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  • : Philo-socio-anthropo-histoire. Revue en ligne éditée par une partie de l'ancienne rédaction de "La Pensée" exclue en 2004, élargie à d’autres collaborateurs et consacrée au renouvellement de la pensée critique de la globalisation, du politique, de l’économique, du social et du culturel.
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  • Cette revue de Philo-socio-anthropo-histoire est éditée par une équipe de militants-chercheurs. Elle est ouverte à tout auteur développant une pensée critique sur la crise de civilisation du système capitaliste occidental.
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12 mars 2020 4 12 /03 /mars /2020 23:26

Le gouvernement français est payé par ses promoteurs pour faire passer en quatre ans toutes les réformes permettant la « normalisation » de la France selon les règles néolibérales néoconservatrices globalisées qui devraient laisser un pays totalement domestiqué aux gestionnaires qui viendront après lui. L’éducation et la recherche constituent dans ce contexte un secteur clef appelé à devenir un marché produisant une jeunesse fragmentée, sectorisée et servile. D’où la réforme décrite ici par un enseignant.

La Rédaction

 

Panique sur le Titanic :

 

Les réformes Blanquer passées à l’équerre

 

-

Mars 2020

 

Alfred Jarry*

 

Nommé ministre dans le contexte du raz de marée du parti La République en marche (LReM) des législatives qui ont suivi les élections présidentielles de 2017 suite à l’effondrement historique d’un parti socialiste hégémonique pendant quatre décennies à gauche et à la fin calamiteuse du quinquennat Hollande, Jean-Michel Blanquer, recteur apprécié et docteur en droit public disposait de bonnes cartes dans son jeu pour se poser en ministre rassurant « connaissant bien la maison », respectueux des savoirs et des enseignants, après les réformes contestées, notamment du collège, d’une Najat Belkacem usée et auréolée d’une image d’amateurisme. Le scénario de la nomination d’un Jack Lang défenseur des humanités après plusieurs années de réformes au bulldozer du tonitruant Claude Allègre pourfendeur du « mammouth » semblait pouvoir se rejouer, et hormis les plus zélés sectataires du pédagogisme intégral, Jean-Michel Blanquer a pu bénéficier dans le corps enseignant d’un accueil rassuré sinon bienveillant, pourvu qu’on ne fût pas au fait des projets de nos élites et des instances européennes concernant le devenir de l’école, d’autant que le nouveau ministre avait déclaré ne pas vouloir associer son nom à une énième réforme globale.

Car les enseignants, c’est bien connu, ne sont pas, depuis les réformes Haby, Jospin, Allègre, Fillon, Chatel, Belkacem, friands de réformes, et ne sont pas les derniers des « Gaulois réfractaires »1. Peut-être est-ce qu’ils se souviennent qu’il y a un demi-siècle, un professeur certifié de lettres faisait son service complet avec deux classes de sixième en gagnant le salaire d’un ingénieur. Ces temps ne sont plus, et l’on exagère à peine aujourd’hui si l’on dit qu’un professeur stagiaire doit, dans les grandes villes, choisir entre se loger ou se nourrir, tandis que pour un titulaire, les affectations sur une pléthore d’établissements simultanément ne sont pas rares, et qu’avoir six, sept ou huit classes n’est pas l’exception dans certaines disciplines2. Comment s’étonner dans ces conditions de la crise des vocations et de l’effondrement du nombre de postulants aux concours3 ?

 

Moralisation d’extrême centre

« On allait voir ce qu’on allait voir » ; la moralisation de la vie publique promise par le raz de marée du nouveau parti d’extrême centre allait se doubler d’une fin du marasme rue de Grenelle. Mais en guise de 18 Brumaire, on ne vit qu’un vulgaire 2 décembre4, qui non content de se révéler comme une farce, allait vite faire figure de farce amère. La réhabilitation des contenus et de l’autorité allait se heurter au mur de l’Atlantique des exigences budgétaires, et c’est à un certain Mathiot, directeur d’un IEP de province, qu’allait selon la mise en scène du recours devenu indispensable à la parole de l’expert être confiée la tâche de concevoir un emballage habile, capable de chloroformer suffisamment longtemps la profession et l’opinion pour que la nécessité de réformer le lycée et le bac soit progressivement contre toute engagement antérieur distillée sans que la dimension réactionnaire du projet ne soit éventée. On savait qu’on pouvait compter sur les médias et des plateaux télé complaisants : « que des amis » !

Jamais les scélérats contrats d’exclusivité numérique signés sous Najat Belkacem entre le Ministère de l’Education Nationale et Bill Gates ne furent ni évoqués ni remis en question5. Et c’est bien trente ans après que Lionel Jospin eût mis l’élève au « centre du système éducatif » en lieu et place des savoirs que serait désormais placé au centre le numérique. Tout un programme ! A cette fin, conditionnant l’irruption des GAFA6 et des compagnies d’assurance à l’affût sur le terrain de ce qu’il faudra bien désormais appeler le marché éducatif, il était nécessaire de faire sauter un certain nombre de verrous de l’école républicaine : la classe, le baccalauréat ainsi que l’ensemble des diplômes nationaux, la liberté de choix des études supérieures, et, last but not least, le livre lui-même. Exit la galaxie Gutenberg, les manuels, la liberté pédagogique et les bibliothèques, bienvenue aux manuels numériques, aux mallettes pédagogiques, à la cybersurveillance en temps réel, aux tablettes7 et à la pédagogie prédigérée! 25 ans après l’explosion du mammouth8, c’est donc désormais le bouquet final de la super novae dont le meilleur ministre du gouvernement Philippe-Macron allait allumer la mèche, résolvant d’un coup plusieurs problèmes extrêmement irritants : l’illettrisme de masse, l’échec scolaire, et l’insupportable accès à des filières supérieures coûteuses d’éléments non désirés, autant dire la quadrature du cercle. Le prodige allait se réaliser grâce à un algorithme, celui du Big brother de la rue de Grenelle appliqué au système d’affectation dans le supérieur baptisé ParcourSup selon le précepte qui guide notre Diafoirus de la révolution cybernétique et neuroscientifique bravant la pédagogie restée demeurée à l’âge de la roue à bras des blouses grises de la république : il n’y a pas de problème dont quelque algorithme n’ait la solution ! 

 

Un logiciel chargé de remettre chaque jeune à sa place

Mais le logiciel qui allait octroyer à chaque jeune la place qui lui sied se devait d’être accompagné d’une révolution des pratiques tous azimuts, ce non sans les fameux EDL, les éléments de langage, qui agrémentent toute réforme afin de la rendre présentable sur les plateaux télé, à défaut de la rendre supportable pendant une année scolaire promise, dès la classe de Première, à devenir un parcours du combattant, non seulement pour des élèves, désormais relégués d’office à la périphérie du système éducatif, mais pour les parents et pour le corps enseignant, bien entendu sclérosé. L’introduction des spécialités et du tronc commun, l’éclatement des classes et la disparition des filières préparant à des types d’études définies, scientifique, humaniste, économique, pour ce qui concerne le lycée général, allait permettre d’organiser le big bang des avantages acquis et des habitudes installées, pour permettre de transformer le lycée en un champ expérimental de test pour les nouvelles technologies, soumettre le corps enseignant à la fameuse stratégie du choc de Naomi Klein et, concernant les jeunes générations, fabriquer l’homme nouveau de la start up nation chère au président Macron. Leur cerveau se devait de devenir le théâtre de la plus formidable révolution depuis Galilée : désormais, ce ne serait plus l’intelligence artificielle qui graviterait autour de l’intelligence naturelle, mais, grâce aux tablettes Blanquer, le contraire.

Le clou viendrait des fameuses E3C, - Epreuves communes de contrôle continu - destinées à demeurer dans les secrets du fonctionnement interne du premier employeur de France, mais désormais sur le devant de la scène depuis que la fronde qu’elles suscitent occupe le devant de l’actualité. Ces épreuves de baccalauréat anticipées, dites de contrôle continu, devaient en effet donner lieu à numérisation, de manière à ce que l’administration centrale puisse en traiter les données, voire, dans les scénarios les plus fous, à en délocaliser la correction. A court terme, on peut s’attendre à une prolifération des officines privées préparant à ces fameux E3C, les sujets étant en effet soustraits à l’autonomie pédagogique de maîtres, (appelés à s’abaisser au rang de répétiteurs, ou à être remplacés,) et nécessairement tirés d’une banque de sujets accessible aux élèves et aux familles, car l’autre visage de la révolution blanquo-cybernétique de l’intelligence est celui du retour à la pédagogie du perroquet, sinon à celle, pavlovienne, de l’agriculture industrielle, où le bétail et les fruits doivent être calibrés et standardisés selon les normes du Gosplan de la rue de Grenelle : chacun devra saliver avant la becquée. On est là au cœur de ce dont Blanquer est le nom : l’ordolibéralisme9Ordo-, car on est dans un fantasme de contrôle permanent et de manipulation totale, où demain le ministre en appuyant sur un bouton pourrait baisser ou hausser toutes les notes à volonté, comme la réforme des retraites et pensions d’Edouard Philippe donnerait au gouvernement l’outil, moyennant un changement de la valeur du point, pour manipuler instantanément les retraites ; -libéral, en ce sens qu’à l’évidence on crée un système incompatible avec toutes les libertés publiques et tous les droits acquis, du baccalauréat, premier grade universitaire au statut des enseignants, sans compter qu’on voit bien comment le secteur privé va pouvoir tirer profit de la réforme : préparation aux E3C, traitement des données, corrections confiées par délégation de service public, etc. Quant au statut de cadre de l’enseignant, fondé sur son expertise académique, il sera vidé de tout contenu, vu que sa fonction aura été réduite à celle d’un simple agent, censé appliqué à la chaîne un process

 

Pour une mobilisation de masse pour défendre recherche, enseignement, culture, santé

Plus prompts à réagir que les personnels, que certains syndicats ont tenté d’alerter en 2018-2019 sur les dangers de la réforme, les lycéens ont réagi au quart de tour aux premières tentatives de mise en place des E3C pendant l’hiver 2019-2020. Sujets accessibles sur l’internet, conditions de composition déplorables, improvisation, manque de préparation : il était d’emblée évident que les conditions de l’égalité de traitement des candidats n’étaient pas remplies. C’est dans le contexte des grèves affectant lourdement le secteur des transports, au moment même où de nombreuses universités voyaient les étudiants se mobiliser de leur côté, qu’une fronde sans précédent en réalité vit le jour, et elle eut la particularité en de nombreux endroits, de voir élèves, parents et professeurs lutter coude à coude contre une facette de la réforme dont le caractère aberrent sautait aux yeux de tous. De nombreux établissements ont dû reporter les épreuves plusieurs fois, certains les ont purement et simplement annulées. Entretemps, donnant le coup de grâce, l’Inspection Générale de l’Education Nationale est venue à la rescousse, et sortant de sa réserve, a condamné sinon le principe, du moins les modalités des E3C, en un lointain écho de la condamnation de la réforme des retraites par le Conseil d’Etat. Le voile magique de la communication, dans lequel le ministre s’était habilement enrobé, est donc tombé. Le roi est nu, et à vrai dire, bien seul. D’autant plus que violant des siècles de tradition et de jurisprudence étendant au secondaire la franchise universitaire10, un Blanquer en mode panique a cru approprié de faire envoyer la police au sein même des établissements pour encadrer les E3C. Les images des forces l’ordre - qu’à juste titre, on n’appelle plus gardiens de la paix - armées, casquées et bottées, souvent même masquées, encadrant nos enfants dans leurs écoles, demeureront à jamais comme une image de l’infamie de ce gouvernement totalitaire à la solde des multinationales.

C’est l’ensemble de la population qui doit se dresser comme un seul homme face à ce qui apparaît désormais au grand jour comme la négation de toute humanité. Le fera-t-elle ? Le poids du fatalisme, du défaitisme, sans négliger le fait que contrairement à la situation en 1968, les intellectuels ont penché du côté du camp gouvernemental, peut en faire douter - pourtant, ça n’est qu’une question de temps et d’organisation, nulle fausse conscience ne pouvant subsister indéfiniment. Car il faudra bien que le combat du régime du capitalisme pourrissant contre les institutions de la société, qu’il s’agisse de l’assistance publique, de la recherche et de l’université, de la culture et de l’éducation soit sanctionné par une défaite finale.

 

Alfred Jarry*

* NDLR. L’auteur étant enseignant, et vu la période de répression actuelle, il a préféré choisir un pseudonyme, et a choisi ce dernier, sans doute pour caractériser les évolutions pataphysiciennes, la science des solutions imaginaires, de l’enseignement.

 

Notes :

1 Expression utilisée par le président Macron au Danemark le 29 août 2018 pour qualifier le peuple français en comparaison avec les Danois qualifiés de peuple luthérien dont il vantait le modèle de « flexisécurité ».

 

2 On ne parvient pas à trouver les chiffres, la bureaucratie qu’elle soit nationale ou internationale - l’OCDE notamment - préférant communiquer sur les taux d’encadrement moyens, c’est-à-dire le nombre d’élèves par classe - pourtant peu flatteurs pour la France. En effet, concernant le nombre de classes par professeur, seuls les professionnels mesurent la pertinence de ce critère, décisif pour la qualité du travail, avec le nombre total d’élèves par professeur, qui est une résultante des deux. D’autre part, les politiques de réduction d’horaires disciplinaires hebdomadaires, constantes depuis les réformes Haby et Jospin, mais accélérée depuis les réformes Fillon, Chatel et Blanquer, augmentent mécaniquement le nombre de classes par collègue, notamment dans les cours de langues, mais pas seulement, loin de là : un élève de Terminale C avait huit heures de mathématiques dans les années 80, quatre actuellement, hors spécialité, en Terminale S. Les programmes sont donc soit allégés, soit survolés, soit une combinaison des deux. Le nombre de devoir est insuffisant, ou la correction est bâclée, ou une combinaison des deux. A titre indicatif, un paquet de 35 copies en lycée sur un devoir type bac complet, cela peut représenter deux jours de travail, que le professeur ne peut trouver que pendant les congés scolaires, les week-ends, et en espaçant ces corrections fastidieuses, sans compter que cette charge de travail augmente au fur et à mesure de la dégradation de la maîtrise de la langue écrite par les élèves, et sans compter l’impact désastreux sur les emplois du temps de cette multiplication du nombre de classes.

 

3 En 2019, 23 460 présents aux épreuves d’admissibilité du CAPES pour 6 845 postes. Globalement le nombre d’inscriptions et de présence effective est en baisse, et dans certaines matières comme les mathématiques ou l’anglais, les jurys sont confrontés au dilemme de recruter à des niveaux académiques trop faibles ou de recruter moins que les besoins, ce à quoi un projet de réforme du concours est censé répondre en multipliant les épreuves non académiques au détriment des épreuves académiques, ce qui ne pourra que masquer le mal et transformer les nouvelles générations d’enseignants en techniciens chargés de mettre en œuvre des recettes en lieu et place des maîtres.

 

4 « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d'ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. » Dans Le 18 Brumaire, Marx interpolant la formule de Hegel, raille le coup d’Etat institutionnel du 2 décembre 1851.

5 En novembre 2015, la ministre Najat Belkacem et Alain Crozier, président de Microsoft France, signent sans appel d’offre un partenariat exclusif qui donne au géant de l’informatique américain aux logiciels opaques une emprise sans précédent sur une administration complète. (Cf. Brighelli, L’école vendue pas cher à Microsoft et Le Point du 29/01/2016) 

6 « [l]es géants du web ont toutes les chances de se positionner dans les prochaines années pour devenir de véritables opérateurs de l’éducation  […] ». L’émergence de ces nouveaux acteurs est une opportunité car ils offrent un environnement opportun pour acquérir des compétences en phase avec la stratégie du gouvernement, qui vise à intégrer le numérique dans l’enseignement et les pratiques pédagogiques. De plus, la présence de ces acteurs dans d’autres domaines fait en sorte qu’ils entretiennent déjà une relation de proximité avec les usagers, ce qui facilite leur adoption. Ils nourrissent aussi le discours en vertu duquel le numérique est essentiel pour préparer les étudiants aux défis de demain, ce qui permet à des acteurs comme Apple, de caser un discours projetant l’enseignant dans une classe plus ludique, interactive et moderne. » (Cité d’un billet rédigé par Amanda Belande et Maeva Ramanana-Rahary, étudiantes à l’ENS de Lyon, dans le cadre du cours Économie du document de 2017.)

 

7 En août 2018, J-M Blanquer déclarait qu’aujourd'hui, « l’approche est clairement différente », à l'Agence France-Presse : « Le but n'est pas d'arroser tout le pays de tablettes (...) Les enjeux sont d'abord et avant tout qualitatifs ». Les faits démentiront ces déclarations rassurantes, et en 2019, en pleines restrictions budgétaires, les établissements seront arrosés de tablettes et les conseils d’administration seront mis sous pression pour voter la numérisation des manuels - remplacer les manuels par des logiciels N.B. et équiper toutes les salles du wifi.

8 « Il y de cela plusieurs années, un individu extrêmement dangereux déclara que le mastodonte de l’Éducation nationale avait atteint une taille critique et qu’il fallait dégraisser le mammouth. Ce personnage pervers et fanatique s’appelait Claude Allègre. Il était ministre de l’Éducation nationale. — (Benoît RayskiY a-t-il trop de profs ? Oui et il faut dégraisser le mammouth ! sur www.atlantico.fr, 23 mai 2013)

9 Nous ne nous référons pas ici à l’ordolibéralisme historique de l’école de Freiburg de Wilhelm RöpkeAlfred Müller-Armack et Walter Eucken, mais au sens associé actuellement par plusieurs auteurs à ce terme et en fait assez différent de l’ordolibéralisme historique, qui visait à restaurer le libéralisme du XIXème siècle après la guerre et contre le planisme tant du bloc socialiste, du national-socialisme que du new-deal, tout en intégrant le souci exprimé dans le keynésianisme d’une prospérité bénéficiant à tous. L’ordolibéralisme 2.0 rompt tant avec le compromis de classe de l’Etat-Providence y compris dans ce qui restait de pratiques macro-économiques keynésiennes contra-cycliques qu’avec le néo-conservatisme ultra-libéral du thatchérisme : l’Etat abolit à son profit tant le paritarisme que de nombreuses libertés économiques au profit d’un autoritarisme mais non au profit des masses laborieuses mais des multinationales ou de champions nationaux entretenant avec les élites politiques et administratives des liens de consanguinité : le libéralisme est de façade, mais pas l’exploitation, si bien qu’on pourrait aussi parler de socialisme à l’envers. Dans le domaine scolaire, l’extension de l’obligation scolaire à la petite enfance, la multiplication des conseils de discipline et le recours à la répression policière, notamment à l’encontre des mobilisations de lycéens, la cybersurveillance, le contrôle tatillon des écoles hors contrat tandis que le privé sous contrat est encouragé ainsi que toutes sortes de délégations de service public sur le modèle chilien pourront être considérées comme des expression de l’ordolibéralisme 2.0, préfiguré sans doute par les politiques mises en place suite au coup d’Etat du 9 septembre 1973 à Santiago du Chili.

 

10 Remontant au XIIIe siècle, la franchise universitaire interdit aux forces de l’ordre de pénétrer dans les enceintes universitaires. Elle a été confirmée par un décret impérial de 1811 et étendue à l’enseignement secondaire. Au titre de l’article L712-2 du code de l’éducation, la police, sauf à se mettre dans l’illégalité, ne peut intervenir à l’université que sur requête du président ou dans le secondaire du recteur ou par réquisition du parquet, sauf en cas de flagrant délit

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8 mars 2020 7 08 /03 /mars /2020 17:19

On nous a habitué à des campagnes de peur qui alimentent les phobies, contribuent à détourner les sociétés des vrais problèmes qui se posent à la masse de la population et qui visent, par boucs émissaires interposés, à faire accepter l’ordre dominant, les Etats dominants et les classes dominantes. Pour arriver à cet objectif il suffit souvent de mentir par omission en s’appuyant sur les médias à destination des masses. Cigarettes électroniques, 5 G ou coronavirus sont témoins aujourd’hui de ce mélange de demi-vérités ou de faussetés combinées. ...Qui, indirectement, témoignent des succès de la Chine dans le domaine commercial, économique, politique, scientifique et technologique et de l’essouflement du modèle libéral ...et des méthodes de plus en plus perverses que ce dernier système mondialisé est obligé d’utiliser pour tenter de perpétuer autant que faire se peut sa domination décatie.

La Rédaction

 

 

Mises en quarantaine

-

printemps/hiver 2020

 

Badiaa Benjelloun

 

 

Un peu de vrai et beaucoup de faux.

 

Un grand battage médiatique avait été mené il y a quelques mois autour de la cigarette électronique quand fut relayée une épidémie de pneumopathies sévères. 1 300 cas avaient été recensés chez des vapoteurs aux Usa. Ni les liquides vendus dans le commerce ni le dispositif du vapotage ne sont en cause. A chaque fois que l’analyse a été possible, il a été retrouvé du cannabis dans les liquides achetés à la sauvette par les sujets atteints. L’inquiétude suscitée par les journaux a provoqué au moment où ils titraient en une sur l’épidémie étasunienne une chute de vente des produits de vape de 30% alors que les ventes des cigarettes ont connu une hausse de 7% environ.

 

Les fabricants de cigarettes avaient tout intérêt à nourrir la rumeur pour assurer la vente de leur drogue. L’addiction à la nicotine est une maladie chronique qui s’acquiert le plus souvent à l’adolescence au moment où le cerveau connaît une reconstruction de l’agencement neuronal. L’addiction s’installe par la multiplication de récepteurs à la nicotine. La nicotine consommée par le vapotage n’est pas une entrée dans la maladie et l’induction d’une dépendance est plus faible car ce mode de consommation délivre un taux de nicotine continu sans les pics de la cigarette qui favorisent l’addiction. De plus, ce mode exclue l’inhalation des toxiques, goudrons et additifs avec potentiels cancérigènes ou simplement ajoutés pour amplifier l’effet addictif. Il n’est donc pas nécessaire d’inventer un événement pour monter de façon presque incidente la ‘fausse nouvelle’ en faveur de groupes qui ont les moyens de ‘suggérer’ des articles de presse.

 

Les exemples abondent de ce type de couvertures de journaux qui exaltent un énoncé anxiogène et dissimulent des intérêts financiers qui peuvent tirer partie de données objectives et renforcer leur valeur « scientifique » par des interventions rémunérées de référents dans le domaine. Dans certains cas, les intéressés fournissent à la presse toute la matière de l’information amplifiée et déformée. L’épisode de la grippe aviaire de 2005 est de ce type. Un risque pandémique fut proclamé par la directrice du Département Maladies transmissibles de l’OMS. Margaret Chan avait alors surréagi, alors que les critères virologiques et épidémiologiques n’étaient pas en faveur d’une telle menace. Elle fut accusée d’avoir répondu aux souhaits de l’industrie pharmaceutique. Début 2006, 171 personnes (chiffre dérisoire pour une épidémie de dimension planétaire) avaient été reconnues infectées dans le monde depuis 2003 et 93 en étaient mortes.

 

La 5G, c’est mauvais pour la santé.

 

Dans un premier temps, des scientifiques ont lancé une alerte sur les dangers potentiels de la future architecture du réseau 5G. Une anticipation sur les effets nocifs d’ondes courtes millimétriques a mis en garde contre leur risque sur la santé : effets cancérigènes, altération du système génétique et de la reproduction, accroissement du stress oxydant et production accrue de radicaux libres. Des perturbations du système neurologique et des déficits de la mémoire ont également été évoqués.

 

Une étude coordonnée par le Centre National de Toxicologie, programme fédéral qui regroupe et évalue les travaux de plusieurs agences dédiées à la toxicologie, a été menée pendant dix ans sur les effets d’ondes électromagnétiques dispensées à des souris et des rats (corps entiers). Les résultats en ont été publiés début 2018. Ils concluent à l’absence de nocivité sur la reproduction et la survie des rongeurs exposés au champ des radiofréquences expérimentées. Paradoxalement, il a été noté des anomalies dans les populations de rats mâles et de souris femelles non exposées.

 

Cependant, des opposants à la 5G lancent des pétitions sur des bases peu fondées scientifiquement. Des scientifiques et des médecins ont proposé un moratoire commun sur la 5G. Des milliers de papiers et d’articles ont été produits à charge sur la nocivité de la 5G par des experts en radiations non ionisantes sans avoir pu faire surclasser le risque carcinogène des réseaux 4G et les futurs 5G de potentiel (non impossible) à probable. 

 

La 5G c’est l’universalité de la surveillance.

 

Dès lors que l’opinion sur la nocivité des ondes courtes de la technologie 5G n’a pas été adoptée unanimement, le discours sur son intrusion dans la vie privée a été développé en direction du grand public et des responsables politiques. Puisque la rupture technologique induite par cette innovation est le fruit de la recherche d’une entreprise chinoise, la surveillance des utilisateurs sera assurée pour le compte du gouvernement de la Chine populaire. Or la massivité des données échangées sur les réseaux mobiles et la multiplication de leurs utilisateurs ont saturé la 4G. La cinquième génération garantit une rapidité sans latence d’un flux de communications au moins dix fois plus élevées qu’actuellement. Huawei qui emploie près de 40 000 scientifiques l’a mise au point avec une avance de plusieurs années sur ses concurrents.

 

Pendant que l’on suppute sur une éventualité, ont été oubliées les révélations d’Edward Snowden en 2013 à propos de l’intrusion avérée des agences de renseignement étasuniennes dans les grands axes chinois de communication et du taux de réussite de pénétration à 75%. En 2013 encore, on apprenait que 35 chefs d’Etat étaient mis sur écoute téléphonique par la NSA. Le scandale de Cambridge Analytica qui a utilisé les données de dizaines de millions de comptes Facebook avec le consentement de la firme de Zuckenberg pour influencer les intentions de vote aux présidentielles étasuniennes en faveur de clients n’est pas si lointain. Enfin, plus récemment, la plus importante entreprise étasunienne spécialisée dans le courtage de données financières ne respecte pas leur anonymisation. L’exploitation des transactions effectuées par cartes bancaires permet de tracer qui achète quoi, quand et où.

 

Nancy Pelosi, Speaker à la Chambre des Représentants, opposante démocrate responsable de la rédaction du mémoire pour la destitution Trump a exprimé la même défiance que son adversaire à la Maison Blanche vis-à-vis de la 5G de Huawei lors de la conférence de Munich sur la sécurité, sans grande surprise. La mise en place d’une architecture 5G pour les communications va priver les USA de ses grandes oreilles. L’espionnage à vaste échelle des hommes politiques, y compris des nations alliées et des secrets industriels se trouvera privé de ses ressources.

 

Angela Merkel et Boris Johnson n’ont pas obtempéré aux injonctions dissuasives du grand allié protecteur étasunien, ils ont autorisé et continueront de le faire la construction du réseau 5G dans leurs pays respectifs. Interdite aux Usa, Huawei développe ses produits 5G dans plus de 170 pays en particulier en Afrique.

Couronnement.

 

L’avance technologique de la Chine en électronique et de la Russie dans l’armement est désormais impossible à ignorer par le monde entier. Elle met à mal le Pentagone dont la doctrine est d’empêcher par tout moyen une autre puissance d’être en position de rivaliser avec la domination économique, militaire et technologique des Usa.

 

La guerre commerciale ouverte déclarée par Trump à la Chine devait réduire le déficit des Usa dans ses échanges avec l’usine du monde. Il n’en a rien été, l’augmentation des taxes de certains produits importés n’a pas réduit l’excédent chinois qui s’est accru en 2018 de plus de 8%. Pour 2019, le déséquilibre a dû s’aggraver dans les mêmes proportions. Les mesures protectionnistes de Washington pénalisent des centaines de firmes étasuniennes importatrices de produits chinois qui se sont plaintes et ont adressé une lettre à l’administration Trump pour qu’elle cesse de frapper de tarifs douaniers exorbitants l’acier et l’aluminium dont elles ont besoin. En fin de course, le consommateur américain est pénalisé par une hausse des prix.

 

Les échanges mondiaux se sont ralentis en 2019 en partie en raison de cette politique

 

L’épidémie de COVID-19 due au coronavirus SARS-CoV-2 qui a pris naissance dans la province de Hubei est en train de réaliser un choc dans la chaîne de production industrielle aux Usa.

 

Le confinement des populations, la mise en quarantaine des malades suspects d’être porteurs a entraîné des effets très importants sur les principaux pays asiatiques, le Canada et les Usa du fait de la très forte intégration de la Chine dans l’économie mondiale. La dépendance des Usa pour la robotique grand public, l’électronique, les scanners optiques, des produits chimiques et pharmaceutiques d’usage courant est majeure. La Chine fournit au monde occidental des dispositifs médicaux et des médicaments comme l’aspirine, l’ibuprofen et le valsartan. Une contamination au cours du processus de fabrication par un dérivé à potentiel cancérigène du valsartan a été à l’origine d’une pénurie. A cette occasion, on a appris que génériqueurs et grands laboratoires le faisaient fabriquer en Chine.

 

Les chaînes d’assemblage chinoises des produits Apple ont été mises à l’arrêt ces dernières semaines et il semble que leur redémarrage sera plus long que prévu. L’action en bourse s’en ressent. Les indices du secteur technologique sont en recul en Europe comme au Japon et aux Usa. Le compartiment des matières premières est également pénalisé.

 

COVID-19

 

On connaît un peu mieux ce virus ARN à l’origine de pneumopathies parfois sévères mortelles.

 

Sa transmission est facilitée en raison d’un temps d’incubation qui peut aller jusqu’à 14 jours où l’infection est silencieuse mais la maladie transmissible. Il peut survivre en dehors d’un organisme vivant sur une surface sèche à température ambiante jusqu’à 5 à 9 jours. Chaque sujet atteint et non mis en quarantaine contamine entre 4,7 et 6,6 personnes.

 

Il pénètre les cellules en se liant à un récepteur ACE2 (pour Angiotensin converting enzyme 2) qui joue un rôle dans la bronchoconstriction au même site donc que le virus du SARS de 2002-2003. Ce récepteur est surexprimé chez les fumeurs. Or les Chinois sont de gros consommateurs de cigarettes. 68% des hommes fument au moins occasionnellement et 49% consomment en moyenne 22 cigarettes par jour et seulement 3% des femmes fument occasionnellement et 3% régulièrement. Le ration des hommes atteint par rapport aux femmes semble élucidé. Le récepteur ACE2 est davantage présent dans les cellules alvéolaires des sujets asiatiques (2,5%) versus les sujets africains ou caucasiens (0,47%), expliquant la le foyer épidémique en Asie.

 

L’évolution des critères admis pour définir la maladie, élargis, oblige les chercheurs à revoir à la baisse le taux de mortalité initialement estimé à 3% qui sera sans doute ramené à 2 %, voire 1%. Il est donc nettement moins létal que le SARS-CoV-1 de 2003 avec un taux de 13% chez les moins de 60 ans et 42% chez les plus de 60 ans, mais bien plus contagieux.

 

L’émergence des récentes épidémies virales transformées rapidement en pandémies est lié aux modifications du mode de vie, au bouleversement des biotopes avec urbanisation accélérée et flux humains décuplés. Des virus jusque là cantonnés à un réservoir animal s’adaptent à d’autres hôtes à la faveur de mutations qui surviennent lors de perturbations d’écosystèmes. Dans un contexte de véritable guerre commerciale, si le SARS-Cov-2 devait être un produit de laboratoire, il aurait pu avoir été disséminé depuis un laboratoire étasunien situé sur le sol des Usa ou de l’un des centaine de laboratoires installés dans différents pays du monde. Le chapitre du PNAC, Project for the New American Century, consacré à la reconstruction de la défense américaine, annonce un programme d’arme biologique ciblant un génotype humain particulier.

 

Le patient 0 n’est toujours pas connu. Les chercheurs chinois assurent désormais que le virus n’a pas émergé dans le marché de Wuhan qui n’aurait été qu’un vecteur de dissémination. Le Covid-19 serait-il un produit de laboratoire ? Mais alors lequel ?

 

Couronnement de la crise des crédits.

 

Dans l’équation complexe qui lie les économies chinoise et étasunienne figure en arrière-plan les bons du Trésor US détenus par Pékin. En 2019, la Chine a été vendeur net. La vitesse de ses cessions conditionne la possibilité d’une remontée des taux d’intérêts étasuniens avec le risque d’évènements en cascade tant l’Etat fédéral, les entreprises et les ménages sont endettés. La menace jamais proférée d’une vente massive permet de maintenir le yen à un taux favorable aux exportations chinoises.

 

Les investissements dans les infrastructures de la Route et Ceinture de la Soie constituent une orientation alternative des excédents commerciaux chinois.

