégie comporte trois grandes cibles : (1) la majorité, particulièrement les élites, (2) les minorités, avec une attention particulière pour leurs dirigeants, (3) la population générale. En employant les sept tactiques :

 

« Tactique 1 : S’engager dans un discours positif : nous focaliserons notre discours sur le problème des discriminations. (…) nous mettrons en avant, parmi les qualités de la démocratie, le droit d’être différent, la protection des droits des minorités, la valeur de l’égalité des chances, et l’importance d’une représentation politique fidèle. (...) (en respectant) les deux vaches sacrées de France (la laïcité et le communautarisme), (et) (…)  de montrer les coûts pour la France de la sous-représentation des minorités », et (...)  nous continuerons et renforcerons notre travail avec les musées français et les enseignants pour réformer le programme d’histoire enseigné dans les écoles françaises, pour qu’ils prennent en compte le rôle et les perspectives des minorités dans l’histoire de France ».

 

« Tactique 2 : Montrer un exemple fort : (…) nous utiliserons l’outil de l’exemple. Nous continuerons à déployer nos efforts pour envoyer des dirigeants issus de minorités des Etats-Unis en France, et (…), En réunissant des groupes qui ne se rencontrent pas ailleurs, l’ambassade continuera à utiliser son image pour créer des opportunités de rencontres qui tranchent avec les barrières traditionnelles sociales et culturelles en France. »

 

« Tactique 3 : Lancer une campagne de sensibilisation agressive vers les jeunes : (...) nous voulons gagner la confiance et améliorer notre compréhension des jeunes de différentes origines (...), nous voulons aider la prochaine génération française à améliorer sa capacité à diriger ses communautés, (...) pour influencer la jeunesse française, utilisant de nouveaux médias, des partenariats d’entreprises, compétitions nationales, événements ciblés de sensibilisation, et spécialement avec des invités américains, Nous développerons aussi de nouveaux outils pour identifier, apprendre des futurs dirigeants français, et les influencer, En même temps que nous développons les possibilités de formation et d’échange pour les jeunes Français, nous (...) nous baserons sur des réseaux de jeunes déjà existants, et en créerons de nouveaux sur Internet, connectant les futurs dirigeants entre eux... »

 

« Tactique 4 : encourager les voix modérées : nous allons encourager les voix modérées de la tolérance à s’exprimer (…) En s’appuyant sur notre travail avec les deux sites Web de premier plan axé vers les jeunes musulmans de langue française - oumma.fr et saphirnews.com – nous soutiendrons, formerons et nous investirons dans des médias et des militants politiques qui partagent nos valeurs . (Tout en cherchant) à « rencontrer les dirigeants modérés de groupes minoritaires, nous devons également intensifier nos efforts pour faciliter l’enracinement d’échanges inter-religieux. » (...) pour enseigner la tolérance actuellement employées dans les mosquées, synagogues, églises et autres communautés religieuses américaines. Nous allons dialoguer directement avec le ministère de l’Intérieur afin de comparer les approches américaine et française sur l’appui a donner aux leaders des minorités qui cherchent la modération et la compréhension mutuelle (…) »

 

« Tactique 5 : propager les meilleures pratiques : partager les meilleures pratiques avec les jeunes dirigeants de tous domaines, incluant les jeunes dirigeants politiques de tous les partis modérés (…) Nous créerons et encouragerons la formation et les programmes d’échange qui enseignent la valeur pérenne de l’intégration aux écoles, associations, blogeurs, conseillers politiques et politiciens locaux. Grâce aux programmes de sensibilisation, les agents de toutes les sections de l’ambassade interagiront et communiqueront avec ces mêmes groupes nos meilleurs pratiques pour favoriser l’égalité des chances pour tous les américains  (...) ».

 

« Tactique 6 : Approfondir notre compréhension du problème : (…) Nous innoverons en examinant comment la propre structure de certaines institutions françaises peut limiter la représentation des minorités parmi les élus et les plus hauts échelons de l’administration. En examinant attentivement des développements importants, comme le débat sur l’identité nationale (REFTEL B), nous voulons identifier les tendances, et idéalement prédire le changement de statut des minorités en France (...) »,


 

« Tactique 7 : Intégrer, cibler et évaluer nos efforts : (…  un espoir grandissant qu’eux eussi peuvent représenter leur pays chez eux et à l’étranger, et même un jour arriver au sommet de la vie publique française en tant que président de la république. »4

 

L’ambassadeur proclamait ici clairement que sa visée qui se veut « modérée » sous-entend, par ce vocable, en fait l’acceptation par tous les peuples, dont le peuple français, majorité et minorités confondues, du rôle de puissance dominante des Etats-Unis censés avoir une « Destinée manifeste » et un « droit d’ingérence » universel exceptionnel qui passe par la fragmentation des sociétés concurrentes. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer les raisons qui font que l'ambassade des Etats-Unis à Paris s'intéresse de près aux banlieues françaises et en particulier aux musulmans qu’il faut « décrocher » de leurs revendications sociales, anti-impérialistes et antisionistes, en organisant tout particulièrement des voyages outre-Atlantique tous frais payés, des réceptions de personnes ciblées correspondant aux intérêts des « visiteurs », et en organisant aussi de discrets déplacements de l'ambassadeur dans le département de Seine-St-Denis, des financements de projets cinématographiques, culturels, ou directement plus politiques dans les quartiers défavorisés. On peut parler de manœuvres d’approche, de subversion, de manipulation, de pénétration et d’ingérence de la part de diplomates américains qui, si ces activités provenaient d’un autre pays, seraient dénoncées hauts et forts. On peut donc affirmer que les politiciens de Washington dans leur stratégie mondiale ont décidé de draguer ouvertement les représentants désignés et promus des « minorités visibles », tout particulièrement dans les « cités » d'Ile-de-France et les « quartiers » de Marseille ou de Lyon.