 

Le PIB chinois s’est accru de 5,9% en 2019 d’après les chiffres du FMI ce qui au regard des taux des années du début du rattrapage est faible mais comparée à la croissance mondiale (moins de 3%) reste vigoureux. Les dirigeants chinois n’ont pas attendu les tensions avec les Usa pour orienter l'économie vers la consommation intérieure. Le faible niveau de chômage et la progression des revenus disponibles (malgré des disparités régionales et entre catégories sociales) soutiennent la consommation avec un léger tassement, l’épargne est favorisée dans les couches à revenu les plus faibles en l’absence de dépenses suffisantes de l’Etat dans le secteur de la Sécurité sociale dans une population vieillissante.

 

On ignore encore quand surviendra le pic de l’épidémie en Chine, peut-être a-t-il été déjà atteint. Assurément, le PIB chinois connaîtra une contraction sévère au premier trimestre 2020, ce qui affectera directement et indirectement la croissance mondiale.

 

L’économie des Usa, un enchevêtrement de dettes, évolue dans un équilibre métastable. Va-t-elle résister à l’étranglement qu’elle subit par l’arrêt brutal de l’importation des intrants chinois nécessaires à sa production manufacturière ? Le fabricant de téléphones mobiles Apple était passé en 4ème position mondiale dès septembre 2019 derrière Samsung, Huawei et Oppo. Les chaînes d’assemblage chinoises des produits Apple ont été mises à l’arrêt ces dernières semaines et il semble que leur redémarrage sera plus long que prévu. L’action en bourse s’en ressent. Le redressement prévu pour le premier trimestre n’aura pas lieu, faute de composants. Les indices du secteur technologique sont en recul en Europe comme au Japon et aux Usa. Le compartiment des matières premières est également pénalisé, les compagnies aériennes, le secteur touristique et les industries de luxe sont déjà pénalisées.

 

Que vont devenir les autres champions de la capitalisation boursière ? Les profits d’Amazon se réduisent alors qu’il continue de gonfler en éliminant la concurrence, de multiplier les entrepôts pour vendre essentiellement des produits fabriqués dans l’usine du monde. Une enquête de la Federal Trade Commission a été ouverte sur la position monopolistique et anti-concurrentielle de Google etFacebook qui connaissent tout des utilisateurs de leurs plateformes et en tirent grand profit. L’essentiel de leurs revenus provient de la publicité en ligne. Huawei a mis au point un nouveau système d’exploitation HarmonyOS qui détrônera Android, un dérivé de Linux racheté par Google, disséminé dans la majorité des téléphones mobiles et les tablettes.

 

Ne peut pas mener une politique protectionniste qui veut. L’épidémie du Covid-19 n’est pas jugulable par l’impression de papier monnaie émis par les Banques centrales et une économie ne se mesure pas au cours des actions d’entreprises cotées en bourse. Une correction magistrale risque d’être portée l’inflation arrogante des marchés boursiers.

 

Le nombre de décès remonte à 2000 à la date du 22 février pour près de trois mois d’épidémie du Covid-19 dans l’immense Chine, à mettre en rapport avec les 1100 décès par la grippe en France pour l’hiver 2018-2019 et les 4 000 morts pour l’hiver précédent. Les accidents de la voie publique ont tué 3248 personnes pour l’année 2018. La gravité de l’épidémie actuelle est peut-être surestimée. L’impact sur les économies, en particulier occidentales, des mises en quarantaine, lui, est réel et surtout son retentissement à terme sur l’équilibre des puissances encore indécidable même s’il est permis de s’en faire une petite idée.

 

Badia Benjelloun

 

23 février 2019

Notes :

 

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0091743518303864

 

https://www.sciencesetavenir.fr/sante/h5n1-le-nombre-des-victimes-humaines-atteint-la-centaine_3549

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Virus_de_la_grippe_A_(H5N1)

 

https://www.europeanscientist.com/fr/recherche/que-nous-revele-letude-du-national-toxicology-program-sur-les-champs-radiofrequences/

 

https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/09/24/5g-appeal-pourquoi-cette-petition-sur-les-ondes-et-la-sante-est-exagerement-alarmiste_6012853_4355770.html

 

https://www.cyberacteurs.org/cyberactions/commentaires.php?id=2990

 

https://blogs.scientificamerican.com/observations/we-have-no-reason-to-believe-5g-is-safe/

 

https://blog.ariase.com/mobile/dossiers/5g-reseau-mobile-technologies?_ga=2.124367370.1495686459.1580115553-569871326.1547472150

 

https://www.nextinpact.com/news/80526-prism-snowden-revele-que-nsa-sest-introduite-dans-routeurs-chinois.htm

 

https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/videos-nsa-35-chefs-d-etat-places-sur-ecoute-par-les-etats-unis-dont-angela-merkel_1294071.html

 

https://www.rt.com/news/480907-us-lawmakers-munich-huawei/

 

https://lanouvelletribune.info/2020/02/huawei-critique-en-occident-le-groupe-avance-ses-pions-en-afrique/

 

https://www.nytimes.com/2018/03/17/us/politics/cambridge-analytica-trump-campaign.html

 

https://www.vice.com/en_us/article/jged4x/envestnet-yodlee-credit-card-bank-data-not-anonymous

 

https://www.usinenouvelle.com/article/les-actions-reculent-apple-souffre-du-coronavirus.N931144

 

https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.02.07.20021154v1.full.pdf

 

https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2020.01.26.919985v1.full

 

https://www.em-consulte.com/rmr/article/144382

https://cryptome.org/rad.htm#V

 

https://www.commondreams.org/views/2003/09/10/genetically-modified-bomb

 

https://www.zerohedge.com/health/chinese-scientists-find-coronavirus-did-not-originate-wuhan-seafood-market

 

https://www.ft.com/content/0933cdfa-7766-11e9-be7d-6d846537acab

 

https://www.businessinsider.fr/apple-nest-plus-le-3e-fabricant-de-smartphones-au-monde-suite-a-la-chute-record-des-ventes-diphone/

 

https://korii.slate.fr/biz/amazon-cours-action-bourse-wall-street-jeff-bezos-investissements-livraison-un-jour

 

https://www.strategies.fr/actualites/medias/4030053W/les-gafa-degringolent-en-bourse-a-cause-de-plusieurs-enquetes.html

 

https://www.01net.com/actualites/huawei-devoile-harmonyos-un-systeme-d-exploitation-universel-pour-remplacer-android-1745487.html

 

https://www.zerohedge.com/markets/futures-plunge-gold-soars-covid-19-contagion-craters-complacency

 

http://www.francesoir.fr/lifestyle-vie-quotidienne/grippe-combien-de-mort-en-france-en-2019

 

https://www.preventionroutiere.asso.fr/2019/12/22/statistiques-daccidents/

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6 mars 2020 5 06 /03 /mars /2020 20:18

L’exacerbation du conflit en Syrie suite à l’intervention de la Turquie pour empêcher l’armée syrienne de reprendre la dernière poche du territoire national encore aux mains des groupes takfiristes bénéficiant de la protection d’Ankara a fait oublier l’exacerbation en cours du conflit en Libye et le rôle que tente d’y jouer Ankara. Derrière les inteventions turques dans différents pays arabes il y a certes la volonté d’Erdogan s’affirmer comme puissant dirigeant régional mais aussi celle d’accéder à tous les champs de gaz ou de pétrole possible sous terre ou sous la mer, en particulier à un moment où l’économie turque rencontre quelques difficultés.

La politique ambiguë des puissances européennes et de l’OTAN apparaît dans ce contexte toujours aussi trouble que ce soit dans le traitement des conflits syrien, yéménite ou libyen, à un moment où l’Irak manifeste ses désirs d’indépendance et que l’Iran s’affirme envers et contre tout comme puissance régionale. Et alors que les diplomaties syrienne et algérienne reprennent du poil de la bête. Dans ce contexte, le président Erdogan qui est menacé d’isolement suite aux déboires successifs consécutifs aux conséquences d’un « printemps arabe » désormais bien fané semble vouloir jouer auprès des Européens autant la carte de la peur des réfugiés qu’il pourrait envoyer sur le vieux continent, que celle du contrepoids qu’il pourrait jouer face aux puissances émergentes d’Eurasie qu’il cherche par ailleurs à amadouer. D’où la nécessité d’examiner toutes les évolutions en cours, et en particulier celles qui se déroule en ce moment en Libye où, entre les deux pôles de pouvoir assis sur de nombreux seigneurs de la guerre plus ou moins contrôlés, on ne doit pas oublier le rôle des tribus libyennes et en particulier celui que joue parmi elles Seif el Islam Kadhafi, le fils de l’ancien guide libyen assassiné par les supplétifs de l’OTAN en 20111.

La Rédaction

 

 

Libye : la menace terroriste

-

Mars 2020

 

Mateusz Piskorski*

 

La préparation de la Turquie à un nouveau cycle de confrontation en Libye n'est pas de bon augure non seulement pour ce pays, mais aussi pour l'Europe. Tout d'abord, cela promet de nouveaux flux de réfugiés arrivant par la mer Méditerranée. Deuxièmement, et contrairement à ce qui se passe en Syrie, les islamistes transférés par la Turquie en Libye se trouvent à portée directe de l'Europe - à quelques centaines de kilomètres seulement des côtes italiennes.

 

L'armée nationale libyenne a accusé à plusieurs reprises la Turquie de transporter des combattants d'Al-Qaida en Libye. Pour sa part, la milice de Nawasi, qui ne fait pas partie du gouvernement de Tripoli, a récemment annoncé que les « rebelles » syriens transférés par la Turquie en Libye sont membres de DAESH2.

 

Les médias soudanais ont également publié récemment des informations selon lesquelles, au cours des dernières années de la présidence d'Omar Bashir, les services de renseignements soudanais ont formé des combattants d'Al-Qaïda pour le compte du gouvernement de Sarraj, dans le cadre de la guerre en Libye3.

 

L'implication d'Abdel Hakim Belhadj, ancien chef du groupe de combat libyen associé à Al-Qaida et résidant actuellement en Turquie, dans le transfert de combattants de la Syrie vers la Libye est également révélatrice car cela montre les liens entre les terroristes et certaines parties du gouvernement de Sarraj4.

 

On peut donc affirmer que la Turquie est en train de créer un groupe d'islamistes militants bien équipés (jusqu'aux chars et à l'artillerie lourde) qui constituent une menace directe pour la securité européenne. Jusqu'à présent, la Turquie avait agit avec l'aide tacite des dirigeants européens qui préfèrent reconnaître internationalement le gouvernement de Sarraj.

 

Selon le Financial Times, la Turquie a fourni des systèmes de défense aérienne américains "Hawk" au gouvernement el-Sarraj pour couvrir le territoire contrôlé par le gouvernement, de Zawiya, à l'ouest de Tripoli, à Misrata, à l'est de la capitale.

 

Alors que l'année dernière, on a surtout principalement parlé des drones turcs Bayraktar TB2, des armes légères et des véhicules blindés fournis à la Libye, maintenant il s’agit surtout d’armes lourdes, y compris de lance-roquettes multiples, des SAU et des chars. Le MLRS Kasirga de 300 mm est le MLRS le plus puissant et ayant la plus longue portée de l'armée turque. Le char Leopard 1T est le principal char de combat de fabrication allemande qui est en service en Turquie. 

 

Le T-155 Firtina est le SAU à plus longue portée en service dans l'armée turque (il touche des cibles à des distances allant jusqu'à 40 km). Ces SAU ont récemment été repérés dans les rues de Libye5.

 

Resserrement de la rhétorique

 

La nature et l'ampleur des transferts d'armes turques démontrent clairement les préparatifs d'une offensive majeure des combattants du gouvernement el-Sarraj à Tripoli contre les positions de l'armée nationale libyenne. Ces armes seront utilisées pour pirater la défense de l'ennemi. 

 

Ce faisant, les civils de Tripoli, Misrata et d'autres villes sous contrôle du gouvernement el-Sarraj seront mis en danger. La ligne de front en Libye est maintenant telle que les positions de la l'armée nationale libyenne seront étirées depuis des zones densément peuplées. En provoquant la riposte de l'armée nationale libyenne, l'armée turque et ses alliés causeront de nombreuses victimes civiles.

 

L'hypothèse d'une attaque imminente est également soutenue par certaines déclarations des dirigeants du gouvernement el-Sarraj. Ainsi, le 18 février, le gouvernement el-Sarraj basé à Tripoli s'est retiré des négociations des représentants militaires des parties en conflit à Genève au format "5x5" sous prétexte de la violation du cessez-le-feu qui aurait été commise par la l'armée nationale libyenne. L’armée nationale libyenne a alors rapporté qu'elle avait attaqué un navire turc dans le port de la capitale et qu’il transportait illégalement des armes. Dans le même temps, selon les représentants de l'armée nationale libyenne, ils ont subi une réaction de la part de leur adversaire. Plus tard, le 24 février, les autorités libyennes (le chef du Conseil suprême d'État de Libye, Khaled Mishri) ont demandé la suspension des négociations politiques à Genève6.

 

Selon l'opinion exprimée par les opposants au gouvernement el-Sarraj, le gouvernement de Tripoli retarde délibérément le processus de négociation. Il s'attend à ce que les armes et les militants turcs soient réapprovisionnés pour lancer une offensive dans un avenir proche, ce qui devrait déclencher un nouveau cycle de combats7.

 

Les provocations constantes des militants du gouvernement el-Sarraj qui obligent l'armée nationale libyenne à lancer des contre-attaques ponctuelles, démontrent également la volonté du gouvernement el-Sarraj d'intensifier le conflit.

 

Le resserrement de la rhétorique turque est également révélateur. Le 25 janvier, le président turc Recep Erdogan a reconnu la mort de deux soldats turcs en Libye, les désignant sous le vocable de shahid, de martyrs. Auparavant, Erdogan avait sévèrement critiqué l'intention des pays de l'UE d'organiser une mission militaire pour mettre fin à la contrebande d'armes vers la Libye. Dans le même temps, il a déclaré qu'il soutenait le retrait des représentants du gouvernement el-Sarraj des pourparlers de paix à Genève. Selon M. Erdogan, la Turquie continuera à soutenir le gouvernement de Tripoli pour "établir sa domination" sur l'ensemble du territoire du pays8.

 

* Politologue polonais connu pour ses analyses et des prises de position critiques envers l’OTAN. Il a visité la Libye au cours du conflit de 2011. Il a été libéré au printemps 2019 après avoir passé trois ans de prison « préventive » en Pologne sous l’accusation de liens avec les services secrets russes, chinois et iraniens. Accusations qui n’ont jamais reçu un début de preuve ce qui a expliqué la dénonciation des autorités polonaises par le Comité des Nations Unies sur les arrestations arbitraires. Aujourd’hui, interdit de quitter le territoire polonais et de fait interdit à l’embauche dans l’enseignement et la recherche il tente de poursuivre des activités autonomes de recherches et de journalisme.

 

Notes : 

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19 février 2020 3 19 /02 /février /2020 12:18

L’évolution du capitalisme mondialisé a étendu à la planète entière le processus de baisse tendancielle des taux de profits ce qui génère désormais une crise globale du système qui est poussé vers la fuite en avant dans des guerres sans fin, des opérations de fragmentations et de contrôle des sociétés avec l’instauration de ce que l’auteur ci-joint a décrit dans ses nombreux travaux comme « le fascisme digital » qui menace toute l’humanité. Face à cela, l’école cybernéticienne soviétique dont elle est le produit a développé et continue à travailler en Russie sur le développement d’un modèle de planification digitale démocratisé. Ce modèle avait été refusé par la bureaucratie centrale soviétique à l’époque du socialisme réel car cela aurait menacé ses positions de pouvoir. D’où la fuite de cette bureaucratie vers l’embourgeoisement et le capitalisme, et le démantèlement du socialisme. Mais le travail se poursuit dans certaines universités d’ex-URSS sur l’élaboration d’un modèle économique démocratique et scientifique devant permettre à l’humanité de dépasser le stade capitaliste actuel incapable d’assurer son épanouissement.

La Rédaction

 

The need for cybernetic economic planning and democracy for the survival of developing countries1

-

Février 2020

 

Elena Veduta*

 

The main points of the Davos Forum 2020 come down to the fact that the world is in a fog of geopolitical and geo-economic uncertainty. 

 

Globalization, led after the Cold War by international economic institutions, has strengthened the economic interdependence of states. However, low GDP growth rates force some states to consider international institutions as obstacles, and not as tools to advance their interests. In addition, global coordination in the form of trade has become a high risk for the world community and, above all, because of the risk of separation of the United States and China. Creating a global Artificial intelligence takes time. Therefore, it was noted at the Davos Forum that in the face of impending turbulence in the global economy, which is intensifying due to the risk of trade and technological rivalry between the United States and China, which account for 40% of global GDP, the relevance of national sovereignty is increasing. It was stated that in the emerging new polycentric world, in which it is impossible to predict who will be the winner and the loser, the decisive role in the competition of states will belong to artificial intelligence (AI). 

 

The material carrier of artificial intelligence is a computer. The goals of AI algorithms of its functioning are determined by the interests of the dominant social strata and knowledge. 

The experience of living from the buy-sell margin obtained from trading in goods and money has been developing since ancient times. Starting from the 16th century, the historical practice of capitalism testifies to the cyclical nature of its economic policy. In a multipolar world where states compete with each other, mercantilism is used with the introduction of customs barriers. As a rule, mercantilism ends with the transition of trade wars to military action. This is the war of Napoleon, and then the First and Second World Wars. After the war, all countries, following liberalism, trade according to the rules of the new international monetary system created by Monetary Financial Institutions (MFIs). Thus, the capitalist strategy of centralizing world capital in the hands of MFIs is implemented through the cyclical nature of the economic policy “mercantilism-war-liberalism-mercantilism ...” in which world wars, providing a violent way out of the global crisis, are becoming more destructive for humanity. At the same time, the technological and social inequalities of developed countries, where MFIs are mainly based, and those of developing countries, are increasing. Today, given the nuclear potential of different countries, MFIs are trying to avoid a direct military conflict with them, and are pinning their hopes on strengthening their power by creating a global digital people management based on the use of artificial intelligence. 

 

In order for AI to serve to increase the efficiency of economic management, its software should be based on a cybernetic model of economic planning in the direction of the growth of the public good, which ensures the coordination of orders of end consumers taking into account the capabilities of manufacturers. The construction of such a model depends on the knowledge of economic cybernetics - the science of managing information processes in the economy. However, the Western “thought factories” that serve to strengthen the power of MFIs are characterized by a complete lack of ideas for overcoming the global crisis. The digitalization of the economy is based on the familiar “buy-sell” ideology and total control over people with the manipulation of consciousness. 

 

Digitizing chaos with the help of “Big data” - an unsystematic flow of information using predictive econometric models, it is naively believed that AI will be created by trial and error or “inventing”, which can lead the economy from imbalance to equilibrium, to a new era of globalization. On the other hand, realizing that there will be many dissatisfied with worsening lives and rising unemployment due to the introduction of robots, MFIs are trying to solve these problems by promoting the creation of AI for tracking people, recognizing people, etc ... It got to the point that the goal of developing this AI is to manage people based on DNA. 

 

The pioneers in establishing digital people management are China and India. Such use of digital technologies to suppress dissent and protests means recognition of the inefficiency of managing the state’s economy and the inevitability of further immersion of these countries in crisis. It is significant that sellers of such technologies (Israel, Italy, USA, etc.), not always living in such digital countries, sell espionage and information gathering software worldwide, including Angola, Bahrain, Kazakhstan, Mozambique, Nicaragua and Saudi Arabia. If developing country governments are not interested in building production chains for the growth of the public good, then ultimately their people will be embedded in the “non-dormant” global AI as second-class people serving the global digital leadership of the West and enriching MFIs for. 

 

However, the Western “thought factories” that serve to strengthen the power of MFIs are characterized by a complete lack of ideas for overcoming the global crisis. The digitalization of the economy is based on the familiar “buy-sell” ideology and total control over people with the manipulation of consciousness. 

 

At the same time, Western countries are striving to create an AI that will comply with the principles of democracy, ensuring the right balance between security and respect for privacy and human rights. If you follow the principles of democracy, you need digital economic planning to improve people's lives. And here the West, striving to preserve the right of its people to comprehend life, create, and, most importantly, engage in science to improve the lives of the masses during the creation of AI, can get a strategic advantage over developing countries. Universal voting in elections is good, but practice shows that it is not a sufficient attribute of democracy, because until the moment of voting, the consciousness of the masses is often manipulated and those who later come to power do not fulfill election promises. Therefore, questions arise to the principles of the formation of representative bodies. 

 

In the USSR, representatives of the labor collective participated in the work of the soviets on the job. And this was correct, since the deputy must remain with the team that nominated him in order to reliably reflect his aspirations. Moreover, remaining at his workplace, the deputy has the opportunity to grow professionally. To this, in my opinion, one should add the establishment by the parliament of the dynamics of the government’s salary depending on the growth of social labor productivity and the easy recall of the deputy who has lost the confidence of voters. In summary, democracy is an economy that ensures the growth of the public good, responsible freedom of speech and elections to bodies of representative power, whose activities are controlled from below by labor collectives, in the interests of the people. 

 

Former USSR and the challenge of creating a new and democratic scientifically planned economy

Today, an economic cyber system, as an alternative AI that ensures the growth of the public good, can be created only by Russia together with other countries - former republics of the USSR, striving for national sovereignty. This is due to the fact that these countries have unique experience in managing the economy, based on live input-output planning, which takes into account feedback, and knowledge of economic cybernetics, generalizing their experience to improve planning. 

 

The USSR, which chose the course of industrialization at the end of the 20s of the last century, created a fundamentally new management mechanism based on living economic planning. It was a process of iteratively coordinating planned “input- output” calculations of different management levels to ensure priority development of key industries. Thanks to the created mobilization model, the USSR was able to quickly rebuild the economy on a war footing and win the Second World War, quickly restore its economy and achieve military parity with the United States by the middle of the 20th century. A new era of competition between two superpowers, the USSR and the USA, began, personifying the confrontation of alternative strategies for constructing the future: in the direction of key industry priorities, and the strategy of redistributing the generated income of assets in favor of MFIs. 

 

Even then, in the 50s, a reorientation of the development of the Soviet economy to the growth of the public good was required. In addition, in the context of the growth of social production and the complexity of already then, in the 1950s, in addition, with the growth of social production and the complexity of production relationships, the calculation of the plan became more and more laborious. A new planning model should be presented in the form of a system of mathematical algorithms for using the latest advances in computer technology. The organization of information flows in accordance with the requirements of the model and the calculations based on it of the effective distribution of production investments would mean the creation of AI for the effective management of the economy, which would have ensure the USSR’s gain in the Cold War, and today the world would be completely different.

 

However, due to the lack of planning experience, which was then only a little over 20 years old, economic knowledge to automate the management of the economy and democratic principles of leadership in the country, voluntarism began to develop, which destroyed the USSR. 

 

The authorities perceived economic cybernetics as invading their right to rule the state. If then technical cybernetics received state support, then the status of economic cybernetics as a state doctrine was blocked in the mid-20th century by the vicious doctrine of commodity production under socialism, according to which profit became the criterion for managing enterprises. Despite this, the Soviet cybernetics scientist Nikolai Veduta developed a dynamic model of intersectoral balance, presented in the form of a system of algorithms for coordinating planned input-output calculations, taking into account feedback, and including a control parameter - production investment. 

 

The subsequent voluntarist reforms aimed at increasing the financial resources remaining at the disposal of enterprises, ministries and republics intensified the chaos in management and, ultimately, led to the collapse of the USSR and the State Planning Commission in 1991, and the handover of the country's economy to global financial management, which turned us into a raw materials appendage. Today, Russia, like all developing countries, faces a much more sinister threat - to submit to the emerging global digital governance, using a “non-dormant” AI with the destruction of its history.

 

The problems of the former USSR in creating AI for economic planning have already become problems of global governance, which have neither the experience of living planning of the USSR, nor the knowledge of economic cybernetics. Today it is very difficult to restore the manageability of the economy. Supercomputers, new information technologies have been created, but there is no economic knowledge for cybernetic planning (automation) of the economy. MFIs and the bureaucracy have done everything to teach economic theories in universities that replace economic science. It has become convenient for bureaucracies to introduce digital technologies in the service sector in order to separate themselves from people through robots. Digitalization of chaos only dooms the world to the loss of rapidly decreasing time with the subsequent « end of history ». Why waste time on digitalizing human behavior when an economic disaster is coming? And everything will fly to tartarars, with all the monitoring and controllers ... Is it not time for MFIs to seriously manage the economy so as not to miss the time when it will be too late for and for them? 

 

However, there is a huge positive, at least in former Soviet countries. The public self-consciousness of people wishing «  to return to the USSR » with the understanding that a bright future can be built has ripened. It is impossible to return to the USSR, but to return to solving problems that arose as far back as the 1950s - to creating cybernetic economic planning and triumphing the principles of democracy is not only possible, but vital for it. And here, political will alone is not enough. It requires economic knowledge that is stored and developed only in the countries-former republics of the USSR. I am sure that a healthy survival instinct will help our state to realize a new path for the benefit of humankind. This is the historical mission of the Community of independent states-former republics of the USSR.

 

* Professeur d’économie, cybernéticienne, Université Lomonosov, Moscou, Russie.

1Intervention faite lors de la conférence : « La montée de l’Asie en histoire et perspectives globales – 65 ans après Bandung quelle rupture et quelle continuité dans l’Ordre global ? », tenue à L’Université de Paris-Panthéon Sorbonne et à l’Université du Havre Normandie, les 11-14février 2020.

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26 janvier 2020 7 26 /01 /janvier /2020 20:21

Alors que la vague néolibérale et néoconservatrice des dernières décennies a contribué à faire disparaître les vieilles formes de luttes sociales opposant le collectivisme des bourgeois privilégiés et actionnaires face à l’armée industrielle, tous les observateurs constatent que l’on assiste à un surprenant retour de la lutte des classes. Mais si celle-ci se généralise par des manifestations de masse à l’échelle de toute la planète « globalisée », elle se déroule le plus souvent selon des schémas inédits qu’il est désormais nécessaire d’analyser et de théoriser. Et les événements en cours en France depuis plus d’un an et qui ont abouti à la plus longue grève de l’histoire des dernières décennies constituent un excellent terrain d’observation.

Car ces nouvelles formes de luttes fonapparaître la capacité d’adaptation et d’inventivité du nouveau prolétariat atomisé et précarisé qui a démontré que puisqu’il n’est plus toujours en état de se lancer dans des formes d’affrontements durs et relativement brefs, il doit envisager d’autres formes de lutte, plus étalées et contribuant dans la durée à effriter le bloc jusque là bien bétonné d’un pouvoir déconnecté de la vie réelle et des processus de production réels, et doncenfermé dans ses certitudes et son arrogance.

La Rédaction

 

Mouvement de masse en France :

du choc frontal à la guérilla

populaire prolongée

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Janvier 2020

 

Bruno Drweski

 

Coupure de courant touchant une dizaine de communes autour de l’aéroport d’Orly, procès de l'incendie de la préfecture du Puy-en-Velay par des Gilets jaunes renvoyé au terme d’une audience spectaculaire, fermeture du Musée du Louvre devant une masse de touristes, concerts de colère successifs présentés en plein air par l’Opéra de Paris et la Comédie française, chant révolutionnaire et patriotique italien entonné par les grévistes de l’orchestre de Radio France pour empêcher sa directrice de prononcer ses vœux de Bonne Année au personnel, intrusion pacifique mais tonitruante, et par deux fois, de grévistes au siège du « syndicat d’accompagnement » Confédération française démocratique du travail (CFDT)1, d’abord par des militants grévistes de base, dont un délégué du Syndicat Solidaire, Unitaire, Démocratique (SUD), puis, entre autre dans le but de désavouer le communiqué de la direction de la Confédération générale du travail (CGT) critiquant cette action, c’est au tour de militants de base de la CGT de couper le courant et d’entrer dans les locaux de la CFDT, députés du parti du pouvoir et ministres chahutés à l’occasion de leurs cérémonies de vœux, Emmanuel Macron et son épouse forcés de quitter sous les huées la représentation théâtrale à laquelle ils voulaient assister. Ça et de nombreux autres événements baptisés par les médias du régime, publics ou privés, « actions coups de poing » témoignent bien sûr d’une colère qui se radicalise, après plus d’un an de manifestations incessantes et de répressions brutales face à un pouvoir sourd et immobile dans ses choix antisociaux. Après les années de répressions dans les banlieues, après les interdictions des manifestations pour Gaza, après les répressions successives des manifestations du 1er mai, après le refus d’entendre les protestations des manifestants des « nuits debout », des opposants à la loi travail El Khomri et celles des cheminots grévistes de la SNCF, Macron a hérité de ses prédécesseurs d’un « capital de colère » qu’il n’a fait qu’augmenter par la répression du mouvement des Gilets jaunes, de celui des lycéens puis des manifestants du dernier 1er mai et enfin des grévistes et manifestants depuis le 5 décembre 2019.

Mais au-delà de cette radicalisation fort compréhensible car elle n’est que réactive d’abord face à la violence de situation exercée sur la société par le régime dominant puis face à celle des forces de répression2, on doit constater que l’on a vu émerger en France, comme d’ailleurs dans d’autres pays, des formes de lutte nouvelles annonçant sans doute une évolution de la lutte des classes, dont plus personne ne peut désormais nier la résurgence dans de très nombreux pays. Toutefois cette résurgence s’opère dans un contexte différent et avec des méthodes différentes que celles connues depuis la naissance du mouvement ouvrier, dans sa version révolutionnaire comme dans sa version réformiste.

 

Le pouvoir ne peut pas reculer

Si radicalisation sociale il y a et si les formes de lutte, sans atteindre le degré de réactions violentes à la violence du pouvoir et du patronat de la première période du mouvement ouvrier, deviennent plus fermes que ce que l’on a grosso modoconnu depuis la dernière période des « trente glorieuses » puis celle du reflux des mouvements de gauche sociale et syndicale, c’est parce que le pouvoir ne recule pas. Et s’il ne recule pas, ce n’est pas seulement parce qu’on a affaire à des dirigeants bornés, incultes ou têtus, mais aussi et même surtout parce que les pouvoirs nulle part dans les « démocraties » capitalistes, présidentielles, néolibérales et néoconservatrices ne peuvent plus reculer. Macron ne peut pas reculer sur les retraites, sur le RIC3, sur les minima sociaux, sur les « réformes » destructrices du système de santé, des chemins de fer, de la poste, comme il ne peut pas reprendre le contrôle des évasions fiscales et ne peut éviter d’engager l’argent du contribuable dans des opérations guerrières impérialistes et sans fin en Afrique, en Syrie, en Irak, en Afghanistan ou ailleurs. L’Union européenne a d’ailleurs été créée entre autre pour empêcher tout recul de la part des pouvoirs nationaux désormais placés sous contrôle des réseaux banquiers internationaux, des grosses entreprises supranationales, des gros réseaux d’actionnaires mondialisés, des cercles d’influence, Bilderberg, OCDE, fondations, etc. et de leur gendarme mondial Pentagone-OTAN. Donc la marge de manœuvre d’un de Gaulle pouvant demander à Pompidou de négocier les accords de Grenelle en juin 1968 n’existe plus. Elle n’existe plus pour les raisons formelles qui viennent d’être résumées, mais elle n’existe plus parce que le système mondialisé ne jouit plus des réserves qu’il avait il y a encore une cinquantaine d’années. Le processus de baisse tendancielle des taux de profit s’est généralisé désormais à l’échelle du monde entier avec la fin du camp socialiste et si, à cette époque, ce camp présentait un défi idéologique incontestable, sa force économique de pays sous-développés en situation de rattrapage certes accéléré ne représentait pas une réelle concurrence économique. Aujourd’hui, les mêmes pays, Chine, Russie, mais aussi d’autres en Asie orientale ou même occidentale, ont acquis, en particulier grâce au socialisme, un niveau économique qui fait que leur économie représente désormais un défi pour les puissances occidentales capitalistes essoufflées et donc sans plus de réserves. Dans cette double situation, puissances émergentes et stagnation encore camouflée à l’Ouest, il n’y a plus vraiment de marges de manœuvre, ni à Paris ni à Francfort ni à Londres ni à Washington ni à Wall street et donc ni à Bruxelles. Le patronat ne peut plus jeter aux syndicats réformistes le fameux « grain à moudre » tant espéré par l’ancien chef du syndicat réformiste Force ouvrière (FO), André Bergeron. D’où d’ailleurs l’actuelle radicalisation de FO et le blocage de la CFDT qui n’a de succès que grâce au fait que les répressions antisyndicales dans le secteur privé sont telles qu’être syndicaliste « réformiste » dans de nombreuses entreprises est souvent devenu le seul moyen d’être syndicaliste tout court et de ne pas être licencié.

Le « succès » en termes d’adhérents ou d’élections, succès sur le papier, de la CFDT par rapport aux autres syndicats, n’est que la conséquence de l’immense régression sociale et de l’effondrement du rapport capital/travail âprement négocié au cours des luttes syndicales successives du XXe siècle. Situation qui explique la radicalisation que nous avons signalée plus haut et qui se manifeste aujourd’hui par la plus longue grève en France depuis les années 1980, après un an de mobilisation des Gilets jaunes et plusieurs années d’échecs successifs du mouvement syndical, de ses grèves et manifestations « saute-mouton », et de l’alignement des directions syndicales sur la Commission européenne et son Eurogroupe lié à la Banque centrale européenne. Alignement qui opère par le biais des financements de la Confédération européenne des Syndicats (CES)4dont la seule utilité est de domestiquer les syndicats et de corrompre leurs dirigeants. Dirigeants à qui on n’offre par ailleurs même plus de « grain à moudre », ce qui les placent en fait dans une position d’instabilité permanente et ce qui les use à grande vitesse. Et c’est ce qui explique que les bases syndicales mènent désormais le plus souvent leurs activités sans plus tenir compte des avis de ce qui est censé être une « direction », ce qui donne par ailleurs une seconde jeunesse à la Charte syndicale d’Amiens5. On l’a vu avec le désaveu récent par les grévistes de l’Union nationale des Syndicats autonomes (UNSA) de la RATP (transports parisiens) des directives de leur direction, mais ce phénomène est loin d’être limité à ce syndicat, on le rencontre en fait partout, et cela ne fait que commencer vu, justement, le fait que le pouvoir ne reculera pas car il ne peut tout simplement pas reculer à cause de l’état même de l’économie mondiale dans le cadre d’un système capitaliste arrivé à bout de souffle. Ce qu’avaient anticipé il y a longtemps les théoriciens du mouvement ouvrier est enfin arrivé ...à un moment où ce mouvement n’est pas ou plus prêt à proposer une alternative au système dominant.

Dans cette situation, la nature ayant horreur du vide, on voit apparaître ce qui semble être de nouvelles formes de luttes sociales prolongées ...dans l’attente de cette fameuse alternative tant attendue. Alternative qui ne pourra faire l’impasse sur la question centrale qui reste celle de la socialisation des moyens de production et d’échange et de la démocratie directe, dans le contexte toutefois de la mondialisation qui impose aujourd’hui une ré-interprétation de l’internationalisme et de son rapport avec le « ici et maintenant » national qui opère, lui aussi, une retour remarqué que tente de canaliser une extrême droite, elle-aussi sans les capacités programmatiques de ses ancêtres spirituels, ce qui ouvre là aussi un espace considérable pour le mouvement des travailleurs qui doit être à la fois internationaliste et patriotique. Porteur d’un patriotisme territorial et politique anti-impérialiste et non pas « identitaire » et ethnique, ce qui correspond exactement et objectivement à ce qui a opéré une renaissance avec le mouvement des Gilets jaunes puis les grèves en cours qui proviennent à la fois des tréfonds de la mémoire révolutionnaire française et de la situation objective des travailleurs marginalisés, immigrés compris.

 

Opérations « coups de poings » ou guérilla populaire prolongée ?

Ce que les médias appellent des « opérations coups de poings » qu’ils essaient de présenter d’ailleurs comme la preuve de « l’essoufflement » du mouvement de grève n’est en fait pas un phénomène apparu au cours des derniers jours de l’actuel mouvement de grève. Dès la période qui a vu la fin du « pic insurrectionnel » des premières semaines du mouvement des Gilets jaunes, on a assisté à des événements qui pourraient tout aussi bien entrer dans cette catégorie « coups de poings », et que nous préférerons appeler pour notre part des méthodes spontanées de « guérilla populaire prolongée ». En effet, face à la répression féroce du gouvernement après sa « grande peur » de la fin de l’automne 2018, les Gilets jaunes ont inventé toutes sortes de moyens de luttes inédits, manifestations légales ici, manifestations non déclarées là, blocages surprises ici puis là, rassemblements dispersés ici puis regroupements spontanés là, opération dans une localité ou un centre d’achat puis dans une autre, etc. L’inventivité des manifestants, et surtout à force d’expérimentation, celle des noyaux les plus décidés d’entre eux qui se sont formés dans la lutte a été sans limite, tout au long de l’année écoulée. Et c’est avec ce « bagage d’expériences » que les bases syndicales qui avaient souvent soutenu sur le terrain le mouvement des Gilets jaunes, en décalage d’ailleurs avec leurs directions, sont entrées dans la lutte début décembre 2019, sans d’ailleurs trop consulter la chose avec leurs « centrales ». Là encore, la fermeté du pouvoir et la dureté de la répression ont soulevé les hauts le cœur d’une grande partie de la société jusque-là passive, et chacun d’y aller de sa méthode de soutien au mouvement qui recueille bon an mal an l’appui constant d’environ deux tiers de la population, grève quelques jours puis retour au travail puis de nouveau grève, multiples caisses de solidarité, participations à différentes manifestations, et les fameuses opérations « coups de poings ». Et maintenant, alors que la grève s’étend à des secteurs nouveaux tandis que les premiers grévistes qui ont tenu une cinquantaine de jour, en particulier les cheminots et les travailleurs des transports parisiens, passent d’une grève reconductible à des formes de grèves nouvelles, des « temps forts » répétitifs de grèves concentrées sur un, deux ou trois jours, entrecoupés de retours au travail pour assurer son minimum vital.

On peut constater qu’une nouvelle génération de militants de base a émergé. On doit remarquer que cette grève a permis ce que les médias ont hypocritement réclamé tout au long des années écoulées, « l’intégration » des immigrés et post-immigrés. On a effectivement pu constater que si « les banlieues », lycéens mis à part qui ont d’ailleurs payé un lourd tribut à la répression6, n’ont pas vraiment participé, à quelques exceptions notables près au mouvement des Gilets jaunes tout en l’appuyant verbalement, cela s’explique, hormis l’expérience des répressions, par le fait de ne pas avoir voulu permettre à ce mouvement d’être accusé par le pouvoir ...d’islamisme …après avoir été accusé d’antisémitisme, de négationnisme, d’homophobie et j’en passe… tant et si bien que des travailleurs post-immigrés se soient joints dans leurs entreprises au mouvement et on a vu apparaître une masse de délégués des comités de grève « issus de l’immigration » à la RATP ou ailleurs, SNCF, Radio France, etc. La lutte des classes renouvelée a permis l’intégration par la lutte, et les accusations d’« islamo-syndicalisme » qu’on a tenté de lancer sans succès en haut lieu, pour loufoques qu’elles soient, correspondent à une certaine réalité qui n’est pas « religieuse » mais qui a permis à ceux désignés jusque-là sur la base de leur « apparence religieuse » (sic!) de pleinement s’intégrer dans le mouvement de la classe des travailleurs de France, et par cela même dans la société française ...en marche ...en marche réelle celle-là.

Le terme « post-immigré » que nous employons ici est évidemment tout à fait paradoxal, voire humoristique, mais, vu le blocage de la société française et des processus d’intégration sociale, de mobilité sociale, de promotion sociale, de développement économique dans le capitalisme tardif qui s’est installé au cours des quarante dernières années, les propagandistes de ce régime d’exclusion et de ségrégation ont voulu nier le phénomène de marginalisation et de ghettoïsation sociale en l’ethnicisant ou en le confessionalisant7. Bénéficiant d’ailleurs pour cela de l’accompagnement « éducatif » et propagandiste, d’une part, des relais religieux en France des monarchies rétrogrades au service des puissances occidentales comme des milieux « identitaires », extrême droite « blanche »,bobos post-coloniaux « laïcistes » ou « néo-indigénistes », et aussi de sa théorisation par le biais des idéologues nord-américains du « clash de civilisations ». Cette situation a été renforcée par le développement d’une frange institutionalisée de la gauche qui se concentre sur des revendications « sociétales » car elle a largement rompu avec la lutte pour le progrès social et accepté de remplacer la question de classe par un antiracisme verbal, un féminisme petit-bourgeois antimâle, une concentration sur les questions individuelles et de mœurs, un moralisme de façade la culpabilisation des classes populaires « blanches » stigmatisées comme « congénitalement » racistes, en même temps qu’elle tient un discours hypocrite en direction des « immigrés » et de toutes les « minorités », ce qui lui a permis de mener des politiques paternalistes et électoralistes à leur égard. Suivant en cela le modèle « communautariste » d’empowerment d’une « élite Uncle Tom »8 calqué sur la culture politique et sociale en vigueur aux Etats-Unis. Et l’opération « migrants » devait également servir à renforcer dans toute l’Europe les divisions du corps social de base, immigrés installés compris, pour renforcer les partis liés aux classes dominantes, y compris certains de ceux qui se disent encore de gauche mais qui représentent ce que le mouvement populaire appelle de plus en plus « l’extrême centre » qui, par son autoritarisme, n’hésite plus à utiliser des méthodes répressives ou de contrôle des médias et de la justice autrefois réservées aux régimes ouvertement dictatoriaux. Du coup, on a parlé dans les gros médias « d’immigrés de seconde génération », voire de troisième ou de quatrième (!), ce qui est une absurdité sur le plan linguistique comme sur celui du concept même. Immigré, c’est celui qui a changé de pays de résidence et pas celui qui y est né et qu’on n’a pas su intégrer dans une dynamique sociale ouvrant des perspectives de progrès. Situation révélatrice de l’incapacité du système dominant d’intégrer donc tous ses exclus qui peuvent être « issus de l’immigration », ce qu’on vient de voir, comme ils peuvent être aussi, on l’a vu avec l’émergence des Gilets jaunes, des « Gaulois de la France profonde » isolés, marginalisés, humiliés et donc exclus au moins au même titre que les « issus de l’immigration ».

Le mouvement des Gilets jaunes puis la grève actuelle ont permis à toutes ces « Frances là » de se manifester d’abord, pour finalement se retrouver le plus souvent grâce aux luttes. Car, quelle que soit l’issue des grèves actuelles, on ne peut que constater que sur le terrain nous avons affaire aussi à une révolution culturelle en train de créer de nouvelles formes de liens sociaux, une nouvelle société donc, et aussi les prémisses d’un nouveau contrat social, et donc d’une nouvelle nation politique. Une nation pour laquelle le capitalisme a perdu toute légitimité et où la dignité par le travail redevient une valeur fondamentale, ce que confirment toutes les enquêtes sociologiques qui font, du coup, éclater le mythe des « classes moyennes » élaboré par les officines conservatrices nationales et supranationales. A côté donc du rôle de la culture, d’où l’importance emblématique à l’échelle de toute la France de la grève de l’Opéra de Paris, de la Comédie française et de Radio France, par-dessus la seule question des retraites9, et qui a proclamé « la culture en danger ». Et encore le rôle de « La Marseillaise » arrachée des mains du Front national par les Gilets jaunes et rendue aux grévistes actuels.

Ce processus d’intégration par la grève est parallèle à un autre, toutes ces opérations « coups de poings » dans le cadre d’une grève populaire prolongée semblent montrer que nous passons de la vieille époque des affrontements frontaux, parfois violents et même très violents à quelque chose d’autre (puisque la répression avait alors souvent entraîné des morts, mais des affrontements relativement courts qui se concluaient par un compromis modifiant en permanence le rapport de force capital/travail). Quelque chose qui nous semble devoir être plus étalé dans la durée, plus spontané aussi et plus « insaisissable », comme le fut d’ailleurs le mouvement des Gilets jaunes, et que nous appellerons une tactique de guérilla populaire prolongée. Cela même si nous ne pouvons pas prévoir quelle sera l’issue immédiate du mouvement de grève actuel sur la seule question des retraites. Mais quand bien même la crise du régime serait telle que le pouvoir capitulerait sur cette question, ou bien le contraire, de nombreuses autres questions qui ont été implicitement soulevées par le mouvement des Gilets jaunes puis la présente grève, ne seront pas automatiquement résolues, et ces questions portent sur les fondements mêmes d’un nouveau système politique, social et économique à créer en France et au moins en Europe, voire plus largement dans le monde. La lutte des classes semble donc être passée de la période « guerre de mouvements » à celle d’une « guerre d’usure », plus longue, plus imprécise et qui voit apparaître puis disparaître des escarmouches, des batailles, des coups de mains, des « tempt forts », démontrant l’inventivité nouvelle d’un prolétariat désormais ré-émergeant mais morcelé. Morcelé entre le public et le privé, morcelé entre les grands centres urbains, les banlieues et les « régions périphériques », morcelé par les contrats de travail précaires et « à la carte », morcelé par la multiplicité des organisations syndicales « verticales », mais aussi par la multiplicité des réseaux syndicaux, gilets jaunes, associatifs, militants, à la base, morcelé par la tertiarisation, la bureaucratisation et la déconcentration du système de salariat pourtant généralisé et morcelé pour toutes sortes d’autres raisons ...et pourtant uni aujourd’hui dans la lutte ou l’appui massif aux luttes ! Pour le moment, cette dispersion, ce morcellement, cette inventivité, ce refus de délégation de pouvoirs, cette méfiance envers les chefs, ont permis au mouvement populaire de protestation de perdurer plus d’un an, ce qui est considérable, et ce qui a entraîné pour la classe dirigeante des pertes inestimables, en termes financiers et en termes de légitimité de classe, et du capitalisme lui-même sur le plus long terme.

Les idéologues de « la fin de l’histoire » et de la « fin des idéologies » (sic!) avaient cru possible de casser après « la chute du mur » ce qu’ils appellent désormais dans leur jargon vertical des « corps intermédiaires », c’est-à-dire des partis, des associations et surtout des syndicats populaires, mobilisateurs et ancrés dans le réel de la vie du peuple. En les domestiquant via la CES ou les « partis européens » ou encore via des fondations, des O.« N ».G, des financements européens, des financements privés ou autres, ils ont certes réussi à émousser grandement la représentativité des « élites syndicales », un peu à l’image d’ailleurs de ce que fut en 1914 « l’aristocratie ouvrière » tombée dans le « crétinisme parlementaire » et l’esprit d’agression impérialiste. Mais, en sabrant ainsi la tête du mouvement ouvrier ou en émoussant ses contours, ils ont laissé la base, le peuple, face à lui-même. Les « sans dents », les « riens »10, ne sont pas restés longtemps silencieux et inactifs. Ils ont montré qu’ils avaient des dents et qu’ils estimaient être quelque chose avec quoi il allait falloir continuer à compter. Pour empêcher toute nouvelle « reprise en main » à partir du sommet, on se rappelle la tentative infructueuse de cooptation de candidatures « gilets jaunes » lors des dernières élections européennes comme on constate le lamentable échec des prétendues « concessions » faites à Laurent Berger et sa CFDT moutonnière et des autres chefferies syndicales suivistes, la tactique de groupes de lutte à la base, de nouveaux secteurs entrant dans la grève, des « temps forts » et du feu couvant sous la braise pourrait constituer les prémices d’une évolution dans les méthodes de lutte sociales, ce qui nécessitera un travail théorique permettant de prendre en compte cette réalité tout en conservant ce qui reste efficace dans la vieille tradition des luttes ouvrières. En même temps …et sans vouloir paraphraser le président aux abois et aux abonnés absent, il faudra reposer, par-dessus la réhabilitation de la vieille charte syndicale d’Amiens qui vient de révéler son caractère extraordinairement... actuel, la question d’une avant-garde organisée, au niveau syndical comme au niveau politique.

Car pour qu’une guérilla gagne sa guerre d’usure, il lui faut à un moment passer de la guerre d’usure à l’offensive générale. Et pour y arriver, il faut une stratégie et donc des stratèges, et donc des moyens matériels et une organisation apte à mener cette lutte de façon visionnaire et plus ou moins coordonnée selon les situations sur le terrain. La révolution culturelle en cours ouvre cette perspective car elle a rompu les digues du conformisme envers l’idéologie libérale dominante répandue depuis la contre-révolution thatchéro-reaganienne anti-travailliste à l’échelle mondiale, et installée en France depuis le « tournant de la rigueur » de 1983 par le président Mitterand et ses « socialistes » soumis alors autour de Laurent Fabius et dont l’actuel parti du pouvoir n’est qu’un des rejetons tardifs qui pensait pouvoir faire marcher le pays au doigt et à l’oeil après des années de saccages libéral et d’abrutissement médiocratique.

 

 

Notes :

1 Voir < https://www.youtube.com/watch?v=6vS5EGuDNVY&feature=share&fbclid=IwAR38ECAiMD-pupv--_f39w2AsFjGRkLK9X8qbFWbBdKDOinQdBx51KpMGjQ > et < https://www.youtube.com/watch?v=93C9pfC_NhQ >

2 Bruno Drweski « Peuple, fonctionnaires et République : Les dilemmes des forces de l’ordre après l’état d’urgence et l’apparition du mouvement des Gilets jaunes », dans Gilets jaunes – Jacquerie ou révolution, Le Temps des Cerises, 2019, pp. 70-90.

3RIC – Référendum d’initiative populaire, la revendication consensuelle de tous les Gilets jaunes.

4La CES a été fondée sous l’égide de la Commission européenne qui la finance largement dans le but d’associer les syndicats au processus de « construction européenne », c’est-à-dire de sécurisation du capitalisme « dans le cadre d’une concurrence libre et non faussée » porteuse de privatisations systématiques et d’affaiblissement des services publics. Son rôle dans le financement des syndicats adhérents et l’organisation de luxueuses rencontres a largement contribué à émousser les ardeurs des directions syndicales. En France, on constate en particulier au sein de la CGT, que les fédérations syndicales et les unions départementales qui appartiennent à la Fédération syndicale mondiale, une Internationale syndicale de classe, ont des attitudes beaucoup plus radicales que celles qui acceptent la ligne de la CES.

5Cette charte a été adoptée en 1906 par le congrès de la CGT (Confédération générale du travail). Elle reste la référence théorique du syndicalisme français, et elle est particulièrement célébrée par le syndicalisme révolutionnaire, de classe, de masse et de lutte. Elle a comme socle la reconnaissance de la lutte des classes et assigne au syndicalisme le double objectif de la défense des revendications immédiates et quotidiennes des travailleurs, et de la lutte pour une transformation d'ensemble de la société par l'expropriation des capitalistes. Elle reconnaît les sections de base du syndicat comme fondement du syndicalisme et proclame son indépendance des partis politiques et de l'État, le syndicalisme se suffisant à lui-même pour créer les conditions nécessaires pour le passage au socialisme, même si le rôle des partis politiques ouvriers n’est pas nié pour autant. Cette charte « préconise comme moyen d'action la grève générale et [...] considère que le syndicat, aujourd'hui groupement de résistance, sera, dans l'avenir, le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale ».

6 Voir < https://www.youtube.com/watch?v=PKYr0IMJi5A&t=606s >

7 Voir le résumé de cette situation par Franck Lepage, militant de l’éducation populaire : < https://www.youtube.com/watch?v=2HOxx-Ekfew&feature=share&fbclid=IwAR2HzQdKswO5J-skxuw-Xm8sMhNeVn_1i4RF6LLce9QHv2spd7S1DrvjEYM >

8« Uncle Tom », figure du roman américain de Harriet Beecher Stowe sur l’esclavage, à partir duquel les militants des droits civiques aux USA ont décrit l’opposition entre le « nègre de la maison », à l’écoute de son maître à cause de ses meilleurs conditions de soumission, et le « nègre des champs » opposé au principe même de l’esclavage car il n’a rien à perdre que ses chaines. Chose que le mouvement gréviste actuel reprend d’ailleurs à sa façon contre le « syndicalisme d’accompagnement », en reprenant le slogan du syndicalisme de classe de la CGT « On ne négocie pas le poids des chaines ».

9 Quatrième « concert de colère » des musiciens et chanteurs de l’Opéra de Paris et de la Comédie française avec aussi la participation des avocats, des cheminots et des pompiers en grève < https://www.youtube.com/watch?v=XXFOOMue60Y&fbclid=IwAR3WTxc_mmPkoD_mFTHdwyNK1T9dLGziMIFm31T5mYOnyJMycSidfLAH8KM > ; Interruption de la cérémonie des vœux de Bonne année par les musiciens de Radio France < https://www.youtube.com/watch?v=3Qf38heMuD4 >

10Termes utilisés à un détour de phrase dans le premier cas par le précédent président français, François Hollande, pour désigner le peuple, puis, dans le second, par le président Emmanuel Macron, et qui ont révélé le mépris des élites, « socialistes » comprises, envers ceux qui, par leur travail, permettent aux élites possédantes et à l’État de vivre et de fonctionner.

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15 janvier 2020 3 15 /01 /janvier /2020 13:19

Depuis la défaite du nazisme, le discours dominant dans les pays capitalistes tend à présenter les fascismes comme des phénomènes extérieurs opposés aux démocraties libérales et donc aussi au système capitaliste qui en constitue le fondement économique et social. Or, une analyse approfondie permet de voir que les conceptions racistes, impérialistes et colonialistes qui vont mener aux idéologies fascistes sont nées au coeur même du système capitaliste de démocratie libérale. Qui sait jouer aussi bien pour s’affermir de sa face « soft » comme de sa face « hard » pour reprendre les termes utilisés plus récemment par les théoriciens du « droit d’ingérence » ou des « interventions humanitaires ». Et l’examen des comportements « para-fascistes » des grandes puissances « démocratiques » et capitalistes au cours de l’histoire sont là pour nous le rappeler.

La Rédaction

 

Les théories libérales ont-elles

favorisé l’émergence du

nazisme ?

-

Janvier 2020

 

 

Aurélien Aubert*

 

 

Issu du siècle des lumières, le libéralisme se présente comme une philosophie politique qui prône des valeurs telles que la démocratie, la laïcité, l’égalité entre les sexes, l’égalité raciale, la liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté du choix religieux ou encore une forme d’internationalisme. Mais par delà les apparences, connaît-on vraiment l’histoire du libéralisme ? Cette doctrine qui domine sans partage est-elle aussi bienveillante que ses aficionados le prétendent ?

 

Convaincu de la nécessité d’un nouvel éclairage, le philosophe italien Domenico Losurdo a publié en 2014 une « Contre-histoire du libéralisme ». Dans cet ouvrage, le philosophe revient sur trois siècles de libéralisme. Chapitre après chapitre, Losurdo nous détourne des idées très largement répandues qui laissaient entendre que le libéralisme garantit à l’ensemble de la communauté humaine des droits fondamentaux. Pour lui, l’esclavage, le colonialisme, les génocides, le racisme et le mépris de classe font partie intégrante de l’histoire du libéralisme. Losurdo insiste avec force, méthode et détermination. Sans établir de parallélisme simpliste, il parvient à nous démontrer que les théories du “troisième Reich” étaient déjà en gestation dans la matrice libérale.

En nous inspirant du décryptage minutieux de Losurdo, il nous a semblé utile de revenir sur l’histoire du libéralisme. Tout d’abord en essayant de reprendre à notre compte la méthodologie du philosophe italien qui pointe notamment les contradictions du libéralisme. Puis en nous permettant de recouper les affirmations de Losurdo avec d’autres sources. Enfin, en essayant de comprendre où nous a conduits le libéralisme en 2019, nous essaierons de mieux cerner où il pourrait nous emmener, alors même qu’il est toujours de bon ton de diaboliser les révolutions et la lutte des classes.


 

John Locke : le père du libéralisme

John Locke (1632 – 1704) était un philosophe et médecin anglais, largement considéré comme l’un des plus influents penseurs du libéralisme. Locke pense que la nature en soi fournit peu de valeur à la société, ce qui implique que le travail consacré à la création de biens leur confère leur valeur. Partant de ce postulat,Locke a élaboré une théorie du travail fondée sur la propriété. Pour lui elle est un droit fondamental lié à la nature intrinsèque de l’être humain, au même titre que la vie ou la liberté. Si, au départ, la terre appartient aux hommes de façon égale, elle leur a été donnée par Dieu et ceux-ci se l’approprient en y apportant la valeur ajoutée de leurs efforts. Il estime également que la propriété précède le gouvernement et que le gouvernement ne peut « disposer des biens des sujets de manière arbitraire ». A la question « de quel droit un individu peut prétendre posséder une partie du monde ?”, Locke répond que “les personnes se possèdent elles-mêmes et donc possèdent également leur propre travail.”

 

L’esclavage comme fondement

Mais le droit pour Locke n’est finalement pas universel, puisqu’il s’obtient par la volonté divine. De ce fait il ne s’applique pas de la même manière à l’ensemble des individus qui forment la communauté humaine. Dans son système, les pauvres doivent être blâmés pour leur pauvreté. Une recommandation qu’il argumente clairement dans un rapport intitulé « Fondements des politiques de la pauvreté ». Locke suggère des réformes axées sur la discipline inculquant des caractéristiques qu’il considère positives telles que le travail acharné. Il affirme que, pour «restreindre efficacement les vagabonds inactifs», les pauvres devraient être mis au travail. Les vagabonds pourraient être contraints de servir dans l’armée et la marine. Ils seraient astreints à des travaux durs, et en cas de délits, à des peines sévères aux travaux obligatoires dans des plantations.

 

Locke fut l’un des principaux investisseurs de la Royal African Company, pilier du développement de la traite négrière

Dans une carrière aux fortunes diverses, Locke fut intimement impliqué dans les affaires américaines. Il participa à la rédaction des Constitutions fondamentales de la Caroline (divisée entre le nord et le sud en 1729) qui stipule entre autre que les citoyens de la Caroline exercent un pouvoir et une autorité sans limites sur leurs esclaves noirs. “Les Indiens vivent de cueillette, de chasse et de pêche, et non d’agriculture ou d’élevage intensif” argumente Locke. En bon colonialiste libéral il soutient que la terre appartient à celui qui la cultive et non à celui qui l’occupe. Les terres américaines peuvent donc faire l’objet d’une appropriation sans consentement.

 

Les « Workhouses » : l’univers concentrationnaire pour les pauvres

 

De 1601 à 1948 au Royaume-Uni, les workhouses furent des sortes de camps de travail, dans lesquels les personnes dites incapables de subvenir à leurs besoins se virent contraintes d’accepter des conditions de vie qui peuvent, comme nous allons le voir, aisément s’apparenter à de l’esclavage. Les malheureux qui survivaient dans une workhouse étaient marqués sur la manche de leur uniforme du «P» qui voulait dire «pauper». Comme dans les camps de concentration, les détenus, puisqu’au fond il s’agit bien de cela, étaient soumis à une discipline inflexible qui reposait sur un travail épuisant. Les indigents, pour reprendre un terme cher à John Locke, y travaillaient jusqu’à 18 heures par jour. Par l’effet combiné de la sous-alimentation, du travail éreintant (dès l’âge de 4 ans), du manque de vêtements, de la surpopulation et des épidémies, on dénombre 280 000 morts dans les workhouses irlandaises durant la grande famine qui sévit au milieu du 19e siècle en Irlande. Le roman de Charles Dickens “Oliver Twist” critique sévèrement la violence institutionnelle des workhouses. Dans la scène où Oliver demande une petite ration supplémentaire, Dickens détaille parfaitement le caractère inhumain des maisons de travail. Dickens commente aussi sarcastiquement la mesure notoire consistant à séparer les couples mariés lors de l’admission à la maison de travail.

 

Jeremy Bentham : une conception libérale à deux faces

Jeremy Bentham plaide en faveur des libertés individuelles et économiques, de la séparation de l’Église et de l’État, de la liberté d’expression, de l’égalité des droits pour les femmes, de la décriminalisation des actes homosexuels, et il appelle à l’abolition de l’esclavage. L’axiome fondamental de son discours repose sur le principe selon lequel c’est le plus grand bonheur du plus grand nombre qui mesure le bien et le mal. 

Cependant Losurdo remarque que s’il y a leBentham aux allures progressistes, il y a également un autre Bentham aux aspirations beaucoup plus anti-sociales qui ne tarit pas d’éloges à l’égard des workhouses. Des manufactures qu’il entend faire évoluer en « maisons d’inspection » de type panoptique. Un concept dont il est à l’origine qui permet le contrôle des détenus par un nombre de surveillants limité. Bentham justifie sa proposition ainsi :

"Les soldats portent des uniformes ; pourquoi les pauvres n’en porteraient-ils pas ? Ceux qui défendent le pays les portent ; pourquoi ceux que celui-ci maintient en vie ne devraient-ils pas le faire ? Non seulement la force de travail qui réside en permanence, mais aussi les travailleurs occasionnels, devraient porter l’uniforme quand ils sont dans la maison, pour le bon ordre, pour la facilité d’être distingués et reconnus, et aussi pour la propreté" .

Ce court mais explicite extrait résume très bien l’ambiguïté de la philosophie de Bentham qui d’un côté chante les louanges de la liberté et de l’autre argumente par l’entremise d’une autre facette de sa doctrine dite « utilitariste » la nécessité d’embastiller les pauvres avec pour seul motif qu’ils sont pauvres. 

La grande famine irlandaise

L’événement est parfois appelé “famine de la pomme de terre irlandaise”. La cause immédiate de cette famine fut une maladie nommée “mildiou”, un parasite microscopique qui infectait les cultures de pommes de terre. Plusieurs sources considérées sérieuses, évaluent entre 1846 et 1851 à un million le nombre total de victimes. A ce chiffre s’ajoutent deux millions de réfugiés qui migrèrent dans des conditions périlleuses vers des pays anglophones. Dans la même période (la seconde moitié du XIXe siècle), la Grande-Bretagne est la première puissance économique mondiale. Son PIB progresse de

600% lors du décollage de son économie de 1700 à 1860. Pendant que les gens mouraient de faim en Irlande, les exportations de céréales se poursuivaient partout en Europe.

 

 

 

 

 

Pourquoi les Anglais ne sont-ils pas vraiment intervenus ?

1/ L’impact du fléau était exacerbé par la politique économique du sacro-saint « laisser-faire » cher à la mouvance libérale. Il n’était pas question pour les capitalistes britanniques de contrarier les flux de capitaux engendrés par l’exportation de denrées alimentaires.


2/ Dans le protestantisme libéral, il y avait un présupposé métaphysique qui affirmait que Dieu voulait punir les irlandais du fait de leur obédience religieuse (catholique). Tout au long de la famine, Charles Edward Trevelyan, Secrétaire-adjoint au Trésor, était en charge de l’action des pouvoirs publics anglais. Les idées préconçues de l’élite anglaise se révèlent formellement dans une lettre où https://www.lhistoire.fr/la-famine-en-irlande écrit qu’il voyait dans cette famine le jugement de Dieu qui selon lui infligeait cette calamité afin de donner une leçon aux Irlandais. C’est pourquoi elle ne devait pas être trop atténuée pensait-il.


3/ Du point de vue de la bourgeoisie anglaise, les Irlandais étaient des arriérés, des paresseux, abonnés à la sournoiserie sans que l’on puisse faire quelque chose. Entre autres, le journal libéral The Times tirait à boulets rouges sur le peuple irlandais, pour dénoncer : « une oisiveté rusée, calculatrice, cupide, un refus absolu de tout effort personnel et la maladie morale d’une vaste population plongée dans l’agréable bourbier de l’indigence volontaire… ».

 

Génocide ou pas ?

Le journaliste et historien John Mitchel fut l’un des premiers à accuser les Britanniques de génocide. Il écrit : « Certes le Tout-Puissant nous a frappés du mildiou mais ce sont les Britanniques qui ont provoqué la famine. » The Famine Plot (le complot de la famine) est un essai écrit par l’historien irlandais Tim Pat Coogan publié en 2012. Coogan y accuse ouvertement les Anglais d’avoir commis un « holocauste ». L’historien de l’économie irlandaise Cormac O’Grada pense qu’une attitude moins doctrinaire à l’égard de la lutte contre la famine aurait permis de sauver de nombreuses vies. Professeur d’histoire moderne irlandaise à la Queen’s University de Belfast, Peter Gray dans son ouvrage « L’Irlande au temps de la grande famine » conclut que l’attitude britannique peut être qualifiée de « négligence coupable ».

Rappelons que s’abstenir de porter secours à une personne ou à un groupe de personnes en détresse s’appelle en droit la “non-assistance à personne en danger”. Mais il y a plus grave : le laisser-faire coupable motivé par des préjugés raciaux constitue l’une des bases de l’idéologie fasciste. La grande famine accompagnée du scandale de la non-intervention britannique est l’un des premiers indices qui tend à montrer que le libéralisme fut bien le poisson-pilote des idéologies fasciste et nazie.

 

Du « darwinisme social » au concept de « race aryenne »

Nous savons tous globalement qu’Hitler et les dignitaires du parti nazi étaient obsédés par la «pureté raciale». Ils ont ainsi utilisé le mot «aryen» pour décrire l’idéal d’une «race allemande pure». Selon eux, les Aryens avaient un sang pur, la peau pâle, les cheveux blonds et les yeux bleus. Et a contrario les non-aryens étaient considérés comme impurs voire même quasi-diaboliques. Hitler croyait que la supériorité aryenne était particulièrement menacée par les Juifs. 