Ce programme « star » du département d’État des USA a été intitulé "International Visitor Leadership" et il existe en fait dans une version première perpétuellement renouvelée depuis la fin des années 1940 et touche tous les « alliés » de Washington, mais aussi ses « ennemis ». Il consiste à repérer les « leaders » de demain dans tous les pays du monde, en particulier dans les pays les plus stratégiques, pour les envoyer aux Etats-Unis pour un séjour d’environ trois semaines tous frais payés au cours duquel des contacts clefs et des liens durables sont enclenchés. A étudier la liste des anciens « visiteurs », on comprend qu’il s’agit de chasser des têtes qui ne sont pas prises au hasard puisque parmi les anciens invités on notera, il y a bien des années, les fondateurs de l’Union européenne comme Robert Shuman, Paul Henri Spaak, Jean Monnet5, entre autres et plus tard, des personnages jeunes à l’époque comme Valery Giscard d’Estaing, Lionel Jospin, Alain Juppé, Pierre Bérégovoy, Raymond Barre, Nicolas Sarkozy, François Fillon, sept ministres français en exercice, seize sénateurs, trente-huit députés, ou encore Tony Blair, Gordon Brown, Romano Prodi, Gerhard Schroeder. Parfois on peut constater qu’il y a des « ratés » mais dans la plupart des cas, ces « young leaders » ont effectivement contribué à faire évoluer la droite ou la gauche de leur pays dans une direction néolibérale et impérialisto-compatible.

Chaque année, c’est donc plus de 5 000 "visiteurs internationaux", venus de pratiquement tous les pays de la planète qui débarquent à Washington dans le cadre de ce programme de formation politique. En France, cela concerne plus d’une trentaine de personnes ayant autour de trente ans qui font chaque année ce voyage. Parmi eux et au regard des documents officiels et publics, un quart d’entre eux provient désormais de ce qu’on a baptisé sur les bords du Potomac "la diversité". Citons à titre d’exemple « l’essayiste » médiatiquement promue Rokhaya Diallo, le rappeur Ekoué Labitey ou l’ancien sous-préfet de Seine-Saint-Denis, Fayçal Douhane. Notons également le fait non négligeable au regard de cette initiation outre-Atlantique que Rokhaya Diallo s’est vue par la suite financée par le journal Libération bien intégré au système de propagande euro-atlantique dans sa version « gauche sociétale », pour écrire un long article en forme d’apologie sur le mouvement Black Lives Matter. Rokhaya Diallo est aussi appréciée par l’Open Society Institute de Georges Soros. Elle est par ailleurs liée à Sami Debbah, un des cadres du Collectif contre l’Islamophobie en France (CCIF), association dont on sait qu’elle a été financée (au moins autrefois) par Soros. On ne s’étonnera donc pas qu’elle apparaisse en tête des manifestations dénonçant tout à la fois le crime contre Georges Floyd ou celui contre Adama Traoré.


 

1 « Wikileak » Confidential section 01 of 04 Paris 000058. fm amembassy Paris. to ruehc/secstate washdc priority 8075

2 Frédéric Charpier, La CIA en France. 60 ans d'ingérence dans les affaires françaises, Seuil, 2008.

3 Voir à cet égard, Bruno Drweski, Une Solidarité qui a coûté cher – Histoire populaire de Solidarnosc, Delga, 2019

4 Source originale :viewing cable 10paris58, embassy paris - minority engagement strategy http://46.59.1.2/cable/2010/01/10paris58.html

5 Lire le remarquable ouvrage d’Annie Lacroix-Riz sur « la Non-épuration en France », Armand Collin, Paris 2019


 

La séparation des pouvoirs pour quoi faire ?

On peut accuser le gouvernement français de beaucoup de choses, mais on ne peut pas ne pas lui reconnaître une grande compétence dans la façon de faire passer, en force ou en douce selon les occasions qui se présentent, les lois les plus scélérates. Quand Emmanuel Macron demande à sa Gardienne des Sceaux de « se pencher » sur le dossier d’Adama Traoré toujours à l’instruction et de recevoir sa famille, il ne peut pas ignorer qu’il s’attaque au principe même d’indépendance et d’impartialité qui est censé caractériser le fonctionnement de la justice française, quoiqu’on pense de la façon dont il a déjà été dans les faits violé à plusieurs reprises au cours des années précédentes, mais jamais de façon aussi péremptoirement illégale.

Voilà que, par le fait même, les magistrats et le policiers aux ordres se retrouvent désormais esseulés et nus comme un ver devant un pouvoir qui les a auparavant instrumentalisés et qui semble aujourd’hui prêt à les ignorer. Il est devenu indispensable que les Gilets jaunes, les syndicats de base dans les entreprises, les bases politiques et militantes, la France profonde et périphérique, les « issus de l’immigration » de première, deuxième, troisième, quatrième ou nième génération (!) fassent front commun pour imaginer et forcer la naissance d’une nouvelle société.

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