Alors certes, si le national-socialisme qui conteste comme nous venons de le rappeler le principe universel d’égalité entre les hommes, a développé ses propres spécificités, il fut aussi un réceptacle des théories racistes forgées au cours des décennies précédentes.

Il en va ainsi des idées développées un siècle plus tôt parHerbert Spencer, qui fut la “tête de gondole” du darwinisme social. Spencer était rédacteur en chef de la revue libérale The Economist, l’autre grand journal libéral anti-irlandais avec The Times qui encouragea la non-assistance durant les années de la grande famine. Le darwinisme social, qui n’a pas grand chose à voir avec le darwinisme, donnera naissance à l’eugénisme représenté en premier lieu par Francis Galton. Pour ce dernier, il s’agissait de préserver les élites nationales à tout prix. Des élites qui risquaient bel et bien de disparaître au profit des pauvres dont le nombre augmentait de génération en génération, prévenait Galton.

Le premier Congrès international de “l’eugénique” se déroule à Londres en 1912. Il est organisé par la British Eugenics Society Education qui compte parmi ses membres imminents une collection de hauts responsables politiques britanniques. Nous retrouvons entre autres : Arthur Neville Chamberlain, qui fut Premier ministre du Royaume-Uni de 1937 à 1940. Winston Churchill qui fut Premier ministre du Royaume-Uni de 1940 à 1945 et de 1951 à 1955. Et l’économiste John Keynes qui est considéré comme la figure de proue du « social-libéralisme ». Dans des circonstances où les pays anglo-saxons, et en particulier les Américains sont fortement représentés, ce congrès est inauguré par Lord Balfour. Le second Congrès aura lieu à New York en 1921. D’ailleurs bien avant l’Allemagne, les Etats-Unis étaient à la pointe dans le domaine de l’eugénisme. Ils furent même les premiers à mettre en place une législation eugénique

L’Etat de l’Indiana pratique dès 1899 des stérilisations sur des criminels volontaires et sur des arriérés mentaux. Cet Etat vote en 1907 une loi prévoyant la stérilisation des dégénérés. En 1914, trente états promulguent des textes annulant le mariage de ceux qu’on classe en termes «  d’idiots ». (Actuellement dix-neuf Etats ont toujours cette législation dans leurs textes). Le courant eugéniste américain vise également les immigrants, particulièrement ceux venant d’Europe de l’Est et du Sud. Ces derniers sont désignés comme appartenant à une race inférieure à celle des Anglo-saxons. Le mouvement eugéniste gagne ensuite petit à petit l’Europe. Les pays scandinaves sont les premiers à voter des lois de stérilisation envers les épileptiques et les retardés mentaux. Les lois de stérilisation furent abrogées tardivement, d’abord au Danemark (1967) et en Finlande (1970), puis en Suède (1976) et en Norvège (1977).

 

Dans ce contexte, notons deux citations

 

«  Je souhaiterais beaucoup que l’on empêcha entièrement les gens de catégorie inférieure de se reproduire, et quand la nature malfaisante de ces gens est suffisamment manifeste, des mesures devraient être prises en ce sens. Les criminels devraient être stérilisés et il devrait être interdit aux personnes faibles d’esprit d’avoir des descendants »Théodore Roosevelt

 

«  La multiplication contre nature et de plus en plus rapide des faibles d’esprit et des malades psychiatriques, à laquelle s’ajoute une diminution constante des êtres supérieurs, économes et énergiques, constitue un danger pour la nation et pour la race qu’on ne saurait surestimer… Il me semble que la source qui alimente ce courant de folie devrait être coupée et condamnée avant que ne s’écoule une nouvelle année. » Winston Churchill

 

Collusion entre l’idéologie pangermanique et l’eugénisme libéral

En popularisant le concept de « race aryenne », Houston Stewart Chamberlain est indéniablement l’idéologue qui servit de trait d’union entre l’eugénisme anglo-saxon et le pangermanisme qui défendait le Volkstum (le rassemblement de tous les hommes de même langue, de même culture). Inspiré par le darwinisme social et la théorie de l’aristocrate français Arthur de Gobineau qui établissait une dichotomie au sein de la même race (d’un côté la noblesse aryenne et de l’autre les citoyens de race inférieure), Chamberlain publie en 1899 “Die Grundlagen des neunzehnten Jahrhunderts” (La Genèse du XIXème siècle). Cet ouvrage constitue une « histoire raciale » pseudo-scientifique de l’humanité, qui annonce la guerre imminente pour la domination mondiale au XXème siècle entre les Aryens d’un côté, contre les Juifs, les Noirs et les Asiatiques de l’autre côté. Très élogieux, l’Empereur allemand Guillaume II lui écrit : « Je sentais d’instinct que nous, les jeunes, avions besoin d’une autre formation, pour servir le nouveau Reich ; notre jeunesse opprimée manquait d’un libérateur tel que vous !…» Pour les pays anglo-saxons, Théodore Roosevelt, le 26e président des États-Unis, dans un article de l’Outlook, souligne avec prudence un parti pris extrême de l’auteur, mais ajoute malgré tout que l’ouvrage « représente une influence avec laquelle il faut désormais compter, et compter sérieusement ». Naturalisé Allemand en 1916, Chamberlain recevra la Croix de fer peu de temps après, et apportera son soutien en 1923 à Adolf Hitler (un admirateur de la première heure). Il convient de noter que l’Institut Kaiser-Wilhelm d’anthropologie, d’hérédité humaine et d’eugénisme qui dans les années 1930 promeut l’eugénisme et l’hygiène raciale en Allemagne nazie, sera jusqu’en 1939 financé par la Fondation Rockefeller qui était également partie prenante dans les programmes américains et scandinaves.

Une concordance idéologique que l’on retrouve en 1905 quand Francis Galton (anobli en 1909) s’associe à Alfred Ploetz le théoricien allemand à l’origine de «l’hygiène raciale».

Les deux hommes créèrent avec d’autres la Société allemande d’hygiène raciale (Deutsche Gesellschaft für Rassenhygiene). Cette organisation sera affiliée à la “British Eugenics Education Society” de Galton. Une coopération qui permettra l’implantation de succursales en Suède, aux États-Unis et aux Pays-Bas. Par la suite, la “Deutsche Gesellschaft für Rassenhygiene” exercera une influence directe sur des lois comme la « Loi pour la prévention de la descendance héréditaire malade », qui faisaient partie intégrante de l’Action T4 « euthanasie », un programme du régime nazi supervisé directement par Adolf Hitler.

 

Alexis de Tocqueville : une icône de la bourgeoisie libérale française…

Il est la référence incontournable des chantres français (actuels et passés) de l’«anti-antiaméricanisme». Les mêmes sont aussi les chantres de l’«anti-socialisme». Parmi eux : Raymond Aron, François Furet, ou plus récemment Bernard-Henri Lévy et Alain Finkielkraut. Né en 1805, Tocqueville, juriste qui fut tour à tour diplomate, homme politique et historien, est surtout connu aux États-Unis pour son œuvre « De la démocratie en Amérique ». Selon ses dires, l’échec de la Révolution française est le fait d’un attachement trop important aux idéaux des Lumières définis en grande partie auparavant par Jean-Jacques Rousseau dans son Contrat social dans lequel Rousseau explicite que la démocratie doit maintenir sa pureté. Tocqueville était quant à lui un libéral classique qui, en conséquence prônait la nécessité d’un gouvernement, parlementaire. En 1835, Tocqueville entreprit un voyage en Irlande. Il y observe les conditions épouvantables dans lesquelles vivaient la plupart des fermiers catholiques. De plus Tocqueville décrit les Workhouses comme « l’aspect le plus hideux et le plus dégoûtant de la misère ».

 

… pas si bienveillante qu’elle en a l’air

L’indignation à géométrie variable est une constante chez les libéraux. Si Tocqueville a su se montrer souvent très critique envers la politique sociale britannique,Losurdo nous rappelle que « Tocqueville propose d’appliquer le modèle de la colonisation américaine à l’Algérie : il théorise la «guerre juste» faite aux «sauvages» voués à la destruction, qui passe par des exactions à l’encontre des civils, et l’instauration d’un apartheid garantissant la suprématie blanche ». Selon l’aristocrate français, «La race européenne a reçu du ciel ou a acquis par ses efforts une si incontestable supériorité sur toutes les autres races qui composent la grande famille humaine, que l’homme placé chez nous, par ses vices et son ignorance au dernier échelon de l’échelle sociale, est encore le premier chez les sauvages».

 Des crimes multiples liés la colonisation française en Algérie que Tocqueville n’a jamais cessé de cautionner : « J’ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n’approuve pas, trouver mauvais qu’on brûlât les moissons, qu’on vidât les silos et enfin qu’on s’emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants, ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre », écrivait Tocqueville avant d’ajouter « Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays … ».

 

Les pratiques esclavagistes et génocidaires du pouvoir américain

Les Anglais ont établi treize colonies de peuplement en Amérique du Nord aux XVIIe et XVIIIe siècles. Elles accèdent à l’indépendance en 1783 et deviennent les États-Unis d’Amérique. Sur les 36 premières années des Etats-Unis, il y a 34 années pendant lesquelles les Présidents sontdes propriétaires d’esclave, relate Losurdo. Ce premier point constitue une différence fondamentale avec la conception des protagonistes de la Révolution française à qui il est reproché une approche trop abstraite de la question politique. Losurdo nous dit : « mais c’est pour cela que la Révolution française a débouché sur cette idée abstraite qu’est l’abolition de l’esclavage ». Cette idée abstraite mais surtout universelle ne pouvait évidemment pas être le produit d’une caste d’esclavagistes qui avaient développé leurs fortunes par le biais du trafic des Africains. Car ne l’oublions pas, entre 11 et 12,7 millions d’entre eux ont été arrachés à leurs terres entre le XVe et le XIXe siècle pour être déportés par les grandes puissances européennes : Portugal, Espagne, Angleterre, Hollande et France.

Bien moins connue, la mise en esclavage des Amérindiens est l’une des autres fautes morale du colonialisme européen en Amérique. Dans son premier livre « Colonial North America », l’historien Brett Rushforth jette un éclairage nouveau sur le bilan total de l’esclavage des populations amérindiennes. Il établi qu’entre 2 et 4 millions d’autochtones ont été réduits en esclavage en Amérique du Nord et du Sud. Dans son second livre, Rushforth réexamine en particulier l’esclavage des Amérindiens par les colons français, aidés en cela par certains de leurs alliés autochtones. Rushforth retrace ainsi l’interaction dynamique qu’il y avait entre les systèmes autochtones déjà existants et l’institution coloniale française basée sur le continent américain.

En Nouvelle-France, pas moins de 10 000 Indiens ont été réduits en esclavage entre 1660 et 1760.

 

Dans sa « Contre-histoire du libéralisme », Losurdo revient sur Thomas Jefferson, le 3e président des États-Unis qui dans sa correspondance privée reconnaît volontiers l’horreur de la guerre contre les Indiens. Mais Losurdo précise qu’aux yeux de Jefferson, « c’est justement le gouvernement de Londres qui en est responsable car il a excité ces « tribus » sauvages et sanguinaires : cette situation va nous obliger à les poursuivre jusqu’à l’extermination… ». George Washington proposait quant à lui la négociation de l’achat des terres car pour le 1er Président des États-Unis, l’Indien était un « sauvage » qu’il valait mieux éviter de « chasser » de son territoire, car il y reviendrait à un moment ou à un autre. D’un autre côté, en violation d’un traité en 1779 pendant la guerre d’indépendance, George Washington, le commandant de l’armée continentale ordonne que les territoires des Iroquois soient conquis et dévastés. Le non-respect des engagements envers les Indiens accompagne la marche de l’Histoire américaine, nous rappelait l’historien américain Howard Zinn qui écrivait : « les gouvernements américains ont signé plus de quatre cents traités avec les Amérindiens et les ont tous violés, sans la moindre exception ».

En 1763, la Grande-Bretagne, par la Proclamation royale, décida de réserver le «Territoire indien» à l’ouest de la Nouvelle-Angleterre aux autochtones et interdit même aux colons de s’y installer. Cette décision est en grande partie à l’origine de la guerre d’indépendance. On dénombre environ 65 conflits armés ayant opposé les peuples Indiens d’Amérique du Nord aux Américains, dans une période allant de 1778 à 1890. La conséquence immédiate de ces guerres fut la politique de déportation des populations indiennes vers des réserves. Guerres, maladies et massacre des bisons pour affamer les Indiens débouchèrent sur un résultat sans appel. Entre le XVIème et le XIXème siècle, la population des natifs américains est passée de plus de 20 millions d’individus à seulement 250 000. Alors génocide ou pas ? Sont qualifiées de génocide les atteintes volontaires à la vie, précise l’ONU. Dès lors, il suffit de relire simplement les aveux de Jefferson pour s’en convaincre : « Cette situation va nous obliger à les poursuivre jusqu’à l’extermination ».

Avant de refermer ce chapitre, n’oublions pas qu’il y a peu de temps, les lois ségrégationnistes étaient encore en vigueur : 

« Les Amérindiens doivent eux attendre 1924 pour bénéficier de la citoyenneté. Quant aux Afro-Américains, malgré l’abolition de l’esclavage en 1865 et le vote dans la foulée des Quatorzième et Quinzième amendements, qui garantissent théoriquement leur citoyenneté, ils voient, au moins jusqu’aux années 1960, leur droit de vote massivement restreint par des astuces juridiques comme les tests d’alphabétisation ou la grandfather clause, qui impose d’avoir eu un grand-père électeur pour être électeur soi-même ». A cela ajoutons que les mariages «interraciaux» étaient interdits entre blancs et noirs dans une majorité des états avant la Seconde Guerre mondiale, et très souvent aussi entre blancs et Asiatiques ou blancs et Amérindiens. (Slate, 25 août 2017)

 

Vous avez dit un continent pour une seule race…

En 2017, James Q. Whitman écrit : « Hitler American Model » que nous pouvons traduire par « Le modèle américain d’Hitler ». Dans cet ouvrage, Whitman démontre qu’Hitler s’est tout particulièrement inspiré des politiques ségrégationnistes mises en place aux États-Unis pour élaborer la législation du 3e Reich. Même si Whitman souligne que “les États-Unis ne sont pas responsable de la politique allemande entre 1933 et 1945, cet essai nous aide à comprendre l’influence américaine sur les pratiques racistes dans le monde entier. Whitman note ainsi qu’en 1942 le ministre nazi Hans Frank qualifiait d’« Indiens » les juifs d’Ukraine…

Philippe Burrin, enseignant à l’Institut des Hautes Etudes internationales à Genève, rappelait quant à lui en 2001 dans L’Express que dans un plan de recomposition d’une nouvelle Europe, « [Hitler affirmait qu’]il y a une race allemande, à laquelle appartiennent non seulement les Autrichiens, les Suisses allemands, les Luxembourgeois mais également tous les individus d’Europe qui ont pu avoir eu des ascendants allemands. […] Ensuite, on agrège à cette masse allemande les populations parentes dites «germaniques» comme les Scandinaves, les Hollandais, les Flamands, pour former un peuple maître de quelque 100 millions de personnes. Pour que celui-ci puisse croître rapidement, il faut un «espace vital» : Hitler a choisi les terres situées à l’est de l’Europe. Que fait-on des «sous-hommes» qui s’y trouvent déjà ? Réponse logique : on les expulse, ou bien on les transforme, comme jadis, en esclaves qui aideront aux grands travaux d’aménagement, ou, pour ceux qui n’ont pas de territoires, comme les Juifs et les Tsiganes, on les extermine ». En bref : une race supérieure, des expulsions, des esclaves et une extermination de masse. Comme un air de déjà-vu ?

 

Le « droit-de-l’hommisme »

Au fil du temps, la rhétorique libérale a dû évoluer. Tout d’abord parce que les grandes métropoles capitalistes ont vu leur leadership remis en cause par l’autodétermination chinoise qui a inspiré beaucoup d’autres pays du tiers-monde. Ensuite, parce que la narration droitière et racialiste du 18ème siècle est devenue douteuse, voire même obscène après le procès de Nuremberg. Les libéraux ont donc judicieusement abandonné le racialisme désormais trop voyant et mal connoté au profit d’un discours emprunt de bonnes intentions appelé le plus souvent « droit-de-l’hommisme », qu’il ne faut surtout pas confondre avec la « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen » de 1789 qui stipule dans son premier article : « Art. 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Et de facto, le « droit-de-l’hommisme » allait immédiatement se caractériser par son jumelage avec un autre concept qui allait connaître un succès immodéré : « l’ingérence humanitaire ». Cette fausse belle idée venue de la “gauche-caviar” fut popularisée par le “French doctor” Bernard Kouchner dans les années 1980. Un alibi impérialiste qui a permis par exemple à Sarkozy

1/ de s’emparer d’une plus grande part de la production libyenne de pétrole.

2/ d’accroître l’influence française en Afrique du Nord

3/ d’améliorer la situation politique personnelle de Nicolas Sarkozy en France

4/ de permettre à l’armée française de réaffirmer sa position dans le monde, et

5/ de répondre à la volonté de Kadhafi de supplanter la France comme puissance dominante en Afrique francophone.

Ces 5 points sont extraits d’un rapport élaboré par les parlementaires britanniques. Pour des raisons quasi identiques, un autre rapport britannique met en cause la façon dont Tony Blair a lancé son pays dans la guerre, et son soutien inconditionnel à George W. Bush.

 


Le « Choc des civilisations » ?

Le libéralisme est une hydre à deux têtes et avec le temps, les discours sur les bons sentiments n’ont plus satisfaits pleinement les libéraux du style identitaire. Aussi, ces derniers ont préféré entretenir leur paranoïa en se référant depuis 1993 au « Choc des civilisations ». La promotion de ce concept remonte à un article de la revue Foreign Affairs du Council on Foreign Relations, puissant cercle d’influence connu pour ses penchants néoconservateurs et néolibéraux. Le « Choc des Civilisations » est avant tout une théorie forgée par l’Américain Samuel Huntington qui laisse planer l’idée d’une supériorité morale de l’Occident qui serait menacée par une grande partie du Monde. L’un des problèmes avec la thèse d’Huntington est qu’elle oublie les effets néfastes de plus de 300 ans de culture libérale sur la grande majorité des hommes (esclavage et génocide en particulier, comme nous venons de le voir). D’autre part, les Etats-Unis, actuel vaisseau amiral de l’Occident, sont de loin le pays le plus guerrier des deux cents dernières années. Il convient aussi d’ajouter que les tenants du « Choc des civilisations » pointent du doigt un conflit entre la « civilisation occidentale » et la « civilisation islamique » en omettant de préciser que tout en étant la principale source de financement du terrorisme islamique, les pétromonarchies du Golfe sont des alliés indéfectibles des États-Unis. Compte tenu de cet état de fait, nous retiendrons que pour les libéraux interventionnistes, le « Choc des civilisations” fut à l’origine de la Guerre préventive qui était le point central de la doctrine Bush. Depuis lors, les guerres sont humanitaires mais aussi préventives puisqu’elles sont promues par les adeptes de deux pôles qui appartiennent malgré tout au même entre-soi.

 

Et en France ?

Sur le plan social, la lutte syndicale a indéniablement poussé le capitalisme à “lâcher du lest”. Aussi nous pouvons constater qu’à travers l’histoire, seul le rapport de force a fait infléchir le libéralisme qui se déclare social uniquement quand il est au pied du mur. De ce fait, rien n’est jamais totalement acquis dans un monde dominé par les libéraux qui, quelle que soit l’étiquette du gouvernement, s’appliquent à déconstruire le model social dont les grandes lignes peuvent se résumer à : Droit à une retraite décente pour tous, gratuité des soins, et assurance chômage.

Nous avons vu dans les paragraphes précédents que pour des questions internationales, le libéralisme avait deux têtes donc deux discours (droit-de-l’hommisme et Choc des civilisations). Ce faux débat est également présent pour les questions de politique nationale. D’un côté du débat public, il y a ce qu’il convient d’appeler la “gauche mondaine” qui vient de fusionner autour de Macron avec une partie de la droite dite “modérée », donnant lieux à un conglomérat qui a réduit la classe ouvrière à une classe fantôme. De l’autre côté, il y a les libéraux qualifiés de «néo-réacs» qui ont pour cœur de cible la communauté musulmane qui, à leurs yeux, représente l’ennemi intérieur, voire même une cinquième colonne. Cette articulation qui peut se résumer à un débat entre Bernard Henri-Lévy et Eric Zemmour, ou encore entre Robert Ménard et Raphaël Enthoven, préfigure dès maintenant un second tour de la présidentielle 2022 qui opposera Macron à Le Pen, que tous les médias nous présentent déjà comme inéluctable. Toutes les cases identifiées par Losurdo, qui déterminent la longue histoire du libéralisme (racisme, spoliations, mépris de classe, exploitation, vanité, cynisme, sexisme…) sont cochées par l’ensemble des personnages publics de la galaxie libérale qui tentent quelques fois de masquer un naturel qui revient toujours au galop.

 

Recueil de morceaux choisis

« Aujourd’hui, je ne suis pas prêt à faire les concessions que m’impose le Parti socialiste, c’est-à-dire m’excuser d’être un jeune mâle blanc diplômé. En d’autres temps, c’était un avantage compétitif inouï. Un jeune mâle blanc inspecteur des finances, il y a soixante ans, était le maître du monde » avouait Emmanuel Macron – « Une gare, c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien, parce que c’est un lieu où on passe, un lieu que l’on partage » confesse Emmanuel Macron le président de « tous les français » – https://www.lci.fr/social/video-d-ou-tu-sors-qui-t-as-elu-passe-d-armes-entre-le-cineaste-romain-goupil-et-eric-drouet-dans-la-grande-explication-2105945.html « D’où tu sors ? Qui t’a élu ? » vocifère à l’encontre d’un Gilet jaune le cinéaste Romain Goupil. « Deux millions de musulmans en France, ce sont deux millions d’intégristes potentiels. » prétend Pierre-André Taguieff, la référence de nombreux médias – « A chaque fois que l’Islam s’est installé quelque part, ça s’est toujours mal terminé » explique le ministre Philippe de Villiers – « les-antillais vivent de l’assistance de la métropole » prévient l’académicien Alain Finkielkraut – Jean-François Kahn, fondateur de l’hebdomadaire Marianne, qualifie l’affaire DSK de « troussage de domestique » – « L’ADN explique 50 à 80 % de nos différences intellectuelles pas 100 % heureusement : l’école peut réduire un petit peu les inégalités ! » nous dit Laurent Alexandre, cofondateur du site Doctissimo qui est chroniqueur au journal Huffington Post, au journal Le Monde, et dans le magazine L’Express. Pour Manuel Valls « il y avait trop de noirs sur le marché d’Ivry ». En conséquence, il demande à l’homme qui l’accompagne : «Tu me mets quelques blancs, quelques whites, quelques blancos ». « Si à 50 ans t’as pas une Rolex, t’as raté ta vie » nous explique Jacques Séguéla, le publicitaire mitterrandien qui a voté en 2007 pour Nicolas Sarkozy. Comme vous l’aurez peut-être remarqué, il y a donc trois discriminations qui reviennent à intervalle régulier chez les bourgeois libéraux :

1/ la discrimination sexuelle

2/ la discrimination sociale et

3/ la discrimination ethnique.

 

Les deux facettes de la même médaille

Si le débat consacré à l’euthanasie entre Eric Zemmour et Laurent Alexandre sur CNews n’a pas de grand intérêt pédagogique, il révèle néanmoins la tendance actuelle qui est de générer des polémiques autour de sujets dits sociétaux qui ont l’avantage de reléguer les problèmes sociaux au second plan. Sur la forme, nous pouvons voir cette confrontation comme une sorte de tragi-comédie qui met en scène deux débatteurs qui à eux seuls cumulent l’ensemble des archaïsmes listés ci-dessus. Zemmour le champion des droites est sexiste, islamophobe et il admire Napoléon qui entre autre a rétabli l’esclavage en 1802. Alexandre qui, comme Zemmour, a participé à la “convention de la droite”, est depuis quelques années la coqueluche de certains médias prétendument modérés et foncièrement atlantistes comme par exemple L’Express. C’est un horrible élitiste (c’est lui qui le dit) qui trouve que le président versaillais Emmanuel Macron est génial. Son élitisme décomplexé lui fait souligner dans L’Express « l’urgence de favoriser les bébés chez les intellectuelles, ingénieures et chercheuses », parce que selon lui « Les femmes douées ont moins d’enfants ». Et logiquement, il explique devant un auditoire attentionné que « les gilets jaunes sont des êtres substituables ». Une assertion indirectement mais effectivement remise en cause par une enquête de l’Institut Montaigne (pro-Macron) qui indique que les actifs sont au cœur du mouvement des Gilets jaunes. Pour l’heure, Laurent Alexandre peut toujours rêver de Gattaca, il n’en reste pas moins que la société a toujours besoin de ses millions d’employés et d’ouvriers. Si Laurent Alexandre dit être opposé au suffrage censitaire, il y a toujours chez lui l’idée d’un droit obtenu en fonctions des capacités. Déjà présent dans l’oeuvre de Locke, le présupposé libéral emprunté à la pensée aristocratique qui veut qu’il y ait une “race” supérieure au sein de la même “race”.

Socialisme – libéralisme : deux modèles que tout oppose

Pour se soustraire à la critique, l’argumentation libérale consiste à dévier du sujet en martelant régulièrement que les révolutions (non libérales) ont fait des millions de victimes. Ce genre d’assertion univoque et souvent dépourvu de contenu factuel a l’avantage de faire oublier qu’il y a deux types d’acteurs dans une révolution. Les révolutionnaires bien sûr, mais aussi les contre-révolutionnaires. Rajoutons à cette remarque que contrairement au libéralisme bourgeois qui lui est au service d’une minorité de privilégiés, le socialisme se caractérise par deux axiomes :


1/ la déclaration universelle des droits de l’homme,


2/ le concept de lutte des classes qui fut impulsé par Karl Marx et Friedrich Engels.

Ces deux idées ont en commun le non assujettissement à l’influence politique et à la pression institutionnelle. Dès lors, il n’est pas question dans le proto-socialiste et par la suite dans le socialisme d’anéantir ou même de mettre à l’index une partie de la population. Alors, évidemment qu’il y a eu des crimes dans les révolutions mais il s’agit de déviances qui n’étaient pas prévues dans les projets initiaux. Dans le libéralisme, les crimes que l’on découvre a posteriori sont constamment justifiés a priori. Ce dernier point est capital, puisqu’il établit clairement que le projet libéral est historiquement réactionnaire et raciste alors que le socialisme propose un idéal de liberté et de justice.

En conséquence, la convergence des deux lignes, libéralisme et fascisme, se trouve confortée par des points de vue qui peuvent paraître étonnamment similaires. Le rapprochement idéologique est d’autant plus frappant quand l’exemple choisi fait figure de symbole de la résistance à l’Allemagne d’Hitler : Winston Churchill, célèbre pour ses bons mots et la longévité de sa carrière politique. Son caractère opiniâtre face au péril nazi lui a valu le surnom de « Vieux Lion ». Avec ses allures de tonton débonnaire et bienveillant, Churchill, a su se forger une réputation d’excellence par un travail acharné et soutenu.

Churchill, sadressant au dictateur italien Benito Mussolini à Rome en 1927,déclara : « Votre mouvement a rendu un service au monde entier. Si j’avais été Italien, j’aurais été de tout cœur avec vous, de bout en bout dans votre lutte triomphale contre les passions bestiales du léninisme. ». En 1943, les Indiens sont prêts à soutenir l’effort de guerre contre le nazisme, à condition qu’on leur accorde l’indépendance. Le premier ministre britannique rétorqua : « partir à la demande de quelques macaques ? ... Je hais les Indiens. C’est un peuple bestial, avec une religion bestiale. ». Sans ménagement, Sir Winston réquisitionnera massivement les denrées. Le résultat pour les populations locales fut catastrophique. On dénombra entre 3 et 4,5 millions de victimes au Bengale selon plusieurs estimations considérées sérieuses. Dans le Illustrated Sunday Herald du 8 février 1920, Churchill accuse les Juifs d’être responsables de la révolution russe. A l’instar d’Hitler dénonçant le danger d’une conquête judéo-bolchévique de l’Europe, Churchill expliqua en substance qu’une conjuration mondiale, motivée en grande partie par de la jalousie, visait à renverser la civilisation en empêchant le processus d’évolution traditionnel. En 1937, il déclara à la Chambre des communes être « fortement en faveur de l’utilisation de gaz toxique contre les tribus non civilisées”. Ce jour-là, le futur Premier ministre du Royaume-Uni apporta indiscutablement sa caution au le projet d’extermination physique théorisé dans Mein Kampf par Adolf Hitler au milieu des années 1920.

 

Conclusion

Les promoteurs de cette idéologie qu’est le libéralisme développèrent dans son premier âge une opposition farouche à l’absolutisme monarchique qui régnait jusque là sur toute l’Europe. A l’origine de ce mouvement, nous retrouvons des prétendants à plus de droits qui vont de la grande bourgeoisie à la petite noblesse. Désireuse de bousculer l’ordre établi, cette nouvelle autorité aux allures de méritocratie est parvenue au nom de vertus autoproclamées (travail, effort, compétence et intelligence) à s’émanciper des monarchies héréditaires et élitistes. Cependant, ce simple renversement s’est opéré sans jamais remettre en cause la totalité de l’ordre social.

Dominico Losurdo nous rappelle que sur les traces des royautés ou des aristocraties militaires, les sociétés libérales ont eu recours pour optimiser leurs profits à l’esclavage, à l’«esclavage salarié», au sous-prolétariat, à la traite négrière et à l’élimination de populations autochtones.

Ces crimes furent justifiés au nom d’une appartenance à une civilisation supérieure. Un étalage de faits qui nous éclaire sur pourquoi et comment plusieurs siècles de monarchisme combinés à plusieurs décennies de libéralisme ont débouché dans la première moitié du 20e siècle sur l’émergence du national-socialisme et de ses théories raciales. La contre-Histoire de Losurdo nous démontre de manière indiscutable que tous les ingrédients qui façonnèrent l’idéologie nazie existaient déjà bien avant la naissance d’Hitler.

Nous constatons que le fascisme circule toujours dans le réseau de tuyauterie du libéralisme. Cela se traduit d’abord dans les discours paradoxaux d’un « pôle droit-de-l’hommiste mondain » qui d’un côté fustige les revendications des moins favorisés ici en Europe, et d’un autre camoufle ses prétentions néocoloniales et stratégiques sous un verbiage cynique et hypocrite qu’ils appellent “ingérence humanitaire”. Le danger se précise lorsque nous comprenons que de l’autre bord du même camp se trouvent les identitaires, dont l’archaïsme redondant est marqué par le « choc des civilisations », un concept qui ne repose sur aucun fondement scientifique. Cette aliénation, favorisée par des débats hypermédiatisés comme celui sur le « voile » a fini par engendrer d’autres théories paranoïaques comme le mythe du « grand remplacement ». C’est que, malgré un “relooking” quasi permanent, le libéralisme est avant tout réactionnaire et conservateur. En conséquence cette doctrine met tout en œuvre pour nous faire oublier l’importance de la lutte des classes dans la construction historique. Mais laissons à Jean Jaurès le soin de conclure : « C’est qu’au fond, il n’y a qu’une seule race : l’humanité » .

 

* Observatoire du néoconservatisme

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4 janvier 2020 6 04 /01 /janvier /2020 18:47

L’attentat terroriste qui a visé le général iranien Sulaymani ainsi que quelques hauts gradés irakiens rappelle au monde que l’indépendance des nations n’est pas acquise et que le principe de la Charte des Nations Unies sur la non ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat indépendant reste systématiquement bafoué par les Etats exceptionalistes qui se croient au-dessus des lois. Il démontre du coup que la désagrégation de l’ordre et de la loi internationale se poursuit, même si les rapports de force évoluent en défaveur des Etats jusque là les plus puissants, à commencer par le premier d’entre eux. Car la fuite en avant sans contrôle vers des exécutions extra-judiciaires en complément des emprisonnements extra-judiciaires à Guantanamo ou des violations des lois démocratiques comme dans le cas de Julian Assange en Royaume-Uni, de Chelsea Mannings aux Etats-Unis ou de Georges Ibrahim Abdallah en France, démontrent que le monde que nous connaissions se défait inexorablement et, donc, qu’un autre monde est en train d’émerger par la force des choses. D’où la nécessité de bien analyser le rapport des forces existant actuellement.

La Rédaction

 

 

Les guerres jamais gagnées

-

Addendum après l'assassinat de Qassem Sulaymani à l'aéroport de Bagdad

 

janvier 2020

 

Badia Benjelloun

 

Quelle guerre auraient donc gagnée les USA depuis les deux bombes atomiques larguées sur un pays défait par une formidable offensive soviétique menée depuis la Mongolie extérieure et les berges de l’Amour, alors qu’il se préparait à une reddition sans condition ?

 

Aucune.

 

Enquête de SIGAR

 

Celle menée en Afghanistan depuis 2001 est devenue le prototype des guerres ingagnables. Le Wash Post a publié des éléments d’interviews de militaires et de diplomates étasuniens (après 3 années de bataille juridique) qui révèlent que de hauts responsables ont délibérément dissimulé les preuves qu’elle ne pouvait être gagnée et qu’ils ont ainsi trompé l’opinion publique. Ces entretiens résultent d’une enquête menée par l’inspection générale spéciale pour la reconstruction de l’Afghanistan (SIGAR), office créé en 2008 pour enquêter sur les fraudes de guerre. Un général trois étoiles qui avait effectué son service sous Bush et Obama déclare que nul ne savait ce qu’il faisait en Afghanistan, pays dont personne ne savait rien. Un autre témoin confie comment chaque sondage ou rapport était transformé pour ne présenter que les aspects compatibles avec les ‘succès’ des forces US sans aucun égard pour la réalité.

 

Avec une naïveté déconcertante, un gradé a confessé ne jamais avoir su donner des réponses à ses subordonnés sur l’identité de leur ennemi, les Talibans ou Al Qaïda ? ni sur le rôle du Pakistan, allié ou un adversaire ? La question du nombre ahurissant de djihadistes étrangers des chefs de guerre recevant une paie de la CIA restait également sans réponse.

 

La corruption massive du gouvernement appuyé par les Usa avait auparavant poussé les Afghans à rejoindre les Talibans qui assuraient un peu d’ordre là où ils administraient.

 

Le scandale du rapport de l’OIAC

 

En Syrie, dès 2011 les Usa et d’autres pays occidentaux, dont la France, ont offert des « armes non létales » aux opposants de Bashar al Asad avant de fournir ouvertement formation militaire, aide financière, renseignements et armements. La narration officielle fournie pour justifier l’implication directe des Usa par les frappes aériennes ou par l’encadrement des YPG kurdes puisait son argumentation sur la nécessité de lutter contre « l’Etat islamique » (abondamment équipé d’armement étasunien) et la défense d’une population civile contre les armes chimiques employées par le ’régime’. L’agression étasunienne de la base syrienne Shayrat par des missiles de croisière le 7 avril 2017 a été légitimée par la prétendue attaque chimique gouvernementale de Khan Shaykhoun, quelques jours plus tôt. Plus de 100 missiles furent alors lancés par les Usa, Le Royaume-Uni et la France grâce à ce prétexte.

 

Il est maintenant établi que le rapport de l’OIAC qui incrimine le gouvernement syrien lors de l’attaque de Douma en avril 2018 a été falsifié volontairement par des responsables de cet organisme dépendant en principe de l’ONU. Une vingtaine d’experts qui avaient travaillé sur le dossier ont dénoncé l’amputation de leurs comptes rendus d’éléments, ce qui altère les conclusions rendues favorables aux résultats escomptés par les pays occidentaux.

 

Wikileaks a édité le rapport original et celui tel qu’il a été transformé après les arrangements des hauts responsables de l’OIAC. Rappelons ici que Julian Assange est actuellement emprisonné abusivement dans une prison de haute sécurité britannique ‘préventivement’. Il a largement purgé une peine pour avoir contrevenu aux conditions de sa liberté sous caution pour un viol qu’il n’a pas commis en Suède. Il est gardé pour être livré, s’il ne meurt pas avant sous les tortures et l’isolement qui lui sont infligés, aux Usa pour être puni d’avoir livré au monde des câbles diplomatiques, des témoignages sur les crimes de guerre étasuniens.

 

Un retrait précipité de l’armée étasunienne de zones entières au Nord-Est du pays en octobre 2019 a laissé le champ libre à l’armée turque pour se déployer. La présence américaine s’est concentrée autour des zones pétrolières au Sud-Est de Deir ez Zor ce qui indique sans ambiguïté que la lutte contre les Takfiristes n’est pas la raison de l’occupation de cette partie de la Syrie. Trump avec un cynisme bien assumé a en effet déclaré : « 45 millions par mois de pétrole, c’est bon à prendre. Garder le pétrole, je vais envoyer Exxon Mobil pour exploiter correctement ces champs ».

 

Ce premier janvier 2020, l’armée de la République arabe syrienne est aux prises au Sud d’Idlib avec Hayat Tahrir al Sham, l’une des organisations terroristes issues de la mère de nombreuses autres formations paramilitaires, la fameuse Al Qaïda pur produit de la CIA. Si la Turquie, soutien traditionnel d’Al Qaïda dans la région renonce à soutenir son allié, son engagement en Libye et à Chypre et quelques accords avec la Russie pourraient expliquer cet abandon, le gouvernement syrien pourrait prendre alors le contrôle entier de l’autoroute qui traverse le pays du Nord au Sud.

 

Bientôt 9 ans de guerre, 5 millions de réfugiés hors de la Syrie et 6 millions de déplacés à l’intérieur des frontières dans un pays de 20 millions d’habitants et cependant un pays encore debout malgré les destructions et les affrontements des puissances sur son territoire.

Syndrome de Saigon à Bagdad

 

L’Irak n’a pas eu cette chance relative. 15 ans d’occupation après 10 ans d’embargo, une première guerre du Golfe et une guerre Iran-Irak de huit ans dans un contexte de disparition de toute infrastructure étatique l’ont laissé exsangue. Comme en Afghanistan, le maître-mot est la corruption d’autant plus prononcée qu’ici il ne s’agit pas des milliards déversés depuis les hélicoptères du Pentagone ni des ressources provenant du trafic de l’héroïne mais de l’or noir présent en abondance. Les manifestations de protestation contre l’absence des services publics minimaux (eau potable et électricité) et la corruption débutées en octobre ont déjà fait plus de 470 morts. Les quelques aides au logement et les allocations chômage distribuées à des jeunes sans emploi ne suffisent pas à enrayer la colère. La démission du premier ministre le 30 novembre ne parvient pas à la calmer. Ce sont de très jeunes gens ayant moins de 25 ans, cette tranche d’âge représente 60% de la population et 40% d’entre elle est au chômage, qui portent le mouvement qui a commencé dans des zones chiites en rébellion contre leurs élites corrompues. Les régions sunnites du Nord ne le rejoignent que tardivement, en décembre, et de façon limitée, craignant une nouvelle flambée de guerre confessionnelle qui avait assuré le succès des Takfiristes de « l’Etat islamique ».

 

Depuis plusieurs semaines, des roquettes ont été tirées sur des sites où sont basés des soldats et des diplomates étasuniens. Un sous-traitant étasunien est décédé le 27 décembre quand une salve de roquettes s’est abattue sur une base militaire près de Kirkouk touchant une réserve de munitions et faisant de nombreux blessés. L’armée étasunienne a répliqué le 28 décembre en lançant 5 attaques contre des bases de Hashd Al Chaabi * avec un bilan très lourd, 25 morts et 51 blessés.

 

Des milliers de combattants qui ont participé aux funérailles ont traversé sans encombres les check points qui protègent la Zone Verte, cette immense zone où siègent les institutions gouvernementales irakiennes et l’ambassade étasunienne. Des centaines de tentes ont été érigées autour de la zone, un sit-in a été organisé pour continuer de protester contre la présence de l’armée d’occupation étasunienne qui a réduit ses effectifs en 2011 mais est revenue en force en 2014 pour contrer l’édification de l’EI qu’elle avait contribué à mettre en place. Ayant fait démonstration de sa force, la Hashd al Chaabi a ordonné l’évacuation des abords de la chancellerie ce premier janvier. Ce retrait a été effectué pour permettre au Parlement de négocier avec les USA le principe du départ du pays des forces d’occupation à la demande de nombreux députés. Mais Téhéran a ainsi rappelé aux Usa que les militaires et les diplomates étasuniens en Irak sont ses otages potentiels. 

 

Trump a immédiatement accusé l’Iran d’être à l’origine de ces incidents et annonce l’envoi de 750 parachutistes pour protéger le symbole de l’occupation, l’immense ambassade-forteresse bientôt menacée du syndrome de Saïgon, l’ambassadeur et les principaux diplomates furent exfiltrés.

 

Deux pas en arrière un pas en avant

 

Tout aussi rapidement, le Président US en exercice et candidat aux prochaines élections a rétrogradé les menaces à l’égard de l’Iran. Interrogé le 31 décembre sur la possibilité d’attaquer l’Iran, il répond qu’il ne voit pas ‘cela se produire’. **

 

Les exercices militaires navals conduits conjointement par l’Iran avec la Russie et la Chine en mer d’Oman et dans l’Océan indien constitue un argument dissuasif de poids contre les velléités des Usa et de l’Arabie aux mains des Bédouins du Nedjd. L’Iran n’est pas isolé et a repris son programme nucléaire alors que les sanctions étasuniennes ne sont pas contrées par les pays de l’UE.

 

Les enquêteurs de l’ONU, invités par les Bédouins du Nedjd, ont établi un rapport qui ne ‘peut confirmer’ l’implication de l’Iran dans les attaques par missiles et drones des deux sites pétroliers d’Abqaïq et Khuraïs le 14 septembre 2019. Cette victoire diplomatique de la République islamique d’Iran se double d’un soufflet à l’égard de Ryad, atteinte par la Résistance d’un pays affamé et dévasté qu’elle agresse, et à l’intention des Usa incapables de protéger leur grand allié et fournisseur de dollars pour leur industrie militaire. Autre déconvenue de taille pour les Saoud, la souscription pour les actions d’ARAMCO début décembre n’a pas suscité l’enthousiasme des investisseurs. Les 25 milliards levés suffiront à compenser à peine le déficit d’une année. Face à cette demande peu empressée, ARAMCO a décidé d’annuler pour le moment l’introduction sur une place boursière internationale.

 

Corruption à tous les étages

 

Comment gagner des guerres quand l’ennemi n’est pas identifié ?

Comment les éviter quand le Pentagone est une machine à corruption et que l’un des moyens d’alimenter le circuit des fraudes, vols, détournements, dépassements de budgets, postes de dépenses avec acronymes que personne ne comprend est de faire des guerres interminables et entreprendre toujours de nouvelles ? A la fin de l’année 2018, le Département US de la Défense avait déboursé 900 millions US$ pour un audit qui a employé 1 200 auditeurs externes et 21 cabinets d’audit. La conclusion en avait été que la complexité de la jungle comptable était trop compliquée pour pouvoir être pénétrée.

 

Outre la dénonciation d’agressions sexuelles (viols et harcèlements) qui semblent être la norme, la qualité de l’enseignement académique commence à être mise en question publiquement. On y apprend plus le conformisme, et ainsi on favorise la médiocrité et le cynisme. Le savoir académique devient secondaire par rapport aux performances footballistiques, et la compétition pour des postes bien rémunérés est la motivation principale des étudiants. Comment donc gagner des guerres avec des officiers préoccupés plus de leurs salaires et des perspectives de servir les industries de l’armement que de servir sinon leur patrie du moins l’Etat qui les a formés grâce à des deniers publics?

 

Déclin à tous les niveaux.

 

Le déclin de cette nation ne se mesure pas seulement à sa perte de domination technologique en matière d’armement.

 

Une société qui a investi à la faveur d’un terrorisme « islamique » qu’elle a manipulé tant de ressources dans la surveillance de ses compatriotes et de nombreuses cibles étrangères se montre incapable de dénouer rapidement et clairement la mascarade du Russiagate. Tous les échanges téléphoniques et les courriers électroniques sont consultables par le FBI et disponibles dans les Mega Data stockées par la NSA. La collusion de Donald Trump avec une puissance étrangère n’est pas démontrable car elle est une invention de ses adversaires politiques encore plus corrompus que lui. L’occupation de l’opinion publique de la presse et du Parti qui a perdu les élections est une activité parasitaire qui évoque les discussions sur le sexe des anges alors que l’empire byzantin assiégé était en train de vivre ses dernières heures.

 

L’activité désordonnée de l’exécutif étasunien, barricadé derrière son idéologie de nationalisme économique, a réussi à faire se contracter les échanges commerciaux mondiaux avec un ralentissement très net pour l’Amérique du Nord (4,3% de croissance en 2018 versus 1,5% en 2019). Pour l’Europe, les chiffres sont de 1,6% en 2018 et 0,6% en 2019, reflet d’un marasme antérieur qui s’aggrave cependant. Mais ce qui inquiète l’OMC, c’est la poursuite de la baisse des carnets de commande pour 2020. La guerre des taxes douanières entreprise par Trump ne concerne pas que la Chine. Les récentes annonces de sanction à l’égard d’Airbus et des entreprises européennes qui collaborent à la réalisation de Nord Stream-2 désignent la cible européenne.

 

L’OMC a autorisé les USA à mettre en place des droits de douane contre Airbus alors que les Européens avaient plaidé que Boeing a reçu des subventions interdites entre 1989 et 2006 de 19 milliards de dollars. Mais ces manœuvres restent sans effet, Airbus enregistre un nombre de ventes record pour 2019, 860 appareils contre 345 pour son rival américain très mal en point avec son Boeing 737 Max cloué au sol. Les Usa prétendent (sans rire) qu’empêcher l’achèvement du pipeline qui va relier la Russie à l’Europe en passant sous la mer Baltique réduirait la dépendance des Etats de l’UE vis-à-vis de Gazprom. La motivation impérialiste étasunienne est de faire acheter aux Européens du gaz de schiste liquéfié étasunien plus onéreux et des hydrocarbures d’un marché du Proche Orient (d’où les puits irakiens et syriens voire israéliens et turcs) et de l’Afrique du Nord (Libye et peut-être Algérie) qu’ils auront réorganisé. L’Allemagne, la colonie étasunienne par excellence en Europe, se rebiffe par la voix de son ministre des Affaires étrangères.

 

La perte des emplois industriels est un véritable problème dans les pays qui ont exalté en son temps la globalisation de l’économie et les délocalisations. Un travail épidémiologique récent a mis en évidence un lien entre la concentration forte des morts par overdose des opioïdes dans certaines régions et le taux de fermetures des usines de production de voitures et de leurs sous-traitants dans ces foyers d’endémie de surconsommation des opioïdes. Ces résultats triviaux (absence de revenus et mauvaise santé publique) ignore d’autres travaux qui avaient établi que la prescription des opiacés synthétiques était proportionnelle à l’activité marketing de Purdue Pharma et à sa communication biaisée de son produit OxyContin®. Le cynisme de la famille Sackler à l’origine d’une catastrophe sanitaire d’une ampleur considérable (700 000 morts en 24 ans) n’a pas de limites. La filiale internationale de Purdue Pharma, Mundi Pharma, a obtenu l’autorisation de mise sur le marché de l’antidote de l’OxyContin®, la naloxone, molécule qui n’est plus protégée par un brevet, tombée dans le domaine public, sous forme de spray nasal. La forme galénique de Mundi Pharma est trente (30) fois plus onéreuse que la forme injectable vendue à moins d’un dollar en Asie.

 

En France, une étude analogue menée par des chercheurs de l’INSERM et du CNRS avait montré que l’impact du chômage sur la santé conduit à 14 000 décès par an. Les adeptes du darwinisme social (notion complétement étrangère aux travaux de Darwin qui avait montré que l’évolution des espèces se faisait au travers de la coopération et de l’empathie entre les individus) pourront se réjouir de l’élimination ‘sociale’ des ‘inutiles’.

Un manifestant français a arboré un drapeau français où était écrit sur la bande blanche :

 

« Un jour, nous plumerons avec amour les vautours ».

 

Badia Benjelloun

 

* Coalition de forces paramilitaires majoritairement "pro-iraniennes" intégrées à l’armée irakienne.

 

** Ce matin, le Général Qassem Sulaïmani a été tué aux côtés d’un haut responsable du Haschd Al Chaabi lors d’une attaque contre l’aéroport de Bagdad. La rencontre de Pompeo avec Netanyahu au cours de laquelle le responsable étasunien a très chaudement remercié son hôte juste avant cet assassinat ciblé laisse supposer qu’Israël n’est pas étranger à cette attaque revendiquée par le Pentagone.

 

Notes :

https://www.fascinant-japon.com/urss-japon-guerre-offensive/

https://www.washingtonpost.com/graphics/2019/investigations/afghanistan-papers/afghanistan-war-confidential-documents/

https://wikileaks.org/opcw-douma/#OPCW-DOUMA%20-%20Release%20Part%203

https://fr.wikipedia.org/wiki/Organisation_pour_l%27interdiction_des_armes_chimiques

https://southfront.org/military-situation-in-syria-on-january-1-2020-map-update/

https://www.bbc.com/news/world-middle-east-48353751#https://www.bbc.com/news/world-middle-east-48353751

https://www.youtube.com/watch?v=4nF81eYsokA

https://french.almanar.com.lb/1597378

https://www.econostrum.info/L-Union-europeenne-tance-la-Turquie-pour-ses-forages-au-large-de-Chypre_a25815.html

http://french.xinhuanet.com/2019-12/30/c_138667193.htm

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https://www.ouest-france.fr/monde/irak/irak-les-manifestants-se-sont-retires-du-secteur-de-l-ambassade-americaine-6674961

https://alethonews.com/2020/01/01/trump-says-he-does-not-see-war-with-iran-happening-hours-after-issuing-a-threat-against-tehran/

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https://www.france24.com/fr/20191211-attaques-en-arabie-saoudite-l-onu-n-est-pas-en-mesure-de-confirmer-une-implication-de-l-iran

https://baumannjoelnachshon.wordpress.com/2018/12/06/la-fraude-comptable-massive-du-pentagone-exposee/

www.lapresse.ca/international/etats-unis/201904/04/01-5220956-le-sexisme-dans-les-ecoles-militaires-des-etats-unis-denonce.php

https://fr.sputniknews.com/defense/201912241042653075-poutine-rappelle-que-la-russie-est-le-seul-pays-a-posseder-larme-hypersonique/

https://turcopolier.typepad.com/sic_semper_tyrannis/2019/12/we-were-warned-about-the-deep-state-but-refused-to-listen-by-larry-c-johnson.html

https://www.latribune.fr/economie/international/l-omc-prevoit-un-effondrement-des-echanges-pour-2019-829597.html

https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/airbus-ecrase-boeing-au-nombre-de-livraisons-en-2019-1159816

https://www.strategic-culture.org/news/2019/12/27/washingtons-unmasked-imperialism-towards-europe-and-russia/

https://www.dw.com/en/us-senate-approves-nord-stream-2-russia-germany-pipeline-sanctions/a-51711980

https://www.nytimes.com/2019/12/30/business/economy/30opioids-auto-plants.html

https://www.dedefensa.org/article/700-000-morts-sur-ordonnance

https://www.dailymail.co.uk/health/article-7793895/Sackler-owned-opioid-maker-goes-global-OD-treatment.html

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1 décembre 2019 7 01 /12 /décembre /2019 22:34

On ne peut nier que, aujourd’hui, malgré la critique généralisée des politiques imposées par l’Union européenne, malgré le brexit et malgré le fait qu’il est bien connu que cette structure supranationale a été conçue aux Etats-Unis dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale pour contrôler le marché européen, questionner cette structure reste largement tabou. En particulier dans les milieux de gauche qui en sont arrivés aujourd’hui à éprouver de la difficulté à faire la différence entre internationalisme, eurocentrisme, mondialisme et impérialisme.  Il est clair aussi que les directions des partis, des syndicats et des grosses associations sont souvent devenues dépendantes des subsides de Bruxelles, d’où les rébellions de leurs bases qui sont en train de tenter de renverser les tables. Et si le Pôle de Renaissance communiste en France qui a soutenu Melenchon aux dernières élections présidentielles s’est retrouvé au final snobbé par le candidat, c’est sans doute à cause dl’anticommunisme de ce dernier mais aussi de la position de cette formation opposée à l’UE.

On peut donc être pour ou contre l’UE, croire même à une possible « autre Europe », mais il nous a semblé que, au-dessus de cela, par simple mesure d’hygiène mentale et politique, il fallait mettre les pieds dans le plat et forcer à poser la question tabou qui bloque la vie politique française, alors même que le mouvement de masse des Gilets jaunes a montré que la plupart des revendications sociales formulées à cette occasion ne peuvent être traitées sans qu’on pose la question européenne qui s’avère donc fondamentale. C’est donc le moment pour provoquer une discussion sur la question de la souveraineté du peuple et donc de la souveraineté nationale dans un esprit internationaliste. C’est pour quoi il nous a semblé utile de publier cet article qui en posant la question de l’Union populaire républicaine pose en fait non pas celle d’une formation avec laquelle on peut être ou ne pas être d’accord, mais la question des causes de la stigmatisation ou du silence de plomb qui l’entoure tant à droite qu’à gauche.

La Rédaction

 

 

Les alter-chiens de garde de l’Union européenne

 

À propos de l’enquête du 

Monde diplomatique sur l’UPR

et 

des fourvoiements de la

« gauche radicale »

-

Novembre 2019

 

 

Laurent Dauré

 

« C’est le caractère essentiel du socialisme bourgeois de chercher à maintenir la base de tous les maux de la société actuelle et de vouloir en même temps les abolir. »

Friedrich Engels, La Question du logement (1872)

 

Ancien abonné (mais toujours lecteur) du Monde diplomatique et ancien adhérent (mais toujours sympathisant) de l’Union populaire républicaine, j’ai évidemment lu avec grand intérêt l’article que le mensuel a consacré à ce parti, d’autant plus que je m’étais entretenu avec le journaliste dans le cadre de son enquête. Voici donc ma critique de ce texte qui en dit autant sur le média qui le publie – et plus largement sur la « gauche radicale » – que sur son sujet. À ceux qui s’en prennent, parfois avec véhémence, à l’Union européenne pour son orientation néolibérale et antidémocratique, mais refusent obstinément de proposer d’en sortir, j’aimerais poser une question quelque peu orientée : Peut-on être alter-européiste et se réclamer de façon conséquente de la gauche ?

C’était une anomalie qui témoignait sans doute d’un certain embarras, Le Monde diplomatique était le dernier média national traitant de politique à ne pas avoir accordé le moindre espace à l’Union populaire républicaine et à François Asselineau, mis à part une très brève mention dans cet article et un épinglage saugrenu du siège du parti sur la « carte des lieux de pouvoir à Paris » (alors que celui de la représentation en France de la Commission européenne n’y figure pas…). Toutefois l’UPR disparaît dans une nouvelle version de ce document par ailleurs intéressant ; le « Diplo », d’abord trop modeste, s’est ajouté dans cette actualisation, mais la police de caractères est si petite qu’il faut une loupe pour le repérer (dans le 13arrondissement, non loin de la place d’Italie).

 

Le mensuel altermondialiste a pourtant eu plusieurs occasions de s’intéresser à l’UPR – fondée en 2007 –, notamment lorsqu’il a publié un dossier fourni sur les élections présidentielle et législatives de 2017, puis dans celui dédié aux élections européennes de 2019. Aussi, en proposant dans son édition d’octobre une enquête de deux pages sur le parti du Frexit, Le Monde diplomatique montre qu’il a eu le souci de rompre franchement le silence et de prendre le sujet au sérieux.

 

Il n’est pas facile de décrire objectivement la chose politique atypique qu’est l’UPR. Moi-même, malgré huit ans de militantisme en son sein (2009-2017), dont six en tant que membre du Bureau national, il m’arrive encore de m’interroger sur la nature de ce mouvement insolite. Saluons donc la tentative de « diagnostic » du journaliste Allan Popelard et son effort de rigueur. Cela dit, l’article me semble biaisé, incorrect ou injuste sur plusieurs aspects, certains essentiels.

 

Le verdict défavorable du Monde diplomatique (UPR = « droite mélancolique ») est en fait l’expression en creux des ambiguïtés de la « gauche de gauche » à l’égard de la construction européenne – et donc de la souveraineté populaire et de l’indépendance nationale –, un clair-obscur aussi tenace que funeste partagé aussi bien par ce journal plein de qualités que par la formation politique dont ses lecteurs comme sa rédaction sont les plus proches, à savoir la France insoumise.

 

Examinons maintenant l’article dans le détail. Je me concentrerai sur ce qui me semble être les faiblesses et erreurs du texte, tout en convenant que son auteur fait preuve ici et là d’une finesse d’analyse et d’observation que l’on trouve rarement dans le paysage médiatique français. Je formulerai trente objections, qui pour la majorité contiennent des critiques plus larges sur les fourvoiements de la gauche hexagonale (qui ne pense pas d’équerre). Ce sera un peu long – très, en fait – mais l’exercice ne me paraît pas inutile, en espérant qu’il alimentera le nécessaire débat sur le rapport de la gauche à l’Europe et à la souveraineté. Ce texte est aussi pour moi l’occasion de parler de mon expérience à l’UPR.

 

(1) Un journaliste juge et partie, un journal aussi (dans une moindre mesure)

 

L’auteur de l’article, Allan Popelard, est un militant du Parti de gauche, qui est la matrice et le laboratoire d’idées de la France insoumise ; il est également membre du comité de rédaction de L’Intérêt général, la revue du PG. Sans préjuger de son souci d’objectivité, on peut tout de même postuler que cet engagement ne le prédispose pas favorablement à l’égard de l’UPR, un parti non seulement rival de celui qu’il soutient mais également très critique à son égard (en particulier sur la question européenne ; voir ce texte ou cette vidéo, par exemple).

 

Le Monde diplomatique ne mentionne pas l’affiliation partisane de son journaliste, une information qu’il serait pourtant pertinent de communiquer aux lecteurs. Féru de critique des médias, le mensuel éreinte à juste titre les dominants du secteur lorsqu’ils s’adonnent à ce genre d’omission. Mais comme le « Diplo » a lui-même une inclination pour la France insoumise, et que ses responsables savent qu’une large portion du lectorat partage cette préférence (35,2 % des abonnés selon cette étude, très loin devant toutes les autres organisations politiques), il lui est difficile de dire sur l’UPR autre chose que ce qu’il dit. C’est regrettable mais il est rare qu’un journal prenne à rebrousse-poil les lecteurs (et l’électeur...).

 

Pour nourrir son enquête, Allan Popelard m’a demandé un entretien et c’est bien volontiers que j’ai accepté de lui parler. Lorsque nous nous sommes vus en mars dernier pendant deux bonnes heures, je savais déjà qu’il était membre du PG, mais je n’avais aucune raison de douter de son honnêteté et faisais confiance au Monde diplomatique pour adopter un point de vue équilibré et factuel. Nous avons également échangé quelques courriels avant et après ce rendez-vous.

 

Soyons clair, je ne suspecte nullement M. Popelard de mauvaise foi et, autant que je puisse en juger, il s’est efforcé de faire un travail consciencieux. Cependant je pense que le fameux biais de confirmation a joué, renforcé par ce qu’on pourrait appeler un « biais d’affiliation », l’UPR étant une âpre concurrente de la France insoumise. De plus, comme on peut le constater sur les réseaux sociaux, des membres et des sympathisants de la FI s’intéressent de près aux analyses et propositions du parti du Frexit, ce qui doit susciter un certain agacement chez les gardiens de la formation mélenchonienne. L’hypothèse de départ du journaliste-militant était que l’UPR appartenait malgré tout à la droite, et il a davantage prêté attention à ce qui allait – ou semblait aller – dans ce sens. Je m’efforcerai de le montrer ci-dessous.

 

Qu’auraient dit les partisans de la France insoumise si Le Monde diplomatiquem’avait confié la réalisation d’une enquête sur ce mouvement et son fondateur ?… Nous sommes certes ici en pleine fiction politico-journalistique ; pour certains, c’est même un scénario d’épouvante.

 

(2) Une titraille connotée

 

Le titre de l’article d’Allan Popelard est « Ces Français qui militent pour le “Frexit” ». Pourquoi mettre des guillemets à Frexit alors que Le Monde diplomatique n’en met plus à Brexit depuis trois ans ? Ne surinterprétons pas ce choix typographique mais cela semble dénoter une certaine distance incrédule, comme si proposer la sortie de la France de l’Union européenne était quelque chose d’étrange ou de folklorique. À moins que la rédaction du mensuel n’estime que le mot « Frexit » – introuvable dans ses colonnes avant avril 2019 – n’est pas assez familier de ses lecteurs pour être privé de guillemets. On peut alors s’interroger sur le délai dans l’emploi de ce néologisme en circulation depuis 2015.

 

Par ailleurs, écrire « Ces Français » invisibilise les adhérents de l’UPR – en nombre non négligeable – qui n’ont pas la nationalité française ; ce serait anodin si le corps de l’article mentionnait cette originalité, mais ce n’est pas le cas (alors qu’il y avait une occasion de le faire, nous le verrons).

 

Quant au surtitre, il indique : « Au cœur de l’Union populaire républicaine », une affirmation un peu grandiloquente et sensationnaliste qui laisse entendre que le journaliste est parvenu à saisir l’essence du parti, sa vérité profonde, ou qu’il s’est infiltré dans une secte. Or, M. Popelard n’a évidemment pas eu accès à tout, son enquête lui a permis de capter des fragments de la vie de l’UPR : ce qu’on a bien voulu lui montrer et lui dire, ce qu’il en a interprété. Bref, « À l’intérieur de l’Union populaire républicaine » aurait été plus modeste, et correct.

 

Les quatre intertitres présents dans l’article sont : « Un chef solidaire et sublime » ; « Contre le “laxisme socialiste” » ; « Chiffres et formules latines » ; « Mélancolie de droite ». Comme on le voit, ils sont tous défavorables ou discrètement moqueurs, et véhiculent l’idée de désuétude, d’archaïsme. Et bien sûr le message principal est clair : droite, droite, droite. Il ne faudrait pas qu’un lecteur distrait puisse passer à côté de la sentence délivrée par Le Monde diplomatique sur le compte de l’UPR. On note au passage que la plupart des intertitres concernent François Asselineau (ce qui reflète le contenu de l’article), ou comment contribuer à la forte personnalisation du mouvement tout en glosant plus ou moins ironiquement dessus...

 

(3) Une illustration… mélancolique

 

Le choix de l’illustration – « Mélancolie » d’Eugène Berman – montre aussi une nette volonté de connoter négativement le parti (et l’idée ?) du Frexit : des ruines, des lambeaux, un paysage ravagé et désertique, avec des couleurs rappelant celles du drapeau français. Cette image de déréliction occupant un quart de page associe « Ces Français qui militent pour le “Frexit” » à un passé sépulcral, à des tourments abominables ; leur combat est synonyme de défaite et de désolation.

 

Cette façon de ternir la défense de la souveraineté populaire et de l’indépendance nationale rapproche la « gauche radicale » incarnée par Le Monde diplomatiquedes médias et commentateurs dominants, qui appartiennent tous au camp européiste, c’est-à-dire à la droite ou à la fausse gauche (cette dernière est opportunément appelée « la deuxième droite » par Jean-Pierre Garnier et Louis Janover). Cette imagerie crépusculaire fait d’ailleurs fortement penser aux prophéties apocalyptiques assénées depuis quatre ans au sujet du Brexit.


(4) Un chapô qui penche d’un côté (sous l’effet d’un vent nommé Lordon)

 

Le chapô de l’article (qui le présente et l’introduit brièvement) dit que l’UPR est « connue pour défendre une sortie brutale de l’Union européenne ». Pourquoi « brutale » alors qu’il s’agit de mettre en œuvre l’article 50 ? Dès la première phrase, on cherche à effrayer, on suggère que le Frexit est contre-indiqué et qu’il ne faut pas brutaliser l’UE. Le Monde diplomatique devrait dire sans détour qu’il souhaite que la construction européenne se poursuive, cela permettrait d’y voir plus clair.

 

Et d’ailleurs il le dit parfois, notamment par la voix de Frédéric Lordon, sa tête de gondole de la pensée. L’argumentation est certes un peu tortueuse, le style lourdement précieux, mais quand on sait déchiffrer les atermoiements de la rebellitude petite-bourgeoise, on voit où l’économiste-philosophe-dramaturge-stratège veut en venir. Dans un article intitulé « Une stratégie européenne pour la gauche » (6 novembre 2017) publié sur son blog diplomatique, ce partisan de la disparition de l’euro – c’est toujours ça – écrit qu’il faut veiller à « ne pas laisser la classe éduquée orpheline d’Europe, et à lui donner une perspective historique européenne de rechange », et donc lui signifier « qu’elle n’a pas à renoncer [...]à l’européisme générique qui lui tient à cœur ».

 

Moralité : il convient de tranquilliser « la bourgeoisie de gauche » (sur le dos des classes populaires), qui « a trop peur du vide » – pauvre biquette –, en lui faisant la « promesse d’une sorte de “nouveau projet européen” ». En langage clair et direct : on reste dans l’UE, on renonce à la souveraineté populaire et à la démocratie, et on ne rompt ni avec le capitalisme, ni avec la société de classes.

 

Frédéric Lordon s’est auto-plagié en répétant exactement la même chose dans un texte au titre trompeur – « Sortir de l’impasse européenne » –, produit phare du dossier du Monde diplomatique publié en mars 2019 dans la perspective des élections européennes. Un dossier intitulé… « Une Union à refaire ». Avec de tels « radicaux », la bourgeoisie est peinarde, le monde de l’argent ne risque pas la chute de tension. Qui nous délivrera à gauche de la sempiternelle impasse de « l’autre Europe » ? Manifestement ni Frédéric Lordon ni Le Monde diplomatique. Il ne faut pas désespérer la Butte-aux-Cailles.

 

La suite du chapô nous dit que « le parti prétend dépasser le clivage droite-gauche », ce qui incite à penser que l’UPR considère que celui-ci est… dépassé, obsolète, alors que la Charte fondatrice parle d’un rassemblement provisoire mettant de côté – tem-po-rai-rement – le clivage droite-gauche. De plus, à la question « L’UPR veut-elle abolir le clivage droite-gauche ? », le parti répond nettement « non » sur son site Internet ; Allan Popelard cite ce texte ainsi que la Charte mais ne semble pas croire à la sincérité (ou à la possibilité ?) du positionnement.

 

L’Union populaire républicaine se conçoit idéalement comme une sorte de « méta-parti » s’assignant pour objectif de restaurer les conditions nécessaires à une activité politique souveraine. Une fois la mission accomplie, le mouvement peut se dissoudre, les différentes options idéologiques et politiques se redéployant spontanément dans un cadre institutionnel désormais opérant (ce qui ne veut pas dire définitif).

 

(5) Un petit parti que l’on confond avec un grand

 

Dans le récit de l’opération « La France libre de nouveau à Londres » organisée par l’UPR le 29 mars dernier (et maintenue malgré le report du Brexit), on lit que les militants français sont « applaudis par une foule ignorant à peu près tout de ce petit parti politique d’outre-Manche, qu’elle confond parfois avec celui de Mme Marine Le Pen ». Ainsi, dans la même phrase, il est affirmé qu’un mouvement de 38 000 membres est « petit » (seuls LR et le RN en ont plus…), et qu’on peut – à raison ? – le confondre avec la SARL Le Pen. C’est la ligne doublement erronée qu’ont adoptée les médias dominants à l’égard de l’UPR : un groupuscule souverainiste qui dit grosso modo la même chose que le FN/RN.

 

Hypothèse : l’UPR n’est « petite » que parce que les médias installés continuent de la décrire ainsi, ce qui permet de justifier qu’on ne lui accorde qu’une couverture minime, voire nulle ; cette sous-médiatisation, ajoutée au dénigrement quasi systématique, affectant sa notoriété et ses résultats électoraux. Il s’agirait en somme d’un cas de prophétie autoréalisatrice.

 

Remarquons également que l’article du Monde diplomatique ne fait aucune mention des critiques très développées et originales que l’UPR formule sur l’écurie Le Pen et son rôle sur la scène politique française (voir ce texte ou celui-ci, par exemple).

 

(6) Un parti d’obéissance et de juridisme

 

Plus loin, on lit ceci : « Dénonçant des textes européens qui corsètent la souveraineté nationale et la souveraineté populaire, l’UPR récuse néanmoins les stratégies de désobéissance, au nom du respect du droit international ». D’une part, les traités européens ne font pas que « corseter » la souveraineté du peuple français, ils l’annulent, la réduisent à néant ; d’autre part, l’UPR dénonce le principe même de la construction européenne, antidémocratique et du côté des puissances d’argent dès l’origine, mais aussi étroitement associée à l’OTAN et soumise à Washington.

 

On aimerait que Le Monde diplomatique nous en dise plus sur les « stratégies de désobéissance » – et de renégociation des traités – promues en premier lieu par la France insoumise, avec sa proposition tout à fait confuse et impraticable de « plan A/plan B » (le plan B étant en fait le plan A mais avec la lettre B). Ce serait aussi l’occasion d’exposer, et éventuellement de réfuter, les arguments de l’UPR contre cette approche alter-européiste, qui ne se limitent pas à un appel dévot au respect du droit international – qui, au passage, n’est pas si mal conçu. Au lieu de débattre de tout cela dans son dossier sur les européennes, le « Diplo » nous annonçait avec Yanis Varoufakis, un allié de Benoît Hamon, que nous allions « Vers un printemps électoral »...

 

Ajoutons en guise d’observation que dans l’acception courante (certes discutable), on ne « désobéit » qu’à une autorité que l’on juge malgré tout légitime – les parents, les professeurs – ; or, jouer à l’enfant turbulent avec l’UE comme le prescrivent la France insoumise et Le Monde diplomatique n’est pas à la hauteur des enjeux et de la gravité de la situation. Cette attitude immature et oblique montre qu’il n’y a pas de réelle volonté de s’émanciper de Bruxelles et de permettre au peuple français de choisir librement son destin. Peut-être les petits-bourgeois de la « gauche radicale » peinent-ils à admettre (y compris à eux-mêmes) qu’ils ne se fient pas vraiment à la souveraineté populaire.

 

(7) Une tendresse à l’égard des banques

 

Après avoir listé les nationalisations d’ampleur que propose l’UPR, Le Monde diplomatique ajoute : « La privatisation des banques, en revanche, n’est pas remise en cause. » Pourtant, si on consulte le programme du parti, il y est indiqué que « tout établissement financier secouru par des fonds publics » sera nationalisé (intégralement ou partiellement). Une mesure certes limitée mais pas exactement amène envers le secteur bancaire.

 

D’autres propositions pour réduire drastiquement l’emprise de la finance sont avancées : rétablir le contrôle des mouvements de capitaux, séparer les activités de banque de dépôt et de banque d’affaires, évincer les fonds d’investissement et les grands groupes de toutes les sociétés liées au service public, mettre un terme au pouvoir des agences de notation, interdire le lobbying, etc. On peut estimer que cela ne va pas assez loin (c’est mon cas), mais pour un parti qui se veut de large rassemblement, c’est plutôt offensif.

 

La plupart des mouvements qui se disent à gauche ménagent le monde de la finance bien davantage. Pourquoi l’article ne fait-il nullement mention de ces mesures ? Sans doute parce que ça ne cadrerait pas avec l’étiquette « droite mélancolique complice du capital » que Le Monde diplomatique cherche à épingler acrobatiquement au dos de l’UPR.

 

(8) Le goût des cols blancs résistants

 

Juste après, on peut lire à propos de la référence centrale à la Résistance : « L’UPR est cependant plus prompte à célébrer les cols blancs que les combattants de l’ombre ». Il est correct de dire que François Asselineau, comme il s’identifie fortement à Charles de Gaulle (scoop !), parle plus souvent de l’apport gaulliste, mais il ne minore nullement le « rôle éminent joué par les communistes dans la Résistance intérieure » (cf. cet article dans lequel il rend hommage à la lucidité du Parti communiste français à propos de la construction européenne durant la période 1947-1980).

 

Le président de l’UPR mentionne régulièrement avec emphase les pêcheurs de l’île de Sein, qui n’allaient pas en mer en col blanc… Si l’on remonte dans l’histoire de France, les soldats de l’An II sont eux aussi souvent mis en avant. D’ailleurs Allan Popelard occulte totalement la pleine adhésion de M. Asselineau et de l’UPR à la Révolution française et à son héritage ; ce n’est pourtant pas un détail.

 

Il est important de préciser que si le fondateur du parti peut légitimement être qualifié de gaulliste – mais un gaulliste social d’un genre spécial car favorable au RIC en toutes matières –, ce n’est pas le cas de l’UPR (voir ce texte). De fait, la majorité des adhérents, ayant un ancrage à gauche, reconnaissent la valeur de l’action de Charles de Gaulle pendant la Seconde Guerre mondiale et de certains choix ultérieurs en matière de politique étrangère et d’indépendance nationale, mais sont critiques, voire hostiles, quant à d’autres aspects de sa pensée et de son œuvre.

 

(9) L’incontournable rappel gourmand du parcours de François Asselineau (et la complaisance à l’égard de celui de Jean-Luc Mélenchon) 

 

L’article fait ensuite un rappel détaillé du parcours en cabinets ministériels de François Asselineau dans les années 1980 et 1990. On perçoit une véritable gourmandise à égrener les noms des Premiers ministres et ministres de droite, les médias dominants faisant souvent de même. Pareil pour l’engagement auprès de Charles Pasqua au RPF et au conseil général des Hauts-de-Seine (il n’est pas inutile de lire ce que François Asselineau dit à ce sujet). Sous-texte transparent : droite un jour, droite toujours.

 

Au lieu de lister ad nauseam ces étapes indéniablement marquées à droite, il serait plus pertinent et loyal d’examiner les déclarations et prises de position de François Asselineau depuis la création de l’UPR en 2007. Constate-t-on des changements ? Si oui, lesquels ? Est-il juste de laisser entendre qu’un passé politique qui n’est plus « actualisé » existe toujours sous une forme dissimulée ? Et si l’on estime qu’il n’est pas encore établi que la trajectoire et le positionnement du président de l’UPR se sont significativement émancipés de la droite, combien d’années faut-il encore ou que doit-il faire exactement pour modifier cette appréciation ? Quand il est question de François Asselineau, il semblerait que les médias s’arrogent un droit inépuisable au procès d’intention.

 

De ce point de vue, la comparaison avec le traitement de Jean-Luc Mélenchon est éclairante. En effet, le mentor politique du chef de la France insoumise est François Mitterrand – dont il dit toujours le plus grand bien –, récipiendaire de la Francisque numéro 2 202, ministre de la Justice pendant la guerre d’Algérie, protecteur de l’ultra-vichyste René Bousquet (responsable de la rafle du Vél’ d’Hiv’), anti-communiste sournois, acteur principal du tournant libéral et maastrichtien du Parti socialiste, etc. Au nom de quoi l’allégeance – passée et présente – de Jean-Luc Mélenchon à l’égard de François Mitterrand devrait-elle être considérée comme moins fâcheuse que les premières étapes du parcours de François Asselineau ?

 

D’autant plus que pour le leader de la France insoumise, on peut aussi mentionner d’autres prises de position accablantes, certaines récentes : « Maastricht est un compromis de gauche » (Sénat, 9 juin 1992) ; la décision de Nicolas Sarkozy d’intervenir militairement en Libye est une « bonne idée »(BFM-TV, 18 mars 2011) ; « J’approuve l’idée qu’on brise le tyran [Mouammar Kadhafi] pour l’empêcher de briser la révolution » (Libération, 21 mars 2011) « prôner la sortie de l’euro relève du maréchalisme » (Europe 1, 26 juin 2011) ; « Cela vaut la peine de défendre l’euro, pas celui-là, mais commençons déjà par défendre l’idée même de l’euro » (Europe 1, 10 septembre 2011) ; « Je veux l’Europe » (Arrêt sur images, 4 juillet 2013).

 

Autre épisode éloquent, dont j’avais rendu compte dans cet article : le 5 juillet 2015, les Grecs rejettent par référendum (à 61 %) les conditions imposées par la troïka pour un 3« plan de sauvetage ». Alexis Tsipras, pourtant à l’initiative de la consultation, s’empresse de s’asseoir sur le résultat et cède tout aux créanciers. Comment Jean-Luc Mélenchon réagit-il à cette trahison manifeste du peuple grec et de la démocratie ? Ainsi : « on peut considérer qu’il y a là une erreur dans le combat qui a été faite. Mais, à partir de là ça ne le disqualifie pas lui. Donc moi je reste solidaire de Tsipras » (propos recueillis par Télé Bocal et l’Agence Info Libre, le 16 juillet 2015 à Paris, dans une manifestation pour dire « non » aux politiques d’austérité mais… « oui » à Syriza).

 

À la mort de Michel Rocard, voici ce que Jean-Luc Mélenchon écrit sur son compte Twitter (2 juillet 2016) : « Des milliers de personnes engagées sont en deuil. Un éclaireur nous a quittés. Sa vie est une leçon. À chacun de la méditer. En ce temps-là, tous les socialistes étaient de gauche même très différemment. »Et, en effet, quelques années avant, le fondateur du Parti de gauche affirmait ceci à propos de Dominique Strauss-Kahn, alors possible candidat à l’élection présidentielle de 2012 : « Il est membre du PS et a été ministre du gouvernement de Lionel Jospin. Au nom de quoi pourrais-je lui contester son appartenance à la gauche ? » (dans un débat fort amical avec le pro-DSK Pierre Moscovici, L’Express, 24 juin 2010).

 

Bref, la « gauche radicale » devrait se pénétrer de la parabole de la paille et de la poutre… Pourquoi Le Monde diplomatique n’encouragerait-il pas Jean-Luc Mélenchon à corriger ses analyses et positions tout en se réjouissant de l’heureuse évolution de François Asselineau ? C’est là encore un rebondissement de pure fiction car, d’une part, le mensuel partage souvent les erreurs politiques du patron de la France insoumise (alter-européisme, soutien enthousiaste aux pétards mouillés Syriza et Podemos, grave égarement sur la guerre en Libye, par exemple), et d’autre part, la logique électoraliste et le souci de dorloter ses lecteurs petits-bourgeois et très diplômés – 53,8 % des abonnés ont un bac +5 ou un doctorat ! – l’empêchent d’aller trop frontalement contre le ronron alternatif.

 

(10) Le souverainisme est un folklorisme

 

Alors que le président de l’UPR a répété de nombreuses fois – en argumentant – qu’il ne se réclamait pas du souverainisme, l’article poursuit : « Monsieur Asselineau a commencé à embrasser la cause souverainiste en 1992 ». Ce terme tend à relativiser, folkloriser et droitiser la défense de la souveraineté populaire et/ou nationale, et en fait la notion même. Or, saper celle-ci c’est s’attaquer au principe et à la possibilité de la démocratie. Il est regrettable que Le Monde diplomatique adopte ainsi un autre usage des médias dominants, attachés de presse permanents de la construction européenne.

 

(11) Comment transformer François Asselineau en un proche de Nicolas Sarkozy

 

Allan Popelard écrit ensuite que François Asselineau a été « [n]ommé en 2004 par M. Nicolas Sarkozy à la tête de la délégation générale à l’intelligence économique, à Bercy », ce qui est exact, mais il occulte le fait que c’était selon toute vraisemblance pour le placardiser et l’isoler. Le poste, une coquille vide, sera carrément supprimé deux ans plus tard par Thierry Breton, devenu ministre de l’Économie, celui-ci n’ayant jamais reçu le principal intéressé ou prêter la moindre attention à sa mission.

 

M. Asselineau estime que « ses analyses, bien qu’irréfutables, ne sont pas les bienvenues » (cf. ce texte). En ne mentionnant pas ces éléments, le journaliste du Monde diplomatique oriente l’interprétation des lecteurs, conduits à inférer que le président de l’UPR est un proche de Nicolas Sarkozy, ce qui est faux sur tous les plans (professionnel, politique, etc.).

 

(12) Paul-Marie Coûteaux, l’ex-altermondialiste

 

L’article, qui est décidément riche en détails sur le passé de François Asselineau, précise que celui-ci a fait « un bref passage au Rassemblement pour l’indépendance et la souveraineté de la France (RIF), créé en 2003 par l’eurodéputé Paul-Marie Coûteaux (qui se rapprochera plus tard de l’extrême droite) ». Tout ceci est vrai mais là encore on donne aux lecteurs des éléments d’appréciation incomplets qui conditionnent l’interprétation dans un sens défavorable à « l’enquêté ».

 

Paul-Marie Coûteaux a en effet dérivé vers des positions ultra-conservatrices et réactionnaires, jusqu’à doubler sur sa droite le Front national – avec lequel il a cheminé un temps –, mais c’est aussi un ancien chevènementiste (il est passé par les cabinets de Boutros Boutros-Ghali, du « Che » et de Philippe Séguin). Plus surprenant encore, il a été adhérent à Lutte ouvrière et c’est un des membres fondateurs de l’association Attac – créée en 1998 –, dont Le Monde diplomatiqueest on ne peut plus proche, Ignacio Ramonet, alors directeur du mensuel, en ayant été le principal artisan. D’ailleurs M. Coûteaux est également un ancien contributeur du journal.

 

On comprend qu’il soit préférable de taire ce lien Coûteaux-Attac-Diplo pour ne pas perturber le lecteur. D’ailleurs l’association altermondialiste (mais aussi alter-européiste et alter-capitaliste) fait de même sur son site Internet, où on ne trouve aucune mention de Paul-Marie Coûteaux. Quant à ce dernier, il n’affiche plus son engagement à Attac depuis qu’il a choisi de suivre une voie sinueuse au sein de la droite dure.

 

(13) Histoire de trajectoires

 

Allan Popelard insiste : « Du RPF au RIF, de dissidence en dissidence, la trajectoire de M. Asselineau épouse celle de la droite conservatrice et souverainiste. » On a compris ! Autant de lignes qui ne sont pas consacrées à un examen critique des analyses et positions actuelles du président de l’UPR.

 

De l’UNEF au PS, de gauchisme en opportunisme, la trajectoire de M. Mélenchon épouse celle de la deuxième droite anticommuniste et sociale-traître. Ah, si Le Monde diplomatique me confiait la réalisation d’une enquête sur la France insoumise et son champion...

 

(14) Peu diserte donc suspecte

 

Allan Popelard écrit plus loin : « Alors que Les Patriotes de M. Florian Philippot ou Debout la France de M. Nicolas Dupont-Aignan manquent rarement une occasion de prendre à partie les migrants et les musulmans, l’UPR est peu diserte sur ces questions. » D’une part, on pourrait faire remarquer que les musulmans ne sont pas une « question » ; d’autre part, le choix de l’adjectif « disert » suggère que le parti du Frexit aurait envie de dire des choses (quoi ?) mais ne le fait pas. De plus, en ce qui concerne l’immigration, il y a bien un textedans lequel l’UPR expose sa position.

 

J’étais opposé à la « commission migrations » qui avait été créée fin 2017 sans débat et sans même consultation du Bureau national (une des raisons de mon départ), et me suis par conséquent réjoui de constater, comme le note Le Monde diplomatique, qu’« elle n’a jamais rendu publics ses travaux » (qui n’existent peut-être pas du tout). C’est une bonne chose que le respect de la Charte fondatrice l’ait emporté. Toutefois, précisons que si des conclusions avaient été produites, elles n’auraient assurément pas été zemmouriennes...

 

(15) Des spécificités intéressantes mais absentes

 

L’article du Monde diplomatique est malheureusement avare en portraits de militants, il ne rend pas compte de la grande diversité de profils au sein de l’UPR. Mais ce n’est pas le seul problème. Brève présentation d’une adhérente avec laquelle Allan Popelard s’est entretenu : « Mme Manon Chevalier, affiliée à l’UPR depuis 2014 et ingénieure à Montréal (Canada), a pris cette année-là un congé sabbatique pour collecter les promesses de soutien [parrainages pour l’élection présidentielle], se logeant à ses frais en Picardie. »

 

On se demande pourquoi le journaliste n’ajoute pas ici une information pertinente sur cette militante de choc : elle est Québécoise. Un élément qui pourrait contribuer à dissiper un peu l’odeur de renfermé que l’article tend à associer à l’UPR et donnerait une connotation sensiblement différente au passage dans lequel Manon Chevalier se dit « amoureuse de tout ce que la France a apporté ». Comme je l’ai écrit plus haut, le parti du Frexit accueille un nombre non anecdotique d’adhérents qui n’ont pas la nationalité française.

 

L’article ne relève pas deux autres spécificités de l’UPR qui intrigueraient peut-être le lecteur du Monde diplomatique : le fait que ses résultats électoraux obtenus outre-mer sont souvent deux voire trois fois supérieurs à ceux de la métropole ; la proportion d’expatriés parmi les adhérents est de 6,2 % (répartis dans plus de 110 pays) alors qu’on estime qu’entre 3 % et 3,7 % de la population française vit à l’étranger. Voici des données qui mériteraient analyses et commentaires.

 

(16) Un quart d’adhérentes

 

Contrairement à ce qu’affirme l’article, le pourcentage d’hommes parmi les adhérents n’est pas de 85 % mais de 75 %. 25 % de femmes, c’est certes faible, mais un tel déséquilibre se retrouve dans de nombreuses organisations, y compris à gauche. Quant au Monde diplomatique, d’après l’étude déjà citée, la part du lectorat féminin est de 30 %.

 

(17) Spectrographies politiques discordantes

 

Le journaliste déclare ensuite : « Si, au cours de notre enquête, nous avons rencontré d’anciens électeurs de tous bords, ainsi que beaucoup d’abstentionnistes, nombreux étaient ceux qui venaient des rangs de la droite. » Cette dernière affirmation ne correspond pas à ce que j’ai observé pendant huit ans au sein du mouvement. Allan Popelard ajoute en note : « L’UPR, elle, déclare que ses militants [il faudrait lire “adhérents”] auraient majoritairement une sensibilité de gauche. » Et je confirme, c’est bien le cas. Mais comme je ne demande pas à être cru sur parole, il nous reste à souhaiter que des observateurs impartiaux (journalistes, politologues ou sondeurs) trancheront sur ce point.

 

Cela dit, il paraît peu probable qu’un mouvement qui, comme l’écrit avec justesse Le Monde diplomatique« assume pleinement l’héritage du Conseil national de la Résistance (CNR) » et « le prend même pour modèle dans son Programme de libération nationale », soit dominé par la droite. De fait, j’ai pu constater que cette référence cardinale aux « Jours heureux » ne faisait l’objet d’aucune contestation parmi les adhérents ; je n’ai jamais entendu la moindre réserve quant à la pertinence à la fois de l’esprit et du programme du CNR.

 

(18) Les fonctionnaires introuvables

 

Allan Popelard dit qu’il n’y avait « aucun fonctionnaire » parmi les interlocuteurs qu’il a rencontrés. Il est possible que la proportion de fonctionnaires parmi les adhérents de l’UPR soit inférieure à celle de la population totale (8,4 %), mais je doute fortement que l’écart soit important.

 

Pour ma part j’ai adhéré au parti en même temps qu’un ami enseignant au collège et la majorité des camarades proches avec lesquels j’ai gardé des liens sont fonctionnaires. Il y a probablement un biais personnel mais tout de même… De plus, avec les vastes renationalisations et le développement des services publics qu’elle propose, l’UPR peut difficilement être présentée comme un mouvement anti-fonctionnaires.

 

(19) Une occasion manquée de traiter du fond

 

Entre autres observations pittoresques, l’article consacre dix lignes aux médailles que reçoivent parfois des militants qui se sont distingués par leur dynamisme. François Asselineau est en effet un passionné de phaléristique (et de tombola) mais on s’attendrait, venant du Monde diplomatique, à moins d’égards pour l’anecdotique. Il aurait été plus profitable pour les lecteurs d’examiner la validité des analyses de l’UPR, par exemple sur les « GOPÉ », les « soldes Target » ou l’impossibilité des projets d’« autre Europe » (dont, on l’a vu, le mensuel défend sa version lordonienne).

 

Au lieu de qualifier et connoter le parti, mieux vaudrait en critiquer les idées, éventuellement les réfuter. Là aussi Le Monde diplomatique tombe dans un travers courant du rapport des médias à l’UPR, objet politique embarrassant qu’il est plus commode d’évacuer par le dénigrement que par le débat.

 

(20) L’importance d’être constant

 

Plus loin : « La charte fondatrice “n’a subi strictement aucune modification”depuis sa rédaction en mars 2007, comme s’en vante le site Internet du parti. »Oui, et donc ? La constance en politique n’est pas un défaut, a fortiori quand on a raison. Il est certain que la stabilité analytique et programmatique de l’UPR peut décontenancer quand on est habitué aux ambiguïtés et louvoiements de Jean-Luc Mélenchon à propos de l’UE et de l’euro (ou d’autres sujets)…

 

En effet, celui-ci a pu déclarer : « L’Europe n’a pas été créée pour je sais pas quoi, la paix, le reste, c’est pas vrai. L’Europe a été créée pour constituer une entité pour faire face aux Soviétiques avant que les Américains arrivent. Voilà, point. Ils ont d’ailleurs commencé par la communauté européenne de défense »(débat avec Jacques Sapir, Arrêt sur images, 4 juillet 2013). Puis, moins d’un an après, virage à 180° : « l’Union européenne, que nous avons créée d’abord pour régler le problème de la paix entre les Français et les Allemands. Que personne ne l’oublie jamais » (meeting, 13 mai 2014).

 

Six mois plus tard, nouveau demi-tour : « Beaucoup l’ont cru, que l’Europe permettait que la guerre n’ait pas lieu. […] Ce qui a empêché que la guerre ait lieu c’est l’équilibre de la terreur » (débat avec Éric Zemmour, groupe EBRA, 21 novembre 2014). Quelques années passent, les zigzags continuent : « Penser que l’on va relancer l’Europe par l’Europe de la défense, c’est une vision terrible. On n’a pas fait l’Europe pour ça, mais pour faire la paix » (conférence de presse, 6 mars 2017). À quand un article du Monde diplomatique pour exposer et analyser ces revirements symptomatiques du rapport de la « gauche radicale » à la construction européenne ? Compte tenu du nombre d’abstentionnistes, de non-inscrits et d’adeptes du vote blanc ou nul – les « non-élisants » sont majoritaires en France –, une critique de l’électoralisme et des ambiguïtés roublardes qui lui sont consubstantielles trouverait assurément un public.


(21) Indifférence ou ostracisation ?

 

Déroulant sa thèse centrale, l’article poursuit : « Pendant des années, l’UPR s’est tenue à distance des mobilisations sociales. Si elle s’est jointe aux manifestations appelant à la défense de la Société nationale des Chemins de fer français (SNCF), le 22 mars 2018, et à celles des 1er mai 2018 et 2019, elle reste dépourvue de relais syndicaux et indifférente au mouvement ouvrier. » Une présentation très sélective et orientée de la réalité.

 

Il convient d’abord de dire que l’UPR a été intensément harcelée au début des années 2010 par des groupes « antifas » (les guillemets sont importants) : conférences annulées suite à des pressions sur les responsables des lieux, articles malhonnêtes et malveillants sur Internet, menaces, intimidation physique, etc. En 2014, lors de la fête du 1er mai à Paris, des adhérents de l’UPR qui distribuaient des tracts contre le traité transatlantique ont été sauvagement agressés par des nervis ; un militant, Stevann Labbé, a été frappé plusieurs fois à la tête, l’un des coups occasionnant un important saignement du cuir chevelu (voir le communiqué).

 

Il y a eu d’autres épisodes du même genre (cyber-sommations, violence, destruction de matériel militant...). On comprend que ça refroidisse un peu les velléités de se joindre aux cortèges de manière visible, surtout avec des personnes qui pour la plupart découvrent le militantisme de terrain. Il est normal que la direction de l’UPR ait eu des scrupules à exposer les adhérents à des brutes qui ont la certitude que vouloir sortir de l’UE relève du fascisme et refusent par principe toute discussion.

 

Mais ce n’est pas tout. La CGT a fait savoir de façon officieuse que les militants de l’UPR – et en premier lieu François Asselineau – n’étaient pas les bienvenus dans les manifestations et sur les sites des entreprises en lutte. Plus tard, dans un communiqué intitulé « L’extrême droite n’a sa place ni dans les cortèges syndicaux ni nulle part ailleurs ! » (21 mars 2018), la direction de la centrale de Montreuil a fait une allusion transparente à l’UPR en l’amalgamant à l’extrême droite : « du “Front National” aux “Patriotes”, en passant par différents mouvements favorables au “Frexit”, des organisations identitaires, xénophobes et racistes se travestissent en pseudo-alliés et soutiens des travailleurs en lutte… »

 

Puis la CGT a explicitement attaqué l’UPR dans une « Note aux organisations » (4 juin 2018), affirmant, toujours sans preuve ni argument, qu’il s’agissait d’un parti d’extrême droite raciste : « L’ampleur du mal dépasse le seul vote Front National ou d’autres partis comme la Ligue du Sud, l’UPR ou Debout la France, pourtant déjà très inquiétant. » La CGT, à l’instar de tous les autres syndicats français, veut rester dans l’UE – et se condamne donc à l’impuissance –, ce qui suscite des critiques en son sein (voir le reportage « La CGT et l’Europe » et cette vidéo d’un adhérent de l’UPR cégétiste), d’où la fureur de la direction contre les partisans du Frexit.

 

Notons au passage que c’est le mouvement du « droitier » Asselineau qui s’est efforcé de faire connaître en France le syndicat britannique de gauche et pro-Brexit RMT, principale organisation du secteur des transports. La CGT, le PG (puis la FI) et le « Diplo » ne lui ont pas consacré une seule ligne, y compris lors du décès de Robert Crow, qui en fut l’emblématique secrétaire général de 2002 jusqu’à sa mort en 2014.

 

Ce climat franchement hostile – anti-F. A. –, dont Le Monde diplomatique choisit de ne pas rendre compte, ne favorise pas une participation aux mobilisations sociales. Ajoutons que de nombreuses personnalités identifiées à gauche ont refusé les invitations aux Universités d’automne de l’UPR, que d’autres, soutenant le mouvement, ne souhaitent pas le faire savoir publiquement par crainte (légitime) des conséquences. Sans parler de l’attitude antagoniste de la plupart des médias de « gauche ».

 

Ces multiples attaques, rebuffades et anathèmes finissent par isoler, cloisonner – c’est le but. D’autant plus que l’UPR ne se prive pas de critiquer la compromission de la CGT et des autres centrales avec la Confédération européenne des syndicats (CES) – véritable étouffoir du syndicalisme de transformation sociale à l’échelle du continent –, mais aussi le catastrophique tournant « euroconstructif » du PCF.

 

(22) François Asselineau, le Front populaire et la Commune

 

L’article poursuit : « dans sa conférence de trois heures quinze sur l’histoire de France – sans doute la plus regardée par les militants –, M. Asselineau ne dit pas un mot de l’expérience du Front populaire. » Je n’ai pas vérifié, sachant qu’en plus il existe différentes versions de cette conférence, disons que c’est exact. Mais alors pourquoi ne pas préciser que François Asselineau y parle favorablement de la Commune de Paris, ce qui est un peu inhabituel pour un « homme de droite » ?...

 

(23) La question du « conspirationnisme »

 

Allan Popelard a tout à fait raison d’exprimer des doutes à propos de la thèse de François Asselineau sur Mai 68 : « probablement [...] la première “révolution de couleur” » organisée, ou du moins favorisée, par les États-Unis pour se débarrasser de Charles de Gaulle. J’ai fait de même en interne quand j’étais encore à l’UPR, ce genre de spéculations étant par ailleurs tout à fait dispensable ; en effet, le dossier sur l’impérialisme américain et sa pléthore d’ingérences avérées est déjà suffisamment accablant (lire par exemple le remarquable livre de William Blum, Les Guerres scélérates : les interventions de l’armée américaine et de la CIA depuis 1945 – cf. cette brève recension de Jean Bricmont parue dans Le Monde diplomatique).

 

Estimant que la prudence était parfois insuffisante, j’avais demandé – en vain – que soit mis en ligne un texte posant que la parole publique du parti devait être soumise aux principes suivants : « lorsqu’il existe des documents officiels (obtenus par déclassification, interception ou fuite), que l’authenticité de ceux-ci n’est pas contestée par les organisations ou personnalités concernées, alors il est rationnel d’affirmer qu’il y a “complot”, si bien sûr il s’agit d’une action de cette nature (c’est le cas avec les révélations issues du fameux article d’Ambrose Evans-Pritchard). Les déclarations orales ou écrites sont également à prendre en compte. Quand par contre il n’existe pas de preuves factuelles, que les éléments d’appréciation sont incertains, alors il faut suspendre son jugement, même si on est fortement tenté de donner du crédit à une thèse. En effet il convient de se méfier du “biais de confirmation”. »

 

Comme je l’avais exprimé lors de mon départ, il n’est pas judicieux que l’ensemble du parti se trouve « à la merci » des prises de position personnelles exprimées – souvent au débotté – par François Asselineau, notamment dans ses entretiens vidéo en direct. Celui-ci aime parler (nouveau scoop !) et communiquer son point de vue sur quantité de sujets, pas toujours avec les précautions souhaitables.

 

Cela dit, en mentionnant uniquement cette thèse sur Mai 68 (qui n’a jamais été validée par le Bureau national du mouvement), Allan Popelard donne l’impression qu’elle est représentative des autres analyses développées par le président de l’UPR, alors que dans la vaste majorité des cas, celles-ci sont rationnelles et solidement étayées. Mettre ainsi en lumière un point faible en occultant la robustesse du reste n’est pas très fair-play, d’autant plus que l’on peut faire de même avec n’importe quel parti ou personnalité politique. L’éthique intellectuelle exige de donner une juste représentation de la proportion du contenu fragile – voire erroné – dans l’ensemble des analyses et thèses.

 

Digression « anti-conspirationniste » : le regretté William Blum consacre un chapitre des Guerres scélérates à l’implication probable de la CIA dans le putsch des généraux à Alger en avril 1961. Plusieurs éléments probants tendent à montrer que le général Challe aurait au moins reçu le feu vert explicite de l’agence de renseignement états-unienne. Quoi qu’il en soit, une chose ne fait pas de doute : Washington voulait bel et bien que de Gaulle fût écarté du pouvoir, principalement à cause de son opposition à l’OTAN. Il est important d’avoir à l’esprit ce principe général pour cheminer avec prudence vers la vérité en histoire : Tout ce qui arrive n’a pas été voulu, et tout ce qui est voulu n’arrive pas.


(24) Critique de la bourgeoisie

 

Allan Popelard, à mesure que l’article approche de la fin, n’instruit plus qu’à charge : « Réfractaire à tout matérialisme, le fondateur de l’UPR ne mentionne pas davantage le rôle historique de la bourgeoisie. » Une affirmation excessive comme on peut le constater par exemple en visionnant cet échange entre François Asselineau et deux intellectuels marxistes.

 

Comme son président, le parti du Frexit ne peut certes pas être qualifié de héraut du matérialisme historique, mais il fait bon accueil aux socialistes, aux communistes et même aux anarchistes (oui, il y en a parmi les adhérents et sympathisants de l’UPR), et ne marginalise nullement ceux qui s’inscrivent dans le cadre de la lutte des classes et veulent rompre avec le capitalisme. Simplement tous les membres acceptent une hiérarchie de priorités claire dans leurs activités au sein du mouvement : d’abord (r)établir la souveraineté populaire, l’indépendance nationale et la démocratie.

 

Quant à la critique de la bourgeoisie, il est vrai qu’elle est timide et généralement indirecte, mais elle s’incarne dans la condamnation des élites euro-atlantistes, de l’oligarchie financière et industrielle, des médias dominants, etc. De plus, François Asselineau reprend à son compte cette sentence issue du C’était de Gaulle d’Alain Peyrefitte : « Le peuple est patriote. Les bourgeois ne le sont plus ; c’est une classe abâtardie. » Le Monde diplomatique essaie de faire passer l’UPR pour un mouvement qui ménage la bourgeoisie alors que les représentants politiques, économiques et médiatiques de celle-ci ont bien perçu les menaces (pour sa position) qu’implique la rupture authentiquement révolutionnaire proposée par le parti du Frexit. C’est pourquoi il est outré d’affirmer : « Le terme “élite” n’est cependant jamais adossé à une classe sociale. »

 

Mais, au fait, que dit la France insoumise de la bourgeoisie ? Développe-t-elle une critique radicale de son rôle historique, comme on pourrait l’inférer des propos et de l’engagement d’Allan Popelard ? Sur le site Internet de la FI, il y a une seule et unique mention du terme « bourgeoisie », et il s’agit d’une dénonciation de la bourgeoisie… allemande. Si on fait la même recherche sur le site du programme de la FI – « L’Avenir en commun » –, on ne trouve toujours qu’une occurrence, cette fois-ci dans un plaidoyer pour que « le séjour Erasmus ne devienne pas un marqueur d’entre-soi de la jeune bourgeoisie libérale européenne » (ce qui est déjà massivement le cas).

 

La pêche est très maigre mais, assurément, une visite sur le site du Parti de gauche va nous dévoiler la puissance du surmoi marxiste de la France insoumise... Trois occurrences ! La première relative à la bourgeoisie malgache, la deuxième à celle du Venezuela – le dollar est toujours plus vert ailleurs. La troisième mention figure dans un bref communiqué de Jean-Luc Mélenchon datant de 2013 ; il est bien question de la bourgeoisie française mais il s’agit d’une citation de l’ancien député puis sénateur PS Gaëtan Gorce dans laquelle il pointe l’embourgeoisement de Solférino (qui ne date pas des années 2010...).

 

Il ne me semble pas illégitime de déduire de la quasi-absence du mot « bourgeoisie » la faiblesse de la critique de cette classe. Sur le site de l’UPR, il y a treize occurrences du terme, là aussi généralement pour référer à des bourgeoisies étrangères, mais dans cet excellent article de l’universitaire irlandais Anthony Coughlan intitulé « La gauche et l’Europe », on en trouve trois, dont deux dans une citation – approbatrice – du Manifeste du Parti communiste de Marx et Engels (1848).

 

Ce texte remarquable sur la désastreuse compromission de la « gauche » avec la construction européenne, c’est l’UPR qui l’a traduit et publié, pas Le Monde diplomatique ou la France insoumise, trop empêtrés dans les incohérences de leur ligne « alter-tout » typiquement petite-bourgeoise : alter-européiste, altermondialiste, alter-capitaliste, et parfois même alter-impérialiste (comme on l’a vu sur la Libye).

 

(25) Qu’est-ce que défendre la démocratie ?

 

Allan Popelard s’efforce d’enfoncer le clou : « La défense de la démocratie demeure toute formelle, et la structure inégalitaire de la société apparaît comme un problème secondaire. » Il suffit de prendre connaissance du programme de l’UPR pour s’apercevoir que cette assertion est incorrecte. Et si, par exemple, proposer le RIC en toutes matières est considéré comme une broutille par Le Monde diplomatique, ce n’est pas l’avis des nombreux Gilets jaunes qui se sont intéressés au mouvement depuis un an.

 

Pour leur part, le « Diplo » et la FI défendent la démocratie de façon purement fictive et verbale puisqu’ils refusent mordicus de plaider en faveur de la sortie de l’Union européenne, prémisse nécessaire (mais certes non suffisante) à l’exercice de la souveraineté populaire et de l’égalité politique en France. Défendre des principes de façon conséquente, c’est faire en sorte qu’adviennent les conditions concrètes qui leur permettront de pleinement s’exprimer.

 

C’est plutôt à la « gauche radicale » de justifier son choix de ménager une structure fondamentalement antidémocratique et capitaliste comme l’UE. Quand on rend un tel service à la droite, à la bourgeoisie, et donc que l’on favorise la perpétuation de « la structure inégalitaire de la société », on a des comptes à rendre, en premier lieu aux classes populaires.

 

(26) Si Jaurès revenait...

 

Le bouquet final est à l’horizon : « [L’UPR] ne croit cependant ni à la nécessité de dénouer le lien de subordination salariale, ni à celle d’étêter les grandes fortunes pour fortifier la démocratie. » Le parti n’a jamais prétendu être socialiste ou communiste, c’est un mouvement temporaire de libération nationale qui se fixe des objectifs limités mais essentiels. Même si le programme va bien au-delà des questions de souveraineté et de démocratie (trop à mon avis), il a toujours été clair qu’il ne s’agissait pas de préempter les grands choix que les Français feraient une fois (re)trouvée la possibilité de décider collectivement.

 

La FI, le PCF, le NPA et LO ont certes une apparence de partis de gauche mais comme ils refusent tous de sortir de l’UE – ce qui revient à saborder la souveraineté populaire –, ils se vouent à l’impuissance (aux frais des victimes du capitalisme). Sans parler du citoyennisme écolo-sociétal et du déclin de l’engagement anti-impérialiste qui caractérisent toutes les organisations de la « gauche de gauche ». Ce n’est pas avec ces ectoplasmes boboïsés que l’on va « dénouer le lien de subordination salariale » ou « étêter les grandes fortunes pour fortifier la démocratie ». Capitalistes et exploiteurs peuvent dormir sur leurs deux oreilles, la petite-bourgeoisie intellectuelle monte la garde.

 

Allan Popelard cite ensuite Jaurès, mais le parti pour lequel il milite n’est pas à la hauteur de cet héritage. Loin de là. En effet, on peine à imaginer le grand socialiste plaider pour la guerre en Libye, dire que Dominique Strauss-Kahn est un homme de gauche ou balader les électeurs à coups de plan B, de vraie-fausse sortie des traités en restant dans l’UE, etc. Jean Jaurès, qui chérissait la clarté, mais aussi l’efficacité, n’aurait jamais souscrit à cette déclaration brumeuse :

 

« Le PG entend œuvrer à une transformation de l’UE, non à sa destruction. Il ne s’agit donc pas seulement d’abandonner l’UE à son triste sort en restaurant la seule souveraineté du peuple français, mais d’engager une épreuve de force au sein de l’UE en démontrant qu’un gouvernement déterminé à le faire peut toujours mener une autre politique. S’affranchir du carcan néolibéral de l’UE, sortir de l’application intégrale du traité de Lisbonne, sans sortir de l’UE, c’est démontrer que l’on peut préserver l’acquis de cinquante ans de construction européenne, en se débarrassant du poison néolibéral. » (résolution du Parti de gauche sur l’euro adoptée par son Conseil national, 10 avril 2011)

 

Difficile de faire plus tortueux et irréaliste... C’est une capitulation grimée en volontarisme attrape-électeurs. Jean-Luc Mélenchon n’est ni Robespierre ni Jaurès, c’est un remake matamore de Mitterrand (dans lequel on remplace les ortolans par du quinoa).

 

(27) Pourquoi Christine Annoot et pas Zamane Ziouane ou Sylvie Heyvaerts ?

 

C’est Le Monde diplomatique qui m’a appris que Christine Annoot était la responsable des affaires sociales de l’UPR. En huit ans dans le parti, je n’ai jamais croisé cette « membre fondatrice ». À en juger par les déclarations reproduites dans l’article, la nomination semble particulièrement inopportune. Ce ne serait pas la première « erreur de casting » que l’on verrait à l’UPR…

 

D’après ce que rapporte Allan Popelard, Mme Annoot ne connaît pas les mesures sociales du programme, qui vont explicitement contre les politiques libérales, et elle s’aventure même à tenir un discours favorable au capitalisme. Ceci est totalement « hors Charte », selon l’expression consacrée au sein du mouvement, et là encore je ne me souviens pas avoir entendu pareils propos dans la bouche d’un adhérent quand j’étais membre.

 

Je peux imaginer la satisfaction d’Allan Popelard lorsque Christine Annoot lui a dit que les travailleurs avaient « déjà beaucoup de droits ». Cela dit, je trouve discutable de consacrer deux paragraphes à cette cadre clairement marquée à droite, et donc qui a le profil parfait pour la démonstration que le journaliste cherche à produire.

 

Pourquoi ne pas s’être intéressé et avoir donné la parole à Zamane Ziouane(numéro 2 de la liste pour les élections européennes) ou à Sylvie Heyvaerts(ancienne responsable de la France insoumise), par exemple ? Cela aurait donné une tout autre image du parti, de nature à piquer favorablement la curiosité des lecteurs du Monde diplomatique, mais on sent bien qu’un des objectifs de l’article était précisément de les détourner de l’UPR. Les nombreux adhérents et sympathisants qui lisent le mensuel ont dû apprécier.

 

(28) Là où il ne faudrait pas être de « gauche », l’UPR l’est

 

Allan Popelard poursuit la charge : « le dogme du productivisme et son cortège de brutalités sociales et environnementales ne sont [pas] blâmés [dans les rangs de l’UPR] ». Une fois de plus, un rapide examen des productions écrites et audiovisuelles du mouvement permet de contredire cette affirmation, pour les deux catégories de brutalités (il est vraiment difficile de passer à côté des multiples condamnations du productivisme dans le domaine de l’agriculture). J’en sais quelque chose car, autant j’approuve évidemment le réquisitoire contre les dommages sociaux – et sanitaires – du capitalisme productiviste, autant je suis pour le moins sceptique quant à plusieurs aspects du discours écologiste. C’est une autre raison de mon éloignement de l’UPR.

 

Je me suis très fréquemment opposé aux pétitions de principe englobantes contre les pesticides et les OGM, arguant de la littérature scientifique. Sans surprise, le parti a été emporté par la fièvre du glyphosate. Pourtant, comme le dit à juste titre la tribune du collectif No Fake Science« [a]ux expositions professionnelles et alimentaires courantes, les différentes instances chargées d’évaluer le risque lié à l’usage de glyphosate considèrent improbable qu’il présente un risque cancérigène pour l’humain. » Et sur l’autre grande source de fantasmes verts : « Le fait qu’un organisme soit génétiquement modifié (OGM) ne présente pas en soi de risque pour la santé. » Les détracteurs n’ont pas réfuté ces évaluations sur le terrain de la science.

 

Honnir Monsanto pour ses pratiques de multinationale prédatrice est une chose, vilipender sans examen approfondi des technologies – produits phytosanitaires et OGM principalement – en est une autre. Bien souvent, croyant critiquer le capitalisme, le productivisme, on sape en fait la science et le progrès, avec les bienfaits qu’ils peuvent apporter. Ceux-ci pourraient d’ailleurs être puissamment favorisés si le secteur public reprenait la main sur la recherche scientifique et le développement technique, afin que la propriété de leurs fruits échappe aux appétits privés et que progrès rime avec émancipation. Comme l’a écrit Marie Curie dans le livre consacré à son mari, « la science est à la base de tous les progrès qui allègent la vie humaine et en diminuent la souffrance. »

 

Les déclarations équivoques de l’UPR sur la vaccination ou celles, très anxiogènes, sur les perturbateurs endocriniens, me paraissaient également infondées et imprudentes, outre le fait qu’elles nous éloignaient de la Charte. Je ne consentais pas non plus à l’enthousiasme béat pour l’alimentation « bio » et à la promotion irresponsable des « médecines douces et alternatives », bref, à la sacralisation du « naturel ». Les analyses et propositions de l’UPR sont en général rationnelles – aucun autre parti ne peut rivaliser sur ce point –, mais ce n’est pas le cas sur ces sujets, où l’état des connaissances scientifiques est largement occulté. J’ai essayé de le montrer à de nombreuses reprises.

 

Force est de reconnaître que j’étais bien seul dans ce combat, y compris au sein du Bureau national. Pourtant je ne demandais pas que le parti inverse ses appréciations et s’aligne sur mes positions « scientistes », seulement qu’il s’abstienne de se prononcer. Ayant argumenté dans le vide pendant plusieurs années, il a bien fallu que j’en tire les conséquences. Je me méfie aussi de la tendance actuelle à habiller en vert la désindustrialisation. La médiatisation plutôt favorable du discours décroissant est liée (en partie) au fait que celui-ci permet de ripoliner l’austérité en sobriété, la baisse du niveau de vie en joyeuse parcimonie.

 

Suivant l’ensemble de la « gauche » – la France insoumise surenchérit en étant en plus anti-nucléaire – et une bonne partie de la droite, l’UPR a embrassé l’écologie non-scientifique, la technophobie de principe et l’idéologie anti-progrès. Voilà un point de convergence dont Le Monde diplomatique aurait pu se réjouir.

 

(29) Le camp des vaincus

 

Nous sommes tout proches de l’estocade finale, Allan Popelard se cramponne à sa thèse : « Déconsidérés par le capitalisme actionnarial autant que par l’atlantisme et l’européisme triomphants, les héritiers proclamés du gaullisme ont rejoint le camp des vaincus. » Ça sonne bien, c’est même un brin littéraire, mais c’est faux. La majorité des adhérents de l’UPR se sentent simplement les héritiers de ceux qui se sont (vraiment) souciés de la démocratie, de la souveraineté populaire et de l’indépendance nationale. C’est tout.

 

C’est justement parce que cette préoccupation intransigeante est considérée comme de droite par Le Monde diplomatique et bien d’autres que la France se trouve dans une impasse. Tant que la « gauche » s’accrochera à l’idole de la construction européenne, qu’elle s’illusionnera en y voyant malgré tout une ébauche d’internationalisme à préserver, la situation sera bloquée. C’est grandement sa responsabilité si ceux qui veulent confier le pouvoir au peuple sont, pour l’instant, dans « le camp des vaincus ».

 

(30) Les malades du Frexit

 

Et voici la dernière phrase de l’article : « La mélancolie de droite, dont le surgissement de l’UPR est l’un des signes, conserve un pouvoir mobilisateur. »Une conclusion qui montre où peut mener une analyse sociopolitique à la fois incomplète et incorrecte sur plusieurs points, et fortement biaisée par l’affiliation à un parti rival de celui qu’on « observe ». Le concept de « mélancolie de droite » frappe l’esprit, ça sent le passé croupi et l’aversion pour l’égalité ; il s’applique bien au Rassemblement national et à Debout la France – les souverainistes identitaires –, mais pas à l’UPR.

 

Allan Popelard retient un sentiment plutôt que des idées. On adhère à l’UPR avant tout par mélancolie, par une sorte de romantisme affligé, et non pour soutenir des analyses et des propositions, pour défendre des principes… Durant mes huit années de militantisme, j’ai surtout côtoyé des personnes fraternelles, humbles et combatives, certes parfois ébranlées par l’ampleur de l’adversité, mais nullement mélancoliques. Et, répétons-le une dernière fois, majoritairement équipées d’une boussole de gauche.

 

Ce qui est le plus pénible dans cet article, c’est peut-être cela : l’assurance avec laquelle il pose un diagnostic sur les 38 000 adhérents de l’UPR, et notamment sur les militants qui pour la plupart luttent avec abnégation et désintéressement. Le docteur Diplo leur annonce : « Votre obsession pour le “Frexit” ne laisse pas de doute, c’est un symptôme bien identifié. En fait, vous souffrez de mélancolie. Pis : d’une mélancolie de droite. » Le traitement approprié – l’ordonnance – consistant en une lecture religieuse du mensuel et en la foi dans les prodiges à venir de la France insoumise Canal Histrionique (Ruffin 2022 !). Et, bien sûr, il convient d’absorber une dose d’« autre Europe » à chaque fois que la tentation de sortir de l’UE se manifeste.

 

Et si on débattait enfin ?

 

Le Monde diplomatique n’a pas voulu se poser sérieusement cette question : Pourquoi l’UPR attire-t-elle autant de personnes de gauche ? Il a préféré suivre son « intuition » de départ (et de confort) : ces gens sont en fait de droite, même s’ils n’en sont pas conscients. Allan Popelard a refusé d’envisager que le « pouvoir mobilisateur » de l’UPR et de ses idées pouvait être « l’un des signes »de la médiocrité de ce qui tient lieu de gauche en France. Pourtant, il me semble que le désir d’en finir avec l’inconséquence et l’innocuité des réformistes comme des « révolutionnaires » est une hypothèse explicative qui mériterait d’être explorée.

 

Le plus simple ici est de reproduire un courriel que j’avais envoyé à Allan Popelard après notre entrevue (ces arguments n’ont laissé nulle trace dans son article) : « À mon sens, si le camp “souverainiste” apparaît marqué à droite, c’est largement parce que la plupart des organisations de gauche – partis, syndicats, associations et médias – ont abandonné le terrain de la défense (conséquente) de la souveraineté populaire et de l’indépendance nationale, voire combattent celles-ci. Cette désertion, qui a souvent été combinée à un affaiblissement de la vocation anti-impérialiste, a ouvert un boulevard au FN/RN et dans une moindre mesure à DLF, leur permettant d’accaparer ce combat et de le connoter avec leurs préoccupations identitaires et sécuritaires.

 

Même si cette assertion peut surprendre au premier abord, je considère que l’UPR est plus à gauche pratiquement que la FI, le PCF ou le NPA, car elle propose une voie (le Frexit) qui augmente de beaucoup la probabilité de pouvoir appliquer des politiques progressistes en France. On peut multiplier les propositions de gauche [ambitieuses] [je fais ici une petite modification pour éviter une répétition], afficher une radicalité tonitruante, si on n’offre pas dans le même temps une trajectoire réaliste pour les matérialiser, ce ne sont que des déclarations d’intention séduisantes qui produiront in fine de la déception et de la résignation car elles resteront lettre morte. J’ai conscience que je formule un paradoxe apparent : l’UPR, sans être à proprement parler un mouvement de gauche, est plus à gauche – et révolutionnaire – que les organisations qui revendiquent (parfois bruyamment) cette appartenance.

 

À mes yeux, tout véritable projet politique de gauche, qu’il soit socialiste, communiste ou anarchiste, passe nécessairement par la sortie de l’UE et de l’OTAN, c’est pourquoi je ne pourrai jamais m’engager dans un parti qui ne propose pas clairement cette issue. Je ne vois pas par quel miracle on pourrait rompre avec le capitalisme sans Frexit.

 

Sur une note plus personnelle, en réfléchissant à mon parcours, je m’aperçois que je suis entré en politique par la porte de la souveraineté populaire, du souci démocratique (et aussi de l’opposition aux guerres impérialistes), et que j’ai peu à peu donné à ma pensée un contenu plus nettement anti-libéral – puis anti-capitaliste – et des principes anarcho-communistes (via lectures et rencontres). Bref, je suis sorti de l’UPR plus à gauche que j’y étais entré. »

 

J’ai été fort long, il faut que j’en termine. Ce texte m’a permis d’exprimer des choses que je ruminais depuis plusieurs années. J’ai parfois adopté un style vif, voire pamphlétaire, je suis en effet plus que lassé de voir la gauche française sombrer douillettement dans l’indigence. Je voudrais qu’elle daigne cesser de concourir au prix de la gauche la plus nulle du monde. Je souhaiterais que Le Monde diplomatique, qui reste un très bon journal – le seul en France à ne pas être tombé dans la folie du « Russiagate » et le seul à défendre correctement Julian Assange –, arrête de cultiver une sorte d’impuissance savante et la crainte de brusquer le petit-bourgeois.

 

C’est pourquoi j’appelle de mes vœux un véritable débat dans les organisations et médias qui se réclament de la gauche. En particulier sur la question de la souveraineté populaire, de l’indépendance nationale, et donc de l’appartenance de la France à l’Union européenne. Un débat qui n’exclurait pas d’emblée les partisans du Frexit... En ce qui me concerne, je serai toujours disposé à participer à un échange rationnel et loyal. Si Allan Popelard, que je crois intègre et sincère, veut me répondre, c’est avec plaisir que je poursuivrai la discussion avec lui.

 

Je ne résiste pas à la malice de clore par cette anecdote : il y a dix ans, le 19 mai 2009, j’assiste pour la première fois à une conférence de François Asselineau (« Les 12 impasses de la construction européenne ») ; je ne connais alors celui-ci que de nom. Qui organise cet événement ? La section parisienne des Amis du Monde diplomatique. Quelques jours plus tard, j’adhère à l’UPR.

Laurent Dauré

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18 novembre 2019 1 18 /11 /novembre /2019 20:52

Nous avions l’intention de publier l’article de Tamara Kunanayakam sur Sri Lanka écrit avant les élections et qui présentait l’enjeu de ces élections dans un contexte de pressions extérieures accrues sur ce pays qui a réussi à préserver son unité et une cohabitation inter-ethnique après avoir triomphé d’une guerre civile alimentée de l’extérieur. Mais la défaite des clans d’affairistes lors des récentes élections de ce pays ayant provoqué un déluge de commentaires rageurs et sans aucun fondements dans les médias français et occidentaux a démontré l’importance de l’enjeu que constitue ce pays. Nous faisons donc précéder cet article d’un entretien permettant de faire une mise au point sur le contexte post-électoral de ce pays stratégiquement placé.

La Rédaction

 

Sri Lanka résiste au chantage occidental

-

Novembre 2019

 

Jean-Pierre Page

 

1-Les deux dernières années ont été très agitées au Sri Lanka, crise politique et attentats frappaient le pays, quelles étaient les enjeux des élections de ce dimanche 17 novembre 2019 ?

JPP : En fait, depuis l’élection d’un gouvernement ultra-libéral à la botte des USA en 2015, la crise politique n’a cessé de se développer marquée entre autre par une corruption sans précédent comme celui de la Banque centrale, des abandons de souveraineté de plus en plus importants, une domestication géopolitique à Washington, des mesures antisociales, des privatisations importantes, des décisions ultra-libérales, du type de celles pratiquées au Chili d’ailleurs et, curieusement, par les mêmes protagonistes. Tout cela a provoqué très vite, un effondrement économique et monétaire du pays et une plus grande dépendance vis-à-vis des puissances occidentales et des institutions financières comme le FMI. Cette crise a atteint son point culminant avec les attentats et le massacre de centaines de personnes en avril 2019. La manipulation et l’origine de cette tragédie n’était pas indifférente aux arrières pensées et ambitions stratégiques des États-Unis face à la montée irrésistible de l’influence de la Chine dans la région.

Dans ces conditions, le rejet de ce gouvernement conservateur et la colère populaire n’ont cessé de grandir comme j’ai pu le constater à travers de nombreuses luttes sociales et politiques, cela s’est poursuivi avec l’effondrement électoral de la droite et du parti présidentiel aux élections régionales de février 2019 et la grande bataille de ces derniers mois contre le projet d’accord ACSA-SOFA-MCC* imposé par les États Unis et qui aboutirait à une partition du Sri Lanka, une présence militaire permanente transformant le pays en un porte-avion, une vaste base pour de futures agressions contre la Chine, l’Iran et le Pakistan.

Il faut trouver là les raisons de cette défaite de la droite et l’enjeu de cette élection présidentielle qui sera dans quelques mois prolongée par des élections générales. L’ancien Président Mahinda Rajapaksa dont le charisme et la popularité demeuraient très élevés ne pouvait plus se représenter du fait d’un changement constitutionnel imposé par le gouvernement. C’est donc le frère de Mahinda, Gotabaya Rajapaksa, qui s’est porté candidat. Gotabaya est connu pour sa rigueur, et il est lui aussi très populaire car ; comme secrétaire à la Défense dans le gouvernement de son frère au moment de la guerre contre les séparatistes du LTTE (« Tigres tamouls »), il a joué un rôle décisif et il est associé à la victoire contre le terrorisme. La défaite politique et militaire du LTTE qui était soutenu par les pays occidentaux, et en particulier Washington, explique pour une part les campagnes médiatiques mensongères contre le candidat qui vient de gagner les élections, comme l’illustre l’AFP, les ONG, Human rights watch, Amnesty international, le Crisis group, des fondations comme celle de Georges Soros qui sont elles-mêmes financées par les banques, les multinationales et les gouvernements occidentaux. Gotabaya et Mahinda en sont les cibles d’autant que les convictions anti-impérialiste de l’ancien président sont connues, ainsi que son amitié avec Yasser Arafat, Lula, Chavez ou Raoul Castro. L’enjeu de tout cela est bien sûr géostratégique. Il ne faut pas oublier que le Sri Lanka dispose du plus grand port en eau profonde de l’Asie du Sud, ce qui, bien sûr, a toujours suscité les convoitises de l’impérialisme.

Acquisition and Cross Servicing Agreement (ACSA), the Status of Forces Agreement (SOFA) and Millennium Challenge Compact (MCC).

 

2-D'après les résultats publiés, Gotabaya Rajapasksa a remporté les élections. Qu'est-ce que cela signifie pour la situation Sri lankaise ?

JPP : Gotabaya à effectivement gagné les élections sans contestation possible avec plus de 7 millions de voix, chiffre sans précédent dans une élection présidentielle, et près d’1,5 million de voix d’avance sur le candidat de droite. Le troisième candidat avec un résultat dérisoire est le dirigeant du JVP, un parti pseudo marxiste-léniniste dont l’alliance avec la droite et le soutien financier des Américains est bien connu, ce parti escroc est dorénavant totalement disqualifié. Les partis traditionnels de la gauche, notamment le Parti communiste et le LSSP trotskyste, tout comme les deux partis de la gauche souverainiste, soutenaient Gotabaya. Sans aucun doute ces forces politiques de gauche reviendront toutes au pouvoir, comme cela était le cas dans les gouvernements précédents de Mahinda.

Toute la question maintenant est de savoir si Gotabaya tiendra ses promesses sociales, économiques, de lutte contre la criminalité financière et la corruption, et surtout s’il adoptera une attitude ferme et claire sur tout ce qui touche à la souveraineté du pays. Les pressions n’ont d’ailleurs pas tardé de la part des Occidentaux, il en ira de même du très réactionnaire Modi, premier ministre de l’Inde. Il y a des attentes fortes de la part de la population, celle-ci devra se battre. Ce n’est pas la fin de l’histoire, même si les USA et l’UE enregistrent un échec politique avec le résultat de ces élections. Ils ne vont pas renoncer à leurs objectifs dans une région considérée comme une priorité par Washington. Tout dépendra en dernière analyse des luttes populaires, des solidarités internationalistes. Sri Lanka ne manque pas de moyens pour faire face.

 

3- Immédiatement, les capitales occidentales se sont inquiétées de cette victoire. Le Sri lanka occupe-t-il une position géopolitique particulière qui expliqueraitces réactions ?

JPP: Oui c’est indiscutable. Il suffit de regarder une carte de géographie pour comprendre que Sri Lanka, cette île dont Octave Mirbeau disait « s’il existe un paradis sur terre, c’est Ceylan » (le nom ancien du Sri Lanka), a toujours à travers les siècles suscité l’intérêt des grands voyageurs, comme Ibn Battûta mais aussi des colonisateurs portugais, puis hollandais, français et britanniques. Pendant près de 450 ans, Ceylan a connu la colonisation. La culture du pays est très ancienne, près de 5000 ans. La proximité géographique, historique, culturelle, religieuse et linguistique avec l’Inde détermine également les relations économiques et politiques essentielles du Sri Lanka. C’est une dimension que l’on ne peut ignorer. Napoléon non sans raison affirmait « qui contrôlera Ceylan contrôlera l’Ocean indien ». En effet, ce pays, outre sa position stratégique, possède d’importantes richesses caoutchouc, pétrole, gaz, pierres précieuses… et depuis un certain temps elles donnent lieu à d’importantes recherches pour l’exploitation de « terres rares » comme le lithium, enjeu dont le contrôle je le rappelle, n’est pas étranger au coup d’état en Bolivie.

Par conséquent, oui les pays occidentaux s’inquiètent, d’autant que la Chine est très présente à Sri Lanka, qu’elle finance et où elle participe à de grands projets de développement dont « les routes de la soie » constituent un enjeu considérable. Sri Lanka en en est partie prenante. Par conséquent Gotabaya est confronté des aujourd’hui à des enjeux considérables. Il faudra pour cela qu’il s’appuie sur ses alliés naturels, tout particulièrement les pays émergents et en voie de développement, n’oublions pas que lSri Lanka fut un des cinq pays fondateurs du Mouvement desetats non alignés.

Jean-Pierre Page

 

Sri Lanka premières décisions importantes de

Gotabaya Rajapaksa

 

Jean-Pierre Page

 

Depuis l’interview qui précède sur les élections présidentielles au Sri Lanka il est intéressant de noter que les premières décisions du nouveau président Gotabaya Rajapaksa vont dans une direction positive: d’importantes mesures sociales pour les travailleurs du secteur privé et public afin de relancer la consommation intérieure ont été annoncées, en faveur de l’emploi par la relance de la production locale et l’investissement en faveur des petites entreprises, par une révision radicale de la fiscalité qui sera dure pour les riches et très légère pour les classes populaires. Le FMI est fou de rage et menace déjà de conséquences le nouveau Président. Il y a aussi de la part de Gotabaya l’ affirmation d’une action intransigeante contre la corruption qui entraînera sans doute et sous peu l’arrestation et la condamnation des auteurs de l’escroquerie sans précédents de la banque centrale en 2015. Enfin Gotabaya s’est mis d’accord avec le cardinal Ranjith pour une véritable enquête sur les a causes et les responsabilités des attentats terroristes d’avril 2019 (le cardinal a joué un grand rôle dans la dénonciation des complicités du gouvernement de droite, il est connu pour être très attaché a la souveraineté du pays et est proche du pape François). Gotabaya enfin à fait le choix de la simplicité: dans sa tenue vestimentaire, il refuse de vivre au palais présidentiel, va continuer à habiter chez lui, il a fait décrocher partout la photo du Président et s’oppose à ce que l’on mette la sienne dans les lieux publics, il a divisé par trois le système de sécurité qui assure sa protection et veut mettre un terme à tous les privilèges exorbitants des politiciens.

Par ailleurs, le nouveau ministre des affaires étrangères est Dinesh Gunawardana qui est un authentique anti-impérialiste et un des dirigeant de la gauche les plus respecté, il défend fermement la souveraineté et l’indépendance nationale, quant au nouveau Président du Parlement (le speaker dans le système parlementaire britannique), c'est Vassudeva Nyanyakara dirigeant du NSSP (un parti trotskyste à l’origine qui a évolué positivement). Vassudeva est connu pour son anti-impérialisme et, comme dans le cas de Dinesh, ce sont deux hommes politiques de grande valeur très lié au peuple et très apprécié pour leur honnêteté et leur sincérité.Tous les deux sont des défenseurs intransigeants de Cuba et du Venezuela.


Pour l’instant Gotabaya est dans un sans faute, bien sûr il est encore prématuré pour se prononcer, mais les choses vont dans le bon sens et les décisions sont prises rapidement. Cette évolution provoque la colère des Occidentaux, notamment des USA et de l’UE, des ONG, des médias internationaux qui deviennent totalement hystériques, voire entre autre les déclarations de la BBC et l’AFP. A contrario, il y a la satisfaction des Russes (importante déclaration sur le Sri Lanka de Poutine), des Chinois et des Pakistanais (importante déclaration de Imran Khan), et pour l’heure l’expectative des Indiens. Le premier voyage international la semaine prochaine de Gotabaya sera à Delhi, à l’invitation de Modi.

Après leurs échecs politiques majeurs, le parti de la droite est au bord de l’éclatement, et le JVP parti pseudo-marxiste-léniniste qui est dans le même état, ce dernier est totalement discrédité du fait de son soutien au gouvernement de droite et aux Américains, comme de sa corruption. Les partis communautaristes tamouls et musulmans sont très prudents et dans une démarche de conciliation avec Gotabaya. Il y a beaucoup d’enthousiasme dans les masses et sans doute aussi bien des illusions.


La bataille de Tamara Kunanayakam sur la clarification de l’accord MCC-ACSA-SOFA (voir son article plus bas en anglais) imposé par les Américains a joué un grand rôle dans la prise de conscience sur l’importance de la bataille pour la defense de l’indépendance nationale. Cela a eu une grande influence dans l’opinion, en particulier parmi les militaires de haut rang et dans de nombreux secteurs de la population. Pour l’instant, l’échec pour les USA est significatif dans leur projet géopolitique de confrontation avec la Chine. Ils vont évidemment tirer des leçons et s’adapter à cette situation inédite qui contrarie leurs plans.

Mais bien sûr ce n’est pas la fin de l’histoire, pour l’heure mon interview trouve ici une confirmation. Les prochaines élections parlementairesvont sans doute entraîner un raz de marée électoral en faveur des forces qui soutiennent Gotabaya. Mais les forces hostiles vont vite se ressaisir, la bataille sera donc d’un haut niveau compte tenu de l’importance stratégique du Sri Lanka au cœur de l’Océan indien dont l’enjeu est capital pour l’hégémonie impérialiste. Donc ça bouge dans le bon sens et il faut pour l’heure s’en féliciter, mais la lutte va s’aiguiser.
JPPage

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November 9, 2019 · 12:51 pm

 

[T]here is no friendship when nations are not equal, when one has to obey another and when one only dominates another.”

Jawaharlal Nehru, the Prime Minister of India, Closing Speech at the Asian-African Conference, Bandung, 1955

 

https://thuppahi.wordpress.com/2019/11/09/us-america-and-its-acsa-sofa-and-mcc/

Tamara Kunanayakam** 

MCC, ACSA, SOFA with US are incompatible with international law

Acquisition and Cross Servicing Agreement (ACSA), the Status of Forces Agreement (SOFA) and Millennium Challenge Compact (MCC) are agreements integral to US national security and self-defense strategies, whose goal is “American Self-Preservation,” an ideology incompatible with the Charter of the United Nations and international law.

MCC, crude and dogmatic alignment with US National Security Strategy

A clarification of MCC’s role in America’s national security and ‘self-defense’ strategies is required. The alignment is crude and dogmatic, designed to advance US influence globally and secure allies and partners by imposing upon developing countries, mostly those branded “failed states,” fundamental political, legal and economic reform of the state apparatus and a ‘rule of law’ that benefits US interests in the long-term.

MCC’s central role was ‘codified’ in the 2002 National Security Strategy of US President George W. Bush, which for the first time contained the controversial doctrine of ‘pre-emptive’ war. It elevated development aid to the level of defense and diplomacy as one of the three pillars of the global “War on Terror.” The current President’s 2017 National Security Strategy (NSS) links US military strategies to the imperative of political and economic reform, claiming consolidation of its “military victories” were made possible only by “political and economic triumphs built on market economies and fair trade, democratic principles, and shared security partnerships”.

One of the most novel and coercive features of MCC is the ‘pre-emptive’ method used to administer aid – it “will reward countries that have demonstrated real policy change and challenge those that have not to implement reform.” Before receiving aid, the country must successfully pass 16 eligibility criteria devised by the Bush Administration ranging from civil liberties to ‘days to start a business.’ In a March 2018 speech on US-Africa relations, the then US Secretary of State, Rex Tillerson, described the coercive essence of MCC that goes far above and beyond the particular project targeted. Referring to a $524 million compact signed with Cote d’Ivoire to improve its education and transportation sectors, Tillerson declared, “This was only possible after the country had implemented policies to strengthen economic freedom, democratic principles, human rights, and to fight corruption. Spurring reforms before a dollar of U.S. taxpayer money is even spent is the MCC’s model.”

The 2017 National Security Strategy reaffirms MCC as a coercive tool to bring “fragile” and developing countries under America’s influence to counter Russia and China, by achieving radical transformation of the recipient State, based on free-market principles, privatization, and good governance: “We already do this through the Millennium Challenge Corporation, which selects countries that are committed to reform and then monitors and evaluates their projects.” MCC is “a model to achieve greater connectivity” in the so-called Indo-Pacific.

It is notable that unlike the MCC of the Bush era, the Trump Administration will no longer provide MCC “assistance” in the form of “grants,” but “loans.”

American self-preservation and the right of self-defense

The US-Sri Lanka ‘defense’ agreements, which logically flow from the infamous US-led Human Rights Council resolution 30/1, are explicit recognition by the Ranil Wickramasinghe regime of America’s global leadership and its hegemonic status, which commit the country to a global unilateral system for America’s ‘self defense’.

The US view of ‘self-defense’ is rooted in ‘self-preservation’ and not on some reciprocal relationship between equal subjects of international law, but on combatting a threat to its own interests. It is based on the ideology of ‘American Exceptionalism’ that arrogates to itself exclusive prerogatives and special responsibilities for global governance, which continue to guide US national security and defense strategies. The US President’s 2017 National Security Strategy (NSS) and the 2019 Indo-Pacific Strategy Report (IPSR), both affirm US global leadership “is grounded in the realization that American principles are a lasting force for good in the world.”

The notion of American Exceptionalism was best expressed by former US Secretary of State Madeleine Albright, “If we have to use force, it is because we are America; we are the indispensable nation. We stand tall and we see further than other countries into the future.” In May 2015, the then US Secretary of State, John Kerry, claimed America’s leadership of the ‘Indo-Pacific’ “because we have a strong economy and an ability to be able to project”. It is the worldview of a global hegemon that sees itself destined by divine providence for full-spectrum domination – air, maritime, land, outer space, and cyberspace, and full-spectrum force (2017 NSS).

Historically, “self-preservation” and “self-defense” was used by Nazi Germany to occupy neutral Belgium, neutral Norway, neutral Netherlands, neutral Denmark, neutral Luxembourg, and Poland.

Doctrine of pre-emptive, preventive wars

The 2002 US National Security Strategy (NSS) under President Bush introduced the controversial doctrine of pre-emptive and preventive war, using the 9/11 terrorist attacks as a pretext, which provided the new enemy in the form of terrorism. The existence of terrorists, described as “the unknown unknown,” by the then Defense Secretary Donald Rumsfeld, served to justify a unilateral right to pre-emptive and preventive use of force in ‘self-defense’ against states even before an “armed attack” occurThe US argument was an act of violence by the terrorists amounted to an “armed attack.”

In Afghanistan, for 18 years, the US continues to claim self-defense, extending the right to preventing the return to power of the Taliban. Such unilateral intervention is expressly forbidden by the UN Charter and unequivocally rejected by both the International Court of Justice and the Security Council.

The US justifies the illegal act by an abusive interpretation of “the right of self-defense” in Art. 51 of the UN Charter, the only exception in the Charter to the use of unilateral force. Contrary to US claims, however, self-defense under the Art. 51 is permitted only under narrowly defined conditions: (a) it is an “armed attack”; (b) the armed attack actually “occurs,” and is not just an imminent or potential “threat”; (c) the state using force was the object of an attack on its own territory, not elsewhere, as a sine qua non; (d) it is a temporary right “until the Security Council has taken measures necessary to maintain international peace and security”; (e) it is proportional; (f) it does not affect the authority and primary responsibility of the Security Council; (g) it must be at the request of the victim; (h) the victim must request assistance from the state claiming to act in collective self-defense.

 

Committing Sri Lanka to the logic of war, not the logic of peace


The 2018 US National Defense Strategy that translates into military terms the strategic objectives outlined in the US President’s 2017 National Security Strategy is based on the indefensible illogical logic that “the surest way to prevent war is to be prepared to win one,” which is antipodal to the logic that drives the UN collective security system – that war must be prevented at all costs to achieve international peace and security. The documents are replete with bellicosity – enhancing  “joint lethality,” “credible combat-forward posture,” “forward force manoeuvre,” “forward deployment”… It is a clarion call to war, but not to any kind of war. It will be a more lethal war – more deadliness, more carnage and more destruction, to be fought together “with a robust constellation of allies and partners.”


It must be recalled that ACSA, SOFA, and MCC are part and parcel of the US concept of a “Free and Open Indo Pacific” (FOIP), a sinister security system whose objective is to impose on countries of two distinct regions and Oceans, a single US-led geographic and geopolitical order founded on rules determined by Washington. The concept not only excludes China from the region as a hostile existential threat to US interests, but is aimed at putting in place “a networked security architecture” under US leadership “to fight and win” a war against China. China as principal adversary is named in the 2017 National Security Strategy, the Pentagon’s 2018 National Defense Strategy, and 2019 Indo-Pacific Strategy Report.


By entering into such US ‘self-defense’ agreements in the context of big power rivalry and the threat of war, the Ranil Wickramasinghe regime is committing Sri Lanka to the logic of war, not the logic of peace, a partner in crime that poses a grave threat to regional and international peace and security and drags Sri Lanka into a war not of its own making.


This warmongering vision of the ‘global’ order is shared by the ruling UNF Presidential candidate Sajith Premadasa as reflected in his 2 October exchange with foreign diplomats at which he outlined his foreign policy objectives not in terms of Sri Lanka’s national interests, but in terms of Washington’s FOIP strategy: “open trade,” “freedom of navigation,” “air and maritime connectivity,” “rules-based world order,” and “violent extremism”.


However, it was unequivocally rejected by Sri Lanka’s opposition party leaders, by letter of 9 August 2019 addressed to the Secretary General of Indian Ocean Rim Association, demanding that the UN Charter-based rule of law be restored in the Indian Ocean by, inter alia, implementing the UN Declaration of the Indian Ocean as Zone of Peace, which designates the Indian Ocean, for all time, as a zone of Peace, together with the airspace above and the ocean floor subjacent thereto.


The Declaration, it must be recalled, was adopted at the initiative of Sri Lanka, joined by Tanzania, backed by the Non-Aligned Movement. While preserving free and unimpeded use of the zone by the vessels, whether military or not, for all nations in accordance with international law, it called on the “great powers” to eliminate from the Indian Ocean “all bases, military installations and logistical supply facilities, the disposition of nuclear weapons and weapons of mass destruction and any manifestation of great power military presence… conceived in the context of great power rivalry,” and halt “further escalation and expansion of their military presence in the Indian Ocean.” The Declaration also calls on littoral and hinterland States, the Permanent Members of the Security Council and other major maritime users of the Indian Ocean to enter into consultations to ensure that, inter alia, “warships and military aircraft would not use the Indian Ocean for any threat or use of force against any littoral or hinterland State.”

Threat to peace and security 

Sri Lanka is committing itself not to defending its own national interests, its sovereignty, independence and territorial integrity, but to combatting threats to “US prosperity and security,” which are named in NSS and NDS as the “revisionist powers” China and Russia, the “rogue regimes” North Korea and Iran, and ‘transnational terrorism.’ None of the countries mentioned pose a threat to Sri Lanka’s national interests. On the contrary, Sri Lanka has excellent relations with all four countries within the framework of the United Nations and close bilateral ties with China, Russia and Iran.

However, the ‘defense’ agreements involve the use of Sri Lanka’s territory, airports, harbours, defense installations, and infrastructure, for transport of military equipment, training and joint operations with Sri Lankan forces, and other activities, known and unknown, to “enhance joint lethality” in preparation for an act of aggression against one or more friendly states in the ‘Indo-Pacific’. In doing so, Sri Lanka will find itself a partner in crime and potential target of reprisal or retaliation, posing a grave threat to Sri Lanka’s security.

It was not so long ago that British occupied Ceylon was targeted by Japanese bombs, during World War II, characterized by the independence movement as an imperialist war, which resulted in the panicked fleeing of civilian population to India by boat. The Japanese military raids also took place on an Easter Sunday, in 1942.

The threat to Sri Lanka’s security will not only come from outside. When US forces are permitted to freely roam the land, in their vehicles, without permission, armed, in uniform and with impunity, Easter Sunday type carnage or protests against US occupation could result in Sri Lanka itself becoming America’s military target in the name of “self-defense”.

Bilateral agreements, inherently unequal

The so-called “partnership” entered into with Washington is not between equals.

Bilateral agreements between a global hegemonic power and a small developing country heavily indebted to international capital markets dominated by the power and highly dependent on its market for exports, are inherently unequal.

Since the Bush Administration’s ‘War on Terror,’ which coincided with emerging powers challenging US hegemony, it has increasingly resorted to preventive and pre-emptive unilateral interventions imposing decisions on weaker states or to bilateralism with significantly weaker states to establish US-led collective defense systems (or “collective self-defense” systems), which allow Washington to modify international norms and rules or impose decisions not in accordance with international law, thus, retaining its hegemonic status.

ACSA, SOFA and MCC are pre-existing institutional arrangements that are an integral part of the US national security and national defense strategies designed for ‘American Self-Preservation’ to achieve strategic US goals and objectives “grounded in the realization that American principles are a lasting force for good in the world” (US National Security Strategy, 2017). ‘American Self-Preservation’ is rooted not on reciprocal relationships between equal subjects of international law, but on combatting a threat to its own interests. Its sheer hegemonic power makes the principle of reciprocity impracticable in bilateral negotiations with weaker states such as ours, and it is illusory to believe that ACSA, SOFA and MCC can be “re-negotiated” or “amended” for “mutual benefit.”

Historically, bilateralism is associated with the commercial policies of Hitler’s Germany; it is inherently discriminatory in contrast to the system of collective security based on the UN Charter. The US shift to bilateralism is also reflected in its free trade and economic agreements as an important tool to coerce or reward potential allies and partners to support its geopolitical agenda.

International collective security v. US-led collective ‘self-defense’ 

Washington’s unilateral vision of a US-led global order for ‘American Self-Preservation,’ justified by a divine mission, is diametrically opposed to the universally recognised international order under the UN Charter, based on sovereign equality and international cooperation, respect for sovereignty, independence and territorial integrity of states.

Contrary to the US-led collective system for America’s self-defense, the universally recognised collective security system under the UN Charter seeks to prevent war – not make war – to achieve permanent universal peace based on equal rights and justice for all, in accordance with the purposes and principles of the United Nations.

The UN collective security system is a system without military alliances. It is based on multilateralism, the duty to cooperate, and respect for the principle of sovereign equality of States. It expressly prohibits war, as it does the use of force or the threat of use of force against the territorial integrity or political independence of any state and all forms of foreign interference and intervention in its internal affairs, including by the United Nations. The Charter expressly prohibits any unilateral or preventive action outside of the UN framework.

The primary responsibility for maintaining international peace and security lies with the Security Council, with member States agreeing that it acts on their behalf in carrying out its duties. Despite being at the highest level of the international legal hierarchy, the Security Council is required to act in accordance with the Charter, and not violate fundamental norms of international law, customary international law, and treaties, in the accordance with the UN Charter.

The generally binding international law obliges states to resolve any dispute that may endanger international peace and security through peaceful means, firstly by parties seeking a solution through “negotiation, enquiry, mediation, conciliation, arbitration, judicial settlement, resort to regional agencies or arrangements, or other peaceful means of their own choice”. Any member State or non-member may bring such a dispute to the attention of the Security Council or the General Assembly. Legal matters should be brought before the International Court of Justice of which all UN members are ipso facto parties.

The role of regional arrangements is strictly limited to efforts toward pacific settlement of local disputes before referring them to the Security Council. Regional arrangements are forbidden from taking enforcement measures unless authorised by the Security Council.

The use of armed force in the case of collective action is only permitted under the authority and supervision of UN Security Council, and only once it has determined the existence of  “threats to the peace, breaches of the peace, and acts of aggression” and that other measures would be inadequate or have proved to be inadequate to “maintain or restore international peace and security“.

Non-Aligned Movement and Friendly Relations

The Non-Aligned Movement, of which Sri Lanka is a founder member, has contributed in no small measure to developing the universally recognised principles on which friendly relations and cooperation among states must be based, including the landmark UN Declaration on Principles of International Law concerning Friendly Relations and Co-operation among States in Accordance with the Charter of the United Nations, which is viewed as an authentic interpretation of the Charter.

The Movement recognised that State sovereignty, sovereign equality and international cooperation are fundamental features of an international order that would permit weaker states to exercise greater leverage over their former colonial masters, and, toward this end, focused every effort to enhancing the role of multilateralism, promoting a new international economic order based on justice and equality, and strengthening the collective security system based on the UN Charter.

The identity of the Non-Aligned Movement is not determined by the existence of Great Power rivalry. It reflects the aspirations of newly independent states for an independent stand, based on a shared history and a positive perception of their own identity and views. It is essentially an anti-colonial, anti-imperialist alliance to defend their collective interests, protect their freedom and dignity, prevent the restoration of Western domination, support the struggles of peoples still under foreign domination and occupation, promote the right to development, and advance universal peace.

Their experience had shown that wars and alien domination result only in exploitation, oppression, death and destruction, not peace nor development nor social progress. At all cost, a return to Western domination, recolonisation, and war had to be prevented, and the ambitions of the most influential founders of the Movement was to unite the newly independent states to bring their collective weight to bear on the side of international peace, against war. The Movement opposed military alliances and collective ‘defense’ pacts with Great Powers, especially in the context of rivalry between them, since they would be designed to serve Great Powers interests and allow them to intervene in their internal affairs. Such pacts would only bring them closer to war and destruction, and strengthen the forces of war, not peace.

India’s Prime Minister Jawaharlal Nehru, speaking at the 1955 Asian-African Conference in Bandung, energetically opposed US-led collective defence pacts in Asia and the Middle East, including the short-lived anti-Communist Southeast Asia Treaty Organization (SEATO), primarily aimed against China. He argued membership in such pacts would only result in demeaning oneself to a role of “camp-follower of others” and “hangers on,” and lead to the loss of “freedom and individuality”: “It is most degrading and humiliating to any self-respecting people or nation. It is an intolerable thought to me that the great countries of Asia and Africa should come out of bondage into freedom only to degrade themselves or humiliate themselves in this way.”

 The Non-Aligned Movement and the principles on which it is based remain valid in a world that continues to be dominated by wars of aggression, foreign occupation and domination, unilateralism, coercion, intervention and interference in the internal affairs of sovereign states, and in which the victims are from the global south and the perpetrators, the US and its Western allies.

Sri Lanka’s decision to go to war if necessary for the preservation of America against an emerging power identified with the developing world, and the threat this poses to the interests of friendly nations and to the multilateral collective security system that the Movement is committed to strengthening, will result in the loss of Sri Lanka’s credibility and its increasing isolation from the majority in the United Nations.

An isolated country is more vulnerable and easy prey to a global hegemon.

International agreements incompatible with UN Charter are null and void

International agreements that are incompatible with the international obligations of the State under the Charter of the United Nations and impede the fulfilment of the purposes and principles of the United Nations, in accordance with the Charter, are null and void under international law. Besides, secret treaties are incompatible with the UN Charter and unenforceable.

ACSA, SOFA, and MCC violate Sri Lanka’s sovereignty and undermine its ability to fulfil its international obligation to protect its population and ensure respect for a broad range of their individual and collective rights: the right to determine the system best suited for their needs and aspirations; the right to exercise permanent sovereignty over their wealth and resources, including maritime resources; their economic, social, cultural, civil and political rights; the right to development; the right to a clean and safe environment; and, the fundamental right to peace and to be free from war.

Sovereignty and its international corollary, sovereign equality of states, are non-derogable peremptory norms of general international law that form the basis of the United Nations Charter, which is akin to a world Constitution. An international treaty that violates sovereignty is null and void and, hence, non-negotiable.

In the event of conflict between a State’s obligations under the Charter, which it is duty bound to fulfil in “good faith,” and its obligations under any other international agreement, Article 103 of the Charter, the supremacy clause, stipulates that it is their obligations under the present Charter that prevail. Subsequent treaties must conform to the Charter and are invalid if they impede the achievement of its purposes and principles, including its provisions concerning international peace and security, friendly relations among states, international cooperation, promotion of human rights and development.

Under Article 53 of the Vienna Convention on the Law of Treaties, “A treaty is void if, at the time of its conclusion, it conflicts with a peremptory norm of general international law.” The Vienna Convention is a restatement of pre-existing law that the International Court of Justice applies as generally applicable international law having reached the level of customary international law.

Toward a new era of peace and prosperity in Sri Lanka and internationally 

MCC, ACSA, and SOFA are incompatible with the purposes and principles of the United Nations, as developed in the landmark UN Friendly Relations Declaration and in other international instruments, in accordance with the Charter. If Sri Lanka is to pursue an independent foreign policy that is in conformity with its international obligations, it cannot ignore those principles.

There can be no benefit to Sri Lanka from a bogus “partnership” that involves surrender of territory, institutions, infrastructure and resources to a foreign power to perpetrate acts of aggression against third states, thus also becoming a partner in crime and a potential target for reprisals. There can be no benefit to Sri Lanka from its armed forces’ involvement in hostile acts against friendly nations for ‘American Preservation’ There can be no benefit to Sri Lanka from fanning existing bilateral hostilities that may lead to regional conflagration and pose a threat to international peace and security. There can be no benefit to Sri Lanka if another terrorist attack in Sri Lanka with alleged international links turns the US forces against our own people.

If there is to be change rather than continuity, every effort must be made to restore Sri Lanka’s sovereignty and promote peace, development, and social justice, unequivocally rejecting externally imposed agendas to transform Sri Lanka into a permanent aircraft carrier for Washington’s hegemonic wars in the Indian and Pacific Oceans. Western dominance must not be allowed to re-enter through the back door, taking the country and the region into war, not peace, and into “full spectrum domination”.

The UN Independent Expert on the promotion of a democratic and equitable international order, Alfred de Zayas, in his full report based on six years of work on the mandate, underlined the importance of international efforts to peace: “In a context of increasing confrontation and competition among world powers, we must re-centre peace as a unifying multilateral objective, and we must ensure that propaganda for war and sabre-rattling are banned.

** TAMARA KUNANAYAKAM : Former Ambassador/Permanent Representative to the United Nations in Geneva

ALSO NOTE :

Lindsay HughesThe United States, Sri Lanka and the SoFA: A Matter of Balancing China?,” 17 July 2019, http://www.futuredirections.org.au/publication/the-united-states-sri-lanka-and-the-sofa-a-matter-of-balancing-china/

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18 novembre 2019 1 18 /11 /novembre /2019 20:03

Bruno Guigue

A l’heure où la situation évolue en Bolivie dheure en heure au point où les gros médias qui présentaient le changement de régime comme résultant d’une révolte populaire commencent à parler de « coup d’état » ...parce que le peuple se mobilise contre les putschistes, il est bon de rappeler quelques vérités de base sur ce qu’est réellement la démocratie, le droit et les rapports de force.

La Rédaction

 

Un peuple désarmé
sera toujours vaincu

-

Novembre 2019

 

La République espagnole croyait à la démocratie parlementaire, et Franco a instauré sa dictature. Salvador Allende croyait à la démocratie parlementaire, et on a eu Pinochet. Evo Morales croyait à la démocratie parlementaire, et un coup d’État l’a chassé du pouvoir. Illustrations parmi tant d’autres d’une loi de l’histoire : face à des loups, ne jamais faire l’agneau.

Comme les expériences précédentes, celle de Morales n’était pas sans défauts, mais elle était prometteuse. Aucun gouvernement latino-américain, dans la période récente, n’avait obtenu de tels résultats : forte croissance, redistribution des richesses, recul spectaculaire de la pauvreté.
La Bolivie est le pays d’Amérique latine qui a la plus faible proportion d’illettrés après Cuba et le Vénézuéla. Or ces avancées sociales, fondées sur la nationalisation des compagnies gazières, sont précisément ce qui a scellé le sort d’Evo Morales. Un président indigène qui travaille pour les humbles, voilà le scandale auquel il fallait mettre un terme. Assoiffée de vengeance, la bourgeoisie bolivienne a réussi à interrompre une expérience progressiste soutenue par les couches populaires.

 

Afp - Jorge Bernal

Ce triomphe provisoire de la réaction suscite évidemment des questions redoutables. Comment le gouvernement légal de ce pays a-t-il pu subir, en toute impunité, l’incendie des maisons de ses propres ministres ? Comment le président élu de cet Etat souverain a-t-il dû quitter le pays, visiblement sous la menace ? Malheureusement, la réponse saute aux yeux : cette humiliation du pouvoir légitime par les bandes factieuses n’a été possible que parce qu’il était désarmé. Les chefs de la police et de l’armée boliviennes, dûment formés à « l’Ecole des Amériques », ont trahi le président socialiste. Ils ont cautionné le coup d’État perpétré par la sénatrice d’un petit parti d’extrême droite qui s’est auto-proclamée présidente, brandissant une Bible de dix kilos, devant une assemblée sans quorum ! Le président légitime Evo Morales a préféré l’exil à l’effusion de sang, et ce choix est respectable. Mais il ne dispense pas d’une réflexion sur les conditions de l’exercice du pouvoir lorsqu’on entend changer la société. 

Le contraste avec le Vénézuéla est frappant. Tenté à Caracas, le même scénario a échoué lamentablement. Malgré la crise économique qui frappe le pays, l’armée vénézuélienne a résisté aux menaces et aux tentatives de corruption inouïes en provenance de Washington. Cette fidélité de l’appareil militaire à la République bolivarienne est le mur qu’elle dresse contre les menées impérialistes. Mais elle n’est pas le fruit du hasard : militaire chevronné, Chavez a tout fait pour rallier l’armée, et Maduro a retenu la leçon. Le patriotisme anti-impérialiste est le ciment idéologique de la révolution bolivarienne. Appuyée par une milice populaire d’un million de membres, cette force armée éduquée aux valeurs progressistes protège la République. C’est pourquoi la bourgeoisie inféodée à Washington a tenté d’assassiner Maduro, après avoir voulu le renverser lors d’une tentative de putsch grand-guignolesque. 

© Librairie Tropiques

Pour parvenir à ses fins en politique, disait Machiavel, il faut être à la fois « lion et renard », faire usage de la force et de la ruse en fonction des circonstances. Mais pour faire usage de la force, encore faut-il en avoir. Aussi positive soit-elle pour la majorité de la population, une politique progressiste suscite toujours la haine recuite des possédants. Cette haine de classe, véritable passion triste des privilégiés cramponnés à leur prébendes, ne tarira jamais. Il faut le savoir, et se donner les moyens de l’empêcher de nuire. Dans les conditions effectives du combat politique, ce qui détermine l’issue finale n’est pas la pureté des intentions, mais le rapport de forces. Face à la coalition de la bourgeoisie locale et de l’impérialisme, les progressistes n’ont pas le choix des armes : il faut qu’ils les prennent, l’idéal étant évidemment de ne pas avoir à s’en servir, en comptant sur la faible propension de l’adversaire au suicide héroïque. Pour exercer cet effet dissuasif, il faut avoir des milliers de volontaires lourdement armés et prêts à défendre la révolution au péril de leur vie. 

Afp.com - Aizar Raldes

C’est sans doute un effet collatéral de la passion de la gauche contemporaine pour les élections, mais il semble qu’on ait oublié la formule de Mao : « le pouvoir est au bout du fusil ». La naïveté devant la cruauté du monde mène rarement au succès, et le désarmement unilatéral est une forme d’immolation volontaire. On a sa conscience pour soi puisqu’on rejette la violence, mais cette noble attitude a pour inconvénient de réduire considérablement son espérance de vie. Si l’on veut inscrire son action dans les faits, et rester en vie pour y parvenir, il vaut mieux renoncer à la « vision morale du monde », comme disait Hegel, et regarder la réalité en face. Le pacifisme dissuade rarement la bête féroce, et il n’y a pas de bête plus féroce que cette bête humaine qu’est la classe dominante ébranlée dans son assise matérielle, minée par la trouille de perdre ses avantages, et prête à tout ensevelir pour échapper au tribunal de l’histoire.

Sans armes, le peuple sera toujours vaincu, et ce n’est pas un hasard si les seules expériences révolutionnaires ayant abouti à une transformation effective de la société ont doublé l’outil politique d’un outil militaire. On peut toujours discuter de la nature et des limites de cette transformation. Mais si la Révolution française a mobilisé les soldats de l’An II, Si Toussaint Louverture, qui a conduit la première insurrection victorieuse d’esclaves noirs aux colonies, était d’abord un général de la Révolution, si la Révolution russe a créé l’Armée rouge, qui a vaincu les Blancs soutenus par quatorze nations impérialistes, puis les hordes hitlériennes à l’issue d’un combat titanesque, si la Révolution chinoise doit son succès en 1949 aux victoires militaires de Zhu De autant qu’aux idées de Mao, si la République socialiste du Vietnam a fini par vaincre l’appareil militaire des Etats-Unis, si le socialisme cubain doit sa survie à la victoire inaugurale contre l’impérialisme remportée en 1961 à la Baie des Cochons, c’est qu’il y a une constante vérifiée par l’expérience historique : des armes, oui, ou la défaite. 

 

Si seulement l’on pouvait s’en passer, bien sûr, on le ferait. Mais le camp adverse laisse-t-il le choix ? Ceux qui à Washington sabotent l’économie des pays en développement qui cherchent à s’émanciper de la tutelle occidentale, leur infligent des embargos meurtriers, financent des bandes factieuses, manipulent des opposants fantoches, importent le chaos et la terreur, ces bêtes féroces laissent-elles le choix à leurs victimes ? Si Cuba socialiste ne s’était pas murée dans la défense intransigeante des acquis de la révolution, si Castro n’avait pas tué dans l’œuf toute velléité d’opposition manipulée par la CIA, le peuple cubain aurait-il aujourd’hui le meilleur système de santé et le meilleur système éducatif d’Amérique latine ? En réalité, la voie électorale choisie par les partis progressistes est honorable, mais elle se heurte aux contradictions de la démocratie formelle. Il est naïf de croire que l’on va transformer la société en obtenant une majorité parlementaire. Car dans les conditions objectives qui sont celles d’une société capitaliste, la partie n’est pas loyale. 

On sait bien que la bourgeoisie contrôle l’économie et a la main sur les médias, mais on pense qu’on va convaincre le peuple de se rallier au socialisme. On mise alors sur le dévouement des militants pour contre-balancer l’influence des riches qui possèdent les moyens d’information et corrompent des pans entiers de la société pour asseoir leur domination. Mais peut-on citer un seul endroit où ce scénario idyllique s’est jamais réalisé ? Cette noble démarche relève d’une croyance naïve à l’objectivité du jeu démocratique en pays capitaliste. Cette fable est à la politique ce que le roman à l’eau de rose est à la littérature. Car pour ébranler le pouvoir de la classe dominante, il faut d’abord accepter d’être minoritaire, puis élargir sa base sociale en nouant des alliances, enfin frapper le fer tant qu’il est chaud. La compétition électorale est l’un des instruments de la conquête du pouvoir, mais il n’est pas le seul. Et l’armement des classes populaires, pour un mouvement réellement progressiste, n’est pas une option parmi d’autres, c’est une condition de survie. 

La constitution de cette force armée populaire ne servirait à rien, toutefois, si l’on ne s’attaquait pas d’emblée aux sources de l’aliénation : les médias de masse. Apparemment, la plupart des médias boliviens appartiennent encore à la bourgeoisie-colon. Autant jouer aux cartes en acceptant de confier tous les atouts à la partie adverse ! Or poser la question de la propriété des moyens d’information, c’est aussi poser la question de la propriété des moyens de production, les médias n’étant en réalité que les moyens de production de l’information. Pour inverser le rapport de forces, et assurer le succès de la transformation sociale, on ne peut donc éviter d’arracher les moyens de production, y compris les moyens de production de l’information, des mains de la classe dominante. Faute d’atteindre ce point de bascule, l’échec est assuré. « L’État, disait Gramsci, c’est l’hégémonie cuirassée de coercition », c’est-à-dire l’idéologie dominante appuyée sur la force militaire, et réciproquement. C’est tout aussi vrai d’un Etat populaire, dont la conquête par les forces progressistes vise à transformer la société au profit des humbles. 

Bruno Guigue

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